Les puits artésiens de l`Oued R`hir
Transcription
Les puits artésiens de l`Oued R`hir
Les puits artésiens de l'Oued R'hir « Demande le lait à la chamelle, un fils à ta femme, mais demande l'eau à Dieu seul » ( proverbe des Kel Afala ). La végétation vigoureuse du pays de Touggourt n'existerait pas sans les puits d'eau jaillissante qui font naître et vivre les palmeraies. Dans le sous-sol de la région de l'Oued R'hir, s'étend une nappe d'eau artésienne à 45 mètres de profondeur. Comme les couches à percer pour y arriver sont tendres et friables, dans les temps anciens, les Arabes faisaient jaillir l'eau en effectuant un forage par des procédés primitifs lents et pénibles. Ils nommaient ces résurgences « aïoun » ce qui veut dire dans leur langue « yeux ou fontaines ». plus par de bonnes paroles que par des douros (1). Après avoir accompli ce travail de déblaiement, ils s'en allaient dans le désert et on ne les revoyait plus. Les puisatiers Les « serviteurs » étaient relayés par les puisatiers, qui commençaient par éponger l'eau qui inondait le chantier pour travailler les pieds au sec. Puis ils creusaient un trou profond jusqu'à la couche imperméable d'argile qui recouvrait la nappe d'eau. Ce forage était assez large pour que plusieurs hommes puissent y travailler avec aisance. La terre était évacuée par les aides restés au bord du trou au Une activité traditionnelle moyen de paniers d'alfa ou de Le percement d'un puits était feuilles de palmier auxquels on dans le désert, une activité, faiavait attaché un filin sant appel à plusieurs équipes C'est en voyant apparaître un d'hommes spécialisés, qui permince filet d'eau que les puisamettait à la population nomade tiers estimaient que leur contrat et sédentaire de subsister. était rempli. La couche imperLe creusement était financé par méable étant atteinte, c'est à ce le propriétaire du terrain. Pour moment là qu'ils se faisaient Curage d'un puits. commencer la recherche de la payer et laissaient la place aux nappe d'eau, on employait une plongeurs. corvée de serviteurs, ou parfois des esclaves. Les puisatiers étaient rémunérés au mètre Ils avaient pour tâche unique de déblayer les vertical de forage, suivant un barème qui terres jusqu'à atteindre la couche d'eau statenait compte de la profondeur et de la duregnante. Pour ce travail ils étaient rémunérés, té des couches qu'ils devaient creuser. Les barèmes de prix étaient établis sur des bases ancestrales qui n'offraient aucune matière à discussion. La profondeur du puits pouvait parfois atteindre une cinquantaine de mètres. rien qui flatte. Il était musclé, maigre, souvent laid, maussade pour avoir l'air digne. Quand le plongeur pénétrait sur le théâtre des opérations, il était entouré de ses quatre assistants, tous à califourchon sur des ânes qui les faisaient progresser parmi la foule avec Les charpentiers majesté. Comme il arrivait que Pendant que les puisatiers s'ences hommes ne sortent pas fonçaient sous terre, les charvivants de ce labeur dangereux, pentiers construisaient et ils suivaient le cérémonial que posaient des bardeaux, faits ce misérable pays était en mede madriers superposés, pour sure de leur fournir. étayer le forage au fur et à Le propriétaire avait fait venir mesure que les hommes protous ses parents, amis, connaisgressaient. Ce coffrage, destiné sances et voisins pour obtenir en à protéger les terrassiers des cas de besoin un concours éboulements, soutenait les volontaire et gratuit si les choparois intérieures. Il était en ses venaient à tourner mal. Forage d'un puits artésien. bois de palmier de 25 cm dans La foule était là. Elle attendait sa plus grande largeur et forses vedettes. C'était un spectacle mait ainsi une structure carrée d'environ exceptionnel dans un pays où les distractions 75 cm de côté. Pour prévenir les infiltrations étaient rares. Certains étaient venus des et donner plus de solidité au boisage on remconfins du désert. plissait les interstices d'argile, que l'on foulait Après les salamalecs d'usage, les cinq homaprès l'avoir mélangée avec des noyaux de mes se débarrassaient de leurs vêtements, resdattes. taient nus, comme des gladiateurs, gardant Le puits pouvait parfois s'obstruer par la juste comme cache-sexe un chiffon douteux. chute de madriers pourris. On préférait alors Un grand feu était allumé auprès duquel ils effectuer un nouveau forage plutôt que de pouvaient réchauffer leurs corps refroidis. Ils réparer les dégâts. C'était plus facile et moins se frottaient les membres, la poitrine et le dos, fatigant. comme des athlètes qui vont pénétrer dans l'arène puis se bouchaient les oreilles et les Les plongeurs narines avec de la cire. Ces différents travaux effectués, arrivaient les plongeurs. Ils étaient chargés de percer la der- Le spectacle commence nière couche, de faire jaillir l'eau, la rendre Après ces longs préparatifs, le chef s'appropropre à la consommation. chait du trou en lançant sur la foule un regard Le plongeur était l'homme incontournable, la dédaigneux qui avait l'air de dire « Voyez cheville ouvrière de l'édifice, l'artiste dont comme je suis beau et fort, admirez-moi ! ». le travail était l'aboutissement de celui des Il était conscient qu'il allait risquer sa vie quaautres. Son aspect n'avait aucune séduction, tre à cinq fois par jour et qu'il serait payé bien Une activité à risques chichement. Mais le Les plongeurs étaient plongeur n'avait pas payés au nombre de pour motivation l'incouffins qu'ils remontérêt financier. Ses taient. Le panier était vues étaient plus petit. La gêne qu'ils nobles. C'était un éprouvaient à tragrand seigneur. Il se vailler dans un dévouait pour ses endroit peu éclairé, semblables et traétroit, souvent subvaillait pour Dieu. Il mergé, ne leur pervivait de galette et mettait pas de le remd'orge sur terre, mais plir d'un chargement au ciel il allait enfin suffisant pour en tirer jouir du jardin d'Allah de gros bénéfices. entouré des jeunes On ne connaissait pas vierges promises à de plongeur qui aurait tout bon croyant. pu acheter plus de Avec gravité, il s'apcinquante chameaux prochait de la margelle, Appareil de sondage. avec ses économies. y déposait quelques Cependant, comme charbons ardents au ces gens là se contentaient de peu, certains milieu desquels il jetait quelques boulettes parvenaient à acquérir quelques palmiers et d'encens qui se mettaient à grésiller. Quand une maisonnette et, comme ils ne vivaient pas la fumée s'élevait dans le ciel, il frappait longtemps, ce sont souvent leurs enfants qui quelques coups avec la paume de sa main sur en profitaient. le boisage. C'était l'appel qu'il lançait aux Ce labeur était exténuant. Ils descendaient à génies des profondeurs. Il fallait bien qu'ils une profondeur de trente, voire cinquante soient informés qu'on venait leur rendre visimètres. Il leur fallait retenir leur respiration te. Avant de pénétrer dans les entrailles de la sous l'eau, souvent pendant deux minutes et terre, il lançait d'une voix monocorde une demie parfois plus, jusqu'à cinq minutes selon invocation pieuse où le mot « Allah » revecertains témoins. Leur capacité respiratoire nait avec une lancinante monotonie. n'en était pas pour autant augmentée, pas Puis il passait autour de ses reins une corde plus que leur longévité. de « lifa » (brins grossiers à mailles très petites de feuilles de dattier), qu'il avait au préOn parvient au fond du trou alable solidement fixée sur une grosse pierre Arrivé au fond, le plongeur se penchait, prêau bord du puits, et s'enfonçait courageusetait l'oreille pour reconnaître au bruissement ment au fond du trou. Ses aides descendaient de l'eau la présence de la nappe. Il est inutile en même temps par un filin un panier fait de de dire que pour cette opération, il prenait peau de bique destiné à remonter les déblais son temps et manoeuvrait sans fanfaronnade. de l'excavation. 12 CDHA Dans l'obscurité environnante, il n'était plus sous les yeux de la multitude de ses admirateurs. Quand il était bien sûr de son fait et qu'il avait la preuve que les foreurs avaient mené le chantier au point souhaité, il remontait et émergeait à la lumière. Il n'était pas beau à voir. Tout son corps ruisselait d'une eau rougie par l'argile qui lui donnait une apparence satanique. Il adressait alors un salut martial aux spectateurs, le bras tendu comme un tribun romain. Puis il lançait sur la foule quelques mots incompréhensibles d'une voix gutturale, et redescendait dans les entrailles de la terre avec le sourire rayonnant d'un ange qui monte au ciel. C'est alors que pouvait commencer le percement de la couche. Cette besogne était exécutée avec une lenteur et une attention qui n'avaient rien de jouées, preuve que l'opération n'était pas dépourvue de danger. D'une main sûre, il s'affermissait sur la corde, de l'autre il entamait la terre avec une petite houe triangulaire. Il plaçait les déblais faits d'un mélange d'argile, de sable et de gypse, dans les paniers en peau de chèvre. Il s'arrêtait, prêtait l'oreille, frappait encore, écoutait de nouveau, examinait la couche d'argile. C'est ainsi qu'il se parait d'un quelconque imprévu. tait pas grave car on avait la possibilité de lui lancer un filin de secours mais alors l'homme devait rester perché dans le vide pendant quelques minutes angoissantes. En d'autres circonstances, l'eau pouvait monter poussant une masse plus ou moins compacte de graviers ralentissant son ascension. Le plongeur prenait alors son temps. Il se hissait de lui-même vers l'extérieur ou se faisait tirer par la corde sans se presser inutilement car il n'y avait pas péril en la demeure. Remonté à la surface, il ordonnait à ses aides de dégager sables et scories jusqu'à ce qu'une onde limpide apparaisse. L'opération était très longue, mais sans risque. Si au contraire, l'eau faisait irruption avec violence, les hommes restés sur le bord du trou dans cette éventualité, devaient hisser le plongeur en toute hâte. Ils étaient alertés soit par le bruit de l'eau jaillissante, soit par une tension très brusque sur la corde effectuée par le plongeur. Parfois, il arrivait que la nappe, dégageant une faible quantité de sable, s'élève avec tant de vitesse et de violence que l'homme resté au fond, tout étourdi, n'avait pas le temps d'esquisser le moindre signal de remontée. Suivant la nature du sol, si cette éventualité pouvait se produire, un de ses camarades restait toujours aux aguets au bord du trou, l'oeil fixé Et l'eau commence à sourdre sur le fond, le cou tendu, à l'affût Puits artésien dans Dès qu'il avait ouvert un passage à du moindre bruit, calculant le l'Oued R'hir l'eau, il entamait sa remontée sans temps qui restait. S'il soupçonse presser, à l'aide de la corde en s'appuyant nait un accident il s'élançait dans le puits au sur les aspérités du bardage. secours de son compagnon. Le sauvetage Mais là encore, il fallait prendre garde. Les était souvent couronné de succès, mais pas cordages n'étaient pas bien entretenus et il toujours, il est arrivé que l'on ait eu à retirer arrivait souvent qu'ils cassent. L'incident n'éun cadavre. Ces hommes faisaient un drôle de métier, aussi dans le but de se faire valoir, ils exagéraient l'importance des dangers auxquels ils étaient exposés, les accidents restaient assez rares. risque d'asphyxie, très bien rétribué, faisait vivre largement ceux qu'il ne faisait pas mourir prématurément. Pour le prix, on trouvait des gens prêts à se noyer quatre fois par jour, mais cela nécessitait un long et dur apprentissage. Autre incident de parcours Si rien de fâcheux n'entravait le Une autre difficulté pouvait se travail, le creusement d'un puits produire lorsque la masse des durait six mois mais le chantier sables et d'argile agglomérés arripouvait durer plus longtemps. vait à obstruer le passage de l'eau Parfois, on rencontrait des obstaet l'empêchait de monter jusqu'à cles imprévus et le forage était la surface du sol. Il fallait alors que abandonné pour recommencer le plongeur enlève ces détritus et ailleurs. C'est ce qui survenait qu'il dégage la résurgence. Rude quand l'abondance des sables travail sous l'eau. C'est là que les était telle qu'il devenait impossibouchons de cire mis dans les narible de les enlever. Souvent les nes et les oreilles allaient remplir parois du coffrage ne pouvaient leur office, l'homme était forcé de résister à la pression des terres retenir sa respiration pendant très Puits artésien. obligeant les foreurs à chercher longtemps, au point que les spectaun autre terrain. teurs se demandaient avec anxiété En moyenne, on peut estimer s'il allait remonter. qu'un ouvrage sur trois arrivait à terme. Ces Il était impossible à un plongeur de répéter hommes, grâce à l'onde bienfaitrice qu'ils fail'opération plus de quatre fois par jour. Aussi, saient jaillir, apportaient la prospérité dans quand une équipe de cinq hommes avait pu ces régions désertiques. enlever, en une journée, une hauteur de cinquante centimètres de sable on estimait que Gérard Seguy l'opération avait merveilleusement réussi. Quand le forage était terminé, l'équipe Sources : recevait une indemnité substantielle ce qui permettait à ces hommes du désert de vivre Théodore Pein : Lettres familières sur l'Algérie 1871 avec aisance. Adrien Berbrugger : Les puits artésiens des Une activité qui faisait vivre toute une oasis méridionales de l'Algérie 1862 région Henri Brosselard : Les deux missions Flatters Le plongeur apparaissait aux yeux des au pays des Touareg Sahariens comme un être fantastique. Le Photos : A. F.N. Collections fond du puits était son domaine, comme la mer est le domaine de Neptune. Lui seul 1- Douros : monnaies de l'époque savait ce qui s'y passait. Ainsi donc aux confins de l'Oued R'hir le