Un autre mode de management est-il possible ?
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Un autre mode de management est-il possible ?
| LES DÉBATS DE L’INSTITUT DE L’ENTREPRISE SYNTHÈSE Un autre mode de management est-il possible ? Conférence-débat du 7 juillet 2015 Edouard FRIGNET, ancien Regional Sales Leader chez WL Gore Patrick GILBERT, professeur de Ressources humaines à l’IAE de Paris Un autre mode de management est-il possible ? Petit-déjeuner débat du 7 juillet 2015 INTERVENANTS EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE EDOUARD FRIGNET, ancien Regional Sales Leader chez WL Gore Le management doit changer PATRICK GILBERT, professeur de Ressources humaines à l’IAE de Paris, auteur d’une enquête de terrain sur le sujet Cet événement s’inscrit dans le cadre de l’Observatoire de prospective sociale, présidé par Jacques Gounon, président-directeur général du groupe Eurotunnel. L’entreprise WL Gore (Gore-Tex), dans laquelle Edouard Frignet a travaillé durant 35 ans, compte parmi les entreprises sans hiérarchie, encore appelées « entreprises libérées ». Un constat : des salariés majoritairement non-engagés dans l’entreprise Le management et le développement des personnes semblent aujourd’hui freinés par la persistance d’un système d’organisation issu du taylorisme – certes amélioré au fil du temps –, avec une direction et une hiérarchie descendantes. Ainsi, en Europe, 66 % des salariés se déclarent nonengagés dans leur entreprise (ils travaillent uniquement pour percevoir leur salaire), 20 % se déclarent activement non-engagés (leur mal-être est tel qu’ils cherchent à démotiver les autres) et 14 % seulement 2 Un autre mode de management est-il possible ? se déclarent véritablement engagés (en général, ces salariés sont proches du pouvoir). En France, le taux de salariés véritablement engagés n’est que de 9 %. Face à ces constats, le management doit changer pour accroître l’efficacité des équipes au travail. Dans notre pays, les managers sont très novateurs, très performants et très formés. Le potentiel est donc de taille ! L’entreprise libérée : du « comment » vers le « pourquoi » Les entreprises libérées reposent sur la confiance. La notion de contrôle (encadrement) est abandonnée, pour laisser faire ceux qui savent faire. A défaut, ils seront frustrés et donneront très peu. En effet, ils ont été embauchés, donc choisis, pour ce savoir-faire. Cela impose de définir clairement la vision de l’entreprise, alimentée par les salariés, afin d’être de passer d’une société du « comment » à une société du « pourquoi ». Le bonheur au travail : une formule gagnante Plus les salariés sont heureux dans leur travail, plus ils performent : ils sont auto-motivés, il n’existe plus de problèmes liés aux horaires, etc. Ainsi, pour être performantes, les entreprises ont besoin de salariés heureux. D’autant que chaque salarié recherche le bonheur au travail. Les trois mots clés, gages de bonheur et de performance, sont : • la liberté; • l’engagement; • la confiance. L’exemple de WL Gore WL Gore est une entreprise familiale créée par Bill Gore en 1958. Sa vision est claire : des produits à base du seul PTFE 1 (Téflon) qui améliorent la qualité de vie. Cette vision est également humaine, puisqu’elle prône la confiance en chaque salarié, dénommé « associé », sans rang ni titre, donc sans subordination. Chacun occupe la même position, qui consiste à aider l’entreprise à se développer. L’organisation du temps de travail est libre, sans pointeuse ou jours définis de travail, l’important étant que chacun réalise ce à quoi il s’est engagé. La culture d’entreprise de WL Gore repose sur quatre principes : • la liberté (autant d’autonomie que possible) ; • le respect de la « ligne de flottaison » (chaque associé du navire qu’est l’entreprise est embarqué de la même façon et peut prendre des initiatives tant qu’elles restent au-dessus de la ligne de flottaison, au risque sinon de couler l’entreprise, ce qui impose de communiquer largement) ; • l’engagement personnel (chaque salarié définit son propre poste, de façon complémentaire avec les autres) ; • l’honnêteté (en l’absence d’encadrement, il n’y a plus de contrôle). Cette organisation nécessite de fonctionner en petits groupes, emmenés par un leader élu par les membres du groupe. Cette logique favorise le leadership naturel : une personne est reconnue comme leader, portée comme telle par le groupe, et non imposée au groupe. L’actuelle CEO de WL Gore a d’ailleurs elle-même été élue voilà 10 ans par les 160 associés du Corporate. 1. Polytétrafluoroéthène Les débats de l’Institut de l’entreprise — Juillet 2015 3 Enfin, les Ressources humaines sont véritablement au service des salariés, de leur développement personnel, de la maximisation de leurs compétences et de la création de leur capacité de leadership et de sponsoring. Elles sont donc garantes de la bonne compréhension et de la diffusion de la culture d’entreprise, notamment au travers de la formation. Elles participent aussi au développement du business, outre le volet opérationnel juridique (paie, contrats, législation) de leur activité. Au total, les entreprises sans hiérarchie compte des salariés deux fois moins arrêtés pour maladie, six fois moins absents, 55 % plus créatifs et neuf fois plus loyaux. Le niveau de turnover y est d’ailleurs relativement faible. Pour fonctionner, l’entreprise doit s’orienter vers de nouvelles régulations managériales permettant notamment de prendre davantage en compte le subjectif. En effet, les entreprises dans lesquelles les salariés font strictement ce qu’on leur demande sont souvent vouées à l’échec. Permettre aux salariés de faire bouger les lignes est essentiel pour être efficace. Les trois entreprises libérées actuellement étudiées par Gregor et Novancia gagnent de l’argent – souvent après en avoir perdu. Elles n’ont pas toujours navigué en eaux calmes. En tout état de cause ont choisi d’opérer leur redressement en misant sur l’engagement des salariés plutôt que sur la rationalisation, la disciplinarisation et la réduction des coûts à toutva. Leur « recette » est celle d’un management alternatif fondé sur des convictions fortes : Quel avenir pour le travail et ses modes d’organisation et de régulation ? • l’homme est bon et digne de confiance ; Patrick Gilbert présente les principaux résultats de l’enquête Gregor sur l’avenir du travail industriel en France à l’horizon 2030, conduite auprès de 35 dirigeants industriels, ainsi que les premières tendances de l’étude monographique en cours conduite par Gregor et Novancia auprès de trois entreprises dites libérées (Favi, Poult et Chronoflex). • le « pourquoi » (le sens) doit primer sur le comment ; La perception des dirigeants met en lumière des préoccupations partagées : • la compétitivité, entre innovation et accès aux compétences ; • l’organisation du travail, entre agilité et contrôle ; • la GRH, entre individus et collectifs de travail. 4 • le pouvoir doit aller au client (pas au chef) ; • l’innovation est un avantage compétitif. Favi (Fonderie et Ateliers de Vimieu) est une entreprise de taille intermédiaire appartenant à un groupe familial. Pour sa part, Poult est le leader des biscuits de marque distributeur en France. Elle compte 700 salariés à Montauban. Chronoflex, créée à Nantes en 1995, est une entreprise de service industriel très éclatée, avec 200 chauffeurs de camion qui sont à la fois intervenants et commerciaux. Ces trois entreprises présentent plusieurs points communs : Un autre mode de management est-il possible ? • l’aplatissement de la structure hiérarchique ; • la subordination des fonctionnels aux opérationnels ; • l’accent mis sur l’ajustement mutuel au sein des équipes plutôt que sur la formalisation ; • le management par les valeurs et par le sens ; • la responsabilisation des équipes ; • u n changement radical et massif avec l’alliance du dirigeant et de la base ; • les sources d’inspiration (Ecole des relations humaines) ; • un leadership charismatique (« patrons inspirés ») ; • la mobilisation de l’intelligence à la base ; • une innovation managériale « par retrait ». Quelques différences sont toutefois observées : • la présence de syndicats uniquement chez Poult ; • la propriété et la structure du capital ; En résumé, il apparaît que le contrôle bureaucratique cède globalement la place au contrôle social. Cette évolution évoque largement le management participatif défini en 1985 par Pierre-Eric Tixier puis en 1994 par Dominique Martin, renouvelé dans ses formes toutefois : les attendus sont davantage économiques que sociaux, la participation n’est plus concédée mais impérative et elle n’est plus périphérique mais inscrite dans le fonctionnement normal de l’entreprise. Les hypothèses provisoires sur les conditions de diffusion sont les suivantes : • une stratégie qui s’inscrit dans la durée ; • u n collectif organisationnel fort qui estompe les conflits d’intérêt ; • le développement de l’activité (à la fois résultat et condition de l’application du modèle). • l’ancrage territorial comme levier de mobilisation uniquement chez Favi et Poult ; • l’ancienneté dans l’application du modèle (30 ans chez Favi, 9 ans chez Poult et 3 ans chez Chronoflex) ; • la responsabilisation économique à la base uniquement chez Chronoflex. Les débats de l’Institut de l’entreprise — Juillet 2015 5 ÉCHANGES AVEC LA SALLE Les rémunérations sont-elles toutes identiques chez WL Gore ? Edouard Frignet Il existe des catégories de poste. En Europe, par exemple, WL Gore compte 25 vendeurs internationaux dans le domaine du textile. Ces 25 vendeurs s’auto-évaluent les uns les autres pour constituer un classement de 1 à 25. Cette évaluation est complétée par les supports administratifs des ventes, les ingénieurs textile voire un ou deux financiers. Cela permet de disposer d’un retour global sur la façon dont est ressentie la fonction. Il s’agit également de comparer la contribution de chacun et sa zone de salaire au regard du marché. Chaque associé perçoit un salaire qui lui appartient, au regard de ses engagements et de sa contribution (évaluée à 360 degrés). En quoi le modèle de WL Gore permet-il un management de la qualité ? Edouard Frignet Chaque groupe applique librement les procédures, dans le cadre de l’engagement pris en fonction de son savoir-faire, de son envie et de l’avantage apporté pour l’entreprise. WL Gore est ainsi très en avance dans le domaine de l’environnement, par exemple. D’où ses nombreuses certifications. 6 techniques et des produits, et non d’une problématique humaine. Pour le reste, les groupes fonctionnent en autogestion et en coopération. Y a-t-il des syndicats au sein de WL Gore ? Edouard Frignet Oui, mais pas en France. Cela étant, les syndicats ne sont pas un problème dans les entreprises libérées dès lors qu’ils sont engagés dès le départ. Comment est évaluée la capacité de candidats à l’embauche à exprimer leur talent et à s’intégrer dans un fonctionnement d’entreprise libérée ? Edouard Frignet Le fonctionnement de l’entreprise est discuté dès le départ avec le candidat, afin d’observer sa réaction. Cette réaction est aussi importante que son niveau de diplôme. Ensuite, le principe est celui de la multiplicité des entretiens d’embauche, afin que le candidat rencontre un maximum de personnes. Enfin, le candidat est présenté à l’équipe qui pourrait devenir la sienne, afin de recueillir le retour de cette dernière. En France, malheureusement, le feedback est souvent ressenti comme une critique. Par ailleurs, des sponsors ou parrains (choisis) sont chargés de pousser chacun à donner le meilleur de lui-même. Les leaders, pour leur part, sont davantage dédiés au business. Il y a donc nécessairement des contrôleurs ou des auditeurs internes. Les systèmes libérés sont globaux et reposent sur une véritable culture et un réel accompagnement. Edouard Frignet Oui, mais uniquement au regard des problématiques Patrick Gilbert L’absence de hiérarchie ne va pas de soi, en effet. Un autre mode de management est-il possible ? Edouard Frignet L’essentiel est que chacun connaisse et respecte la fonction des autres. Les entreprises libérées gagnent-elles plus d’argent que les autres entreprises de leur secteur ? Patrick Gilbert Les exemples les plus réussis s’observent dans les structures de taille intermédiaire. Edouard Frignet Oui. Le plus souvent, ces entreprises portent des produits très spécifiques et innovants. Elles vendent donc leur unicité. Harley Davidson a été sauvée par la mise en œuvre d’une organisation libérée, il y a 15 ans. Cette évolution lui a permis de redevenir une entreprise novatrice. Edouard Frignet L’entreprise Kiabi (groupe Hulliez) est en train de passer à un système libéré. Il n’y a d’ores et déjà plus de hiérarchie – ce qui requiert un accompagnement fort, pour les anciens managers notamment, afin qu’ils soient reconnus et non plus imposés. Huit usines Michelin sont déjà passées à ce modèle également. 29, rue de Lisbonne 75008 Paris Tél. : +33 (0)1 53 23 05 40 Fax : +33 (0)1 47 23 79 01 www.institut-entreprise.fr Les débats de l’Institut de l’entreprise — Juillet 2015 Synthèse réalisée par Florence Berthezène pour l’Institut de l’entreprise