L`épicerie en ligne, un marché (encore)

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L`épicerie en ligne, un marché (encore)
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stratégies
12 avril 2014
les affaires
L’épicerie en ligne,
un marché (encore) à
conquérir au Québec
IGA y est depuis 1996. Loblaw y pense, mais pas Metro. La vente en ligne d’épicerie, service pourtant
offert par 50 % des chaînes en Amérique du Nord, selon eMarketer, tarde à percer au Québec et
au Canada. Autrement dit, le marché reste à conquérir, et les raisons de s’y attaquer ne manquent pas.
Denis Lalonde
[email protected]
La bataille des épiceries changera bientôt de
terrain. Elle deviendra virtuelle, mais n’en sera
pas moins féroce. Sur Internet comme en magasin, face aux enseignes québécoises et canadiennes se dressent les géants américains.
« Pour le moment, Wal-Mart et Amazon offrent
seulement des produits courants [non périssables, depuis octobre], mais pourraient éventuellement bonifier leur offre avec des produits
frais. Ces géants américains ont les moyens de
s’offrir des solutions technologiques pour mieux
cerner les besoins de leur clientèle et leur offrir
des promotions personnalisées », souligne
Guillaume Brunet, spécialiste en stratégie numérique et conférencier du plus récent congrès
annuel du Conseil québécois du commerce de
détail (CQCD), tenu en mars.
Malgré cette menace sérieuse, on observe peu
de mouvements de troupes de ce côté de la
frontière. À l’exception d’IGA, qui expérimente
la vente en ligne depuis 1996. Et qui pourrait
bientôt en faire profiter l’ensemble des enseignes
de Sobeys, sa société mère, dévoile Alain Dumas,
directeur principal, affaires publiques de Sobeys
Québec. « IGA documente son expérience en
ligne afin de faciliter la tâche de toutes les enseignes de Sobeys, comme Safeway, RachelleBéry, Marché Bonichoix et Les marchés Tradition, lorsqu’elles voudront adopter le commerce
électronique », dit-il. Actuellement selon lui,
IGA et Thrifty Foods en Colombie-Britannique,
deux propriétés de Sobeys, sont les principaux
épiciers du pays à offrir la possibilité à leurs
clients de passer leur commande en ligne.
Ces ventes progressent en moyenne de 20 à 30 %
par année chez IGA depuis le lancement et
pourraient doubler d’ici trois ans, prévoit le
gestionnaire. Il évalue la valeur des ventes en
ligne de l’épicier à quelques centaines de milliers
de dollars par semaine.
Toutefois, Alain Dumas reconnaît que l’épicerie en ligne reste une niche au Québec. « D’autres
régions du monde ont des ventes en ligne beaucoup plus importantes que les nôtres. Cela
s’explique de deux façons : la densité de la population et la difficulté de stationnement aux
abords des commerces, problèmes qui n’existent
pas ici. »
Le défi du service à la clientèle
Chez IGA, on constate qu’« en 1996, offrir l’épicerie en ligne représentait un défi technologique.
Aujourd’hui, c’est devenu un défi de service à
la clientèle. » Les épiciers qui adoptent le commerce en ligne doivent y mettre de l’énergie. Il
ne s’agit pas d’installer des logiciels pour être
prêt : « Il doit y avoir des employés chargés de
la prise de commandes, de leur assemblage
et de la coordination des livraisons. Il faut
aussi respecter les normes d’emballage des
produits », explique Alain Dumas.
« Sans vouloir être pessimiste, si les épiciers
canadiens se lancent dans une guerre technologique avec des leaders comme Amazon et
Walmart, le combat est perdu d’avance », juge
de son côté M. Brunet, vice-président stratégies
numériques et associé chez Substance Stratégies
et Radiance Media, des agences offrant des
services de stratégie et de visibilité numériques.
Selon lui, une possible stratégie à adopter
serait de laisser Amazon s’occuper du volet
technologique et de devenir un fournisseur de
l’entreprise américaine lorsqu’elle décidera de
bonifier son offre au Québec. « Une autre option
est de desservir le marché des produits de luxe
ou des paniers-cadeaux, qui offrent des marges
plus élevées que les produits courants », dit-il.
Chez IGA, on voit l’épicerie en ligne comme
une façon de rester pertinente pour la clientèle.
« C’est ce qui fait la différence entre une entre-
prise qui a du succès et une qui n’en a pas. Pour
nous, l’épicerie en ligne, c’est être à l’écoute de
notre clientèle », affirme M. Dumas.
Chez Metro, on ne voit pas les choses de la même
manière. L’épicier québécois mise plutôt sur
un « écosystème » mobile pour stimuler les ventes
en magasin. Depuis septembre, la société a lancé
un site Internet revampé et une application mobile
qui en est déjà à sa quatrième mise à jour, sans
oublier le programme de fidélisation Metro&Moi,
offert depuis 2010. « Nous avons développé une
stratégie de personnalisation auprès de nos clients.
Nous voulons leur simplifier la vie tout en les
faisant économiser et en leur proposant des rabais
personnalisés », explique la conseillère aux communications de Metro, Geneviève Grégoire, qui
précise que le commerce électronique n’est pas
sur la table à dessin pour le moment.
« L’épicerie en ligne ne fait pas partie de leurs
demandes [d’après les études et les sondages
effectués par la chaîne québécoise]. Toutefois,
si la situation venait à changer, nous aurions le
devoir d’être à l’écoute de nos clients », dit-elle.
Chez Loblaw, on se prépare au lancement d’un
projet-pilote qui concernera trois établissements
de la grande région de Toronto. Les clients
pourront commander leur épicerie en ligne et
aller récupérer leurs sacs en magasin.
11 %
En ce qui concerne le panier d’épicerie,
les ventes en ligne grugeront les ventes
en magasin de 11 % d’ici 10 ans, une prévision
jugée prudente.
Source : strategy&
les affaires
« En 2020,
environ 33 % des
consommateurs
auront grandi en
utilisant un téléphone
intelligent. Cette
génération risque
de vouloir utiliser
l’épicerie en ligne
comme elle utilise
n’importe quel autre
service de commerce
électronique.
À l’autre spectre
sociodémographique,
de plus en plus
de baby-boomers
prennent leur retraite.
Pour eux, l’épicerie en
ligne peut constituer
un service d’appoint
très intéressant. »
— Alain Dumas, directeur principal,
affaires publiques de Sobeys Québec
Illustration : Dorian Danielsen
Un marché à fort potentiel
Le fondateur du salon eComMTL, Stéphane
Ricoul, se demande pourquoi le Québec et le
Canada tardent à prendre le virage de l’épicerie
en ligne, alors qu’en Europe et aux États-Unis,
on innove énormément dans le secteur.
M. Ricoul cite l’exemple du constructeur
Volvo, qui a mis en place un prototype permettant aux clients de se faire livrer leur épicerie
dans le coffre de leur voiture. Selon ce procédé,
12 avril 2014
un message texte est envoyé au client lorsque
sa commande est prête à être livrée, afin de
connaître l’emplacement exact de la voiture.
Lorsque le livreur s’approche du véhicule,
Volvo génère une clé électronique valable une
seule fois qui permet de déverrouiller le coffre.
Une fois le travail terminé, il ne reste qu’à
refermer le coffre et la clé électronique se désactive. « C’est absolument génial. Cela permet
d’éliminer tous les problèmes de livraison », dit
Stéphane Ricoul.
Dans un communiqué publié en février,
le constructeur suédois affirmait que plus de
60 % des consommateurs ayant effectué leur
épicerie en ligne avaient connu des problèmes
de livraison en 2013, estimant que les premières
livraisons ratées coûtaient globalement 1 milliard d’euros par année à l’économie mondiale.
M. Ricoul soutient que les épiciers ne veulent
pas adapter leur modèle commercial à l’épicerie
en ligne. « Quand on va chez IGA, il n’y a pas
de place de stationnement ou de point de collecte réservés aux clients qui ont réalisé leurs
achats en ligne, comme en Europe. Si on veut
faire gagner du temps aux clients, il faut le faire
jusqu’au bout », dit-il. Le site Internet de l’épicier
précise que les clients désirant aller cueillir leurs
emplettes en magasin doivent prévoir un délai
de quatre heures suivant la conclusion de la
transaction, comparativement à six heures pour
une livraison à domicile.
IGA teste depuis janvier la stratégie du point
de collecte dans son magasin de la Place Longueuil, ce qui permet aux cyberclients de faire
livrer leur commande dans le coffre sans avoir
à descendre de leur voiture.
Le cœur du commerce en ligne
« Ajouter une fonction de commerce électronique
à un site Internet, c’est la pointe de l’iceberg. Avant
tout, l’entreprise doit faire en sorte que la commande soit au cœur du modèle commercial. Par
la suite, il faut entre autres lier la commande à la
gestion des stocks, au service à la clientèle et au
marketing », soutient Martin McNicoll, président
d’ERP Guru, une entreprise montréalaise qui
réalise tous ses revenus en ligne, dont 80 % sur
le marché américain. ERP Guru conçoit des applications pour le progiciel de gestion intégré NetSuite, qui vient d’acheter le logiciel Retail
Anywhere, lequel donne la possibilité aux détaillants d’avoir une stratégie de vente multicanal.
À son avis, un système centralisé permettra de
recueillir un maximum de données sur chaque
client, ce qui facilitera la mise en place d’une
éventuelle stratégie de marketing personnalisée.
M. McNicoll, récent finaliste au prix PDG de
l’année Investissement Québec, ajoute que le
succès d’une stratégie de commerce en ligne
repose aussi sur l’uniformisation de l’expérience
client sur toutes les plateformes (téléphone
intelligent, tablette ou ordinateur).
« Un autre élément primordial de satisfaction de
la clientèle est le clavardage en direct », note
Charles Desjardins, vice-président, ventes et
marketing, chez Absolunet, une agence Web qui
offre des solutions numériques. Celui-ci ajoute
que les entreprises doivent s’assurer d’avoir
suffisamment de ressources en place pour pouvoir
répondre aux questions des clients en temps réel
sur tous les canaux de communication, car ceuxci désirent finaliser leur transaction rapidement.
M. Desjardins souligne également l’importance d’avoir une politique de gestion des retours cohérente et simple à comprendre pour
ne pas rebuter la clientèle.
stratégies
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26 %
La population serait prête à
prendre le virage de l’épicerie en ligne :
en 2012, 26 % des répondants d’une
étude de Nielsen projetaient d’acheter
des aliments et des boissons en ligne
« au cours des trois à six prochains
mois », comparativement à 18 % deux
ans plus tôt.
Source : « How digital influences how we shop
around the world », Nielsen, 2012 ; étude portant
sur plus de 28 000 personnes originaires de
56 pays, dont le Canada.
4 %
En 2013, 4 % des cyberclients québécois
ont acheté des produits dans la
catégorie « épicerie et
autres produits alimentaires ».
Plus généralement, 70 % des
internautes québécois, dont 59 % des
adultes, ont effectué au moins un achat
en ligne cette année-là.
Source : CEFRIO ; échantillon de 454 répondants
17,8 %
Près de 18 % des internautes de 16 ans
et plus ont acheté des aliments ou des
boissons en ligne en 2012, par rapport
à 10,8 % deux ans plus tôt. Ces chiffres
comprennent toutefois les commandes
de repas effectuées dans les restaurants.
Source : Statistique Canada

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