Les politiques de l`habitat à l`épreuve de la rénovation urbaine

Transcription

Les politiques de l`habitat à l`épreuve de la rénovation urbaine
LES POLITIQUES DE L’HABITAT A
L’EPREUVE DE LA RENOVATION URBAINE :
LA QUESTION DU PEUPLEMENT
JEUDI DE LA VILLE
DU 10 NOVEMBRE 2005
Jeudi de la ville organisé par l'IREV
Institut Régional de la Ville – 23 avenue Roger Salengro – BP 318 – 59336 Tourcoing Cédex
Tél 03 20 25 10 29 – Fax : 03 20 25 46 95 – E.Mail : [email protected] – Site Internet : www.irev.fr
-2–
SOMMAIRE
Avant propos
page 3
La mise en oeuvre des projets en région Nord Pas-deCalais : les constats, les questions
La perception des acteurs en Région Nord Pas-de-Calais, enquête
réalisée par l’IREV
page 4
Frédéric TRECA
Comment un maire, un bailleur, une intercommunalité
abordent-ils la question du peuplement ?
Les enjeux du peuplement aux différentes échelles : quartier, ville,
agglomération
page 7
Jacky HENIN, Maire de Calais, Président de la Communauté d’Agglomération du
Calaisis, Président de l’office HLM
L’approche territoriale, les méthodes de travail pour un bailleur
Jean-Pierre CHOEL, Directeur de PROMOCIL
Page 10
L’engagement d’une agglomération, les outils de pilotage :
observatoire social / charte de relogement / plan stratégique de
patrimoine et politiques territoriales
page 12
Françoise MASCOTTO – Jean-Claude DULIEU, Présidents de commission à
Valenciennes Métropole
Jean-Luc LEMAIRE, Directeur de l’Association régionale pour l’Habitat
Nord-Pas-de-Calais
page 16
La mixité, une priorité au regard de ce qui se passe dans les
quartiers ?
page 22
Marie-Christine JAILLET-ROMAN, Directrice du laboratoire de recherche
CIRUS-CIEU, CNRS, Université de Toulouse Le Mirail
Quels enseignements pour la définition des projets, le
positionnement des acteurs et les méthodes de travail collectif ?
Un point de vue national
page 29
Christophe ROBERT, Fondation Emmaüs, Membre du comité d’évaluation
et de suivi de l’ANRU
Table ronde
page 33
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les politiques de l'habitat à l'Epreuve de la rénovation urbaine : La question du peuplement "
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AVANT PROPOS
Pourquoi avoir choisi la question du peuplement et des politiques
d’habitat dans les projets de rénovation urbaine ?
Ce n’est pas seulement parce que c’est, de l’avis de tous, un sujet
difficile, mais surtout parce que c’est le sujet central de la question
de la rénovation urbaine.
À partir du moment où la rénovation urbaine avait posé comme
attendu le fait que la transformation des quartiers passait par une
question de peuplement et de mixité affichée dans la loi, il nous a
paru intéressant, après presque trois années de mise en œuvre, de
faire le point sur les projets en cours de réalisation ou d’élaboration.
En effet un certain nombre de projets sont déjà passés à l’ANRU et
d’autres sont en passe de l’être et sont donc en préparation,
notamment dans le cadre de la convention régionale.
Nous avons donc souhaité d’abord partir des expériences régionales,
c’est à dire voir comment les acteurs régionaux abordent cette
question complexe. Le second objectif de cette journée a été de
remettre en perspective ces débats régionaux avec la réflexion
nationale et de voir quelles sont les marges de manœuvre et les
pistes de progrès pour perfectionner notre fonctionnement, à
l’échelle des projets comme à l’échelle des institutions.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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La mise en œuvre des projets de rénovation urbaine en
Nord Pas-de-Calais : les constats, les questions
LA PERCEPTION DES ACTEURS EN REGION NORD-PAS DE CALAIS : ENQUETE REALISEE PAR
L’IREV
Frédéric TRECA, IREV
L’IREV, dans le cadre de sa fonction de ressource régionale, s’est saisi d’un travail
d’entretiens afin de recueillir le point de vue des acteurs, famille par famille.
Ont été rencontrés des élus, des bailleurs, les équipes du Conseil Régional, de la
DDE, l’ANRU et La Foncière Logement. L’objectif était de recueillir l’avis des
professionnels sur les conditions de mise en œuvre, les enseignements, les points de
blocage identifiés, afin de les restituer individuellement et collectivement et d’en
faire profiter les communes qui s’inscrivent dans les projets de rénovation urbaine.
Sans prétention scientifique, ce travail constitue certainement une bonne
introduction au débat.
Le dispositif de rénovation urbaine fixe des règles générales applicables à tous mais
qui s’opposent à une réalité régionale extrêmement contrastée, selon différents
critères de différenciation :
- La diversité des territoires : il existe des projets dans des territoires de type
ZUP, d‘autres dans des quartiers anciens, et d’autres encore dans des quartiers
miniers.
- La multiplication des interventions publiques : les territoires de projet ont
généralement connu de nombreuses interventions publiques, que ce soit ou non
dans le cadre de la Politique de la Ville. Celles-ci ont porté sur l’ensemble du site ou
sur une thématique particulière ; sur le « dur » (logement, aménagement) ou sur le
social, parfois sur les deux. Il est donc important de tenir compte de l’histoire de
cette intervention publique qui va faire que, sur certains territoires, l’ANRU sera
l’occasion de réinterroger un projet de territoire alors que, sur d’autres, il s’agira
d’accompagner l’action publique menée depuis très longtemps.
- L’enjeu pour la politique des villes : certains des territoires dont il est
question sont complètement minoritaires dans la ville et ne pèsent pas dans
l’équilibre politique ou dans le fonctionnement social. Au contraire, des territoires
représentent quasiment la totalité de la ville. La motivation de la ville pour intervenir
sera donc différente selon les cas.
- L’enjeu pour le bailleur : quelles sont ses motivations pour intervenir ou ne
pas intervenir sur le territoire ? Pour certains bailleurs qui sont très localisés, les
quartiers ANRU constituent l’essentiel de leur parc. L’absence d’intervention mettrait
en danger leur société elle-même. À l’inverse, pour des bailleurs départementaux ou
régionaux, les quartiers en difficulté ne représentent qu’une part très minoritaire du
parc et l’enjeu n’est donc pas le même.
- Le peuplement : la question du peuplement ne se gère pas de la même
façon dans un quartier complètement enclavé au cœur d’un réseau autoroutier,
complètement déconnecté du fonctionnement urbain, et dans un quartier à
proximité d’un centre ville. Il s’agit là d’une question de mobilité et d’attractivité. À
noter à ce sujet un point particulier lié au mécanisme de l’ANRU : la disponibilité du
foncier à l’intérieur et à l’extérieur du quartier.
- Les échelles de peuplement : le quartier doit être étudié par rapport à sa
périphérie, par rapport à la ville, à l’agglomération… Aujourd’hui, les logiques de
peuplement à l’échelle régionale deviennent de plus en plus prégnantes. Les
mécanismes de pression foncière sur la métropole sont tels que l’habitat devient
inaccessible et on risque donc de retrouver des populations qui vont
progressivement migrer sur des territoires périphériques, jusqu’aux territoires
miniers, avec un risque de repaupérisation de ces territoires.
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"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Le premier problème posé par les acteurs est donc l’application d’un dispositif
général à des territoires extrêmement variés, et avec des acteurs pour qui les
enjeux sont complètement différents.
L’élaboration du projet
La rapidité de montage des dossiers laisse à tous un sentiment d’insatisfaction. Le
besoin se fait sentir d’une marge de redéfinition des projets qui ont été montés dans
des conditions difficiles.
Par ailleurs, les conditions d’élaboration jouent sur les types de projet :
Ceux sur lesquels il y a eu un travail antérieur, en particulier dans le cadre
du GPV, c’est à dire une réflexion stratégique et un positionnement politique
préexistant apparaissent très élaborés, avec une vision intégrée. L’ANRU n’a
ici nécessité qu’une adaptation du projet à ses règles.
Ceux sur lesquels il n’existe pas d’antériorité apparaissent plus simplement
comme de la rénovation urbaine sur l’immobilier ou sur les espaces publics.
La marge de réflexion et d’approfondissement sur les projets se situe donc entre le
passage d’un projet d’intervention sur l’habitat à un projet plus global sur le
territoire.
Le portage politique
Chacun s’accorde à dire qu’un portage politique fort, avec un investissement fort de
l’élu, est indispensable au projet, de son élaboration à sa mise en œuvre.
La nature du portage politique conditionne également le poids des bailleurs. A cet
égard, trois cas de figure co-existent :
Celui où le maire est dominant dans la mise en œuvre des projets, et où les
bailleurs suivent. Le débat est relativement limité et les bailleurs vont dans
le sens du maire.
Celui où le bailleur se met à disposition du maire pour l’aider à conduire les
réflexions stratégiques, voire à les financer. C’est alors le bailleur qui est le
moteur du projet, à la fois dans son élaboration et dans sa mise en œuvre.
Le cas médian où il y a débat entre la collectivité et le bailleur dans
l’élaboration du projet. La question est alors l’organisation de ce débat entre
le maire et le bailleur, en fonction des intérêts de chacun.
La place des institutions
Comment l’institution prend-elle part à la construction du débat ? Les institutions
occupent trois fonctions différentes :
une fonction d’accompagnement : des agents de la DDE par exemple, sont
très engagés dans la co-production du projet et sont d’ailleurs reconnus pour
cela par les élus locaux,
une fonction d’expertise sur la question de la stratégie ou de la qualité
urbaine, qui intervient le plus souvent en aval, lorsque le projet est un peu
finalisé,
une fonction d’instruction, en vue de la présentation à l’ANRU.
Il est important, avant que ça ne devienne conflictuel (et bien que ça l’ait déjà été
parfois), de clarifier ces fonctions et de savoir qui a légitimité pour parler au nom de
l’ANRU / Etat. Il apparaît primordial de savoir où est la parole de l’Etat.
Le peuplement
Plusieurs points ont été abordés sur ce sujet :
-
l’évaporation naturelle : d’après les professionnels interrogés il est inévitable
que certaines personnes ne se retrouvent pas dans les opérations et trouvent une
solution ailleurs.
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"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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-
Cependant, en tentant de mesurer cette évaporation naturelle, on rencontre
des points de vue différents : d’après certains, ce phénomène est organisé, c’est à
dire qu’on anticipe sur les opérations pour faire en sorte que des populations qui ont
un problème de comportement social ou qui sont en situation d’insolvabilité ne
soient plus dans le jeu au moment où on va lancer les opérations. L’évaporation
peut aussi être due au mécanisme : le locataire va se voir proposer un logement à
un coût différent, dès lors la question sera de savoir si le « reste à charge » ne
provoquera pas son exclusion du parc.
-
Le réinvestissement des bailleurs sur le territoire : côté bailleurs, c’est un point
positif qui va permettre une remise à niveau assez sensible du patrimoine. La
question est de savoir comment se fait ce réinvestissement sur le territoire, en
particulier pour les logements du quartier qui ne seront pas forcément concernés par
la rénovation urbaine. En filigrane se pose donc la question de l’entretien qui génère
beaucoup d’inquiétude chez les élus.
Cette question influe également sur les trajectoires résidentielles : de quelle façon
l’investissement du bailleur va-t-il profiter à la ville en matière de construction d’une
offre de logement permettant de faciliter la fluidité dans le parc ?
La question du réinvestissement apparaît donc comme une question-clé pour les
différents acteurs.
-
Le développement social : où est le projet social ? Les acteurs rencontrés ont
des définitions du social extrêmement différentes. Pour certains ce n’est que
l’accompagnement social dans le relogement des personnes qui vont être déplacées,
pour d’autres il s’agit de l’action sociale sur le territoire, c’est à dire la manière dont
on peut travailler avec les populations pour accompagner la transformation à
l’échelle du quartier, pour d’autres encore cela regroupe l’ensemble des politiques
publiques et des politiques sociales qui sont destinées aux populations du quartier.
On considère donc que le projet du quartier n’est pas simplement une question de
rénovation urbaine mais aussi une question de remobilisation sociale.
Ces différentes lectures du développement social se superposent largement aux
visions des critères de réussite des projets. Pour certains acteurs le critère de
réussite est l’équilibre financier, pour d’autres c’est que les opérations de
relogement se passent bien et que l’on ait construit dans les délais, pour d’autres
encore c’est que le quartier aille mieux, que l’on apporte un meilleur service aux
populations, et parfois que l’on essaie de faciliter la mobilité résidentielle dans le
bassin d’habitat.
Les enjeux apparaissent donc complètement différents selon les acteurs interrogés.
La perception du social est fonction de la posture des uns et des autres.
Toutefois on sent clairement une inquiétude collective diffuse sur le fait qu’on ne fait
pas assez de social, même si on ne met pas le même contenu sur ce mot. Un point a
en particulier été relevé par l’ensemble des personnes interrogées, c’est que, dans
les études qui ont été faites, peu étaient axées sur la compréhension du
fonctionnement social des quartiers, ce qui révèle un manque. L’actualité aujourd’hui
nous renvoie malheureusement à ces questions-là. Quel serait le sens d’un projet
ANRU extrêmement bien monté dans un territoire qui dysfonctionne complètement
socialement ? Or, à l’examen des projets ANRU, cette question n’apparaît pas !
En conclusion, un dernier point saillant de cet état des lieux est l’inquiétude
généralisée concernant la conduite de projet et les conditions de mise en œuvre. Il
faut dès aujourd’hui mettre en place des fonctionnements durables pour
accompagner les transformations de ces territoires, qui vont se dérouler jusqu’en
2011.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Comment un maire, un bailleur, une intercommunalité
abordent-ils la question du peuplement ?
LES ENJEUX DU PEUPLEMENT AUX DIFFERENTES ECHELLES : QUARTIER, VILLE,
AGGLOMERATION
Jacky HENIN, Maire de Calais – Président de la Communauté d’agglomération du
Calaisis - Président de l’office HLM
Je voudrais tout d’abord bien éclairer les choses : chaque situation est particulière et
chaque ville a une histoire qui est différente de celle de la ville d’à côté. Ce que je
vais vous dire pour Calais est donc bon pour Calais mais n’est pas bon pour les
autres villes, parce que nous n’avons pas la même histoire, nous n’avons pas les
mêmes règles de fonctionnement, et nous n’avons pas eu, surtout, le même
développement.
Pour parler du renouvellement urbain aujourd’hui, il faut repartir quelque temps en
arrière. Calais est une ville qui a été détruite lors de la seconde guerre mondiale, à
85% pour la partie Calais Nord et à 65% pour la partie St Pierre. Cela signifie que la
ville de Calais a été détruite à plus de 60%. On a donc construit des cités
provisoires, qui ont duré longtemps, pour accueillir les gens qui n’avaient plus de
logement. À l’issue de la guerre se produit le baby-boom (de 45 à 48) et, dans les
années 65, se pose donc la question du logement de ceux qui sont encore dans les
cités provisoires, mais aussi de leurs enfants qui ont envie de fonder leur foyer et
donc d’accéder à un logement.
Le projet (du quartier) du Beau Marais
À ce moment-là, on aménage des villes dans la ville. Le secteur du Beau Marais en
est un exemple. Il représente 18.000 habitants, soit l’équivalent de la ville d’Avion.
Dans cette ville de Calais, il y a donc un quartier qui représente à lui tout seul une
ville.
On y va franchement, on y met des moyens, on construit des logements, on les
monte pour que le plus de citoyens possible puisse y loger dans de bonnes
conditions. Et, objectivement, entre un logement de cité transitoire où il n’y a pas de
toilettes, pas de salle de bains, pas de tout à l’égout, et un logement dans une tour
de 15 étages dans lequel on a les toilettes à l’intérieur, la salle de bains, l’eau
chaude, le sèche-linge, il n’y a pas de comparaison possible. Seulement, on le sait
aujourd’hui, on a oublié une chose : c’est que les gens vivent et que, dans ces tours,
allaient habiter des citoyens. On a oublié que les gens naissent, qu’à la naissance il y
a un baptême et que les familles se réunissent, on a oublié que les gens se marient
et qu’au mariage il y a une fête, que les gens se rapprochent, vivent ensemble, on a
oublié que les gens meurent et que parfois les familles aiment à se réunir. On a créé
uniquement du logement ! On n’a pas de salles aménagées pour les populations, pas
de services publics, etc. Au bout d’un certain nombre d’années, les problèmes
deviennent latents. Les manques sont exprimés par les populations, par leurs
enfants qui sont dans la rue, puisqu’il y a moins de structures qu’ailleurs. Les
collectivités essaient d’y répondre tant bien que mal, pas complètement, parce qu’il
ne faut pas oublier aussi (et ça c’est le dossier économique) que ces logements ont
été construits à l’époque essentiellement pour des gens qui travaillaient dans
l’industrie. Or les crises économiques font que ce sont ces citoyens qui paient le plus
lourd tribut aux licenciements et à la casse de l’industrie. Pour ne parler que du
secteur du Beau Marais, le taux de chômage est de 40 % en continu.
Une fois ces constats dressés, comment essaie-t-on de s’organiser ? Trois éléments
sont à prendre en compte : l’aménagement urbain, la typologie d’habitat et la mixité
sociale.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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L’aménagement urbain
Je crois qu’on ne peut pas parler de la rénovation de ce quartier sans prendre en
compte la nécessité d’un aménagement urbain. Dans toutes les collectivités locales,
même les plus petites, on a besoin d’un endroit pour faire du sport, de crèches, de
centres de loisirs, d’une permanence de la municipalité, d’une présence de la CAF…
On dispose de plusieurs équipements et services, mais disséminés et mal organisés.
Le but du jeu est de faire de l’aménagement urbain pour offrir à ce quartier de
18.000 habitants la présence publique nécessaire pour répondre aux besoins d’une
ville de 18.000 habitants.
C’est plus facile quand on a, comme moi, une multitude de casquettes. Quand le
maire de la ville est à la fois président de la communauté d’agglomération et
président de l’Office HLM, quand on a en plus la volonté de tirer la charrue vers
l’avant et pas vers l’arrière, tous les services se mettent en branle en même temps
et ça donne de l’effet. D’autant que c’est une nécessité absolue pour cet organisme
qu’est l’Office Public HLM de Calais : 70% de son patrimoine se trouve en ZUS, 79%
des citoyens qui habitent à l’intérieur de l’Office bénéficient de prestations sociales,
25% des locataires sont titulaires du RMI et seuls 30% des chefs de famille qui
habitent le Beau Marais ont un emploi. Quand j’ajoute que, dans le classement des
organismes HLM sur la région Nord-Pas-de-Calais, l’Office Public HLM de Calais est
dernier au niveau de la richesse vive, on comprend la nécessité impérieuse d’aller de
l’avant pour changer les choses.
La typologie d’habitat
Concernant la typologie d’habitat, ce qui a pu être vrai à un moment donné pour
répondre à un besoin de logements est aujourd’hui une catastrophe. On a des
secteurs différents qui permettent de saisir la différence d’approche des citoyens.
Sur un autre secteur dit sensible, le Fort Nieulay, on a adopté une typologie
d’habitat qui ne dépasse pas R+3 + combles ; et tout ce qui a été créé sur cette
base-là résiste, le lien social se recrée naturellement, parce qu’il y a une toiture. Ça
peut paraître idiot mais, pour les gens, lorsqu’il y a une toiture c’est quasi une
maison. Quand il y a une toiture, les gens se parlent, et quand en plus les
organismes et les collectivités territoriales s’unissent pour que les gens se parlent
davantage, le lien social amène une vie collective acceptable. Quand vous êtes dans
une tour de 15 étages avec 4 ou 5 appartements par palier, avec la concentration
des difficultés économiques et sociales, vous ne pouvez qu’obtenir de la difficulté.
Dans cette réalité, on peut toujours essayer de faire venir d’autres catégories de
citoyens dans le secteur, mais la seule envie de ceux qui y habitent c’est d’en
partir ! Il est donc important, lorsque l’on amène un réaménagement et des
services, de casser ce qui représente le plus négatif dans la tête des gens qui vivent
sur place et de ceux qui sont en dehors. Dans le même temps on reconstruit pour
pouvoir montrer : « Voilà, ce qu’on détruit c’est ça, et ce qu’on construit, avec votre
avis, avec la discussion, c’est ça ». Dans notre malheur on a une chance, c’est que
ce quartier de la Mi-Voix est situé exactement en face du plus beau quartier de
Calais, le quartier de l’Université, où se trouve la plus grande halle de sport, où va
se trouver la piscine-patinoire, où va se trouver le nouveau stade, où on trouve un
collège, un lycée… Donc casser du négatif pour construire du positif et permettre à
la fois le logement social en location et l’accession pour les citoyens qui veulent
investir, c’est une perspective positive, mais qu’il nous faut travailler.
Enfin, et là c’est l’élu qui parle, on peut faire autant d’aménagements et de
renouvellement urbain que l’on veut, s’il n’y a pas de politique d’accompagnement
économique et social, le problème reste posé. Dès lors que vous avez des jeunes qui
n’ont pas de travail, des familles qui n’ont pas de perspectives, le problème
reviendra à un moment donné. Je crois qu’il est plus qu’important, dans ce pays, de
ne pas traiter le problème par le petit bout de la lorgnette mais de le traiter sur le
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fond, et de permettre à chaque citoyen de pouvoir véritablement s’intégrer dans la
société dans laquelle il vit.
La mixité
On a d’abord un problème de fond sur ce qu’on appelle le logement social. Dès que
vous citez le mot « logement social », vous avez le sentiment que vous avez dit un
gros mot. « Cachez ce logement que je ne saurais voir ! ». On donne au logement
social une image qui n’est pas la réalité et on donne aux populations qui vivent dans
les logements sociaux une image qui n’est pas toujours la bonne. Certes, il y a une
réalité parfois, mais en même temps ce n’est pas « La » vérité. Pour l’anecdote, j’ai
l’exemple de mon propre père qui achète un appartement à Calais et qui me dit :
« C’est pas mal la résidence là, la manière dont ils l’ont retapée. C’est quand même
mieux que tous les appartements qui appartiennent au privé qui n’ont pas été
repeints ! ». Quand je lui dis que c’est du logement social, il ne me croit pas ! Ça
veut dire que, même chez vous, même chez ceux qui sont de gauche, vous avez
parfois une image erronée des choses.
Alors, la mixité ? D’abord elle est absolument nécessaire. Je vais parler comme La
Palisse mais si vous concentrez au même endroit toutes les difficultés, ne vous
étonnez pas de retrouver des difficultés ! Et si vous concentrez au même endroit
tous ceux qui n’ont pas de difficultés, ne vous étonnez pas de ne pas avoir de
difficultés et d’avoir un secteur qui vit plutôt bien et qui apparaît plutôt bon chic bon
genre et plutôt bourgeois ! Je crois que, dans une ville, il est important qu’on vive
ensemble ! Il y a des gens qui ont moins de revenus et il y en a qui en ont plus et
qui doivent payer pour ceux qui en ont moins ! C’est ça la péréquation, le
reversement !
Pour ce qui nous concerne, il est indispensable de fixer les populations dans les
quartiers. On sait très bien que, quand les gens sont propriétaires de leur logement,
ils ont un autre comportement par rapport à celui-ci. Il peut être individuel, mais
vous avez aussi toute une partie de population qui voudrait bien être propriétaire de
son appartement parce qu’elle a fait le choix de vivre en appartement. Même la
mixité à l’intérieur des offices pourrait être extrêmement importante, alors que la loi
actuellement ne permet pas de le faire. Elle devrait permettre aux offices qui sont le
plus en difficulté de pouvoir accepter davantage de citoyens, au moins ceux qui sont
au-dessus des plafonds, même au-dessus du PLUS… Vous avez des gens qui sont
enseignants, qui travaillent à deux, ils ont parfaitement le droit pour moi d’habiter
en logement social. Or la loi actuellement ne le permet pas. Je crois qu’il est
important de permettre que l’on ait, dans un même patrimoine, des gens qui ont des
revenus, des gens qui en ont moins, et des gens qui n’en ont pas.
La Foncière, je vais peut-être vous paraître un peu naïf, mais je suis très content
qu’elle arrive. Au début on nous avait dit qu’ils allaient venir mais qu’ils n’allaient
pas vouloir être à l’intérieur du quartier le plus difficile, or c’est faux. Les échos que
nous en avons c’est qu’ils veulent être à l’intérieur, bien sûr avec une demande
particulière de construction de maisons individuelles pour que leurs salariés puissent
être logés, mais je n’ai pas de problème particulier et je suis tout à fait d’accord
pour qu’elle vienne dans ces conditions, parce qu’elle vient à l’intérieur du secteur.
Je trouve que c’est positif.
Pour les privés qui viendraient investir… On a une situation un peu particulière sur
Calais puisque personne ne veut de l’Office HLM. Pour toutes les autres communes
qui sont autour, c’est plus facile de faire des parcelles et du privé que de faire par
l’intermédiaire de l’Office. On a deux ou trois exemples où, à force de persuasion, le
Maire, président de l’agglomération et président de l’Office, arrive à gagner, mais ce
n’est pas suffisant. Donc j’ai adopté une stratégie qui ennuie, qui dérange, c’est que
systématiquement le maire de Calais fait marcher son droit de préemption au profit
de l’Office Public HLM de Calais. C’est la seule possibilité pour un office public de
pouvoir marchander et de dire : « Attendez, on peut peut-être discuter. Nous on
voudrait bien aller en dehors de la grande ville. Acceptez-nous en dehors et nous on
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fera ce qu’il faut pour partager ». Autrement, c’est toujours plus facile de convaincre
un maire de construire des parcelles d’accession libre de 750 m² où ça va être des
belles maisons, que de lui dire qu’on va construire du logement social.
Dans un an on va livrer un quartier qui est en construction, 300 logements avec du
commerce, 300 logements réalisés par l’Office HLM, c’est l’équivalent d’un quartier
de 1200 habitants, à l’entrée du quartier du Fort Nieulay qui est un quartier dit
sensible. Le nombre de demandes formulées avant que le chantier ne soit fini est
déjà de 600 ! Parce que les gens n’ont pas peur et qu’ils se rendent compte que tout
ce qu’on a fait toutes ces dernières années en terme de logement social c’est du
logement de qualité qui leur convient parfaitement. Eh bien c’est l’enjeu de l’avenir.
Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on n’a pas le droit d’avoir du beau et qu’on
n’a pas le droit d’être bien traité dans la société française.
Pas de projet sans financements…
Pour terminer, on peut me dire que tous les projets sont bons, mais nous, entre le
changement de gouvernement et aujourd’hui, cela fait exactement deux ans qu’on
attend. On était titulaire d’un contrat de financement ORU, on savait ce qu’on avait,
et on nous a expliqué que le dossier n‘était pas comme il fallait. On a tout
recommencé et on n’est toujours pas passé au comité d’engagement, on n’a
toujours pas la capacité de financement ! On sait qu’il y a une bataille entre la
Région et l’Etat mais je dirais simplement qu’il ne faut jamais oublier qu’au bout, ce
sont des gens qui souffrent et qui attendent ! Et ça fait deux ans de perdus pour
eux ! Je crois qu’il faut relier ça à une réalité économique aussi. On peut avoir toutes
les ambitions que l’on veut, si on n’a pas les moyens de ses ambitions, c’est un vrai
problème. Si on ne se donne pas, dans ce pays, les moyens de nos ambitions, on
aura les pires difficultés. Je vais vous donner un exemple : en 1999, le Calaisis a
souffert de l’abandon du duty-free, c’est à dire la vente de marchandises hors taxe
sur les bateaux qui permettait de baisser le prix du transport. Énormément d’Anglais
venaient à Calais pour y acheter tout ce qu’ils voulaient et, du jour au lendemain,
avec l’arrêt du duty-free, on a perdu 4 millions de visiteurs britanniques qui
dépensaient en moyenne 600 francs chacun. L’Etat, dans sa grande bonté, nous a
octroyé 15 millions d’euros de dédommagement. À ce jour, nous avons perçu
85.000 euros !
Autre exemple : les travaux de rénovation du centre ville de Calais qui visaient un
redéploiement et un redéveloppement économique l’ont été avec l’assentiment de
l’Etat, avec des lettres d’engagement. Or aujourd’hui, alors que les travaux de la 1ère
phase sont quasiment réalisés, on nous dit que l’Etat ne nous versera sa part qu’au
2ème trimestre 2006. Ça signifie que, si vous n’êtes pas un bon gestionnaire et si
vous n’avez pas la capacité à vous adapter, vous vous retrouvez, comme bon
nombre d’entreprises privées, au Tribunal de Commerce (chez nous c’est ailleurs),
où on vous met en cessation de paiement et en faillite. Le renouvellement urbain,
l’aménagement urbain, la mixité, ça passe par des engagements politiques forts, ça
passe par des moyens forts, ça passe par un travail collectif, parce que, sans travail
collectif pour tirer la charrue dans le bon sens, on n’avance pas et on ne réussit pas.
L’APPROCHE TERRITORIALE, LES METHODES DE TRAVAIL POUR UN BAILLEUR
Jean-Pierre CHOEL, Directeur de PROMOCIL
PROMOCIL est une SA d’HLM de 10.000 logements dans l’Avesnois, qui fait partie
d’un groupe immobilier, Sambre Avesnois Immobilier, dans lequel il y a aussi une
autre société HLM, l’Avesnoise, à Fourmies. C’est un groupe immobilier classique de
13.000 logements en tout, 200 collaborateurs, implanté sur une centaine de
communes, sur un territoire qui en compte 151 (environ 15 EPCI). Nous sommes
également implantés de manière très forte sur l’Est Cambraisis.
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"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Une centaine de communes donc, qui, à l’échelle d’un territoire d’implantation de
300.000 habitants, reprennent exactement les chiffres et les critères de
paupérisation qui ont été évoqués pour la ville de Calais.
Les données sociales de notre population logée sont également dans les mêmes
ratios que ceux évoqués précédemment. Ces deux territoires situés aux deux
extrémités du département partagent donc cette même fragilité sociale, même si les
raisons historiques sont différentes.
Promocil est majoritaire et assez prégnante sur le territoire puisqu’elle représente
environ 70% du logement social, ce qui impose, pour un groupe immobilier et
particulièrement pour ses dirigeants et ses collaborateurs, une certaine
responsabilité au sens du territoire.
Promocil est donc véritablement un acteur central de l’aménagement du territoire. Il
nous appartient d’être avec les élus, de les accompagner dans la gouvernance et
dans l’aménagement du territoire. Ça peut prendre la forme d’une prise de
présidence d’un conseil de développement, d’une présence d’administrateurs au sein
de l’agence d’urbanisme, dans la société de transport… Il appartient aux
collaborateurs et aux dirigeants d’être, à titre personnel, administrateurs,
responsables, vices présidents ou présidents de centres d’hébergement et autres
structures, de favoriser les chantiers d’insertion à destination des locataires, tout en
externalisant et en favorisant le montage d’outils « satellites » sur le territoire.
Actuellement, à peu près 70.000 heures d’insertion sont menées par des outils
d’insertion… cela nécessite de représenter le mouvement HLM dans les commissions
locales d’insertion, d’être administrateur de PLIE, etc.
Créés sur une initiative patronale d’après-guerre, notre gouvernance est toujours
patronale locale, c’est le MEDEF local qui nous donne comme projet stratégique
d’investir le territoire, d’accompagner les élus dans la gouvernance de ce territoire,
et véritablement de prendre notre place et notre responsabilité, de par notre
prégnance sur le territoire, dans cette gouvernance. Il existe une volonté stratégique
claire de rester locaux.
Le parc de PROMOCIL date essentiellement des années 70, même si l’on a continué
fort heureusement à construire dans les années 80, 90 et 2000 une offre différente
en phase avec le marché d’aujourd’hui et celui de demain, dans 10 ans, ou 15 ans,
dans le cadre de notre vision partagée de ce qu’est la stratégie patrimoniale et
l’offre de logement locatif social sur le territoire. Cette partie du logement des
années 70 était destinée à une population dans un contexte de développement
économique et de plein emploi, c’était un grand progrès social en son temps, ça a
été construit très vite, on est monté en hauteur aussi pour des raisons financières
d’amortissement du foncier et de charges foncières, et ça répondait à la demande du
moment. Simplement le marché a complètement viré, l’environnement économique
également, et en ce qui nous concerne, nous avons été touchés très fortement par
la crise sidérurgique et la crise textile, et tout est parti, il n’y a plus rien ! C’est
même plus grave que ça parce que c’était un patronat paternaliste, protecteur, qui
gérait tout pour le compte de la population, on a donc une sorte de culture collective
d’attente… Et quand tous les industriels sont partis, la population est restée ! Ce
n’est donc pas seulement un problème d’emploi mais c’est aussi un problème de
culture, de dynamique intellectuelle, de mouvement dans la tête, que cette
population n’avait pas.
Alors l’ANRU dans tout ça ? Il y a 4 ou 5 ans, nous avons mené avec les élus et les
partenaires ce qu’on appelle l’audit HLM : ensemble, nous avons audité l’état du
parc HLM collectif sur l’arrondissement. Il faut préciser que le parc HLM collectif
représente 50% du parc HLM chez nous, il y a donc 50% d’individuels et
d’intermédiaires qui sont la résultante de ce que nous avons continué à produire
dans les années 80, 90 et 2000. Nous sommes donc très fragilisés, mais sur une
part plus réduite de notre patrimoine. Pour nos collègues HLM, c’est plutôt 80, voire
90%, de parc collectif, et 10 à 20% de parc individuel. Donc nous avons, avec les
élus, porté un regard partagé sur l’état et l’avenir du parc HLM collectif.
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Cette initiative a été prise à l’échelle de l’arrondissement, bien avant l’ANRU.
En effet il y a quelques années, nous avons été traumatisés, nous organisme HLM,
par les déclarations d’un élu disant, en réunion de quartier, qu’un immeuble allait
être démoli, et ce sans aucune concertation. Comme c’était un immeuble sensible,
sur Maubeuge, c’est parti comme une traînée de poudre et on a essayé de
raccrocher les wagons. On a beaucoup souffert, à tous points de vue, et nos équipes
de terrain également, de ces déclarations non préparées et non partagées.
Pour se donner la garantie à l’avenir de partager la même vision et de pouvoir,
ensemble, élaborer des stratégies de reconquête ou de traitement patrimonial, nous
avons trouvé opportun de suggérer, avec l’ensemble des partenaires (l’Etat, la DAE,
la DDE, le mouvement HLM), d’intervenir collectivement pour se doter d’une vision
partagée sur ce parc. Et quand l’ANRU est arrivée, elle était miraculeusement la
boite à outils que nous attendions pour traiter cette vision partagée de ce patrimoine
HLM. Vision qui rassemblait une vision technique, une analyse de marché, une
analyse sociale des locataires concernés, et aussi une analyse du marché global
effectuée par interviewes téléphoniques sur la perception de ce patrimoine, y
compris des gens qui environnaient ce patrimoine.
Concernant le poids que représentent les dossiers de rénovation urbaine : nous
avons actuellement une convention signée, quatre avis du Comité National
d’Engagement obtenus, et deux dossiers en préparation, ce qui fait de l’Avesnois le
pays certainement le plus dynamique de la région Nord Pas-de-Calais en matière de
rénovation urbaine. Je ne sais pas s’il y a d’autres organismes HLM ici capables
d’afficher 7 dossiers de rénovation urbaine avec 25% (c'est-à-dire 3000 logements)
de son patrimoine dans un dossier de rénovation urbaine. Il y a bien sûr
Valenciennes qui réagit, c’est bien, c’est un dossier très dynamique, mais c’est un
dossier à l’échelle urbaine alors que nous sommes nous à l’échelle de
l’arrondissement complet.
L’ENGAGEMENT D’UNE AGGLOMERATION, LES OUTILS DE PILOTAGE : OBSERVATOIRE
SOCIAL / CHARTE DE RELOGEMENT / PLAN STRATEGIQUE DE PATRIMOINE ET POLITIQUES
TERRITORIALES
Françoise MASCOTTO –
Valenciennes Métropole
Jean-Claude
DULIEU,
Présidents
de
commission
à
Françoise MASCOTTO, Présidente de la commission Politique de la ville
Dans la communauté d’agglomération de Valenciennes Métropole, 11 communes
étaient déjà engagées dans le GPV, ce qui représente 12 sites de rénovation
urbaine. Compte tenu du contexte social de ce territoire, la volonté des élus, dès la
création de l’agglomération, a été d’accompagner les communes (à l’époque, dans le
cadre du GPV). Le choix a donc été fait de s’investir fortement à leurs côtés dans le
renouvellement urbain. Les villes ont donc décidé de confier la maîtrise d’ouvrage
des projets à Valenciennes Métropole qui s’est ainsi retrouvé à la tête de 9 projets.
La ville de Valenciennes ayant son ingénierie propre, a souhaité développer son
projet, l’agglomération a donc, de fait, accompagné toutes les autres communes
dans l’élaboration de leur projet.
Toutes ces communes (à part celle de Vieux-Condé) étant déjà engagées dans le
GPV, il a fallu adapter ce qui avait déjà été réfléchi à cette procédure
d’agglomération. À ce moment-là arrive l’ANRU qui va nous proposer une réflexion
beaucoup plus complète, ce qui nécessite de mettre en place des études
complémentaires qui seront prises en charge par l’agglomération. Cela a également
nécessité de s’organiser entre les villes et l’agglomération puisque l’ingénierie de
celle-ci est venue en complément de l’ingénierie de chacun des territoires.
L’agglomération a donc fourni une assistance pour le montage des projets des villes
et a permis de replacer le renouvellement urbain dans une stratégie d’agglomération
globale tenant compte de l’ensemble de la politique menée sur le territoire.
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Un projet intercommunal
Dès le départ nous avions deux territoires avec des logiques urbaines très
différentes : d’un côté, l’agglomération centrale où l’on a de l’habitat collectif
important avec un patrimoine qui est en mauvais état et qui a besoin de démolition
et de reconstruction ; et de l’autre, toute la queue du corridor minier où c’est de
l’habitat individuel également en mauvais état, avec beaucoup de patrimoine privé
et du patrimoine SOGINORPA.
La position de l’ANRU a donc été très rapidement de dire : « Toutes les villes du
corridor minier ne représentent pas pour nous un enjeu important mais, en
revanche, l’ensemble de ces communes constitue une unité urbaine qui mérite d’être
réfléchie à cette échelle-là ». Nous avons donc actuellement deux grands dossiers de
rénovation urbaine : le dossier « agglomération centrale » qui comprend les
communes de Valenciennes, Beuvrages, Anzin et Marly, et le dossier « corridor
minier » qui va de Bruay à Vieux-Condé, soit 7 communes.
Il existe effectivement des difficultés sur ce dossier aujourd’hui. Mais la principale,
qui ne se pose pas seulement dans le Valenciennois, c’est que nous avons, dans la
région Nord-Pas-de-Calais, des territoires complètement atypiques par rapport à la
loi d’août 2003. Effectivement, cette loi a été faite prioritairement pour les grandes
banlieues et les grands ensembles, or nous ne sommes pas du tout dans ce
contexte-là. Il existe sur nos territoires des poches de pauvreté et des poches
d’habitat social dégradé, mais qui ne représentent pas 2000 logements à chaque
fois.
Nos opérations portent généralement sur environ 200 logements, elles ne
représentent donc pas des démolitions et des reconstructions massives. En
revanche, il y a un véritable besoin de rééquilibrer le territoire, notamment en terme
de qualité de l’espace public, aujourd’hui totalement dégradé… On veut créer de la
mixité, mais est-ce que la mixité ne se crée pas d’abord au niveau de l’espace
public, plutôt que par un mélange des typologies de logement ? Jacky HENIN le
disait fort bien tout à l’heure, on a des équipements publics qui, faute de moyens
des collectivités, sont aujourd’hui complètement obsolètes et inadaptés aux
populations de ces quartiers. Seulement aujourd’hui l’ANRU nous dit : « L’ANRU
n’est pas faite pour les aménagements, l’ANRU est faite pour travailler massivement
sur le logement ».
L’observatoire social
Dès que l’on est passé à la logique ANRU une chose est apparue évidente aux élus
de ma commission, c’est que l’on s’apprêtait à intervenir massivement sur le côté
urbain, évidemment dans l’intérêt des populations des quartiers concernés, mais que
l’on n’avait pas d’outil pour nous permettre d’observer comment évoluait la situation
sociale de ces familles. Il nous est apparu qu’il nous fallait un observatoire. Ceci est
une des missions d’une agence d’urbanisme mais il faut préciser que nous n’en
avons pas pour l’instant sur le Valenciennois.
Nous avons donc décidé de mettre en place un observatoire avec pour objectif non
pas de simplement observer, mais aussi d’être un outil d’aide à la décision pour les
élus. Cela nous a amené dans un premier temps à réfléchir sur le champ des
thématiques verticales classiques du contrat de ville, c’est à dire le logement et
l’habitat, l’éducation, l’emploi, l’espace public, les pratiques de sociabilité et l’accès
aux services publics. Nous ne voulons pas seulement observer statistiquement des
indicateurs, il s’agit aussi de les croiser avec trois thèmes transversaux qui nous ont
semblé particulièrement importants sur notre territoire : celui de la mobilité des
habitants, celui de leur participation au projet (qui comprend aussi le vécu du projet
après sa réalisation), et celui de la mixité.
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Je ne parlerais pas de mixité sociale parce que pour moi ça ne veut pas dire grand
chose, mais je définirais plutôt ce terme comme ce qui fait que l’on partage les
espaces dans un quartier, ce qui fait qu’on vit bien ensemble.
Cet outil est en cours de construction. Nous avons fait appel à un bureau d’étude qui
s’appelle Habitat et Développement pour travailler avec nous et ils nous ont proposé
deux outils différents :
-
-
un outil à l’échelle de l’agglomération qui nous permettra à terme de
comparer ce qui se passe dans les quartiers où il y a rénovation urbaine,
avec les données de la commune dans laquelle se situe le quartier et avec
les données de l’agglomération,
un outil que nous avons appelé un laboratoire, qui se situe à l’échelle de
chaque commune. Chaque indicateur sera suivi et débattu au sein de 6
commissions thématiques sur les 6 thèmes que je vous ai cités tout à
l’heure, pour nous permettre de suivre leur évolution et aussi d’avoir des
propositions d’actions concrètes à mettre en place par les élus de façon à
améliorer l’action publique.
Ces commissions thématiques à l’échelle de l’agglomération sont composées
des producteurs de données et des utilisateurs de ces données, c’est à dire
essentiellement des élus et des bailleurs, puisque ce sont eux qui sont
demandeurs des types d’information qu’ils souhaitent observer.
La politique habitat de Valenciennes Métropole
Jean-Claude DULIEU, Président de la commission Habitat - Logement
Le fait que Valenciennes Métropole existe depuis 2001 et que nous ayons été le
premier EPCI, suite à la Loi Chevènement, à avoir un Plan Local pour l’Habitat,
démontre que, dès le début, nous nous sommes fortement investis dans la définition
d’une politique d’habitat et de logement cohérente sur un territoire pourtant très
diversifié.
Lorsque nous nous sommes penchés, au moment de la création de l’agglomération,
sur les conséquences des politiques d’habitat logement sur ce territoire atomisé en
35 communes dont une ville de 40.000 habitants, une dizaine de 10 à 15.000
habitants et beaucoup dans la ruralité, nous nous sommes aperçus qu’il y avait un
déséquilibre marqué : une zone centre en développement (Valenciennes et sa
couronne immédiate), une zone nord en voie de paupérisation, et une zone sud
rurale et très dépendante de la zone centre, devenant en gros la zone résidentielle.
Nous avons également constaté lors de ce diagnostic que, comme partout ailleurs, le
marché était très tendu (peu d’offres par rapport aux demandes - 6000 demandes
en instance), et que l’offre était peu diversifiée. En matière de logement social il y
avait une offre de logement locatif, puis des zones résidentielles, pas de produits
intermédiaires, pas d’accession sociale, pas de Prêts Locatifs Sociaux, donc des
parcours résidentiels très « simplifiés », mais avec beaucoup de problématiques. Il y
avait également une dégradation très importante de l’habitat ancien puisque 7700
logements étaient en dessous des normes de dignité, et 4400 vacants. Il y avait
donc nécessité de répondre à tous ces enjeux.
Nous avons donc défini le PLH en co-production avec l’ensemble des partenaires. Les
secteurs GPV constituant une partie importante de la réalité à traiter, ils en ont
logiquement imprégné la définition. Ce PLH a été voté en décembre 2003 et, depuis
deux ans, nous le mettons en œuvre avec des premiers résultats très intéressants.
Par exemple quand on parle de rééquilibrer l’habitat social sur le plan géographique,
nous avons multiplié par plus de 2,5 la production de logements sociaux dans la
zone nord. Au niveau de la diversité des produits, nous sommes passés de 0 à 100
accessions sociales par an, dans le neuf mais aussi dans les opérations de
rénovation urbaine, notamment avec le Crédit Immobilier de France. Nous sommes
également monté en puissance au niveau des PLS puisque nous sommes passés de
0 à environ 60 par an. Sur la dégradation de l’habitat ancien privé, nous avons lancé
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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deux opérations de rénovation urbaine, l’objectif étant de sortir, sur les 5 années,
1300 familles de situations indignes. Ces deux opérations de rénovation urbaine sont
aujourd’hui opérationnelles : celle du centre ville de Valenciennes, quartier
historique, et celle du corridor minier comprenant 9 communes.
Une opération de rénovation urbaine sur 9 communes, il fallait le mettre en œuvre !
Cette co-production n’était pas facile, d’autant que les textes sont plus prévus pour
des secteurs très parisiens ou de très grandes villes avec des immeubles privés de
150 ou 200 logements dégradés, alors que nous c’est de l’individuel diffus ! Sur
l’habitat ancien public, cela représente 900 démolitions - reconstructions, c’est là
toute la dimension des projets ANRU.
Comme le disait Jacky HENIN, il est clair que les déclarations étaient
enthousiasmantes : « Allons-y, on va avoir les moyens, on va faire, … ». Aujourd’hui
on voit bien que c’est plus compliqué et que les moyens alloués ne sont pas
forcément à la hauteur des déclarations. La situation de Valenciennes Métropole
après deux ans de mise en œuvre du PLH est celle-ci : 11 sites ANRU dont 4 sont
actuellement validés et 7 ne le sont pas et entrent dans ce qu’on appelle l’accord
Région/Etat. Il est clair que si ces dossiers ANRU n’étaient pas validés et s’il y avait
une remise en cause de ces opérations de renouvellement urbain, cela plomberait
complètement le PLH et tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant. Souvent on nous
dit : « Montrez-nous que l’ANRU est un levier important pour la politique de
logement locale ! ». Effectivement, mais en même temps aujourd’hui, nous avons
défini des objectifs ambitieux, nous mettons en œuvre et nous atteignons, dans tous
les domaines, les objectifs du PLH en co-activité avec les organismes logeurs, les
élus, tous les acteurs, et si demain ces sites n’étaient pas retenus, ça plomberait le
PLH, et si ces réalisations ne se faisaient pas, ce serait une catastrophe !
Catastrophe sur le plan des familles, catastrophe sur le plan politique, et catastrophe
sur le plan de la dynamique de co-production et de co-animation du PLH. Ces projets
sont véritablement déterminants au niveau de Valenciennes Métropole.
Maintenant, je vais vous présenter deux outils que nous avons mis en place au
niveau de Valenciennes Métropole. Nous parlions tout à l’heure de mixité et de
quartiers à « resculpter ». Cependant, il faut que cela bénéficie aux habitants
actuels. Ils vivent aujourd’hui dans des conditions indignes tout en payant des loyers
et ce serait quand même le comble qu’ils soient obligés de déménager et d’habiter
dans les mêmes conditions indignes en payant des loyers ailleurs, et que les
nouveaux logements soient donnés à d’autres personnes. Je n’ai pas de problème de
mixité sociale lorsqu’on parle des quartiers ANRU. Les élus sont toujours d’accord, si
on détruit des logements sociaux, pour faire de la mixité sociale. Mais sur les projets
hors ANRU, l’idée de mixité sociale est plus compliquée à faire passer.
Charte de relogement d’agglomération
Lorsque l’on parle des conséquences économiques, du « reste à charge », etc., je
pense qu’il y a une volonté politique à afficher initialement. Nous avons donc fait une
charte de relogement au niveau de l’agglomération parce que nous étions interpellés
sur plusieurs opérations : le relogement des habitants des quartiers concernés par
l’ANRU, de ceux qui sont en OPAH RU également, et enfin des personnes concernées
par la rénovation de la cité des Ormes, structure sociale très importante.
Dans cette charte, nous affichons tout d’abord la volonté politique que les habitants
puissent rester dans le quartier où ils habitent. Elle est ensuite déclinée site par site.
Actuellement, elle existe sur Condé sur Escaut où le relogement de 150 familles a
été réalisé (91% des familles ont eu une réponse à leur souhait) et nous sommes en
train de la décliner également sur Beuvrages, autre site ANRU. C’est un outil qui
fonctionne bien parce qu’il y a la volonté politique, la mutualisation des
disponibilités, et également la prise en charge des déménagements.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
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Plan stratégique de patrimoine
Concernant la reconquête de l’habitat ancien public, que ce soit ou non dans les
dossiers ANRU, j’ai une inquiétude aujourd’hui liée au fait que tous les crédits de
réhabilitation, PALULOS et autres, ont été mis dans l’enveloppe de l’ANRU. Pourtant,
si nous n’avons pas les crédits nécessaires pour entretenir et réhabiliter les
logements HLM hors secteur ANRU, dans 5 ans, quand la rénovation urbaine sera
terminée, il faudra recommencer !
Je me suis trouvé, en tant que Président de la commission Habitat Logement, devant
la question de l’anticipation de ce problème. Nous avons donc eu une rencontre avec
l’Association Régionale pour l’Habitat Nord Pas-de-Calais parce qu’il était
indispensable, pour nous élus, de connaître les stratégies patrimoniales des
différents offices et de voir quels étaient leurs objectifs dans les secteurs ANRU et
dans les secteurs non ANRU. D’autant plus que nous avons demandé la délégation
de compétence qui prend effet le 1er janvier 2006.
Cependant, si l’Etat ne lui donne pas les moyens nécessaires, l’agglomération, dont
le logement est déjà la deuxième priorité, ne pourra pas monter en puissance au
niveau du budget. Mais nous avons eu un travail très intéressant et je laisse mon
autre partenaire l’expliquer.
Jean-Luc LEMAIRE, Directeur de l’Association Régionale pour l’Habitat Nord Pasde-Calais
L’Association Régionale pour l’Habitat Nord-Pas-de-Calais représente et anime le
réseau professionnel des organismes HLM de la région. Ils sont actuellement 50, ils
pèsent globalement 310.000 logements en locatif et 160.000 en accession à la
propriété. Depuis l’année dernière, nous ont rejoints en tant que membres associés
la SOGINORPA, qui gère 68.000 logements, et l’Union Régionale des PACT, qui
anime
un réseau de 8 PACT sur la région Nord-Pas-de-Calais. Nous représentons donc
aujourd’hui l’ensemble du logement social sur la région, 3ème région de France en
importance de parc HLM.
Quelques mots aussi sur l’importance des projets ANRU vue par la loupe des
organismes HLM. Nous avons identifié 60 projets ANRU où nous sommes partie
prenante. Au-delà de PROMOCIL, il y a aussi d’autres organismes pour lesquels les
projets ANRU constituent un enjeu fondamental sur 25 à 30% de leur parc. En
termes de volume, ces 60 quartiers représentent à peu près 50.000 logements dont
on estime à 12.000 les opérations de démolition-reconstruction puisque vous savez
que, sur la région, le principe de reconstruire 1 pour 1 est un principe tout à fait
acquis et partagé par les organismes.
Pour rebondir sur la démarche de Valenciennes qui est une démarche innovante au
niveau national, il faut rappeler qu’elle a bénéficié du soutien de l’Union Sociale pour
l’Habitat qui, depuis quelques années, réfléchissait justement à la liaison qui
apparaissait nécessaire entre les plans stratégiques de patrimoine qui sont du
ressort des bailleurs, et les politiques territoriales de l’habitat. Il y a eu en fin
d’année une opportunité puisqu’il s’est trouvé que, dans le cadre du plan
d’investissement de l’Union, des crédits étaient disponibles pour accompagner une
démarche de ce type et, connaissant le dynamisme de la région sur ce domaine-là,
ils nous ont proposé de retenir une expérience sur la région Nord-Pas-de-Calais.
Pourquoi avons-nous choisi Valenciennes comme expérience pilote ? Parce qu’elle
réunissait plusieurs facteurs favorables. Les organismes présents sur le territoire
avaient tous engagé un plan stratégique de patrimoine, ce qui était la première
condition. Deuxième condition, et Monsieur DULIEU l’a signalé, ce territoire était
doté d’un PLH et ce PLH répondait aux critères actuels, c'est-à-dire qu’il était assez
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
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précis en termes de territorialisation. On avait donc là l’opportunité d’une démarche
qui permettait de croiser les deux choses.
La démarche en elle-même est relativement simple puisqu’il s’est agi de travailler
sur le parc existant en demandant à chaque organisme de faire remonter les
analyses qu’il avait réalisées sur son parc. Puis on a essayé de consolider ces
analyses et de les croiser en fonction de deux critères qui étaient à la fois la prise en
compte des enjeux patrimoniaux, ce qui était essentiel pour les bailleurs, et la prise
en compte des enjeux urbains.
L’intérêt de cette matrice était d’identifier les opérations d’amélioration de
patrimoine qui répondaient aux enjeux du PLH, aux enjeux urbains tels qu’ils avaient
été définis par la ville, et qui répondaient également aux priorités des bailleurs.
Vous savez que, malheureusement, les financements en matière d’amélioration du
parc deviennent une portion assez congrue, mais c’était aussi une façon, quand on
aura une meilleure vision des financements disponibles, de faciliter le choix des
opérations pour qu’elles soient intéressantes pour les deux parties.
Il faut aussi dire que cette démarche de consolidation des plans stratégiques avait
été un peu initiée par l’expérience dont a parlé Monsieur CHOEL sur la Sambre
puisque c’était la première démarche en matière d’organismes, mais au-delà du
partenariat avec la ville, ce qui est intéressant c’est l’échange entre les bailleurs,
parce que ça ne va pas forcément de soi. On a la chance aussi dans la région d’avoir
des acteurs qui acceptent de jouer la transparence sur des sujets qui sont quand
même très profonds pour leur propre stratégie. Ils mettent sur la table ce qu’ils
souhaitent faire et l’intérêt c’est que du coup, chacun connaissant ce que veut faire
l’autre, ça permet d’adapter sa stratégie et d’éviter d’avoir des phénomènes en
chaîne qui font que, sur un secteur, un immeuble, par exemple soit réhabilité par
l’organisme X et que l’organisme Y qui ne s’y attendait pas subisse les conséquences
en termes de fuite de population, etc. Donc cette transparence entre bailleurs
permet d’éviter ce genre de choses.
Par ailleurs, sur l’aspect développement du territoire, on voulait aussi être assuré,
au moment où les conventions de délégation de compétence se négociaient, que la
maîtrise d’ouvrage puisse appuyer les objectifs de développement du territoire et
que les opérateurs aient la capacité suffisante pour mettre en œuvre ces objectifs.
On s’aperçoit là que chacun a bien compris la nécessité de la relance et qu’on arrive
aujourd’hui à un phénomène un petit peu inverse, c’est à dire que quand on
additionne les volontés de faire des opérateurs, on est en fait très au-delà des
objectifs du PLH. Il va donc y avoir une régulation à faire, mais l’essentiel était
d’atteindre ces objectifs.
REACTIONS DES PARTICIPANTS…
Je souhaiterais avoir des précisions sur l’accompagnement social. Il faut savoir que
la perception pour le locataire c’est qu’on va casser du mur, on va détruire du bâti…
Je voudrais vous donner un chiffre qui me paraît révélateur… Nous avons une tour
sur le quartier du Trieux, 48 logements, deux foyers de retraités, 44 personnes qui
vivent des minima sociaux… Effectivement, quand on parle de mixité, on peut
enlever le mot « sociale ». La mixité sociale, on en parlait en période de plein
emploi. Aujourd’hui qu’est-ce qu’on entend par mixité ? Est-ce qu’on va mixer les
Rmistes, mixer les gens relevant des minima sociaux ? Je crois que la difficulté
aujourd’hui, pour un quartier comme le nôtre par exemple, c’est que l’ensemble des
habitants veut rester sur le site ! Ils ne veulent pas entendre parler de mobilité ! Et
pourtant on est à Fourmies, on n’est pas dans une ville qui s’étend sur des milliers
de kilomètres carrés. Faire passer les gens d’un quartier à un autre est déjà en soi
une grosse difficulté. Les problèmes sociaux que l’on a aujourd’hui à la verticale
avec les 48 personnes de la tour, on va les avoir demain à l’horizontale !
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
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Une deuxième chose : on regarde souvent le bâtiment de l’extérieur mais on ne va
pas forcément voir l’intérieur des logements. Quand une personne est au RMI depuis
15 ans, elle n’a pas renouvelé son mobilier et elle vit dans des conditions qui
favorisent un repli. Elle ne reçoit plus personne parce que son appartement n’est pas
beau.
Dans la tour j’ai pointé au moins une dizaine de personnes pour lesquelles il faudrait
démolir la tour avec tout ce qu’il y a dedans, parce qu’il n’est pas question de
reloger des gens dans du neuf avec des meubles dans l’état où ils sont. On a
commencé à envisager avec les associations caritatives, ce qui pourra être fait au
moment où on va reloger les gens dans du neuf.
Didier PESTIAUX
Agent de développement social
Office Municipal HLM de Fourmies
Habitant Roubaix je m’interroge car j’ai vu dans le journal ce matin que la
délinquance était provoquée par les bâtiments construits en 60 et 70. Est-ce que
l’ANRU et les bailleurs peuvent prévoir la délinquance d’ici une décennie en faisant
leurs plans, ou les plans sont-ils déjà faits ? Y aura-t-il des salles comme vous disiez
tout à l’heure, quelque chose qui donnera un petit peu plus que ce qu’il y a
maintenant ? Est-ce que tout n’est pas déjà fait en hauts lieux ?
Eric Verbrackel,
Comité de quartier
Roubaix
Mixité sociale pour mettre en adéquation des quartiers par rapport au centre,
d’accord mais, en tant que professionnel, je me demande si la mixité sociale n’est
pas un leurre et si elle va favoriser l’intégration ou générer de l’exclusion.
Est-ce que le fait de faire des logements neufs ne va pas exclure des gens qui ne
trouveront pas leur place socialement ? D’un autre côté, est-ce que ça ne va pas
favoriser l’intégration ? C’est une question qui est en suspens.
Il y a des gens qui, de par ce renouvellement, vont se sentir à l’aise, parce qu’ils
étaient déjà dans un processus d’intégration et ça ne sera qu’une continuité. Par
contre il y en a d’autres qui ne sont pas prêts, pour différentes raisons, cela ne va-til pas carrément les exclure, voire même de la cité ?
Safi HADJ
Chef de projet
Ville de Maubeuge
Nous sommes concernés par un projet ANRU sur les quartiers « Hauts Champs » et
« Longchamp » et les choses sont déjà bien engagées puisqu’on a déjà des
démolitions et des reconstructions. La réflexion que nous pouvons faire après ce
démarrage, et là j’interpelle notamment Jacky HENIN comme élu, c’est qu’il y a eu
un fonctionnement uniquement entre la municipalité et le bailleur (le groupe CMH).
Les habitants n’ont pas du tout été mis dans le coup et ils ont découvert par hasard
que leur tour allait être démolie par exemple.
Concernant le peuplement, qui est le thème de la journée, on constate que des gens
souhaitent bouger mais, du fait de leurs difficultés sociales, on ne leur permet pas
de bouger. Un tri est opéré pour que ces gens n’aillent pas dans certaines zones
parce qu’ils n’ont pas les revenus ou qu’on ne souhaite pas les mettre là-bas. Donc
concrètement, en termes de peuplement, nous pensons que nous allons passer
d’une forme de ghetto à un ghetto un peu plus doré.
Un dernier point : comment peut-on rendre ces quartiers attractifs pour que des
jeunes couples souhaitent y venir ? Il y aura des problèmes d’écoles parce qu’il y
aura un regroupement d’enfants en échec scolaire, donc tout le lien avec les zones
d’éducation prioritaire me paraît fondamental. Je crois qu’il faut avoir une approche
globale et non une approche sectorielle, et surtout une approche partenariale ce qui
n’est pas le cas dans notre commune parce que personne ne détient toute la vérité.
Le tissu associatif notamment peut apporter beaucoup aux élus et à ceux qui
décident.
Bernard PATIN
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Elu minoritaire
Hem
Je voudrais faire part d’un malaise que je ressens suite aux propos que j’ai entendus
ce matin, propos que globalement je partage.
Je ne vois pas à cette table (et c’est un silence qui m’assourdit) un partenaire qui est
au contact des populations en difficulté tous les jours, qui est en charge de l’action
sociale depuis maintenant 30 ans, qui est en charge maintenant de l’insertion dans
sa globalité, qui est en charge du FSE, du FSL, de tous ces dispositifs
d’accompagnement des populations, qui connaît les populations au niveau local, qui
est dans les cages d’escaliers de ces immeubles, qui a aussi un rôle d’expertise au
niveau général, c’est le Conseil Général.
C’est un partenaire qui est assez généralement exclu des négociations et des
discussions sur le logement et sur l’aménagement.
Alain CIESLAK
Chef de service socio-éducatif, Conseil Général du Pas-de-Calais
Noeux les Mines
REPONSES DES INTERVENANTS
Françoise MASCOTTO
Pour moi le sens de la mixité, c’est apprendre à vivre ensemble. Je crois qu’on se
trompe, si on réfléchit la mixité soit en termes de logement, soit en termes d’écoles,
et si on continue de distinguer les gens par pseudo catégories sociales. La mixité
pour moi, elle ne se fait pas dans le logement, elle se fait dans l’espace public et
dans la manière dont on partage l’espace public. Les gens échangent non pas quand
ils sont à l’intérieur de leur logement, mais ils échangent quand ils sont dans la rue,
sur les places, dans les associations qui proposent des activités, et je crois que c’est
là qu’il faut apprendre à vivre ensemble.
Sur la question de la délinquance, je pense qu’on est en train d’y réfléchir
aujourd’hui et évidemment les événements actuels nous y poussent encore plus. Je
crois qu’il n’y a rien qui soit acté ni défini d’avance. On essaie, en tant qu’élus, de
retrouver un équilibre au niveau du territoire et d’apporter aux populations ce
qu’elles n’ont pas et ce dont elles ont besoin. On les a suffisamment associées dans
les processus de décision, non pas dans la conception du projet urbain parce que
c’est très compliqué d’associer les habitants à ce niveau, mais il y a beaucoup
d’initiatives dans les communes, soit sous forme d’ateliers de travail urbains, soit
sous forme d’ateliers de concertation, qui permettent aux habitants de s’exprimer.
Évidemment on ne leur demande pas de faire des projets d’urbanisme, mais on leur
demande leur avis sur tel ou tel aspect de leur quartier.
Il y a par contre une inquiétude que je voudrais soulever et qui rejoint un peu les
propos du chef de projet de Maubeuge : c’est que, effectivement, on refait des
quartiers qui vont mal aujourd’hui parce que les décisions que l’on avait prises il y a
30 ans ne sont plus du tout adaptées. Là où il faut être très attentif, c’est qu’il ne
faut pas déplacer le problème. On sait pertinemment que, parmi les gens qui
habitent aujourd’hui dans ces quartiers, tous ne pourront pas réintégrer des
logements neufs, que ce soit pour des questions financières ou pour des questions
de mobilité. Il faut donc être très vigilant car il ne faut pas que ces populations-là
soient déplacées dans les quartiers qui résistent aujourd’hui aux difficultés et que,
dans 20 ans, on doive refaire la même chose dans ces quartiers qui aujourd’hui vont
bien.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
- 20 –
Jacky HENIN
Dans mon propos tout à l’heure, j’avais dit que s’il n’y avait pas de politique
d’accompagnement, on reviendrait au problème initial. Si on ne traite pas d’abord
les problèmes économiques et sociaux, on va repeindre la voiture mais on ne va pas
entretenir le moteur.
Vous allez avoir une voiture qui va être rutilante avec un moteur qui ne fonctionnera
pas et elle restera sur place. Donc les politiques d’accompagnement sont
indispensables et elles nécessitent aussi des engagements et de la conviction.
Les contrats aidés financés par l’Etat, on peut en dire ce qu’on veut, chez nous, à
Calais, la collectivité territoriale est la seule qui ait pérennisé la totalité des emplois,
300 embauches !
Alors que dans l’Education Nationale et dans tous les services de l’Etat, les gens s’en
sont allés et sont retournés au chômage, chez nous il y a eu 300 pérennisations. 300
familles avec un salaire, un statut, la capacité à envisager la vie différemment ! Estce que j’ai réglé tous les problèmes ? Non, je crois qu’il faut être clair. Fourmies,
c’est une réalité, je crois qu’il a raison de poser la question comme ça. Mais s’il n’y a
pas une volonté politique locale, départementale, régionale, d’avoir une
discrimination positive à l’égard de ceux qui sont dans cette situation, on ne peut
pas avancer vers le règlement du problème.
On a parlé tout à l’heure de délinquance. Moi je vais vous dire que la délinquance,
elle est d’abord politique. Ce n’est pas parce qu’on est fils de voleur ou de gangster
qu’on sera voleur ou gangster. C’est absolument faux ! On peut être fils d’ouvrier,
ne pas avoir les moyens de faire des études supérieures et en vouloir à toute la
société. Je crois que, dans cette société, il faut donner à chaque enfant la possibilité
de devenir un individu qui tienne toute sa place dans la société, à part entière, avec
les moyens de se développer.
Pour ce qui me concerne (je ne parle pas des autres, c’est trop facile de donner des
leçons aux autres), jusqu’à présent j’ai refusé d’aller devant la population pour
expliquer le dossier ANRU. Je vais aller devant la population expliquer qu’on va
démolir, qu’on va faire ci ou qu’on va faire ça, et puis il n’y aura pas l’argent pour le
faire et c’est moi qui vais passer pour le couillon de service qui annonce les bonnes
nouvelles alors qu’il n’y a pas un rond pour faire les travaux ! Donc j’ai proposé à
mes services, à l’Office, à tous les professionnels qui sont autour de la table, de leur
expliquer à eux, de discuter avec eux, et on a travaillé ensemble, ils sont au
courant. Mais j’ai refusé qu’on aille voir la population. Après, on va travailler avec la
population : visite systématique de chaque famille, réunions publiques, explications,
écoute, transformation si c’est nécessaire, parce que les gens à la marge vont faire
des propositions. Si c’est pour les écouter et ne pas les entendre, ça ne sert à rien.
Mais sur le fond, quand on leur donne les explications, quand on leur dit : « Ecoutez,
c’est bien ce que vous nous proposez, mais ça coûte 50 millions de francs de plus et
on ne les a pas », ils ne sont pas stupides, ils en déduisent « Qu’est-ce qu’on peut
faire comme chemin ensemble pour parvenir à une partie de ce qu’on souhaite et
rester dans ce qu’on est capable de financer ? ». Mais si on ne discute pas
ensemble, on ne s’en sortira pas.
Pour le moment, nous attendons de passer devant le comité national d’engagement.
Ensuite, il faut encore passer devant le comité pour le financement, et on nous dit :
« Si la Région ne met pas plus, vous n’aurez pas votre dossier ». Moi je n’entre pas
dans le conflit Etat / Région. Je suis défenseur des populations, on a des devoirs
envers elles, donc qu’ils se battent entre eux mais qu’ils nous donnent les moyens
de répondre aux aspirations des citoyens.
Jean-Claude DULIEU
Jacky HENIN vient de dire qu’il faut faire attention et qu’il faut absolument qu’à côté
de la politique de logement, il y ait une politique d’accompagnement, ce que je
partage tout à fait. Dans une autre dimension je dirais : « Ne réfléchissons pas
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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l’ANRU en dehors d’une politique d’habitat globale au niveau d’un territoire ». Je
partage tout à fait ce qui a été dit par notre partenaire de Maubeuge. Il est évident
que le fait de démolir du logement social pour construire du neuf va accélérer, pour
certains, un parcours d’intégration.
Il est évident aussi qu’aujourd’hui il y a des personnes qui vivent dans des
conditions déplorables sur le plan économique et qui malheureusement auront
énormément de difficultés pour bénéficier de la rénovation urbaine. Il faut se le dire.
Tout à l’heure j’ai parlé de charte de relogement. Je pense que, si nous voulons que
la rénovation urbaine soit facteur d’émancipation et d’amélioration pour tous, il faut
absolument que nous réfléchissions, avec les dossiers ANRU, à la reconquête de
l’habitat ancien hors ANRU et à la diversité de l’offre.
Il faut accélérer les parcours résidentiels pour permettre de libérer des logements
locatifs qui ne sont pas disponibles parce que les gens sont obligés d’attendre 10 ans
pour acheter du neuf, parce qu’il n’y a pas de logements en accession sociale, etc. Il
faut véritablement une cohérence globale, et également interroger les intéressés. Il
y a ceux qui seront exclus mais il y a aussi ceux qui souhaiteront partir. Nous, dans
la charte de relogement, quand j’ai dit tout à l’heure que 91% des personnes ont eu
leur demande satisfaite, ce n’est pas 91% de personnes qui souhaitaient rester sur
le site ou sur la ville, ils souhaitaient parfois autre chose.
Ce qui serait inadmissible et intolérable, c’est que les personnes qui vivent
aujourd’hui dans des conditions déplorables en payant un loyer se retrouvent, après
la rénovation urbaine, dans des conditions déplorables d’indignité en payant un
loyer. Il faut absolument que la rénovation urbaine soit facteur d’amélioration pour
tout un chacun et ça, ça s’organise, il faut des outils. L’ANRU est un facteur
important dans la politique d’habitat logement, mais ce n’est qu’un des facteurs. Si
les dossiers ANRU ne sont pas retenus et ne sont pas réalisés, ça plombe
complètement notre politique d’habitat !
Jean-Luc LEMAIRE
Il ne faut pas réduire le rôle des bailleurs à celui des bailleurs de type immobilier
privé. Les bailleurs sociaux ont bien conscience des difficultés des populations qu’ils
logent. Le premier chantier que nous avons mis en œuvre avec l’IREV en 2003,
portait sur les chartes de relogement. On avait d’ailleurs à l’époque capitalisé sur ce
que vous mettiez en place sur Valenciennes, qui faisait partie des expériences qui
avaient été repérées comme étant très intéressantes, et ça n’est pas un hasard si le
premier dossier qu’on a mis en œuvre ensemble, c’était celui-là.
Deuxième chose, au regard de ce qui s’est déjà passé sur des opérations de
relogement (je pense par exemple à Marcel Bertrand à Lille), la remontée du bailleur
a été que, à cette occasion-là, il y a eu quand même un diagnostic social
extrêmement précis qui a été fait auprès des ménages et ils se sont rendu compte
que c’était une opportunité rare d’aller voir des familles qui étaient complètement
exclues de tout circuit, y compris des services du Conseil Général. Ça a été une
opportunité fantastique de reconstruire des parcours pour des gens qui étaient
complètement oubliés par tout le monde. Donc n’oubliez pas que là, avec l’ANRU, on
a une chance exceptionnelle de réinsérer des populations qui étaient complètement
oubliées.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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LA MIXITE, UNE PRIORITE AU REGARD DE CE QUI SE PASSE DANS LES
QUARTIERS ?
Marie-Christine JAILLET-ROMAN, Directrice du laboratoire de recherche CIRUSCIEU, CNRS, Université de Toulouse Le Mirail
En introduction, deux remarques. La première pour souligner ma méconnaissance de
la région Nord-Pas-de-Calais dont j’ai pu mesurer cependant la très grande diversité
de situations. Mon propos s’il s’appuie sur des observations et sur une pratique de
terrain, aussi ne sera-t-il pas contextualisé localement.
La seconde porte sur le risque de tenir un propos décalé au regard de la situation
que nous vivons depuis quelques jours. Venir aujourd’hui discuter de la question de
la mixité, compte tenu de l’embrasement d’un certain nombre de quartiers, n’est
peut-être pas la meilleure manière d’aborder la question de leur devenir dans la
société française. Est-ce que la réponse aux événements actuels, c’est de produire
de la mixité dans les quartiers ? Est-ce là l’urgence ? Sachant que faire évoluer le
peuplement des quartiers, si tant est que cela soit justifié (j’y reviendrai), prendra
du temps. A-t-on le temps d’attendre deux ans ou trois ans pour répondre à une
situation qu’il ne faut pas faire semblant de découvrir ?
Depuis de nombreuses années, un certain nombre d’observateurs, de statuts
différents, alertent sur ce qui est en jeu dans ces quartiers. En tant que chercheuse
travaillant sur ces questions, je me demande aussi à quoi je sers et à quoi servonsnous, nous qui, depuis quelques années, parlons, écrivons, alertons. Comment se
fait-il que nous ne soyons pas entendus ? Comment se fait-il qu’avec une espèce de
candeur, à intervalles réguliers, on redécouvre la situation des quartiers comme si
elle était nouvelle ?
Il me semble que revoir les priorités est une nécessité (et pas simplement un effet
de contexte), si on se pose la question de l‘efficacité de l’action publique, de se
demander si la priorité est vraiment de travailler à la mixité. Ne faut-il pas plutôt
s’attacher à d’autres priorités, d’autant que la diversification du peuplement, si elle
est nécessaire ou souhaitable, prendra du temps, le temps long de l’instruction des
dossiers de rénovation puis celui, tout aussi long, de la démolition-reconstruction :
D’abord, il faut que le discours porté sur les habitants de ces quartiers change, mais
change réellement. C’est ce que les jeunes disent quand ils demandent « le
respect », je dirais «de la considération ». Les considérer, cela implique de changer
de regard, d’attitude, de comportement, et ce n’est pas simplement l’affaire des élus
ou des responsables politiques mais bien l’affaire de la société dans son entier.
Cela veut dire aussi changer les mots, car il y a des mots qui humilient. Les gens le
disent. Des expressions, des formules choc ont été utilisées et médiatisées aux
conséquences dévastatrices, et ce ne sont pas seulement celles qui sont employées
depuis quelques jours. Il y a longtemps que toute une série de termes sont venus
stigmatiser les quartiers et certains de leurs habitants (les « odeurs », les
« sauvageons »…).
Ensuite, ce qui se passe dans les quartiers doit trouver un débouché politique, un
mode d’expression publique qui passe par autre chose que faire brûler les voitures,
les équipements, etc. Nommer un ministre, Azouz Begag, qui a une compréhension
« de l’intérieur » et qui par ailleurs a aussi une capacité d’analyse, ne suffit pas. La
classe ouvrière a eu des représentations politiques, un parti, des syndicats. Ses
intérêts ont été portés… Aujourd’hui, qui porte les intérêts du peuple des cités ?
Enfin, il me paraît essentiel qu’il y ait des réponses politiques rapides sur les
discriminations. Car n’est-ce pas au fond cela le problème principal ? Comment
réinsérer dans le jeu économique les populations qui habitent dans ces quartiers et
qui font, depuis des années, l’expérience de la précarité et de la discrimination.
Qu’on l’appelle discrimination positive ou autrement, peu importe, mais en tout cas
qu’on travaille efficacement à faire sauter « le mur de verre ». Pour cela, il faut la
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
- 23 –
volonté de tous : celle des élus mais aussi celle des chefs d’entreprise, artisans et
autres.
Je voudrais donner deux exemples toulousains pour illustrer la force des
discriminations. J’observe que les élèves de 5e des collèges du Mirail, qui comme
tous les élèves des collèges de France doivent faire un stage d’initiation en milieu
professionnel, ne trouvent pas d’entreprise pour les prendre en stage, même pour
une semaine. Quand on fait cette expérience à 13 ou 14 ans, quelle représentation
peut-on avoir de la place qui vous est faite dans la société ?
Plus grave encore parce que, symboliquement plus lourd de conséquences, j’observe
que des jeunes filles et garçons français, issus de l’immigration, diplômés de
l’université, qui ont fait l’effort de se plier au modèle républicain du mérite scolaire,
ont plus de mal que les autres à trouver au débouché de leurs études l’emploi
espéré. Eux aussi font l’expérience de la discrimination. Et pourtant, leur donner la
possibilité d’exercer une profession en rapport avec l’effort de qualification qui a été
le leur aurait pour grand mérite de crédibiliser le modèle dit républicain. En effet
quand les plus jeunes de 13 ou 14 ans constateront que leurs aînés ont trouvé un
travail en rapport avec leur niveau de formation, probablement que cela les aidera à
accepter la discipline scolaire, parce qu’ils auront vu que c’est un investissement qui
« rapporte ».
La mixité un terme flou mais commode
Première remarque, au terme « mixité », je préfère le terme « diversité ». La
« mixité » ouvre une espèce d’horizon de l’ordre de l’émulsion fusion des
différences, certainement en rapport avec le modèle républicain de « l’universalité ».
Celui-ci, stipulant que l’individu ne se définit pas par une appartenance quelle qu’elle
soit, nie totalement les différences. Or elles existent. Pour ces raisons, il me paraît
plus intéressant de parler de diversité sociale et de travailler à cette diversité.
Deuxième remarque : ce terme « mixité » n’est jamais défini. Qu’est-ce que la
mixité et que faut-il réunir pour dire d’une situation sociale, à un endroit donné,
qu’elle est mixte ? La mixité n’a pas de contenu précis. C’est très intéressant de
regarder la définition qu’en donne le dictionnaire :
est mixte ce qui est masculin et féminin précise le Petit Robert. En termes politiques,
elle renvoie à des enjeux -la parité-, mais elle ne renvoie pas à ceux dont nous
sommes censés parler ici.
La mixité, dans le champ qui nous intéresse, est souvent précisée par deux
adjectifs : sociale et fonctionnelle, en sachant qu’il y a une interaction entre les deux
et que généralement la mixité fonctionnelle vise à produire de la mixité sociale. Elle
est l’un des instruments qui permettraient de retrouver de la mixité sociale.
Au total, la mixité est une notion infiniment floue. C’est précisément ce qui en fait
l’intérêt : l’élasticité de sa définition, son adaptation à des enjeux localisés sur un
territoire donné. Chacun peut parler de la mixité en gardant par-devers lui sa propre
définition, tout en faisant comme si tous ceux qui en parlent parlaient de la même
chose.
Comment l’apprécier et à quelle échelle ?
De quel point de vue peut-on apprécier une situation sociale pour la qualifier de
mixte ? Est-ce que c’est du point de vue de la structure par âge (jeunes et vieux par
exemple) ? Ou du point de vue des revenus (riches et pauvres) ? Ou encore de celui
des types de ménage (petits et grands) ? Ou seulement du point de vue de
l’origine ? On voit bien qu’on peut la définir de multiples façons. Il convient donc
d’identifier, dans la mobilisation que les politiques publiques ont fait de la mixité, ce
qui était recherché ? Quel type de diversité ?
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Il faut rappeler, quand on débat de la mixité, que dans les agglomérations, les
quartiers les plus homogènes socialement, les moins mixtes, les moins diversifiés ne
sont pas ceux dont on parle en ce moment. Les travaux des statisticiens montrent
que, dans la ville, les lieux où l’homogénéité sociale est la plus grande sont ceux où
vivent les plus riches. Pour pousser le paradoxe un peu loin, il est possible de faire
l’exercice qui consisterait à montrer que, de bien des points de vue, les quartiers sur
lesquels pèse aujourd’hui l’injonction à la mixité sociale sont des quartiers infiniment
plus mixtes que bien d’autres quartiers, par exemple du point de vue de l’origine.
Une autre réflexion à laquelle le débat sur la mixité invite est celle de l’échelle à
laquelle il faut la rechercher. Est-ce à l’échelle de l’immeuble, de l’îlot résidentiel, du
quartier, de la ville, ou de l’agglomération, etc. ? Une situation qui, localement, à
l’échelle de l’immeuble, peut-être considérée comme non mixte, pourrait tout à fait
être considérée comme mixte, dès lors qu’elle est replacée dans un ensemble plus
grand, à d’autres échelles. À cette question de l’échelle, s’en ajoute une autre : fautil rechercher la mixité de manière statique, dans une espèce de composition idéale
du peuplement d’un immeuble, d’un îlot, d’un quartier… ? Où faut-il chercher à
privilégier la mixité dans la mobilité, dans le mouvement qui caractérise les modes
de vie aujourd’hui, par exemple dans les lieux de l’interaction sociale que sont les
lieux publics, les transports en commun?
La mixité est-elle désirée, a-t-elle existé ?
C’est une question essentielle. Car l’on sait que lorsqu’on provoque une situation de
mixité à l’échelle résidentielle, lorsqu’on fait cohabiter dans une certaine proximité
des gens trop différents, qui ont des codes différents, des modes de vie différents,
on crée une situation qui ne favorise pas l’échange et l’interaction sociale, mais qui
provoque, au mieux de la rétraction, du repli, et au pire du conflit. Et cela ne vaut
pas simplement pour les situations de « mixité » avec les immigrés.
Dans une cage d’escalier, où vivent essentiellement des couples avec de jeunes
enfants, installer une personne âgée sensible au bruit, fatigable, peut créer de la
tension, du mal être. Vouloir à tout prix forcer les situations de mixité, de proximité
sociale, entre des gens trop différents, génère moins du rapprochement qu’un risque
de mise à distance.
La ville ne s’est d’ailleurs pas construite sur un modèle de mixité résidentielle ! Il ne
s’agit donc pas de retrouver un âge d’or urbain qui aurait été mixte. La ville, dans sa
matérialité, a été organisée par un principe, sinon de ségrégation volontaire, du
moins de division sociale de l’espace (par exemple entre corporations au MoyenÂge). Cette division sociale de l’espace urbain ne pose pas forcément de problèmes
tant qu’il existe dans la ville des lieux de rencontre, de « frottement » qui favorisent
l’interaction sociale. La question qui se pose aujourd’hui consiste à se demander si
les villes, telles qu’elles se fabriquent dans le contexte de ce qu’on appelle la
métropolisation, préservent encore de tels lieux et de telles opportunités.
La mixité une injonction politique nouvelle ?
La mixité sociale dans les politiques publiques n’est pas une injonction nouvelle. Elle
est récurrente dans la longue durée. Chaque fois que, dans la société française et
dans les villes, des situations rendaient des formes de ségrégation intolérables, la
notion de mixité sociale a été convoquée. Ce n’est donc pas une invention de la loi
d’Orientation sur la Ville, ou de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain. On
pourrait montrer qu’un certain nombre de textes, avant la seconde guerre mondiale,
mobilisaient déjà cette notion de mixité sociale, de brassage, pour répondre à des
situations de ségrégation sociale. Je voudrais simplement mentionner au passage la
« circulaire Guichard » de 1973 qui a mis fin au régime des ZUP et des grands
ensembles. Reprenez le texte de cette circulaire et vous trouverez à peu près les
mots d’aujourd’hui. Il y a quelques jours, une émission sur France 3 a ressorti une
interview d’Olivier Guichard de 1973 qui paraissait d’une étonnante actualité.
Chaque fois qu’une situation de ségrégation n’est plus tolérée par la société
française, on en appelle à la mixité sociale pour la dissoudre. C’est pour ces mêmes
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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raisons qu’elle est bien sûr mobilisée dans le cadre des politiques dites de rénovation
urbaine instaurées par la loi Borloo.
Et la rénovation ?
Une petite digression à propos du terme « rénovation urbaine ». Ce n’est pas non
plus un mot sans histoire et je voudrais la rappeler brièvement car elle fait ressurgir
une question qui résonne avec celles dont on parle aujourd’hui.
Les politiques de rénovation urbaine ont été menées en France dans les années 60,
dans certains quartiers anciens, en cœur de ville. Elles consistaient à démolir de
l’habitat ancien insalubre pour moderniser ces tissus urbains et les adapter aux
nécessités du développement économique. Beaucoup de métropoles ont alors connu
ce type d’opérations. Il est intéressant de relire à leur sujet les études conduites à
l’époque par le Centre de Sociologie Urbaine. Ses chercheurs ont observé quels
étaient les quartiers qui, à Paris, avaient fait l’objet des politiques de rénovation
urbaine. Ils ont constaté que ces quartiers avaient une caractéristique tout à fait
particulière. Ce n’étaient pas les quartiers qui connaissaient les situations
d’insalubrité les plus accentuées mais ce qui les singularisait bien davantage, c’est
qu’ils étaient habités par des populations issues de l’immigration.
Il n’est pas sans intérêt de le rappeler, d’autant que les habitants de ces quartiers
délogés par les opérations de rénovation ont souvent trouvé à se reloger dans les
grands ensembles HLM périphériques qui font aujourd’hui l’objet des politiques de
l’ANRU.
Je n’en conclus pas que l’histoire se reproduit terme à terme mais elle mérite au
moins que l’on s’en souvienne. Elle explique en tout cas pour partie pourquoi le
terme « rénovation », à partir de la fin des années 60, a disparu du champ des
politiques urbaines. En 1968, la « rénovation déportation » étaient de ces slogans
qui fleurissaient sur les murs des villes. Les politiques de rénovation ont laissé dans
l’imaginaire collectif un certain nombre de traces qui ont contribué à stigmatiser
l’usage de ce terme pendant une trentaine d’années. Il est ressorti à l’occasion de la
loi Borloo, remplaçant les termes de « renouvellement » ou de « régénération » qui
désignaient pourtant déjà des politiques de démolition reconstruction.
À quoi peut servir la mixité aux différentes échelles où elle est mobilisée ?
Que recherche-t-on par la mixité sociale sinon à régler des problèmes de société.
Mais règle-t-on des problèmes de société en développant la mixité résidentielle ?
Rien n’est moins sûr. Le parti pris sous-jacent consiste à penser que favoriser la
mixité reviendrait à favoriser, par la proximité, le mélange, le brassage social,
retissant ainsi du lien social. On peut avoir quelques doutes sur l’efficacité de ces
« rapprochements » lorsqu’ils sont « forcés » et non désirés.
Examinons maintenant d’un peu plus près les modalités d’instrumentalisation de la
mixité sociale par les politiques publiques. Avec la loi Solidarité et Renouvellement
Urbain, la mixité sociale est mobilisée à deux échelles. Elle est mobilisée à propos
des quartiers de la Politique de la Ville dans la perspective de casser le ghetto, mais
elle
est aussi mobilisée à l’échelle de l’agglomération, dans une logique de
diversification du parc de logements pour mieux équilibrer l’offre HLM, avec
l’obligation faite à toute commune appartenant à une agglomération urbaine de
disposer d’au moins 20% de logements sociaux.
La mixité sociale peut rencontrer le souci d’un certain nombre de maires de
diversifier leur parc de logements pour répondre à des enjeux locaux, en particulier
partout où il s’agit de faire jouer la mixité sociale « par le haut ». Dans un certain
nombre d’agglomérations, les communes qui, historiquement ou sous l’effet de
stratégies municipales, ont accueilli un très grand nombre de logements HLM,
atteignant parfois des taux de 40 à 60%, s’appuient sur le principe de mixité pour
attirer d’autres populations.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Par contre, nombre de communes qui ont peu de logements HLM, qui sont plutôt
peuplées par des couches moyennes, qui devraient, pour être plus mixtes, produire
du logement HLM afin d’accueillir sur leur territoire des populations plus modestes,
pauvres ou simplement précaires, résistent à la mise en œuvre de la mixité. Leurs
maires « renâclent », non pas parce qu’ils sont de « mauvais maires », mais parce
qu’ils se font l’écho de leur électorat.
Et cet électorat de classes moyennes est souvent extrêmement réactif, dès lors qu’il
est question d’inscrire du logement HLM dans son environnement pour accueillir des
populations qui, dans ses représentations, incarnent « la menace » ou le « risque ».
On peut donc dire que la mixité fonctionne infiniment moins quand l’enjeu est de
faire place à des pauvres dans des communes de couches moyennes. La situation
évolue cependant. D’une part parce que le logement HLM s’adresse à 60 voire 70%
des ménages français, et d’autre part parce que, dans le contexte de
renchérissement du coût du logement dans les métropoles, des populations de
jeunes actifs en début de trajectoire de vie rencontrent de plus en plus de difficultés
pour se loger. Nombre de maires finissent par comprendre que pour satisfaire à des
demandes locales, par exemple de décohabitation des jeunes, ils ont besoin de
diversifier leur parc de logements.
La seule manière qui s’offre à eux d’obtenir du logement locatif, c’est de donner des
droits à bâtir à un bailleur HLM. Si les réticences que j’évoquais précédemment
s’atténuent, l’enjeu s’est déplacé de la production du logement vers la question du
peuplement. Le maire s’engage à construire des logements HLM, mais à condition
d’avoir un droit de regard sur qui vient habiter. Sont légitimes évidemment ceux de
sa commune, y compris les pauvres dès lors qu’ils habitent sur place, mais sont par
contre moins légitimes ceux qui viendraient d’ailleurs. Voici, en dehors des cités HLM
dont on parle, à quelles conditions fonctionne le principe de la mixité.
Et dans les quartiers en difficulté ?
Revenons maintenant aux cités HLM pour rappeler qu’au début des années 80, ce
n’était pas de mixité dont on y parlait, mais d’un « seuil de tolérance » à respecter :
il fallait y limiter la part des populations issues de l’immigration. On a alors tenté de
définir à quel niveau il fallait placer ce fameux seuil. C’était pour le moins paradoxal
de chercher à limiter cette part, car « l’ethnicisation » des cités ne s’est pas faite
toute seule. Elle est le résultat de toute une série de mécanismes de tri des
populations urbaines. Si ces quartiers se sont « ethnicisés » c’est parce que, ailleurs
dans la ville, d’autres se sont fermés.
La notion de mixité qui est venue remplacée « le seuil de tolérance » apparaît plus
neutre. Elle ne dit pas ce qu’elle vise mais, néanmoins, n’est-ce pas à nouveau, dans
les quartiers de la géographie prioritaire, leur « désethnicisation » ? La société
française a du mal à aborder frontalement cette question. Elle l’a continûment
« euphémisée », d’abord parce que des partis politiques en ont fait la base de leur
discours électoral, mais aussi parce que les populations immigrées qui habitent ces
cités viennent de pays qui ont eu avec la France un lien colonial. Ce qui se passe
aujourd’hui, la manière dont on en parle, est à mettre en relation avec ce passé et
surtout avec notre difficulté à trouver des modalités de sortie de l’histoire coloniale,
l’assumant tout en la dépassant.
Qui demande de la mixité ? Les habitants qui y vivent ou ceux qui n’y vivent pas ?
Il semble plutôt que la demande émane de ceux qui n’y vivent pas. Et pourtant dans
le même temps, ceux-là se satisfont aussi que les immigrés et les pauvres soient
regroupés dans ces quartiers. Pour autant, la visibilité qu’ils ont acquise finit par
gêner et justifie paradoxalement une demande implicite de les invisibiliser. Une des
composantes de la nouvelle question sociale, c’est de savoir quelle place la société
française est vraiment prête à faire à ceux qu’elle appelle encore les immigrés.
Ce que demandent les habitants des quartiers, c’est que leur cadre de vie soit
amélioré, ce qui ne passe pas forcément par de la mixité. Ils demandent également
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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une place, c’est-à-dire du travail et de la considération. Le rapport qu’ils
entretiennent avec leur quartier, sa « spécialisation ethnique », est un rapport
éminemment complexe et ambigu, variable d’un individu à l’autre, selon son
histoire, le moment où il en est de sa propre trajectoire, selon qu’il vient d’arriver en
France ou qu’il y est installé depuis longtemps ou qu’il y est né.
Les travaux de l’Ecole de Chicago ont, entre autres choses, montré que pour
quelqu’un qui vient d’ailleurs et qui arrive dans un pays dont il ne connaît pas les
codes, le « ghetto », parce qu’il contient « des compatriotes » un peu plus aguerris,
est une sorte de matrice qui met à sa disposition des « ressources
communautaires » susceptibles de l’aider dans les apprentissages qu’il a à faire pour
se débrouiller dans la nouvelle société où il a pris pied. Par contre, être condamné à
y rester quand ces apprentissages ont été surmontés, devient insupportable. La
question de la demande de mixité (de son intérêt aussi) dans les cités dont on parle
ne peut s’apprécier qu’au regard de la dynamique, du parcours qui mène quelqu’un
du statut de primo arrivant à une situation où il aspire à se fondre dans la société
d’accueil. Il n’y a donc pas de position homogène valant pour point de vue de
l’ensemble des habitants des cités sur la question de savoir s’ils veulent continuer à
vivre là, « entre eux », s’ils aspirent à une plus grande diversité sociale sur place ou
s’ils veulent partir ailleurs.
Dès lors, on doit se demander s’il faut à tout prix travailler à produire de la mixité
dans les cités, c’est-à-dire y faire revenir des classes moyennes, ou s’il ne faut pas
avant tout permettre aux habitants de quitter ce quartier quand ils le souhaitent,
lorsqu’il est temps pour eux d’aller vivre ailleurs ?
La variabilité des points de vue se complique aussi par le fait qu’un même individu
habitant une cité ne tiendra pas à son propos le même discours, selon le statut de la
personne à qui il s’adresse, selon qu’elle est une assistante sociale, le maire, un
chercheur, un journaliste, un proche ou un ami de la famille. Cela, parce que le
propos du locuteur tient compte de la représentation qu’il se fait de ce qu’attend son
interlocuteur. Dans l’analyse des discours qui sont produits sur les quartiers par les
habitants, on ne peut donc pas faire abstraction de la situation et du contexte dans
lequel le discours est produit puisqu’il prend en compte ces « jeux de rôle ».
Habitante du quartier, face au maire, je me plains, parce que j’attends de lui qu’il
améliore ma situation. Par contre, quand je parle du quartier et de ce que j’y vis
avec quelqu’un qui m’est proche, je montrerai plutôt que le quartier a un certain
nombre de qualités puisque j’y vis.
À Toulouse, en septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF a mis à mal en particulier
les quartiers du Grand Mirail. On a observé que des gens, qui auraient pu enfin
obtenir la mutation qu’ils demandaient en raison des dommages subis par leurs
appartements, ont préféré rester sur place (y compris ceux qui désiraient quitter le
quartier depuis des années et nous avaient raconté leurs stratégies infructueuses
pour y parvenir). Cela peut aussi vouloir dire que, si on offre la possibilité aux
habitants des cités de partir, ils ne partent pas nécessairement. Mais savoir qu’on
peut partir, redonne du champ, des perspectives à la manière dont on se représente
son propre parcours. Est-ce qu’il faut travailler à faire de la mixité ou est-ce qu’il ne
faut pas plutôt remettre en mouvement les personnes, à minima faire en sorte
qu’elle se le représente comme possible pour elles ?
Quant à la démolition-reconstruction censée à la fois améliorer le cadre de vie et
diversifier le peuplement des quartiers, je ne connais pas le Nord-Pas-de-Calais,
mais je connais un certain nombre de situations de villes du Sud de la France où sa
mise en œuvre interroge quant aux effets qu’elle produira. Ce sont en effet des
métropoles qui connaissent un fort développement économique et démographique,
où le logement HLM manque depuis longtemps et où l’on va démolir une offre de
logement HLM bon marché, assumant une fonction sociale à l’échelle de la
métropole, sans avoir l’assurance, malgré l’exigence du « 1 pour 1 » (1 logement
reconstruit pour 1 logement détruit), que l’on reconstruira une offre équivalente de
logement HLM bon marché. On reconstruira probablement, peut-être bien 1 pour 1,
mais que reconstruira-t-on et pour qui ? Le risque existe que les populations les plus
fragiles qui habituellement « échouaient », plus qu’elles n’étaient accueillies, dans
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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ces quartiers, perdent, avec la démolition d’une fraction de ce parc, un peu plus de
leur droit de cité. Où iront-elles ? Dans les interstices qu’offrent encore les tissus
anciens, dans les copropriétés privées dévalorisées. Les opérations de rénovation
urbaine auront alors bien servi pour une part à leur invisibilisation.
Dans certaines métropoles ou villes, la démolition-reconstruction peut générer de
« nouvelles mobilités », à l’échelle régionale, vers des petites villes qui disposent
d’un parc ancien dévalorisé et vacant, et qui accueilleront ces populations par reflux.
À quelles conditions pourrait-on obtenir que la démolition-reconstruction se fasse de
telle manière qu’elle permette qu’une partie de l’offre reconstruite soit bien
mobilisée pour répondre aux besoins des nouvelles classes populaires, dont une des
caractéristiques est qu’elles sont pour partie issues de l’immigration et qu’elles
vivent les situations économiques les plus précaires ?
À au moins 3 conditions :
- Qu’il y ait consentement de la société locale. Mais ce qui s’est passé ces derniers
jours et la manière dont ces événements ont été mis en scène risquent de
compliquer encore la donne pour convaincre les classes moyennes d’accepter leur
voisinage.
- Qu’il y ait une volonté politique.
- Que les organismes HLM jouent le jeu. Or, ils ne constituent pas un monde unifié.
Il y a autant de stratégies qu’il y a de familles HLM. Certaines assument d’abord une
mission sociale, tandis que d’autres refusent d’être réduits à la fonction sociale de
« logeurs des pauvres ». On peut se demander si, de la même manière qu’au milieu
du XXe siècle, on a su construire un système de production du logement social, les
HLM, pour loger les ouvriers de la société industrielle, il ne faudrait pas organiser
demain un système de production qui permette de répondre à l’enjeu auquel on est
désormais confronté, à savoir loger des populations fragilisées, précarisées, par la
recomposition du système économique ? Un certain nombre d’organismes HLM sont
probablement prêts à relever le défi. Mais d’autres veulent assumer un autre rôle,
tout aussi légitime, de généralistes de l’habitat capables de répondre à une diversité
de besoins sociaux. Depuis 15 ans, un ensemble d’expérimentations, à partir
d’initiatives associatives, ont permis de construire une offre de logements et des
modes de gestion de cette offre adaptés à ce nouvel enjeu. Est-ce qu’il n’est pas
temps de leur faire place autrement dans le paysage des politiques publiques ?
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Quels enseignements pour la définition des projets, le
positionnement des acteurs et les méthodes de travail
collectif ?
UN POINT DE VUE NATIONAL
Christophe ROBERT, Fondation Emmaüs, Membre du comité d’évaluation et de
suivi de l’ANRU
La fondation Abbé Pierre est un ensemble appartenant à Emmaüs qui a vocation à
travailler sur les questions de logement. J’y suis responsable d’un rapport annuel et
nous avons traité la problématique de l’ANRU l’année dernière. Ce que m’a demandé
l’IREV est de voir ce qui fait écho, dans ce qu’on a pu entendre ce matin, aux
observations que nous avons pu faire sur le terrain, et je crois qu’énormément de
choses font écho. Je vais donc revenir sur les éléments principaux.
Un diagnostic qui appelle une réponse forte
Le point principal, et je crois que l’actualité nous le rappelle de façon vive, c’est
qu’une politique active, dynamique, sur les quartiers, s’imposait. En tous cas, à la
fondation Abbé Pierre, c’est ce que nous attendions, et, le jour où Monsieur Borloo a
présenté son Plan National de Rénovation Urbaine, on s’est dit « Ça y est, on va
pouvoir intervenir de façon active ! ». La situation difficile de ces quartiers est un
constat partagé par tous. Je me demande même parfois, au vu de l’actualité, si
notre diagnostic n’était pas un peu en dessous de la réalité. Donc le premier point
est que le PNRU présente une utilité évidente.
Cependant, ce n’est pas tout d’être d’accord sur le diagnostic. Ce n’est pas parce
que l’on débloque de nombreux crédits, que l’on met en place une dynamique, par
ailleurs nécessaire (je crois qu’il y va de l’efficacité de l’ANRU que les choses se
fassent rapidement) que forcément les projets vont dans le bon sens. Ensuite il faut
distinguer l’intervention de l’Etat et celle de l’ANRU. C’est bien l’Etat qui a impulsé
cette dynamique et il est donc responsable de la manière dont elle se décline
localement.
Qu’est-ce qui, dans ce qui a été dit jusqu’à présent, fait écho avec ce que l’on
observe sur les différents sites au niveau national, les remontées que nous avons,
les contacts avec les collectifs anti-démolition, avec les habitants, avec les bailleurs,
etc. ?
C’est tout d’abord la question centrale : va-t-on atteindre l’objectif de mixité ? Je ne
reprendrai pas tout le débat autour de cette notion que je résume de la manière
suivante : modifier un tout petit peu le type de logements dans un certain nombre
de quartiers fortement stigmatisés, et mieux répartir le logement social à l’extérieur.
C’est d’ailleurs comme cela que c’est présenté dans le PNRU.
Va-t-on atteindre cet objectif ? Quels sont les critères d’évaluation à terme ? Est-ce
que l’investissement massif dans un certain nombre de quartiers va réussir à
modifier les choses ?
Je crois que oui, je crois que la façon dont s’engagent les projets aujourd’hui donne
à voir qu’un investissement massif, une mobilisation partenariale massive, va
pouvoir désenclaver, améliorer les équipements, les services publics, la
résidentialisation, etc. Je crois que, de ce point de vue-là, une politique active, si
tant est que l’ANRU a encore des moyens financiers à donner aux quartiers qui ne
sont pas passés en comité d’engagement (elle impulse une dynamique mais aura-telle les moyens de l’accompagner financièrement ?), devrait pouvoir réussir à
modifier et à améliorer les conditions de vie des quartiers. En tous cas c’est sur ce
point-là que nous avons le moins de craintes.
Des points d’inquiétude
-
Quelle offre de logements va-t-on reconstruire ?
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Un exemple : j’étais avant-hier à Montpellier dans un quartier où l’on va démolir 500
logements et en construire 250 sur site. Mais quel type de logements va-t-on
reconstruire ? Quelles seront les améliorations des conditions de vie pour les
habitants du quartier qui resteront sur place, et qu’est-ce que ça va permettre à
ceux qui vont être obligés d’aller ailleurs ? Si on regarde ces deux phases, deux
inquiétudes persistent de façon transversale dans les dossiers.
Pour ceux qui restent, pourront-ils rester à un niveau de loyer identique ? Je crois
que c’est la préoccupation principale. Si on intègre de la mixité, va-t-on permettre à
ces populations de bénéficier des avantages que va donner la rénovation urbaine
pour pouvoir rester dans ce quartier, ce que, pour la plupart, ils souhaitent ?
Un exemple nous montre que l’on peut être très inquiet. Une communication m’a été
envoyée par un bailleur, on pouvait y lire : « Comment allez-vous faire dans la
perspective d’un déménagement, dans le quartier, dans l’agglo, ou même
éventuellement au niveau du département ? ». Le titre du document était : « Mon
quartier change, je déménage ». Du point de vue des habitants, c’était très
préoccupant. Ça voulait dire : « Vous allez intervenir sur ce quartier, ce que nous
attendons, mais est-ce que je vais encore pouvoir y rester ? ». La réponse n’est pas
évidente. Certains oui, d’autres pas… Je pense que cela va se gérer à un niveau
individuel. En tout cas ce sera le cas pour les titulaires du bail puisque c’est l’ANRU
qui l’impose. Que va-t-on donc offrir, en termes de perspectives, à ceux qui sont là ?
Est-ce que cela va être pour eux l’occasion d’aller ailleurs, ou de rester ici et de vivre
mieux ?
Nous avons regardé les Programmes Locaux de l’Habitat, et nous nous sommes
demandé quelle offre on allait reconstituer. Et sur ce sujet, j’appelle vraiment à une
réflexion autour de la crise du logement aujourd’hui.
Ne va-t-on pas conduire à une diminution nette du nombre de logements, et surtout
du nombre de logements à loyer accessible ? Je souhaiterais que l’on ait une
réflexion sur ce que produit l’ANRU à une échelle plus globale, parce qu’aujourd’hui
on est dans une crise massive du logement. Est-ce que la production que l’on va
réussir à reconstituer dans le même quartier, ou dans un autre quartier, ou dans
l’agglomération, va permettre de reconstituer une offre à loyer accessible ? 400.000
logements sortent de terre en 2005, ce n’était pas arrivé depuis 20 ans, mais quels
logements sortent de terre ? Et est-ce que l’ANRU va pouvoir garantir la construction
de logements restant à loyer accessible ?
Les craintes sont ici justifiées, tout d’abord parce que la loi SRU n’est pas appliquée,
ensuite, parce qu’aujourd’hui la production de logements sociaux se fait beaucoup
par le Prêt Locatif Social dont vous savez bien qu’il ne correspond pas aux revenus
des deux tiers des français éligibles aux logements sociaux. Nous sommes donc
inquiets concernant la manière dont l’ANRU va gérer ça. Autrement, dans 20 ans, on
se demandera ce que ça a apporté aux populations qui étaient là et que l’on a
conduit vers un nouveau parcours résidentiel.
Car on nous dit bien que l’ANRU est un levier en la matière, et je pense
qu’effectivement c’en est un.
Quelle place pour les habitants ?
J’ai entendu ce matin le maire de Calais nous dire qu’on ne peut pas consulter les
habitants avant d’avoir déposé les dossiers à l’ANRU. Ça me préoccupe beaucoup !
J’ai parfaitement compris son argumentaire, mais on n’arrivera jamais à faire un bon
projet ANRU sans les habitants ! Si le mode d’engagement des dossiers de l’ANRU
fait que l’on ne peut pas consulter les habitants avant, il faut le changer. Car il n’est
pas possible d’exclure complètement les principaux intéressés de tout le processus
de définition du projet, de diagnostic sur les raisons qui conduisent à la démolition,
et de réflexion sur ce qu’on va faire du territoire. C’est très étonnant de rencontrer
des associations dans les quartiers ! On voit des gens qui sont en attente. Ils ont
déjà fait leurs enquêtes. 80% des associations que l’on a rencontrées étaient pour la
démolition. Il n’y a donc pas de position dogmatique. Cependant, aujourd’hui, j’ai
peur que l’on assiste à une radicalisation des habitants et des associations. Les
collectifs anti-démolitions tels qu’ils sont en train de s’organiser interpellent sur la
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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capacité à intégrer la parole des habitants, premiers intéressés et premières
victimes de ces quartiers.
Certes ce n’est pas évident, certes ça prend du temps, et là j’interpelle aussi l’ANRU
sur la notion d’urgence. La course au projet, surtout que l’enveloppe diminuait, n’at-elle pas eu un effet sur la nature des projets ? Nous serons vraisemblablement
rattrapés par la réalité, car entre l’engagement à l’ANRU et la réalisation effective du
projet sur le territoire, interviendront sûrement des modifications considérables, et
tant mieux sans doute. A ce moment-là peut-être intégrera-t-on les habitants. La
place des habitants est donc un élément très important. On doit dépasser la
communication et passer à la concertation.
Quelle évaluation possible ?
L’ANRU s’est-elle dotée des moyens de s’assurer que les projets qu’elle finance
répondent aux objectifs qu’elle s’est elle-même fixés ? Est-ce que cela ne sert pas à
autre chose ? Je ne fais pas un procès aux projets car ils sont d’une telle diversité
qu’il est très difficile de discuter de cela. Mais n’y a-t-il pas parfois, derrière ces
projets, un certain nombre d’autres objectifs qui se cachent et l’ANRU a-t-elle la
capacité de le savoir ? N’est-on pas, dans une période où le foncier devient rare et
cher, face à des opérations dont l’objectif principal est la récupération de foncier ?
C’est sans doute le cas de peu de projets mais j’en connais, je sais que ça existe.
N’est-ce pas un moyen de gérer du peuplement ?
Dans trois quartiers où je suis très présent en ce moment, j’entends dire qu’il y a un
problème de sécurité.
Mais ce n’est pas l’ANRU, à travers une opération de rénovation urbaine, qui va
régler le problème de la sécurité ! Celui-ci doit être traité parallèlement ! Est-ce que
l’ANRU ne finance pas des projets qui vont à l’inverse des objectifs qu’elle s’est ellemême fixés ? Est-ce que par exemple on est sûr que les populations qui vont être
amenées à quitter le quartier ne vont pas aller se mettre un peu plus loin ? On l’a vu
près de Lyon, c’est déjà arrivé. On a fait basculer certaines familles d’un bâtiment
démoli à un autre bâtiment qui allait être démoli, et à un autre bâtiment qui allait
être démoli… parce qu’en fait on ne savait pas où les mettre ! Les habitants savent
très bien que lors d’une crise du logement telle que celle que nous traversons, on
sait ce qu’on perd mais qu’on ne sait pas ce qu’on trouve !
Bien sûr cela ne concerne pas tous les projets, d’ailleurs l’ANRU en rejette certains
car elle a bien perçu qu’il y avait ce type d’enjeux derrière. Mais, quelles garanties
l’ANRU ou l’Etat se donnent-ils pour s’assurer qu’on ne va pas dans ce sens-là ?
C’est ici une question d’outils, de processus, de regards croisés. Quels moyens se
donne-t-elle également pour l’évaluation ? Tout à l’heure vous parliez de
l’évaporation. Si on ne la mesure pas aujourd’hui, on ne pourra pas évaluer la
pertinence des projets et leur effet. Dans un quartier comme Surville (Montereau,
IDF), une partie de la population, qui n’était pas identifiée comme locataire en titre,
est partie avant les démolitions ou du fait des démolitions. Que deviennent ces
populations-là ? Et même parmi celles qui sont identifiées comme locataires en titre,
certaines sont parties parce que les propositions qu’on leur faisait ne leur
convenaient pas.
A-t-on les moyens de mesurer cette évaporation ? Concernant la reconstitution de
l’offre, a-t-on les moyens de s’assurer qu’elle va bien avoir lieu ? On parle du PLH
mais qui ne sait pas ici qu’entre les objectifs affichés par le PLH et la réalisation
effective après trois ans, on atteint seulement 60% ! L’inscription au PLH oui, mais
cela revient à confondre le tout dans la masse de production de logements sociaux
dont on sait qu’elle est en dessous des besoins et en dessous éventuellement des
obligations juridiques (article 55 de la loi SRU).
Il faut donc que l’on se dote très vite d’outils d’évaluation et de suivi, et ce dès la
validation pour s’assurer que l’on ne produit pas l’inverse de ce que l’on souhaite.
Le chapitre de notre rapport 2004 consacré au renouvellement urbain, était intitulé :
« Renouvellement urbain, une arme à double tranchant ». C’est exactement cela : le
renouvellement urbain est un levier d’intervention considérable, absolument
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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indispensable, mais il ne suffit pas et il faut vraiment se doter des moyens de le
cadrer.
De possibles effets pervers
Certains effets pervers ont été évoqués ce matin et je pense qu’il y en a d’autres,
notamment concernant l’utilisation des attributions pour les personnes occupant les
logements qui vont être démolis. Est-ce que cela ne freine pas d’autres opérations :
des opérations de réhabilitation ? Des démarches de gestion urbaine de proximité ?
On ne peut pas penser que l’Etat développe une politique sans s’intéresser à ce
qu’elle produit ailleurs. Cela reviendrait à instaurer des fonctionnements
institutionnels isolés ici et là en espérant que tout cela marchera bien.
Un dernier effet pervers, qui a été abordé par Marie-Christine JAILLET dans son
introduction, concerne l’image des quartiers. J’ai été très sensible, en allant sur le
terrain et en rencontrant les associations, par un certain nombre d’images qu’a
provoqué le diagnostic produit pour justifier l’opération. Dans un quartier on m’a
dit : « Cette tour va être démolie ». J’ai répondu : « Oui, mais il y en a cinq qui sont
pareilles à côté, alors pourquoi celle-là ? ». Et lorsque l’on a rencontré les familles,
elles nous ont dit : « C’est clair, les autres tours sont condamnées à terme, dans un
an, dans dix ans… ». Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire : « vous avez décrété
aujourd’hui que, là où on habite, ça n’est plus socialement acceptable ». Il est
nécessaire de faire attention à ce que cela peut produire dans les représentations.
La démolition peut être un bon outil, un bon levier, mais à la seule condition que l’on
explique aux gens pourquoi on le fait. À la condition que les objectifs, qui sont ceux
de l’ANRU, du PNRU et de l’Etat, soient atteints !
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Quels enseignements pour la définition des projets, le
positionnement des acteurs et les méthodes de travail
collectif ?
Table ronde en présence de :
Jean-Luc COOPMAN, Directeur régional de la Caisse des Dépôts et Consignations
Alain CACHEUX, Adjoint au Maire de Lille, Vice-président de Lille Métropole
Communauté Urbaine
Michel CARON, Administrateur de la Foncière Logement
Christophe ROBERT, Fondation Emmaüs, Membre du comité d’évaluation et de
suivi de l’ANRU
Paul-Louis MARTY, Délégué général de Union Sociale pour l’Habitat
Aude MUSCATELLI, Sous Préfète à la ville du Nord, Déléguée territoriale de l’ANRU
Pascale RIEU, Directrice de la coordination et des programmes de l’ANRU
L’ANRU répond-elle réellement aux besoins ? La priorité était-elle vraiment à la
démolition ?
Paul–Louis Marty, Délégué général de Union Sociale pour l’Habitat
« ... S’agissant de ces questions, il y a une chose qui me frappe. À l’heure actuelle,
dans le champ du logement, on construit beaucoup de logements (400.000) et on
dit que finalement, ce qui est important, c’est le marché du logement. Or, en
matière de logement, je sais ce que fait le marché : il exclut ! C’est une chose
certaine ! Donc, à partir du moment où vous voyez la dépense budgétaire diminuer
et la dépense fiscale augmenter, je sais ce que ça veut dire politiquement. Je pense
que là il y a un manque de cohérence réel dans l’action publique.
Ensuite, lorsqu’il s’agit de parler de la situation des familles qui vivent dans les
quartiers de la politique de la ville, ou plutôt de la politique de renouvellement
urbain, je crois que sans doute les murs sont importants, sans doute sont-ils coincés
dans des territoires, mais je crois que ce qui est fondamental, ce sont plutôt
l’emploi, l’école, la capacité de vivre ensemble, c’est à dire tout ce qui fait société.
C’est au moins aussi important que tout ce que nous ferons sur l’urbain parce que ça
on ne le verra, à mon avis, que dans 5 ou 10 ans, voire 20.
[...]
Enfin, à propos des démolitions. Je suis sans doute un de ceux qui ont le plus démoli
donc je ne serai pas suspecté de ne pas vouloir démolir. Mais dans la démolition, il y
a quand même d’une part un acte caché et d’autre part une valeur symbolique.
L’acte caché c’est qu’en démolissant l’immeuble, on va faire disparaître le problème
social. Or je pense qu’on va peut-être l’évaporer, mais il va y avoir des problèmes
de condensation ailleurs, et ça c’est un vrai problème. Je suis un ardent défenseur
de la règle du 1 pour 1, mais elle n’est certainement pas suffisante.
Le côté symbolique de la démolition est à mon avis extrêmement grave. Je ne crois
pas que ces quartiers soient forcément des quartiers que les gens veulent fuir.
D’abord ceux qui voulaient vraiment fuir et qui le pouvaient sont déjà partis.
Ensuite, je crois que les conduites suicidaires que l’on voit en ce moment sont des
conduites qui relèvent de l’enfermement, mais enfermement par rapport à la
capacité de s’exprimer, à la capacité d’être entendu, à la capacité d’accéder à
l’emploi, à la capacité d’accéder à un statut, à une reconnaissance, etc., beaucoup
plus qu’un enfermement dans des lieux au sens physique du terme.
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
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J’avoue très franchement que quelquefois je vois une espèce de frénésie de la
démolition dont je me méfie énormément. D’abord parce que je me demande ce
qu’on va faire des gens dont on démolit les logements, mais je me dis aussi qu’on
démolit peut-être à tort. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on a quelquefois des
images qui sont des images très dures. On parle souvent d’architecture ou
d’urbanisme criminogène. J’ai l’habitude de dire que, à Paris, je connais deux
grandes barres où il y a plein d’arabes, dans les espaces verts il y a de la
prostitution, et il y a du deal. Quelles sont ces deux barres, c’est l’avenue Foch !
C’est une forme d’urbanisme et d’occupation sociale qui répond à d’autres critères.
Alors c’est évidemment une boutade et il faut le prendre comme tel, mais je crois
qu’il y a une vision et une lecture de ces quartiers, dans leur urbanisme, qui me
paraissent actuellement être un peu légères. Quand je vois, sur un projet que je ne
nommerai pas, le remplacement des barres et des tours par une belle tartine de
logements individuels, je ne suis pas sûr qu’on progresse vraiment. Je ne suis pas
sûr que la qualité urbaine, à partir de l’idée qu’on démolit pour reconstruire on ne
sait pas trop quoi et sur quelque chose qui n’est quelquefois pas suffisamment mûri,
aboutira à un projet de bonne qualité, du point de vue de sa vie.
Je suis persuadé qu’il y a des endroits où il faut démolir, mais je crois qu’il faut le
faire avec beaucoup de discernement et avec une bonne compréhension, et se
méfier aussi des effets de mode. Par exemple la résidentialisation, il y en a de
bonnes, mais il y en a de très mauvaises ! Il y en a où on est en train de refaire
Sing-Sing ! On ne sait pas qui est enfermé d’ailleurs, si c’est celui qui est dedans ou
si c’est celui qui est dehors ! D’ailleurs j’observe que ça a servi ces derniers temps
parce que, dans certains cas, les gens qui étaient à l’extérieur ont pu rentrer leur
voiture à l’intérieur pour qu’elle ne brûle pas !
Donc on voit bien que toute cette réflexion par rapport au vivre ensemble, à ce qui
fait société et à ce qui fait ville, est quelque chose qui demande beaucoup de travail
et beaucoup de mesure. De ce point de vue-là, je crois que l’ANRU peut être un lieu
de discussion, aussi bien au niveau local qu’au niveau national. »
Alain Cacheux, Adjoint au Maire de Lille, Vice-président de Lille Métropole
Communauté Urbaine
« Partageant quelque peu le point de vue de Paul-Louis [Marty] à ce sujet, je
souhaiterai faire une remarque : qu’il faille améliorer le cadre bâti d’un certain
nombre de quartiers, je crois que c’est à l’évidence utile. Mais est-ce que c’était la
priorité absolue de la période ?
Moi je n’en suis pas tout à fait convaincu. Quand je vois l’ampleur de la crise du
logement, même avec peut-être 400.000 logements, il y a quand même une
inadéquation croissante entre l’offre de logement telle qu’elle sort, et quelque part
aussi la financiarisation du marché du logement, et la demande qui est exprimée, en
particulier par les catégories modestes. Je me dis donc que la priorité absolue était
la production de logements locatifs sociaux, plutôt que la démolition-reconstruction
d’un certain nombre d’immeubles qui par ailleurs étaient sans doute nécessaire.
La Communauté Urbaine de Lille est en train d’achever l’élaboration d’un plan
communautaire de l’habitat où nous avons fait le constat d’une insuffisance
quantitative de constructions sur l‘ensemble de la métropole, tous types de
financement confondus, puisque l’on était environ à 3300 logements construits
chaque année alors qu’il faudrait en réaliser entre 5000 et 5500. Ce qui vaut pour
l’ensemble des financements vaut bien sûr encore plus pour le logement locatif
social puisqu’il faudrait passer de 800 à 900 logements par an à 2000, hors dossiers
ANRU. Évidemment, du point de vue de l’urbanisme et du cadre de vie, les dossiers
ANRU sont des dossiers intéressants mais, très concrètement, vous reconstruisez un
logement démoli et ça ne fait pas un logement de plus.
Or je pense que l’urgence absolue c’est de construire des logements locatifs sociaux
à des niveaux qui soient accessibles, sans compter le fait que les augmentations
récentes se traduisent surtout par une montée très forte du PLS, par une diminution
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
- 35 –
très inquiétante du PLAI et par une progression relativement modérée du PLUS qui
correspond quand même, notamment dans une région où le niveau des revenus est
inférieur à la moyenne nationale, à la grande majorité de la demande. Ce constat est
très frappant au niveau de la Communauté Urbaine et de la Métropole.
On se rend compte également que la primo accession est de plus en plus difficile sur
le territoire métropolitain. Ce qui a été le parcours résidentiel assez classique d’un
ménage relativement modeste achetant une maison elle-même modeste mais se
fixant pour objectif de l’améliorer très sensiblement année après année, est en train
de se tarir complètement. La contrepartie de la crise du logement c’est évidemment
la flambée des prix, et tout ceci se traduit concrètement par un étalement urbain,
ces ménages modestes allant plus voir dans le bassin minier, dans la Flandre
intérieure ou dans la région d’Orchies, et on les retrouve généralement matin et soir
sur les autoroutes qui conduisent à la métropole lilloise.
Pour moi la priorité absolue est une véritable politique de logement qui sorte de la
financiarisation. Le dispositif Robien est venu caricaturer les choses, même s’il
n’était pas radicalement différent du dispositif Besson, il faut se dire les choses très
sereinement. Mais quand même quelque part, ce qui dynamise un peu toute cette
construction, c’est ça.
J’ajoute un point : est-ce que ces projets sont de nature à modifier l’image de
marque de ces quartiers ? Très honnêtement, je pense que ce sont des décisions et
des réalisations très positives, mais quand vous voyez, à travers les événements
qu’on vient de vivre ces derniers jours, ce qui peut à ce point stigmatiser un certain
nombre de quartiers, je me dis qu’on est passé d’une situation où tout ce qui était
habitat était ignoré, à une situation où, à travers l’ANRU notamment, l’essentiel de
la politique de la ville est centré sur l’habitat, avec un certain nombre de politiques
qui ont été abandonnées complètement. Je sais depuis trois jours qu’on va les
réamorcer mais, dans ce genre d’actions de liaison avec les associations, je sais à
quel point on détruit vite alors que reconstruire demande beaucoup plus de temps.
Je reste donc interrogatif sur la capacité que l’on a d’atteindre l’objectif final même
si, cette politique ayant été décidée au niveau national, nous choisissons de nous y
inscrire tout à fait profondément. »
Cette politique de rénovation urbaine n’a-t-elle pas mené à sacrifier la politique de
la ville alors même qu’elle la recréé à certains égards, notamment en concentrant
son action sur les quartiers ?
Paul–Louis Marty
« S’agissant de l’ANRU, j’observe qu’elle résulte d’un texte de loi (loi de 2003 sur le
Plan National de Rénovation Urbaine) qui comporte un article 1 qui définit ce que
devrait être la politique de la ville, et je considère que cet article 1 n’est aujourd’hui
pas appliqué. La politique de la ville est passée par dessus bord par rapport au
programme qui est développé par l’ANRU. Ce n’est pas la faute de l’ANRU ! Mais
c’est un vrai problème politique.
[...]
Le premier problème que j’identifie en termes opératoires, c’est qu’il y a deux
espaces : il y a l’espace de l’ANRU et il y a tout ce qui n’est pas dans l’ANRU. Les
règles ne sont pas les mêmes et, au niveau de la cohérence, il est évident que ce
découpage est absolument contre performant et pose de très graves problèmes. Il
est nécessaire de revenir à traiter la ville et pas simplement les quartiers. Je dirais
que, quelque part, l’ANRU est une façon d’améliorer le fonctionnement des DSQ,
mais le DSQ c’est ce que je faisais il y a 25 ans ! Cette question de la cohérence et
des espaces me paraît importante. »
Alain Cacheux
« Effectivement, les dossiers ANRU sont des dossiers très importants, mais ce n’est
pas la majorité de tous les endroits difficiles. Se pose aussi tout le problème de
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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l’habitat social des quartiers hors ANRU, avec par exemple l’effondrement des
subventions PALULOS. Si on est dans un périmètre ANRU, on dispose d’un certain
nombre de moyens financiers non négligeables pour conduire des réhabilitations,
mais si on est dans une résidence qui a l’immense inconvénient de se trouver dans
un quartier banal, plus aucun moyen n’est disponible pour faire en sorte que ce
patrimoine reste à niveau. Ça veut donc dire qu’il faut laisser ce patrimoine se
dégrader et attendre qu’il gangrène le quartier pour qu’il soit classé en politique de
la ville afin que l’on puisse intervenir. Il me paraît donc très important que les
interventions en matière de réhabilitation soient poursuivies, même si toute une
série de moyens ont été spécifiquement consacrés aux secteurs importants mais
limités des quartiers ANRU et que par ailleurs, sur ce qu’il restait de crédits c’est à
dire ce qu’on appelle la ligne fongible, l’accent a été mis sur la construction neuve. »
Quel lien entre l’action de l’ANRU et les autres politiques publiques ?
Jean-Luc COOPMAN, Directeur régional de la Caisse des Dépôts et Consignations
« Dans la région il y a énormément d’énergies qui se sont mobilisées autour de
l’ANRU et je rejoins un peu également ce que disait Monsieur Marty. Il y a le
problème du logement, le problème du quartier, de l’image, de l’emploi, le problème
de société, et à côté de ça on a aussi dans la région une forte mobilisation sur
d’autres secteurs, par exemple dans le cadre du programme de création et de
transmission d’entreprise. On a vraiment une mobilisation des énergies ! Quelque
part j’ai envie de dire que ces deux énergies qui sont en marche, ces deux
puissances, parce que c’est une vraie synergie, est-ce que justement on a envisagé
tous les liens possibles entre les deux, est-ce qu’il y a un lieu de connexion ? Je
pense que ça décloisonnerait un peu, mais j’ai conscience que c’est très ambitieux et
la réponse n’est sans doute pas facile. »
Pascale RIEU, Directrice de la coordination et des programmes de l’ANRU
« Entre une politique qui pourrait être déséquilibrée entre l’intervention de l’ANRU et
ce que pourrait être ou ce que n’est pas une politique de la ville au sens général, on
constitue nous, à travers le financement avec les partenaires des projets des
collectivités locales, un effet levier, et on s’inscrit dans cette politique plus large en
matière de développement économique, d’emploi, d’interventions sur les écoles, etc.
La meilleure illustration c’est que nous avons de nombreuses interventions vis à vis
des équipements scolaires. On intervient sur la réhabilitation, sur la création, et
cette politique peut se faire évidemment de façon complémentaire avec une
politique plus soft, plus sociale, sur ces éléments-là. C’est la meilleure preuve de
l’articulation nécessaire entre nos deux dispositifs qui ne sont pas contradictoires et
qui doivent s’enrichir l’un l’autre.
[...]
Si je schématise un peu l’action de l’ANRU, on nous fait le reproche d’être sur des
interventions physiques, sur le lourd, sur l’investissement, et de ne pas prendre en
compte finalement la pérennité de la vie de ces quartiers. C’est faux ! Je crois qu’on
a progressé les uns et les autres sur ce point-là, et les évènements récents nous
incitent aussi à le faire. Il me semble que c’est essentiel, y compris dans la
constitution même des projets… Je prends l’exemple des bailleurs sociaux qui vont
travailler avec les collectivités en disant : « Voilà les caractéristiques du projet, on
va démolir, on va résidentialiser, on va reconstruire en partie sur le site, on va
conduire des actions d’amélioration du parc social existant, on va intervenir en
complément sur des copropriétés qui seraient dans le quartier, mais on a aussi
besoin de réfléchir en termes de fonctionnement, de vie de ces quartiers, donc
notamment en termes de gestion urbaine de proximité ».
Cela peut être quelque chose de relativement creux comme cela peut être très
développé, on va donc essayer nous-mêmes de pousser à la prise en compte de cet
aspect. C’est ce que nous envisageons avec la Délégation Interministérielle à la Ville
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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et aujourd’hui cela m’apparaît tout à fait possible, d’autant que c’est fait dans un
certain nombre d’endroits.
Lorsqu’une collectivité signe une convention avec l’ANRU, elle doit également mettre
en place une charte en matière de gestion urbaine de proximité. Donc cela n’est pas
quelque chose de creux, mais il y a des territoires où cet aspect était peu développé
et où il faut sans doute insister là-dessus.
Tout à l’heure je donnais un autre exemple à travers les interventions et les
financements que nous allons amener, avec les collectivités locales, notamment sur
les équipements scolaires. Bien évidemment ça doit faire écho à une politique
interministérielle au delà des interventions sur le physique. On est donc clairement
un des leviers importants mais on s’inscrit dans ce dispositif-là et, dans les
prochaines semaines, on va ré-insister sur cet élément qui nous paraît évidemment
central.
[...]
On a bien évidemment des situations variables suivant les secteurs. On a de façon
relativement classique des interventions de restructuration de centres commerciaux,
on peut avoir également des projets qui comportent des actions d’accueil
d’entreprises. On croise aussi différents territoires et on est parfois en zone franche
urbaine, avec tous les avantages que cela comporte, donc on a cet élément-là, mais
je pense que, objectivement, c’est encore à développer. »
Paul–Louis Marty
« Il y a un deuxième niveau de cohérence qu’il faut se forcer d’assurer, c’est la
cohérence des actions de l’ANRU avec celles de politiques publiques qui lui
échappent. Je prends l’exemple de l’Education Nationale ou de la Justice…. Il est
évident que la question de la carte scolaire ou la question de l’application des peines
sont des choses essentielles dans ces quartiers. C’est évident que l’autorité a de
grandes difficultés à agir dans ces champs-là et il faut une volonté politique tout à
fait considérable. »
Quelle conduite de projet adopter ? Sur quel diagnostic s’appuyer ?
Aude MUSCATELLI, Sous Préfète à la ville du Nord, Déléguée territoriale de l’ANRU
« Je tenais aussi à souligner l’importance du diagnostic préalable lorsqu’on arrive sur
un territoire, l’importance de savoir de quoi on part et si on est d’accord sur ce
diagnostic qui va constituer le socle sur lequel on va pouvoir mesurer les évolutions.
En fait on raisonne toujours en termes d’écarts, on a un objectif-cible et on mesure
les écarts par rapport à une situation donnée, mais une situation donnée qui tient
compte par exemple de l’histoire du quartier et des bouleversements qu’il a pu
connaître. On ne raisonne pas toutes choses égales par ailleurs mais toujours en
écarts par rapport à un diagnostic originel qui doit avoir été préalablement partagé,
ce qui est souvent très difficile parce que, encore une fois, on est sur des politiques
humaines, sociales, et que chacun des acteurs peut avoir sa vision du quartier, sa
vision des habitants, sa vision de là où il faut conduire la ville, et même sa vision de
ce qu’est une ville et de ce qu’est le vivre ensemble. Le diagnostic est donc difficile à
conduire mais il est essentiel. »
Michel CARON, Administrateur de la Foncière Logement
« La première question qui avait été posée en début d’après-midi était : est-ce que
le diagnostic est suffisant ? Moi je pense que non.
Il n’est largement pas suffisant par rapport au problème de l’immigration,
notamment parce qu’il y a des choses qui ne peuvent pas se dire où qui ne peuvent
pas se poser statistiquement.
Ça se regarde, ça se dit dans la rue, mais dès qu’on l’écrit… J’ai été responsable de
publication et je sais qu’il y a des choses qu’on ne peut pas écrire ! Je pense
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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qu’aujourd’hui, on ne s’est pas mis en situation d’avoir un vrai diagnostic sur ces
questions-là. Ce n’est pas être raciste que de sortir un certain nombre de choses. »
Paul–Louis Marty
« Troisième chose qui me paraît aussi importante, c’est que dans l’ANRU on voit
toujours l’aspect renouvellement urbain et on parle à mon avis insuffisamment de
tout ce qui relève de la vie quotidienne des habitants. Par rapport à la question de la
participation des habitants qui a été évoquée, une bonne façon de les faire participer
et de les faire réfléchir, c’est de leur parler non pas simplement de ce que l’on va
faire dans 10 ans mais de ce que l’on va faire demain matin. L’horizon temporel est
essentiel et la vie quotidienne est essentielle. Je crois qu’un bon projet qui est
ambitieux commence d’abord par apporter des réponses à court terme, et ce ne sont
pas forcément les plus faciles à mettre en œuvre. Je pense qu’il est plus facile de
faire un grand projet urbain, avec un beau dessin, un beau plan de masse, des
belles perspectives, que de s’assurer que le système d’ordures ménagères
fonctionne bien. C’est plus modeste, mais c’est important. »
Pascale RIEU
« La génération spontanée par rapport à la mise en place des projets n’existe pas
non plus. Nombre des projets qu’on a déjà validés et sur lesquels on a déjà signé
des conventions faisaient l’objet de réflexions, d’analyses sur le terrain, que ce soit
dans le cadre des grands projets de ville, des ORU, etc. On est dans cette continuité
et on n’a pas eu, sur les premiers projets qui ont été examinés, cette précipitation. Il
ne faut pas croire que le top départ a été donné au moment de la création de
l’Agence et que ça a été la course à l’échalote par rapport aux financements de
l’ANRU. »
Christophe ROBERT, Fondation Emmaüs, Membre du comité d’évaluation et de
suivi de l’ANRU
« Il me semble qu’il faut que l’on soit en mesure, avant de décider du bien fondé ou
non d’un projet, et donc de sa validation et de son financement, de s’assurer que les
objectifs sont bien ceux fixés par le Plan National de Rénovation Urbaine, ou même
ceux que souhaitent la commune, le bailleur, etc. Et là on verra bien si le bailleur et
la commune sont d’accord sur le projet, s’ils partent du même diagnostic, si on ne
s’est pas trompé, si ce n’est pas un effet de mode, ou si soi-même on ne s’est pas
convaincu que finalement c’était tellement le bordel dans ce quartier que c’était
peut-être ça la solution. Alors qu’on a l’expérience des années 60 ! Je reprendrais les
exemples de Henri COIN, de 1966, dans son ouvrage qui est d’ailleurs cité dans la
bibliographie que vous avez mis là, mais c’est impressionnant ! Et moi j’ai vraiment
le sentiment qu’on en est là. »
N’est-on pas allés trop vite dans l’élaboration des projets ? N’y a-t-on pas perdu en
cohérence ? N’est-on pas en train d’en payer le prix ? Ne gagnerait-on pas à
privilégier la souplesse dans ce dispositif ?
Alain Cacheux
« Au niveau de l’agglomération, la difficulté dans laquelle nous nous trouvons c’est
que, au démarrage de l’ANRU, le discours qui a été tenu par les pouvoirs publics
nationaux était de faire du maire l’interlocuteur privilégié, ajoutant d’ailleurs un
discours du style :
« Il y a des moyens considérables mais il n’y en aura sans doute pas pour tout le
monde, donc dépêchez-vous de monter vos dossiers et montez-les de manière
solide, ne soyez pas mesquins, ayez des projets sérieux ! ».
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Bien entendu, les maires, avec les moyens techniques et humains dont ils
disposaient, ont essayé de bâtir les projets les plus sérieux.
Ce n’est qu’ensuite qu’on s’est rendu compte qu’il était peut-être utile d’avoir une
politique d’agglomération. Or, avoir une coordination au niveau de l’agglomération
sur des projets qui, au départ, parce qu’on le suggérait, étaient montés de manière
très ambitieuse, c’est donner à l’agglomération la fonction de réduire les ambitions.
On a donc tendance à dire que, puisque l’ANRU a impulsé le mouvement et que les
maires ont essayé d’y répondre le mieux possible, que l’ANRU aille jusqu’au bout de
sa responsabilité et qu’elle fasse les arbitrages elle-même, sans vouloir y impliquer
des élus qui, au départ, n’étaient pas des élus d’agglo et n’étaient pas impliqués.
Ayant le vécu de l’agglomération lilloise, on avait au départ un instrument qui se
voulait centralisé, efficace, interlocuteur unique (même si concrètement on retrouve
très souvent les DDE), mais aujourd’hui j’ai un peu le sentiment d’un certain
enlisement des dossiers et d’une doctrine de l’ANRU qui s’élabore au jour le jour
(sans doute très rapidement puisque ça ne fait que deux ans) mais qui n’est pas
figée, donc de dossiers qu’il faut retravailler en permanence. J’ai un peu le
sentiment qu’on a perdu la dynamique initiale. Moi je vois des projets qui continuent
d’être travaillés et approfondis suivant les différents comités (l’ARTP, le CNE, voire le
Conseil d’Administration pour les dossiers les plus importants), donc un certain
sentiment d’essoufflement. »
Michel Caron
« Pour moi, aller sur une politique de rénovation urbaine, c’est accepter d’aller gérer
des intérêts contradictoires. Il y a les intérêts des élus, ceux de La Foncière, ceux
des bailleurs, ceux des locataires, et tout ça doit devenir des intérêts communs. Il
est faux de penser qu’au départ ce sont des intérêts communs. Ce qui est important
dans la logique démocratique, c’est d’organiser le débat pour que, à un moment
donné, tous ces intérêts contradictoires sortent sur un objectif, un projet commun.
Je trouve donc utile les débats qui remettent en cause les méthodes de
confrontation ou le résultat auquel on est arrivé, plutôt que de se dire qu’on va
trouver demain le manuel du parfait rénovateur urbain.
L’accompagnement c’est une logique de projet, et celui qui est légitime à
représenter l’intérêt général, c’est l’élu. C’est pour cela que nous avons appuyé la
logique qui donne à l’élu la responsabilité du projet global. Je crois aussi que l’on
devrait favoriser la logique du rendre compte par rapport à l’objectif fixé, plutôt que
la logique du produit complètement ficelé au départ. On est sur une logique de 5
ans, il y a des processus de transformation sociale qui vont intervenir dès le départ,
donc pourquoi ne pas réintégrer dans le projet au bout de 2 ou 3 ans ce qui s’est
déjà produit sur ces quartiers, sur ces villes, ou sur ces agglomérations ? Si les
objectifs peuvent rester parfaitement stables sur la durée du projet, je pense qu’il
faut être sur quelque chose qui reste interactif du point de vue du projet.
Sur ce point et de la position où je suis, je sens bien que l’on heurte un petit peu
quand même les méthodes ou les habitudes qui étaient prises sur ce type d’actions,
mais on pourrait aussi l’étendre à beaucoup d’autres actions.
Je crois que la meilleure façon de gérer la rapidité, c’est la souplesse. Sinon, et
plusieurs d’entre vous l’on dit, on bâcle. Il y a eu des dossiers qui ont été bouclés
très rapidement et ce sont ceux-là pour lesquels ont dit aussi rapidement que
finalement, on ne peut pas faire ça ou ça. Si je reprends l’exemple du maire de
Calais, c’est quelqu’un qui connaît bien le milieu dans lequel il va greffer le projet
ANRU. Ce n’est probablement pas la même chose que certains maires qui ne
mettent pas les pieds dans les quartiers.
Donc, lorsqu’il dit qu’il attend d’en savoir un peu plus sur l’engagement de l’ANRU
pour aller entamer le dialogue, ce n’est pas la même chose que celui qui n’a qu’un
seul objectif c’est de liquider son quartier social et qui dit « Une fois que j’aurai les
moyens de l’ANRU, vous allez voir ce que vous allez voir, je vais passer le
bulldozer… !.
En termes de logique, ça n’a rien à voir ! »
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Paul-Louis Marty
« Ce qui m’interroge également, c’est que la politique de l’ANRU est une politique
qui centralise et impulse, ce qui est son mérite, alors qu’on dit toujours qu’il faut se
rapprocher des usagers et qu’il faut décentraliser. Manifestement, il y a là un
problème d’évolution de l’ANRU en fonction de la décentralisation qui me paraît
posé. Je ne prétends pas le résoudre là mais il faudra bien le poser, parce que la
diversité des situations, la capacité de contrôler, d’analyser, ne se feront pas
toujours centralement. Je suis désolé mais, quand je suis au Conseil
d’Administration de l’ANRU, je ne me sens pas capable de porter un jugement sur
les projets qui sont présentés. Je trouve qu’il y a un côté formel et académique. Mais
ce n’est pas très grave parce qu’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que les
projets qui sont présentés ne sont pas ceux qui seront réalisés. J’en suis sûr ! Donc
on peut essayer de faire en sorte de faire attention aux choses, mais de toutes
façons on s’apercevra de ce que ça aura donné dans 20 ans, dans 25 ans, dans 30
ans, donc je crois qu’il faut être très modeste par rapport au jugement que nous
pouvons porter sur tel ou tel projet.
[...]
Le point suivant concerne plus les projets eux-mêmes. Je crois qu’il faut être bien
conscient que concevoir un projet et le monter, c’est long. C’est vrai qu’on a monté
des projets qui, pour certains, étaient prêts, mais je pense aussi qu’on a monté des
projets parce qu’il fallait passer vite… Mais ça c’est un peu inhérent, je crois qu’on ne
peut pas faire autrement. [...] …… donner le temps nécessaire pour l’élaboration du
projet de telle sorte qu’il soit de qualité. Ça suppose des débats, y compris avec les
habitants, c’est assez compliqué, et il faut laisser aux élus leurs responsabilités. J’ai
beaucoup de révérence pour les organismes HLM, pour les associations, etc., mais il
y a quand même une légitimité dans ce pays, c’est la légitimité de l’élection. In fine,
l’élu a énormément de défauts mais il a quand même une caractéristique, c’est qu’il
passe tous les six ans la tête à la fenêtre pour recevoir des tomates. Ça, c’est quand
même une vraie responsabilité, et je ne connais que celle-là. La responsabilité de
l’éclosion des projets et de leur mise en œuvre appartient à ceux qui sont élus et je
n’ai absolument aucun état d’âme par rapport à ça. »
Pascale Rieu
« Sur la question de l’évolution des projets, je crois qu’on est tous d’accord. On a
arrêté une situation, un projet, avec des interventions physiques lourdes sur
l’habitat. Il s’agit de démolir lorsque c’est nécessaire et de reconstruire des
logements sociaux, de travailler à l’amélioration des logements sociaux mais aussi
de travailler sur le parc privé, vis à vis de copropriétés relativement récentes qui
sont là aussi en très grande difficulté. On intervient également sur les quartiers
anciens, sur les espaces publics. La question du désenclavement des quartiers est
relativement importante, mais ce sont aussi des actions qui visent à diversifier les
quartiers (promouvoir l’accueil d’entreprises, réorganiser les éléments commerciaux,
etc.), donc on voit bien la richesse des projets qui sont mis en œuvre. On va signer
des objectifs sur 5 ans, donc déclinant toutes ces natures d’actions, et on a prévu
aussi dans nos statuts, parce que la philosophie-même de l’Agence c’est d’avoir un
cap, des souplesses qui sont aussi proposées dans ce cadre-là. On peut
« avenanter » des conventions, on peut discuter avec les collectivités locales sur des
adaptations nécessaires par rapport aux projets qui sont signés au démarrage, donc
on est très conscients de cet élément-là et je crois qu’on le mettra en place. »
Les moyens nécessaires en terme d’ingénierie sont-ils réunis ?
Jean-Luc COOPMAN
« Pour revenir à votre question sur la méthode, il est clair qu’en matière d’ANRU on
a trois partenaires sur le terrain : la collectivité locale, le bailleur et le privé qui peut
également intervenir (je ne parle pas d’un point de vue institutionnel).
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
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Je rejoins tout à fait ce que disait Monsieur CARON, c’est à dire que ça doit être un
lieu de partenariat, un lieu d’échanges, et que les décisions doivent être partagées.
Or je pense qu’en matière de méthode, la décision partagée c’est la conduite de
projet, qui me semble être d’autant plus nécessaire qu’on est devant des projets qui
sont photographiés à un moment donné, mais dont on sait très bien qu’ils
évolueront dans le temps, et heureusement ! Mais ça renforce encore cette conduite
de projet.
Néanmoins, une fois que je vous ai dit ça, je suis un peu gêné car je n’ai pas de
recette à apporter. La conduite de projet type n’existe pas. Les situations, les
acteurs, le contexte, sont tellement différents qu’il faut, sur chaque site ANRU,
trouver la bonne articulation et le bon mode de partenariat. Ce qui a très bien réussi
sur un site ne peut pas être exporté sur un autre. Par contre, il y a quand même des
fondamentaux :
-
la conduite de projet doit être partagée et admise par tous les acteurs,
il faut formaliser, même si ça doit évoluer,
il faut des moyens.
Si on fait un rapide calcul de ce que représente l’ingénierie (50 millions) par rapport
à ce qui a été engagé aujourd’hui (environ 2,4 milliards), ça fait 2%. Par rapport à
ce qu’on peut constater dans d’autres secteurs d’activité, ce n’est pas ridicule, mais
ça pourrait aller jusque 3% sans problème. Je pense que ces 3%, c’est peut-être un
objectif que l’on peut se donner, sachant que la conduite de projet est essentielle
pour la réussite des projets ANRU. »
Paul-Louis Marty
« Par contre, une fois que le projet est fait, la question de son suivi, de son
évaluation, de son évolution, me paraît être une question déterminante. Ce qui me
fait frémir à l’ANRU, c’est qu’on engage des milliards d’euros et on en dépense des
millions, et cet écart sera durable. Entre ce qui a été engagé pour assurer la
sécurité, de manière tout à fait légitime, je ne le conteste pas, et la capacité de
mettre en œuvre, il y a un écart qui va être durable, et je vois d’ici la tête que la
Direction du Budget, entre autres, va faire par rapport à ça. Je pense que c’est une
situation périlleuse.
Ensuite, il y a la question de la capacité à faire. Ça suppose des compétences en
matière d’urbanisme, en matière de compréhension des problèmes urbains et des
problèmes sociaux, et en matière de capacité à conduire des projets. Je crois que là,
pour tous les acteurs, il y a des marges de progrès considérables. À ce sujet
j’indique, au cas où ceux qui sont dans la salle ne le sauraient pas, que nous avons
pour notre part créé l’école de la rénovation urbaine, la Caisse des Dépôts s’est
intégrée au projet, l’ANRU s’intègre au projet, et je crois véritablement que la
question de la formation des cadres et des acteurs est tout à fait importante.
D’ailleurs j’observe que ce que nous avons créé a eu un succès tout à fait
considérable et je pense que son élargissement à l’ensemble des acteurs concernés
va donner de bons résultats. »
L’évaluation des projets est-elle possible ?
Christophe Robert
« Par rapport à ce débat, il me semble qu’il y a les objectifs, la finalité, du Plan
National de Rénovation Urbaine, qui sont finalement assez simples.
Ils tiennent en une demi-page !
Moi ce que je voudrais en termes d’outils, c’est que, dans chaque projet, on soit
mesure de dire « Voilà, on a ces habitants-là, qu’est-ce qu’on veut faire
comment ? Au niveau de l’école, au niveau du bâti, au niveau des transports ?
qu’est-ce que cela va entraîner pour Madame X qui est là ? Qu’est-ce que cela
en
et
Et
va
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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améliorer et est-ce que cela va améliorer ou pas ? » Là on verra bien si ça vaut la
peine ou pas. Si on n’est pas capable de répondre à cette question-là…
Franchement, sur dix sites où je suis allé récemment j’ai posé la question, et je ne
suis pas capable de savoir. Oui j’ai compris que ce bâtiment-là n’était plus
socialement acceptable, oui j’ai compris que la barre était trop grosse, oui j’ai
compris que ça ne se passait pas bien dans ce quartier, mais qu’est-ce qui va
permettre le changement ? Où est le levier ? Si on devait l’écrire noir sur blanc sur
le papier, on verrait bien la pertinence des projets. On verrait qu’il y a des projets
ultra-pertinents ça pourrait peut-être d’ailleurs alimenter la réflexion des autres, sur
tous les volets transversaux dont on parle. Et pour le coup, ça serait ça l’urgence, à
côté de la production de logements sociaux à loyer accessible. Mais je suis convaincu
qu’on n’a pas les moyens de savoir aujourd’hui si on va dans le bon sens. »
Jeudi de la Ville du 10 novembre 2005
"Les Politiques de l’habitat à l’épreuve de la rénovation urbaine : la question de peuplement"
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Centre de Ressources Politique de la Ville
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Rédaction : Aurélie JAULIN, IREV