Oh, pourquoi, pourquoi, pourquoi, Seigneur
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Oh, pourquoi, pourquoi, pourquoi, Seigneur
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. Le père Duval, le père jésuite chanteur de mon enfance, avait composé ces paroles pour les insomniaques : Oh, pourquoi, pourquoi, pourquoi, Seigneur ? Pourquoi, Seigneur, qui fis le monde, pourquoi tu fis la nuit si longue, si longue, si longue, si longue pour moi ? Eh oui, c’est long la nuit lorsque l’on est un pêcheur professionnel et que l’on ne prend rien, lorsque l’on travaille toute une nuit pour rien. C’est terriblement long, lorsque l’on espère en vain que l’heure suivante sera plus propice et que l’on va sortir de la crise, que les poissons se présenteront enfin. Qui dira les bras lourds, le poids du filet vide, le froid qui tombe au petit matin avec la fatigue qui se fait mauvaise et la brise aussi mordante que la malchance ? Si les filets de Simon et de ses amis pêcheurs sont désespérément vides, la foule est là, par contre, matinale et attentive, sur le rivage. La foule qui est venue écouter Jésus. Etrange paradoxe ! La foule piétine, se presse, ondoie comme un banc de poissons. C’est une une foule avide de s’approcher du maître, d’écouter sans se lasser ce Jésus à la parole de feu. Ses mots vous feraient oublier la triste condition des petits matins d’occupation et la morose certitude que demain sera comme aujourd’hui. Les filets inutiles séchent maintenant mais la barque va au moins servir à quelque chose ce matin-là. Jésus y prend place et parle au ras de la surface de l’eau. Les habitants des rivages savent que cette disposition constitue un étonnant amplificateur naturel de la voix. Une sono qui ne se met pas à grésiller comme celle de Ste Bernadette, parfois. La nature ellemême s’offre à amplifier parfaitement des paroles que l’on ne se lasse pas d’entendre. Et puis tombe de la bouche de Jésus cette demande incongrue. « Simon, avance au large et jette les filets». Simon, c’est un pêcheur mais c’est 1 aussi le premier pape. Il a peut-être très envie de dire « Seigneur, question pêche, c’est, vois-tu, la crise des vocations. Les poissons ne se présentent plus. On a tout essayé mais l’époque n’est pas favorable. Nous pourrions probablement trouver des analystes qui nous diraient pourquoi. Le réchauffement climatique, peut-être . Jeter les filets ? Pour quoi faire ? Nous t’avons déjà expliqué que nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». J’imagine Jésus, avec ce regard à la fois bienveillant et amusé relever : - « Toute la nuit, vous avez travaillé toute la nuit, vraiment ? » Et la réponse laconique du pêcheur, qui retient son agacement. - « mais oui, maître, toute la nuit…» - « Et vous n’avez vraiment rien pris ? » - « Rien » - « Et c’est votre métier ? C’est de cette manière que vous gagnez votre vie et celles de votre famille, n’est-ce pas ? Si je comprends bien, c’est la chose pour laquelle vous êtes les plus doués… bien plus que moi qui ne suis que d’une famille de charpentiers… Eh bien…Pouvez-vous jeter les filets quand même parce que je vous le demande ». « Jetez vos filets »… Vous connaissez depuis longtemps la suite. Vous savez la quantité énorme de poissons prise ce jour-là, à l’exacte mesure de la foule si nombreuse qui repart. Combien de fois aurions-nous envie de dire « question Evangélilsation, cela ne marche pas, nous avons tout essayé… C’est la crise des vocations, Seigneur. Aujourd’hui dans notre beau pays, pour un prêtre ordonné chaque année, il en meurt huit.» Et voilà que Le Christ nous redit « avance au large ! Jetez vos filets, ayez confiance…» « Désormais, Simon, ce sont des hommes que tu prendras… » Laissez vos filets et suivez-moi ou plutôt laissez vos péchés et filez… On l’aura compris, l’objet de cette pêche abondante n’est pas de procurer des ressources à la trésorerie de la paroisse ou plutôt du groupe des apôtres. Il s’agit bien d’une « parabole en actes ». Un évènement qui fait signe, qui donne à réfléchir mais aussi à s’enthousiasmer. Se doute-t-il, 2 ce jour-là, le petit patron-pêcheur des bords du lac de Galilée que son aventure le mènera jusqu’à Rome, la capitale mythique d’un immense empire dont il a bien du mal sans doute à soupçonner l’ampleur et la puissance ? Se doute-t-il que vingt et un siècles après ce coup de filet mémorable, il y aura sur notre planète deux milliards de chrétiens dont un milliard dans notre Eglise catholique ? « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras »… Pêcheur d’hommes… Voilà désormais l’avenir de Pierre et de ses amis… Mais n’est-ce pas contre les droits humains que de pêcher les hommes ? Les capturer dans les mailles de l’Eglise, n’est-ce pas une image assez déplaisante ? En grec, le sens du mot employé dans le texte est « prendre vivant ». La signification corrige ce que pourrait avoir de brutal l’expression française. Pêcher, c’est, pour nous, arracher les poissons à leur milieu naturel, c'est les tuer parce que la mer est leur espace vital et que hors de l’eau ils étouffent... Mais quand il s'agit des hommes que l'on arrache à la mer, ce mot signifie sauver : prendre vivants des hommes, les maintenir en vie, les arracher à la mer, les empêcher de se noyer. C’est finalement les sauver. Voilà le programme. Sur cette phrase de Jésus, « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras », Pierre ne répond pas avec des mots mais avec une action ; la simplicité du texte est impressionnante : « Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. » Pêcher des hommes requiert patience et imagination, rayonnement et témoignage. La pêche industrielle a montré ses limites et n’est pas toujours bonne pour l’équilibre écologique. C’est vrai aussi dans le domaine spirituel. Contrairement aux poissons, les hommes ont leur liberté que Dieu veut respecter infiniment. Sachons, ensemble, nous réjouir plus modestement pour celles et ceux qui nous rejoignent, attirés par le message d’amour et de tendresse des Evangiles, de celles et ceux qui reviennent aussi après un long temps d’absence, trouvant finalement dans le message du Christ des réponses aux questions qu’ils ne se posaient pas toujours au temps de leur jeunesse. Pierre sera pêcheur d’hommes pour croire en la commune fraternité d’une humanité pourtant si souvent portée à s’opposer et s’entredéchirer. Pêcheur d’hommes pour croire que toute personne, quelle que soit son histoire chaotique ou malmenée est invitée à entrer dans ce projet qui dit à la fois l’unicité et la beauté de tout être humain et sa capacité de vivre un monde fraternel. 3 « Pêcheur d’hommes, ce sont des hommes que tu prendras ». Peut-être pensons-nous finalement que cette parole ne s’adresse qu’à l’apôtre Pierre, le premier pape, et à ses successeurs qui portent en souvenir de cette phrase de Jésus l’anneau du pêcheur, l'insigne représentant la pêche de Pierre, que reçoit le pape au début de son pontificat. Mais être pêcheur d’hommes, cela n’est pas seulement la spécialité du pape et des évêques, des prêtres et des diacres mais bien de chacune et de chacun, à sa mesure, parfois d’une manière tellement simple… Prenons-nous vraiment conscience de ce qui nous est annoncé ce dimanche ? Saint Antoine, l’ermite égyptien fondateur de toutes les communautés des moines du désert, avait grandement le désir de devenir saint, de progresser toujours sur le chemin de la sainteté. Et voilà qu’il apprend qu’à Alexandrie, un petit cordonnier est plus avancé que lui sur le chemin de la sainteté. Il fait le voyage et lui dit : - « Que fais-tu pour être plus avancé que moi sur le chemin de la vie chrétienne ? » - Je fabrique des chaussures. - Il doit y avoir autre chose. Moi, je ne pense qu’à Dieu, cela me semble plus noble et spirituel que de penser à des chaussures. Comment occupes-tu ton temps ? - Je fais les trois huit. Huit heures de travail, huit heures de prières, huit heures pour manger et dormir. - Moi je prie tout le temps, répond saint Antoine. Il doit y avoir autre chose. La pauvreté, peut-être ? - Là aussi je fais trois parts, une pour ma famille, une pour l’Eglise et une pour les pauvres. - Moi j’ai tout donné, il doit y avoir autre chose. Mais dis-mois tu vis dans cette immense ville de perdition, pleine de péché. Alexandrie, quelle mauvaise réputation. Cela ne te fait rien ? - Oh si répond le cordonnier. Cela me tourmente. Je vous ai dit que je dormais huit heures mais ce n’est pas vrai. Pendant que je veille je dis à Dieu « Je vous en supplie, faites-moi peut-être descendre en enfer vivant, prenez tout ce que j’ai, mais que tous les habitants d’Alexandrie puissent être sauvés et marcher sur le chemin du bien. » Alors saint Antoine se retira discrètement en se disant « je ne suis pas encore capable d’une telle prière ». Pêcheur d’hommes, c’est désirer que tous trouvent un chemin de paix et de bonheur. 4