Mutilation génitale féminine

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Mutilation génitale féminine
Formation médicale continue
Fiche de pathologie vulvaire
Ann Dermatol Venereol
2007;134:500-1
Mutilation génitale féminine
M. MSEDDI, S. BOUASSIDA, H. TURKI
Observation
Une jeune fille libyenne, âgée de 9 ans, se présentait à notre
consultation pour un prurit vulvaire. Depuis 6 jours, elle accompagnait ses parents lors d’un séjour à Sfax (Tunisie).
À l’interrogatoire, la fillette avait un prurit génital depuis
3 semaines avec une accentuation importante et une insomnie depuis 5 jours. On ne notait pas de notion de prurit dans
la famille, ni d’autre signe accompagnateur, ni de pertes vaginales. On révélait seulement la notion de diabète chez la mère.
L’examen montrait un aspect érythémateux de la région
vulvaire avec un dépôt blanchâtre au fond des plis inguinaux
et quelques excoriations de grattage. À notre surprise, on notait une fusion des deux grandes lèvres, le clitoris n’était pas
apparent ainsi que les petites lèvres et il ne persistait qu’une
petite fente en regard de l’orifice méatique. On notait une pilosité pubienne débutante (fig. 1).
En reprenant l’interrogatoire avec les parents, l’aspect que
présentait leur fille n’était que la « circoncision », que la majorité des filles subissent dans une ambiance cérémoniale
pour protéger la virginité jusqu’au mariage.
Un traitement à base d’antihistaminique et d’antimycosique local était administré pour la candidose génitale (confirmée par un examen mycologique direct). La fillette, revue
une semaine plus tard indiquait une amélioration du prurit.
surtout au Moyen-Orient et en Afrique (Égypte, Éthiopie,
Libye, Kenya, Nigéria, Somalie, Soudan) [1, 3-6]. Certains
pays atteignent des taux records : Mali, Somalie et Djibouti
(98 p. 100) [7]. En Europe, Australie, Canada et États-Unis,
les MGF concernent des immigrantes [5, 6].
La MGF est pratiquée à un âge variable d’une région à
l’autre (nouveau-nées, fillettes et adolescentes et même des
femmes adultes) [8], pour plusieurs raisons, parfois erronées, d’ordre [6] :
– psycho-sexuel : réduire ou éliminer les tissus sensibles
des OGE féminins, en particulier le clitoris, pour atténuer le
désir sexuel féminin, maintenir la virginité avant le mariage et
la fidélité après celui-ci, et accroître le plaisir sexuel masculin ;
– sociologique : initiation des filles, intégration et maintien
de la cohésion sociale ;
– d’hygiène ou d’esthétique : les OGE de la femme sont
considérés sales et laids ;
– mythique : pour accroître la fécondité et favoriser la survie de l’enfant ;
– religieux : les MGF sont pratiquées par des musulmans,
des chrétiens, des animistes et des athées. Certaines communautés obéissent à des préceptes religieux (cette pratique est
plus ancienne que l’Islam).
Commentaires
L’observation de cette fillette ne présentait aucune particularité pathologique, mais son intérêt réside dans la connaissance et le rappel d’une pratique traditionnelle nuisible pour les
filles et les femmes aussi bien sur le plan physique que psycho-affectif. Cette pratique, peu connue dans certains pays,
reste habituelle et admise dans d’autres.
La mutilation génitale féminine (MGF) désigne toutes les
interventions pratiquées sur les organes génitaux externes
(OGE) féminins incluant leur ablation partielle ou totale
pour une raison non médicale (définition de l’OMS) [1]. Les
termes « circoncision » et « excision » sont utilisés pour passer sous silence la mutilation.
Chaque année, deux millions de filles risquent d’être victimes de MGF et ce nombre ne paraît pas en diminution [2],
Service de Dermatologie, CHU H. Chaker, 3029 Sfax, Tunisie.
Tirés à part : M. MSEDDI, à l’adresse ci-dessus.
E-mail : [email protected]
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Fig. 1. Mutilation génitale féminine type II associée à une candidose génitale.
Ann Dermatol Venereol
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L’opération est pratiquée à domicile (69 p. 100) [9], par
des accoucheuses traditionnelles (52 p. 100) [9] ou des sagesfemmes au moyen d’instruments grossiers et sans anesthésie [4, 5]. Dans les couches plus aisées, elle est parfois pratiquée dans des établissements de santé. On parle de
médicalisation des MGF.
Les MGF sont regroupées en quatre types de gravité croissante [1] :
– type I : excision préputiale +/- ablation partielle ou totale
du clitoris (5,5 p. 100) ;
– type II : excision du clitoris et l’ablation partielle ou totale
des petites lèvres (6,5 p. 100) ;
– type III : excision partielle ou totale des organes génitaux
externes avec suture ou rétrécissement de l’orifice vaginal
(infibulation) ;
– type IV : piqûres, perforations ou incisions du clitoris et/ou
des lèvres ; étirement du clitoris et/ou des lèvres ; cautérisation
du clitoris et du tissu avoisinant ; grattage de l’orifice vaginal ou
incision du vagin ; introduction de substances corrosives ou de
plantes dans le vagin pour rétrécir le vagin après saignements.
Notre patiente présentait le type II. La forme la plus courante est l’excision du clitoris et des petites lèvres (80 à
88 p. 100) [6, 9].
La MGF est une violation des droits féminins réalisée sous
prétexte de préserver la virginité, exigée par les maris, et de
supprimer les pulsions sexuelles. Elle est suivie d’une couture des deux côtés de la vulve. Elle est traumatisante et cause
des préjudices irréparables [10]. La défibulation est naturelle
par les maris dans la majorité des cas (87 p. 100), parfois instrumentale traditionnelle (0,9 p. 100) [9] causant un traumatisme supplémentaire que la tradition perpétue à chaque
naissance quand on coupe à nouveau pour permettre le passage de l’enfant [6, 10].
Les conséquences des MGF sont variables et dépendent
surtout du type [6]. Les complications médicales aiguës
(39 p. 100) sont surtout à type d’hémorragie, infection et rétention urinaire [9]. Les conséquences tardives (12 p. 100)
sont à type de kystes clitoridiens et de problèmes urinaires
(douleur, incontinence et obstacle) [9].
La MGF peut entraîner la mort par choc hémorragique [1].
Un état de choc et une commotion cérébrale peuvent être secondaires à la douleur violente, le traumatisme psychologique et l’épuisement [9]. L’impact psychologique de la MGF
est très important [2, 11] : des anomalies psychiatriques
(47,9 p. 100), un stress post-traumatique voire des troubles
de mémoire (30,7 p. 100) [10].
L’infection est une complication classique de la MGF [1] :
elle peut être ascendante atteignant les organes génitaux internes (stérilité tubaire post-inflammatoire), causer une pelvipéritonite voire une septicémie [3].
Le kyste clitoridien ou l’inclusion kystique clitoridienne est
la complication la plus fréquente [1, 12]. Il survient à un âge
précoce, dans un délai de 10 à 20 ans, (22 à 25 ans). L’évolution est lente avec nécessité d’une cure chirurgicale [11, 13].
La MFG contribue aussi à majorer la mortalité et la morbidité de la mère et de l’enfant [6]. Des problèmes peuvent sur-
venir au cours des grossesses, de l’accouchement (13 p. 100)
et de la période obstétricale [6, 9], avec risque d’arrêt de progression du travail, d’hémorragie, d’infection et d’hématocolpos (3,4 p. 100) [1, 4, 5, 9]. La défibulation est parfois
nécessaire pour la délivrance [6].
D’autres conséquences sont possibles : non-cicatrisation,
formation d’abcès, prédisposition au VIH/SIDA, à l’hépatite
et à d’autres maladies transmissibles par le sang, dysménorrhées et dyspareunie.
La majorité de ces complications nécessite une défibulation chirurgicale [1]. La correction esthétique et fonctionnelle
est souvent difficile et incomplète [11, 13].
Une prise de conscience de l’ampleur et de la gravité de ces
pratiques traditionnelles préjudiciables portant atteinte à l’intégrité corporelle et à la santé est obligatoire [1, 2, 8]. La MGF
est une forme de violence à condamner en la criminalisant :
elle doit être punie par la loi qui doit protéger les filles contre
ces pratiques culturelles nuisibles [8, 11]. Cependant, il n’existe aucune mesure pour prévenir les jeunes filles au cours
d’un séjour dans leurs pays d’origine [3]. Cette tradition nuisible se transmet de génération en génération [2].
Le changement d’attitude ne peut être atteint que par
l’éducation et l’information [1, 5, 8].
Références
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