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N° 1229 - Janvier-février 2001 - 96 INITIATIVES DIASPORA VILLAGEOISE ET DÉVELOPPEMENT LOCAL EN AFRIQUE : LE CAS DE THILOGNE ASSOCIATION DÉVELOPPEMENT INITIATIVES par Abdoulaye Kane, Amsterdam’s School for Social Science Research* Thilogne association développement doit son nom à un village haal pulaar de la vallée du fleuve Sénégal. La diaspora villageoise a créé des sections de TAD sur plusieurs continents, initiant un fonctionnement transnational, avec pour buts essentiels l’amélioration des conditions de vie à Thilogne et le maintien du lien avec la communauté d’origine. C’est une observation fine, “de l’intérieur”, qui nous est livrée ici, et un questionnement quant au devenir de ce type d’association face au durcissement des politiques d’immigration des pays d’accueil et au vieillissement des militants associatifs. Les communautés africaines émigrées en France s’organisent pour s’entraider mutuellement dans leur pays d’accueil et pour maintenir les liens de solidarité avec leurs villages d’origine. Elles mettent en place des associations qui regroupent des individus appartenant au même village aux niveaux local, national et à l’étranger. Les ressources financières mobilisées par le biais des contributions périodiques des membres ou par le concours financier de partenaires sont destinées à la prise en charge des ressortissants en difficulté au niveau du pays d’accueil et à la réalisation de projets communautaires liés au développement local au niveau du village d’origine. Les associations villageoises mises en place par les émigrés originaires de la vallée du fleuve Sénégal sont les plus dynamiques dans ce domaine. Compte tenu de la migration des hommes de cette zone dans plusieurs villes africaines, européennes et améri- caines, chaque association villageoise dispose généralement de sections dans les différents pôles d’attraction des ressortissants du village, ce qui a pour conséquence la ramification des associations communautaires villageoises, suivant l’itinéraire des migrants, donnant à ces regroupements un caractère transnational. Ce fait a été négligé par les travaux antérieurs sur les associations villageoises de migrants parce que les recherches se sont souvent focalisées sur le rapport entre une zone de départ et une zone d’arrivée. Or, la diversi* Les informations contenues dans cet article sont tirées d’entretiens avec les membres fondateurs de TAD, les leaders successifs des sections de TAD à Thilogne, Dakar et Paris. Notre participation en tant que membre actif de l’association, aussi bien à Thilogne, à Dakar qu’à Paris, nous a permis d’avoir accès aux assemblées générales, aux réunions de bureau et aux archives de TAD dans ces différents lieux. Nous avons recueilli des renseignements sur les autres sections de la TAD à l’occasion de l’AG annuelle de la section TAD de France, le 23 janvier 1999, où les sections de New York, de Libreville et de Thilogne ont été invitées. UNE STRUCTURE FÉDÉRATIVE Thilogne est un village de près de 5 000 habitants(1) situé dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, à soixante de kilomètres de Matam. Il est exclusivement habité par les Haal Pulaar. Ce village, comme tous ceux de la vallée, est touché par une forte émigration des hommes. La population résidente est nettement dominée par les femmes, les personnes âgées et les enfants de moins de quinze ans. Cependant, les Thilognois, même partis au loin, continuent à entretenir des relations avec leur village d’origine à travers des associations de ressortissants très dynamiques qui ont, en vingt-cinq ans, amélioré de manière significative les conditions de vie des populations locales. Pour mieux intervenir dans le développement du village, les migrants thilognois ont mis 1)- Direction de la prévision et de la statistique (DPS), Répertoire des villages, région de Saint-Louis, RGPH, 1988, 59 pages, p. 38. LE MAINTIEN DES MÉCANISMES DE SOLIDARITÉ L’existence de ce genre de réseaux villageois transnationaux est le corollaire du changement du projet migratoire des hommes de la vallée. Si, au début, la migration des Thilognois était saisonnière et couvrait de courtes distances, à partir des années soixante-dix elle devient N° 1229 - Janvier-février 2001 - 97 en place une structure fédérative de toutes les associations de ressortissants dans les différents pays d’accueil. Cette structure a pour nom Thilogne association développement (TAD) et regroupe tous les ressortissants du village à travers le monde. Elle est composée de plusieurs sections dont les plus dynamiques sont TAD Thilogne, TAD Dakar, TAD France, TAD Libreville, TAD États-Unis et TAD Italie. À l’exception de la section de Thilogne, toutes les autres exigent de leurs membres des cotisations régulières, le plus souvent mensuelles (voir tableau p. 98). Les sections n’ont pas été créées simultanément. Celles de Thilogne et de Dakar ont été mises en place en 1978. Les associations de jeunes dont la fusion a donné naissance à Bural de Thilogne, l’ancêtre de la TAD, ont vu le jour à la fin des années soixante. La section TAD de France est issue d’une association villageoise d’entraide qui date de 1966. Les sections de Libreville, des États-Unis et d’Italie sont très récentes. Les deux dernières n’ont vu le jour qu’au début des années quatre-vingtdix. Ce décalage entre les dates de création des sections dans les différents pays d’accueil s’explique par l’importance des ressortissants du village dans ces derniers. Pendant très longtemps, l’axe Thilogne-Dakar-Paris a été le plus emprunté par les villageois migrants. L’effet des politiques d’immigration en France a modifié les itinéraires des migrants qui, de plus en plus, préfèrent emprunter l’axe ThilogneDakar-New York. INITIATIVES fication des pays d’accueil pour les communautés villageoises de la vallée requiert un dépassement de l’analyse duale pour comprendre les relations entre les migrants et leurs villages d’origine. Cet article a pour objectif de démontrer, à travers l’exemple de Thilogne association développement (TAD), la naissance de diasporas villageoises qui jouent un rôle de plus en plus notoire dans le développement local des communautés d’origine. Au moment où s’opèrent les processus de mondialisation dans tous les domaines, dans quelle mesure les associations villageoises révèlent-elles une capacité d’organisation des communautés locales dans l’espace transnational ? Quels sont les limites et les défis auxquels ce type de réseaux sociaux est appelé à faire face, compte tenu de l’apparition d’une seconde génération et des politiques européennes de contrôle des flux migratoires ? N° 1229 - Janvier-février 2001 - 98 ◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆ Lieu Nombre de membres Montant des cotisations TAD Thilogne Tous les résidents 0 TAD Dakar 309 500 F CFA (5 FF) par an TAD Libreville 60 2 500 F CFA (25 FF) par mois TAD USA 94 20 $ (140 FF) par mois TAD Italie 35 75 FF par mois TAD Paris 228 100 FF par mois INITIATIVES A. Kane, enquête de terrain 1997-1998. durable et de plus en plus lointaine. En effet, le projet initial de migration impliquait un retour cyclique au village où demeurait la famille. Dans ce cas, le maintien des relations entre le migrant et son village est inéluctable. Il doit opérer des transferts monétaires pour construire une maison à Thilogne et, si possible, une autre à Dakar. En même temps, il est tenu d’envoyer régulièrement de l’argent pour entretenir sa propre famille. Le changement du projet initial de migration est le résultat de deux facteurs conjugués. Au niveau du pays de départ, la désarticulation des systèmes locaux de production et les sécheresses répétitives n’offrent aucune autre perspective que celle de l’émigration durable ; au niveau des pays d’accueil, les politiques d’immigration poussent les immigrés en règle à procéder au regroupement familial et à se stabiliser en entamant un processus d’intégration. Mais ce changement de perspective dans les choix des migrants n’implique pas, comme on pourrait le croire, un relâchement des relations entre ces derniers et leurs communautés d’origine. C’est ce maintien des mécanismes de solidarité entre les migrants dans différents pays et leur village d’origine, malgré le déclenche- ment des processus d’intégration dans les sociétés d’accueil, qui nous autorise à parler de la naissance de diaspora villageoise participant de manière dynamique au développement local des villages d’origine. LA PROTECTION SOCIALE, UN OBJECTIF MAJEUR Les associations des migrants de la vallée affichent souvent deux objectifs majeurs : la protection sociale des adhérents et de leurs familles dans le pays d’accueil, et le financement des projets de développement au profit du village d’origine. Il faut souligner que les associations de ressortissants se sont préoccupées en premier lieu de la protection sociale de leurs adhérents. Elles ne se sont orientées vers le développement local que vers la fin des années soixante-dix. La constitution des mutuelles villageoises de protection sociale dans les pôles d’attraction de la migration rurale s’est faite de manière spontanée en suivant les structures sociales et spatiales des villages d’origine(2). Les émigrés thilognois à Dakar se sont regroupés selon deux critères 2)- Abdoulaye Bara Diop, Société toucouleur et migration, Ifan, 1965, 232 p. LE SOUCI DU DÉVELOPPEMENT LOCAL En ce qui concerne les réalisations de la TAD (présentées de manière chronologique dans le tableau p. 101), notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, on constate deux changements essentiels dans l’intervention des Thilognois au niveau de leur village. Le premier changement est relatif au passage d’une action dirigée vers la protection sociale des ressortissants dans leurs lieux respectifs d’accueil, à une action plus citoyenne destinée à combler le vide laissé par l’État sénégalais dans sa politique de désengagement des secteurs dits non productifs. Le second marque le UN EFFORT PARTICULIER POUR L’ENSEIGNEMENT À partir de 1985, les jeunes Thilognois, qui ont, pour certains, un niveau d’instruction universitaire, vont prendre la direction de l’association. Leur première action a été de faire des N° 1229 - Janvier-février 2001 - 99 passage d’une action orientée vers la construction de monuments religieux à une action plus soucieuse du bien-être des populations locales, notamment l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à l’eau potable. Les interventions de TAD touchent plusieurs domaines. Les premières ont mis l’accent sur le domaine religieux. La construction du mur du cimetière et les restaurations de la grande mosquée ont été entreprises dans les premières années d’existence de l’association. Cependant, dès le début des années quatre-vingt, elle avait commencé à participer à la construction et à l’équipement des salles de classes au niveau de l’école élémentaire de Thilogne. Mais c’est à la fin de la même décennie et au début des années quatre-vingt-dix que les réalisations d’envergure ont été accomplies dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’accès à l’eau potable. Les réalisations exposées ici correspondent à celles qui ont été financées, pour l’essentiel, par la section de TAD en France. Les sections de TAD à Libreville et aux États-Unis n’ont commencé à participer activement au financement des projets communautaires que très récemment. Jusqu’en 1987, TAD ne comptait que sur ses propres forces. Pour l’essentiel, les leaders de la mutuelle, entre 1977 et 1985 n’avaient pas développé une politique d’ouverture envers la société française. La plupart d’entre eux n’avaient qu’un niveau faible d’instruction et n’étaient donc pas en mesure d’avoir accès à l’information sur les opportunités qu’ils pouvaient saisir en tant qu’association en s’ouvrant à leur environnement. INITIATIVES essentiels : la parenté et le voisinage par référence au village d’origine. Ainsi, les personnes venant du même village, du même quartier se réunissent sur cette base pour s’entraider dans un milieu perçu comme étranger et incertain. Selon la même logique, les personnes issues d’une même famille élargie, d’une même caste se regroupent pour mettre en place des mécanismes de solidarité fondés sur des principes communautaires et mutuels. Ces formes d’organisation ont joué un rôle capital dans le processus d’adaptation des thilognois à la vie urbaine dans les grandes villes d’accueil. Les nouveaux migrants à Dakar, dans les autres villes africaines, européennes ou américaines sont pris en charge dès leur arrivée par des associations de ressortissants bien organisées. Au-delà de ces préoccupations de protection sociale, les ressortissants se sont organisés pour participer de manière collective à l’amélioration des conditions de vie de leur village d’origine. D’ailleurs, ce que l’on retient des associations villageoises de ressortissants ces deux dernières décennies est inéluctablement leur rôle d’acteur principal du développement dans la vallée du fleuve Sénégal. N° 1229 - Janvier-février 2001 - 100 INITIATIVES démarches pour enregistrer TAD auprès des autorités compétentes en France. Ils définissent alors toute une politique d’ouverture en contactant des associations, des ONG et des municipalités françaises pour des actions de partenariat. En effet, avec l’aide de ses partenaires, TAD a pu concrétiser un certain nombre de projets. En 1988, elle procède à la construction de quatre salles de classes pour le collège d’enseignement moyen, pour une valeur de 104 510 FF, avec des participations financières du Comité laïque d’aide au développement (Cled) à hauteur de 40 000 FF, des associations de ressortissants des villages environnants (14 500 FF) et de l’Association des ressortissants sénégalais de Thilogne en France (ARSTF), à hauteur de 50 010 FF. Avant la construction de ce collège, les élèves du village étaient obligés d’aller poursuivre leurs études soit à Matam, soit à Saint-Louis. Compte tenu des difficultés énormes qu’ils rencontraient dans ces deux villes, TAD a jugé nécessaire d’avoir un collège d’enseignement secondaire au niveau du village. En 1989, TAD finance la construction de l’enceinte du collège et l’achat des portails pour ce même CES ainsi que pour l’école primaire et le dispensaire, investissant ainsi 50 000 FF. Elle reçoit 30 000 FF de l’association Club de prévention de Sedan-Ouest, plus la présence de quatorze personnes sur le chantier. Elle a également bénéficié d’un soutien financier de 10 000 FF de la part de l’association Orléans Tiers-Monde. L’ARSTF a aussi contribué au financement de ce projet en prenant en charge les frais de transport des personnes et du matériel (10 000 FF). En 1991, TAD a entrepris la construction de la bibliothèque du CES de Thilogne, pour un coût global de 27 000 FF, avec l’aide de l’association Orléans Tiers-Monde (5 000 FF), les Amis du tiers-monde de Jargeau (7 000 FF) et le conseil municipal des Jeunes d’Orléans (10 000 FF). La même année, les salles de classe de l’école primaire de Thilogne ont été rénovées par un groupe de cinq jeunes scouts de CharlevilleMézières, pour un coût financier de 12 000 FF entièrement pris en charge par TAD. Les jeunes filles de Thilogne en tenue traditionnelle lors des journées culturelles de la TAD, août 2000 (D.R.). Années Nature de la réalisation Montant du coût en FF 1977 Construction de l’enceinte du cimetière 50 000 FF 1978 Rénovation de la maternité 10 000 FF 1980 Construction de trois salles de classe 20 000 FF pour l’école primaire 1982 Construction de trois salles de classe 25 000 FF pour l’école primaire 1984 Achat de tables et de bancs pour les salles de classe 16 000 FF 1986 Achat d’une table d’accouchement pour la maternité 6 750 FF 1987 Équipement de la maternité (25 matelas et 50 draps) 6 173 FF 1988 Construction des enceintes de l’école primaire 61 079 FF 1989 Envoi d’une aide financière aux rapatriés 10 000 FF N° 1229 - Janvier-février 2001 - 101 ◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆ de Mauritanie En 1993, TAD réceptionne un don de matériel médical et de médicaments offerts par l’hôpital de Nancy. Un dépôt de médicaments est créé et géré par un jeune Thilognois payé par la TAD. Les médicaments du dépôt sont vendus au villageois à un prix avantageux par rapport aux prix du marché pharmaceutique. L’argent obtenu par la vente des médicaments reçus gratuitement permet de renouveler jusqu’à un certain point le stock du dépôt, ce qui renforce la qualité et l’accessibilité des services sanitaires au niveau du dispensaire de Thilogne. LA DIASPORA SE SUBSTITUE À L’ÉTAT DANS LE SECTEUR SOCIAL En 1994, TAD finance entièrement un équipement de forage – moteur, pompe et transport – pour un montant de 120 000 FF. Elle finance également, sur fonds propres, la construction de l’abri du moteur du forage et procède à la réfection du réseau de distribution d’eau (11 000 FF). Elle prend en charge le séjour d’une mission de six membres d’Ingénieurs sans frontière venus inspecter la qualité du réseau de distribution d’eau et y apporter des améliorations. Dans le courant de la même année, TAD entreprend, avec l’aide de ses partenaires, la construction de trois salles de classe pour la deuxième école primaire de Thilogne, le coût global des travaux s’élevant à 30 000 FF. Comme pour les autres réalisations, les partenaires participent financièrement à cette construction. TAD a ainsi reçu un soutien financier d’Orléans Tiers-Monde (10 000 FF), de l’association Baobab de Nancy (5 000 FF) et des recettes-repas du lycée d’enseignement général et technologique agricole de Châteauroux et de l’Association des personnels du ministère de l’Agriculture (également 5 000 FF). Le reste du montant, soit 10 000 FF, est tiré sur les fonds propres de TAD France. Avec l’augmentation normale des effectifs au niveau primaire, due à l’augmentation du taux de scolarisation au niveau national, TAD a senti le besoin de construire une INITIATIVES A. Kane, enquête de terrain 1997-1998, archives TAD de France. N° 1229 - Janvier-février 2001 - 102 INITIATIVES deuxième école pour maintenir de bonnes conditions d’études pour les enfants du village et des villages environnants. En 1995, TAD débourse 200 000 FF pour l’extension du réseau de distribution d’eau dans l’ensemble du village, extension qui permet aux ménages d’accéder à l’eau potable et d’alléger les corvées quotidiennes des femmes, qui parcouraient de longues distances pour puiser de l’eau dans des puits à ciel ouvert.Le coût du projet est évalué à 700 000 FF. Le restant de la somme a été fourni par les partenaires de TAD en France et les sections de l’association à Libreville et aux États-Unis. Ces réalisations de TAD au cours des deux dernières décennies dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’accès à l’eau potable ont été cruciales pour les populations dans un contexte d’ajustement structurel. L’État sénégalais a appliqué une politique de désengagement des secteurs sociaux, laissant les populations à elles-mêmes. C’est ce vide laissé par l’État que TAD a su combler par la mobilisation de ressources au niveau des pays d’accueil pour satisfaire les besoins fondamentaux des Thilognois. Désormais, les migrants thilognois à travers le monde forment une diaspora villageoise bien organisée et solidaire pour le développement de leur village. LA TRANSNATIONALITÉ DE TAD Ce qui fait l’originalité des associations villageoises de ressortissants ou de développement comme TAD, par rapport aux autres réseaux sociaux de migrants, c’est leur caractère transnational. TAD est présente dans plusieurs pays, dont le Sénégal, le Gabon, la France, les ÉtatsUnis, pour ne citer que les sections les plus dynamiques. Les différentes sections ont en commun un objectif : participer activement à la réalisation de projets communautaires au niveau du village d’origine. Parallèlement à cet objectif fondamental, chaque section peut poursuivre d’autres buts de manière autonome. Ainsi, en France, au Gabon et aux États-Unis, TAD protège les adhérents contre un certain nombre de risques au niveau de la société d’accueil. Les différentes sections entretiennent entre elles des contacts réguliers par correspondance, téléphone, fax ou e-mail. Mieux, elles organisent des journées culturelles à Thilogne, au cours desquelles les dirigeants se rencontrent et discutent des actions à entreprendre et des modalités de leur financement. Les dernières journées culturelles ont été organisées en août 2000. Leur but est de réaffirmer l’attachement des migrants à leur terre natale et à leurs traditions ancestrales. Elles sont aussi l’occasion, pour les villageois, de fêter les émigrés en héros. Ils affirmeront tout au long des journées leur reconnaissance et leur gratitude envers la diaspora pour les réalisations dans le domaine du développement local. Audelà des journées culturelles, qui se tiennent tous les deux ans, les dirigeants des différentes sections s’invitent à l’occasion de leurs assemblées générales annuelles respectives. Ainsi, le 23 janvier 1999, les dirigeants des sections de Thilogne, de Libreville et des États-Unis ont été invités à assister à l’assemblée générale annuelle de TAD France. À cette occasion, les différentes sections ont décidé de mettre sur pied un comité de coordination dans lequel chacune d’entre elles sera représentée. Il semble y avoir entre les différentes sections une division des tâches qui tient compte des opportunités qui s’offrent aux unes et aux autres en fonction du lieu d’emplacement. Ainsi les sections à l’étranger, en l’occurrence à Paris, New York et Libreville, constituent-elles les bailleurs de fonds assurant le financement des projets. TAD Dakar est davantage orientée vers les rapports avec le pouvoir central pour, par exemple, disposer du personnel enseignant ou sanitaire per- N° 1229 - Janvier-février 2001 - 103 REMARQUABLE PERSISTANCE DU LIEN COMMUNAUTAIRE Ce caractère transnational des associations villageoises n’est pas une exception thilognoise. En effet, la quasi-totalité des villages de la vallée du fleuve Sénégal dispose de la même forme d’organisation dans l’espace transnational(3). L’Association pour le développement d’Ourosogui (Ado) ou l’Association de liaison pour le développement des Agnam (Alda) présentent les mêmes caractéristiques dans l’espace transnational(4). Suivant les itinéraires des migrants, les associations villageoises se ramifient à travers les villes d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. En dehors des systèmes d’entraide mutuelle, qui sont destinés à assurer aux ressortissants une protection sociale contre l’adversité et les incertitudes de la vie urbaine, le maintien des relations avec les villages d’origine soulève des interrogations par rapport aux motivations qui le justifient. En d’autres termes, s’il est facile d’expliquer l’entraide mutuelle entre émigrés, il est difficile de comprendre la persistance du lien communautaire dans un espace transnational. Deux réponses peuvent être avancées pour résoudre cette énigme. La première est d’ordre moral et consiste à dire qu’il est du devoir des migrants de payer la dette sociale qu’ils ont contractée envers leur communauté d’origine tout au long de leur itinéraire de migration. En effet, ils ont dû s’appuyer sur un certain nombre de mécanismes de solidarité communautaire 3)- Christophe Daum, “Ici et là-bas. Immigration et développement. Les associations des immigrés ouestafricains en France”, in Migrations Société, vol. VI, n° 32, mars-avril 1994, pp. 99-110. 4)- Abdoul Hameth Ba, “Incidence des réseaux migratoires sur les pays de départ : le cas de la migration sénégalaise”, Dynamiques migratoires et rencontres ethniques, Ida Simon-Barouh (dir.), L’Harmattan, 1998, pp. 89-102. INITIATIVES mettant de rendre fonctionnelles les infrastructures mises en place par l’association, ou encore négocier avec la douane pour faire sortir du port ou de l’aéroport du matériel envoyé par les sections à l’étranger. La section locale, elle, fournit la main-d’œuvre au moment de la construction et assume les fonctions de gestion et de maintien des équipements collectifs ainsi acquis. N° 1229 - Janvier-février 2001 - 104 mènent une vie marginale dans leur société d’accueil. De plus, la reconnaissance des villageois envers les émigrés ouvre pour ces derniers les portes du pouvoir au sein des instances de décision du pays d’origine. Le cas d’un émigré retraité devenu le premier adjoint au maire de Thilogne est assez exemplaire dans ce sens. INITIATIVES LIMITES ET DÉFIS DE L’ASSOCIATION Allocution du président de TAD France (D.R.). pour arriver là où ils sont. Certains d’entre eux ont bénéficié de soutiens financiers réguliers de la part de leurs familles et d’autres ont été hébergés, nourris et soignés gratuitement par des parents, des voisins et des amis dans une étape de leur migration. C’est dire que les émigrés doivent d’une manière ou d’une autre quelque chose à leur communauté villageoise. Dans cette perspective, ils sont obligés de renvoyer l’ascenseur aux villageois. La deuxième explication est d’ordre sociopsychologique et met l’accent sur le prestige social et la reconnaissance que les émigrés gagnent en contrepartie de leur intervention dans le développement de leur village. Ce prestige et cette reconnaissance par la communauté d’origine sont d’autant plus importants que les émigrés Naturellement, les associations villageoises comme TAD connaissent des limites, compte tenu de la nature de leurs interventions. Comme nous l’avons souligné plus haut, l’association n’intervient presque exclusivement que dans les secteurs sociaux. En effet, les réalisations touchent essentiellement à l’éducation, à la santé, à l’accès à l’eau et à des domaines religieux et coutumiers. Il n’y a pas eu de réalisations communautaires sur le plan économique. Or il est évident qu’à long terme, seul un développement de l’économie locale s’accompagnant de la création d’entreprises et d’emplois pourrait consolider et, s’il le faut, remplacer l’action volontaire des migrants au profit du village. L’un des défis majeurs auxquels les réseaux sociaux transnationaux comme TAD sont appelés à faire face dans un futur proche est sans aucun doute leur reproduction, dont dépend le maintien du cordon ombilical avec les pays d’origine. Les effets des politiques de contrôle des flux migratoires en Europe et plus particulièrement en France pèsent de tout leur poids POUR CES STRUCTURES ? Face à ce problème du vieillissement des effectifs, qui risque d’engendrer des déséquilibres financiers conséquents, il y a deux fragiles espoirs. Le premier est la prise de 5)- Christophe Daum, “Développement des pays d’origine et flux migratoire : La nécessaire déconnexion”, in H&M, dossier “Migrants et solidarités Nord-Sud”, n° 1214, juillet-août 1998, pp. 58-73. L’auteur fait une bonne critique de la politique dite de codéveloppement en s’interrogeant sur la pertinence du lien établi entre contrôle des flux migratoires et coopération avec les pays d’émigration. N° 1229 - Janvier-février 2001 - 105 INITIATIVES sur l’avenir des associations de ressortissants conscience de plus en plus aiguë des décide la vallée du fleuve Sénégal. Le recrutement deurs politiques, dans les pays d’accueil, du rôle de nouveaux membres au sein de la section TAD vital des réseaux sociaux issus de l’immigration de France est de plus en plus problématique, dans le devenir des pays d’origine. Ainsi se descar le contrôle sévère aux frontières et la dissine, chez les autorités françaises, une volonté crimination des migrants pour cause éconod’appui des associations villageoises de dévemique dans l’octroi des loppement dans leurs visas d’entrée empêche efforts pour améliorer Le durcissement de nouveaux arrivages en les conditions d’exisprovenance du village. tence de leurs régions des politiques d’émigration Entre 1993 et 1999, il n’y d’origine. La logique dans les pays d’accueil a eu que six recrutements sous-jacente de ce souet l’avènement – dont quatre sont des étutien un peu tardif est diants thilognois venus qu’en contribuant au d’une deuxième génération poursuivre leurs études en développement éconoqui ne doit presque rien Europe –, contre plus mique et social de leurs au village auront d’une centaine respectivillages respectifs d’oritrès certainement un effet vement pour les périodes gine, les immigrés de la 1966-1980 et 1981-1993. vallée s’attaquent, à long terme Ce qui veut dire que le d’une certaine façon, sur le dynamisme vieillissement des effecaux causes mêmes de de ce type d’association. tifs par défaut de rajeul’émigration des popunissement aura tôt ou tard lations de cette zone. des effets négatifs consiIls servent par consédérables sur l’existence de tels réseaux. Près de quent l’intérêt de la France en diminuant par la moitié des adhérents seront à la retraite d’ici leurs actions l’importance du flux migratoire en dix ans. En fait, cette moitié est d’autant plus provenance de la région. C’est sur cette base vitale pour l’association qu’elle dispose d’un traillusoire que repose toute la politique dite de vail salarié permanent et contribue par consécodéveloppement(5). quent énormément sur le plan financier. L’autre Cette politique a été initiée par Sami Naïr, moitié compte essentiellement des jeunes de plus alors délégué interministériel au Codévelopde trente ans avec des emplois précaires, c’estpement et aux Migrations internationales, qui à-dire à durée déterminée, des étudiants, des définit les grands axes de cette politique dans malades et des retraités qui dépendent de l’asun rapport remis à Lionel Jospin le 10 décembre sociation plus qu’ils n’y contribuent. 1997. Elle peut être résumée comme une volonté du gouvernement français de changer QUEL FUTUR l’orientation de sa coopération avec les pays N° 1229 - Janvier-février 2001 - 106 INITIATIVES d’émigration, dont l’Afrique noire, pour parvenir à un contrôle plus efficace des flux migratoires en provenance de ces derniers. La politique de codéveloppement s’appuie sur la position charnière des immigrés entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine. Il faudrait stimuler les acteurs individuels et collectifs en milieu immigré pour qu’ils s’investissent davantage dans la création d’entreprises au niveau de leurs pays d’origine. Dans cette perspective, les associations villageoises sont sans aucun doute des interlocuteurs privilégiés, au vu des réalisations importantes qu’elles ont pu faire dans le cadre du développement de leur communauté d’origine. L’éventuel soutien qu’elles recevront des pouvoirs publics français aidera peut être à les sauver du danger qui les guette avec le vieillissement des effectifs. LE MANQUE D’INTÉRÊT DES JEUNES GÉNÉRATIONS Le second espoir pour la survie des réseaux sociaux comme TAD est l’émergence d’une deuxième génération composée des fils et filles des émigrés de la première génération, dont la plupart sont nés et ont grandi en France. En effet, les membres de la TAD, conscients des problèmes de la relève, ont défini une stratégie pour intéresser les jeunes à la vie communautaire autour de l’association villageoise. En 1998 ils ont créé TAD-jeunes, qui regroupe les jeunes migrants et les enfants issus de l’immigration. On organise des rencontres, des discussions, des caravanes au village pour sensibiliser les jeunes sur la nécessité de continuer le travail commencé par leurs parents. Mais cet effort de récupération ne semble pas être fructueux. Les jeunes de la deuxième génération ne sentent nullement l’obligation de participer à l’association villageoise. Contrairement à leurs parents, qui ont contracté une dette sociale envers leurs familles au village, dette qui les oblige à rester solidaires de la communauté, les enfants des migrants ne doivent absolument rien au village. Le lien émotionnel fort entre l’émigré et sa terre natale – dont le souci du rapatriement du corps au village après la mort est un bon indicateur – n’est pas reproductible entre les jeunes de la deuxième génération et le village d’origine de leurs parents. L’exemple de Thilogne association développement permet de saisir la contribution d’une diaspora villageoise à la réalisation de projets communautaires dont l’objectif est d’améliorer les conditions de vie dans les localités d’origine. Ce qui est sans nul doute frappant, c’est la capacité d’organisation d’une communauté villageoise dans un espace transnational. Mais peut-on en conclure que les structures locales sont capables de s’adapter ou, encore mieux, de tirer profit des processus actuels de mondialisation ? Quelle que soit l’admiration que l’on peut avoir pour ces formes locales d’organisation à caractère transnational, on ne doit pas perdre de vue qu’elles dépendent fortement de l’émigration. Or le durcissement des politiques d’émigration dans les pays d’accueil et l’avènement d’une deuxième génération qui ne doit presque rien au village auront très certainement un effet à long terme sur le dynamisme de ce type d’association. Les recherches futures doivent s’orienter vers l’identification des défis auxquels les diasporas villageoises seront appelées à faire face dans leur volonté de maintenir le cordon ombilical avec leurs communautés d’origine. ✪ ◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆◆ ● Jacques Barou, “Des chiffres et des hommes”, in H&M, dossier “Les Africains noirs en France I- Aspects socio-économiques et conditions de vie”, n° 1131, avril 1990, pp. 5-13 ; “Des chiffres en général et de ceux de l’Insee en particulier : le classement des données”, in Migrants forma- tion, n° 91, décembre 1992, pp. 5-23 ; Dynamique d’adaptation et différence chez les travailleurs africains immigrés en France”, in Cahiers d’anthropologie, 1975, n° 4, pp. 1-15. ● Christophe Daum, Les associations de Maliens en France. 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Traduction française de In the Care of the State, première publication par Polity Press en collaboration avec Basil Blackwell, 1988. ● Catherine Quiminal, “Du foyer au village : l’initiative retrouvée”, in H&M, dossier “Les Africains noirs en France - I- Aspects socio-économiques et conditions de vie”, n° 1131, avril 1990, pp. 19-24. ● Catherine Quiminal, Gens d’ici, gens d’ailleurs, Christian Bourgeois, Paris, 1991, 222 p. INITIATIVES ●