Doxa, Idéologie et Ideology : trois approches pour une notion

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Doxa, Idéologie et Ideology : trois approches pour une notion
ADÈLE PETITCLERC
Laseldi (EA 2281), Université de Franche-Comté
[email protected]
Doxa, Idéologie et Ideology : trois approches pour une notion.
Comparaison entre deux courants d’analyse du discours
Cette étude sur la notion d’idéologie s’inscrit dans l’approche plus globale d’une mise en
perspective de deux courants d’analyse du discours, l’analyse du discours telle qu’elle peut
être pratiquée en France, à la suite, ou en rupture, avec l’Ecole Française d’Analyse du
Discours, et la Critical Discourse Analysis (abrégée ensuite CDA), courant anglo-saxon
d’analyse critique du discours qui va être présenté en détails dans une première partie.
Les théoriciens de l’analyse de discours se sont constitués depuis les années 70 en
courants qui restent encore aujourd’hui fortement ancrées nationalement et dans
l’ignorance, ou la méconnaissance, les unes des autres sur le plan international. Pourtant,
de plus en plus de chercheurs français, ou se réclamant de l’Ecole Française d’Analyse du
Discours, commencent à prendre conscience de l’apport que pourraient constituer des
thèses ayant des racines à la fois dans la pragmatique anglo-saxonne et dans les courants
wittgensteiniens, notamment.
Il s’agit donc de prendre la mesure de ce manque de relations scientifiques et de
commencer à le combler en travaillant à la fois à traduire, à éditer et à produire l’appareil
et l’approche critiques nécessaires. Notre ambition est alors de recenser les travaux
fondateurs anglo-saxons d’analyse de discours, de constituer les paradigmes nécessaires et
propres à dynamiser le débat entre les communautés de chercheurs, d’éclairer les logiques
épistémologiques propres aux deux écoles et de faire le point des méthodologies, en
particulier en « analyse automatique des discours » (travaux liés aux outils informatiques et
statistiques).
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C’est dans cette perspective que cet article se place. Il vise à présenter une première
partie de ce travail, centrée autour de la notion d’idéologie. Cette notion est centrale à la
fois pour les fondateurs et les inspirateurs de l’Ecole Française d’Analyse du Discours, mais
également pour les chercheurs impliqués dans la CDA. Cependant, les concepts, les
références et les définitions utilisés ne sont pas identiques. Nous nous emploierons donc à
montrer les différents regards portés sur l’idéologie à travers une étude du concept de
ideology en CDA et des concepts qui lui correspondent en analyse de discours française,
c'est-à-dire les concepts de doxa et d’idéologie. Ceci nous permettra alors de proposer en
conclusion une réflexion sur la traduction de ideology en français.
1.
Critical Discourse Analysis : Quelques repères
La CDA est un courant d’analyse de discours qui s’est développé à la fin des années
1980, début des années 1990. Le premier ouvrage cherchant à jeter les bases théoriques de
la CDA est publié par Norman Fairclough en 1989, il s’agit de Language and Power.
La CDA est née en réaction à la pragmatique des années 1970-1980 – notamment à la
théorie des actes de langage d’Austin – ainsi qu’à la sociolinguistique quantitative de Labov,
et se pose en théorie critique de ces courants, visant à ré-asserter la primauté du lien entre
discours (entendu ici en tant que structure linguistique) et contexte social de production,
l’un influençant fortement l’autre. Carmen Caldas-Coulthard (1997 :13) l’explique
parfaitement : « Une analyse critique de discours déconstruit les textes en les plaçant dans les
contextes sociaux et en essayant d’expliquer les forces sociales derrière le discours. Une lecture
critique permet les connections entre langage et les relations de pouvoir et de contrôle. » De
plus, la CDA questionne le rôle du chercheur en tant qu’acteur social : il s’agit de ne pas le
considérer comme un être neutre et parfaitement objectif, mais comme un membre de la
société occupant en tant que tel des positionnements qui lui sont propres. Cela interfère
alors sur son analyse, et il lui faut en être conscient.
Ces deux points sont à prendre en compte pour justifier l’appellation « critique ». R.
Wodak indique que selon les sensibilités des chercheurs se réclamant de la CDA, ce terme
change d’acception, selon qu’il réfère alors à l’Ecole de Frankfort et la philosophie
d’Habermas, ou plutôt à Marx. Cependant, il y a consensus sur le fait que « ‘critique’ doit
être compris comme prenant de la hauteur par rapport aux données, incluant ces données dans
le social, assumant une posture politique explicite et une focalisation sur une réflexion sur la
position d’universitaires faisant de la recherche » (Wodak in Wodak & Meyer 2001 p. 9 –
notre traduction)
La CDA tire sa spécificité du fait qu’elle ne se réclame pas d’une théorie commune mais
plutôt d’un but commun, qui pourrait se résumer par « utiliser l’analyse du discours pour
mettre au jour les inégalités et les discriminations véhiculées par les discours et le langage,
et faire en sorte de changer cela ». Certains chercheurs ont donc une démarche prescriptive,
d’autres se contentent de mettre leurs études à disposition des institutions concernées (par
exemple, R. Wodak a communiqué son étude sur l’interaction patient/médecin aux écoles
de médecine et des séminaires ont été animés dans l’optique d’enseigner aux médecins et
futurs médecins comment mieux prendre en compte leurs patients (Wodak 1997)).
Les concepts centraux sont ceux de pouvoir et d’idéologie. L’importance de ces concepts
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et la volonté de prendre en compte le contexte social de production font de la Linguistique
Systémique Fonctionnelle de M.A.K. Halliday l’outil le plus utilisé, et jugé le plus approprié
pour le versant linguistique de l’étude des corpus. Cependant, les théories et les
méthodologies se révèlent être totalement éclectiques en CDA. Elles dépendent de plusieurs
facteurs : tout d’abord, du chercheur et de son arrière-plan disciplinaire et théorique, mais
également du type d’objet et de discours appréhendé. En effet, une différence majeure avec
la conception qu’il peut y avoir en France est que la CDA se définit comme étant
« problem-oriented », c’est-à-dire que le point de départ à une étude est, en règle générale,
motivé par l’observation d’un phénomène social tel que le racisme, les discriminations,
l’identité, le changement social, plutôt que par un intérêt pour un phénomène linguistique.
Cela est pointé du doigt par Maingueneau dans Langages : « Si l’analyse de discours suit
cette pente, cherchant prioritairement à répondre à la demande sociale, elle risque d’éclater
en autant de domaines d’investigation spécifiques » (Maingueneau, Introduction de
Langages 117). Et c’est dans une certaine mesure ce qui arrive, puisque plutôt que
d’élaborer une école, au sens de discipline unifiée, homogène dans ses méthodologies et ses
concepts, les chercheurs en CDA se prévalent plutôt du pragmatisme anglo-saxon ; au sens
où ils vont chercher les outils théoriques et méthodologiques là où ils semblent le plus
approprié à l’étude en cours. Ainsi, La CDA est-elle par définition interdisciplinaire, et il n’y
a pas de restriction au type d’études pouvant être menées sous l’étiquette CDA.
Dans cette diversité, on peut distinguer quatre courants principaux issus de la CDA.
La sémiotique sociale (Social Semiotics) élargit son objet d’étude : elle ne se cantonne
pas au discours verbal, mais se tourne vers les productions visuelles, télévisées ou autres
(une étude menée par Caldas-Coulthard et van Leeuwen portait sur les jouets pour enfants
dans une problématique de « gender studies » (Caldas-Coulthard & van Leeuwen, 2003)).
Une autre tendance s’inscrit dans la reprise de Foucault et dans l’étude des phénomènes
de changement de la société, argumentant que les changements sociaux se traduisent
forcément dans le langage. Un des principaux représentants en est Fairclough qui a
notamment montré comment le changement de la place et de la conception de l’éducation
dans la société britannique se traduisait par un changement du discours émanant des
universités elles-mêmes (Fairclough : 1993).
D’autres chercheurs s’appuient sur la linguistique cognitive, tels que T.A. Van Dijk qui
propose un modèle socio-cognitif pour expliquer les fonctionnements des idéologies et des
représentations langagières.
Enfin, le dernier courant propose une approche historique des discours
(Discourse-Historical Approach (Wodak : 2001b)), ce que l’on peut mettre en parallèle avec
les travaux de Guilhaumou en France. Ruth Wodak en est l’une des principales spécialistes.
Cette approche consiste à étudier un phénomène discursif dans les différents contextes
historiques où il est apparu, par exemple le stéréotype du Juif en Autriche qui est
récemment revenu sur le devant de la scène politique. Cela permet de mettre en lumière les
différents paramètres relevant du contexte social qui permettent la réémergence de
phénomènes langagiers de type représentations, stéréotypes et idéologies particulières.
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2.
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Doxa, Idéologie, Ideology
Comme il a déjà été mentionné, la notion d’idéologie est extrêmement importante en
CDA. Elle est mise en œuvre par le concept d’ideology. Pour l’illustrer et le mettre en
perspective, il va tout d’abord être question des deux concepts qui lui correspondent dans
les sciences du langage françaises, les concepts de doxa et d’idéologie.
2.1.
La Doxa
Le terme de doxa est un terme peu courant, même dans le vocabulaire spécialisé. Il
apparaît essentiellement dans un triptyque : la rhétorique et la théorie de l’argumentation,
le vocabulaire de Barthes, et celui de Bourdieu.
C’est un terme grec qui appartient en tout premier lieu à la philosophie antique de
Platon et d’Aristote, et plus particulièrement au domaine de la rhétorique. Dans la mesure
où un orateur parle dans un espace social donné, il doit en effet partager un certain nombre
d’éléments avec son auditoire : la doxa. Yvon Lafrance (1981) qui a fait une étude
exhaustive du terme doxa chez Platon indique que ce dernier l’emploie pour faire référence
à une représentation partagée par un grand nombre, basée soit sur l’apparence (qui relève
de la sensation, de l’esthésie) soit sur le jugement. Quant à Aristote, il définit les endoxa
comme les « opinions communes, reçues dans une communauté » (Article « Doxa » in
Mainguenau & Charaudeau 2002) et validées comme recevables par une autorité, que ce
soit celle du plus grand nombre, ou d’experts. La doxa est donc l’élément qui rassemble, et
qui est à la base de toute vraisemblance.
Bourdieu introduit le terme de doxa dans les sciences sociales, et s’intéresse à son rôle
et son influence dans le groupe social. Il le définit comme « l’ensemble de tout ce qui est
admis comme allant de soi, et en particulier les systèmes de classement déterminant ce qui
est jugé comme intéressant et sans intérêt, ce dont personne ne pense que ça mérite d’être
raconté » (1980 : 83). La doxa comprend donc les intérêts fondamentaux du groupe social,
et les règles qui constituent ce groupe, tout cela restant dans le domaine du non dit, ce que
Bourdieu nomme « l’impensable », littéralement, ce qui ne peut pas être pensé, ce qui
appartient au domaine de l’évidence. La doxa régule les interactions sociales, à la fois à
l’intérieur du groupe, mais également avec les autres groupes sociaux.
Barthes, quant à lui, insiste sur le fait que la doxa se situe au niveau du langage,
notamment dans les expressions figées. Ces expressions perdent leur sens originel pour
acquérir un nouveau sens social qui témoigne des mythes. En ce sens, un mythe est toujours
ancré, à la fois spatialement et temporellement, puisqu’intimement lié au contexte social.
Pour prendre un exemple de mythe, « ADM », l’acronyme qui a remplacé « armes de
destruction massive » lors de la polémique liée à la guerre en Irak au printemps 2003,
prend un sens social qui efface la réalité : on ne se rend plus compte qu’il s’agit d’armes
destinées à tuer des milliers de gens en une seule frappe. En ce sens, Barthes (1957)
confère à la doxa le pouvoir d’aliénation de l’idéologie, et ce n’est pas un hasard car il met
sur le même plan les deux termes : « la Doxa, l’idéologie petit-bourgeois ».
2.2.
L’Idéologie
Le concept d’idéologie est central lorsque l’on s’intéresse aux soubassements de l’analyse
du discours française, bien qu’il ne soit plus que très peu usité aujourd’hui. La définition
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que le Grand Robert en donne est un point de départ convenable pour étudier ce concept.
Tout d’abord, il faut noter la valeur péjorative de ce terme qui remonte au 19 e siècle où il a
été assimilé à une discussion portant sur des idées creuses (notamment sous l’influence de
Napoléon et de son antipathie pour Destutt de Tracy et les Idéologues). Il est ensuite rentré
dans le champ du politique avec Reybaud qui le définit comme « un ensemble d’idées qui
inspirent un parti, un gouvernement ». Et c’est un champ qu’il ne quitte plus puisqu’il est
repris par Marx qui l’oppose aux « faits économiques » et à l’« infrastructure ». Le Grand
Robert de la Langue Française le définit comme « une vision du monde », « une construction
intellectuelle émanant de la faction dominante de la Société et destinée à justifier l’ordre
social existant » (Article « Idéologie » in Le Grand Robert de la Langue Française. 2001 (2e
édition)).
Cela s’avère assez proche de la conception qu’en a Althusser. Pour ce penseur marxiste,
l’Idéologie présente le monde réel à travers une distorsion : le réel n’est jamais perçu de
manière brute, mais toujours à travers le filtre de l’Idéologie (ce qu’il appelle l’aliénation
fondamentale). Le monde est toujours interprété à travers le discours d’autrui, et en
conséquence, l’Idéologie est une représentation imaginaire. Cependant les idéologies ont
une existence matérielle dans la mesure où elles s’incarnent dans les actes de chacun, si l’on
admet que les individus agissent en fonction de leurs idées. Un troisième point très
important qui en découle est que l’Idéologie s’incarne en chacun, et qu’elle transforme les
individus en sujets sociaux. Dans cette optique « le rôle dévolu à l’analyste du discours est
celui d’une pratique qui permet d’avoir prise sur les mécanismes de l’Idéologie » (1995 :
224), autrement dit un travail de démystification.
2.3.
Ideology : un concept anglo-saxon
Lorsque l’on se penche sur le concept d’ideology en anglais, on se rend compte qu’il
n’existe pas de définition partagée à proprement parler, mais il s’agit plus d’un concept qui
est en tension entre les deux pôles définis précédemment : doxa et idéologie. On peut parler
d’un continuum entre ces trois concepts, allant de doxa pour le plus technique, le plus
neutre, passant par ideology dont la conception dépend de l’auteur, et aboutissant à
idéologie. Ce continuum va être illustré par la description de deux conceptions du concept
d’ideology de deux chercheurs éminents en CDA, N. Fairclough et T.A. Van Dijk.
Norman Fairclough s’inspire directement d’Althusser et de Pêcheux dans sa définition
d’ideology. Il reconnaît lui-même être influencé par la vision néo-marxiste et l’Ecole
française d’Analyse du Discours des années 70-80. L’une des premières formes de ses
positions théoriques s’intéressait à ce qu’il nomme le « changement socio-sémantique »
(socio-semantic change) : il indique que cette théorie « inclut dans sa notion de pouvoir
culturel la capacité à imposer et à maintenir les relations de dominance entre les registres »
(Fairclough 1988 – notre traduction). Les registres en questions sont alors vus comme étant
« idéologiquement productifs dans le sens où ils produisent et reproduisent les sujets »
(Fairclough 1988 – notre traduction), les sujets étant définis au sens d’Althusser.
Aujourd’hui, ces influences sont encore très prégnantes pour N. Fairclough, notamment
quand il déclare que les ideologies sont des « représentations partiales et qui induisent en
erreur » (Fairclough 2001 : 134 – notre traduction). Il explique également que « l’opération
d’idéologie peut être vue en terme de manière de construire des textes qui imposent de
façon cumulative et constante des assomptions aux interprètes de ces textes ainsi qu’à leurs
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producteurs, typiquement sans que personne ne s’en rende compte » (Fairclough 2001
[1989] : 69 – notre traduction). Au vu de ces différents éléments, on peut donc dire que
Fairclough adopte une définition d’ideology très proche de celle d’Althusser.
En revanche, Van Dijk s’inspire beaucoup plus de la doxa de Bourdieu pour sa théorie
des ideologies. Cependant, il la met en relation avec les théories cognitives. Pour Van Dijk,
les ideologies sont, en premier lieu, des représentations mentales, et toute sa recherche –
infructueuse sur ce point à ce jour - vise à développer des modèles cognitifs afin d’expliquer
la construction du sens à un niveau sociétal. Van Dijk s’intéresse aux différentes fonctions
sociales des ideologies et selon lui, voir l’idéologie comme un moyen développé par les
groupes dominants pour reproduire et légitimer leur pouvoir n’est « pas fondamentalement
faux », mais « est très partial et beaucoup trop superficiel » (Van Dijk 1997 – notre
traduction).
La fonction primaire des ideologies serait selon lui de « gérer le problème de
coordination des actes et des pratiques des individus membres des groupes sociaux. Une fois
partagées, les ideologies permettent de s’assurer que les membres d’un groupe vont de
manière générale agir de façon similaire dans des situations similaires. » (Van Dijk 1997 –
notre traduction). On voit ici qu’il s’inspire clairement de Bourdieu qui voit la doxa comme
le moyen de définir et de maintenir la cohésion du groupe social. L’ideology, telle que vue
par Van Dijk, s’inscrit dans le processus d’identité du groupe social, et décrit précisément
cette identité en terme de critère d’appartenance, d’activités, de buts, de valeurs, de
normes, de position sociale et de ressources.
Tous ces traits sont partagés par le groupe sous forme de représentations mentales
individuelles, rendues possibles par le fait que Van Dijk indique que les ideologies gèrent le
savoir du groupe. Ce savoir peut être un savoir scientifique ou technique, d’une profession
par exemple, mais également un savoir plus polémique, c'est-à-dire que « ce qui fait le
savoir d’un groupe peut très bien être vu comme relevant de l’ideology pour un autre » et
l’ideology « contrôle ce que le groupe tient pour vrai ». (Van Dijk 1997 – notre traduction).
T. A. Van Dijk donne l’exemple d’informations environnementales qui peuvent être
assimilées à du savoir pour les écologistes, et à de la propagande par des industriels
possédant des usines polluantes. Voilà pourquoi, il ajoute que les ideologies modèlent aussi
la structure du savoir et son acquisition : dans la mesure où elles sont responsables des
centres d’intérêt du groupe, cela a une influence sur l’importance et la spécialisation du
savoir.
Enfin, les ideologies contrôlent le système d’évaluation du groupe. Elles sont à la base
du jugement et permettent d’évaluer ce qui fait partie, ou non, du groupe, ce qui est bien
ou mal, vrai ou faux. En ce sens, les ideologies permettent l’établissement d’une dichotomie
« eux / nous ».
Dans la conception de Van Dijk de l’ideology, on voit donc qu’il s’inspire énormément de
la doxa de Bourdieu, mais que l’on trouve néanmoins certains traits qui rappellent
l’idéologie d’Althusser.
3.
Proposition pour une traduction de ideology
Dans l’optique d’une traduction, tout automatisme paraît dangereux, qui plus est à
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propos du terme ideology. En effet, comme ce papier a cherché à le démontrer, ce terme
n’est pas homogène et recouvre des définitions très disparates en fonction des auteurs.
Après examen de ces différentes conceptions de l’idéologie, il est important de noter que ce
qui est en jeu dans ces différentes définitions, ce sont des conceptions différentes de la
société. Avec Fairclough et Althusser, il s’agit d’une société où des groupes sociaux, des
classes luttent pour le pouvoir, alors que chez Bourdieu et Van Dijk, il est question d’une
société où des groupes sociaux vivent côte à côte, avec leurs modes de fonctionnement
propres, sans forcément qu’il soit question de pouvoir et de lutte. Il paraît alors évident que
le concept d’ideology en anglais n’est pas homogène, et plus encore, qu’il s’inscrit dans un
continuum faisant la liaison entre idéologie et doxa.
Ainsi, comment faire pour intégrer les spécificités de chaque auteur dans un seul terme,
et ce pour respecter la nomenclature anglaise, sans les assimiler à la conception française
d’idéologie, dans la mesure où la définition de Fairclough est tout de même minoritaire au
sein de la CDA ? A l’heure actuelle, les deux options sont ouvertes : ne pas traduire et
garder le terme anglais, ou traduire par idéologie. La première option paraît difficilement
tenable dans la mesure où cela ajouterait un terme alors qu’il y en a déjà deux en français,
doxa et idéologie et que idéologie est morphologiquement extrêmement proche de ideology.
De plus cette proximité a toute les chances de favoriser une prononciation similaire qui sera
encore accentuée par le fait que les formes graphiques au pluriel (qui constituent la
majorité des occurrences) sont quasiment identiques, à un accent près, en français et en
anglais. Cela revient à accepter la deuxième option, une traduction de ideology par
idéologie. Cela se justifie par le fait qu’à l’origine, ideology est une traduction de idéologie,
que les deux termes sont formés de composés quasi identiques au niveau étymologique et
partagent une grande partie de leurs sens dans leur acception commune, non spécialisée.
Cependant, il faut être conscient des différences majeures existant entre les différents
auteurs et de toutes les implications du terme, sur le plan théorique, aussi bien que
méthodologique. Cela doit être pris en compte pour une traduction, et il semble donc
justifié d’accompagner les traductions par une présentation métathéorique du concept afin
de tenter d’éviter, autant que faire se peut, une assimilation notionnelle entre les deux
concepts d’idéologie et de ideology.
4.
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