Cette Asie que le monde du football découvre

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Cette Asie que le monde du football découvre
論
文
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« Cette Asie que le monde du football découvre... »
(L’Equipe, 4 juin 2002)
Les stéréotypes interculturels relatifs au Japon et à la
Corée pendant la Coupe du monde de football :
le cas d’un grand quotidien sportif.
Jean-Paul HONORÉ
Faut-il parler aux étudiants japonais des stéréotypes relatifs à leur
pays qui circulent dans les médias français ?
On peut trouver des raisons philosophiques ou pychologiques de le
faire. Mais on peut aussi trouver à cela des raisons directement liées à
l’amélioration de leurs performances de locuteurs. Les stéréotypes, en effet, diffusent de l’implicite, valident les argumentations, contribuent à
construire le sens des énoncés. Leur inscription dans les textes repose
sur un appareillage lexical et syntaxique dont il faut saisir globalement
la cohérence. Celle-ci s’articule à une dimension encyclopédique et
pragmatique difficile à saisir pour l’étudiant étranger, alors même
qu’elle s’enracine profondément dans le substrat culturel et la mentalité
collective des Français. Bref, quiconque s’intéresse aux relations existant
entre la France et le Japon, et aux représentations interculturelles qui en
découlent, doit se demander comment fonctionnent les stéréotypes non
seulement d’un point de vue psychologique ou sociologique, mais encore d’un point de vue discursif.
Prolongeant avec vous mes remarques relatives à l’image du Japon
dans la presse française contemporaine, c’est à une réflexion sur l’inscription des stéréotypes dans le discours que je voudrais vous inviter.
L’actualité récente me facilite la tâche : chacun ici se rappelle que le Japon et la Corée ont accueilli en 2002 la dix-septième Coupe du monde
de football. Cet événement a suscité dans les médias français un regain
d’intérêt pour ces deux pays, et de nombreux commentaires historiques,
1
sociologiques et culturels. J’ai choisi comme témoin un grand quotidien
sportif, L’Equipe, véritable institution, moins par son tirage (320000
exemplaires tout de même, ce qui en fait un grand journal à l’échelle
française), que par son expertise, sa qualité, et sa situation quasiment
monopolistique au sein de la presse sportive généraliste. Des articles
publiés par L’Equipe pendant l’événement considéré me paraît se dégager un discours représentatif de l’état présent des stéréotypes qui circulent aujourd’hui en France à propos du Japon.
Le Japon de L’Equipe n’est pas, cela va de soi, un Japon objectif :
c’est un objet construit en fonction d’une attente du lectorat et de certaines fins poursuivies par les énonciateurs, selon un processus banal
dans l’information de presse. Cette construction du Japon se laisse saisir
à différents indices. Par exemple, l’inscription du référent dans l’espace
physique, l’organisation textuelle, la réduction de la conjoncture à
quelques stéréotypes. Voyons les choses de plus près.
1. Localisation du Japon
A) Inscription du référent dans un espace symbolique
La taxinomie officielle de la Fédération Internationale de Football,
fidèlement reprise par L’Equipe, fait des fédérations japonaise et
coréenne deux organisations asiatiques. ll s’agit d’un emploi technique
du mot Asie, mais le discours de L’Equipe ne fait pas disparaître les
connotations qui s’attachent à ce désignant dans l’usage courant,
comme le montrent les contextes : L’Equipe évoque les “charmes de
l’Asie”, l’“aventure asiatique” de Philippe Troussier, la “nature de l’asiatique”, la “retenue tout asiatique” du comportement local, le “commando asiatique” constitué par l’équipe coréenne 1), ainsi que
tout le football asiatique, cette fourmilière de petits techniciens.2)
De telles expressions suggérent qui la distance (spatiale ou psychologique), qui la prolifération laborieuse, qui la rêverie exotique ou la hantise diffuse de l’agression : le gros titre du 4 juin
“L’Asie passe à l’attaque”
résonne comme un écho, lointain et parodique, au vieux
2
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
phantasme européen du péril jaune 3).
D’autres expressions, d’ailleurs bien connues, contribuent à inscrire
le Japon dans un univers lointain et mystérieux. D’une part, l’archipel ,
variante stylistique substituée au toponyme, mais qui colporte le cliché
de l’insularité. D’autre part, l’inusable désignant Pays du Soleil-Levant
(Pays du Matin Calme lorsqu’il s’agit de la Corée), teinté d’un archaïsme qui déteint subtilement sur son objet. Enfin, le vocable ExtrêmeOrient et son dérivé extrême-oriental , qui assignent aux pays concernés
une localisation radicalement excentrée
le Japon est, littéralement,
“au bout du monde” :
C’est sympa de pouvoir échanger quelques mots, de faire des photos et
de signer des autographes avec des gens qui aiment le foot au bout du
monde.4)
Cette atmosphère exotique est rehaussée par un certain nombre d’expressions qui font référence au monde chinois, par le biais en particulier
d’une phraséologie maoïste désémantisée, mais encore apte à suggérer
l’Orient : on évoque la “révolution culturelle” qui a saisi le football
coréen, ou le “tigre de papier”
l’équipe à la réputation surfaite
que la compétition doit évincer. Ce type d’expressions n’a d’autre fonction que d’apporter un supplément d’ambiance asiatique, à la faveur du
syncrétisme qui amalgame, dans l’esprit de nombreux Français, les pays
de la région.
Ces représentations exotiques vont de pair avec la localisation du
thème “Japon” dans les textes. Il existe en effet des sites préférentiels : la
description du jeu, par exemple, sans être tout à fait exempte de clichés
de ce type, leur semble peu favorable. Les mouvements d’attaque et de
défense, le “pressing” souvent évoqué par les amateurs éclairés, l’esprit
de sacrifice constamment célébré par l’Equipe laissaient présager, dans la
relation des matches, le surgissement de métaphores couramment utilisées dans d’autres domaines où s’exprime la notion de rivalité, celui de
la guerre commerciale notamment : samouraï, Pearl Harbor, bushido, ka3
mikaze, hara-kiri, etc. Or, cela se produit rarement ; dans tout le corpus
et dans cet environnement, je n’ai rencontré qu’une seule occurrence du
mot samouraï
La première participation des Nippons en Coupe du monde, en France,
avait hissé les samouraïs en crampons parmi l’élite.5)
et je n’ai jamais rencontré l’image attendue des kamikazes japonais se
ruant sur les buts adverses. Si le Japon de L’Equipe reste, malgré tout,
le pays d’un exotisme bien particulier, ce sera dit ailleurs, à la périphérie
des descriptions proprement sportives. Trois emplacements se distinguent à cet égard : les brèves, les incipit et la rubrique “Carte
postale”.
B) Inscription du thème dans un espace générique
Les brèves sont, comme on sait, des articles de quelques lignes, au
contenu informatif limité. Elles ont souvent servi, dans la tradition
journalistique, à colmater l’espace d’une page : c’est dire que l’apport de
la brève est de façon générale considéré comme annexe. Il prendra souvent la forme d’une anecdote, insolite ou humoristique. La première
brève relative au Japon dans notre corpus est la suivante :
L’hospitalité japonaise.
L’amabilité japonaise n’est pas une légende. Témoin, cette commerçante
d’Ibusuki à qui trois confrères demandaient leur chemin et qui a fermé
sa boutique pour les raccompagner à leur hôtel, situé à 3 kilomètres de
là.6)
Il existe donc un conditionnement générique à la construction de
l’image du Japon : la brève, en tant que genre, est vouée à mettre l’accent sur le pittoresque, le bizarre ou le charmant.
L’incipit va dans le même sens : il s’agit de susciter de la couleur locale, avant d’en venir au propos de l’article. D’où l’accumulation, dans
les premières lignes, de détails exotiques, éventuellement de clichés, qui
installent en toile de fond le thème asiatique. Ainsi, un texte consacré
au moral de l’équipe d’Angleterre avant son match contre le Brésil com4
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
mence de la façon suivante :
Deux cent cinquante journalistes bloqués, l’espace d’une heure, sur un
terrain vague à l’ombre d’un terminal minéralier charriant quelques minerais non ferreux [...]. Un coin de rizière perdu au milieu de cette
friche et cette interrogation qui, d’un coup, traverse l’esprit de quelques
Européens désoeuvrés à force d’attente sous la canicule : “Where is the
rice ?” En gros, le riz est-il une graine qui pousse comme le blé ou est-il
immergé dans l’eau comme une racine ?7)
Même procédé dans un article qui décrit l’état d’esprit de l’équipe d’Uruguay, futur adversaire de la France :
C’est sympa, les trains coréens. Les meilleures places, celles situées côté
fenêtre, sont réservées aux étrangers. Tout en mirant le paysage, le supporter urugayen, qui, hier, a regagné à midi Cheonan, lieu de concentration de son équipe, peut aussi regarder la télévision. Installé dans un
confortable fauteuil, il a ainsi pu revoir les meilleurs moments
d’Uruguay-Danemark.8)
Bref, d’un côté, le vieux pays des rizières, qui perdure sous les stigmates
de la modernité industrielle ; et de l’autre, l’exquise politesse orientale,
combinée à la compétence technique. Dans les deux cas, l’incipit permet d’évoquer la rencontre de la tradition et de la modernité, ce lieu
commun des descriptions touristiques.
Au Japon des brèves et des incipit s’ajoute celui d’une rubrique significativement intitulée “Carte postale”. Elle est constituée d’une série
de 24 articles relativement courts (une ou deux colonnes sur une demipage), et dont la distribution est asymétrique. En effet, avant même
l’élimination en Corée de l’Equipe de France, et alors qu’il se dispute
autant de matches dans les deux pays organisateurs, c’est au Japon que
s’installe l’envoyé spécial de L’Equipe, et c’est à ce pays qu’il consacre la
plupart de ses investigations : 16 “cartes postales”, contre 6 seulement
pour la Corée 9).
Je ne vois d’autre explication à ce phénomène que le tropisme tou5
ristique manifesté par le titre de la rubrique. Le Japon, plus que la
Corée, est perçu comme un espace pittoresque. Et les « cartes postales »
de l’Equipe sont avant tout des articles d’ambiance, destinés à piquer la
curiosité du lectorat pour les mœurs étranges de cette contrée lointaine.
Les titres en témoignent, qui reconduisent des thèmes à succès : “L’île
du futur” (titre du 8 juin), “La folie pachinko” (titre du 13 juin), “Police de proximité” (titre du 17 juin), “Des robots et des hommes” (titre
du 26 juin), “Dans la cité des dieux” (sur Kyoto), “Le temps du souvenir” (sur Hiroshima) 10), etc.
Au total, rien de très informatif : comme les brèves et les incipit, la
rubrique “Carte postale”, principal site voué à la description de la socioculture japonaise, donne à consommer, comme son nom l’indique,
des clichés. Il ne s’agit pas de faire connaître un univers, mais de le
faire reconnaître, tel qu’il est préconstruit dans l’imaginaire social. Plus
que d’une géographie ou d’une anthropologie, ce Japon-là relève d’une
histoire des mentalités 11).
2. Montages pittoresques
La recherche du pittoresque s’exprime encore par d’autres moyens.
J’en donnerai trois exemples, l’un de type lexical, l’autre de type argumentatif et le troisième de type narratif.
Sur le plan lexical, l’outil de prédilection en la matière est le xénisme 12). On relève des mots comme besaboru, sakkaa, kirei, hi-no-maru,
tachiyomi, kaigaï, sayonara... ; des expressions plus complexes (han gug !
Dae han min gug Korea ! ), sans compter la kyrielle exotique des noms
propres. Il est intéressant d’observer que certaines occurrences ne correspondent pas exactement à la définition du xénisme que donne Louis
Guilbert, dans la mesure où le signifié qu’ils évoquent existe au sein de
la langue d’arrivée ; ainsi peut-on lire, à propos des footballeurs italiens :
Chacune de leur apparition fait se pâmer les lycéennes et vous secoue
tout un quartier plus sûrement que les jisin
les tremblements de terre
locaux.13)
6
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
On sait que s’il existe souvent des différences d’intensité, il n’existe pas
de différence qualitative entre un séisme au Japon et un séisme en
France. Mais l’emploi du vocable japonais jishin converge avec celle de
l’adjectif locaux, pour construire abusivement l’altérité d’un phénomène
pourtant repéré dans notre langue. C’est ainsi que le travail sur le
lexique tend à souligner la différence, l’étrangeté, la distance qui sépare
le lectorat français de l’univers japonais.
Le pittoresque passe également par la figure de l’analogie, qui sert à
cristalliser autour d’un thème quelconque des comparants emblématiques :
C’est l’heure de reformer cette défense infranchissable, sur laquelle s’est
bâtie l’histoire des Bleus. Par un hasard singulier, c’est à Busan qu’est située la plus grande forteresse de Corée, forte d’une muraille de 17 km
de long.14)
Au Japon, tout lasse, tout passe plus vite qu’ailleurs, peut-être parce que
le shinkansen sillonne le pays à plus de 350 kmh ou parce que les
haïkus disent que l’éphémère est une beauté du ciel.15)
L’analogie, on le voit, est un embrayeur de clichés, dans une recherche
constante de la couleur locale. La relation de causalité qui relie le sentiment d’impermanence à la course du Shinkansen est purement formelle : il ne s’agit que d’un montage pseudo-argumentatif qui vise à
fournir un principe de cohérence à l’agrégat des notations exotiques.
Sur le plan narratif, enfin, on observe
dans les brèves ou ailleurs
la fréquence des anecdotes. Leur forme lapidaire, économique, semblerait les prédisposer à la transparence énonciative. Mais en réalité, il
s’agit d’une mécanique ambiguë, qui remplit souvent une fonction édifiante : elles servent à provoquer une confrontation entre des systèmes
de valeurs. Le locuteur peut alors soit s’effacer du texte, en jouant de la
compétence pragmatique du destinataire, soit s’y impliquer par le biais
de signaux linguistiques et typographiques (je souligne) :
Un bébé refoulé
7
Une mère de famille canadienne s’est vu refuser l’entrée au stade de Sapporo, où elle devait assister à la rencontre Allemagne-Arabie Saoudite.
Motif : le bébé de huit mois qu’elle avait dans les bras n’avait pas de
ticket.16)
Pépins
Les services de sécurité du Mondial ont confisqué 1231 parapluies lors
d’un contrôle des spectateurs à l’entrée du Sapporo Dôme, avant la rencontre Italie-Equateur, lundi. Ils en ont en revanche laissé passer 1859.
Petit détail : le Sapporo Dôme est un stade totalement couvert...17)
On peut s’interroger dans les deux cas sur la pertinence de l’anecdote.
Si le fait, envisagé d’un point de vue matériel, peut paraître insignifiant
dans l’histoire de cette Coupe du monde, le récit construit à son propos
est, lui, clairement significatif. Il se rattache en effet à ce qu’il est convenu d’appeler, en analyse du discours, une archive 18) et un positionnement 19). Les deux anecdotes sont pertinentisées par un stéréotype sousjacent, qu’elle reconduisent et confirment : celui de l’ordre auquel est
soumis la société japonaise, et de ses dérapages dans l’inhumain ou dans
l’imbécile. L’anecdote donne à voir, souvent par l’implicite ou l’allusif,
une société qui fonctionne sur des valeurs différentes de la nôtre, parfois positives, plus fréquemment négatives ou incompréhensibles, et
c’est à ce titre qu’elle s’inscrit dans une économie du pittoresque.
3. Un cliché parmi d’autres : le “petit japonais”
Parmi les différents clichés colportés par L’Equipe, je voudrais m’attarder sur ce lieu commun des représentations interethniques : le phénotype. Ce qui est concerné ici, c’est le cliché du “petit Japonais” (ou du
“petit Coréen”). Nous tâcherons d’en explorer ensemble la portée symbolique.
Le maître-mot qui décrit le phénotype du Japonais et du Coréen
dans notre corpus est l’adjectif petit
“petits Japonais”, “petits Nippons”, “petits Asiatiques”, “petit bonhomme rondouillard”...20) :
Face à onze petits bonshommes remontés comme des pendules, les
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« Cette Asie que le monde du football découvre... »
Belges présentent cependant des arguments incontournables.21)
Désormais, ils peuvent prétendre s’habiller en XL. Les petits élèves japonais de Philippe Troussier ont maintenant le droit de jouer dans la
cour des grands.22)
Sur le plan métaphorique, le désignant le plus fréquent à cet égard est
le mot lutin 23), parfois relayé par diablotin, feu follet, voire par souris et
dans le cas des Coréens exclusivement
par abeilles 24).
Un certain nombre de prédicats verbaux déclinent le même thème (je
souligne) :
Sur un contre et un joli service de Klose, Song Chong-gug étirait ses
175 centimètres pour contrer la tête de Bode, de plus en plus
menaçant.25)
La belle intensité mise par les Coréens à papillonner autour des Allemands (...) orchestra une lutte acharnée de haut niveau.26)
Cette insistance sur la petite taille des athlètes japonais et coréens peut
paraître normale dans un contexte de ce type, puisque les gabarits des
sportifs doivent être pris en compte dans les affrontements physiques.
Certains journalistes de L’Equipe en viennent cependant eux-mêmes à
se demander si le caractère hyperfréquent de ces descriptions ne présente pas un aspect phantasmatique :
Les Coréens sont grands
Raillés par certains commentateurs et supporters en raison de leur présumée petite taille, les joueurs de la Corée du Sud affichent pourtant
une taille moyenne de 1,79 m. Lors du match amical entre la Corée du
Sud et la France, le 26 mai à Suwon, à quelques jours du début de la
Coupe du monde, Thierry Roland s’était ainsi laissé aller : “Il n’y a rien
qui ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen, surtout habillé en
footballeur, d’autant plus qu’ils mesurent tous 1,70m...” 27)
Mais ce démenti apporté aux propos de Thierry Roland, et publié sous
forme de brève à la fin du Mondial, compte peu en regard de l’insis9
tance avec laquelle les articles ont évoqué les “petits marathoniens des
rectangles verts”, les “dribbleurs pour midinettes” ou les “attaquants
miniatures” censés constituer les équipes du Japon et de la Corée 28).
Ce discours sur la petite taille des joueurs asiatiques décrit-il en
toute transparence l’ordre des choses, ou est-il informé par des stéréotypes dont l’expression relève d’une autre pertinence ? Une rapide enquête permet d’établir qu’en réalité, les joueurs japonais et coréens sont
loin d’être les plus petits de la compétition. La moyenne de la taille des
Japonais est égale à celle des Tunisiens, par exemple, et supérieure à
celle des Mexicains. Les Japonais sont même plus grands que les Argentins, équipe prestigieuse dont les joueurs ne sont jamais comparés, collectivement, à des souris ou à des lutins. Les Coréens, légèrement plus
grands que les Japonais, n’ont en moyenne que 7 mm d’écart avec les
Brésiliens, qui ont remporté la compétition 29).
La représentation opiniâtre et doxique des “petits” Japonais et des
“petits” Coréens relève donc d’un autre univers que celui d’une anatomie objective. Elle recoupe d’ailleurs deux clichés qui lui sont souvent
associés et forment avec elle une construction symbolique : le cliché de
la juvénilité, et celui de la mièvrerie. Tout un réseau de désignants
(minots, gamins...) 30) et de représentations infantilisantes rajeunissent les
hommes, les dévirilisent, voire les féminisent :
Chacun sa casquette, chacun son petit blouson en Nylon. Les trois cents
Jaunes sont étiquetés “Jeju citizens supporters for Brasil”, les trois cents
Rouges “Jeju citizens supporters for China”. Le groupe s’arrête pour
écouter les consignes d’un monsieur à l’air sévère. “Comportez-vous bien,
soyez polis, dit M. Whee Choi-byung aux Jaunes. Même si le Brésil
perd, ne soyez pas inconvenants”.31)
... les juniors de la Vegalta Sendai, l’équipe locale de la J-League. Des
gamins d’à peine dix-huit ans, certains flottant dans leurs maillots et
portant le short sous le genou, comme des dames de bonne vertu tirant
sur leur jupe du dimanche.32)
10
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
Cette isotopie diffuse au-delà du contexte sportif ; telle banlieue est
“manucurée avec délicatesse” 33), et les bâtons des policiers japonais
“s’agitent comme des hochets d’enfants” 34). On retrouve ici le stéréotype du Japon “petit, mièvre, mignard” 35), hérité de la littérature
lotienne. En parlant du Japon, disait Loti, on est tenté d’employer l’adjectif petit dix fois par ligne 36). C’est un peu ce que font les journalistes
sportifs.
Héritage littéraire ? Pas seulement. Comme dans d’autres contextes,
ce stéréotype joue un rôle conjuratoire. Le sport est un moyen, pour les
ressortissants de la nation qu’il mobilise, de s’interroger sur la place de
celle-ci dans le monde, et de la situer au sein d’un espace hiérarchique
qui échappe partiellement à l’emprise de l’économie ou des armes. Le
regard condescendant porté sur ce football juvénile, sur ces athlètes
miniatures, sur cet univers symboliquement rapetissé permet à l’énonciateur de construire de lui-même et de la communauté à laquelle il appartient une image narcissique 37).
4. Les traces timides d’un questionnement
Il va de soi que la représentation donnée jusqu’à présent du discours de L’Equipe en a extrait, quant au thème qui nous occupe, les
mots et les préconstruits qui sont au coeur des croyances les plus manifestes assumées par ce journal. Quelques réflexions discordantes,
quelques disjonctions par rapport aux déclarations prévisibles sont pourtant repérables ça et là.
Le premier indice que je mentionnerai est constitué par les modalités qui apparaissent parfois lorsque la doxa entre en contradiction
avec l’expérience (je souligne) :
Au bout du compte, on s’étonnerait presque qu’il [le Japonais] en pince
pour le ballon rond (et volage) alors que tout ce qui l’entoure est carré
(et prévisible) : les rues, les immeubles, les carrosseries, les principes bien
sûr... 38)
Car curieusement, oui, les journalistes british des quotidiens d’expression
11
anglaise constatent que les Japonais si programmés, si rigides en business,
semblent posséder la nonchalance et la fluidité du Brésil balle au pied.39)
De telles modalités correspondent à une intuition de la pauvreté du système interprétatif : le locuteur prend conscience, plus ou moins clairement, que les interprétations culturalistes si souvent sollicitées par les
stéréotypes (carré, prévisible, programmés, rigides) sont impuissantes à expliquer le phénomène qu’il constate.
On observe par ailleurs un processus timide de dissociation. Il fait
volontiers intervenir les catégories de l’espace et du temps. Dans le premier cas, il s’agit de dire que le Japon d’ici n’est pas le Japon d’ailleurs.
La ville de Tokyo, par exemple, ne saurait se confondre avec celle
d’Osaka. Une axiologie se dessine, favorable à Tokyo, alors qu’Osaka
reconduit le cliché de la ville japonaise inhumaine et invivable :
A Tokyo (où, soit dit en passant, la densité est moindre qu’à Paris !), il
fait bon flâner et musarder. Pas à Osaka.40)
C’est certain, c’est à Osaka que les décorateurs de Blade Runner ont
puisé leur inspiration. Dans ce caravansérail de néons de mauvais goût ;
cette synthèse de tous les ratés architecturaux de la création ; ce précipité
des couleurs les plus veules et des bruits les plus abominables.41)
Dans le cas où la dissociation fait intervenir la catégorie du temps, le
thème de prédilection est celui de la mutation du Japon. Celle-ci est
enfermée dans le cadre d’une actualité étroite. C’est aujourd’hui, sous
nos yeux, que le Japon est censé engager sa nouvelle fracture culturelle.
“Les temps changent”, nous dit L’Equipe, “les salariés se sentent beaucoup moins redevables vis-à-vis de leur employeur”, “on voit fleurir un
véritable changement d’attitude”, “les habitudes se perdent”, “la crise de
1997 et ses conséquences [...] ont semble-t-il donné d’autres idées aux
tout se passe comme si le Japon était resté figé dans des
jeunes” 42)
structures archaïques jusqu’à ces toutes dernières années, et l’on peut se
demander si le présent de ces énoncés correspond à celui de la mutation
sociale, ou à celui de la date à laquelle, soudainement et avec retard,
12
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
cette mutation est constatée. On retiendra tout de même que le processus de dissociation est un effort pour projeter sur la conjoncture un
maillage interprétatif plus fin.
Le troisième indice notable consiste en la dénonciation pure et
simple de certains clichés. Constatant par exemple que le directeur japonais de la société Nissan, installée à Trappes (Yvelines), accepte d’aménager le temps de travail de ses employés afin qu’ils regardent les
matches, L’Equipe s’interroge :
La rigidité japonaise serait-elle un fantasme occidental ? 43)
Ailleurs, elle oppose “la nature joyeuse et insouciante” des footballeurs
japonais, aux “clichés figés” qui circulent sur ce pays 44) ; elle dénonce
les “bêtises” que les télévisions occidentales ont répandues à propos du
séisme de kobé 45), et revient avec férocité sur une célèbre déclaration
d’Edith Cresson :
On a beaucoup dit et entendu à propos de la capacité reconnue des Japonais à vivre ensemble, coudes et intérêts serrés, multitude disciplinée
capable de s’accommoder sans heurts d’une promiscuité sans équivalence.
Un ministre bien de chez nous, premier au demeurant, avait trouvé intelligent de parler de “fourmis” à propos de ces Indiens-là. Ou quand
l’injure de l’ignorant rejoint l’incompétence du dirigeant.46)
On trouve donc, ça et là, les signes d’une contestation ou d’un
évitement du discours doxique. Il ne faut pas cependant les surestimer.
La citation que je viens de produire montre bien que ce qui est mis en
cause est davantage le caractère injurieux de la métaphore que la
croyance à laquelle elle s’articule, puisque le participe reconnue valide au
passage la vision d’une société proliférante et docile. Quant au terme
Indiens, qui reprend le titre de l’article (“Des Indiens dans la ville”), il
ne fait que moduler une fois de plus le thème exotique, redire l’étonnement de l’observateur qui parcourt l’étrange cité japonaise, aussi surprenante que le territoire des tribus d’Amazonie 47). Bref, s’il existe une
propension timide à échapper au cliché (ou un discours de disculpation
13
qui consiste à les dénoncer rituellement), il existe une tendance bien
plus forte à laisser retomber le discours dans leur moule commode, qui
lui confère autorité, évidence et séduction.
De la même façon, les modalités qui marquent l’étonnement du locuteur n’introduisent pas, de façon générale, à une interrogation plus
profonde, à une mise en cause du modèle existant. Le plus souvent, la
contradiction n’est que constatée, ce qui revient à l’imputer au Japon
lui-même, volontiers décrit comme un pays paradoxal 48). De là
quelques oxymores :
“Une foule de fin de week-end étendue sur cinq cent mètres le long de
la route, posément hystérique à l’arrivée des cars.” 49)
“Dans quel autre contexte de par le monde est-il possible d’admirer pareil chaos organisé ?” 50)
Ce pouvoir que présente le système de gérer par la rhétorique ses
contradictions internes se vérifie avec le thème du changement, qui ne
nous fait quitter la représentation stéréotypée d’un Japon perclus d’archaïsmes que pour nous replonger dans le thème, tout aussi convenu,
de l’irréductible bizarrerie des moeurs. Car si le locuteur constate bel et
bien une modernisation des comportements, il ne peut s’empêcher de
détecter dans les nouvelles pratiques un exotisme déconcertant, voire
une dérive pathologique. Ainsi, constatant que les jeunes japonais ne se
coulent plus dans les mêmes moules sociaux que leurs aînés, le journaliste donne en exemple
...des jeunes filles montées sur des échafaudages en guise de talons hauts
et vêtues de guêpières provocantes ; des garçons affublés de perruques
empruntées à la cour de Versailles et dotées de queues-de-pie longues de
plusieurs mètres ; une faune hétéroclite et décadente qui, toujours, aime
à surenchérir. Ce sont les excentriques du système, les amateurs de différence, les adeptes du chacun à sa façon.
Dans les gradins des stades de Saitama, Shizuoka ou Ibaraki, on a
aperçu quelques petits frères de ces extrêmistes-là. Des fanatiques de la
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« Cette Asie que le monde du football découvre... »
peinture faciale, des partisans du couvre-chef sans queue ni tête, des
exaltés du costume décalé.51)
Essor, ou dérapage ? C’est toujours le même Japon des extrêmes qui
nous est présenté, “le pays de tous les superlatifs” 52), qui ne connaît pas
de milieu entre la réserve et l’“hystérie” 53). Et L’Equipe de poser la
question : au fond, la puissance modernisatrice du football peut-elle
changer le Japon ?
C’est ici qu’est reconduite l’image d’un Japon longtemps replié sur
lui-même, et qui ne met fin que progressivement, voire à contrecoeur, à
cette fermeture. Témoin, au début de la compétition, le titre sur quatre
colonnes :
Le Japon s’ouvre au monde. 54)
Le thème de l’ouverture tardive et précautionneuse est discrètement
confirmé par certains emplois de l’article défini :
[La Coupe du monde] sera jusqu’au 30 juin l’occasion pour les japonais,
un peuple traditionnellement insulaire, de se confronter aux visiteurs et
aux cultures de seize nations. 55)
Le football, conclut Philippe Troussier, l’entraîneur français de l’équipe
nipponne, donne la chance aux japonais d’avoir une expérience de
l’étranger. 56)
Deux interprétations entrent en concurrence. L’une, plutôt pessimiste,
souligne les difficultés avec lesquelles la compétition trouve dans le pays
des appuis institutionnels et médiatiques : on s’étonne que la télévision
ne retransmette pas tous les matches, ou que l’empereur Akihito et son
épouse n’aient fait aucune allusion sportive lors d’une conférence de
presse 57). L’autre interprétation est plus optimiste :
La génération sumo, humiliante dans ses règles et isolationniste dans son
histoire, et la génération base-ball, symbole de l’américanisation d’aprèsguerre, auront disparu laissant la place à une nouvelle classe d’âge émancipée et plus emblématique du Japon moderne. Car le foot révèle les en15
vies : l’ouverture au lieu du repli sur soi, l’individualisme au lieu de la
collectivité, la créativité au lieu de la discipline...58)
Ainsi, comme sous Meiji, l’Occident apporterait au Japon les valeurs
qui vont lui permettre de progresser, de se moderniser, de se civiliser.
L’Equipe dessine (en fait, elle révèle) le fantasme d’une relation
asymétrique, dans laquelle la France, et plus globalement l’Occident, se
trouveraient à nouveau en posture de domination.
La même représentation est élaborée vis-à-vis de la Corée : ce pays
est censé vivre grâce au football une véritable mutation. “Plus rien ne
sera pareil”, affirme L’Equipe, la Coupe du monde est venue “[égayer]
un quotidien un rien stéréotypé” :
Jeunes et vieux, hommes et femmes communient dorénavant avec leurs
vingt-trois joueurs qui n’ont rien de coréen dans leur attitude extravertie
et dénuée de tout complexe.59)
On voit même des policiers coréens, au contact des athlètes occidentaux,
“[se fendre] d’un premier sourire”. Et le journaliste de conclure à cette
occasion : “Le football fait décidément parfois des miracles” 60).
Le sport ouvre donc un espace allégorique, où se recompose une
image rassurante et qui n’est pas nouvelle : celle du transfert de civilisation, à sens unique. D’où la persistance de l’opposition entre le grand et
le petit : dans l’espace symbolique du football, le Japon est un petit
pays ; il n’a pas achevé sa croissance 61) ; mais l’Occident lui envoie,
pacifiquement, de nouveaux commodores, les Zidane et les Beckham,
qui vont à la fois témoigner de sa supériorité et le convertir à ses
valeurs.
Conclusion
Un événement sportif international comme celui que nous venons
d’évoquer est-il prétexte à activer les stéréotypes interethniques et interculturels ? Permet-il au contraire de les nuancer, et d’élaborer à propos
de l’Autre une image plus savante ? Si l’on en juge par la pratique de
16
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
L’Equipe, les stéréotypes dominent et ne donnent pas de signe net
d’évolution.
Quels propos tenir, dans ces conditions, à nos étudiants ? Peut-être
celui-ci : les stéréotypes ne relèvent pas d’une pathologie de la communication. Ils sont inhérents au discours sur l’Autre, ainsi d’ailleurs qu’à
l’auto-image construite socialement. Apprendre une langue étrangère est
indissociable de ce type de préconceptions. Il faut donc que les étudiants, pour une bonne compréhension de certains énoncés auxquel ils
risquent d’être confrontés de façon privilégiée, réfléchissent aux clichés,
à leur fonctionnement, à leur signification, à leur mode d’inscription
dans les textes. Mais le raisonnement doit être réflexif : il leur faut aussi
réfléchir à leurs propres préconceptions, qui existent nécessairement et
informent la représentation de la société à laquelle ils s’intéressent, et
dont ils ont choisi d’étudier la langue et la civilisation.
Il pourrait aussi être utile de rappeler aux étudiants que s’il existe
pour la presse un rapport entre la production d’information et la production d’émotion dans la perspective d’un marché, l’impact des représentations scandaleuses sur les comportements individuels et quotidiens
des Français reste difficile à mesurer. Le discours consciemment ou inconsciemment nipponophobe est bien réel, avec ses préconstruits et ses
thèmes préférentiels. Il est le produit d’une attente sociale. Mais ce qui
est tout aussi réel, c’est, à l’échelle de l’individu, une capacité à mettre
rapidement en question les stéréotypes, dès lors que l’occasion lui aura
été donnée de contacts et de dialogues réguliers et personnels.
L’enseignant, lui, se trouve souvent en situation d’arbitrer entre les
bons et les mauvais côtés des stéréotypes : la simplification caricaturale
et l’axiologisation négative doivent être repoussés, mais le caractère
économique des clichés et leur pouvoir de séduction peut faire de certains textes de bons outils de travail. Une chose est sûre en tout cas :
chacun de nous doit prendre en compte cette dimension symbolique du
rapport entre les nations, s’il veut être un passeur culturel.
17
Notes
8, 5 et 18 juin 2002.
2)L’Equipe, 26 juin 2002.
3)Ce titre annonce l’entrée du Japon et de la Corée dans la compétition
(respectivement contre la Belgique et la Pologne).
4)Zinédine ZIDANE, L’Equipe, 25 mai 2002.
5)L’Equipe, 25 juin 2002.
6)L’Equipe, 23 mai 2002.
7)L’Equipe, 19 juin 2002, “Les Anglais n’ont pas peur”.
8)L’Equipe, 3 juin 2002, “C’est déjà jeudi”.
9)Deux de ces textes traitent des relations entre les deux pays.
1
0)Respectivement les 15 et 22 juin 2002.
1
1)Je reprends ici une réflexion de Jean-Marc MOURA sur l’exotisme dans la
littérature (Lire l’exotisme, Paris, Dunod, 1992, p.106). On peut ajouter
que si la série des “cartes postales” de L’Equipe renvoie beaucoup plus
longuement au Japon qu’à la Corée, c’est justement parce qu’il s’agit de
réitérer une représentation plutôt que d’introduire des informations nouvelles. Or l’image du Japon est plus consistante, pour les Français en
général, que celle de la Corée. Elle génère un discours imprégné d’un
exotisme spécifique, à la fois plus riche et plus attendu.
1
2)Louis GUILBERT propose d’appeler xénisme un terme étranger “introduit
dans le corps d’une phrase française en référence à un signifié propre à la
langue étrangère. [Ce terme] demeure effectivement étranger. Dans cette
catégorie entrent d’abord tous les noms propres [...] On y range aussi
tous les mots de la langue exprimant des réalités qui n’ont pas leur correspondant dans la langue du locuteur français[...]” (La Créativité lexicale,
Paris, Larousse, 1975, p.92).
1
3)L’Equipe, 3 juin 2002.
1
4)L’Equipe, 5 juin 2002.
1
5)L’Equipe magazine, 8 juin 2002.
1
6)L’Equipe, 5 juin 2002.
1
7)L’Equipe, 6 juin 2002. Les points de suspension sont ici, comme souvent, un embrayeur de sous-entendu.
1
8)Notion héritée de Michel FOUCAULT (L’Archéologie du savoir, 1969) :
“l’archive définit un niveau particulier : celui d’une pratique qui fait surgir une multiplicité d’énoncés comme autant d’événements réguliers [...]
1)L’Equipe,
18
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
elle fait apparaître les règles d’une pratique qui permet aux énoncés de
subsister et de se modifier régulièrement” (cité par Patrick CHARAUDEAU
et Dominique MAINGUENEAU, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris,
Seuil, 2002, p.61).
1
9)Il existe des définitions plus ou moins spécifiées du positionnement en
AD. Pour Patrick CHARAUDEAU, “le positionnement correspond à la position qu’occupe un locuteur dans un champ de discussion, aux valeurs
qu’il défend (consciemment ou inconsciemment) et qui caractérisent en
retour son identité sociale et idéologique. Ces valeurs peuvent être organisées en systèmes de pensée (doctrines) ou peuvent être simplement
organisées en normes de comportement social qui sont alors plus ou
moins consciemment adoptées par les sujets sociaux et qui les caractérisent identitairement” (Patrick CHARAUDEAU et Dominique MAINGUENEAU,
op. cit., p.454). Je considère que le positionnement révélé est celui de la
vulgate de presse relative au Japon, et que celle-ci entretient des relations
étroites, de nature dialectique, avec une doxa travaillée par des thèmes
identitaires.
2
0)L’Equipe, 9, 15 et 26 juin 2002 ; L’Equipe magazine, 15 juin 2002.
2
1)L’Equipe, 4 juin 2002.
2
2)L’Equipe, 11 juin 2002.
2
3)Le mot lutin n’est pas réservé aux Japonais et aux Coréens : Camara, le
joueur sénégalais, est désigné comme le “lutin de Sedan” dans L’Equipe
du 17 juin. Mais cette métaphore s’applique aux joueurs asiatiques de
façon particulièrement fréquente.
2
4)“Cette mauvaise entrée en matière des lutins japonais, Philippe
TROUSSIER la met sur le compte d’un schéma tactique particulier.”
(L’Equipe, 5 juin 2002) ; “Cette fois-ci à gauche, le petit feu follet Lee
Chun-soo, auteur d’un début de match flamboyant.” (L’Equipe, 26 juin
2002) ; “Lee Chung-soo, le diablotin du couloir gauche” (L’Equipe, 22
juin 2002) ; « Les éléphants Hierro et Nadal n’étaient probablement pas
les plus aptes à contrer les souris coréennes. » (L’Equipe magazine, 29
juin 2002, citant un journal espagnol) ; “Le dernier vol des abeilles”, titre à la veille du match Corée-Turquie, pour la troisième place du championnat (L’Equipe, 28 juin 2002) ; la métaphore de l’abeille, insecte social qui nous semble être dans ces contextes une version édulcorée de la
“fourmi” japonaise, a été utilisée sur le terrain par différents locuteurs,
19
dont l’Equipe reprend les propos.
26 juin 2002.
26 juin 2002.
25 juin 2002.
2
8)L’Equipe, 14, 16 et 23 juin 2002.
2
9)Ces chiffres ont été calculés grâce au supplément de L’Equipe du 28 mai
2002, qui fournit des renseignements détaillés sur chacun des joueurs de
la compétition. La taille moyenne des joueurs coréens est de 1,79m
(comme le Cameroun) ; celle des Japonais de 1,78m (comme la Tunisie).
Argentine : 1,77m ; Mexique : 1,76m. La différence entre la Corée et le
Brésil se calcule bien en millimètres : 1,796 contre 1,803. Les Français
sont plus grands que les “lutins” coréens de 2,4 cm seulement (1,82m).
3
0)“La saynète du pénalty loupé (40e), où le minot Lee Chun-soo, comme
en pupilles, avait pris le ballon pour vouloir marquer son but, a cerné les
limites d’une trop vive fraîcheur d’esprit.” (L’Equipe, 14 juin 2002).
3
1)L’Equipe magazine, 15 juin 2002. Le jaune n’est ici que la couleur des
supporters coréens de l’équipe du Brésil.
3
2)L’Equipe, 3 juin 2002.
3
3)L’Equipe, 8 juin 2002.
3
4)L’Equipe, 17 juin 2002.
3
5)Pierre Loti, Madame Chrysanthème, cité par Takashi NAITO, “Entre la
japonerie et le péril jaune”, Orients extrêmes, Le Torii Editions, 1996,
p.94.
3
6)Cité par Takashi NAITO, ibid.
3
7)Ce processus est trop banal pour échapper à la vigilance de L’Equipe
magazine, qui s’en amuse dans une parodie. Cf., dans la rubrique
“Humeur”, à la date du 19 juin 2002 (jour qui suit la victoire de la
Corée sur l’Italie), le billet du caricaturiste : dans un monde parfait,
soupire le locuteur, “les petits pays feront le spectacle avant de s’effacer
raisonnablement pour laisser... les hommes jouer le second tour. Au revoir et merci. Ouste.”
3
8)L’Equipe, 21 juin 2002.
3
9)L’Equipe magazine, 8 juin 2002.
4
0)L’Equipe, 14 juin 2002.
4
1)Ibid.
4
2)L’Equipe, 10 et 18 juin 2002. L’Equipe magazine, 1er juin 2002.
2
5)L’Equipe,
2
6)L’Equipe,
2
7)L’Equipe,
20
« Cette Asie que le monde du football découvre... »
4
3)L’Equipe,
31 mai 2002.
nature joyeuse et insouciante, si peu représentative des clichés
figés que l’on se fait de nos amis japonais, dénote une certaine tendance
à l’émancipation.” (L’Equipe, 11 juin 2002).
4
5)“Dans l’urgence et la précipitation, les télévisions occidentales avaient
rapporté beaucoup de bêtises à propos du tremblement de terre de
Kobe.” (L’Equipe, 20 juin 2002).
4
6)L’Equipe, 14 juin 2002.
4
7)“A dire vrai, les Japonais doivent être tenus pour les derniers Indiens de
la ville ultime, comme les derniers Indiens d’Amazonie le sont, à l’autre
bout du spectre, au cœur de leur forêt supposée vierge. Une tribu parfaitement adaptée à son milieu, coutumière des pièges et des obstacles
tendus, qui par on ne sait quel miracle de la nature (façon de parler), a
su, malgré cela, conserver son intégrité et son efficacité.” (L’Equipe, 14
juin 2002).
4
8)“Il est là le paradoxe du sport japonais : dans ce grand écart qui, depuis
toujours, tourmente ses meilleurs éléments. Comment me croire supérieur alors que je suis, par nature, solidaire ? Pourquoi m’estimer exceptionnel, alors que tout, autour de moi, m’intime d’être ordinaire ?”
(L’Equipe, 21 juin 2002) ; “La télé des paradoxes.” (L’Equipe, 25 juin
2002, sur l’étrangeté et les contrastes des programmes de la télévision japonaise) ; “Dans un pays qui hésite encore entre tradition millénaire et
modernité avant-gardiste, Hidetoshi Nakata a longtemps représenté un
gros paradoxe.” (L’Equipe, 9 juin 2002).
4
9)L’Equipe, 24 juin 2002.
5
0)L’Equipe, 14 juin 2002, sur la ville japonaise.
5
1)L’Equipe, 28 juin 2002.
5
2)L’Equipe, 18 juin 2002.
5
3)Ce mot surgit avec une fréquence impressionnante, que la description de
l’ambiance des grands matches ne suffit pas à expliquer. Je l’ai d’ailleurs
souvent relevé en association avec le Japon dans d’autres contextes. Dans
L’Equipe, il qualifie aussi bien le comportement des Coréens que celui
des Japonais. Apparemment, il s’applique chaque fois que l’habitus
observé ne correspond pas au cliché de l’impassibilité orientale. Peut-être
faut-il y voir aussi un écho à la féminisation de ces peuples, que j’ai évoquée par ailleurs. Exemples : “Zidane est déjà reparti. Le photographe
4
4)“Cette
21
nippon pique alors sa seconde crise d’hystérie. Deux le même jour. Un
événement.” (L’Equipe, 24 mai 2002) ; “Son arrivée [de Zidane] au Japon déclencha une hystérie collective.” (L’Equipe, 22 mai 2002) ; “A Saïtama, seuls les 55000 spectateurs, par moments hystériques, ont paru
déçus par la tournure prise par les événements.” (L’Equipe, 5 juin
2002) ; “Préméditée ou pas par les Anglais, la “Beckhamania” rend les
Japonais hystériques.” (L’Equipe magazine, 22 juin 2002) ; etc.
5
4)L’Equipe, 2 juin 2002. Idem : “... un mois de folie planétaire où il fut
beaucoup question de la volonté d’adaptation et d’ouverture du Japon
moderne.” (L’Equipe, 27 juin 2002).
5
5)L’Equipe, 2 juin 2002.
5
6)L’Equipe, 2 juin 2002.
5
7)L’Equipe, 13 juin et 24 juin 2002.
5
8)L’Equipe magazine, 8 juin 2002.
5
9)L’Equipe, 19, 6 et 24 juin 2002.
6
0)L’Equipe, 10 juin 2002.
6
1)“En attendant de le [le Japon] revoir, peut-être dans quatre ans en Allemagne, à condition que le métier rentre et qu’il termine sa croissance.”
(L’Equipe, 19 juin 2002) ; la prochaine Coupe du monde aura lieu
outre-Rhin, en 2006).
(Université de Marne-la-Vallée / CEDITEC-Paris XII.)
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