A Stéphie... (la petite dernière) Et Nanard... (le jeune premier) 17

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A Stéphie... (la petite dernière) Et Nanard... (le jeune premier) 17
A Stéphie... (la petite dernière)
Et Nanard... (le jeune premier)
17 ans d'amitié …
François Michel
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La pièce a été jouée la première fois (et la dernière ?) le 30 avril 1999
à la Maison du peuple de Saint-Nazaire par Les Petits Tréteaux de
Notre-Dame.
Décors de A. Gouray et B. Boutin
Mise en scène de S. Rivière, F. Bigotte et B. Boutin
Musique originale de G. Trégaro
La pièce a été écrite par F. Bigotte.
Une quarantaine de rôles peuvent être distribués. Un acteur peut
jouer plusieurs personnages.
Avec dans l’ordre alphabétique :
ALLIAU Ludivine
BLINO Lucie
BOCQUEHO Emmanuelle
BRIAND Hélène
FREDET Aurore
GABORY Marion
GARRY Lauren
GÉRARD Gwenaëlle
GÉRARD Yann
GOURAY Amélie
GUEVEL Gaëtan
GUILLARD Anthony
GUILLEMOT Aline
HERVEAU Xavier
HEURTEL Roma
KERFRIDEN Caroline
LE GAL François Xavier
LEROY Thomas
MAO Soazig
MARCHAND Julie
OGER Philippe
PENANHOAT Similien
RENIER Faustine
RIO Estelle
THOREL Marion
TOUSSAINT Claire
VIGNARD Rozenn
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Table des matières
Cliquer pour arriver sur la scène correspondante
1 La leçon
2 Dans la rue
3 Barbara
4 Nanou
5 Monsieur Gazou
6 La vieille dame
7 Roman photo
8 Emma
9 Le lycée
10 Nocturne
11 Le lendemain
12 Séance photo
13 Indices
14 La cryptosphère
15 La gynesphère
16 La maniacosphère (1)
17 Enquête
18 La bibliosphère
19 L'entrevue
20 L'oratioro
21 Sur terre
22 La maniacosphère (2)
23 Thalie
24 L'audition
25 Poste de police
26 Retrouvailles
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" Y'a pas de quoi en faire...
un drame... ! "
ACTE I
Conseil de mise en scène : quand Nestor parle en voix off, les autres
acteurs s'immobilisent.
NESTOR (voix off) : Ce matin-là, je m'étais levé, frais et dispos, et le
soleil rayonnait, dans mon cœur ; car il faut bien dire que dehors il
faisait plutôt gris. Sur ma tête mon petit chapeau, sur mon dos mon
petit imperméable et à la main ma petite serviette, je me dirigeais
allègrement vers celle qui m'attendait, non point l'élue de mon cœur,
mais l'élève avide de savoir... surtout de savoir que j'allais lui mâcher
la difficulté ! Rosette, Rosette c'est son nom, n'a rien d'une enfant
surdouée ; mais son innocence naturelle et sa gentillesse coutumière
font que je m'y suis attaché.
Dans la rue, le concert des klaxons redoubla ma bonne humeur ;
autour de moi, les passants semblaient partager la joie de ce matin
nouveau ; et, dans le bus numéro 23 qui me transportait à la
rencontre de Rosette, les passagers eux-mêmes respiraient
l'insouciance et la gaieté.
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1. LA LEÇON
Arrivée chez Rosette. (coup de sonnette)
ROSETTE : Bonjour Monsieur. Entrez, je vous en prie. J'ai déjà
commencé à travailler le texte à commenter. Mais je crois que vos
lumières ne seront point inutiles et pourront éclairer certains
passages obscurs, tout du moins à ma petite réflexion.
NESTOR (voix off) : Une métaphore, si banale soit-elle, filée par des
lèvres si douces, me ravit toujours.
ROSETTE : J'ai, je l'avoue, beaucoup de peine à pénétrer les nuances
de la psychologie amoureuse. Phèdre me paraît très excessive dans
son comportement.
NESTOR : Mais elle l'est !
ROSETTE : Sans doute ; mais le langage en vers ne me facilite pas
l'analyse.
ODILE : Salut ! C’est vous le prof de ma petite sœur ! Soyez gentil
avec elle.
NESTOR : Pourquoi voulez vous que je ne le sois pas ?
ODILE : Enfin, quand je dis gentil ... Pas trop tout de même !
NESTOR : Vous savez... Moi...
ODILE : Vous, non ! Mais elle !
ROSETTE : Didile, t’es sympa ; mais monsieur Nestor est venu pour
travailler !
NESTOR : Il faut, voyez-vous, pour sentir un texte de théâtre et être
sensible à sa respiration, le dire à voix haute, se laisser transporter
par le rythme et submerger par sa musique.
ROSETTE : Vous voulez que je commence par le lire ?
NESTOR : Je vous en prie.
ROSETTE : (lecture fade)
J'aime. Ne penses pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même...
NESTOR : Bon ! bon ! bon !... Vous ne pouvez pas essayer d’y mettre
un peu de chaleur... un peu d’intonation ?
ROSETTE : (nouvel essai, très chantant).
NESTOR : Il y a un petit effort, si ! si ! Mal orienté, mais il y a une
tentative. Allez, on ne va pas s’énerver. On va recommencer. Pas trop
comique Phèdre. Plutôt névropathe, si vous voyez ce que je veux dire.
ROSETTE : (nouvel essai très tragique).
NESTOR : Ce n’est pas encore tout à fait ça. Bon, vous allez imaginer
que je suis Hippolyte, que vous me désirez ardemment. Et vous allez
laisser parler votre sensualité.
ROSETTE : (nouvel essai très vrai, sans jeu de scène)
NESTOR : C'est beaucoup mieux, beaucoup mieux. Mais votre corps
n'exprime pas assez votre passion. Il reste froid…
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ODILE : Pas étonnant ! Tout ça, c’est de la littérature !
NESTOR : Mais la littérature, c’est la vie, mademoiselle !
ODILE : La vie ? C’est chercher du boulot dès qu’on a terminé ses
études. Alors votre Racine et ses conflits...
ROSETTE : Ce n’est pas parce que, Marco, ton petit copain t’a quittée
qu’on doit en supporter les conséquences ! Alors Didile, t’es gentille,
mais tu nous laisses travailler ! Excusez la, monsieur Nestor.
NESTOR : Je comprends, je comprends... Reprenons, s’il vous plaît !
ROSETTE (nouvel essai, parfait. Moment d'émotion intense)…
NESTOR (voix off) : J'écoutais Phèdre et je ne voyais que Rosette...
(La mère arrive, médusée par la scène qu'elle voit.)
LA MÈRE (faisant irruption) : Rosette ? Mon enfant, ma petite fille !
Monsieur, c'est avoir trop abusé de ma confiance. Je suis outrée,
scandalisée. Quelle honte ! Vous devriez rougir…
NESTOR (bégayant) : Mais, Madame... il y a malentendu...
LA MÈRE : N'aggravez pas votre cas, Monsieur. Ce que je n'ai point
entendu, mes yeux l'ont tout de même vu.
NESTOR : J'expliquais à votre fille... la passion amoureuse…
LA MÈRE : Monsieur, votre chapeau cache mal les idées perverses
que vous entretenez.
NESTOR : Mais Madame...
LA MÈRE : Et dans votre petite serviette, Dieu seul sait les journaux
que vous devez camoufler.
NESTOR : Mais Madame…
LA MÈRE : Vous êtes un satyre imperméabilisé.
NESTOR : Mais, il n'y a pas de quoi en faire un drame !
LA MÈRE : Ah ! Je vous en prie !
ODILE : T’as raison, maman.
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2. DANS LA RUE
Nestor s'en va (voix off) : Je restais un instant minéralisé , pétrifié,
fossilisé. Mais je pensais intérieurement : "Cette dame, sans aucun
doute, a manifesté, de façon certes prononcée, l'affection qu'elle
témoigne à sa fille. Et je ne vois aucune raison de lui en garder grief".
Un couple, une altercation : Nestor les regarde.
LUI : Ce n’est plus supportable !
ELLE : N’exagère pas !
LUI : Quinze jours que ta mère est à la maison, tu trouves cela
supportable ?
ELLE : Elle fait le ménage, le repassage et s’occupe des enfants...
LUI : Tu ne te rends absolument pas compte de la situation !
ELLE : Je t'en prie, ne t'énerves pas !
LUI : Ne t'énerves pas ! Ne t'énerves pas !
ELLE : S'il te plaît.
LUI : Et s'il me plaît, à moi, de m'énerver !
ELLE : Cela passera.
LUI : Non !
ELLE : Si !
LUI : Non !
ELLE : Si !
LUI : Ton attitude me désarme.
ELLE (se tournant vers Nestor) : Qu'est-ce que vous avez à nous
regarder avec votre œil de merlan frit ?
NESTOR : Ah ! Quelle passion, quelle passion, j’adore ! Mais je vous
en prie, continuez, continuez…
LUI : Non, mais ça va pas.
ELLE : Viens mon chérie, c’est peut-être un détraqué. Je ne voudrais
pas que tu prennes des coups.
LUI : Bon, alors je veux bien que ta mère reste à la maison, mais je ne
veux plus qu’elle couche dans notre chambre.
ELLE : Depuis le temps que j’attendais que tu prennes cette décision !
NESTOR (voix off) : Décidément, les gens méritent qu'on les aime.
Ce matin cette maman soucieuse de l'honneur de sa fille et
maintenant ce couple qui voudrait s’aimer sans qu’on lui tienne la
chandelle.
Une marchande de ballons : Achetez mes ballons, mes beaux
ballons, beaux ballons tout mignons, beaux ballons tout ronds.
NESTOR (voix off) : C’est rigolo mais j'ai toujours eu une passion
pour les ballons.
Trois ballons, je vous prie.
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Marchande : Voilà un papa qui va faire le bonheur de ses enfants.
NESTOR (voix off) : Je n'osais pas lui dire que je n'avais pas
d'enfant, tout cela pour la bonne raison que je n'étais pas marié. Mais
j'étais heureux avec mes ballons.
Attente à l'arrêt d'autobus. Arrivée d'une femme très visiblement
enceinte qui regarde d'une façon sournoise notre héros.
NESTOR : Belle journée de printemps, n'est-ce pas ?
mutisme de la femme.
NESTOR : Espérons que cela va durer.
mutisme de la femme.
NESTOR : Oh ! Vous êtes enceinte ?
LA FEMME : Ça se voit pt'être pas.
NESTOR : Donner la vie, quelle joie indicible ! Les femmes ont de la
chance.
LA FEMME : Vous parlez, neuf mois à les porter ; et toute la vie à les
supporter.
NESTOR : Les ?
LA FEMME : Dire qu'il y a des gens qu'arrivent pas à en avoir ! Moi,
un seul essai, et je suis transformée. Trois numéros dans l'ordre.
NESTOR : (voix off) Avec mes trois ballons, je me suis senti tout
d'un coup un peu con. Je voulus les lui donner...
LA FEMME : Non. Mais dites donc, vous êtes gonflé !
NESTOR : Vous les donnerez aux enfants.
La femme reste bouche bée. NESTOR monte dans le bus numéro 23. La
femme éberluée reste sur le trottoir.
NESTOR (voix off) : J’ai fait ma B.A. de la journée, je suis ravi !
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3. BARBARA
NESTOR (voix off) : Comme je descendais du bus et m’apprêtais à
grimper prestement les escaliers qui mènent à mon petit
appartement, j'aperçus Barbara de Mont Corney. C'est une actrice de
théâtre qui a eu son moment de gloire, et qui a malheureusement
disparu ces derniers temps de la scène. Son vrai nom c'est Hornette
Dutrou. Faut bien reconnaître que pour un nom de théâtre, ça sonne
plutôt mal.
BARBARA : Cher Nestor !
NESTOR : Bonjour Baronne. (il lui baise la main). Vous êtes toujours
aussi ravissante.
BARBARA : Oh ! ne me flattez pas ainsi mon cher. Le facteur vient de
passer. Je crois que je dépense plus que je ne pense.
NESTOR (voix off) : Je n’ai pas de peine à la croire. Encore tout
dépend-il du sens à donner au verbe penser .
BARBARA : Je reçois à n'en plus finir des mises en demeure ; et je
suis assaillie de lettres de créanciers. Bien sûr, il n'y a qu'à vous que
je puisse confier ces soucis d'ordre purement pécuniaire. Actrice
maintenant méconnue, si ma boite aux lettres ne désemplit plus, ce
ne sont point des lettres d'admirateurs.
Le facteur qui termine sa tournée : Tenez, monsieur. Je vous
souhaite une bonne journée.
NESTOR : Merci. (Il met la lettre dans sa poche). Dites-moi, chère
amie, pourquoi ne pas à nouveau remonter sur les planches ?
BARBARA : Certes, j'y ai pensé ; bien sûr, mais voilà trois ans que j'ai
terminé ma tournée d'adieu.
NESTOR : Nous dirons que ce n'était qu'un au revoir.
BARBARA : En outre, je ne pourrais, bien sûr, accepter qu'un
personnage à ma mesure. Je ne m'imagine, en aucune façon,
interprétant un second rôle dans une pièce de boulevard. Le public
populaire souffre d'un manque de finesse qui lui fait préférer les
plaisanteries oiseuses et bien grasses. Ma sensibilité ne peut
s’accommoder d'une telle vulgarité.
NESTOR (voix off) : J'aurais pu lui répliquer que les plus belles
fleurs poussaient sur du fumier. Mais comme elle n'était pas une
fleur, et qu'elle n'était plus très belle... (voix normale) Mais,
monsieur Gazou, cet auteur réputé dont vous fûtes autrefois la
maîtresse, n'aurait-il rien à vous proposer ?
BARBARA : Je ne fus point sa maîtresse ; il fût mon amant, c'est tout
à fait différent. Et je me vois mal aller quémander, à qui que ce soit,
un emploi ; fusse-t-il digne de moi.
NESTOR : Alors, soyez diplomate. Une femme a toujours assez de
séduction pour présenter la situation de façon avantageuse. Votre
retour sera l'apothéose de votre carrière, et vous lui offrez le
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privilège de partager avec vous cette gloire, en écrivant à votre
intention un rôle de composition.
BARBARA : A mon âge, espérons que ce ne sera pas un rôle de
décomposition. Cher ami, vous me poussez à faire des folies. Venez
que je vous embrasse. (embrassades théâtrales).
Arrivée de la concierge : Si c'est pas malheureux, à votre âge ! Allez
au moins vous cacher dans les cabinets pour faire vos saletés !
NESTOR : Mais madame Gudule...
LA CONCIERGE : Madame Gudule, elle, elle travaille. Elle s'occupe
des poubelles, madame Gudule. Elle a pas le temps de faire des
mamamouchis, madame Gudule.
NESTOR : Mais y'a pas de quoi...
LA CONCIERGE : Y'a pas de quoi quoi ?
NESTOR : … s'énerver.
LA CONCIERGE : Est-ce que je m'énerve ?
LE CONCIERGE (du haut de l'escalier) : Josette ? Josette ?
LA CONCIERGE : Ouais !
LE CONCIERGE : Viens vite, la chatte est en train d'accoucher.
LA CONCIERGE : Les hommes, les animaux, tout ça, c'est à mettre
dans le même panier. Et bien que les hommes pensent, c'est pas pour
ça qui sont plus intelligents ! Le vice naquit un jour de la réflexion.
NESTOR : On aurait pu croire, à la voir, madame Gudule, que son QI
était inversement proportionnel à son obésité. Mais non !
Simplement, il était bien enrobé.
Rire de Barbara
NESTOR : Pourquoi riez-vous ?
BARBARA : De la situation embarrassante dans laquelle je vous ai
mis. Un bon début pour un vaudeville, n'est ce pas ? A bientôt, cher
ami. Je compte sur vous pour m'accompagner chez monsieur Gazou.
NESTOR : La lettre, c'est vrai, je ne l'ai pas encore lue ! (il l'a
décachette). Avant de lire une lettre, j'ai toujours l'habitude de
regarder les dernières lignes ; on embrasse toujours les gens à la fin.
Alors que si vous rencontrez quelqu'un, c'est le premier acte civilisé
que vous accomplissez... surtout si elle est jeune et jolie.
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4. NANOU
Cris, bousculade, arrivée de Nanou (jeune fille pétillante et tonique)
NANOU : Bonjour monsieur Nestor. (elle s'empiffre de chamallows).
Je parie que c'est encore une amoureuse qui vous écrit ? Hein ? Sous
votre air de gentil garçon, vous devez en avoir eu des aventures ?
NESTOR : Mais non ! Mais non !
NANOU : Oh ! Le vilain menteur, le petit cachottier !
NESTOR : Mais non ! Mais non !
NANOU : De moi, vous êtes pas un tout petit peu amoureux ?
NESTOR (il l'a regarde affectueusement) :... Non...
NANOU : Rien qu'un tout petit peu ?
NESTOR (signe de tête) : non. Alors un tout petit peu...
NANOU : Bien sûr, vous pourriez trouver mieux... Mais des comme
moi, y'en a pas deux ! Bon. D'accord. Côté poitrine, c'est pas
l'inflation ! Mais y'a pas que le corps !
NESTOR (voix off) : Elle a raison. Seulement, comme dit ma
concierge, qui n'a pourtant pas lu Pascal, qui veut faire l'homme fait
la bête . (voix normale) Tu es très mignonne, mais depuis ce matin on
m'a déjà traité de satyre et prêté de mauvaises intentions, alors tu
comprends...
NANOU : Tant pis ! Vous ratez une occasion... première main ! (elle
s’en va et se retourne) Tout ce que je vous ai dit, c'est pour rire.
REMI (un garçon entre) : Tiens, tu es là Nanou ?
NANOU : Voilà Rémi.
REMI : Je te cherche depuis une demi heure.
NANOU : Pourquoi ? Tu veux un chamallow ?
REMI : Non, pas vraiment.
NANOU : Tu es malheureux ?
REMI : C’est l’horreur !
NANOU : Quoi ?
REMI : Je peux te poser une question ?
NANOU : Pose toujours.
REMI : Est-ce que tu trouves que j’ai du charme ?
NANOU : Ouh ! la ! la ! Dis donc, tu es amoureux toi .
REMI : C’est rien de le dire. Mais est-ce que j’ai du charme ?
NANOU : C’est même plus que de l’amour...
REMI : Tu ne réponds pas à ma question.
NANOU : C’est qui ? Je la connais ?
REMI : Elle est... Elle est... J’en rêve le jour, j’en rêve la nuit. Je dors
plus, je mange plus, je travaille plus...
NANOU : T’es vachement accroché !
REMI : Franchement, dis moi comment tu me trouves ?
NANOU : Franchement ?
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REMI : Bein oui, franchement.
NANOU : Je te trouve super drôle.
REMI : Et physiquement ? Physiquement... Je suis comment ?
NANOU : Pourquoi tu me demandes tout ça ? A moi ?
REMI : Je sais pas comment te le dire... mais physiquement, je suis
comment ?
NANOU : Pour le moment, t’es encore en boutons. Faut attendre que
t’ais fini ta puberté. On verra si t’es comestible.
REMI : Mais je te parles sérieusement !
NANOU : Mais moi aussi. Tu sais, l’essentiel, c’est d’être original. Si
tu veux qu’elle te remarque, faut la surprendre.
REMI : Oui, mais comment ?
NANOU : Attire son attention.
REMI : Ça, j’en rêve. Un seul de ses regards et je suis Bugs Bunny
collé au plafond.
NANOU : Le coup du lapin, faut mieux éviter. Tu lui as déjà parlé ?
REMI : Je peux pas... Quand j’essaye, je bafouille, je tremble, je
transpire... Je contrôle plus mes pulsions...
NANOU : Du calme, du calme ! Alors t’as qu’à lui écrire, ça évitera
les convulsions.
REMI : Super, Nanou ! Je vais lui écrire un poème, un poème épique :
elle sera Nausica, je serai Ulysse, pour elle je tuerai Alien,
j’exterminerai les vampires, je combattrai les dragons... (il mime tout
ce qu’il dit).
NANOU : Oui, enfin, aujourd’hui, les dragons...
REMI : Tu n’as pas vu sa mère, Folcoche, à côté, c’est Blanche Neige !
NANOU : Bon ! Et bien va écrire. Demain tu me montreras tes
exploits.
REMI : Merci Nanou. Maintenant je me sens ragaillardi, plus viril, un
homme quoi ! (il sort).
NANOU : Les garçons, je ne sais pas si, un jour, ils deviennent
adultes...
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5. MONSIEUR GAZOU
Noir, puis lumière.
Dans le bureau de M. Gazou.
Sonnerie : la bonne se précipite, renverse un vase et reste à pleurer.
Nouveaux coups de sonnettes intempestifs.
LA MAÎTRESSE DE MAISON: Amélie ! Amélie ! Voyons Amélie,
qu'attendez-vous pour aller ouvrir, la sonnette a retenti. Ne l'avezvous point ouï ?
LA BONNE : Oui.
LA MAÎTRESSE DE MAISON : Alors un plus de diligence, je vous
prie.
(la bonne s'en va ouvrir)
LA BONNE, niaise : Monsieur ? Monsieur ?
(l'auteur est dans la lune)
LA BONNE (criant) : Monsieur !
GAZOU (à genoux, pleurant) : Voilà cinq minoutes qué iétait à
l'affût. Jouste au moment qué iallai trouver le mot juste... Jé l'avais
sur le bout de la langue...(il s'avance, menaçant sur LA BONNE)
LA BONNE se met à pleurer : Hé ! Ch'avais pas.
GAZOU : Quand jé souis assis à né rien faire, jé travaille !
LA BONNE : Ben, ch'avais pas.
GAZOU : Ma matière grise était en éboulition.
LA BONNE : Ch'avais pas.
GAZOU : Arrêtez, jé vous prie, dé répéter touiours la même çose !
LA BONNE : Chavais pas !
GAZOU : Et dites-moi cé qué vous voulez.
LA BONNE : Moi, je veux rien ; mais y'a une dame qui demande à
parler à monsieur.
(suite en accéléré. cf. les films muets puis normal )
BARBARA : Alors que dites-vous de ma proposition cher maître ?
GAZOU (accent espagnol) : Ouné pièce sur commande est touiours
ouné çose délicate. Mé iavoue qué iaime lé défi. Ouné traiédie
contemporaine centrée biensour sour la fatalité. On pourrait
imalliner ouné femme qui apprend que le ieune homme qu'elle a
épousé était ouné meurtrier.
BARBARA : Une aristocrate, bien sûr !
GAZOU : Bien sour ! Et il aurait assasiné lé prémier mari, sans le
savoir !
BARBARA : Un noble, bien sûr !
NESTOR : Et sans doute le meurtrier, dans son inconscience totale,
aurait ainsi tué son père ?
GAZOU : Mé c'est oune méga idée que vous avez là ! Vous zêtez oune
iénie !
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NESTOR : Pour que la tragédie soit totale, il apprend que celle qu'il a
épousée est sa mère ?
GAZOU : Peut-être qué c'est peu crédible, mais c'est d'un
machiavélisme exorbitant !
BARBARA : Trop exagéré pour la crédibilité ! Comment voulez-vous
faire un succès avec une histoire aussi invraisemblable !
NESTOR : Oserais-je, mon cher Maître une remarque ? Il me semble
que Sophocle a déjà eu la même idée.
GAZOU : Mé quelle importance mon ser ! D'ailleurs, ze ne connaît
pas ce monsieur ! Et nous insisterons sur les conséquences
désastreuses de la révélation : la femme se mettra à boire...
BARBARA : Ah, non ! certainement pas ! Tout du moins pas pendant
le travail sur scène !
GAZOU : Ou alors, nous pourrions zimaziner qué oune belle-mère
tombe amoureuse de son beau-fils ?
NESTOR (voix off) : Décidément, ce monsieur n'avait aucune idée
originale. Il allait maintenant nous refaire le coup de Phèdre ! Moi, je
pensais à Nanou.
(Dans un coin de la scène on aperçoit Nanou qui s'empiffre de
chamallos) . Elle aurait eu quelques années de plus, ou moi, quelques
années de moins ; voilà le drame ! Et encore, quand on aime
quelqu'un, on n'a jamais idée de ce qu'il sera devenu dix ans plus
tard. Il faudrait ne s'engager qu'à un âge certain . Alors, on ne vit
plus d'espoir... on s'habite de souvenirs.
Pendant ce temps, l'auteur et l'actrice ont continué à parler.
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6. LA VIEILLE DAME
Noir
Notre héros assis à la même place, toujours la lettre à la main.
Une vieille dame (qui tricote): A quoi pensez-vous, cher ami ?
NESTOR : Pardon ?
LA DAME : Voilà dix minutes que vous êtes là, sans bouger.
NESTOR (ébahi) : Ah ! Bon.
LA DAME : Vous n'êtes pas malade au moins.
NESTOR : Non, je... je rêvais...
LA DAME : Quel bonheur vous avez ! Vous êtes encore jeune, mon
petit monsieur. Et vous avez ce privilège. A mon âge, on se contente
de souvenirs !
NESTOR : Nous conjuguons nos vies de rêves et de souvenirs.
LA DAME : Vous êtes charmant. C'est votre petite amie qui vous
écrit ?
NESTOR : Non. Je n'ai pas de petite amie.
LA DAME : Ah bon ? Après tout, c'est aussi bien... Moi, je reçois une
lettre tous les jours.
NESTOR : C'est votre petit ami ?
LA DAME : Non. C'est moi qui m'écrit. Je me raconte mes journées.
Quelquefois, je m'invite au restaurant. Le dimanche est un peu triste,
car le facteur ne passe pas.
NESTOR : Pas de nouvelle, bonne nouvelle !
LA DAME : La boite aux lettres reste fermée. Un jour, elle sera
définitivement close.
NESTOR : Pourquoi ?
LA DAME : C'est moi qui serait dans la boite... la boite pour le Bon
Dieu ! J'espère qu'il ne me laissera pas poste restante. (Nestor reste
ahuri). Ne me regardez pas comme ça ! Vous n'y avez jamais pensé ?
A la poste, levée du courrier, au cimetière, levée des corps. Le Bon
Dieu, Il ne doit pas chômer ! Lire le scénario de toute une vie, vous
vous rendez compte ?
NESTOR : Non. Pas vraiment !
LA DAME : Qu'est ce qu'il doit lire comme ineptie !
NESTOR : Ah bon ?
LA DAME : Il y en a qui ont été des cabots toute leur vie.
NESTOR : Peut-être.
LA DAME : C'est une question de distribution, quoi ! Faut dire qu'il y
en a qui ne sont pas gâtés. Toujours des petits rôles, alors qu'ils
auraient pu être jeune premier ! Et d'autres ont le premier rôle, on se
demande bien pourquoi ! Je ne citerai pas de nom... mais parmi les
hommes politiques...Vous avez remarqué, au théâtre, il n'y a pas
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beaucoup de grands rôles féminins ; dans la vie, c'est la même
chose... Moi, quand j'étais jeune, je rêvais d'être équilibriste.
NESTOR : Vous auriez vraiment voulu vous promener sur un fil ?
LA DAME : Mais non ! Simplement, éprouver les mêmes sensations.
Une sorte de vertige permanent ! Je crois qu'il n'y a que l'amour
capable de vous faire ressentir la même émotion.
NESTOR : Vous rêviez d'être toujours amoureuse ?
LA DAME : Bien évidemment !
NESTOR : Et vous l'avez été ?
LA DAME : Le plus que j'ai pu.
NESTOR : Alors vous devez avoir eu des tas d'aventures ?
LA DAME : Bien sûr que non ! Le trapéziste ne cède pas à l'attrait du
vide. En amour, c'est pareil : il faut la tentation, mais ne pas y
succomber.
NESTOR : C'est un peu frustrant.
LA DAME : Pas du tout . C'est quand on consomme qu'on est déçu !
NESTOR : Décidément, vous avez réponse à tout.
LA DAME : Vous ne savez pas que la femme a toujours raison ?
NESTOR : Et vous êtes féministe par dessus le marché !
LA DAME : Lucide, ça suffit. Maintenant, il faut que j'y aille. Il faut
que j'écrive. Je vais raconter notre rencontre .
NESTOR : Quel intérêt ?
LA DAME : La sensation de vertige. Vous avez déjà oublié ?
(montrant ses deux aiguilles à tricoter qu'elle n'a pas cessé de faire
fonctionner) : j'ai même le balancier ...
Apparition de Lafillette, poussant un archaïque landau, et vêtue façon
folklo, couleurs voyantes et légèrement vulgaires.
LA DAME : Bonjour Lafillette ! Vous faites votre jogging matinal ?
NESTOR (voix off ): Lafillette, elle avait passé l'âge et même peutêtre dépassé ! . (voix normale) : Bonjour madame.
LAFILLETTE : Oh ! C'est pas tous les jours qu'on m'en donne du
madame . Allez, te tracasse pas mon gars ; pas de chichi avec moi.
Pour tout le monde je suis Lafillette. Même que t'es un beau gars,
seulement aujourd'hui, j'ai pas le cœur à batifoler.
NESTOR (voix off) : Le cœur, je ne savais pas, mais pour le corps je
n'en doutais pas.
LA DAME : L'âme chagrine, Lafillette?
LAFILLETTE : Me voilà seule. Mon Nestor m'a fait faux bond. Je me
réveille ce matin, il était mort. Alors vous comprenez... Quinze ans
qu'on se fréquentait. Rue de la soupente qu'on s'était rencontré... un
huit janvier au matin, je m'en souviens bien. On s'était jamais quitté.
J'aurai plus mon compagnon de lit. Je le mamourais, je le caressais...
Lui, il me léchait (surprise de Nestor). Pauvre chien !
NESTOR (rassis) : Vous devez être bien malheureuse !
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LAFILLETTE : Je me console en m'disant qu'il a pris les devants. La
haut Saint François l'aura admis au paradis des chiens : les
douloureux, les souffreteux, les snobs, les cabots, les pedigrees...
tous au même niveau. Et quand je passerais l'arme à gauche, Nestor
m'aura réservé un petit coin de sa niche .Alors vous voyez...
NESTOR : Y'a pas de quoi en faire un drame ! Bon, ceci dit, il faut
que j’aille rendre visite à un copain. Il est acteur de romans photos.
Vous connaissez peut-être le mensuel Amour, Soir et Tentation .
Ce n’est pas très littéraire, mais il paraît que ça se vend bien. Et mon
copain, comme il bégaye, dans ce genre de production, il n’y a pas de
problème.
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7. ROMAN PHOTO
Nombre de personnes sur le plateau. Benoit a l'art des "blagues" qui
tombent à l'eau.
NANARD (le directeur) : Non, mais t’as vu l’heure Félix ! Dix minutes
qu’on t’attend !
FELIX : Te fâches pas, de toute façon, tout le monde n’est pas encore
arrivé.
NANARD : Oui, mais quand même !
ÉLISE : Et puis lui, il n’a pas de problème de texte.
FELIX : C’est vrai ! Quoique... C’est vrai, mon texte ! Où l’ai je mis ?
NANARD : Vous voyez, quand je vous disais !
ISABELLE : Ca fait rien, je vais lui prêter la mien. Il est tellement
gentil. Et puis, moi, j’ai de la mémoire.
BENOIT : Il faut bien que tu ais quelque chose, parce que, à part ça,
on ne peut pas dire que tu sois tellement gâté par mère nature !
CHARLES : Ah ! Vous deux, vos gueules ! J’espère que ça ne va pas
commencer !
ODILE : Et bien moi, j’aimerais bien que l’on commence, parce que
j’ai un rendez-vous ; un rendez-vous à ne pas rater.
YVETTE : C’est ton nouveau copain ? Dis, tu me le présenteras ?
ODILE : La dernière fois, tu me l’as piqué. Il est hors de question de
recommencer.
YVETTE : Oh ! La vache ! C’est lui qui t’as quittée !
ODILE : N’empêche que tu l’avais un peu émoustillé. Pour taquiner le
goujon, tu t’y connais.
BENOIT : On se demande bien comment ?
YVETTE : Du côté poisson , tu ferais mieux de la fermer... Il y a
d’autres noms que je pourrais utiliser. Et il te ferait guère plaisir.
BENOIT : Non, mais écoutez la, cette...
CHARLES : Ah ! Vos gueules, J’espère que ça va pas commencer !
ÉLISE : Oui, ben ça, tu l’as déjà dit.
NANARD : Bon, les enfants, c’est pas tout ça ! Au boulot !
Séance travail.
Nestor arrive, tout le monde le salue...
NANARD : Paul, tu es là ? Paul ? Où est passé cet abruti ?
PAUL (la chevelure en pétard) : Voilà, voilà, j’arrive. Il suffit de
m’appeler, pfitt et me voilà. Je suis une vraie petite bombe.
ÉLISE : Moi, je dirais plutôt un pétard.
BENOIT : Et encore un pétard mouillé.
PAUL : J’ai pas eu le temps de me les sécher !
ÉLISE : C’est pas grave, tu as tes instruments, ton matériel ?
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PAUL : Paulo, jamais en défaut ! Mon boîtier, mes objectifs, mes
pellicules... Ou la la , je suis dans un état d’excitation ! C’est peu de le
dire !
NANARD : Bon, puisque tout le monde est prêt, nous allons pouvoir
écouter les précisions données par la conceptualisatrice, enfin celle
qui a écrit le script de cette nouvelle série. Madame Ursula...
URSULA : Mademoiselle, je vous prie.
BENOIT : C’est pas étonnant.
URSULA : Pardon ?
BENOIT : Étonnamment charmant.
URSULA : Merci. J’ai un nouveau concept, fort, je dois le dire, de la
photo, et par là, du roman photos. Il faut éradiquer l’image dépassée
du magazine photos...
CHARLES : Éradiquer ?
PAUL : Chut !
URSULA : Oui. Éradiquer l’image dépréciative donnée de la femme
dans la presse, lui redonner ses titres de noblesse, qui ne doivent plus
rimer avec fesses.
CHARLES : Voila qu’elle cause en vers.
URSULA : Et non seulement rehausser l’image de la femme, mais
aussi élever le niveau intellectuel des lecteurs. Du scénario, ils
doivent générer l’émergence du sens.
PAUL : Ah ! les sens ! les sens ! J’en frétille.
URSULA : Non pas les sens, mais l’essence.
BENOIT : Oui, ben elle a encore augmenté.
ODILE : Rien que pour la manière dont elle s’exprime, je suis
contente d’être une femme.
BENOIT : Il n’y a bien que toi. La femme était déjà compliquée à
comprendre, si, en plus, elle devient hermétique, moi, je deviens
comme Paulo.
NESTOR (voix off) : Plutôt sympathiques, mes copains ! Comme ça,
ils ont l’air de se quereller, mais c’est un jeu auquel chacun se livre
avec beaucoup d’amitié. Alors, pour ne pas les déranger, moi, je me
mets dans un coin, je ne dis rien et j’observe.
URSULA : Je vais vous distribuer le scénario afin que chacun le
compulse et en fonction des rôles respectifs se sente interpellé par la
projection virtuelle de ce qu’il devra réaliser. Le texte n’est que le
négatif de ce que chacun devra positiver en gérant au mieux la
potentialité de ses capacités.
TOUS : Oui, oui, bien sûr !
NESTOR (off) : Dans le genre néo pédago, il faut dire qu’elle y allait
un peu fort. À l’écouter parler, on peut souhaiter que son mari, si elle
en a un, soit sourd !
Tous les acteurs sortent.
NESTOR : C’est pas tout ça ; mais il est déjà dix sept heures et j’ai ma
réunion de parents.
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8. EMMA
Sur le chemin, rencontre inattendue.
EMMA (la petite fille aux allumettes) : Monsieur, monsieur,
pourriez-vous m’indiquer un endroit où passer la nuit ?
NESTOR : Mais, mademoiselle, voilà une question bien surprenante.
EMMA : Je ne sais où aller et je me sens bien seul.
NESTOR : Ne connaissez-vous personne ?
EMMA : Non.
NESTOR : Des parents ?
EMMA : Je n’en ai point.
NESTOR : Des amis ?
EMMA : Vous prononcez là un mot dont le nom jusqu’à ce jour m’est
resté inconnu.
NESTOR : Mais enfin, vous connaissez bien quelqu’un ?
EMMA : Hélas, non.
NESTOR : Et où avez vous dormi la nuit dernière ?
EMMA : Nulle part, je suis à peine née.
NESTOR : Mais quel âge avez vous ?
EMMA : Seize ans.
NESTOR : Vous êtes mineure, même pas majeure. Et personne ne
s’occupe de vous ?
EMMA : Non ! C’est-à-dire... C’est-à-dire... que je me suis perdue.
NESTOR : Il est dangereux pour une très jeune fille comme vous
l’êtes de traîner ainsi dans les rues. Vous pourriez y faire de
mauvaises rencontres.
EMMA : Lesquelles ?
NESTOR : Mon Dieu ! Quelle innocence !
EMMA : S’il vous plaît, aidez-moi. Je suis si seule !
NESTOR : Le temps me manque. Si vous ne trouvez un abri pour la
nuit, je rentrerai chez moi, certes un peu tard, mais je trouverai un
moyen de vous héberger.
EMMA : Merci, Monsieur. J’attendrai.
NESTOR : J’habite juste ici au numéro 13.
EMMA : Grand merci.
NESTOR : En attendant, cherchez quand même une solution. Vous
avez un peu d’argent ?
EMMA : Non monsieur.
NESTOR : Voici un peu de monnaie.
Nestor poursuit son chemin.
NESTOR : Drôle de rencontre ! Si ma concierge m’avait vu, Dieu sait
ce qu’elle penserait ? Et pourquoi lui avoir donné mon adresse ? Je
risque de me retrouver avec une jeune fille mineure sur les bras !
Encore s’il n’y a que sur les bras ! Maintenant je n’ai plus qu’à hâter le
pas, les parents m’attendent.
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9. LE LYCÉE
Nestor arrive au lycée. Grande effervescence dans la
professeurs.
salle
des
NESTOR : Salut !
LA DIRECTRICE : Bon ! Surtout je vous demande de limiter au
maximum le temps de chaque rencontre. Sinon les parents attendent
dans les couloirs. Et cela fait mauvais effet. N’oubliez pas, après, une
collation vous est préparée.
Coup de sonnette : les professeurs se mettent en rang pour gagner leur
salle.
LA DIRECTRICE : Madame Soulevent, vous n’auriez pas du vous
habiller tout en rouge, c’est un peu provoquant ! Quant à vous
Monsieur Toubin, une cravate aurait été du meilleur aloi ! Ceci dit, je
vous souhaite bon courage.
Les professeurs se dispersent.
Nestor recevant des parents.
NESTOR : Bonjour Madame, Monsieur. Je vous en prie, asseyez-vous.
MAXENCE : Nous sommes les parents de Charles Henri Matthieu en
classe de seconde D 25. Nous savons que notre fils extrêmement
brillant envisage une série scientifique afin de préparer science po.
NESTOR : Cependant...
GHISLAINE : Il est sûr que d’autres possibilités lui sont offertes. Un
enfant si intelligent...
NESTOR : Mais les résultats, quant à eux...
MAXENCE : Lui permettent tous les espoirs, nous le savons.
NESTOR : En ce qui concerne les espoirs, il faudrait peut être
envisager...
GHISLAINE : Non, il ne sautera pas de classe. Cela serait injuste par
rapport aux camarades moins doués de sa classe.
NESTOR : Justement, à propos de classement...
MAXENCE : Nous refusons ce système de sélection par trop élitiste
qui mettrait en valeur la supériorité intellectuelle de Charles Henri
Matthieu. Merci de nous avoir reçu. Vous avez de la chance d’avoir
un élève comme notre fils qui doit vous obliger à vous surpasser.
Vous pouvez nous remercier.
PARENTS SUIVANTS
NESTOR : Ravi de vous rencontrer !
PÈRE : Nous aussi, mais sans doute pas pour les mêmes raisons.
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Intervention de là DIRECTRICE : Monsieur Nestor, votre queue
s’allonge, soyez plus rapide.
JACQUES : Le deux qu’il a eu au dernier devoir est inadmissible !
NESTOR : Mais son orthographe et son expression...
JACQUES : Balivernes ! A l’ère de l’ordinateur et de la
communication orale , c’est un critère qui n’a plus raison d’être.
Nous vous demandons donc un effort pour que les résultats
s’améliorent. Voilà Monsieur. Au revoir.
PARENTS SUIVANTS
URSULE : Bonjour Monsieur, nous sommes bien emmerdés. Faut dire
qui comprend pas tout ce que vous causez. Dis lui, toi, que tu
comprends pas !
L’ÉLÈVE : Ben ouais.
NESTOR : Bernard est bien gentil...
L’ÉLÈVE : Ben ouais.
NESTOR : A force de travail, il devrait progresser...
HUGUETTE : Tu vois, on t’lavais bien dit que le monsieur y
comprendrait. Tu sais, t’es pas plus con que ton père.
L’ÉLÈVE : Ben ouais.
NESTOR : Son problème est un problème de vocabulaire. Il y a chez
lui une pauvreté de langage...
URSULE : C’est ce que ji dis. Faut qui lise. A la maison y a des revues.
Tiens ! Rien que le Pélican ! Même que moi j’comprends pas tout. T’as
qu’à lire les annonces de parey le moniale.
NESTOR : matrimoniale !
L’ÉLÈVE : Ben ouai.
LA DIRECTRICE : C’est de pire en pire. Votre queue est de plus en
plus longue !
NESTOR (off) : Moi, je pensais à Nanou... J’aurais bien partagé un
chamallow avec elle...
MAXENCE : Alors quoi qui peut faire ?
NESTOR : Travailler et puis espérer...
MAXENCE : Tu vois, le monsieur, il a raison.
NESTOR : Pas d’autre question ?
HUGUETTE : Mais à par ça tout va bien ? Y a pas de raison qui
réussisse pas ?
NESTOR : L’avenir nous le dira. Au revoir.
NESTOR (seul) : Dans le fond, tous ces gens là sont bien
sympathiques et il n’y a pas de quoi en faire un drame.
PARENTS SUIVANTS
GUY : Ah ! c’est pas trop tôt ! Une heure d’attente pour vous voir,
c’est long !
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NESTOR (off) : Moi, ça fait quatre heures que j’écoute et il paraît
que nous vivons une époque où les gens ne savent plus prendre le
temps de se parler !
GUY : Mon fils est un petit branleur qui n’en fout pas une rame.
HUBERT : Papa !
GUY : Non ! Tu te tais ! Les petits cons n’ont pas droit à la parole.
HUBERT : Mais papa...
GUY : Il n’y a pas de papa qui tiennent !
MÈRE : Calme toi. Son bulletin n’est pas mauvais.
GUY : Oh ! Toi ! Évidemment, il faut que tu prennes son parti.
naturellement, j’ai tort. Alors non contente de toujours le soutenir à
la maison, il faut que même devant des étrangers tu prennes le parti
de ton fils.
NESTOR : Je voudrais...
MÈRE : Mais c’est aussi le tien !
HUBERT : Papa, maman, taisez vous !
NESTOR : Je voudrais...
GUY : C’est possible, quoique... La aussi permet moi d’avoir des
doutes !
MÈRE : Oh ! Guy, là tu dépasses les limites !
NESTOR : Je voudrais...
GUY : Vous ! Taisez-vous ! De quoi vous mêlez vous ?
NESTOR : De votre fils qui...
GUY : Mais de quel droit ? Ce n’est tout de même pas un étranger qui
va faire la loi chez moi ! J’en toucherai deux mots à votre directrice
et croyez moi, j’ai le bras long...
HUBERT : Papa, maman...
NESTOR : En aucune façon je ne voulais...
GUY : Vous ne vouliez pas, et cependant vous l’avez fait...
MÈRE : Chéri, calme toi...
NESTOR : Certes, votre fils manque un peu de rigueur...
GUY : Comme sa mère.
NESTOR : Il est un peu désordonné...
GUY : Comme sa mère...
NESTOR : Et manque de confiance en lui...
GUY : Comme sa mère...
NESTOR : Mais il possède d’excellentes qualités...
GUY : Comme son père !
NESTOR : Mais il ne les montre pas toujours...
MÈRE : Comme son père !
GUY : C’est cela, critique moi, devant des étrangers.
HUBERT : Je ne suis pas un étranger.
GUY : Oh ! Toi la ferme ! Nous réglerons tout ça à la maison. En
route.
NESTOR (off) : Et dire qu’il y en a qui envient les professeurs pour
les vacances. Ceci dit, il y a vraiment de quoi en faire une scène de
23
comédie. Dieu sait combien la vie est trop courte pour s’ennuyer
triste.
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10. NOCTURNE
Nestor arrive chez lui.
EMMA : Je vous attendais.
NESTOR : Et bien pas moi.
EMMA : Vous êtes en colère.
NESTOR : Non ! Pas vraiment !
EMMA : Je vous ai acheté des croissants. Ils sont tout chauds.
NESTOR (off) : A cette heure ci je n’ai pas vraiment envie d’avaler
des croissants. Mais comment refuser à quelqu’un d’aussi charmant ?
EMMA : Vous êtes gentil !
NESTOR : Gentil, gentil...
EMMA : Vous savez, vous êtes la première personne que je rencontre
vraiment. Et je n’ai pas peur de vous.
NESTOR : Merci. Mais pourquoi voudriez vous avoir peur ?
EMMA : Vous savez, tout est si nouveau pour moi.
NESTOR : Certes, vous êtes jeune, mais vous n’êtes quand même pas
née hier.
EMMA : Je crois que non. Je dois avoir sept jours.
NESTOR : J’en ai tellement entendu ce soir que je suis prêt à vous
croire. Le temps est si relatif. Il a fallu sept jours pour construire le
monde... Alors ! Et une désobéissance pour nous punir.
EMMA : Moi aussi, j’ai désobéi.
NESTOR : On voit que vous êtes encore une enfant : jamais une
femme ne ferait un tel aveu.
MME GUDULE (elle sort ses poubelles) : Y s’en sont déjà aux
confidences. Et Mme Gudule, qu’est ce qu’elle fait, hein, Mme Gudule,
elle travaille, elle s’ennuie pas, elle a pas de vice et elle se crée pas de
besoin.
NESTOR (éberlué) : Mais Mme Gudule, vous êtes Voltaire !
MME GUDULE : Connaît pas c’te monsieur... Sans doute un nouveau
dans le quartier que j’ai point encore rencontré.
NESTOR : Mais non, l’auteur de Candide.
MME GUDULE : Un nouveau feuilleton télévisé ?
NESTOR : Mme Gudule, vous êtes géniale !
MME GUDULE : Ben puisque tout d’un coup vous êtes si gentil, tenez
ce sac, y a des chatons qui sont encore à respirer, vous aurez qu’à les
achever.
EMMA : Quelle horreur ! La vie est sacrée. Moi, j’ai failli mourir...
MARI DE LA CONCIERGE (en état d’ébriété) : Punaise ! la jolie pépée
! Ce serait été bien dommage ! Parce que franchement y a de quoi se
rincer l’œil... après s’être rincé le gosier. Hic ! (il rit grassement).
MME GUDULE : Je remonte. Y faut que je couche l’éponge.
NESTOR : Pourquoi avez-vous faillir mourir ?
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EMMA : Je vous le raconterai demain, je suis si fatiguée.
NESTOR : Vous avez une mine de papier mâché.
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11. LE LENDEMAIN
Nestor sort de chez lui et rencontre Nanou.
NANOU : Et bien dites donc, Monsieur Nestor ! Vous êtes bien
frétillant ce matin ?
NESTOR : Il y a des jours comme cela.
NANOU : Vous avez bien dormi ?
NESTOR : Royalement.
NANOU : Petit cachottier !
NESTOR : De quoi ?
NANOU : Du petit extra que vous vous êtes offert.
NESTOR : Non Barbara! Tu vas dire des bêtises. Mange tes
chamallows et tais toi.
NANOU : Chacun ses gourmandises... (elle s’en va).
Arrivée de Barbara : Alors, on se met en ménage ?
NESTOR : Les nouvelles vont vite. Mais trop vite pour être vraies ! Et
il n’y a pas de quoi en faire une histoire.
BARBARA : Dommage ! A bientôt cher ami. Vous me raconterez.
NESTOR (seul) : D’ailleurs, je ne sais rien, rien et rien. Elle a sept
jours, elle a failli mourir... Allez je file voir mes amis du roman
photo.
EN CHEMIN
JULIE : Salut Nestor, alors remis de ta réunion ?
NESTOR : Oui, bien sûr. Et puis tu sais les vacances arrivent.
JULIE : Tu parles ! Quatre paquets de copies à corriger...
NESTOR : Voilà de quoi t’occuper. En plus en physique, ça va vite !
JULIE : Ca, c’est bien une idée de prof de français ! Les élèves
aujourd’hui sont tellement nuls, ça prend un temps !
NESTOR : Au moins tu sers à quelque chose ! Imagine, uniquement
des élèves surdoués... J’ai bien dit, imagine... Tu serais obligé de te
surpasser !
JULIE : En plus, franchement, je vais te dire... J’arrive pas à faire la
correction. Trois fois que je refais les calculs, je ne trouve jamais le
même résultat.
NESTOR : Prends les annales corrigées !
JULIE : J’ai donné un sujet qui n’est pas dessus. Alors tu vois, les
vacances... Déjà que je suis crevée! je me serais bien accordée une
semaine de farniente.
NESTOR : Tu sais, la paresse, c’est un art. Quand on est professeur
de matières nobles, le français, par exemple, on réfléchit avant. On
ne donne un sujet en devoir que si l’on est sûr d’avoir les éléments de
la correction.
JULIE : C’est pas bête !
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NESTOR : Tu as compris ? Alors ton cas n’est pas désespéré. J’aurais
même rencontré un prof de physique intelligent, c’est pas tous les
jours ! En attendant, demande à un collègue de t’aider.
JULIE : J’ose pas. Ils vont me trouver un peu cruche !
NESTOR : Demande à Alphonse.
JULIE : J’oserais jamais.
NESTOR : Il est gentil comme tout.
JULIE : Moi, il m’intimide. J’ai pas trop confiance.
NESTOR : Il ferait n’importe quoi pour rendre service !
JULIE : Justement, je ne voudrais pas qu’il fasse n’importe quoi !
NESTOR : Tu sais il ne fait pas n’importe quoi avec n’importe qui.
JULIE : Mais je ne suis pas n’importe qui !
NESTOR : Tu n’es pas n’importe qui... Mais à n’en pas douter tu es
un corps qui obéit à la loi physique de l’attraction amoureuse.
JULIE : Qu’est ce que tu vas chercher ?
NESTOR : Rien. Je constate. Réflexion fondée sur l’observation. Et il
n’y a pas de quoi te rendre malade.
JULIE : Tu crois que je peux lui téléphoner ?
NESTOR : Bien sûr !
JULIE : Il m’invitera chez lui ?
NESTOR : C’est à voir !
JULIE : Tu me laisses espérer des choses...
NESTOR : Je te certifie que sa maman fait très bien la cuisine !
JULIE : Il vit chez sa mère !!!
NESTOR : Non. C’est sa mère qui vit chez lui.
JULIE : C’est embêtant !
NESTOR : Pourquoi ?
JULIE : Ce sera moins intime.
NESTOR : Tu sais, ses enfants se couchent tôt !
JULIE : Il a des enfants ?
NESTOR : Trois garçons et deux filles qui ressemblent à leur mère.
JULIE : Il est marié ?
NESTOR : Une femme ravissante qui est en stage à Paris. C’est
d’ailleurs pour cela que sa mère est chez lui.
JULIE : J’ai vraiment pas de chance ! Il y a des célibataires à l’école ?
NESTOR : Oui, moi !
MME GUDULE : Et bien dites donc, monsieur Nestor ; vous êtes
infatigable ! Avec vous les femmes, ça défile ! Vous devriez tout de
même faire attention à la qualité !
NESTOR : Mme Gudule !!! Je vous en prie !
JULIE : Question qualité, je ne suis peut être pas de premier choix ;
mais, moi, je ne suis pas encore avariée !
MME GUDULE : Qu’est ce qu’elle a la greluche ?
NESTOR : Mais, madame Gudule, c’est une collègue de travail ! Julie,
attends moi...
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MME GUDULE : Pauvres élèves ! On comprend qu’y en est qui
s’intéresse pas à la matière...
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12. SÉANCE PHOTO
NANARD : Allons-y pour la séance photo ! Paul, tu es prêt ?
PAUL : Paulo, prêt pour les photos !
M1 et F1 : Nous voilà !
URSULA : Situation initiale. Scène de la rencontre. Dans la rue, vous
vous croisez.
PAULO : En place !
URSULA : Vous, levez la tête, sinon vous ne la verrez jamais... Pas si
haut !... Et puis vous, soyez un peu plus élégante, séduisante,
chatoyante... Oui, mais n’oubliez pas que vous pleurez.
F1 : J’ai pas de mouchoir !
PAULO : Tenez, je vous prête le mien. Il est tout propre, lavé avec
Omo assouplissant, tout frais repassé.
NANARD : Photo !
URSULA : Bon, élément perturbateur : vous laissez tomber votre
mouchoir...
NANARD : Faites quelques pas... Gros plan sur le mouchoir.
URSULA : Au moment où il tombe.
PAULO : Pas dur !
NANARD : Photo
URSULA : Troisième temps, vous ramassez l’objet.
NANARD : C’est pas le départ du cent mètres !
NANARD : Photo !
URSULA : A refaire ! Pourquoi riez-vous bêtement ?
F1 : J’parie qu’il est en train de regarder ma petite culotte blanche.
M1 : C’est pas vrai ! Et puis d’abord, elle est pas blanche, elle est
noire.
F1 : Je l’avais bien dit !
NANARD : Mais c’est pas vrai ! C’est pas vrai ! C’est pas la colo ici !
M1 : C’est pas de ma faute, elle est juste dans mon champ de vision !
URSULA : Décidément, les hommes ont du mal à contrôler leurs
instincts !
PAUL : Leurs pulsions !
URSULA : Pardon !
PAUL : Rien. Juste un problème de vocabulaire.
URSULA : La réalité reste la même. Vous êtes des cochons !
NANARD : Bon, bon, on reprend : photo.
URSULA : La conséquence, le coup de foudre !... Mettez vous plus
prêt... Encore plus prêt !... Mais ne reculez pas !
F1 : C’est l’haleine ! Cigarette, café ! De quoi me faire dégueuler !
URSULA : Et puis vous, soyez en extase ! Vos yeux se rencontrent.
M1 : C’est dur dur !
PAUL : Imagine !
URSULA : Là, un gros plan.
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NANARD : Photo !
URSULA : Situation d’approche, leurs mains s’égarent...
F1 (le gifle)
URSULA : On a dit égarer, on n’a pas dit gifler !
F1 : Oui, mais lui, ses mains, elles s’égarent pas ! Elles ciblent. On
touche pas à la marchandise. Interdiction de stationner sur mes
zones érogènes, compris ! Texto, je te le dis.
URSULA : Pas sauvage !... Sentez vous attiré l’un par l’autre. De
l’amour, quoi ! C’est pas difficile !
NANARD : C’est bien, photo.
URSULA : Situation finale. Le baiser... Mais non ! Ce n’est pas
l’homme qui mène l’opération !
M1 : L’opération ! L’opération ! c’est pas un acte chirurgical quand
même !
F1 : Ben, c’est du bouche à bouche ! Tu vas voir l’anesthésie... totale !
M1 : Et puis je ne vois pas pourquoi c’est elle qui m’embrasse !
URSULA : Mais la femme nouvelle, enfin libérée du poids des
traditions bourgeoises, assume sa nouvelle identité et maîtrise son
partenariat !
M1 : Le poids des mots, le choc des photos !
PAUL : Bon, on y va !
M1 : Pas très confortable comme situation !
URSULA : Il faut châtrer le mâle de son pouvoir de domination.
M1 : Ouf ! J’ai eu peur.
URSULA : De dominant il devient dominé ; de puissant il devient
soumis !
M1 : Bon, ben y’a pas de raison. Puisqu’il faut le faire, ça va le faire.
NANARD : Photo !
F1 : N’empêche, la tradition, elle a du bon ! Moi, à tout prendre, je
pense que c’est toujours au mec de faire l’homme.
URSULA : Vous réfléchissez encore selon des schémas ancestraux.
Votre éducation est à refaire. Il faut vous apprendre à gérer
l’émergence de votre moi pour qu’il devienne autonome ; ainsi vous
accéderez à la parité !
NANARD : Bravo ! vous excellez !
NESTOR : Et bien, la parité, si on l’applique partout, normal, quoi !
pas uniquement à l’assemblée, je connais des lycées où ça va être le
chambardement s’il faut autant de profs masculins que féminins.
Moi, personnellement, je suis contre... C’est vrai. Pourquoi la femme
veut elle toujours et partout singer l’homme ? Croyez moi, la vraie
femme est en voie de disparition. Il va falloir créer des réserves pour
préserver l'espèce.
31
13. INDICES
Rencontre avec Lafillette.
LAFILLETTE : Alors, m’sieur Nestor, c’est les vacances !
NESTOR : Oui, enfin quelques copies, les cours à préparer...
LAFILLETTE : Et pis un peu de bon temps pour roucouler avec la
jeunesse.
NESTOR : Vous l’avez vue ?
LAFILLETTE : Non, mais les bruits courent vite. Méfiez vous des
cancans, quand y en a plus, y en a encore.
NESTOR : Alors jeune princesse ?
EMMA : Bonjour. Ce que je vous ai dit hier, n’y pensez plus.
NESTOR : Mais, je veux savoir.
EMMA : L’auteur de mes jours m’a laissé tomber ...
NESTOR : Tombé ? Mais tombé comment ?
EMMA : Il m’a jeté...
NESTOR : Jeté ... dehors ?
EMMA : Non, dans la poubelle.
NESTOR : Oh ! L’ordure !
EMMA. : Non, la corbeille à papier.
NESTOR : Bon ! Là, j’ai du mal à cerner la situation. Dans la cor-beille à pa-pi-er ?
EMMA : Il m’a mis en boule, j’ai eu le cœur déchiré. Alors, j’ai
désobéi et je me suis enfui.
NESTOR : Il ne s’est jamais occupé de vous ?
EMMA : Si, je crois qu’il m’aimait bien. Il adorait parler de moi.
NESTOR : Alors ?
EMMA : Pendant un temps, je crois même avoir été l’unique objet de
ses pensées.
NESTOR : Tu parles ?
EMMA : Et puis un jour... Non, un soir, après une correction, il m’a
oubliée.
NESTOR : Il vous a frappée ?
EMMA. : Il y a eu une sévère discussion avec une femme que je ne
connaissais pas. Il s’est mis en colère et il a tout envoyer balader.
NESTOR : Votre mère ?
EMMA : Non.
NESTOR : Sa maîtresse ?
EMMA. Non !
NESTOR : Mais pourquoi ?
EMMA : Elle me trouvait sans intérêt et pas très originale pour
séduire le public.
NESTOR : Le public ?
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EMMA : Oui, le public adulte.
NESTOR : Oh ! le salaud ! le salaud ! Pardonnez cette grossièreté de
langage. Mais c’est terrifiant.
EMMA : Alors il ne m’a plus mis sous sa couverture.
NESTOR : Oh ! le cochon ! le cochon !
EMMA : Si bien que je me suis enfui.
NESTOR : Ma pauvre enfant.
Arrivée précipitée d’une autre jeune fille, angoissée, paniquée...
HÉLÈNE : C’est bien toi, Emma ?
EMMA : Oui, pourquoi ?
HÉLÈNE : Oh ! Que je suis contente... J’ai passé toute la nuit à te
chercher.
NESTOR (off) : Toutes les deux aussi charmantes. Excusez moi, mais
qui êtes-vous ?
HÉLÈNE : Hélène.
NESTOR : Un nom à la résonance hellénique, un prénom mythique...
Il y en a qui se sont battu pour Hélène...
HÉLÈNE : Vous ne croyez pas si bien dire. Quelqu’un veut mettre la
main sur ma personne...
NESTOR : Oh ! Un grec ?
HÉLÈNE : Non, un inconnu qui veut abuser de ma personne et faire
en quelque sorte que je mène une double vie.
NESTOR (off) : Là, ça commence à faire beaucoup, et je trouve que
l’histoire devient de plus en plus compliquée. (normal) : Mais, au
fait, pourquoi cherchiez-vous...
EMMA : Emma...
NESTOR : Emma ?
HÉLÈNE : C’est la fille ratée qui n’a pas vécue...
NESTOR (off) : Elle n’a peut être pas vécu, mais elle est loin d’être
ratée.
HÉLÈNE : Et moi je suis la fille perdue dont l’histoire est accomplie.
NESTOR : Vous aussi, vous êtes perdue ?
HÉLÈNE : Oui, mon amoureux m’a laissé tomber. Il était marin, et
d’escale en escale, il m’a oubliée.
NESTOR : Un de perdu...
HÉLÈNE : Mais j’attends un bébé.
NESTOR (off) : Trop, c’est trop ! En quarante huit heures, je me
retrouve avec deux filles sur les bras et un bébé virtuel. Il va falloir
que je sois interactif. Superman, Batman, Bioman, à l’aide ! Pas très
littéraire comme référence, mais faut sauver la planète qui
commence à plus tourner très rond. Et moi je me prends pour
Rainman...
Sur scène apparaissent les trois héros...
33
NESTOR : Saperlipopette. Maintenant j’ai des visions. Il faut que je
fasse attention. Moi, les réunions de parents, ça n’a pas l’air de me
réussir.
Nestor s'évanouit.
Les trois personnages disparaissent.
EMMA : Ca ne va pas ?
HÉLÈNE : Un malaise ?
LES DEUX : On va s’occuper de vous.
MME GUDULE : Mais y tourne plus rond, le totor ! Vlat-i pas qui en a
deux maintenant.
HÉLÈNE : Je voulais te dire, tu es recherchée par la milice Pyrofère :
elle veut t’anéantir.
EMMA : Pourquoi ?
HÉLÈNE : Tu n’avais pas le droit de te libérer.
EMMA : Mais personne ne m’aurait jamais connue. Moi, je peux faire
pleurer, rire et rêver. Regarde cet homme, je suis entrée dans sa vie.
Et je crois qu’il s’est attaché à moi. Je veux vivre
MME GUDULE : Dites, à ce propos, les chatons, monsieur Nestor,
est-ce qu’il les a esgourdis ?
EMMA : J’en sais rien et je m’en fous ! Je veux vivre !
Crissements de pneus, les portes claquent, trois hommes armés en
descendent et enlèvent Emma, Hélène et Nestor.
MME GUDULE (affolée) : Au secours, au secours, au secours !
Firmin, Firmin téléphone à la police.
Bruit d’une voiture qui démarre sur les chapeaux de roues.
M. GUDULE (ivre) : Quoi qui y'a ?
MME GUDULE : On vient de kidnapper M. Nestor.
BARBARA: Qu’est ce qui se passe ?
MME GUDULE : Cinq extrémistes ont embarqué notre pauvre M.
Nestor.
BARBARA : Qui pourrait lui en vouloir ?
BARBARA: Peut-être le père de la jeune fille qu’il a hébergée ?
BARBARA : Ou son frère ?
MME GUDULE : Ou son amant ?
LA DAME AU TRICOT : En voilà d’une histoire ! Un quartier si
tranquille ! Jamais de bruit ! Jamais une voiture qui brûle ! Même pas
un satyre ! Et puis un homme si sympathique !
LAFILLETTE (panique) : (Une traction, une traction noire a failli, a
failli me renverser... Elle a écrabouillé mon landau. Ah ! Les vaches !
Les trois bouteilles de Père Julien ont volé en éclat. Même pas une
goutte pour me remettre de mes émotions.
34
ACTE II
14. LA CRYPTOSPHÈRE
Des statues décorent le lieu, recouvertes de draps blancs. Musique
onirique.
NESTOR : Ah ! Ma tête ! Ma tête !... Quel endroit sinistre !... Il y a
quelqu’un ?... Holà ?... Il y a quelqu’un ?
Nestor parcourt la scène, regarde et se hasarde à soulever un drap.
ANTIGONE : Ne pourriez-vous pas me laisser reposer en paix ?
NESTOR : Vous... Vous êtes Antigone ?
ANTIGONE : Je suis la fille d’Oedipe.
NESTOR : Oui, cela, je le savais. Petite et noiraude.
ANTIGONE : Vous ressemblez à Hémon, mon fiancé...
NESTOR : La ressemblance s’arrête là. Vous savez, moi, je ne suis pas
fils de roi.
ANTIGONE : Oui, en effet, cela se voit. Voulez-vous me laisser, je
vous prie. Les mythes ont droit à un peu de repos.
NESTOR : Dans la vie, il y a des moments où il ne faut pas se poser
trop de questions. Sinon, la tragédie commence.
EMMA et HÉLÈNE arrivent essoufflées.
EMMA : Enfin, vous voila ! Nous sommes dans de beaux draps !
NESTOR : C’est le cas de le dire. Mais j’y trouve un certain charme.
HÉLÈNE : Venez vite avec nous.
NESTOR : Il serait dommage de ne point profiter de ce moment
privilégié.
Nestor soulève un autre drap.
DON JUAN : Holà, manant ! Tes manières éhontées ne sont point
celles d’un homme civilisé.
NESTOR : DON JUAN ! L’homme aux multiples conquêtes !
DON JUAN : Non point avec le corps, mais avec la tête ! Mais
comment m’avez-vous reconnu ? Et quel est cet accoutrement pour
moi inconnu ?
NESTOR : Ce serait trop long à vous expliquer, et d’ailleurs, j’en suis
incapable. Puisque je vous vois et que l’occasion m’est présentée,
permettez-moi une question. Sans indiscrétion. Ne vous est-il jamais
arrivé de... enfin... de... faire "crac crac" ?
DON JUAN : Je vois que ma réputation les siècles a traversés. Moi
qui rêvais d’autres univers où pouvoir mes conquêtes embrasser.
Vous n’êtes point de haute naissance pour vous autoriser une telle
licence.
NESTOR : C’est que... nous vivons une époque...
DON JUAN : Où les mots se sont appauvris, d’après ce que je ouï.
NESTOR : Oui . Aujourd’hui, ou ne dit plus l’amour... on le fait.
35
ANTIGONE : On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent.
DON JUAN : Je partage votre mépris. les mœurs se sont bien avilis.
NESTOR : Je voulais vous demander si vous aviez quelquefois rendu
hommage aux femmes que vous courtisiez.
DON JUAN : C’est une question sans importance. Dans le
maniement du verbe est la jouissance. Et je vois là quelques belles
dames qui mériteraient que pour elles on se damne.
NESTOR : C’est déjà fait, alors, s’il vous plaît, ne vous en mêlez pas.
HÉLÈNE : Venez vite sans attendre.
NESTOR : Attendez.
EMMA : Non, le temps presse.
NESTOR : Je ne sais point où j’en suis mais l’occasion est trop rare.
Nestor soulève un autre drap. La marquise de Merteuil apparaît
défigurée par la petite vérole.
LA MARQUISE DE MERTEUIL : Quelle insolence de venir ainsi
perturber mon silence. Laissez la marquise de Merteuil de sa propre
vie porter le deuil.
NESTOR (off) : Certes la relation semblait dangereuse, mais au point
où j’en étais...
NESTOR : Excusez cette irruption.
HÉLÈNE : Quelle horreur !
EMMA : La pauvre !
DON JUAN : Toutes les femmes ont le droit de nous charmer et
méritent d’être aimées pour notre bonheur et le leur.
ANTIGONE : Le bonheur ? Quel pauvre mot, Hein ? Qu’a-t-il été son
bonheur ? A qui a-t-elle dû se vendre ? A qui a-t-elle dû mentir pour
grignoter jour après jour son petit lambeau de bonheur ?
LA MARQUISE : J’ai toujours voulu tout, tout de suite, et que ce soit
entier ou alors je refusais. Le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît pas.
NESTOR : Le cœur, le cœur, encore faut-il en avoir !
DON JUAN : J’eusse aimé, marquise, contre vous une joute verbale.
En tant qu’adversaire, vous êtes presque mon égale.
NESTOR : La situation était extravagante ! Je m’escrimais à longueur
de journée à essayer de faire partager à mes élèves mon amour de la
littérature et ils étaient là, devant moi, ces personnages que j’aimais
tant.
Bruit de sirènes hurlantes, branle-bas de combat. Annonce au micro
d’un avis de recherche concernant nos trois héros.
EMMA : Vite ! Cachez vous là.
HÉLÈNE : Prenez ce drap !
36
Les deux jeunes filles se cachent sous un drap. Nestor s’empêtre dans
le sien et reste à moitié découvert ou à moitié couvert. Les trois gardes
déjà rencontrés parcourent la scène.
KAKOLA : Apparemment rien dans le coin.
KOZAKI : On n’y voit goutte, KAKOLA. Et dans ce labyrinthe, difficile
de les retrouver. (il aperçoit la statue dénudée). Kézako, viens voir...
KEZAKO : Tiens, un nouveau. Je ne l’avais encore point vu.
KAKOLA : Vise la tronche ! Ce doit être un personnage de B.D.
KOZAKI : A mon avis, c’est un prof. Ca m’en a tout l’air : figure
ahurie, muscles zygomatiques avachis, on dirait qu’il va faire son
petit caca nerveux.
Retentit à nouveau la sirène.
KAKOLA : Traînons pas. Ils ne doivent pas être loin. (ils sortent).
NESTOR : Etre obligé de se laisser insulter comme cela sans pouvoir
répondre. Je vous apprendrais, moi, espèce de bachibouzoucs !
LA CASTAFIORE (sortie d’un drap) : Capitaine, Capitaine... Où êtesvous ? ... Mais quel est ce simagrée d’Hadock ?
NESTOR : Désolée, je ne suis pas la personne ad hoc. Je me nomme
Nestor.
LA CASTAFIORE : Nestor ! Vous voulez rire ! (elle rit bruyamment).
NESTOR : En tout cas, enchanté !
LA CASTAFIORE : Oh ! Vraiment, je donne un récital, ce soir à
l’agoraphonothèque. En attendant, je peux vous faire quelques
vocalises... (elle chante).
STROUPF GROGNON (il enlève son drap) : Eh ! C’est pas l’heure de
stroumpfer. Moi, je suis en cure de sommeil. Alors Schtroumpf !
Silence !
DON JUAN : Le nain de jardin est offusqué. Quelle impertinence
pour un personnage décalqué, une vulgaire silhouette de B.D.
LA CASTAFIORE : Mais, moi aussi, j’en suis une et je ne permettrais
pas que...
DON JUAN : Mais, vous êtes d’abord une femme. Et, ma foi, bien
dessinée.
LA CASTAFIORE : Ah ! le séducteur ! Vous ne changerez donc pas ?
DON JUAN : Je voudrais vous embraser, allumer en vous la
flamme...
LA CASTAFIORE : Ah ! Pas la flamme ! Non, pas la flamme ! Je vous
rappelle que je suis de papier et pas ignifugé. Bas les pattes !
DON JUAN : Dommage !
Nouvelle sirène. Tous les personnages retrouvent leur pose initiale.
NOIR.
37
15. LA GYNESPHÈRE
Les divinités sont placées sur des tabourets ; vêtues de longues robes
qui descendent à terre, elles donnent l’impression d’être des géantes.
ALPHA : Hélène, vous vous êtes rendu coupable d’évasion.
HÉLÈNE : Mais, Alpha... Certes, je n’aurais pas dû quitter le
manuscrit. Mais il y a eu tentative de plagiat. Un écrivain n’a
nullement le droit de s’inspirer d’une œuvre écrite par un autre
écrivain. Vous savez le sort réservé à ceux et celles qui se trouvent
clonés à leur dépens. Oméga comprenez moi !
OMEGA : Mener une double vie est, nous le savons, impensable.
HÉLÈNE : Moi, j’ai été créé par un romancier en qui personne n’a
cru. La critique n’a même pas fait allusion à son œuvre, il est passé
inaperçu. Et il suffirait qu’un auteur à la mode comme Rosine
Dégorges s’en inspire pour entretenir sa célébrité ! C’est hors de
question. Je ne veux pas renier mon père. Je ne veux pas être
dénaturée.
ALPHA : Cette attitude vous honore. Pour cette fois, vous êtes
acquittée. Inutile de délibérer.
GAMMA : Quant à vous Emma, aucune circonstance ne peut justifier
votre délit. Vous êtes accusée de désertion.
EMMA : Mais, Gamma, je n’ai rien dit ou accompli de mauvais.
IPSOLON : Vous savez que là n’est pas la question. Si un auteur
décide d’arrêter d’écrire et déchire ses brouillons, votre vie est finie.
Vous n’êtes rien.
EMMA : Mais je veux vivre !
NESTOR : Soyez raisonnable. Vous savez qu’un personnage échappe
toujours plus ou moins à son créateur. Et puis, elle est mignonne...
Essayez d’être un peu humain.
OMEGA : Le mot est amusant !
GAMMA : Un personnage à peine esquissé, pas même fini, en
quelque sorte un personnage avorté, comme vous l’êtes, n’a aucun
droit. Vous êtes condamné à la détention perpétuelle dans les geôles
d’Absurdie.
NESTOR : Mais, c’est une enfant. Vous ne pouvez condamner
quelqu’un d’innocent ! Et en plus, c’est une jeune fille... toute
innocente. C’est rare de nos jours, vous savez...
ALPHA : La décision est irrévocable.
EMMA s’évanouit. Nestor veut lui porter secours, ses mouvements
sont impossibles.
NESTOR : Hé ! Je suis bloqué, je ne peux plus bouger...
ALPHA : Ici, les femmes commandent. Elles ont le pouvoir.
NESTOR : Chez vous aussi...! Vous savez, je suis un peu ankylosé, pas
très à l’aise, je crois que je suis un peu ridicule...
38
ALPHA : Les hommes le sont toujours !
OMEGA : THALIE interdit à tout humain d’agir contre la volonté des
muses. Vous, vous n’auriez jamais du pénétrer dans la cryptosphère,
le musée imaginaire. Les chanteuses divines protègent les êtres rêvés,
imaginés par les hommes ; du moins le croient-ils. Vous êtes un
intrus.
NESTOR : Mais je ne vous veux aucun mal.
HÉLÈNE : Croyez-le ! C’est un amoureux des belles lettres.
IPSILON : Est-ce parce qu’il aime les lettres qu’il s’est autant attaché
à M.A. ? Et à vous L.N. ?
ALPHA : Aucune relation amoureuse ne peut exister entre nos deux
mondes. Gardes ! Emmenez-les dans la maniacosphère. Et surveillezles.
39
16. LA MANIACOSPHÈRE
Un endroit où circulent des personnages inachevés, physiquement ou
intellectuellement. Ils rampent sur le sol, ou marchent en titubant.
LA VOIX (peut se faire au micro) : Qui es-tu donc, étranger ?
NESTOR : Je m’appelle Nestor. Je suis professeur...
LA VOIX : Quelle page as-tu ?
NESTOR : Pardon ?
LA VOIX : Ici, peu ont la page de raison. Quelle page as-tu ?
NESTOR : Mais qui êtes-vous ? Où êtes-vous ?
LA VOIX : Je suis désincarnée. Je ne suis qu’une voix.
NESTOR : Je ne vous comprends pas.
L’AMNÉSIQUE : Vous n’avez pas vu mon petit chat ?
NESTOR : Non.
EMMA : Tu es dans les limbes. Ici, vivent des créatures à peine
ébauchées. Parfois des silhouettes, à peine esquissées.
LA VOIX : L’ÉCRIVAIN qui m’a conçue n’a jamais pris le temps de
me décrire. Le verbe ne s’est pas fait chair.
NESTOR : Sans aucun doute un philosophe.
LA VOIX : Non. Un poète, ou prétendu tel, mort fou avant d’avoir pu
m’accoucher.
NESTOR : Mort comment ?
LA VOIX : Overdose. Absinthe. Compagnon de Verlaine et ami de
Debussy.
L’AMNÉSIQUE : Vous n’avez pas vu mon petit chat ?
NESTOR : Non.
NECROMANE 1 : Étranger, raconte nous ton histoire.
EMMA : Non, ne dis rien.
NECROMANE 1 : S’il te plaît ?
EMMA : C’est un homme.
NECROMANE 2 : Oui, nous le voyons bien.
EMMA : Il vient de la planète bleue.
NECROMANE 3 : Camarades, puisqu’enfin nous tenons un être
humain, en chair et en os, vengeons nous mes frères ! Eux qui
s’arrogent le droit de manipuler nos destins selon leur volonté, eux
qui s’autorisent à nous abandonner lâchement, eux qui abandonnent
leur création, qui coupent leurs lignes, les lignes de nos vies... qui se
croient des dieux, camarades, il faut les anéantir !
EMMA : Non ! Arrêtez. Je suis comme vous. Je ne suis pas formée.
NECROMANE 4 : Je ne perçois aucun signe apparent qui prouve que
ce que tu dis es vrai.
EMMA : J’ai bravé l’interdit. J’ai osé désobéir.
NECROMANE 1 : Prouve-le !
40
NESTOR : Je ne serais pas ici autrement. Sa rencontre fortuite a
bouleversé le cours de ma vie.
L’AMNÉSIQUE : Vous n’auriez pas vu mon petit chat ?
NESTOR : Non ! Non et Non ! Vous savez, je suis amoureux des mots,
des belles phrases, des personnages inventés, comme vous ; ils sont
aussi vrais que ma concierge ou que Nanou... (off) : "tiens, c’est vrai,
Nanou, je l’avais oubliée". Si je pouvais vous aider !
NECROMANE 4 : Regarde la tache d’encre que je porte. Un
mouvement de colère de l'écrivain qui a abandonné sa tâche. Je ne
vois pas comment tu pourrais m’aider. Indélébile, la tache !
NECROMANE 2 : Regarde cet
abruti
là-bas qui
refait
sempiternellement le même chemin. Son auteur l’a abandonné au
moment où il avait perdu ses clés de maison. Depuis, impossible de
l’arrêter !
NECROMANE 4 : Quant à lui, il n’a jamais eu droit à la parole. Il
s’escrime à essayer de sortir un mot : un grand mot, un mot tendre,
un gros mot, même un petit mot, il n’y parvient pas.
NECROMANE 1 : Et celle-ci, Claude, son auteur l’a changée de sexe
en cours de route, Sa voix a mué.
CLAUDE (voix homme) : Qui suis-je, où vais-je, dans quel état
j’erre...)
L’AMNÉSIQUE : Vous n’avez pas vu mon petit chat ?
NECROMANE 1 : Lui, il est né amnésique. Il ne se souvient jamais de
ce qu’on lui dit.
NECROMANE 2 : Lui, que tu vois assis sans bouger, 553 ans qu’il est
là ! Description en focalisation externe, aucune vie, un vrai légume...
Alors comment pourrais-tu nous aider ?
NECROMANE 3 : Tu as fini de faire ton intéressant auprès de
Monsieur.
NECROMANE 4 : Toi, tu n’es qu’un bâtard dont on ignore le nom !
NECROMANE 2 : Je me nomme lui .
NECROMANE 4 : C’est qui lui ?
NECROMANE 2 : Lui , c’est moi.
NECROMANE 4 : Non ! Moi, c’est moi ! Dites lui !
NECROMANE 2 : Non, lui c’est moi !
Sonnerie de clairon. Arrivée de pages, des jeunes filles. Elles sont
suivies des livres non édités.
EMMA : Attention. Ce sont les gardes qui escortent les bibliopathes.
NESTOR : Qui sont les bibliopathes ?
EMMA : Les livres en souffrance, une craie cour des miracles : tous
les écrits rejetés, mis au rebut, voire même en partie brûlés.
NESTOR : Pourquoi les gardes sont-ils mis en page ?
EMMA : Ce sont les pages de garde.
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BILIOPATHE 1 : T’as vu ton titre, Le serpent major complètement
débile ! Pas étonnant qu’on t’ai refusé à l’édition !
BIBLIOPATHE 4 : Toi, tu la boucles. Moi, j’ai quand même cent deux
pages et demie. Quand on n'a que trois pages, et encore avec des
ratures, on n’a pas droit au chapitre !
BIBLIOPATHE 2 : Monsieur se prend pour un petit tome. Tu n’as
même pas un titre !
BIBLIOPATHE 4 : De toute façon, toi, tu fais pas le poids !
BIBLIOPATHE 2 : Question volume ! Laisse-moi rire !
BIBLIOPATHE 3 : Oh ! Ca suffit !
BIBLIOPATHE 4 : De quoi tu te mêles ? Quand on n’est qu’un essai
on se tait.
BIBLIOPATHE 1 : Surtout un essai raté !
BIBLIOPATHE 3 : Oh ! Toi le journal , à part le gros titre, il n’y a pas
eu de tirage. Le canard, il a fait couac . L’auteur, on lui porte des
oranges à Mérungis.
BIBLIOPATHE 1 : De toute façon, toi, tu es hermétique et tu sens
mauvais. Tu veux même que je te dise, tu pues : des renvois à toutes
les pages, c’est pas sain comme lecture, c’est pas hygiénique.
NESTOR : Charmante ambiance !
EMMA : Ce sont tous des éclopés. A force, la cohabitation est
difficile. (elle montre un couple se tenant main par la main). Ceux-là
sont inséparables. Ils vivent un peu en marge.
NESTOR : Qui sont-ils ?
EMMA : C’est la petite nouvelle avec le nouveau roman.
NESTOR : Deux genres très différents ! Comment font-ils pour
s’entendre ?
LE NOUVEAU ROMAN : Oh ! Vous savez, avec moi, il n’y a pas
d’histoire ! Et puis elle m’a tout de suite fait bonne impression.
LA NOUVELLE : Le secret, c’est qu’on a des caractères faits pour
s’entendre.
NECROMANE 3 : C’est pas bientôt fini ! Ils vont nous faire le coup du
mélodrame, les deux Arlequins ! Moi, je vais vous dire, Monsieur
Nestor, c’est un scandale de voir comment qu’on nous traite. Vous
voyez bien l’état de misère extrême dans lequel on est. Et à côté de
ça, savez vous qu’il existe des livres d’or ? Je parle pas du livre qu’il
est pour une occasion exceptionnelle. Mais du manuscrit avec de la
dorure.
BIBLIOPATHE 2 : Bon, ça va ! ça l’intéresse pas nos revendications !
NESTOR : Si ! si ! Au contraire. Mais, à part la cryptosphère, n’y a-t-il
pas une grande bibliothèque où je pourrais me rendre ?
NECROMANE 1 : Pourquoi faire ?
NESTOR : Ne vous inquiétez pas, aidez-moi seulement à parvenir à la
Bibliothèque...
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HÉLÈNE : Ah ! Vous voilà ! J’ai réussi à tromper la surveillance des
gardes. Vous voulez aller dans la mégabibliothèque ? Je connais un
souterrain secret qui nous y conduira.
43
17. ENQUÊTE (retour sur terre)
MAGRET (commissaire) : M’sieur dame, bonjour. Je me présente,
commissaire Magret.
BENOÎT : Un drôle de nom pour un poulet !
MAGRET : Vous savez que nous enquêtons sur la mystérieuse
disparition d’un dénommé Nestor.
PAUL : Vous avez du nouveau ?
MAGRET : Les questions, c’est moi qui les pose. (il lui met la main
sur l’épaule). On cherche, on fouille...Compris, beau gosse !
PAUL : Oh ! Vous pouvez me fouiller. Moi, j’ai rien à cacher. Je peux
tout vous montrer.
MAGRET : Vous avez une photo ?
PAUL (cherchant dans sa sacoche) : De face, de dos, de profil, en
plongée, en contre plongée... Je peux tout vous montrer. (il donne de
photos).
MAGRET : Pas de vous, imbécile. Du disparu.
YVETTE : Il est mort !!!
MAGRET : Bizarre ! Bizarre ! Comment le savez-vous ?
CHARLES : Vous avez dit bizarre ?
MAGRET : Bizarre cette réaction ! Ne seriez-vous pas complice de
ceux qui l’ont enlevé ? Des acteurs comme vous connaissent toutes
les manières de se déguiser. Vous êtes habile dans l’art du
maquillage. Vous savez transformer votre visage...
FÉLIX : Elle a souvent essayé, elle a jamais réussi...
YVETTE : Quand on a ton air bovin, on se contente de regarder
passer les trains... Moi, Nestor, il ne m’était pas indifférent !
ÉLISE : Il n’y a aucun homme qui te soit indifférent !
PAUL : Si ! ... Moi !
MAGRET (à Élise) : Mais mon Dieu, ça y est ! Bien sûr ! La jalousie !
Voilà le véritable mobile. C’est vous qui avez kidnappé Nestor afin
que votre amie arrête ses assauts amoureux de nymphomane.
ISABELLE : Mais il est complètement mytho, le Magret!
ODILE : Nestor, c’est le copain de la bande, tout le monde vous le
dira. On est prêt à lui rendre n’importe quel service.
ISABELLE : Rien que la semaine dernière, je lui ai prêté ma voiture
pour la semaine. Les bus étaient en grève.
MAGRET : Quelle voiture ?
ISABELLE : Ma traction noire d’occase que Nanard m’a revendue...
MAGRET : La voiture ! mais bon sang, ça y est ! On l’a notre
coupable. Où étiez vous, le vendredi 13, le soir de l’enlèvement ?
ISABELLE : C’est moi qui m’était fait enlever, par un très beau jeune
homme.
MAGRET (excité) : Son nom ? son âge ? son adresse ? son sexe ?
ODILE : Mais il est connard le Magret!
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MAGRET : Qui a traité le Magret de connard ?
ISABELLE : Je vous ai dit que c’était un jeune homme !
MAGRET : Description insuffisante, je veux des détails.
ISABELLE : Je peux pas.
MAGRET : Je serais obligé de vous inculper.
ISABELLE : Je ne suis ni responsable, ni coupable.
MAGRET : Ah ! Mais je vais me fâcher...
CHARLES : C’est moi !
TOUS : Ah !!!
MAGRET : Vous avez couché avec cette fille, le soir de l’attentat.
CHARLES : Mais non ! On s’est retrouvé pour organiser l’anniversaire
de Nestor. C’est dans 8 jours, le premier avril.
MAGRET : Et la voiture ?
ISABELLE : Nestor qui est toujours dans la lune l’a laissé en
stationnement interdit. Elle est encore à la fourrière... Je n’ai pas eu
le temps d’aller la récupérer.
MAGRET : Bon, à vérifier. (il part et revient sur ses pas). C’est ma
femme qui va être contente. Elle achète votre magazine photo tous
les mois. Quand je vais lui raconter ça, elle va en faire une tête !
NOIR
45
18. LA BIBLIOSPHÈRE
Un auteur exténué dort sur son manuscrit. A côté, des personnages
discutent.
M1 : Cela va faire 24 heures qu’on attend, et l’auteur n’a toujours
pas d’idée.
F1 : La page blanche !
M2 : Moi, je rêve d’une page au soleil.
F2 : L’accouchement dans la douleur !
M1 : Oui, enfin, la gestation est longue !
F1 : Ne nous plaignons pas, il a déjà choisi nos prénoms.
M2 : Tu parles ! Barnabé ! Tu as déjà vu un héros qui s’appelle
Barnabé ?
F3 : Tu seras le premier.
M1 : Moi, je m’appelle Henri. Je voudrais bien réussir ma vie.
M2 : Et gagner de l’argent.
M1 : Surtout être intelligent.
F3 : Moi, j’aime mon prénom, Ignace...
M3 : C’est un nom, un petit nom charmant.
F2 : Félicie aussi.
M1 : Aussi !
F1 : J’espère qu’il va m’arriver des tas d’aventures.
M2 : Sentimentales, bien sûr !
F1 : Évidemment ! T’es bête ou quoi ?
M3 : Moi, je me verrai très bien Vizir, entouré de mon harem.
F3 : Compte pas sur moi pour jouer la vizirette. De toute façon, y a
pas assez de filles.
M1 : En tout cas, moi je me refuse à jouer l’eunuque.
F2 : C’est un rôle comme un autre, faut en prendre son parti...
M1 : Son parti, oui... Mais pas les parties !
F2 : En tout cas, pour le moment, il dort.
L’auteur se réveille et se remet à écrire. Les "personnages" miment le
texte.
L’ÉCRIVAIN : Contes et comptines pour petits n’enfants naïfs . Tu
parles d’un titre ! (l'écrivain lit). Le soleil émerge sa tête de l’horizon
et son sourire inonde la vallée de Dana. Le prince Charles aux grandes
oreilles (Charles réagit : Hé ! elles sont pas si grandes que ça !) se lave
les dents, fait 5 pompes... Non, 40 ! (Charles : Il est malade. Moi, je
tiens pas tout un roman à ce rythme !) Non, c’est peut-être beaucoup,
disons dix. L’enchanteur Barnabé chasse le loup avec son chien qui
court partout et se roule sur le dos pour que Barnabé le gratte. Une
princesse de Mongolie, la belle Ignace, qui passait par là est attaquée
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par le loup. (hurlement admiratif du loup) Le loup est affamé. Il veut
la manger, le loup ! Un beau chevalier (un personnage entre) ... J’ai
dit un beau ...(le personnage ressort et rentre un autre) qui passait
fort heureusement par là aperçoit la scène et tue le loup.
Pour le remercier, la Princesse veut embrasser son sauveur. (Ignace :
Ah ! non, c’est trop me demander) veut embrasser son sauveur sur la
joue. (Ignace : Oui, mais j’irais pas plus loin).
L’ÉCRIVAIN : En panne d’inspiration ! Même pas le droit de fumer
une cigarette dans cette fichue bibliothèque.
Nestor arrive, accompagné de Hélène et de Emma.
NESTOR : Vous avez l’air exténué. Que faites vous ici ?
L’ÉCRIVAIN : Je conte. Et il faut que le conte soit bon.
NESTOR : Vous comptez quoi ?
L’ÉCRIVAIN : Je raconte.
NESTOR : Et vous racontez quoi ?
L’ÉCRIVAIN : Voilà le drame ! Je ne sais pas quoi raconter.
HÉLÈNE : La Muse Thalie l’a puni. Il n’a jamais voulu l’écouter et n’a
formulé que des inepties.
EMMA : Il s’est cru supérieur, prétendant écrire et inventer sans le
secours des divines enchanteresses.
HÉLÈNE : Donc, s’il veut être libéré, il doit rédiger une histoire pour
amuser la muse.
NESTOR : Vous parlez d’une histoire !
L’ÉCRIVAIN : Et ça ne me fait pas rire du tout.
NESTOR : Je crois tenir la solution, Hélène ramenez-moi à la
Maniacosphère. Emma, attendez-nous là, quitte à aider ce pauvre
malheureux.
Quelques livres arrivent sur scène, heureux.
FOLIO : Quel bonheur de pouvoir s’accorder une petite de semaine
de repos.
MASQUE : Moi, j’ai eu un mois éreintant.
FOLIO : Pourquoi ?
MASQUE : Je suis passé de main en main. Tout le monde voulait lire
le dernier roman de Patricia Ache. Et tu sais comme j’ai horreur
d’être tripoté. En plus, avec ces lecteurs qui se lèchent l’index pour
tourner la page, je te raconte pas les microbes.
BIBLO : Moi, ce fut une semaine de rêve : des mains douces, un
regard qui s’attardait sur chaque mot, elle m’a lu et relu... Allongée
sur son lit... une vision de rêve. Elle lisait même dans sa baignoire.
FOLIO : T’as pas eu peur de l’eau ?
BIBLO : Inconscience totale... L’extase, quoi !
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MANUEL : Tu as bien de la chance. Moi, je suis tombé dans le
cartable d’un lycéen analphabète.
FOLIO : Ils le sont tous.
MASQUE : Au moins, il ne t’a pas touché !
MANUEL : Non, il m’a laissé huit jours à traîner entre une trousse à
moitié ouverte dont les cartouches d’encre fuyaient et des mégots
écrasés. Vraiment dégueulasse ! Sans compter les mouchoirs !
MARABOUT : Moi, une semaine en vitrine, au soleil ! Super ! Ensuite,
une petite télé avec Bernard Pivot... On n’a pas arrêté de parler de
moi... J’ai terminé sur la plage. Alors là, pas drôle : une température
horrible, des grains de sable à toutes les pages, et la pétasse qui me
lisait qui comprenait rien. Sans parler du reste... son petit copain et
elle arrêtaient pas de se bécoter... coincé entre un torse velu et une
grosse poitrine beurrée de crème solaire... j’ai cru étouffer.
MASQUE : Ne nous plaignons pas ! Pensons à tous les livres martyrs
qu’on a brûlés.
FOLIO : A ce propos, vous avez entendu la nouvelle ?
BIBLO : Non.
FOLIO : Gastro a failli cramer. La cuisinière l’avait laissé tout seul
près du feu. Je crois qu’il a eu chaud.
BIBLO : Pourquoi tu dis rien Dico ?
DICO : C’est l’usure ! A force d’être parcouru dans tous les sens, je
fatigue. Des rhumatismes. En plus, mon propriétaire est fanatique de
mots croisés. Il m’ouvre, il me ferme... Jamais une minute de repos.
Je vais aller m’allonger sur une étagère.
A.B.C. : Si on faisait un Scrabble ?
MASQUE : J’adore. On y va. Dico, reste avec nous, on va avoir
besoin de toi.
DICO : Ah ! Non. Je suis en vacances.
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19. L’ENTREVUE (décor onirique)
EMMA : Divinité souveraine, permets que l’homme qui a,
malencontreusement, été kidnappé avec moi puisse rejoindre son
univers. Je suis prêt à tout accepter pour sa liberté.
THALIE : Tu l’aimes donc à ce point ?
EMMA : Sans doute suis-je encore très jeune, je suis encore à l’état
embryonnaire, mais il m’a aidée. Je ne sais s’il faut parler d’amour,
cependant je suis sûr de vouloir le sauver.
PERLIN (l’enchanteur écoutait sans mot dire) : Thalie, laisses-toi
émouvoir.
THALIE : Je te sais sage conseiller, Perlin.
MERLIN : Toi même ne fut pas insensible au charme des humains.
THALIE : J’ai toujours eu un faible pour les poètes. Poètes bannis,
poètes disgraciés, poètes maudits... François Villon, André Chénier,
Charles Baudelaire... Mais ce Nestor n’est pas un poète !
EMMA : Mais la poésie est au cœur de sa vie, dans son regard, dans
son sourire, dans sa vision des êtres.
THALIE : Et tu dis que tu ne l’aimes pas ?
PERLIN : Cesse de tergiverser, Thalie. La magie du cœur a des
pouvoirs inconnus.
THALIE : J’accède à ton désir. Ce monsieur Nestor, puisque tel est
son nom, sera reconduit hors des frontières de la Cryptosphère. Toi,
tu es mis à l’index, en échange tu es condamné à errer entre les
lettres et le néant.
EMMA : Je me soumets.
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20. L’ORATORIO
Des têtes, uniquement des têtes posées sur des tables, de ravissantes
figures de jeunes filles, souriantes. Chant mélodieux de sirènes.
NESTOR : Saperlipopette ! Je ne sais où donner de la tête ! Ce ne sont
pas des grosses têtes, j’espère. Quel est cet endroit ?
EMMA : L’oratorio.
NESTOR : Qu’est-ce ? Assez surprenant, quand même ! J’ai déjà vu
des femmes qui n’avaient plus toute leur tête ; mais des femmes de
têtes, rarement.
RHETOR : Voici le voyageur sans bagage dont tout le monde parle.
Entrez jeune homme, n’ayez pas peur.
NESTOR : Je n’ai pas vraiment peur, mais on ne va pas dire non plus
que je suis tellement rassuré.
RHETOR : Approchez, n’ayez aucune appréhension. Elles sont
adorables.
NESTOR : Oui, je vois, je vois... Bonjour mesdames.
ANAPHOREX : Mesdemoiselles, je vous prie, mesdemoiselles, pour
vous servir, mesdemoiselles, à votre choix.
NESTOR : Excusez-moi, Je ne sais où j’ai la tête , mesdemoiselles,
bien sûr... dans votre état... il ne peut en être autrement. Mais
pourquoi l’avoir répété ? Je comprend vite.
RHETOR : Anaphorex, charmante, n’est-ce pas ? Elle a du style
comme toutes les figures ici présentes. Je leur refais une petite santé,
un ravalement de la façade. Elles ne sont pas toutes là. Voyez vous,
certaines figures sont plus utilisées que d’autres... Voici Hyperboline.
NESTOR : Je ne vous sers pas la main mais le cœur y est...
HYPERBOLINE : Oh ! courageux, brave et intrépide jeune homme, je
vous autorise dix mille baisers.
NESTOR : Sans vous vexer, un seul suffira, il n’y a pas grande
surface. Et puis je suis pressé...
EUPHEMISE : Pas trop bête, pas trop moche, pas trop prétentieux
pour un professeur.
EMMA : Euphémise est toujours économe de compliments.
ENUMERALDINE : En tout cas, évites les accumulations, tu empiètes
sur mon territoire. C’est un procédé déplacé, mal à propos, incongru,
inconvenant, impoli, cavalier, incivil, inadapté, superfétatoire, osé...
RHETOR : Stop ! Enuméraldine est très susceptible. Mais elle sait
aussi être très généreuse. Cher étranger, toutes ces jeunes filles sont
à votre disposition, vous pouvez user d’elles à votre volonté.
NESTOR : A ma disposition, à ma disposition... Grand merci, je
saurais m’en souvenir. (off : j’aurais bien piqué une tête... juste pour
rire... j’aurais fait les quatre sans cou.)
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21. SUR TERRE
MME GUDULE : La rue est bien triste depuis que notre monsieur
Nestor a disparu.
LAFILLETTTE : C’est vrai qu’il avait l’air ben gentil, un petit monsieur
bien propre, bien poli, bien comme y faut. Pourvu qui soit pas mort !
BARBARA: En voilà des idées !
LAFILLETTE : Vu la gueule des moineaux qui les ont embarqués, moi
j’me fais du mouron !
BARBARA: Pensez-vous ? Tel que je le connais aucune inquiétude à
avoir !
MME GUDULE : Moi, dès le départ, j’ai bien senti que ces filles, y
avait quelque chose de louche. Elles sont pas de chez nous. Ça
m’étonnerait pas qu’elles soyent des périesthéticiennes, pour pas dire
autre chose !
BARBARA : Alors ? Toujours aucune nouvelle ?
TOUTES : Non.
BARBARA : Et moi qui remonte sur les planches. La première a lieu
vendredi. Il ne peut pas me faire ça, à moi ! Oh ! J’ai une trouille, je
vous raconte pas...
MME GUDULE : Oh ! bien si, racontez !
BARBARA : C’est délicat, je ne puis.
LAFILLETE : Allez, sois pas bégueule.
BARBARA : Soit. Je joue le rôle d’une jeune héritière qui se retrouve
veuve.
MME GUDULE : Jeune ?
BARBARA : Oui, bien sûr... De loin, bien maquillée... Un public du
troisième âge...
MME GUDULE : Et après ?
BARBARA : Cette jeune héritière sera l’objet de la convoitise des
hommes... et finira ruiné.
BARBARA: Moi, j’aimerais bien être une jeune héritière. Pour une
fois, les garçons feraient peut-être un peu attention à moi.
BARBARA : Tu sais, moi qui connaît bien les hommes...
BARBARA: C’est vrai ?
BARBARA : A mon corps défendant... évidemment ! Et bien dans
l’ensemble, ils sont assez décevants.
MME GUDULE : J’suis tout à fait d’accord avec vous.
BARBARA: Pourquoi ?
BARBARA : Quelque soit leur âge, ce sont toujours de grands enfants
qui jouent aux adultes.
BARBARA: C’est bien de jouer ?
BARBARA : Oui, mais, eux, ils se prennent au sérieux !
BARBARA: Oh ! Il y a nombre de femmes qui jouent à l’enfant et qui
ne sont pas sérieuses du tout.
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MME GUDULE : Et y en a d’autres, elles sont si sérieuses que tu
croirais des hommes qui jouent pas à être des adultes et qui, en plus,
ont même plus le temps de faire des enfants...
BARBARA : Vous voulez pas répéter ? Parce que là, je crois que j’ai
raté un épisode.
LAFILLETTE : Et c’est quoi le titre ?
BARBARA : La Mémère ratiboisée .
LAFILLETTE : Vous m’donnerez un billet pour qu’j’aille me fendre la
gueule ?
BARBARA : Mais c’est une tra-gé-die !!! une tragédie !
MME GUDULE : Des tragédies y en a tous les jours dans les
journaux. Dire qu’y a des cons qui vont payer pour en voir !
BARBARA: Je pense que M. Nestor, il apprécierait pas. Lui qui dit
toujours qu’il n’y a pas de quoi en faire un drame ... Et puis lui, c’est
pas un homme comme les autres... A mon avis, en ce moment, il doit
bien s’amuser...
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22. LA MANIACOSPHÈRE (2)
Nestor et Hélène parviennent à la maniacosphère. Aussitôt leur entrée,
ils sont fait prisonniers.
NECROMANE 3 : Le voilà, emparez-vous de lui. Il ne doit pas nous
échapper. Alors, on fait moins le rigolo !
NESTOR : Je voulais vous poser une question...
NECROMANE 3 : Mais c’est vous, M’sieur Nestor qu’allez être soumis
à la question !
HÉLÈNE : Mais ne soyez pas stupide ! A quoi peut vous servir cette
parodie de jugement ?
NECROMANE 3 : Y’en a marre d’être le jouet des auteurs en mal
d’inspiration.
NECROMANE 1 : Oui, nous, on veut un minimum de respect.
BIBLIOPATHE 2 : On n’est pas taillable et corvéable à merci !
NECROMANE 4 : Le petit peuple des anti héros, des personnages
secondaires et des ratés de la création entre en lutte.
NESTOR : Alors, je peux vous aider.
BIBLIOPATHE 1 : On ne veut plus rester à l’état de brouillon. On
veut avoir notre mot à dire...
BIBLIOPATHE 3 : ... Et ne pas rester sur notre fin !
NESTOR : Et si je vous donne la possibilité de vous exprimer ?
NECROMANE 2 : Tu serais en quelque sorte notre porte-plume ?
HÉLÈNE : Que veux tu faire ?
NESTOR : Écoutez moi. Vous, les romans sans fin, vous les oubliés de
l’histoire, vous les sans famille... Je vais raconter vos mille et une
vies. Ce qu’il faut, c’est une comédie où chacun de vous s’amuse et
rit. Sur mes tréteaux, chacun va jouer son personnage. Vous aurez
vos lettres de noblesse. Nous allons créer une odyssée : Les jeux de
l’humour et du bizarre . Toi, l’amnésique, je vais écrire tes mémoires
; toi, le chercheur de clés, je te donnerai celle des champs et je te
baptise "passe-partout". Quant à toi, l’homme au sang de navet, fini
de poireauter, l’homme inerte deviendra pasteur, je te chargerai
d’âmes. Les gens t’appelleront Frère Sourire. Tous vous aurez un rôle.
(il se tourne vers les Bibliomanes) Vous , je ne vous oublie pas, vous
devenez les livres de vie.
HÉLÈNE : Mais c’est pire que les douze travaux d’Hercule !
NESTOR : Ceci me changera de mes éternelles copies. Ne vous faites
pas un sang d’encre.
HÉLÈNE : Et vous trouvez ça drôle !
NESTOR : J’espère surtout que la muse Thalie trouvera cela amusant.
Ainsi l'écrivain condamné sera libéré.
NECROMANE 1 : Mais c’est vous qui allez écrire...
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NESTOR : Et alors... Je ferai d’une pierre deux coups : je vous sauve
te je le libère.
HÉLÈNE : Et qu’allez-vous demander en échange ?
NESTOR : Rien !
HÉLÈNE : Mais vous devenez son nègre ... si vous travaillez au noir ...
NESTOR : Vous voyez, vous faites des progrès. Vous commencez à
avoir de l’humour. Je crois cependant que je demanderais
l’émancipation d’Hélène.
NECROMANE 1 : Monsieur Nestor tombe amoureux ?
NESTOR : La sensation de vertige... Pourquoi ne pas y succomber ?
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23. THALIE
THALIE : Enchanteur Perlin, je vous ai convoqué car la situation est
exceptionnelle.
PERLIN : Que se passe-t-il ma Muse chérie, pour qu’ainsi vous me
dérangiez à une heure si matinale ?
THALIE : Mais onze heures ont déjà sonné au carillon !
PERLIN : La soirée fut rude. Je la passai en compagnie de la fée
Lorgane.
THALIE : Quoi ! Cette apprentie sorcière sans talent qui n’a jamais
réussi un tour de magie, cette handicapée du sortilège !
PERLIN : Oui, mais physiquement très intelligente et nous avons fait
quelques excès.
THALIE : Quoi donc ? Une nuit de sabbat ?
PERLIN : Non, ma douce muse. Un repas pantagruélique : en entrée
mousse de testicules de chauve souris suivie d’une terrine de serpent
broyé. En plat de résistance, cuisse de dragon marinée dans de la
bave de crapauds avec comme accompagnement salade de
mandragore confite. Le tout arrosé d’un délicieux magnum de sang de
pieuvre aligoté... Je dois avouer que ça cogne un peu.
THALIE : Il faut retrouver vos esprits Perlin. Nestor doit réintroduire
son univers. Demandez à Pinpin de préparer la poudre aux œufs d’or.
PERLIN : Tintin ! Voilà huit jours que les poules du Capitole n’ont pas
pondu.
THALIE : Pourquoi ? Elles sont d’habitude si fécondes !
PERLIN : Les poules de luxe trouvent que le nouveau coq manque de
prestance. il est vrai qu’il est originaire de la basse-cour, et n’a pas de
titre.
THALIE : Anoblissez le, faites-le Grand maître coq .
PERLIN : Grand Maître coq ou Grand coq maître ?
THALIE : Mettez ce que vous voulez, mais surtout mettez le à
l’ouvrage. Demain c’est l’anniversaire de Nestor. Je veux qu’il ait
regagné son foyer. J’ai donné ma parole d’honneur. N’oubliez pas les
trois gouttes d’amnésifère dans la poudre, il ne doit se souvenir de
rien. Emma ne doit pas s’être sacrifiée pour rien.
PERLIN : Vous l’avez bannie ?
THALIE : Les étoiles ont toujours inspiré les poètes. Regardez la
constellation qui scintille, c’est Emma : suspendue entre la terre et
l’éther, comme un clou d’or. Maintenant, occupez vous des poules, je
dois me rendre à la grande bibliothèque. L’écrivain puni a, parait-il,
enfin fini d’écrire. Sans mon aide, je ne vois pas trop comment, mais
enfin...
PERLIN : A ce soir, ma muse chérie.
55
24. L’AUDITION
Tous les Nécromanes et bibliopathes sont sur scène. La lecture de la
pièce écrite par Nestor se termine. Tous applaudissent et rient.
THALIE : Tu m’étonnes, toi l’écrivain. Sans mon aide, sans mon
inspiration, tu es donc parvenu à réussir quelque chose ! Le temps
serait-il venu où nous devons disparaître ? Quel est ton secret ?
L’ÉCRIVAIN : Et bien, déjà sur le plan scientifique l’homme parvient
à un stade que tu ne peux imaginer. L’homme devient Dieu. Le monde
des mythes et légendes auquel tu appartiens ne sera bientôt qu’un
souvenir périmé. Nous n’avons plus besoin d’avoir recours à vous
pour éclairer notre condition et donner des réponses à nos
interrogations. Nous mettrons les muses aux musées.
NECROMANE
1
:
Tu
fais
preuve
d’une
présomption
incommensurable !
HÉLÈNE : Ce n’est qu’un vil menteur !
L’ÉCRIVAIN : Taisez-vous !
NECROMANE 2 : Elle a raison. Tu n’es qu’un escroc de basse
envergure.
L’ÉCRIVAIN : Mais faites les taire !
BIBLIOPATHE 3 : Tu te prends pour un démiurge et tu n’es qu’un
copieur sans aucune imagination !
L’ÉCRIVAIN : Thalie, je vous en prie...
BIBLIOPATHE 2 : Tu n’es qu’un voleur de mots...
THALIE : Quelle est la cause de cette conjuration ? Puis-je avoir le
mot de la fin ?
HÉLÈNE : Monsieur Nestor est l’auteur de ce que vous venez
d’entendre. (tous applaudissent).
NESTOR : Vous savez, j’en suis au b a ba .
THALIE : Le problème reste posé, puisque je ne vous ai pas aidé.
NESTOR : Vous savez, un petit cocktail à ma façon : une dose
d’intrigue, deux doses de tendresse, un zeste d’humour et le tour est
joué. Il suffit de faire se croiser les mots. Et puis, sans vous vexer, il y
a toujours une muse...
THALIE : Ah ! L’amour ! Toujours l’amour ! Ne peut-on terminer une
histoire autrement ?
NESTOR : A ce propos, sans trop vouloir vous déranger ou vous
paraître inconvenant, je voudrais vous demander une faveur : Emma
pourrait-elle...
THALIE : Perlin, les poules ont-elles enfin pondu ?
PERLIN : Si fait, ma muse adorée. L’œuf était dans la matrice ronde et
attendait Perlin.
NESTOR : Mais enfin, quel rapport entre Eppa et la moule, entre ma
poule et Emma ? Entre Emma et la poule...?
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THALIE : Buvons d’abord à votre succès.
PERLIN : Amenez le chaudron lyrique.
NESTOR : Qu’est ce ?
PERLIN : La locution magique qui provoque un état livresque. Vous
pouvez en consommer sans modération.
Nestor boit.
NESTOR : Vertu dieux ! Quel nectar ! Je me sens un peu pompoète !
poète ! poète ! Hic ! Gag ! Un peu sonnet, un peu hémistiché, j’crois
que j’vais m’allitérationner... Il faut toujours être livre, livre de cu
isine, livre de bord, livre de compte... Il était une fois une rapissante
vrincesse amoureuse du conte à rebours...(Nestor tombe dans les
pommes).
PERLIN : Un, deux, trois... K.O.
THALIE : Retour à la case départ, mon petit Nestor. Je te rends à ta
rue, à ton anonymat... Enfin presque...
57
25. POSTE DE POLICE (sur terre)
LAVABO : Eh ! l’alcoolo ! Approche. Tes papiers ?
NESTOR : Pardon ?
LAVABO : Tes papiers ?
NESTOR : Vous avez dit l’alcoolo ?
LAVABO : T’as bien entendu.
NESTOR : Mais je bois jamais, monsieur le commissaire !
LAVABO : Inspecteur ! Inspecteur !
NESTOR : Mais la directrice ne m’a pas prévenu. Et les élèves sont en
vacances.
LAVABO : Tes papiers ?
NESTOR : Mon cahier de texte ? Je ne l’ai pas rempli...
LAVABO : Je veux voir tes papiers !
NESTOR : Mes papiers de quoi ?
LAVABO : Mais il se fout de moi en plus.
NESTOR : En plus de quoi ?
LAVABO : T’as pas fini de me prendre une andouille ! J’ai d’autres
chats à fouetter !
NESTOR : Vous avez pas vu mon chat ?
LAVABO : Non, mais je rêve ! T’en a d’autres des questions aussi
stupides ?
NESTOR : Vous pouvez me poser toutes les questions que vous
voulez, je suis professeur.
LAVABO : Ah ! On progresse. Et bien, mon petit loulou, le ministre de
l’éducation, il a du boulot !
MAGRET (entre) : Encore un sans papier ? Ton nom ?
NESTOR : Nestor.
MAGRET : C’est ça, c’est ça ...tu t’appelles Burma et moi je suis
Casimir !
NESTOR : Duperrier ! C’est fou !
MAGRET : Foutez le en cabane. Laissez le finir de cuver son vin. Où
l’avez-vous ramassé ?
LAVABO : Au Champs Élysées... Il descendait d’une traction aussi
noire que lui...
NESTOR (chante) : Aux Champs Élysées... Palapala... Oh !
MAGRET : Nestor... une traction noire... Bizarre... Bizarre.
LAFILLETTE (qui avait été arrêté en état d’ébriété / de l’autre côté de
la scène) : Hé ! Vous auriez pas une ptite cigarette ?
LAVABO : Non, ça pollue l’atmosphère.
LAFILLETTE : L’atmosphère ? L’atmosphère ? Est-ce que j’ai une
gueule d’atmosphère ?
MAGRET : Soyez gentil, donnez lui une cigarette, inspecteur
LAVABO.
NESTOR : Il est beau, il est beau, il est beau le lavabo !
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MAGRET : Un peu de respect, je vous prie.
NESTOR : Y a pas de quoi vous énerver !
LAFILLETTE : Vache de mouche, y en a qu’un qui peut dire ça ! Hé !
Beau gosse, regarde-moi ! Nom d’un petit mammouth ! J’en crois pas
mes mirettes... Mais c’est bien lui, c’est Nestor !
MAGRET : Mais mon Dieu, bien sûr !
LAVABO : Oui, c’est bien lui ! Je crois que j’ai fait une bavure.
NESTOR : Oui, c’est moi ! Y a pas de problème ! Moi, c’est moi ! Et y a
pas de quoi être surpris !
MAGRET : Permettez moi d’être le premier à vous féliciter. J’ai
adoré…
LAVABO : La vache ! Je l’avais pas reconnu ! Avec toutes mes excuses
pour... Je ne sais comment me faire pardonner...
NESTOR : Bizarre les flics... Gentils, mais bizarres...
MAGRET : Pouvons-nous compter sur votre compréhension ? Vous
n’allez pas porter plainte ?
LAVABO : Il y a eu méprise... Nous mettrons tout en œuvre...
NESTOR : En œuvre ? Vous voulez écrire ?
MAGRET : Vous savez, nous, à part les P.V.... on est trop O.Q.P.
LAFILLETTE : Ben, mon coco, t’es un sacré farceur. Pour une fois que
je lis un livre en entier... sans en perdre une goutte... et que je ris
tout mon saoul, sans avoir bu. C’est maman Gudule qui va être
contente... J’parle pas de Nanou... Depuis que vous êtes parti, elle
mange plus de chamallows comme avant. C’est pas un paquet par
jour, c’est trois.
NESTOR : Nanou, Nanou, c’est vrai... je l’avais oubliée.
LAVABO : Venez, on vous raccompagne, ce sera un plaisir et un
honneur...
NESTOR (off) : De plus en plus gentils et de plus en plus bizarres !
Des flics, quoi ! (normal) Non. je vais profiter de la voiture de
Madame (il montre le landau informe) pour me faire raccompagner.
Vous voulez bien ?
LAFILLETTE : Ce sera un honneur... Mais j’tai déjà dit de m’appeler
Lafillette... Je peux, monsieur le commissaire Magret...
MAGRET : Difficile de dire non. C’est ma femme qui va être contente
quand je vais lui raconter qu’on vous a retrouvé. Vous savez, elle a
adoré... Elle vous a dévoré... Elle m’a même dit tu devrais en prendre
de la graine !
NESTOR : Pour un poulet, c’est normal ! Et bien, vous l’embrasserez
pour moi, je suis bien content. Bien content. (off) ... Inquiétant tout
de même la police.
59
26. RETROUVAILLES (sur terre)
NANOU(elle lit, en mangeant ses chamallows et rit) : Le gag ! Génial !
Franchement plus rigolo que Rousseau !
REMI (entrant) : Bonjour Nanou.
NANOU : (... continue à lire et rit)
REMI : Tu t’embêtes pas trop ?
NANOU(elle rit) : Je crois que je vais faire pipi dans ma culotte.
REMI : C’est intéressant ! T’as des problèmes d’incontinence ? Si tu
veux, j’ai un tuyau...
NANOU : T’as pas vu Sido ?
REMI : Non, qui c’est ?
NANOU : Ma nouvelle copine. Tu vas voir comme elle est chou.
SIDO (entre) : Salut les amoureux !
REMI : ...Super, la copine !
NANOU : Sido... Rémi.
SIDO : Bonjour.
REMI : Salut !
NANOU : T’as lu ? (elle montre son livre)
SIDO : Non... C’est une histoire d’amour ?
NANOU : Oui, mais c’est pas ce que tu crois.
SIDO : Moi, je crois rien, j’espère. Dis donc, il est mignon ton
copain...
NANOU : Oui. Il écrit des poèmes.
SIDO : Délire ! Dis, tu me les montreras ?
REMI : C’est personnel.
SIDO : Délire ! Toi au moins tu dois pas être comme les autres.
NANOU : Ca, c’est sûr ! Pour pas être comme les autres, il est pas
comme les autres.
REMI : De toute façon, tu comprendrais pas.
SIDO : Tu pourras m’expliquer..
REMI : Il n’y a rien à expliquer... Et puis les filles elles comprennent
jamais rien aux garçons. Elles pensent avec leur sens. Nous, on a un
cerveau.
SIDO : C’est pas le tout de l’avoir. Il faut savoir le faire fonctionner.
REMI : T’as qu’à voir, les grands poètes sont des hommes...
NANOU: Inspirés par des femmes ! Le moteur, s’il n’y a pas l’essence,
c’est la panne !
REMI : Et bien moi, j’ai le moteur, j’ai l’essence... et c’est quand
même la panne.
SIDO : Change d’inspiratrice, roule au super...
REMI : Avec toi ce serait le super sans plomb... T'as la souris mais
t’as pas l’ordinateur !
SIDO : Tu sais ce qu’elle lui dit, la souris, au vilain matou...
Entre Claire
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CLAIRE : Bonjour.
NANOU : Bonjour Claire. Tu tombes à pic pour éviter la dispute.
CLAIRE : Je viens de terminer mes révisions de philo... Vanné, je suis
vanné...
SIDO : Moi aussi, rien que de penser qu’il faut que je m’y mette !
NANOU : Tu connais Rémi ?
CLAIRE : De vue. Ton petit copain ?
REMI : Non, non non ! Bonjour Claire. J’tai..j’tai dé déjà vue.
NANOU : Tu me l’avais pas dit.
SIDO : Tu sais bien que les filles sont à ses yeux inintéressantes !
Des sous produits sans cervelle !
CLAIRE : Misogyne ? En tout cas, vous savez pas ? moi, je reçois du
courrier anonyme.
SIDO : Un pervers ?
CLAIRE : Non. Un amoureux timide.
SIDO : Oh ! Qu’est ce qu’il t’écrit ?
CLAIRE : Tu es bien curieuse.
SIDO : Forcément. On ne m’a jamais écrit de lettres d’amour...
CLAIRE : Tu as de la chance. Moi, tous les garçons m’écrivent...
SIDO : Plains toi !
CLAIRE : Oui, des lettres, rien que des lettres... Pas un qui ose me
parler, m’inviter...
SIDO : Moi, ils me parlent, ils m’invitent... Mais ils ne me disent pas
qu’ils m’aiment.
NANOU : Entre-les deux ?... Je ne sais pas ce qui est le mieux. Ce
serait peut-être à vous de faire le premier pas ?
REMI : Oui, ça c’est une bonne idée ! Une idée géniale ! Géniale !
NANOU : Toutes à tes pieds ?
REMI : Pas toutes ! Pas toutes !
NANOU : Celle de tes poèmes ?
CLAIRE : Rémi écrit des poèmes ? J’espère qu’ils sont aussi réussis
que ceux que je reçois.
SIDO : Ils sont beaux ?
CLAIRE : Pleins de tendresses, de gentillesse, de sincérité...
SIDO : Ben, il est taré, le mec, de pas signer.
CLAIRE : Dans un sens c’est mieux ! Le mystère charme encore plus.
SIDO : C’est vrai, t’as raison. T’imagines que ce soit un garçon
comme Rémi qui t’écrive...
Entre Nestor.
NANOU : Putain... Monsieur Nestor !!! Excusez-moi, mais... mais... Je
suis tellement contente... contente... de vous revoir... Oh ! Il faut que
je vous embrasse.
NESTOR : Avec plaisir, ma petite Nanou.
Musique adéquate. Au ralenti... Embrassades émouvantes.
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NANOU : Je suis fière de vous.
NESTOR : Oui... oui... Mais je ne vois pas pourquoi...
NANOU : Petit cachottier !
NESTOR : Non, vraiment... Vraiment...
SIDO : Je peux vous embrasser, moi aussi ?
NESTOR : Pendant qu’on y est ! Il n’y a pas de mal à se faire plaisir !
LAFILLETTE : S’il en reste un peu, je dirais pas non.
NESTOR : Au diable l’avarice... (il l’embrasse)
SIDO : Dis donc, il est mignon ton copain ; pas trop mité encore...
NANOU : C’est pas mon copain. C’est Monsieur Nestor. Tu pourrais
être poli, tu parles à une célébrité qui a passé la trentaine.
SIDO : N’empêche qu’il est pas trop coulant pour son âge.
REMI : Moi, j’aimerais bien être une tapette.
NANOU, NESTOR et SIDO : Qu’est-ce qui dit ???
REMI : À cause de la souris !!! (il mime le coup du lapin).
MME GUDULE (entrant) : Nom d’un petit putois mordoré, le voilà
de retour notre Nestor. Faudra que je vous demande une
orthographe... Vous voulez bien ?
NESTOR : Sans faute, madame Gudule !
MME GUDULE : Qu’est ce qu’il est gentil c’thomme là !
M. GUDULE : Eh ! L’aubergine, j’ai faim... Ramène ta viande !
MME GUDULE : J’arrive, j’arrive...
REMI : A moi aussi ?
NESTOR : Pas de problème ! (off) J’ai du sauter un chapitre ! J’ai de
la peine à comprendre le scénario... (normal) Bon. Vous permettez ?
Il faut que je me repose un peu. A demain les enfants.
TOUS : Au revoir !
SIDO : A bientôt, j’espère !
UN PEU PLUS LOIN...
BARBARA : Oh ! Mon cher maître ! Je suis en admiration !Comment
eussé-je pu deviner ? Quel talent ! Pourquoi ne m’avoir rien dit ?
NESTOR : Si je savais ! ...
BARBARA : Vous allez être surpris. Gazou ? Gazou? Où il est mon
petit Gazou ?
GAZOU : Mon cer mètre, mon cer confrère, ze vous félicite. La
comédie est oune zenre très difficile...
NESTOR (off) : Déjà avec son accent, je comprends rien à ce qu’il
raconte. Mais là, j’en perds mon latin. (normal) Il a du s’en passer
des choses...
GAZOU : Rien qu’avé vou... Votré livre est oune vrai cé d’œuvre !
Quelle Maestria ! N’est ce pas Barbara ?
BARBARA : Gazou, Gazou...
NESTOR : Tous les deux ???
BARBARA : Oh ! Qu’allez vous imaginer ?
NESTOR : Moi ? Rien. Vous savez mon imagination...
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BARBARA : Et quelle modestie, n’est ce pas Gazou, Gazou? Attendez,
je vais vous donner des billets pour la première de notre
représentation. Nous sommes pressés. Bernard Trapp nous attend
pour nous interwiouver.
NESTOR : Merci. C’est gentil. A bientôt.
AUTRE RENCONTRE...
LA DAME AU TRICOT : Merci, monsieur Nestor. maintenant, le Bon
Dieu, il peut me rappeler à lui. Si les anges, là-haut, ils s’ennuient, j’ai
de quoi les dérider.
NESTOR : A vous, je peux bien le dire, la situation m’échappe un
peu. J’ai de la peine à avoir les idées nettes... Je me demande ce qui
m’est arrivé ?
LA DAME : Vous savez bien quand même que vous êtes devenu
l’homme de lettres dont tout le monde parle en ce moment ?
NESTOR : Ah bon ?
LA DAME : Vous n’avez pas lu les critiques ?
NESTOR : Lecture sans beaucoup de calories mais très indigeste.
LA DAME : Même que pendant votre absence, je ne me suis pas
envoyé une lettre.
NESTOR : Pourquoi ?
LA DAME : Vous jonglez avec les mots avec tant d’élégance et
d’adresse...
NESTOR : Vous troquez le tricot pour le livre ?
LA DAME : C’est la même chose. Un texte est un tissu de mots que
nous lisons au fil des pages, n’est ce pas ? Et croyez moi, c’est pas
toujours coton ! Il y en a même qui font des reprises.
NESTOR : A qui le dites vous ! Alors, j’ai écrit un livre ?
LA DAME : Une pièce de théâtre ! Des personnages en quête
d’auteur.
NESTOR : Pas très original !
LA DAME : Détrompez vous ! Tenez, je vous le prête.
NESTOR : C’est amusant ! Je vais découvrir un livre que j’ai soit
disant écrit.
LA DAME : Bien sûr ! A ce propos... je suis contente que l’amnésique
ait retrouvé la mémoire !
NESTOR : Pourquoi me dites vous cela ?
LA DAME : Quand on est jeune, on se prend à rêver... On noircit
quelques pages sur un cahier d’écolier... Odeur d’encre et de buvard
taché... Vous savez... chacun, nous continuons l’œuvre qu’un autre a
commencée...
NESTOR : Vous vous exprimez à demi-mot.
LA DAME (se lève et s’en va) : Il ne faut pas prostituer les mots. Ils
sont aussi fragiles que des jeunes filles... et aussi fidèles qu’une jeune
fille peut l’être.
NESTOR : Vous alors !
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NANOU : Coucou ! me revoilà !
NESTOR : Vous êtes fidèle, vous ?
NANOU : A mes chamallows, bien sûr ! Et puis à vous... Tenez, je
vous ai préparé une surprise.
TOUS LES ACTEURS DE ROMANS PHOTOS : Joyeux anniversaire !
(bis ou ter).
NESTOR : Mais c’est demain !
ISABELLE : Au cas où il te prendrait l’idée de nous quitter à nouveau,
sans nous prévenir.
YVETTE : On a préféré sauter sur l’occasion.
CHARLES : Dis donc, l’idée de l’enlèvement, super comme pub ! Tu te
fais enlever, tu fais la une des journaux et ton bouquin paraît en
librairie. T’as réussi un coup de génie !
ÉLISE : Un vrai conte de fées !
ODILE : En tout cas, t’aurais pu nous prévenir ; parce que la police
est venu nous interroger.
BENOÎT : Et le Magret, il nous a cuisinés.
ÉLISE : Le principal, c’est que tu sois revenu.
FÉLIX : On t’a préparé un de ces repas...
PAUL : On va arroser ton succès !
ÉLISE : T’es content ?
NESTOR : Évidemment !
ISABELLE : Allez, tu vas nous mettre dans le secret des muses. On
t’emmène...
NESTOR : Je rentre d’abord prendre une douche et je vous rejoins.
TOUS S’EN VONT EN CHANTANT : Boire un petit coup...
ELLA (même personnage qu’Emma) : Monsieur, monsieur, pourriez
vous m’indiquer un endroit où passer la nuit ?
NESTOR : Mais, mademoiselle, voilà une question bien surprenante.
ELLA : Je ne sais où aller et je me sens bien seul.
NESTOR : Ne connaissez-vous personne ?
ELLA : Non.
NESTOR : Des parents ?
ELLA : Je n’en ai point.
NESTOR : Des amis ?
ELLA : Vous prononcez là un mot dont le nom jusqu’à ce jour m’est
resté inconnu.
NESTOR : Mais enfin, vous connaissez bien quelqu’un ?
ELLA : Hélas, non.
NESTOR : Mais quel âge avez vous ?
ELLA : Seize ans.
NESTOR : Vous êtes mineure, même pas majeure. Et personne ne
s’occupe de vous ?
ELLA : Je n’ai pas l’impression.
NESTOR : Et où avez vous dormi la nuit dernière ?
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ELLA : A la belle étoile ! Celle qui brille si fort juste au-dessus de
vous. La constellation Emmaphrodite.
NESTOR : Comment vous appelez vous ?
ELLA : Ella, monsieur...
LE RIDEAU SE FERME ...
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