A Stéphie... (la petite dernière) Et Nanard... (le jeune premier) 17
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A Stéphie... (la petite dernière) Et Nanard... (le jeune premier) 17
A Stéphie... (la petite dernière) Et Nanard... (le jeune premier) 17 ans d'amitié … François Michel 1 La pièce a été jouée la première fois (et la dernière ?) le 30 avril 1999 à la Maison du peuple de Saint-Nazaire par Les Petits Tréteaux de Notre-Dame. Décors de A. Gouray et B. Boutin Mise en scène de S. Rivière, F. Bigotte et B. Boutin Musique originale de G. Trégaro La pièce a été écrite par F. Bigotte. Une quarantaine de rôles peuvent être distribués. Un acteur peut jouer plusieurs personnages. Avec dans l’ordre alphabétique : ALLIAU Ludivine BLINO Lucie BOCQUEHO Emmanuelle BRIAND Hélène FREDET Aurore GABORY Marion GARRY Lauren GÉRARD Gwenaëlle GÉRARD Yann GOURAY Amélie GUEVEL Gaëtan GUILLARD Anthony GUILLEMOT Aline HERVEAU Xavier HEURTEL Roma KERFRIDEN Caroline LE GAL François Xavier LEROY Thomas MAO Soazig MARCHAND Julie OGER Philippe PENANHOAT Similien RENIER Faustine RIO Estelle THOREL Marion TOUSSAINT Claire VIGNARD Rozenn 2 Table des matières Cliquer pour arriver sur la scène correspondante 1 La leçon 2 Dans la rue 3 Barbara 4 Nanou 5 Monsieur Gazou 6 La vieille dame 7 Roman photo 8 Emma 9 Le lycée 10 Nocturne 11 Le lendemain 12 Séance photo 13 Indices 14 La cryptosphère 15 La gynesphère 16 La maniacosphère (1) 17 Enquête 18 La bibliosphère 19 L'entrevue 20 L'oratioro 21 Sur terre 22 La maniacosphère (2) 23 Thalie 24 L'audition 25 Poste de police 26 Retrouvailles 3 " Y'a pas de quoi en faire... un drame... ! " ACTE I Conseil de mise en scène : quand Nestor parle en voix off, les autres acteurs s'immobilisent. NESTOR (voix off) : Ce matin-là, je m'étais levé, frais et dispos, et le soleil rayonnait, dans mon cœur ; car il faut bien dire que dehors il faisait plutôt gris. Sur ma tête mon petit chapeau, sur mon dos mon petit imperméable et à la main ma petite serviette, je me dirigeais allègrement vers celle qui m'attendait, non point l'élue de mon cœur, mais l'élève avide de savoir... surtout de savoir que j'allais lui mâcher la difficulté ! Rosette, Rosette c'est son nom, n'a rien d'une enfant surdouée ; mais son innocence naturelle et sa gentillesse coutumière font que je m'y suis attaché. Dans la rue, le concert des klaxons redoubla ma bonne humeur ; autour de moi, les passants semblaient partager la joie de ce matin nouveau ; et, dans le bus numéro 23 qui me transportait à la rencontre de Rosette, les passagers eux-mêmes respiraient l'insouciance et la gaieté. 4 1. LA LEÇON Arrivée chez Rosette. (coup de sonnette) ROSETTE : Bonjour Monsieur. Entrez, je vous en prie. J'ai déjà commencé à travailler le texte à commenter. Mais je crois que vos lumières ne seront point inutiles et pourront éclairer certains passages obscurs, tout du moins à ma petite réflexion. NESTOR (voix off) : Une métaphore, si banale soit-elle, filée par des lèvres si douces, me ravit toujours. ROSETTE : J'ai, je l'avoue, beaucoup de peine à pénétrer les nuances de la psychologie amoureuse. Phèdre me paraît très excessive dans son comportement. NESTOR : Mais elle l'est ! ROSETTE : Sans doute ; mais le langage en vers ne me facilite pas l'analyse. ODILE : Salut ! C’est vous le prof de ma petite sœur ! Soyez gentil avec elle. NESTOR : Pourquoi voulez vous que je ne le sois pas ? ODILE : Enfin, quand je dis gentil ... Pas trop tout de même ! NESTOR : Vous savez... Moi... ODILE : Vous, non ! Mais elle ! ROSETTE : Didile, t’es sympa ; mais monsieur Nestor est venu pour travailler ! NESTOR : Il faut, voyez-vous, pour sentir un texte de théâtre et être sensible à sa respiration, le dire à voix haute, se laisser transporter par le rythme et submerger par sa musique. ROSETTE : Vous voulez que je commence par le lire ? NESTOR : Je vous en prie. ROSETTE : (lecture fade) J'aime. Ne penses pas qu'au moment que je t'aime, Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même... NESTOR : Bon ! bon ! bon !... Vous ne pouvez pas essayer d’y mettre un peu de chaleur... un peu d’intonation ? ROSETTE : (nouvel essai, très chantant). NESTOR : Il y a un petit effort, si ! si ! Mal orienté, mais il y a une tentative. Allez, on ne va pas s’énerver. On va recommencer. Pas trop comique Phèdre. Plutôt névropathe, si vous voyez ce que je veux dire. ROSETTE : (nouvel essai très tragique). NESTOR : Ce n’est pas encore tout à fait ça. Bon, vous allez imaginer que je suis Hippolyte, que vous me désirez ardemment. Et vous allez laisser parler votre sensualité. ROSETTE : (nouvel essai très vrai, sans jeu de scène) NESTOR : C'est beaucoup mieux, beaucoup mieux. Mais votre corps n'exprime pas assez votre passion. Il reste froid… 5 ODILE : Pas étonnant ! Tout ça, c’est de la littérature ! NESTOR : Mais la littérature, c’est la vie, mademoiselle ! ODILE : La vie ? C’est chercher du boulot dès qu’on a terminé ses études. Alors votre Racine et ses conflits... ROSETTE : Ce n’est pas parce que, Marco, ton petit copain t’a quittée qu’on doit en supporter les conséquences ! Alors Didile, t’es gentille, mais tu nous laisses travailler ! Excusez la, monsieur Nestor. NESTOR : Je comprends, je comprends... Reprenons, s’il vous plaît ! ROSETTE (nouvel essai, parfait. Moment d'émotion intense)… NESTOR (voix off) : J'écoutais Phèdre et je ne voyais que Rosette... (La mère arrive, médusée par la scène qu'elle voit.) LA MÈRE (faisant irruption) : Rosette ? Mon enfant, ma petite fille ! Monsieur, c'est avoir trop abusé de ma confiance. Je suis outrée, scandalisée. Quelle honte ! Vous devriez rougir… NESTOR (bégayant) : Mais, Madame... il y a malentendu... LA MÈRE : N'aggravez pas votre cas, Monsieur. Ce que je n'ai point entendu, mes yeux l'ont tout de même vu. NESTOR : J'expliquais à votre fille... la passion amoureuse… LA MÈRE : Monsieur, votre chapeau cache mal les idées perverses que vous entretenez. NESTOR : Mais Madame... LA MÈRE : Et dans votre petite serviette, Dieu seul sait les journaux que vous devez camoufler. NESTOR : Mais Madame… LA MÈRE : Vous êtes un satyre imperméabilisé. NESTOR : Mais, il n'y a pas de quoi en faire un drame ! LA MÈRE : Ah ! Je vous en prie ! ODILE : T’as raison, maman. 6 2. DANS LA RUE Nestor s'en va (voix off) : Je restais un instant minéralisé , pétrifié, fossilisé. Mais je pensais intérieurement : "Cette dame, sans aucun doute, a manifesté, de façon certes prononcée, l'affection qu'elle témoigne à sa fille. Et je ne vois aucune raison de lui en garder grief". Un couple, une altercation : Nestor les regarde. LUI : Ce n’est plus supportable ! ELLE : N’exagère pas ! LUI : Quinze jours que ta mère est à la maison, tu trouves cela supportable ? ELLE : Elle fait le ménage, le repassage et s’occupe des enfants... LUI : Tu ne te rends absolument pas compte de la situation ! ELLE : Je t'en prie, ne t'énerves pas ! LUI : Ne t'énerves pas ! Ne t'énerves pas ! ELLE : S'il te plaît. LUI : Et s'il me plaît, à moi, de m'énerver ! ELLE : Cela passera. LUI : Non ! ELLE : Si ! LUI : Non ! ELLE : Si ! LUI : Ton attitude me désarme. ELLE (se tournant vers Nestor) : Qu'est-ce que vous avez à nous regarder avec votre œil de merlan frit ? NESTOR : Ah ! Quelle passion, quelle passion, j’adore ! Mais je vous en prie, continuez, continuez… LUI : Non, mais ça va pas. ELLE : Viens mon chérie, c’est peut-être un détraqué. Je ne voudrais pas que tu prennes des coups. LUI : Bon, alors je veux bien que ta mère reste à la maison, mais je ne veux plus qu’elle couche dans notre chambre. ELLE : Depuis le temps que j’attendais que tu prennes cette décision ! NESTOR (voix off) : Décidément, les gens méritent qu'on les aime. Ce matin cette maman soucieuse de l'honneur de sa fille et maintenant ce couple qui voudrait s’aimer sans qu’on lui tienne la chandelle. Une marchande de ballons : Achetez mes ballons, mes beaux ballons, beaux ballons tout mignons, beaux ballons tout ronds. NESTOR (voix off) : C’est rigolo mais j'ai toujours eu une passion pour les ballons. Trois ballons, je vous prie. 7 Marchande : Voilà un papa qui va faire le bonheur de ses enfants. NESTOR (voix off) : Je n'osais pas lui dire que je n'avais pas d'enfant, tout cela pour la bonne raison que je n'étais pas marié. Mais j'étais heureux avec mes ballons. Attente à l'arrêt d'autobus. Arrivée d'une femme très visiblement enceinte qui regarde d'une façon sournoise notre héros. NESTOR : Belle journée de printemps, n'est-ce pas ? mutisme de la femme. NESTOR : Espérons que cela va durer. mutisme de la femme. NESTOR : Oh ! Vous êtes enceinte ? LA FEMME : Ça se voit pt'être pas. NESTOR : Donner la vie, quelle joie indicible ! Les femmes ont de la chance. LA FEMME : Vous parlez, neuf mois à les porter ; et toute la vie à les supporter. NESTOR : Les ? LA FEMME : Dire qu'il y a des gens qu'arrivent pas à en avoir ! Moi, un seul essai, et je suis transformée. Trois numéros dans l'ordre. NESTOR : (voix off) Avec mes trois ballons, je me suis senti tout d'un coup un peu con. Je voulus les lui donner... LA FEMME : Non. Mais dites donc, vous êtes gonflé ! NESTOR : Vous les donnerez aux enfants. La femme reste bouche bée. NESTOR monte dans le bus numéro 23. La femme éberluée reste sur le trottoir. NESTOR (voix off) : J’ai fait ma B.A. de la journée, je suis ravi ! 8 3. BARBARA NESTOR (voix off) : Comme je descendais du bus et m’apprêtais à grimper prestement les escaliers qui mènent à mon petit appartement, j'aperçus Barbara de Mont Corney. C'est une actrice de théâtre qui a eu son moment de gloire, et qui a malheureusement disparu ces derniers temps de la scène. Son vrai nom c'est Hornette Dutrou. Faut bien reconnaître que pour un nom de théâtre, ça sonne plutôt mal. BARBARA : Cher Nestor ! NESTOR : Bonjour Baronne. (il lui baise la main). Vous êtes toujours aussi ravissante. BARBARA : Oh ! ne me flattez pas ainsi mon cher. Le facteur vient de passer. Je crois que je dépense plus que je ne pense. NESTOR (voix off) : Je n’ai pas de peine à la croire. Encore tout dépend-il du sens à donner au verbe penser . BARBARA : Je reçois à n'en plus finir des mises en demeure ; et je suis assaillie de lettres de créanciers. Bien sûr, il n'y a qu'à vous que je puisse confier ces soucis d'ordre purement pécuniaire. Actrice maintenant méconnue, si ma boite aux lettres ne désemplit plus, ce ne sont point des lettres d'admirateurs. Le facteur qui termine sa tournée : Tenez, monsieur. Je vous souhaite une bonne journée. NESTOR : Merci. (Il met la lettre dans sa poche). Dites-moi, chère amie, pourquoi ne pas à nouveau remonter sur les planches ? BARBARA : Certes, j'y ai pensé ; bien sûr, mais voilà trois ans que j'ai terminé ma tournée d'adieu. NESTOR : Nous dirons que ce n'était qu'un au revoir. BARBARA : En outre, je ne pourrais, bien sûr, accepter qu'un personnage à ma mesure. Je ne m'imagine, en aucune façon, interprétant un second rôle dans une pièce de boulevard. Le public populaire souffre d'un manque de finesse qui lui fait préférer les plaisanteries oiseuses et bien grasses. Ma sensibilité ne peut s’accommoder d'une telle vulgarité. NESTOR (voix off) : J'aurais pu lui répliquer que les plus belles fleurs poussaient sur du fumier. Mais comme elle n'était pas une fleur, et qu'elle n'était plus très belle... (voix normale) Mais, monsieur Gazou, cet auteur réputé dont vous fûtes autrefois la maîtresse, n'aurait-il rien à vous proposer ? BARBARA : Je ne fus point sa maîtresse ; il fût mon amant, c'est tout à fait différent. Et je me vois mal aller quémander, à qui que ce soit, un emploi ; fusse-t-il digne de moi. NESTOR : Alors, soyez diplomate. Une femme a toujours assez de séduction pour présenter la situation de façon avantageuse. Votre retour sera l'apothéose de votre carrière, et vous lui offrez le 9 privilège de partager avec vous cette gloire, en écrivant à votre intention un rôle de composition. BARBARA : A mon âge, espérons que ce ne sera pas un rôle de décomposition. Cher ami, vous me poussez à faire des folies. Venez que je vous embrasse. (embrassades théâtrales). Arrivée de la concierge : Si c'est pas malheureux, à votre âge ! Allez au moins vous cacher dans les cabinets pour faire vos saletés ! NESTOR : Mais madame Gudule... LA CONCIERGE : Madame Gudule, elle, elle travaille. Elle s'occupe des poubelles, madame Gudule. Elle a pas le temps de faire des mamamouchis, madame Gudule. NESTOR : Mais y'a pas de quoi... LA CONCIERGE : Y'a pas de quoi quoi ? NESTOR : … s'énerver. LA CONCIERGE : Est-ce que je m'énerve ? LE CONCIERGE (du haut de l'escalier) : Josette ? Josette ? LA CONCIERGE : Ouais ! LE CONCIERGE : Viens vite, la chatte est en train d'accoucher. LA CONCIERGE : Les hommes, les animaux, tout ça, c'est à mettre dans le même panier. Et bien que les hommes pensent, c'est pas pour ça qui sont plus intelligents ! Le vice naquit un jour de la réflexion. NESTOR : On aurait pu croire, à la voir, madame Gudule, que son QI était inversement proportionnel à son obésité. Mais non ! Simplement, il était bien enrobé. Rire de Barbara NESTOR : Pourquoi riez-vous ? BARBARA : De la situation embarrassante dans laquelle je vous ai mis. Un bon début pour un vaudeville, n'est ce pas ? A bientôt, cher ami. Je compte sur vous pour m'accompagner chez monsieur Gazou. NESTOR : La lettre, c'est vrai, je ne l'ai pas encore lue ! (il l'a décachette). Avant de lire une lettre, j'ai toujours l'habitude de regarder les dernières lignes ; on embrasse toujours les gens à la fin. Alors que si vous rencontrez quelqu'un, c'est le premier acte civilisé que vous accomplissez... surtout si elle est jeune et jolie. 10 4. NANOU Cris, bousculade, arrivée de Nanou (jeune fille pétillante et tonique) NANOU : Bonjour monsieur Nestor. (elle s'empiffre de chamallows). Je parie que c'est encore une amoureuse qui vous écrit ? Hein ? Sous votre air de gentil garçon, vous devez en avoir eu des aventures ? NESTOR : Mais non ! Mais non ! NANOU : Oh ! Le vilain menteur, le petit cachottier ! NESTOR : Mais non ! Mais non ! NANOU : De moi, vous êtes pas un tout petit peu amoureux ? NESTOR (il l'a regarde affectueusement) :... Non... NANOU : Rien qu'un tout petit peu ? NESTOR (signe de tête) : non. Alors un tout petit peu... NANOU : Bien sûr, vous pourriez trouver mieux... Mais des comme moi, y'en a pas deux ! Bon. D'accord. Côté poitrine, c'est pas l'inflation ! Mais y'a pas que le corps ! NESTOR (voix off) : Elle a raison. Seulement, comme dit ma concierge, qui n'a pourtant pas lu Pascal, qui veut faire l'homme fait la bête . (voix normale) Tu es très mignonne, mais depuis ce matin on m'a déjà traité de satyre et prêté de mauvaises intentions, alors tu comprends... NANOU : Tant pis ! Vous ratez une occasion... première main ! (elle s’en va et se retourne) Tout ce que je vous ai dit, c'est pour rire. REMI (un garçon entre) : Tiens, tu es là Nanou ? NANOU : Voilà Rémi. REMI : Je te cherche depuis une demi heure. NANOU : Pourquoi ? Tu veux un chamallow ? REMI : Non, pas vraiment. NANOU : Tu es malheureux ? REMI : C’est l’horreur ! NANOU : Quoi ? REMI : Je peux te poser une question ? NANOU : Pose toujours. REMI : Est-ce que tu trouves que j’ai du charme ? NANOU : Ouh ! la ! la ! Dis donc, tu es amoureux toi . REMI : C’est rien de le dire. Mais est-ce que j’ai du charme ? NANOU : C’est même plus que de l’amour... REMI : Tu ne réponds pas à ma question. NANOU : C’est qui ? Je la connais ? REMI : Elle est... Elle est... J’en rêve le jour, j’en rêve la nuit. Je dors plus, je mange plus, je travaille plus... NANOU : T’es vachement accroché ! REMI : Franchement, dis moi comment tu me trouves ? NANOU : Franchement ? 11 REMI : Bein oui, franchement. NANOU : Je te trouve super drôle. REMI : Et physiquement ? Physiquement... Je suis comment ? NANOU : Pourquoi tu me demandes tout ça ? A moi ? REMI : Je sais pas comment te le dire... mais physiquement, je suis comment ? NANOU : Pour le moment, t’es encore en boutons. Faut attendre que t’ais fini ta puberté. On verra si t’es comestible. REMI : Mais je te parles sérieusement ! NANOU : Mais moi aussi. Tu sais, l’essentiel, c’est d’être original. Si tu veux qu’elle te remarque, faut la surprendre. REMI : Oui, mais comment ? NANOU : Attire son attention. REMI : Ça, j’en rêve. Un seul de ses regards et je suis Bugs Bunny collé au plafond. NANOU : Le coup du lapin, faut mieux éviter. Tu lui as déjà parlé ? REMI : Je peux pas... Quand j’essaye, je bafouille, je tremble, je transpire... Je contrôle plus mes pulsions... NANOU : Du calme, du calme ! Alors t’as qu’à lui écrire, ça évitera les convulsions. REMI : Super, Nanou ! Je vais lui écrire un poème, un poème épique : elle sera Nausica, je serai Ulysse, pour elle je tuerai Alien, j’exterminerai les vampires, je combattrai les dragons... (il mime tout ce qu’il dit). NANOU : Oui, enfin, aujourd’hui, les dragons... REMI : Tu n’as pas vu sa mère, Folcoche, à côté, c’est Blanche Neige ! NANOU : Bon ! Et bien va écrire. Demain tu me montreras tes exploits. REMI : Merci Nanou. Maintenant je me sens ragaillardi, plus viril, un homme quoi ! (il sort). NANOU : Les garçons, je ne sais pas si, un jour, ils deviennent adultes... 12 5. MONSIEUR GAZOU Noir, puis lumière. Dans le bureau de M. Gazou. Sonnerie : la bonne se précipite, renverse un vase et reste à pleurer. Nouveaux coups de sonnettes intempestifs. LA MAÎTRESSE DE MAISON: Amélie ! Amélie ! Voyons Amélie, qu'attendez-vous pour aller ouvrir, la sonnette a retenti. Ne l'avezvous point ouï ? LA BONNE : Oui. LA MAÎTRESSE DE MAISON : Alors un plus de diligence, je vous prie. (la bonne s'en va ouvrir) LA BONNE, niaise : Monsieur ? Monsieur ? (l'auteur est dans la lune) LA BONNE (criant) : Monsieur ! GAZOU (à genoux, pleurant) : Voilà cinq minoutes qué iétait à l'affût. Jouste au moment qué iallai trouver le mot juste... Jé l'avais sur le bout de la langue...(il s'avance, menaçant sur LA BONNE) LA BONNE se met à pleurer : Hé ! Ch'avais pas. GAZOU : Quand jé souis assis à né rien faire, jé travaille ! LA BONNE : Ben, ch'avais pas. GAZOU : Ma matière grise était en éboulition. LA BONNE : Ch'avais pas. GAZOU : Arrêtez, jé vous prie, dé répéter touiours la même çose ! LA BONNE : Chavais pas ! GAZOU : Et dites-moi cé qué vous voulez. LA BONNE : Moi, je veux rien ; mais y'a une dame qui demande à parler à monsieur. (suite en accéléré. cf. les films muets puis normal ) BARBARA : Alors que dites-vous de ma proposition cher maître ? GAZOU (accent espagnol) : Ouné pièce sur commande est touiours ouné çose délicate. Mé iavoue qué iaime lé défi. Ouné traiédie contemporaine centrée biensour sour la fatalité. On pourrait imalliner ouné femme qui apprend que le ieune homme qu'elle a épousé était ouné meurtrier. BARBARA : Une aristocrate, bien sûr ! GAZOU : Bien sour ! Et il aurait assasiné lé prémier mari, sans le savoir ! BARBARA : Un noble, bien sûr ! NESTOR : Et sans doute le meurtrier, dans son inconscience totale, aurait ainsi tué son père ? GAZOU : Mé c'est oune méga idée que vous avez là ! Vous zêtez oune iénie ! 13 NESTOR : Pour que la tragédie soit totale, il apprend que celle qu'il a épousée est sa mère ? GAZOU : Peut-être qué c'est peu crédible, mais c'est d'un machiavélisme exorbitant ! BARBARA : Trop exagéré pour la crédibilité ! Comment voulez-vous faire un succès avec une histoire aussi invraisemblable ! NESTOR : Oserais-je, mon cher Maître une remarque ? Il me semble que Sophocle a déjà eu la même idée. GAZOU : Mé quelle importance mon ser ! D'ailleurs, ze ne connaît pas ce monsieur ! Et nous insisterons sur les conséquences désastreuses de la révélation : la femme se mettra à boire... BARBARA : Ah, non ! certainement pas ! Tout du moins pas pendant le travail sur scène ! GAZOU : Ou alors, nous pourrions zimaziner qué oune belle-mère tombe amoureuse de son beau-fils ? NESTOR (voix off) : Décidément, ce monsieur n'avait aucune idée originale. Il allait maintenant nous refaire le coup de Phèdre ! Moi, je pensais à Nanou. (Dans un coin de la scène on aperçoit Nanou qui s'empiffre de chamallos) . Elle aurait eu quelques années de plus, ou moi, quelques années de moins ; voilà le drame ! Et encore, quand on aime quelqu'un, on n'a jamais idée de ce qu'il sera devenu dix ans plus tard. Il faudrait ne s'engager qu'à un âge certain . Alors, on ne vit plus d'espoir... on s'habite de souvenirs. Pendant ce temps, l'auteur et l'actrice ont continué à parler. 14 6. LA VIEILLE DAME Noir Notre héros assis à la même place, toujours la lettre à la main. Une vieille dame (qui tricote): A quoi pensez-vous, cher ami ? NESTOR : Pardon ? LA DAME : Voilà dix minutes que vous êtes là, sans bouger. NESTOR (ébahi) : Ah ! Bon. LA DAME : Vous n'êtes pas malade au moins. NESTOR : Non, je... je rêvais... LA DAME : Quel bonheur vous avez ! Vous êtes encore jeune, mon petit monsieur. Et vous avez ce privilège. A mon âge, on se contente de souvenirs ! NESTOR : Nous conjuguons nos vies de rêves et de souvenirs. LA DAME : Vous êtes charmant. C'est votre petite amie qui vous écrit ? NESTOR : Non. Je n'ai pas de petite amie. LA DAME : Ah bon ? Après tout, c'est aussi bien... Moi, je reçois une lettre tous les jours. NESTOR : C'est votre petit ami ? LA DAME : Non. C'est moi qui m'écrit. Je me raconte mes journées. Quelquefois, je m'invite au restaurant. Le dimanche est un peu triste, car le facteur ne passe pas. NESTOR : Pas de nouvelle, bonne nouvelle ! LA DAME : La boite aux lettres reste fermée. Un jour, elle sera définitivement close. NESTOR : Pourquoi ? LA DAME : C'est moi qui serait dans la boite... la boite pour le Bon Dieu ! J'espère qu'il ne me laissera pas poste restante. (Nestor reste ahuri). Ne me regardez pas comme ça ! Vous n'y avez jamais pensé ? A la poste, levée du courrier, au cimetière, levée des corps. Le Bon Dieu, Il ne doit pas chômer ! Lire le scénario de toute une vie, vous vous rendez compte ? NESTOR : Non. Pas vraiment ! LA DAME : Qu'est ce qu'il doit lire comme ineptie ! NESTOR : Ah bon ? LA DAME : Il y en a qui ont été des cabots toute leur vie. NESTOR : Peut-être. LA DAME : C'est une question de distribution, quoi ! Faut dire qu'il y en a qui ne sont pas gâtés. Toujours des petits rôles, alors qu'ils auraient pu être jeune premier ! Et d'autres ont le premier rôle, on se demande bien pourquoi ! Je ne citerai pas de nom... mais parmi les hommes politiques...Vous avez remarqué, au théâtre, il n'y a pas 15 beaucoup de grands rôles féminins ; dans la vie, c'est la même chose... Moi, quand j'étais jeune, je rêvais d'être équilibriste. NESTOR : Vous auriez vraiment voulu vous promener sur un fil ? LA DAME : Mais non ! Simplement, éprouver les mêmes sensations. Une sorte de vertige permanent ! Je crois qu'il n'y a que l'amour capable de vous faire ressentir la même émotion. NESTOR : Vous rêviez d'être toujours amoureuse ? LA DAME : Bien évidemment ! NESTOR : Et vous l'avez été ? LA DAME : Le plus que j'ai pu. NESTOR : Alors vous devez avoir eu des tas d'aventures ? LA DAME : Bien sûr que non ! Le trapéziste ne cède pas à l'attrait du vide. En amour, c'est pareil : il faut la tentation, mais ne pas y succomber. NESTOR : C'est un peu frustrant. LA DAME : Pas du tout . C'est quand on consomme qu'on est déçu ! NESTOR : Décidément, vous avez réponse à tout. LA DAME : Vous ne savez pas que la femme a toujours raison ? NESTOR : Et vous êtes féministe par dessus le marché ! LA DAME : Lucide, ça suffit. Maintenant, il faut que j'y aille. Il faut que j'écrive. Je vais raconter notre rencontre . NESTOR : Quel intérêt ? LA DAME : La sensation de vertige. Vous avez déjà oublié ? (montrant ses deux aiguilles à tricoter qu'elle n'a pas cessé de faire fonctionner) : j'ai même le balancier ... Apparition de Lafillette, poussant un archaïque landau, et vêtue façon folklo, couleurs voyantes et légèrement vulgaires. LA DAME : Bonjour Lafillette ! Vous faites votre jogging matinal ? NESTOR (voix off ): Lafillette, elle avait passé l'âge et même peutêtre dépassé ! . (voix normale) : Bonjour madame. LAFILLETTE : Oh ! C'est pas tous les jours qu'on m'en donne du madame . Allez, te tracasse pas mon gars ; pas de chichi avec moi. Pour tout le monde je suis Lafillette. Même que t'es un beau gars, seulement aujourd'hui, j'ai pas le cœur à batifoler. NESTOR (voix off) : Le cœur, je ne savais pas, mais pour le corps je n'en doutais pas. LA DAME : L'âme chagrine, Lafillette? LAFILLETTE : Me voilà seule. Mon Nestor m'a fait faux bond. Je me réveille ce matin, il était mort. Alors vous comprenez... Quinze ans qu'on se fréquentait. Rue de la soupente qu'on s'était rencontré... un huit janvier au matin, je m'en souviens bien. On s'était jamais quitté. J'aurai plus mon compagnon de lit. Je le mamourais, je le caressais... Lui, il me léchait (surprise de Nestor). Pauvre chien ! NESTOR (rassis) : Vous devez être bien malheureuse ! 16 LAFILLETTE : Je me console en m'disant qu'il a pris les devants. La haut Saint François l'aura admis au paradis des chiens : les douloureux, les souffreteux, les snobs, les cabots, les pedigrees... tous au même niveau. Et quand je passerais l'arme à gauche, Nestor m'aura réservé un petit coin de sa niche .Alors vous voyez... NESTOR : Y'a pas de quoi en faire un drame ! Bon, ceci dit, il faut que j’aille rendre visite à un copain. Il est acteur de romans photos. Vous connaissez peut-être le mensuel Amour, Soir et Tentation . Ce n’est pas très littéraire, mais il paraît que ça se vend bien. Et mon copain, comme il bégaye, dans ce genre de production, il n’y a pas de problème. 17 7. ROMAN PHOTO Nombre de personnes sur le plateau. Benoit a l'art des "blagues" qui tombent à l'eau. NANARD (le directeur) : Non, mais t’as vu l’heure Félix ! Dix minutes qu’on t’attend ! FELIX : Te fâches pas, de toute façon, tout le monde n’est pas encore arrivé. NANARD : Oui, mais quand même ! ÉLISE : Et puis lui, il n’a pas de problème de texte. FELIX : C’est vrai ! Quoique... C’est vrai, mon texte ! Où l’ai je mis ? NANARD : Vous voyez, quand je vous disais ! ISABELLE : Ca fait rien, je vais lui prêter la mien. Il est tellement gentil. Et puis, moi, j’ai de la mémoire. BENOIT : Il faut bien que tu ais quelque chose, parce que, à part ça, on ne peut pas dire que tu sois tellement gâté par mère nature ! CHARLES : Ah ! Vous deux, vos gueules ! J’espère que ça ne va pas commencer ! ODILE : Et bien moi, j’aimerais bien que l’on commence, parce que j’ai un rendez-vous ; un rendez-vous à ne pas rater. YVETTE : C’est ton nouveau copain ? Dis, tu me le présenteras ? ODILE : La dernière fois, tu me l’as piqué. Il est hors de question de recommencer. YVETTE : Oh ! La vache ! C’est lui qui t’as quittée ! ODILE : N’empêche que tu l’avais un peu émoustillé. Pour taquiner le goujon, tu t’y connais. BENOIT : On se demande bien comment ? YVETTE : Du côté poisson , tu ferais mieux de la fermer... Il y a d’autres noms que je pourrais utiliser. Et il te ferait guère plaisir. BENOIT : Non, mais écoutez la, cette... CHARLES : Ah ! Vos gueules, J’espère que ça va pas commencer ! ÉLISE : Oui, ben ça, tu l’as déjà dit. NANARD : Bon, les enfants, c’est pas tout ça ! Au boulot ! Séance travail. Nestor arrive, tout le monde le salue... NANARD : Paul, tu es là ? Paul ? Où est passé cet abruti ? PAUL (la chevelure en pétard) : Voilà, voilà, j’arrive. Il suffit de m’appeler, pfitt et me voilà. Je suis une vraie petite bombe. ÉLISE : Moi, je dirais plutôt un pétard. BENOIT : Et encore un pétard mouillé. PAUL : J’ai pas eu le temps de me les sécher ! ÉLISE : C’est pas grave, tu as tes instruments, ton matériel ? 18 PAUL : Paulo, jamais en défaut ! Mon boîtier, mes objectifs, mes pellicules... Ou la la , je suis dans un état d’excitation ! C’est peu de le dire ! NANARD : Bon, puisque tout le monde est prêt, nous allons pouvoir écouter les précisions données par la conceptualisatrice, enfin celle qui a écrit le script de cette nouvelle série. Madame Ursula... URSULA : Mademoiselle, je vous prie. BENOIT : C’est pas étonnant. URSULA : Pardon ? BENOIT : Étonnamment charmant. URSULA : Merci. J’ai un nouveau concept, fort, je dois le dire, de la photo, et par là, du roman photos. Il faut éradiquer l’image dépassée du magazine photos... CHARLES : Éradiquer ? PAUL : Chut ! URSULA : Oui. Éradiquer l’image dépréciative donnée de la femme dans la presse, lui redonner ses titres de noblesse, qui ne doivent plus rimer avec fesses. CHARLES : Voila qu’elle cause en vers. URSULA : Et non seulement rehausser l’image de la femme, mais aussi élever le niveau intellectuel des lecteurs. Du scénario, ils doivent générer l’émergence du sens. PAUL : Ah ! les sens ! les sens ! J’en frétille. URSULA : Non pas les sens, mais l’essence. BENOIT : Oui, ben elle a encore augmenté. ODILE : Rien que pour la manière dont elle s’exprime, je suis contente d’être une femme. BENOIT : Il n’y a bien que toi. La femme était déjà compliquée à comprendre, si, en plus, elle devient hermétique, moi, je deviens comme Paulo. NESTOR (voix off) : Plutôt sympathiques, mes copains ! Comme ça, ils ont l’air de se quereller, mais c’est un jeu auquel chacun se livre avec beaucoup d’amitié. Alors, pour ne pas les déranger, moi, je me mets dans un coin, je ne dis rien et j’observe. URSULA : Je vais vous distribuer le scénario afin que chacun le compulse et en fonction des rôles respectifs se sente interpellé par la projection virtuelle de ce qu’il devra réaliser. Le texte n’est que le négatif de ce que chacun devra positiver en gérant au mieux la potentialité de ses capacités. TOUS : Oui, oui, bien sûr ! NESTOR (off) : Dans le genre néo pédago, il faut dire qu’elle y allait un peu fort. À l’écouter parler, on peut souhaiter que son mari, si elle en a un, soit sourd ! Tous les acteurs sortent. NESTOR : C’est pas tout ça ; mais il est déjà dix sept heures et j’ai ma réunion de parents. 19 8. EMMA Sur le chemin, rencontre inattendue. EMMA (la petite fille aux allumettes) : Monsieur, monsieur, pourriez-vous m’indiquer un endroit où passer la nuit ? NESTOR : Mais, mademoiselle, voilà une question bien surprenante. EMMA : Je ne sais où aller et je me sens bien seul. NESTOR : Ne connaissez-vous personne ? EMMA : Non. NESTOR : Des parents ? EMMA : Je n’en ai point. NESTOR : Des amis ? EMMA : Vous prononcez là un mot dont le nom jusqu’à ce jour m’est resté inconnu. NESTOR : Mais enfin, vous connaissez bien quelqu’un ? EMMA : Hélas, non. NESTOR : Et où avez vous dormi la nuit dernière ? EMMA : Nulle part, je suis à peine née. NESTOR : Mais quel âge avez vous ? EMMA : Seize ans. NESTOR : Vous êtes mineure, même pas majeure. Et personne ne s’occupe de vous ? EMMA : Non ! C’est-à-dire... C’est-à-dire... que je me suis perdue. NESTOR : Il est dangereux pour une très jeune fille comme vous l’êtes de traîner ainsi dans les rues. Vous pourriez y faire de mauvaises rencontres. EMMA : Lesquelles ? NESTOR : Mon Dieu ! Quelle innocence ! EMMA : S’il vous plaît, aidez-moi. Je suis si seule ! NESTOR : Le temps me manque. Si vous ne trouvez un abri pour la nuit, je rentrerai chez moi, certes un peu tard, mais je trouverai un moyen de vous héberger. EMMA : Merci, Monsieur. J’attendrai. NESTOR : J’habite juste ici au numéro 13. EMMA : Grand merci. NESTOR : En attendant, cherchez quand même une solution. Vous avez un peu d’argent ? EMMA : Non monsieur. NESTOR : Voici un peu de monnaie. Nestor poursuit son chemin. NESTOR : Drôle de rencontre ! Si ma concierge m’avait vu, Dieu sait ce qu’elle penserait ? Et pourquoi lui avoir donné mon adresse ? Je risque de me retrouver avec une jeune fille mineure sur les bras ! Encore s’il n’y a que sur les bras ! Maintenant je n’ai plus qu’à hâter le pas, les parents m’attendent. 20 9. LE LYCÉE Nestor arrive au lycée. Grande effervescence dans la professeurs. salle des NESTOR : Salut ! LA DIRECTRICE : Bon ! Surtout je vous demande de limiter au maximum le temps de chaque rencontre. Sinon les parents attendent dans les couloirs. Et cela fait mauvais effet. N’oubliez pas, après, une collation vous est préparée. Coup de sonnette : les professeurs se mettent en rang pour gagner leur salle. LA DIRECTRICE : Madame Soulevent, vous n’auriez pas du vous habiller tout en rouge, c’est un peu provoquant ! Quant à vous Monsieur Toubin, une cravate aurait été du meilleur aloi ! Ceci dit, je vous souhaite bon courage. Les professeurs se dispersent. Nestor recevant des parents. NESTOR : Bonjour Madame, Monsieur. Je vous en prie, asseyez-vous. MAXENCE : Nous sommes les parents de Charles Henri Matthieu en classe de seconde D 25. Nous savons que notre fils extrêmement brillant envisage une série scientifique afin de préparer science po. NESTOR : Cependant... GHISLAINE : Il est sûr que d’autres possibilités lui sont offertes. Un enfant si intelligent... NESTOR : Mais les résultats, quant à eux... MAXENCE : Lui permettent tous les espoirs, nous le savons. NESTOR : En ce qui concerne les espoirs, il faudrait peut être envisager... GHISLAINE : Non, il ne sautera pas de classe. Cela serait injuste par rapport aux camarades moins doués de sa classe. NESTOR : Justement, à propos de classement... MAXENCE : Nous refusons ce système de sélection par trop élitiste qui mettrait en valeur la supériorité intellectuelle de Charles Henri Matthieu. Merci de nous avoir reçu. Vous avez de la chance d’avoir un élève comme notre fils qui doit vous obliger à vous surpasser. Vous pouvez nous remercier. PARENTS SUIVANTS NESTOR : Ravi de vous rencontrer ! PÈRE : Nous aussi, mais sans doute pas pour les mêmes raisons. 21 Intervention de là DIRECTRICE : Monsieur Nestor, votre queue s’allonge, soyez plus rapide. JACQUES : Le deux qu’il a eu au dernier devoir est inadmissible ! NESTOR : Mais son orthographe et son expression... JACQUES : Balivernes ! A l’ère de l’ordinateur et de la communication orale , c’est un critère qui n’a plus raison d’être. Nous vous demandons donc un effort pour que les résultats s’améliorent. Voilà Monsieur. Au revoir. PARENTS SUIVANTS URSULE : Bonjour Monsieur, nous sommes bien emmerdés. Faut dire qui comprend pas tout ce que vous causez. Dis lui, toi, que tu comprends pas ! L’ÉLÈVE : Ben ouais. NESTOR : Bernard est bien gentil... L’ÉLÈVE : Ben ouais. NESTOR : A force de travail, il devrait progresser... HUGUETTE : Tu vois, on t’lavais bien dit que le monsieur y comprendrait. Tu sais, t’es pas plus con que ton père. L’ÉLÈVE : Ben ouais. NESTOR : Son problème est un problème de vocabulaire. Il y a chez lui une pauvreté de langage... URSULE : C’est ce que ji dis. Faut qui lise. A la maison y a des revues. Tiens ! Rien que le Pélican ! Même que moi j’comprends pas tout. T’as qu’à lire les annonces de parey le moniale. NESTOR : matrimoniale ! L’ÉLÈVE : Ben ouai. LA DIRECTRICE : C’est de pire en pire. Votre queue est de plus en plus longue ! NESTOR (off) : Moi, je pensais à Nanou... J’aurais bien partagé un chamallow avec elle... MAXENCE : Alors quoi qui peut faire ? NESTOR : Travailler et puis espérer... MAXENCE : Tu vois, le monsieur, il a raison. NESTOR : Pas d’autre question ? HUGUETTE : Mais à par ça tout va bien ? Y a pas de raison qui réussisse pas ? NESTOR : L’avenir nous le dira. Au revoir. NESTOR (seul) : Dans le fond, tous ces gens là sont bien sympathiques et il n’y a pas de quoi en faire un drame. PARENTS SUIVANTS GUY : Ah ! c’est pas trop tôt ! Une heure d’attente pour vous voir, c’est long ! 22 NESTOR (off) : Moi, ça fait quatre heures que j’écoute et il paraît que nous vivons une époque où les gens ne savent plus prendre le temps de se parler ! GUY : Mon fils est un petit branleur qui n’en fout pas une rame. HUBERT : Papa ! GUY : Non ! Tu te tais ! Les petits cons n’ont pas droit à la parole. HUBERT : Mais papa... GUY : Il n’y a pas de papa qui tiennent ! MÈRE : Calme toi. Son bulletin n’est pas mauvais. GUY : Oh ! Toi ! Évidemment, il faut que tu prennes son parti. naturellement, j’ai tort. Alors non contente de toujours le soutenir à la maison, il faut que même devant des étrangers tu prennes le parti de ton fils. NESTOR : Je voudrais... MÈRE : Mais c’est aussi le tien ! HUBERT : Papa, maman, taisez vous ! NESTOR : Je voudrais... GUY : C’est possible, quoique... La aussi permet moi d’avoir des doutes ! MÈRE : Oh ! Guy, là tu dépasses les limites ! NESTOR : Je voudrais... GUY : Vous ! Taisez-vous ! De quoi vous mêlez vous ? NESTOR : De votre fils qui... GUY : Mais de quel droit ? Ce n’est tout de même pas un étranger qui va faire la loi chez moi ! J’en toucherai deux mots à votre directrice et croyez moi, j’ai le bras long... HUBERT : Papa, maman... NESTOR : En aucune façon je ne voulais... GUY : Vous ne vouliez pas, et cependant vous l’avez fait... MÈRE : Chéri, calme toi... NESTOR : Certes, votre fils manque un peu de rigueur... GUY : Comme sa mère. NESTOR : Il est un peu désordonné... GUY : Comme sa mère... NESTOR : Et manque de confiance en lui... GUY : Comme sa mère... NESTOR : Mais il possède d’excellentes qualités... GUY : Comme son père ! NESTOR : Mais il ne les montre pas toujours... MÈRE : Comme son père ! GUY : C’est cela, critique moi, devant des étrangers. HUBERT : Je ne suis pas un étranger. GUY : Oh ! Toi la ferme ! Nous réglerons tout ça à la maison. En route. NESTOR (off) : Et dire qu’il y en a qui envient les professeurs pour les vacances. Ceci dit, il y a vraiment de quoi en faire une scène de 23 comédie. Dieu sait combien la vie est trop courte pour s’ennuyer triste. 24 10. NOCTURNE Nestor arrive chez lui. EMMA : Je vous attendais. NESTOR : Et bien pas moi. EMMA : Vous êtes en colère. NESTOR : Non ! Pas vraiment ! EMMA : Je vous ai acheté des croissants. Ils sont tout chauds. NESTOR (off) : A cette heure ci je n’ai pas vraiment envie d’avaler des croissants. Mais comment refuser à quelqu’un d’aussi charmant ? EMMA : Vous êtes gentil ! NESTOR : Gentil, gentil... EMMA : Vous savez, vous êtes la première personne que je rencontre vraiment. Et je n’ai pas peur de vous. NESTOR : Merci. Mais pourquoi voudriez vous avoir peur ? EMMA : Vous savez, tout est si nouveau pour moi. NESTOR : Certes, vous êtes jeune, mais vous n’êtes quand même pas née hier. EMMA : Je crois que non. Je dois avoir sept jours. NESTOR : J’en ai tellement entendu ce soir que je suis prêt à vous croire. Le temps est si relatif. Il a fallu sept jours pour construire le monde... Alors ! Et une désobéissance pour nous punir. EMMA : Moi aussi, j’ai désobéi. NESTOR : On voit que vous êtes encore une enfant : jamais une femme ne ferait un tel aveu. MME GUDULE (elle sort ses poubelles) : Y s’en sont déjà aux confidences. Et Mme Gudule, qu’est ce qu’elle fait, hein, Mme Gudule, elle travaille, elle s’ennuie pas, elle a pas de vice et elle se crée pas de besoin. NESTOR (éberlué) : Mais Mme Gudule, vous êtes Voltaire ! MME GUDULE : Connaît pas c’te monsieur... Sans doute un nouveau dans le quartier que j’ai point encore rencontré. NESTOR : Mais non, l’auteur de Candide. MME GUDULE : Un nouveau feuilleton télévisé ? NESTOR : Mme Gudule, vous êtes géniale ! MME GUDULE : Ben puisque tout d’un coup vous êtes si gentil, tenez ce sac, y a des chatons qui sont encore à respirer, vous aurez qu’à les achever. EMMA : Quelle horreur ! La vie est sacrée. Moi, j’ai failli mourir... MARI DE LA CONCIERGE (en état d’ébriété) : Punaise ! la jolie pépée ! Ce serait été bien dommage ! Parce que franchement y a de quoi se rincer l’œil... après s’être rincé le gosier. Hic ! (il rit grassement). MME GUDULE : Je remonte. Y faut que je couche l’éponge. NESTOR : Pourquoi avez-vous faillir mourir ? 25 EMMA : Je vous le raconterai demain, je suis si fatiguée. NESTOR : Vous avez une mine de papier mâché. 26 11. LE LENDEMAIN Nestor sort de chez lui et rencontre Nanou. NANOU : Et bien dites donc, Monsieur Nestor ! Vous êtes bien frétillant ce matin ? NESTOR : Il y a des jours comme cela. NANOU : Vous avez bien dormi ? NESTOR : Royalement. NANOU : Petit cachottier ! NESTOR : De quoi ? NANOU : Du petit extra que vous vous êtes offert. NESTOR : Non Barbara! Tu vas dire des bêtises. Mange tes chamallows et tais toi. NANOU : Chacun ses gourmandises... (elle s’en va). Arrivée de Barbara : Alors, on se met en ménage ? NESTOR : Les nouvelles vont vite. Mais trop vite pour être vraies ! Et il n’y a pas de quoi en faire une histoire. BARBARA : Dommage ! A bientôt cher ami. Vous me raconterez. NESTOR (seul) : D’ailleurs, je ne sais rien, rien et rien. Elle a sept jours, elle a failli mourir... Allez je file voir mes amis du roman photo. EN CHEMIN JULIE : Salut Nestor, alors remis de ta réunion ? NESTOR : Oui, bien sûr. Et puis tu sais les vacances arrivent. JULIE : Tu parles ! Quatre paquets de copies à corriger... NESTOR : Voilà de quoi t’occuper. En plus en physique, ça va vite ! JULIE : Ca, c’est bien une idée de prof de français ! Les élèves aujourd’hui sont tellement nuls, ça prend un temps ! NESTOR : Au moins tu sers à quelque chose ! Imagine, uniquement des élèves surdoués... J’ai bien dit, imagine... Tu serais obligé de te surpasser ! JULIE : En plus, franchement, je vais te dire... J’arrive pas à faire la correction. Trois fois que je refais les calculs, je ne trouve jamais le même résultat. NESTOR : Prends les annales corrigées ! JULIE : J’ai donné un sujet qui n’est pas dessus. Alors tu vois, les vacances... Déjà que je suis crevée! je me serais bien accordée une semaine de farniente. NESTOR : Tu sais, la paresse, c’est un art. Quand on est professeur de matières nobles, le français, par exemple, on réfléchit avant. On ne donne un sujet en devoir que si l’on est sûr d’avoir les éléments de la correction. JULIE : C’est pas bête ! 27 NESTOR : Tu as compris ? Alors ton cas n’est pas désespéré. J’aurais même rencontré un prof de physique intelligent, c’est pas tous les jours ! En attendant, demande à un collègue de t’aider. JULIE : J’ose pas. Ils vont me trouver un peu cruche ! NESTOR : Demande à Alphonse. JULIE : J’oserais jamais. NESTOR : Il est gentil comme tout. JULIE : Moi, il m’intimide. J’ai pas trop confiance. NESTOR : Il ferait n’importe quoi pour rendre service ! JULIE : Justement, je ne voudrais pas qu’il fasse n’importe quoi ! NESTOR : Tu sais il ne fait pas n’importe quoi avec n’importe qui. JULIE : Mais je ne suis pas n’importe qui ! NESTOR : Tu n’es pas n’importe qui... Mais à n’en pas douter tu es un corps qui obéit à la loi physique de l’attraction amoureuse. JULIE : Qu’est ce que tu vas chercher ? NESTOR : Rien. Je constate. Réflexion fondée sur l’observation. Et il n’y a pas de quoi te rendre malade. JULIE : Tu crois que je peux lui téléphoner ? NESTOR : Bien sûr ! JULIE : Il m’invitera chez lui ? NESTOR : C’est à voir ! JULIE : Tu me laisses espérer des choses... NESTOR : Je te certifie que sa maman fait très bien la cuisine ! JULIE : Il vit chez sa mère !!! NESTOR : Non. C’est sa mère qui vit chez lui. JULIE : C’est embêtant ! NESTOR : Pourquoi ? JULIE : Ce sera moins intime. NESTOR : Tu sais, ses enfants se couchent tôt ! JULIE : Il a des enfants ? NESTOR : Trois garçons et deux filles qui ressemblent à leur mère. JULIE : Il est marié ? NESTOR : Une femme ravissante qui est en stage à Paris. C’est d’ailleurs pour cela que sa mère est chez lui. JULIE : J’ai vraiment pas de chance ! Il y a des célibataires à l’école ? NESTOR : Oui, moi ! MME GUDULE : Et bien dites donc, monsieur Nestor ; vous êtes infatigable ! Avec vous les femmes, ça défile ! Vous devriez tout de même faire attention à la qualité ! NESTOR : Mme Gudule !!! Je vous en prie ! JULIE : Question qualité, je ne suis peut être pas de premier choix ; mais, moi, je ne suis pas encore avariée ! MME GUDULE : Qu’est ce qu’elle a la greluche ? NESTOR : Mais, madame Gudule, c’est une collègue de travail ! Julie, attends moi... 28 MME GUDULE : Pauvres élèves ! On comprend qu’y en est qui s’intéresse pas à la matière... 29 12. SÉANCE PHOTO NANARD : Allons-y pour la séance photo ! Paul, tu es prêt ? PAUL : Paulo, prêt pour les photos ! M1 et F1 : Nous voilà ! URSULA : Situation initiale. Scène de la rencontre. Dans la rue, vous vous croisez. PAULO : En place ! URSULA : Vous, levez la tête, sinon vous ne la verrez jamais... Pas si haut !... Et puis vous, soyez un peu plus élégante, séduisante, chatoyante... Oui, mais n’oubliez pas que vous pleurez. F1 : J’ai pas de mouchoir ! PAULO : Tenez, je vous prête le mien. Il est tout propre, lavé avec Omo assouplissant, tout frais repassé. NANARD : Photo ! URSULA : Bon, élément perturbateur : vous laissez tomber votre mouchoir... NANARD : Faites quelques pas... Gros plan sur le mouchoir. URSULA : Au moment où il tombe. PAULO : Pas dur ! NANARD : Photo URSULA : Troisième temps, vous ramassez l’objet. NANARD : C’est pas le départ du cent mètres ! NANARD : Photo ! URSULA : A refaire ! Pourquoi riez-vous bêtement ? F1 : J’parie qu’il est en train de regarder ma petite culotte blanche. M1 : C’est pas vrai ! Et puis d’abord, elle est pas blanche, elle est noire. F1 : Je l’avais bien dit ! NANARD : Mais c’est pas vrai ! C’est pas vrai ! C’est pas la colo ici ! M1 : C’est pas de ma faute, elle est juste dans mon champ de vision ! URSULA : Décidément, les hommes ont du mal à contrôler leurs instincts ! PAUL : Leurs pulsions ! URSULA : Pardon ! PAUL : Rien. Juste un problème de vocabulaire. URSULA : La réalité reste la même. Vous êtes des cochons ! NANARD : Bon, bon, on reprend : photo. URSULA : La conséquence, le coup de foudre !... Mettez vous plus prêt... Encore plus prêt !... Mais ne reculez pas ! F1 : C’est l’haleine ! Cigarette, café ! De quoi me faire dégueuler ! URSULA : Et puis vous, soyez en extase ! Vos yeux se rencontrent. M1 : C’est dur dur ! PAUL : Imagine ! URSULA : Là, un gros plan. 30 NANARD : Photo ! URSULA : Situation d’approche, leurs mains s’égarent... F1 (le gifle) URSULA : On a dit égarer, on n’a pas dit gifler ! F1 : Oui, mais lui, ses mains, elles s’égarent pas ! Elles ciblent. On touche pas à la marchandise. Interdiction de stationner sur mes zones érogènes, compris ! Texto, je te le dis. URSULA : Pas sauvage !... Sentez vous attiré l’un par l’autre. De l’amour, quoi ! C’est pas difficile ! NANARD : C’est bien, photo. URSULA : Situation finale. Le baiser... Mais non ! Ce n’est pas l’homme qui mène l’opération ! M1 : L’opération ! L’opération ! c’est pas un acte chirurgical quand même ! F1 : Ben, c’est du bouche à bouche ! Tu vas voir l’anesthésie... totale ! M1 : Et puis je ne vois pas pourquoi c’est elle qui m’embrasse ! URSULA : Mais la femme nouvelle, enfin libérée du poids des traditions bourgeoises, assume sa nouvelle identité et maîtrise son partenariat ! M1 : Le poids des mots, le choc des photos ! PAUL : Bon, on y va ! M1 : Pas très confortable comme situation ! URSULA : Il faut châtrer le mâle de son pouvoir de domination. M1 : Ouf ! J’ai eu peur. URSULA : De dominant il devient dominé ; de puissant il devient soumis ! M1 : Bon, ben y’a pas de raison. Puisqu’il faut le faire, ça va le faire. NANARD : Photo ! F1 : N’empêche, la tradition, elle a du bon ! Moi, à tout prendre, je pense que c’est toujours au mec de faire l’homme. URSULA : Vous réfléchissez encore selon des schémas ancestraux. Votre éducation est à refaire. Il faut vous apprendre à gérer l’émergence de votre moi pour qu’il devienne autonome ; ainsi vous accéderez à la parité ! NANARD : Bravo ! vous excellez ! NESTOR : Et bien, la parité, si on l’applique partout, normal, quoi ! pas uniquement à l’assemblée, je connais des lycées où ça va être le chambardement s’il faut autant de profs masculins que féminins. Moi, personnellement, je suis contre... C’est vrai. Pourquoi la femme veut elle toujours et partout singer l’homme ? Croyez moi, la vraie femme est en voie de disparition. Il va falloir créer des réserves pour préserver l'espèce. 31 13. INDICES Rencontre avec Lafillette. LAFILLETTE : Alors, m’sieur Nestor, c’est les vacances ! NESTOR : Oui, enfin quelques copies, les cours à préparer... LAFILLETTE : Et pis un peu de bon temps pour roucouler avec la jeunesse. NESTOR : Vous l’avez vue ? LAFILLETTE : Non, mais les bruits courent vite. Méfiez vous des cancans, quand y en a plus, y en a encore. NESTOR : Alors jeune princesse ? EMMA : Bonjour. Ce que je vous ai dit hier, n’y pensez plus. NESTOR : Mais, je veux savoir. EMMA : L’auteur de mes jours m’a laissé tomber ... NESTOR : Tombé ? Mais tombé comment ? EMMA : Il m’a jeté... NESTOR : Jeté ... dehors ? EMMA : Non, dans la poubelle. NESTOR : Oh ! L’ordure ! EMMA. : Non, la corbeille à papier. NESTOR : Bon ! Là, j’ai du mal à cerner la situation. Dans la cor-beille à pa-pi-er ? EMMA : Il m’a mis en boule, j’ai eu le cœur déchiré. Alors, j’ai désobéi et je me suis enfui. NESTOR : Il ne s’est jamais occupé de vous ? EMMA : Si, je crois qu’il m’aimait bien. Il adorait parler de moi. NESTOR : Alors ? EMMA : Pendant un temps, je crois même avoir été l’unique objet de ses pensées. NESTOR : Tu parles ? EMMA : Et puis un jour... Non, un soir, après une correction, il m’a oubliée. NESTOR : Il vous a frappée ? EMMA. : Il y a eu une sévère discussion avec une femme que je ne connaissais pas. Il s’est mis en colère et il a tout envoyer balader. NESTOR : Votre mère ? EMMA : Non. NESTOR : Sa maîtresse ? EMMA. Non ! NESTOR : Mais pourquoi ? EMMA : Elle me trouvait sans intérêt et pas très originale pour séduire le public. NESTOR : Le public ? 32 EMMA : Oui, le public adulte. NESTOR : Oh ! le salaud ! le salaud ! Pardonnez cette grossièreté de langage. Mais c’est terrifiant. EMMA : Alors il ne m’a plus mis sous sa couverture. NESTOR : Oh ! le cochon ! le cochon ! EMMA : Si bien que je me suis enfui. NESTOR : Ma pauvre enfant. Arrivée précipitée d’une autre jeune fille, angoissée, paniquée... HÉLÈNE : C’est bien toi, Emma ? EMMA : Oui, pourquoi ? HÉLÈNE : Oh ! Que je suis contente... J’ai passé toute la nuit à te chercher. NESTOR (off) : Toutes les deux aussi charmantes. Excusez moi, mais qui êtes-vous ? HÉLÈNE : Hélène. NESTOR : Un nom à la résonance hellénique, un prénom mythique... Il y en a qui se sont battu pour Hélène... HÉLÈNE : Vous ne croyez pas si bien dire. Quelqu’un veut mettre la main sur ma personne... NESTOR : Oh ! Un grec ? HÉLÈNE : Non, un inconnu qui veut abuser de ma personne et faire en quelque sorte que je mène une double vie. NESTOR (off) : Là, ça commence à faire beaucoup, et je trouve que l’histoire devient de plus en plus compliquée. (normal) : Mais, au fait, pourquoi cherchiez-vous... EMMA : Emma... NESTOR : Emma ? HÉLÈNE : C’est la fille ratée qui n’a pas vécue... NESTOR (off) : Elle n’a peut être pas vécu, mais elle est loin d’être ratée. HÉLÈNE : Et moi je suis la fille perdue dont l’histoire est accomplie. NESTOR : Vous aussi, vous êtes perdue ? HÉLÈNE : Oui, mon amoureux m’a laissé tomber. Il était marin, et d’escale en escale, il m’a oubliée. NESTOR : Un de perdu... HÉLÈNE : Mais j’attends un bébé. NESTOR (off) : Trop, c’est trop ! En quarante huit heures, je me retrouve avec deux filles sur les bras et un bébé virtuel. Il va falloir que je sois interactif. Superman, Batman, Bioman, à l’aide ! Pas très littéraire comme référence, mais faut sauver la planète qui commence à plus tourner très rond. Et moi je me prends pour Rainman... Sur scène apparaissent les trois héros... 33 NESTOR : Saperlipopette. Maintenant j’ai des visions. Il faut que je fasse attention. Moi, les réunions de parents, ça n’a pas l’air de me réussir. Nestor s'évanouit. Les trois personnages disparaissent. EMMA : Ca ne va pas ? HÉLÈNE : Un malaise ? LES DEUX : On va s’occuper de vous. MME GUDULE : Mais y tourne plus rond, le totor ! Vlat-i pas qui en a deux maintenant. HÉLÈNE : Je voulais te dire, tu es recherchée par la milice Pyrofère : elle veut t’anéantir. EMMA : Pourquoi ? HÉLÈNE : Tu n’avais pas le droit de te libérer. EMMA : Mais personne ne m’aurait jamais connue. Moi, je peux faire pleurer, rire et rêver. Regarde cet homme, je suis entrée dans sa vie. Et je crois qu’il s’est attaché à moi. Je veux vivre MME GUDULE : Dites, à ce propos, les chatons, monsieur Nestor, est-ce qu’il les a esgourdis ? EMMA : J’en sais rien et je m’en fous ! Je veux vivre ! Crissements de pneus, les portes claquent, trois hommes armés en descendent et enlèvent Emma, Hélène et Nestor. MME GUDULE (affolée) : Au secours, au secours, au secours ! Firmin, Firmin téléphone à la police. Bruit d’une voiture qui démarre sur les chapeaux de roues. M. GUDULE (ivre) : Quoi qui y'a ? MME GUDULE : On vient de kidnapper M. Nestor. BARBARA: Qu’est ce qui se passe ? MME GUDULE : Cinq extrémistes ont embarqué notre pauvre M. Nestor. BARBARA : Qui pourrait lui en vouloir ? BARBARA: Peut-être le père de la jeune fille qu’il a hébergée ? BARBARA : Ou son frère ? MME GUDULE : Ou son amant ? LA DAME AU TRICOT : En voilà d’une histoire ! Un quartier si tranquille ! Jamais de bruit ! Jamais une voiture qui brûle ! Même pas un satyre ! Et puis un homme si sympathique ! LAFILLETTE (panique) : (Une traction, une traction noire a failli, a failli me renverser... Elle a écrabouillé mon landau. Ah ! Les vaches ! Les trois bouteilles de Père Julien ont volé en éclat. Même pas une goutte pour me remettre de mes émotions. 34 ACTE II 14. LA CRYPTOSPHÈRE Des statues décorent le lieu, recouvertes de draps blancs. Musique onirique. NESTOR : Ah ! Ma tête ! Ma tête !... Quel endroit sinistre !... Il y a quelqu’un ?... Holà ?... Il y a quelqu’un ? Nestor parcourt la scène, regarde et se hasarde à soulever un drap. ANTIGONE : Ne pourriez-vous pas me laisser reposer en paix ? NESTOR : Vous... Vous êtes Antigone ? ANTIGONE : Je suis la fille d’Oedipe. NESTOR : Oui, cela, je le savais. Petite et noiraude. ANTIGONE : Vous ressemblez à Hémon, mon fiancé... NESTOR : La ressemblance s’arrête là. Vous savez, moi, je ne suis pas fils de roi. ANTIGONE : Oui, en effet, cela se voit. Voulez-vous me laisser, je vous prie. Les mythes ont droit à un peu de repos. NESTOR : Dans la vie, il y a des moments où il ne faut pas se poser trop de questions. Sinon, la tragédie commence. EMMA et HÉLÈNE arrivent essoufflées. EMMA : Enfin, vous voila ! Nous sommes dans de beaux draps ! NESTOR : C’est le cas de le dire. Mais j’y trouve un certain charme. HÉLÈNE : Venez vite avec nous. NESTOR : Il serait dommage de ne point profiter de ce moment privilégié. Nestor soulève un autre drap. DON JUAN : Holà, manant ! Tes manières éhontées ne sont point celles d’un homme civilisé. NESTOR : DON JUAN ! L’homme aux multiples conquêtes ! DON JUAN : Non point avec le corps, mais avec la tête ! Mais comment m’avez-vous reconnu ? Et quel est cet accoutrement pour moi inconnu ? NESTOR : Ce serait trop long à vous expliquer, et d’ailleurs, j’en suis incapable. Puisque je vous vois et que l’occasion m’est présentée, permettez-moi une question. Sans indiscrétion. Ne vous est-il jamais arrivé de... enfin... de... faire "crac crac" ? DON JUAN : Je vois que ma réputation les siècles a traversés. Moi qui rêvais d’autres univers où pouvoir mes conquêtes embrasser. Vous n’êtes point de haute naissance pour vous autoriser une telle licence. NESTOR : C’est que... nous vivons une époque... DON JUAN : Où les mots se sont appauvris, d’après ce que je ouï. NESTOR : Oui . Aujourd’hui, ou ne dit plus l’amour... on le fait. 35 ANTIGONE : On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. DON JUAN : Je partage votre mépris. les mœurs se sont bien avilis. NESTOR : Je voulais vous demander si vous aviez quelquefois rendu hommage aux femmes que vous courtisiez. DON JUAN : C’est une question sans importance. Dans le maniement du verbe est la jouissance. Et je vois là quelques belles dames qui mériteraient que pour elles on se damne. NESTOR : C’est déjà fait, alors, s’il vous plaît, ne vous en mêlez pas. HÉLÈNE : Venez vite sans attendre. NESTOR : Attendez. EMMA : Non, le temps presse. NESTOR : Je ne sais point où j’en suis mais l’occasion est trop rare. Nestor soulève un autre drap. La marquise de Merteuil apparaît défigurée par la petite vérole. LA MARQUISE DE MERTEUIL : Quelle insolence de venir ainsi perturber mon silence. Laissez la marquise de Merteuil de sa propre vie porter le deuil. NESTOR (off) : Certes la relation semblait dangereuse, mais au point où j’en étais... NESTOR : Excusez cette irruption. HÉLÈNE : Quelle horreur ! EMMA : La pauvre ! DON JUAN : Toutes les femmes ont le droit de nous charmer et méritent d’être aimées pour notre bonheur et le leur. ANTIGONE : Le bonheur ? Quel pauvre mot, Hein ? Qu’a-t-il été son bonheur ? A qui a-t-elle dû se vendre ? A qui a-t-elle dû mentir pour grignoter jour après jour son petit lambeau de bonheur ? LA MARQUISE : J’ai toujours voulu tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refusais. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. NESTOR : Le cœur, le cœur, encore faut-il en avoir ! DON JUAN : J’eusse aimé, marquise, contre vous une joute verbale. En tant qu’adversaire, vous êtes presque mon égale. NESTOR : La situation était extravagante ! Je m’escrimais à longueur de journée à essayer de faire partager à mes élèves mon amour de la littérature et ils étaient là, devant moi, ces personnages que j’aimais tant. Bruit de sirènes hurlantes, branle-bas de combat. Annonce au micro d’un avis de recherche concernant nos trois héros. EMMA : Vite ! Cachez vous là. HÉLÈNE : Prenez ce drap ! 36 Les deux jeunes filles se cachent sous un drap. Nestor s’empêtre dans le sien et reste à moitié découvert ou à moitié couvert. Les trois gardes déjà rencontrés parcourent la scène. KAKOLA : Apparemment rien dans le coin. KOZAKI : On n’y voit goutte, KAKOLA. Et dans ce labyrinthe, difficile de les retrouver. (il aperçoit la statue dénudée). Kézako, viens voir... KEZAKO : Tiens, un nouveau. Je ne l’avais encore point vu. KAKOLA : Vise la tronche ! Ce doit être un personnage de B.D. KOZAKI : A mon avis, c’est un prof. Ca m’en a tout l’air : figure ahurie, muscles zygomatiques avachis, on dirait qu’il va faire son petit caca nerveux. Retentit à nouveau la sirène. KAKOLA : Traînons pas. Ils ne doivent pas être loin. (ils sortent). NESTOR : Etre obligé de se laisser insulter comme cela sans pouvoir répondre. Je vous apprendrais, moi, espèce de bachibouzoucs ! LA CASTAFIORE (sortie d’un drap) : Capitaine, Capitaine... Où êtesvous ? ... Mais quel est ce simagrée d’Hadock ? NESTOR : Désolée, je ne suis pas la personne ad hoc. Je me nomme Nestor. LA CASTAFIORE : Nestor ! Vous voulez rire ! (elle rit bruyamment). NESTOR : En tout cas, enchanté ! LA CASTAFIORE : Oh ! Vraiment, je donne un récital, ce soir à l’agoraphonothèque. En attendant, je peux vous faire quelques vocalises... (elle chante). STROUPF GROGNON (il enlève son drap) : Eh ! C’est pas l’heure de stroumpfer. Moi, je suis en cure de sommeil. Alors Schtroumpf ! Silence ! DON JUAN : Le nain de jardin est offusqué. Quelle impertinence pour un personnage décalqué, une vulgaire silhouette de B.D. LA CASTAFIORE : Mais, moi aussi, j’en suis une et je ne permettrais pas que... DON JUAN : Mais, vous êtes d’abord une femme. Et, ma foi, bien dessinée. LA CASTAFIORE : Ah ! le séducteur ! Vous ne changerez donc pas ? DON JUAN : Je voudrais vous embraser, allumer en vous la flamme... LA CASTAFIORE : Ah ! Pas la flamme ! Non, pas la flamme ! Je vous rappelle que je suis de papier et pas ignifugé. Bas les pattes ! DON JUAN : Dommage ! Nouvelle sirène. Tous les personnages retrouvent leur pose initiale. NOIR. 37 15. LA GYNESPHÈRE Les divinités sont placées sur des tabourets ; vêtues de longues robes qui descendent à terre, elles donnent l’impression d’être des géantes. ALPHA : Hélène, vous vous êtes rendu coupable d’évasion. HÉLÈNE : Mais, Alpha... Certes, je n’aurais pas dû quitter le manuscrit. Mais il y a eu tentative de plagiat. Un écrivain n’a nullement le droit de s’inspirer d’une œuvre écrite par un autre écrivain. Vous savez le sort réservé à ceux et celles qui se trouvent clonés à leur dépens. Oméga comprenez moi ! OMEGA : Mener une double vie est, nous le savons, impensable. HÉLÈNE : Moi, j’ai été créé par un romancier en qui personne n’a cru. La critique n’a même pas fait allusion à son œuvre, il est passé inaperçu. Et il suffirait qu’un auteur à la mode comme Rosine Dégorges s’en inspire pour entretenir sa célébrité ! C’est hors de question. Je ne veux pas renier mon père. Je ne veux pas être dénaturée. ALPHA : Cette attitude vous honore. Pour cette fois, vous êtes acquittée. Inutile de délibérer. GAMMA : Quant à vous Emma, aucune circonstance ne peut justifier votre délit. Vous êtes accusée de désertion. EMMA : Mais, Gamma, je n’ai rien dit ou accompli de mauvais. IPSOLON : Vous savez que là n’est pas la question. Si un auteur décide d’arrêter d’écrire et déchire ses brouillons, votre vie est finie. Vous n’êtes rien. EMMA : Mais je veux vivre ! NESTOR : Soyez raisonnable. Vous savez qu’un personnage échappe toujours plus ou moins à son créateur. Et puis, elle est mignonne... Essayez d’être un peu humain. OMEGA : Le mot est amusant ! GAMMA : Un personnage à peine esquissé, pas même fini, en quelque sorte un personnage avorté, comme vous l’êtes, n’a aucun droit. Vous êtes condamné à la détention perpétuelle dans les geôles d’Absurdie. NESTOR : Mais, c’est une enfant. Vous ne pouvez condamner quelqu’un d’innocent ! Et en plus, c’est une jeune fille... toute innocente. C’est rare de nos jours, vous savez... ALPHA : La décision est irrévocable. EMMA s’évanouit. Nestor veut lui porter secours, ses mouvements sont impossibles. NESTOR : Hé ! Je suis bloqué, je ne peux plus bouger... ALPHA : Ici, les femmes commandent. Elles ont le pouvoir. NESTOR : Chez vous aussi...! Vous savez, je suis un peu ankylosé, pas très à l’aise, je crois que je suis un peu ridicule... 38 ALPHA : Les hommes le sont toujours ! OMEGA : THALIE interdit à tout humain d’agir contre la volonté des muses. Vous, vous n’auriez jamais du pénétrer dans la cryptosphère, le musée imaginaire. Les chanteuses divines protègent les êtres rêvés, imaginés par les hommes ; du moins le croient-ils. Vous êtes un intrus. NESTOR : Mais je ne vous veux aucun mal. HÉLÈNE : Croyez-le ! C’est un amoureux des belles lettres. IPSILON : Est-ce parce qu’il aime les lettres qu’il s’est autant attaché à M.A. ? Et à vous L.N. ? ALPHA : Aucune relation amoureuse ne peut exister entre nos deux mondes. Gardes ! Emmenez-les dans la maniacosphère. Et surveillezles. 39 16. LA MANIACOSPHÈRE Un endroit où circulent des personnages inachevés, physiquement ou intellectuellement. Ils rampent sur le sol, ou marchent en titubant. LA VOIX (peut se faire au micro) : Qui es-tu donc, étranger ? NESTOR : Je m’appelle Nestor. Je suis professeur... LA VOIX : Quelle page as-tu ? NESTOR : Pardon ? LA VOIX : Ici, peu ont la page de raison. Quelle page as-tu ? NESTOR : Mais qui êtes-vous ? Où êtes-vous ? LA VOIX : Je suis désincarnée. Je ne suis qu’une voix. NESTOR : Je ne vous comprends pas. L’AMNÉSIQUE : Vous n’avez pas vu mon petit chat ? NESTOR : Non. EMMA : Tu es dans les limbes. Ici, vivent des créatures à peine ébauchées. Parfois des silhouettes, à peine esquissées. LA VOIX : L’ÉCRIVAIN qui m’a conçue n’a jamais pris le temps de me décrire. Le verbe ne s’est pas fait chair. NESTOR : Sans aucun doute un philosophe. LA VOIX : Non. Un poète, ou prétendu tel, mort fou avant d’avoir pu m’accoucher. NESTOR : Mort comment ? LA VOIX : Overdose. Absinthe. Compagnon de Verlaine et ami de Debussy. L’AMNÉSIQUE : Vous n’avez pas vu mon petit chat ? NESTOR : Non. NECROMANE 1 : Étranger, raconte nous ton histoire. EMMA : Non, ne dis rien. NECROMANE 1 : S’il te plaît ? EMMA : C’est un homme. NECROMANE 2 : Oui, nous le voyons bien. EMMA : Il vient de la planète bleue. NECROMANE 3 : Camarades, puisqu’enfin nous tenons un être humain, en chair et en os, vengeons nous mes frères ! Eux qui s’arrogent le droit de manipuler nos destins selon leur volonté, eux qui s’autorisent à nous abandonner lâchement, eux qui abandonnent leur création, qui coupent leurs lignes, les lignes de nos vies... qui se croient des dieux, camarades, il faut les anéantir ! EMMA : Non ! Arrêtez. Je suis comme vous. Je ne suis pas formée. NECROMANE 4 : Je ne perçois aucun signe apparent qui prouve que ce que tu dis es vrai. EMMA : J’ai bravé l’interdit. J’ai osé désobéir. NECROMANE 1 : Prouve-le ! 40 NESTOR : Je ne serais pas ici autrement. Sa rencontre fortuite a bouleversé le cours de ma vie. L’AMNÉSIQUE : Vous n’auriez pas vu mon petit chat ? NESTOR : Non ! Non et Non ! Vous savez, je suis amoureux des mots, des belles phrases, des personnages inventés, comme vous ; ils sont aussi vrais que ma concierge ou que Nanou... (off) : "tiens, c’est vrai, Nanou, je l’avais oubliée". Si je pouvais vous aider ! NECROMANE 4 : Regarde la tache d’encre que je porte. Un mouvement de colère de l'écrivain qui a abandonné sa tâche. Je ne vois pas comment tu pourrais m’aider. Indélébile, la tache ! NECROMANE 2 : Regarde cet abruti là-bas qui refait sempiternellement le même chemin. Son auteur l’a abandonné au moment où il avait perdu ses clés de maison. Depuis, impossible de l’arrêter ! NECROMANE 4 : Quant à lui, il n’a jamais eu droit à la parole. Il s’escrime à essayer de sortir un mot : un grand mot, un mot tendre, un gros mot, même un petit mot, il n’y parvient pas. NECROMANE 1 : Et celle-ci, Claude, son auteur l’a changée de sexe en cours de route, Sa voix a mué. CLAUDE (voix homme) : Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre...) L’AMNÉSIQUE : Vous n’avez pas vu mon petit chat ? NECROMANE 1 : Lui, il est né amnésique. Il ne se souvient jamais de ce qu’on lui dit. NECROMANE 2 : Lui, que tu vois assis sans bouger, 553 ans qu’il est là ! Description en focalisation externe, aucune vie, un vrai légume... Alors comment pourrais-tu nous aider ? NECROMANE 3 : Tu as fini de faire ton intéressant auprès de Monsieur. NECROMANE 4 : Toi, tu n’es qu’un bâtard dont on ignore le nom ! NECROMANE 2 : Je me nomme lui . NECROMANE 4 : C’est qui lui ? NECROMANE 2 : Lui , c’est moi. NECROMANE 4 : Non ! Moi, c’est moi ! Dites lui ! NECROMANE 2 : Non, lui c’est moi ! Sonnerie de clairon. Arrivée de pages, des jeunes filles. Elles sont suivies des livres non édités. EMMA : Attention. Ce sont les gardes qui escortent les bibliopathes. NESTOR : Qui sont les bibliopathes ? EMMA : Les livres en souffrance, une craie cour des miracles : tous les écrits rejetés, mis au rebut, voire même en partie brûlés. NESTOR : Pourquoi les gardes sont-ils mis en page ? EMMA : Ce sont les pages de garde. 41 BILIOPATHE 1 : T’as vu ton titre, Le serpent major complètement débile ! Pas étonnant qu’on t’ai refusé à l’édition ! BIBLIOPATHE 4 : Toi, tu la boucles. Moi, j’ai quand même cent deux pages et demie. Quand on n'a que trois pages, et encore avec des ratures, on n’a pas droit au chapitre ! BIBLIOPATHE 2 : Monsieur se prend pour un petit tome. Tu n’as même pas un titre ! BIBLIOPATHE 4 : De toute façon, toi, tu fais pas le poids ! BIBLIOPATHE 2 : Question volume ! Laisse-moi rire ! BIBLIOPATHE 3 : Oh ! Ca suffit ! BIBLIOPATHE 4 : De quoi tu te mêles ? Quand on n’est qu’un essai on se tait. BIBLIOPATHE 1 : Surtout un essai raté ! BIBLIOPATHE 3 : Oh ! Toi le journal , à part le gros titre, il n’y a pas eu de tirage. Le canard, il a fait couac . L’auteur, on lui porte des oranges à Mérungis. BIBLIOPATHE 1 : De toute façon, toi, tu es hermétique et tu sens mauvais. Tu veux même que je te dise, tu pues : des renvois à toutes les pages, c’est pas sain comme lecture, c’est pas hygiénique. NESTOR : Charmante ambiance ! EMMA : Ce sont tous des éclopés. A force, la cohabitation est difficile. (elle montre un couple se tenant main par la main). Ceux-là sont inséparables. Ils vivent un peu en marge. NESTOR : Qui sont-ils ? EMMA : C’est la petite nouvelle avec le nouveau roman. NESTOR : Deux genres très différents ! Comment font-ils pour s’entendre ? LE NOUVEAU ROMAN : Oh ! Vous savez, avec moi, il n’y a pas d’histoire ! Et puis elle m’a tout de suite fait bonne impression. LA NOUVELLE : Le secret, c’est qu’on a des caractères faits pour s’entendre. NECROMANE 3 : C’est pas bientôt fini ! Ils vont nous faire le coup du mélodrame, les deux Arlequins ! Moi, je vais vous dire, Monsieur Nestor, c’est un scandale de voir comment qu’on nous traite. Vous voyez bien l’état de misère extrême dans lequel on est. Et à côté de ça, savez vous qu’il existe des livres d’or ? Je parle pas du livre qu’il est pour une occasion exceptionnelle. Mais du manuscrit avec de la dorure. BIBLIOPATHE 2 : Bon, ça va ! ça l’intéresse pas nos revendications ! NESTOR : Si ! si ! Au contraire. Mais, à part la cryptosphère, n’y a-t-il pas une grande bibliothèque où je pourrais me rendre ? NECROMANE 1 : Pourquoi faire ? NESTOR : Ne vous inquiétez pas, aidez-moi seulement à parvenir à la Bibliothèque... 42 HÉLÈNE : Ah ! Vous voilà ! J’ai réussi à tromper la surveillance des gardes. Vous voulez aller dans la mégabibliothèque ? Je connais un souterrain secret qui nous y conduira. 43 17. ENQUÊTE (retour sur terre) MAGRET (commissaire) : M’sieur dame, bonjour. Je me présente, commissaire Magret. BENOÎT : Un drôle de nom pour un poulet ! MAGRET : Vous savez que nous enquêtons sur la mystérieuse disparition d’un dénommé Nestor. PAUL : Vous avez du nouveau ? MAGRET : Les questions, c’est moi qui les pose. (il lui met la main sur l’épaule). On cherche, on fouille...Compris, beau gosse ! PAUL : Oh ! Vous pouvez me fouiller. Moi, j’ai rien à cacher. Je peux tout vous montrer. MAGRET : Vous avez une photo ? PAUL (cherchant dans sa sacoche) : De face, de dos, de profil, en plongée, en contre plongée... Je peux tout vous montrer. (il donne de photos). MAGRET : Pas de vous, imbécile. Du disparu. YVETTE : Il est mort !!! MAGRET : Bizarre ! Bizarre ! Comment le savez-vous ? CHARLES : Vous avez dit bizarre ? MAGRET : Bizarre cette réaction ! Ne seriez-vous pas complice de ceux qui l’ont enlevé ? Des acteurs comme vous connaissent toutes les manières de se déguiser. Vous êtes habile dans l’art du maquillage. Vous savez transformer votre visage... FÉLIX : Elle a souvent essayé, elle a jamais réussi... YVETTE : Quand on a ton air bovin, on se contente de regarder passer les trains... Moi, Nestor, il ne m’était pas indifférent ! ÉLISE : Il n’y a aucun homme qui te soit indifférent ! PAUL : Si ! ... Moi ! MAGRET (à Élise) : Mais mon Dieu, ça y est ! Bien sûr ! La jalousie ! Voilà le véritable mobile. C’est vous qui avez kidnappé Nestor afin que votre amie arrête ses assauts amoureux de nymphomane. ISABELLE : Mais il est complètement mytho, le Magret! ODILE : Nestor, c’est le copain de la bande, tout le monde vous le dira. On est prêt à lui rendre n’importe quel service. ISABELLE : Rien que la semaine dernière, je lui ai prêté ma voiture pour la semaine. Les bus étaient en grève. MAGRET : Quelle voiture ? ISABELLE : Ma traction noire d’occase que Nanard m’a revendue... MAGRET : La voiture ! mais bon sang, ça y est ! On l’a notre coupable. Où étiez vous, le vendredi 13, le soir de l’enlèvement ? ISABELLE : C’est moi qui m’était fait enlever, par un très beau jeune homme. MAGRET (excité) : Son nom ? son âge ? son adresse ? son sexe ? ODILE : Mais il est connard le Magret! 44 MAGRET : Qui a traité le Magret de connard ? ISABELLE : Je vous ai dit que c’était un jeune homme ! MAGRET : Description insuffisante, je veux des détails. ISABELLE : Je peux pas. MAGRET : Je serais obligé de vous inculper. ISABELLE : Je ne suis ni responsable, ni coupable. MAGRET : Ah ! Mais je vais me fâcher... CHARLES : C’est moi ! TOUS : Ah !!! MAGRET : Vous avez couché avec cette fille, le soir de l’attentat. CHARLES : Mais non ! On s’est retrouvé pour organiser l’anniversaire de Nestor. C’est dans 8 jours, le premier avril. MAGRET : Et la voiture ? ISABELLE : Nestor qui est toujours dans la lune l’a laissé en stationnement interdit. Elle est encore à la fourrière... Je n’ai pas eu le temps d’aller la récupérer. MAGRET : Bon, à vérifier. (il part et revient sur ses pas). C’est ma femme qui va être contente. Elle achète votre magazine photo tous les mois. Quand je vais lui raconter ça, elle va en faire une tête ! NOIR 45 18. LA BIBLIOSPHÈRE Un auteur exténué dort sur son manuscrit. A côté, des personnages discutent. M1 : Cela va faire 24 heures qu’on attend, et l’auteur n’a toujours pas d’idée. F1 : La page blanche ! M2 : Moi, je rêve d’une page au soleil. F2 : L’accouchement dans la douleur ! M1 : Oui, enfin, la gestation est longue ! F1 : Ne nous plaignons pas, il a déjà choisi nos prénoms. M2 : Tu parles ! Barnabé ! Tu as déjà vu un héros qui s’appelle Barnabé ? F3 : Tu seras le premier. M1 : Moi, je m’appelle Henri. Je voudrais bien réussir ma vie. M2 : Et gagner de l’argent. M1 : Surtout être intelligent. F3 : Moi, j’aime mon prénom, Ignace... M3 : C’est un nom, un petit nom charmant. F2 : Félicie aussi. M1 : Aussi ! F1 : J’espère qu’il va m’arriver des tas d’aventures. M2 : Sentimentales, bien sûr ! F1 : Évidemment ! T’es bête ou quoi ? M3 : Moi, je me verrai très bien Vizir, entouré de mon harem. F3 : Compte pas sur moi pour jouer la vizirette. De toute façon, y a pas assez de filles. M1 : En tout cas, moi je me refuse à jouer l’eunuque. F2 : C’est un rôle comme un autre, faut en prendre son parti... M1 : Son parti, oui... Mais pas les parties ! F2 : En tout cas, pour le moment, il dort. L’auteur se réveille et se remet à écrire. Les "personnages" miment le texte. L’ÉCRIVAIN : Contes et comptines pour petits n’enfants naïfs . Tu parles d’un titre ! (l'écrivain lit). Le soleil émerge sa tête de l’horizon et son sourire inonde la vallée de Dana. Le prince Charles aux grandes oreilles (Charles réagit : Hé ! elles sont pas si grandes que ça !) se lave les dents, fait 5 pompes... Non, 40 ! (Charles : Il est malade. Moi, je tiens pas tout un roman à ce rythme !) Non, c’est peut-être beaucoup, disons dix. L’enchanteur Barnabé chasse le loup avec son chien qui court partout et se roule sur le dos pour que Barnabé le gratte. Une princesse de Mongolie, la belle Ignace, qui passait par là est attaquée 46 par le loup. (hurlement admiratif du loup) Le loup est affamé. Il veut la manger, le loup ! Un beau chevalier (un personnage entre) ... J’ai dit un beau ...(le personnage ressort et rentre un autre) qui passait fort heureusement par là aperçoit la scène et tue le loup. Pour le remercier, la Princesse veut embrasser son sauveur. (Ignace : Ah ! non, c’est trop me demander) veut embrasser son sauveur sur la joue. (Ignace : Oui, mais j’irais pas plus loin). L’ÉCRIVAIN : En panne d’inspiration ! Même pas le droit de fumer une cigarette dans cette fichue bibliothèque. Nestor arrive, accompagné de Hélène et de Emma. NESTOR : Vous avez l’air exténué. Que faites vous ici ? L’ÉCRIVAIN : Je conte. Et il faut que le conte soit bon. NESTOR : Vous comptez quoi ? L’ÉCRIVAIN : Je raconte. NESTOR : Et vous racontez quoi ? L’ÉCRIVAIN : Voilà le drame ! Je ne sais pas quoi raconter. HÉLÈNE : La Muse Thalie l’a puni. Il n’a jamais voulu l’écouter et n’a formulé que des inepties. EMMA : Il s’est cru supérieur, prétendant écrire et inventer sans le secours des divines enchanteresses. HÉLÈNE : Donc, s’il veut être libéré, il doit rédiger une histoire pour amuser la muse. NESTOR : Vous parlez d’une histoire ! L’ÉCRIVAIN : Et ça ne me fait pas rire du tout. NESTOR : Je crois tenir la solution, Hélène ramenez-moi à la Maniacosphère. Emma, attendez-nous là, quitte à aider ce pauvre malheureux. Quelques livres arrivent sur scène, heureux. FOLIO : Quel bonheur de pouvoir s’accorder une petite de semaine de repos. MASQUE : Moi, j’ai eu un mois éreintant. FOLIO : Pourquoi ? MASQUE : Je suis passé de main en main. Tout le monde voulait lire le dernier roman de Patricia Ache. Et tu sais comme j’ai horreur d’être tripoté. En plus, avec ces lecteurs qui se lèchent l’index pour tourner la page, je te raconte pas les microbes. BIBLO : Moi, ce fut une semaine de rêve : des mains douces, un regard qui s’attardait sur chaque mot, elle m’a lu et relu... Allongée sur son lit... une vision de rêve. Elle lisait même dans sa baignoire. FOLIO : T’as pas eu peur de l’eau ? BIBLO : Inconscience totale... L’extase, quoi ! 47 MANUEL : Tu as bien de la chance. Moi, je suis tombé dans le cartable d’un lycéen analphabète. FOLIO : Ils le sont tous. MASQUE : Au moins, il ne t’a pas touché ! MANUEL : Non, il m’a laissé huit jours à traîner entre une trousse à moitié ouverte dont les cartouches d’encre fuyaient et des mégots écrasés. Vraiment dégueulasse ! Sans compter les mouchoirs ! MARABOUT : Moi, une semaine en vitrine, au soleil ! Super ! Ensuite, une petite télé avec Bernard Pivot... On n’a pas arrêté de parler de moi... J’ai terminé sur la plage. Alors là, pas drôle : une température horrible, des grains de sable à toutes les pages, et la pétasse qui me lisait qui comprenait rien. Sans parler du reste... son petit copain et elle arrêtaient pas de se bécoter... coincé entre un torse velu et une grosse poitrine beurrée de crème solaire... j’ai cru étouffer. MASQUE : Ne nous plaignons pas ! Pensons à tous les livres martyrs qu’on a brûlés. FOLIO : A ce propos, vous avez entendu la nouvelle ? BIBLO : Non. FOLIO : Gastro a failli cramer. La cuisinière l’avait laissé tout seul près du feu. Je crois qu’il a eu chaud. BIBLO : Pourquoi tu dis rien Dico ? DICO : C’est l’usure ! A force d’être parcouru dans tous les sens, je fatigue. Des rhumatismes. En plus, mon propriétaire est fanatique de mots croisés. Il m’ouvre, il me ferme... Jamais une minute de repos. Je vais aller m’allonger sur une étagère. A.B.C. : Si on faisait un Scrabble ? MASQUE : J’adore. On y va. Dico, reste avec nous, on va avoir besoin de toi. DICO : Ah ! Non. Je suis en vacances. 48 19. L’ENTREVUE (décor onirique) EMMA : Divinité souveraine, permets que l’homme qui a, malencontreusement, été kidnappé avec moi puisse rejoindre son univers. Je suis prêt à tout accepter pour sa liberté. THALIE : Tu l’aimes donc à ce point ? EMMA : Sans doute suis-je encore très jeune, je suis encore à l’état embryonnaire, mais il m’a aidée. Je ne sais s’il faut parler d’amour, cependant je suis sûr de vouloir le sauver. PERLIN (l’enchanteur écoutait sans mot dire) : Thalie, laisses-toi émouvoir. THALIE : Je te sais sage conseiller, Perlin. MERLIN : Toi même ne fut pas insensible au charme des humains. THALIE : J’ai toujours eu un faible pour les poètes. Poètes bannis, poètes disgraciés, poètes maudits... François Villon, André Chénier, Charles Baudelaire... Mais ce Nestor n’est pas un poète ! EMMA : Mais la poésie est au cœur de sa vie, dans son regard, dans son sourire, dans sa vision des êtres. THALIE : Et tu dis que tu ne l’aimes pas ? PERLIN : Cesse de tergiverser, Thalie. La magie du cœur a des pouvoirs inconnus. THALIE : J’accède à ton désir. Ce monsieur Nestor, puisque tel est son nom, sera reconduit hors des frontières de la Cryptosphère. Toi, tu es mis à l’index, en échange tu es condamné à errer entre les lettres et le néant. EMMA : Je me soumets. 49 20. L’ORATORIO Des têtes, uniquement des têtes posées sur des tables, de ravissantes figures de jeunes filles, souriantes. Chant mélodieux de sirènes. NESTOR : Saperlipopette ! Je ne sais où donner de la tête ! Ce ne sont pas des grosses têtes, j’espère. Quel est cet endroit ? EMMA : L’oratorio. NESTOR : Qu’est-ce ? Assez surprenant, quand même ! J’ai déjà vu des femmes qui n’avaient plus toute leur tête ; mais des femmes de têtes, rarement. RHETOR : Voici le voyageur sans bagage dont tout le monde parle. Entrez jeune homme, n’ayez pas peur. NESTOR : Je n’ai pas vraiment peur, mais on ne va pas dire non plus que je suis tellement rassuré. RHETOR : Approchez, n’ayez aucune appréhension. Elles sont adorables. NESTOR : Oui, je vois, je vois... Bonjour mesdames. ANAPHOREX : Mesdemoiselles, je vous prie, mesdemoiselles, pour vous servir, mesdemoiselles, à votre choix. NESTOR : Excusez-moi, Je ne sais où j’ai la tête , mesdemoiselles, bien sûr... dans votre état... il ne peut en être autrement. Mais pourquoi l’avoir répété ? Je comprend vite. RHETOR : Anaphorex, charmante, n’est-ce pas ? Elle a du style comme toutes les figures ici présentes. Je leur refais une petite santé, un ravalement de la façade. Elles ne sont pas toutes là. Voyez vous, certaines figures sont plus utilisées que d’autres... Voici Hyperboline. NESTOR : Je ne vous sers pas la main mais le cœur y est... HYPERBOLINE : Oh ! courageux, brave et intrépide jeune homme, je vous autorise dix mille baisers. NESTOR : Sans vous vexer, un seul suffira, il n’y a pas grande surface. Et puis je suis pressé... EUPHEMISE : Pas trop bête, pas trop moche, pas trop prétentieux pour un professeur. EMMA : Euphémise est toujours économe de compliments. ENUMERALDINE : En tout cas, évites les accumulations, tu empiètes sur mon territoire. C’est un procédé déplacé, mal à propos, incongru, inconvenant, impoli, cavalier, incivil, inadapté, superfétatoire, osé... RHETOR : Stop ! Enuméraldine est très susceptible. Mais elle sait aussi être très généreuse. Cher étranger, toutes ces jeunes filles sont à votre disposition, vous pouvez user d’elles à votre volonté. NESTOR : A ma disposition, à ma disposition... Grand merci, je saurais m’en souvenir. (off : j’aurais bien piqué une tête... juste pour rire... j’aurais fait les quatre sans cou.) 50 21. SUR TERRE MME GUDULE : La rue est bien triste depuis que notre monsieur Nestor a disparu. LAFILLETTTE : C’est vrai qu’il avait l’air ben gentil, un petit monsieur bien propre, bien poli, bien comme y faut. Pourvu qui soit pas mort ! BARBARA: En voilà des idées ! LAFILLETTE : Vu la gueule des moineaux qui les ont embarqués, moi j’me fais du mouron ! BARBARA: Pensez-vous ? Tel que je le connais aucune inquiétude à avoir ! MME GUDULE : Moi, dès le départ, j’ai bien senti que ces filles, y avait quelque chose de louche. Elles sont pas de chez nous. Ça m’étonnerait pas qu’elles soyent des périesthéticiennes, pour pas dire autre chose ! BARBARA : Alors ? Toujours aucune nouvelle ? TOUTES : Non. BARBARA : Et moi qui remonte sur les planches. La première a lieu vendredi. Il ne peut pas me faire ça, à moi ! Oh ! J’ai une trouille, je vous raconte pas... MME GUDULE : Oh ! bien si, racontez ! BARBARA : C’est délicat, je ne puis. LAFILLETE : Allez, sois pas bégueule. BARBARA : Soit. Je joue le rôle d’une jeune héritière qui se retrouve veuve. MME GUDULE : Jeune ? BARBARA : Oui, bien sûr... De loin, bien maquillée... Un public du troisième âge... MME GUDULE : Et après ? BARBARA : Cette jeune héritière sera l’objet de la convoitise des hommes... et finira ruiné. BARBARA: Moi, j’aimerais bien être une jeune héritière. Pour une fois, les garçons feraient peut-être un peu attention à moi. BARBARA : Tu sais, moi qui connaît bien les hommes... BARBARA: C’est vrai ? BARBARA : A mon corps défendant... évidemment ! Et bien dans l’ensemble, ils sont assez décevants. MME GUDULE : J’suis tout à fait d’accord avec vous. BARBARA: Pourquoi ? BARBARA : Quelque soit leur âge, ce sont toujours de grands enfants qui jouent aux adultes. BARBARA: C’est bien de jouer ? BARBARA : Oui, mais, eux, ils se prennent au sérieux ! BARBARA: Oh ! Il y a nombre de femmes qui jouent à l’enfant et qui ne sont pas sérieuses du tout. 51 MME GUDULE : Et y en a d’autres, elles sont si sérieuses que tu croirais des hommes qui jouent pas à être des adultes et qui, en plus, ont même plus le temps de faire des enfants... BARBARA : Vous voulez pas répéter ? Parce que là, je crois que j’ai raté un épisode. LAFILLETTE : Et c’est quoi le titre ? BARBARA : La Mémère ratiboisée . LAFILLETTE : Vous m’donnerez un billet pour qu’j’aille me fendre la gueule ? BARBARA : Mais c’est une tra-gé-die !!! une tragédie ! MME GUDULE : Des tragédies y en a tous les jours dans les journaux. Dire qu’y a des cons qui vont payer pour en voir ! BARBARA: Je pense que M. Nestor, il apprécierait pas. Lui qui dit toujours qu’il n’y a pas de quoi en faire un drame ... Et puis lui, c’est pas un homme comme les autres... A mon avis, en ce moment, il doit bien s’amuser... 52 22. LA MANIACOSPHÈRE (2) Nestor et Hélène parviennent à la maniacosphère. Aussitôt leur entrée, ils sont fait prisonniers. NECROMANE 3 : Le voilà, emparez-vous de lui. Il ne doit pas nous échapper. Alors, on fait moins le rigolo ! NESTOR : Je voulais vous poser une question... NECROMANE 3 : Mais c’est vous, M’sieur Nestor qu’allez être soumis à la question ! HÉLÈNE : Mais ne soyez pas stupide ! A quoi peut vous servir cette parodie de jugement ? NECROMANE 3 : Y’en a marre d’être le jouet des auteurs en mal d’inspiration. NECROMANE 1 : Oui, nous, on veut un minimum de respect. BIBLIOPATHE 2 : On n’est pas taillable et corvéable à merci ! NECROMANE 4 : Le petit peuple des anti héros, des personnages secondaires et des ratés de la création entre en lutte. NESTOR : Alors, je peux vous aider. BIBLIOPATHE 1 : On ne veut plus rester à l’état de brouillon. On veut avoir notre mot à dire... BIBLIOPATHE 3 : ... Et ne pas rester sur notre fin ! NESTOR : Et si je vous donne la possibilité de vous exprimer ? NECROMANE 2 : Tu serais en quelque sorte notre porte-plume ? HÉLÈNE : Que veux tu faire ? NESTOR : Écoutez moi. Vous, les romans sans fin, vous les oubliés de l’histoire, vous les sans famille... Je vais raconter vos mille et une vies. Ce qu’il faut, c’est une comédie où chacun de vous s’amuse et rit. Sur mes tréteaux, chacun va jouer son personnage. Vous aurez vos lettres de noblesse. Nous allons créer une odyssée : Les jeux de l’humour et du bizarre . Toi, l’amnésique, je vais écrire tes mémoires ; toi, le chercheur de clés, je te donnerai celle des champs et je te baptise "passe-partout". Quant à toi, l’homme au sang de navet, fini de poireauter, l’homme inerte deviendra pasteur, je te chargerai d’âmes. Les gens t’appelleront Frère Sourire. Tous vous aurez un rôle. (il se tourne vers les Bibliomanes) Vous , je ne vous oublie pas, vous devenez les livres de vie. HÉLÈNE : Mais c’est pire que les douze travaux d’Hercule ! NESTOR : Ceci me changera de mes éternelles copies. Ne vous faites pas un sang d’encre. HÉLÈNE : Et vous trouvez ça drôle ! NESTOR : J’espère surtout que la muse Thalie trouvera cela amusant. Ainsi l'écrivain condamné sera libéré. NECROMANE 1 : Mais c’est vous qui allez écrire... 53 NESTOR : Et alors... Je ferai d’une pierre deux coups : je vous sauve te je le libère. HÉLÈNE : Et qu’allez-vous demander en échange ? NESTOR : Rien ! HÉLÈNE : Mais vous devenez son nègre ... si vous travaillez au noir ... NESTOR : Vous voyez, vous faites des progrès. Vous commencez à avoir de l’humour. Je crois cependant que je demanderais l’émancipation d’Hélène. NECROMANE 1 : Monsieur Nestor tombe amoureux ? NESTOR : La sensation de vertige... Pourquoi ne pas y succomber ? 54 23. THALIE THALIE : Enchanteur Perlin, je vous ai convoqué car la situation est exceptionnelle. PERLIN : Que se passe-t-il ma Muse chérie, pour qu’ainsi vous me dérangiez à une heure si matinale ? THALIE : Mais onze heures ont déjà sonné au carillon ! PERLIN : La soirée fut rude. Je la passai en compagnie de la fée Lorgane. THALIE : Quoi ! Cette apprentie sorcière sans talent qui n’a jamais réussi un tour de magie, cette handicapée du sortilège ! PERLIN : Oui, mais physiquement très intelligente et nous avons fait quelques excès. THALIE : Quoi donc ? Une nuit de sabbat ? PERLIN : Non, ma douce muse. Un repas pantagruélique : en entrée mousse de testicules de chauve souris suivie d’une terrine de serpent broyé. En plat de résistance, cuisse de dragon marinée dans de la bave de crapauds avec comme accompagnement salade de mandragore confite. Le tout arrosé d’un délicieux magnum de sang de pieuvre aligoté... Je dois avouer que ça cogne un peu. THALIE : Il faut retrouver vos esprits Perlin. Nestor doit réintroduire son univers. Demandez à Pinpin de préparer la poudre aux œufs d’or. PERLIN : Tintin ! Voilà huit jours que les poules du Capitole n’ont pas pondu. THALIE : Pourquoi ? Elles sont d’habitude si fécondes ! PERLIN : Les poules de luxe trouvent que le nouveau coq manque de prestance. il est vrai qu’il est originaire de la basse-cour, et n’a pas de titre. THALIE : Anoblissez le, faites-le Grand maître coq . PERLIN : Grand Maître coq ou Grand coq maître ? THALIE : Mettez ce que vous voulez, mais surtout mettez le à l’ouvrage. Demain c’est l’anniversaire de Nestor. Je veux qu’il ait regagné son foyer. J’ai donné ma parole d’honneur. N’oubliez pas les trois gouttes d’amnésifère dans la poudre, il ne doit se souvenir de rien. Emma ne doit pas s’être sacrifiée pour rien. PERLIN : Vous l’avez bannie ? THALIE : Les étoiles ont toujours inspiré les poètes. Regardez la constellation qui scintille, c’est Emma : suspendue entre la terre et l’éther, comme un clou d’or. Maintenant, occupez vous des poules, je dois me rendre à la grande bibliothèque. L’écrivain puni a, parait-il, enfin fini d’écrire. Sans mon aide, je ne vois pas trop comment, mais enfin... PERLIN : A ce soir, ma muse chérie. 55 24. L’AUDITION Tous les Nécromanes et bibliopathes sont sur scène. La lecture de la pièce écrite par Nestor se termine. Tous applaudissent et rient. THALIE : Tu m’étonnes, toi l’écrivain. Sans mon aide, sans mon inspiration, tu es donc parvenu à réussir quelque chose ! Le temps serait-il venu où nous devons disparaître ? Quel est ton secret ? L’ÉCRIVAIN : Et bien, déjà sur le plan scientifique l’homme parvient à un stade que tu ne peux imaginer. L’homme devient Dieu. Le monde des mythes et légendes auquel tu appartiens ne sera bientôt qu’un souvenir périmé. Nous n’avons plus besoin d’avoir recours à vous pour éclairer notre condition et donner des réponses à nos interrogations. Nous mettrons les muses aux musées. NECROMANE 1 : Tu fais preuve d’une présomption incommensurable ! HÉLÈNE : Ce n’est qu’un vil menteur ! L’ÉCRIVAIN : Taisez-vous ! NECROMANE 2 : Elle a raison. Tu n’es qu’un escroc de basse envergure. L’ÉCRIVAIN : Mais faites les taire ! BIBLIOPATHE 3 : Tu te prends pour un démiurge et tu n’es qu’un copieur sans aucune imagination ! L’ÉCRIVAIN : Thalie, je vous en prie... BIBLIOPATHE 2 : Tu n’es qu’un voleur de mots... THALIE : Quelle est la cause de cette conjuration ? Puis-je avoir le mot de la fin ? HÉLÈNE : Monsieur Nestor est l’auteur de ce que vous venez d’entendre. (tous applaudissent). NESTOR : Vous savez, j’en suis au b a ba . THALIE : Le problème reste posé, puisque je ne vous ai pas aidé. NESTOR : Vous savez, un petit cocktail à ma façon : une dose d’intrigue, deux doses de tendresse, un zeste d’humour et le tour est joué. Il suffit de faire se croiser les mots. Et puis, sans vous vexer, il y a toujours une muse... THALIE : Ah ! L’amour ! Toujours l’amour ! Ne peut-on terminer une histoire autrement ? NESTOR : A ce propos, sans trop vouloir vous déranger ou vous paraître inconvenant, je voudrais vous demander une faveur : Emma pourrait-elle... THALIE : Perlin, les poules ont-elles enfin pondu ? PERLIN : Si fait, ma muse adorée. L’œuf était dans la matrice ronde et attendait Perlin. NESTOR : Mais enfin, quel rapport entre Eppa et la moule, entre ma poule et Emma ? Entre Emma et la poule...? 56 THALIE : Buvons d’abord à votre succès. PERLIN : Amenez le chaudron lyrique. NESTOR : Qu’est ce ? PERLIN : La locution magique qui provoque un état livresque. Vous pouvez en consommer sans modération. Nestor boit. NESTOR : Vertu dieux ! Quel nectar ! Je me sens un peu pompoète ! poète ! poète ! Hic ! Gag ! Un peu sonnet, un peu hémistiché, j’crois que j’vais m’allitérationner... Il faut toujours être livre, livre de cu isine, livre de bord, livre de compte... Il était une fois une rapissante vrincesse amoureuse du conte à rebours...(Nestor tombe dans les pommes). PERLIN : Un, deux, trois... K.O. THALIE : Retour à la case départ, mon petit Nestor. Je te rends à ta rue, à ton anonymat... Enfin presque... 57 25. POSTE DE POLICE (sur terre) LAVABO : Eh ! l’alcoolo ! Approche. Tes papiers ? NESTOR : Pardon ? LAVABO : Tes papiers ? NESTOR : Vous avez dit l’alcoolo ? LAVABO : T’as bien entendu. NESTOR : Mais je bois jamais, monsieur le commissaire ! LAVABO : Inspecteur ! Inspecteur ! NESTOR : Mais la directrice ne m’a pas prévenu. Et les élèves sont en vacances. LAVABO : Tes papiers ? NESTOR : Mon cahier de texte ? Je ne l’ai pas rempli... LAVABO : Je veux voir tes papiers ! NESTOR : Mes papiers de quoi ? LAVABO : Mais il se fout de moi en plus. NESTOR : En plus de quoi ? LAVABO : T’as pas fini de me prendre une andouille ! J’ai d’autres chats à fouetter ! NESTOR : Vous avez pas vu mon chat ? LAVABO : Non, mais je rêve ! T’en a d’autres des questions aussi stupides ? NESTOR : Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez, je suis professeur. LAVABO : Ah ! On progresse. Et bien, mon petit loulou, le ministre de l’éducation, il a du boulot ! MAGRET (entre) : Encore un sans papier ? Ton nom ? NESTOR : Nestor. MAGRET : C’est ça, c’est ça ...tu t’appelles Burma et moi je suis Casimir ! NESTOR : Duperrier ! C’est fou ! MAGRET : Foutez le en cabane. Laissez le finir de cuver son vin. Où l’avez-vous ramassé ? LAVABO : Au Champs Élysées... Il descendait d’une traction aussi noire que lui... NESTOR (chante) : Aux Champs Élysées... Palapala... Oh ! MAGRET : Nestor... une traction noire... Bizarre... Bizarre. LAFILLETTE (qui avait été arrêté en état d’ébriété / de l’autre côté de la scène) : Hé ! Vous auriez pas une ptite cigarette ? LAVABO : Non, ça pollue l’atmosphère. LAFILLETTE : L’atmosphère ? L’atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? MAGRET : Soyez gentil, donnez lui une cigarette, inspecteur LAVABO. NESTOR : Il est beau, il est beau, il est beau le lavabo ! 58 MAGRET : Un peu de respect, je vous prie. NESTOR : Y a pas de quoi vous énerver ! LAFILLETTE : Vache de mouche, y en a qu’un qui peut dire ça ! Hé ! Beau gosse, regarde-moi ! Nom d’un petit mammouth ! J’en crois pas mes mirettes... Mais c’est bien lui, c’est Nestor ! MAGRET : Mais mon Dieu, bien sûr ! LAVABO : Oui, c’est bien lui ! Je crois que j’ai fait une bavure. NESTOR : Oui, c’est moi ! Y a pas de problème ! Moi, c’est moi ! Et y a pas de quoi être surpris ! MAGRET : Permettez moi d’être le premier à vous féliciter. J’ai adoré… LAVABO : La vache ! Je l’avais pas reconnu ! Avec toutes mes excuses pour... Je ne sais comment me faire pardonner... NESTOR : Bizarre les flics... Gentils, mais bizarres... MAGRET : Pouvons-nous compter sur votre compréhension ? Vous n’allez pas porter plainte ? LAVABO : Il y a eu méprise... Nous mettrons tout en œuvre... NESTOR : En œuvre ? Vous voulez écrire ? MAGRET : Vous savez, nous, à part les P.V.... on est trop O.Q.P. LAFILLETTE : Ben, mon coco, t’es un sacré farceur. Pour une fois que je lis un livre en entier... sans en perdre une goutte... et que je ris tout mon saoul, sans avoir bu. C’est maman Gudule qui va être contente... J’parle pas de Nanou... Depuis que vous êtes parti, elle mange plus de chamallows comme avant. C’est pas un paquet par jour, c’est trois. NESTOR : Nanou, Nanou, c’est vrai... je l’avais oubliée. LAVABO : Venez, on vous raccompagne, ce sera un plaisir et un honneur... NESTOR (off) : De plus en plus gentils et de plus en plus bizarres ! Des flics, quoi ! (normal) Non. je vais profiter de la voiture de Madame (il montre le landau informe) pour me faire raccompagner. Vous voulez bien ? LAFILLETTE : Ce sera un honneur... Mais j’tai déjà dit de m’appeler Lafillette... Je peux, monsieur le commissaire Magret... MAGRET : Difficile de dire non. C’est ma femme qui va être contente quand je vais lui raconter qu’on vous a retrouvé. Vous savez, elle a adoré... Elle vous a dévoré... Elle m’a même dit tu devrais en prendre de la graine ! NESTOR : Pour un poulet, c’est normal ! Et bien, vous l’embrasserez pour moi, je suis bien content. Bien content. (off) ... Inquiétant tout de même la police. 59 26. RETROUVAILLES (sur terre) NANOU(elle lit, en mangeant ses chamallows et rit) : Le gag ! Génial ! Franchement plus rigolo que Rousseau ! REMI (entrant) : Bonjour Nanou. NANOU : (... continue à lire et rit) REMI : Tu t’embêtes pas trop ? NANOU(elle rit) : Je crois que je vais faire pipi dans ma culotte. REMI : C’est intéressant ! T’as des problèmes d’incontinence ? Si tu veux, j’ai un tuyau... NANOU : T’as pas vu Sido ? REMI : Non, qui c’est ? NANOU : Ma nouvelle copine. Tu vas voir comme elle est chou. SIDO (entre) : Salut les amoureux ! REMI : ...Super, la copine ! NANOU : Sido... Rémi. SIDO : Bonjour. REMI : Salut ! NANOU : T’as lu ? (elle montre son livre) SIDO : Non... C’est une histoire d’amour ? NANOU : Oui, mais c’est pas ce que tu crois. SIDO : Moi, je crois rien, j’espère. Dis donc, il est mignon ton copain... NANOU : Oui. Il écrit des poèmes. SIDO : Délire ! Dis, tu me les montreras ? REMI : C’est personnel. SIDO : Délire ! Toi au moins tu dois pas être comme les autres. NANOU : Ca, c’est sûr ! Pour pas être comme les autres, il est pas comme les autres. REMI : De toute façon, tu comprendrais pas. SIDO : Tu pourras m’expliquer.. REMI : Il n’y a rien à expliquer... Et puis les filles elles comprennent jamais rien aux garçons. Elles pensent avec leur sens. Nous, on a un cerveau. SIDO : C’est pas le tout de l’avoir. Il faut savoir le faire fonctionner. REMI : T’as qu’à voir, les grands poètes sont des hommes... NANOU: Inspirés par des femmes ! Le moteur, s’il n’y a pas l’essence, c’est la panne ! REMI : Et bien moi, j’ai le moteur, j’ai l’essence... et c’est quand même la panne. SIDO : Change d’inspiratrice, roule au super... REMI : Avec toi ce serait le super sans plomb... T'as la souris mais t’as pas l’ordinateur ! SIDO : Tu sais ce qu’elle lui dit, la souris, au vilain matou... Entre Claire 60 CLAIRE : Bonjour. NANOU : Bonjour Claire. Tu tombes à pic pour éviter la dispute. CLAIRE : Je viens de terminer mes révisions de philo... Vanné, je suis vanné... SIDO : Moi aussi, rien que de penser qu’il faut que je m’y mette ! NANOU : Tu connais Rémi ? CLAIRE : De vue. Ton petit copain ? REMI : Non, non non ! Bonjour Claire. J’tai..j’tai dé déjà vue. NANOU : Tu me l’avais pas dit. SIDO : Tu sais bien que les filles sont à ses yeux inintéressantes ! Des sous produits sans cervelle ! CLAIRE : Misogyne ? En tout cas, vous savez pas ? moi, je reçois du courrier anonyme. SIDO : Un pervers ? CLAIRE : Non. Un amoureux timide. SIDO : Oh ! Qu’est ce qu’il t’écrit ? CLAIRE : Tu es bien curieuse. SIDO : Forcément. On ne m’a jamais écrit de lettres d’amour... CLAIRE : Tu as de la chance. Moi, tous les garçons m’écrivent... SIDO : Plains toi ! CLAIRE : Oui, des lettres, rien que des lettres... Pas un qui ose me parler, m’inviter... SIDO : Moi, ils me parlent, ils m’invitent... Mais ils ne me disent pas qu’ils m’aiment. NANOU : Entre-les deux ?... Je ne sais pas ce qui est le mieux. Ce serait peut-être à vous de faire le premier pas ? REMI : Oui, ça c’est une bonne idée ! Une idée géniale ! Géniale ! NANOU : Toutes à tes pieds ? REMI : Pas toutes ! Pas toutes ! NANOU : Celle de tes poèmes ? CLAIRE : Rémi écrit des poèmes ? J’espère qu’ils sont aussi réussis que ceux que je reçois. SIDO : Ils sont beaux ? CLAIRE : Pleins de tendresses, de gentillesse, de sincérité... SIDO : Ben, il est taré, le mec, de pas signer. CLAIRE : Dans un sens c’est mieux ! Le mystère charme encore plus. SIDO : C’est vrai, t’as raison. T’imagines que ce soit un garçon comme Rémi qui t’écrive... Entre Nestor. NANOU : Putain... Monsieur Nestor !!! Excusez-moi, mais... mais... Je suis tellement contente... contente... de vous revoir... Oh ! Il faut que je vous embrasse. NESTOR : Avec plaisir, ma petite Nanou. Musique adéquate. Au ralenti... Embrassades émouvantes. 61 NANOU : Je suis fière de vous. NESTOR : Oui... oui... Mais je ne vois pas pourquoi... NANOU : Petit cachottier ! NESTOR : Non, vraiment... Vraiment... SIDO : Je peux vous embrasser, moi aussi ? NESTOR : Pendant qu’on y est ! Il n’y a pas de mal à se faire plaisir ! LAFILLETTE : S’il en reste un peu, je dirais pas non. NESTOR : Au diable l’avarice... (il l’embrasse) SIDO : Dis donc, il est mignon ton copain ; pas trop mité encore... NANOU : C’est pas mon copain. C’est Monsieur Nestor. Tu pourrais être poli, tu parles à une célébrité qui a passé la trentaine. SIDO : N’empêche qu’il est pas trop coulant pour son âge. REMI : Moi, j’aimerais bien être une tapette. NANOU, NESTOR et SIDO : Qu’est-ce qui dit ??? REMI : À cause de la souris !!! (il mime le coup du lapin). MME GUDULE (entrant) : Nom d’un petit putois mordoré, le voilà de retour notre Nestor. Faudra que je vous demande une orthographe... Vous voulez bien ? NESTOR : Sans faute, madame Gudule ! MME GUDULE : Qu’est ce qu’il est gentil c’thomme là ! M. GUDULE : Eh ! L’aubergine, j’ai faim... Ramène ta viande ! MME GUDULE : J’arrive, j’arrive... REMI : A moi aussi ? NESTOR : Pas de problème ! (off) J’ai du sauter un chapitre ! J’ai de la peine à comprendre le scénario... (normal) Bon. Vous permettez ? Il faut que je me repose un peu. A demain les enfants. TOUS : Au revoir ! SIDO : A bientôt, j’espère ! UN PEU PLUS LOIN... BARBARA : Oh ! Mon cher maître ! Je suis en admiration !Comment eussé-je pu deviner ? Quel talent ! Pourquoi ne m’avoir rien dit ? NESTOR : Si je savais ! ... BARBARA : Vous allez être surpris. Gazou ? Gazou? Où il est mon petit Gazou ? GAZOU : Mon cer mètre, mon cer confrère, ze vous félicite. La comédie est oune zenre très difficile... NESTOR (off) : Déjà avec son accent, je comprends rien à ce qu’il raconte. Mais là, j’en perds mon latin. (normal) Il a du s’en passer des choses... GAZOU : Rien qu’avé vou... Votré livre est oune vrai cé d’œuvre ! Quelle Maestria ! N’est ce pas Barbara ? BARBARA : Gazou, Gazou... NESTOR : Tous les deux ??? BARBARA : Oh ! Qu’allez vous imaginer ? NESTOR : Moi ? Rien. Vous savez mon imagination... 62 BARBARA : Et quelle modestie, n’est ce pas Gazou, Gazou? Attendez, je vais vous donner des billets pour la première de notre représentation. Nous sommes pressés. Bernard Trapp nous attend pour nous interwiouver. NESTOR : Merci. C’est gentil. A bientôt. AUTRE RENCONTRE... LA DAME AU TRICOT : Merci, monsieur Nestor. maintenant, le Bon Dieu, il peut me rappeler à lui. Si les anges, là-haut, ils s’ennuient, j’ai de quoi les dérider. NESTOR : A vous, je peux bien le dire, la situation m’échappe un peu. J’ai de la peine à avoir les idées nettes... Je me demande ce qui m’est arrivé ? LA DAME : Vous savez bien quand même que vous êtes devenu l’homme de lettres dont tout le monde parle en ce moment ? NESTOR : Ah bon ? LA DAME : Vous n’avez pas lu les critiques ? NESTOR : Lecture sans beaucoup de calories mais très indigeste. LA DAME : Même que pendant votre absence, je ne me suis pas envoyé une lettre. NESTOR : Pourquoi ? LA DAME : Vous jonglez avec les mots avec tant d’élégance et d’adresse... NESTOR : Vous troquez le tricot pour le livre ? LA DAME : C’est la même chose. Un texte est un tissu de mots que nous lisons au fil des pages, n’est ce pas ? Et croyez moi, c’est pas toujours coton ! Il y en a même qui font des reprises. NESTOR : A qui le dites vous ! Alors, j’ai écrit un livre ? LA DAME : Une pièce de théâtre ! Des personnages en quête d’auteur. NESTOR : Pas très original ! LA DAME : Détrompez vous ! Tenez, je vous le prête. NESTOR : C’est amusant ! Je vais découvrir un livre que j’ai soit disant écrit. LA DAME : Bien sûr ! A ce propos... je suis contente que l’amnésique ait retrouvé la mémoire ! NESTOR : Pourquoi me dites vous cela ? LA DAME : Quand on est jeune, on se prend à rêver... On noircit quelques pages sur un cahier d’écolier... Odeur d’encre et de buvard taché... Vous savez... chacun, nous continuons l’œuvre qu’un autre a commencée... NESTOR : Vous vous exprimez à demi-mot. LA DAME (se lève et s’en va) : Il ne faut pas prostituer les mots. Ils sont aussi fragiles que des jeunes filles... et aussi fidèles qu’une jeune fille peut l’être. NESTOR : Vous alors ! 63 NANOU : Coucou ! me revoilà ! NESTOR : Vous êtes fidèle, vous ? NANOU : A mes chamallows, bien sûr ! Et puis à vous... Tenez, je vous ai préparé une surprise. TOUS LES ACTEURS DE ROMANS PHOTOS : Joyeux anniversaire ! (bis ou ter). NESTOR : Mais c’est demain ! ISABELLE : Au cas où il te prendrait l’idée de nous quitter à nouveau, sans nous prévenir. YVETTE : On a préféré sauter sur l’occasion. CHARLES : Dis donc, l’idée de l’enlèvement, super comme pub ! Tu te fais enlever, tu fais la une des journaux et ton bouquin paraît en librairie. T’as réussi un coup de génie ! ÉLISE : Un vrai conte de fées ! ODILE : En tout cas, t’aurais pu nous prévenir ; parce que la police est venu nous interroger. BENOÎT : Et le Magret, il nous a cuisinés. ÉLISE : Le principal, c’est que tu sois revenu. FÉLIX : On t’a préparé un de ces repas... PAUL : On va arroser ton succès ! ÉLISE : T’es content ? NESTOR : Évidemment ! ISABELLE : Allez, tu vas nous mettre dans le secret des muses. On t’emmène... NESTOR : Je rentre d’abord prendre une douche et je vous rejoins. TOUS S’EN VONT EN CHANTANT : Boire un petit coup... ELLA (même personnage qu’Emma) : Monsieur, monsieur, pourriez vous m’indiquer un endroit où passer la nuit ? NESTOR : Mais, mademoiselle, voilà une question bien surprenante. ELLA : Je ne sais où aller et je me sens bien seul. NESTOR : Ne connaissez-vous personne ? ELLA : Non. NESTOR : Des parents ? ELLA : Je n’en ai point. NESTOR : Des amis ? ELLA : Vous prononcez là un mot dont le nom jusqu’à ce jour m’est resté inconnu. NESTOR : Mais enfin, vous connaissez bien quelqu’un ? ELLA : Hélas, non. NESTOR : Mais quel âge avez vous ? ELLA : Seize ans. NESTOR : Vous êtes mineure, même pas majeure. Et personne ne s’occupe de vous ? ELLA : Je n’ai pas l’impression. NESTOR : Et où avez vous dormi la nuit dernière ? 64 ELLA : A la belle étoile ! Celle qui brille si fort juste au-dessus de vous. La constellation Emmaphrodite. NESTOR : Comment vous appelez vous ? ELLA : Ella, monsieur... LE RIDEAU SE FERME ... 65