La culture - Cyberlearn

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La culture - Cyberlearn
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THE CORPORATE
CULTURE
SURVIVAL GUIDE
Edgar H. Schein
Edgar H. Schein est Professor of Management à Sloan School
of Management, au MIT.
Éditions Jossey-Bass, 1999, 199 pages.
Avec le commentaire de John S. Carroll, Professor of
Behavioral and Policy Sciences à Sloan School of
Management, au MIT.
idées
clés
Comprendre
et gérer
les implications
de la culture
d'entreprise.
La culture d'entreprise est une notion souvent déroutante. La simple
observation met clairement en évidence d'importantes différences de styles entre entreprises. Mais comment analyser une culture ? Et quelle prise
peut-on avoir sur elle ?
- Le cœur de la culture d'entreprise est constitué de croyances
inconscientes, partagées par l'ensemble de l'organisation.
La culture peut être analysée à 3 niveaux, du plus superficiel au plus
profond :
– les manifestations visibles, directement observables, comme le code
vestimentaire;
– les valeurs proclamées, officiellement mises en avant par l'organisation;
– les croyances partagées par la collectivité, souvent inconscientes tellement elles paraissent "évidentes" aux membres de l'entreprise.
Ces croyances ont un impact déterminant sur le fonctionnement de
l'organisation.
- Une culture ne peut se déchiffrer qu'au travers d'exercices de
groupes.
L'utilisation de questionnaires pour analyser une culture est une erreur.
Les croyances partagées les plus puissantes ne peuvent être identifiées
qu'au travers de l'animation et de l'observation de débats collectifs.
- Vouloir changer la culture n'est généralement pas l'approche
la plus efficace pour transformer l'organisation.
Faire évoluer une culture est extrêmement difficile. Il est souvent plus
efficace de tirer parti des atouts de la culture existante, plutôt que de vouloir corriger ses défauts.
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synthèse de l’ouvrage
1 La culture :
un facteur décisif
La culture a un impact
déterminant sur
le fonctionnement
de l'organisation.
Ignorer l'existence de la culture
d'entreprise peut avoir des conséquences désastreuses.
Atari l'a appris à ses dépens,
alors qu'elle était une compagnie
florissante. Le conseil d'administration a nommé un nouveau Directeur Général. Celui-ci, recruté à
l'extérieur, était un gestionnaire rigoureux, attaché à un pilotage clair
des performances individuelles. Il a
décidé de mettre de l'ordre dans
une organisation apparemment désorganisée, où l'on ne savait pas
qui avait contribué à quel succès. Il
a instauré un système strict de définition des objectifs et de motivation individuelle - incluant par
exemple la nomination de "l'ingénieur du mois". Contre toutes attentes, il s'en est suivi une profonde démotivation et le départ
des meilleurs développeurs !
Cet échec s'explique par un
manque de compréhension de la
culture. Le dirigeant n'avait pas
perçu que les méthodes de travail
des ingénieurs d'Atari reposaient
sur de multiples échanges informels, sources d'une forte créativité
collective. En introduisant des mécanismes de compétitivité individuelle, il a détruit ce climat de collaboration et le plaisir qu'en
retiraient les individus.
Cet exemple n'est pas isolé.
Même s'il est un peu tôt pour en tirer toutes les leçons, les difficultés
de John Sculley à la tête d'Apple
Computer s'apparentent à la situation d'Atari. Malgré tous ses efforts, Sculley n'est jamais parvenu
à gagner le respect d'une culture
profondément technicienne. Tous
ses efforts de changement se sont
heurtés à cette barrière culturelle.
Il n'est pas surprenant qu'Apple ait
souhaité rappeler un de ses fondateurs, Steve Jobs, pour reprendre
les rênes de l'entreprise.
• Les manifestations visibles.
2 Les composantes
de la culture
Le cœur de la culture
est constitué
des croyances tacites
partagées par l'ensemble
de l'organisation.
La culture peut jouer un rôle clé
dans le destin d'une entreprise.
Malheureusement, les dirigeants
sont mal armés pour l'appréhender
et la gérer. Et les écrits populaires
sur le sujet ne font rien pour arranger cette situation ! La culture y est
en effet présentée sous de multiples angles, dont il est difficile de
tirer une cohérence. Certains mettent en avant les rites, l'ambiance
ou la façon de se vêtir. D'autres se
focalisent sur les règles de
comportement : l'entreprise devrait par exemple adopter une "cul-
A
Les 3 niveaux de la culture
V
stations visible
nife
s
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rs proclamée
u
e
s
al
Croyances
tacites
partagées
4
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ture de travail en équipe" ou
"d'ouverture sur l'extérieur". Une
troisième école assimile la culture
aux valeurs proclamées par
l'entreprise : "le client d'abord",
"satisfaire l'actionnaire" ou "protéger l'environnement", etc.
En réalité, tous ces éléments ne
constituent qu'une représentation
partielle et superficielle de la culture. En effet, des travaux de recherche approfondis ont permis de
mettre en évidence que la culture
est composée de 3 niveaux
(figure A) :
Les croyances tacites
partagées constituent
le niveau le moins visible,
mais le plus déterminant,
de la culture d’entreprise.
Ce premier niveau, le plus immédiat, recouvre l'ensemble des
manifestations évidentes aux yeux
d'un observateur : le code vestimentaire, le décor, l'ambiance, le
mode d'interaction entre individus. Ainsi, vous pouvez être
frappé par la différence entre
deux entreprises : l'une dans laquelle l'espace est ouvert, les collaborateurs vêtus de façon informelle et l'activité visiblement
intense ; l'autre dans laquelle les
portes des bureaux sont fermées,
le code vestimentaire est strict et
l'ambiance feutrée. Vous pouvez
aimer ou détester l'un ou l'autre
de ces environnements. Mais audelà de l'impact émotionnel immédiat, ce premier niveau d'observation vous apporte peu d'information utile. Que signifient ces
différences ? Il faut pour cela approfondir l'analyse.
• Les valeurs proclamées.
Le second niveau d'analyse
porte sur les raisons affichées des
comportements observés. Il s'agit
des explications apportées par les
membres de l'organisation quant à
leur comportement : "nous laissons
les portes ouvertes et circulons fréquemment entre bureaux car nous
croyons à la valeur des interactions
et du travail en équipe". Dans
l'autre entreprise, vous entendez :
"les bonnes décisions nécessitent
des réflexions posées et des délibérations calmes, en privé".
Mais plus vous observerez les
comportements, plus vous identifierez des décalages surprenants entre
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certaines valeurs annoncées et la
réalité. Par exemple, vous constaterez que les deux entreprises proclament leur attachement au travail en
équipe, mais s'appuient l'une
comme l'autre sur un système de
motivation très individualiste. Pour
comprendre ces contradictions - et
identifier ce qui motive réellement
les comportements - vous devez approfondir votre analyse en examinant le niveau le plus fondamental
de la culture.
• Les croyances tacites
partagées.
Ce troisième niveau, qui constitue
le cœur de la culture, est composé
des croyances fortes, souvent inconscientes, partagées par l'ensemble des membres de l'organisation.
Pour comprendre en quoi consistent ces croyances, il faut remonter
à leurs origines. Lors de la création
de l'entreprise, l'équipe fondatrice
impose souvent ses propres valeurs
à l'ensemble des employés. Par
exemple : "chaque collaborateur
doit faire preuve de loyauté vis-àvis de son chef d'équipe". Si l'entreprise réussit et se développe, ces valeurs - ou des variantes issues des
enseignements de l'expérience collective - sont progressivement
adoptées comme règles du succès.
De plus, l'entreprise attire, recrute
et promeut naturellement les collaborateurs les plus en accord avec les
valeurs partagées. Ainsi, avec le
temps, les valeurs initialement promues par les fondateurs, puis expérimentées avec succès par l'entreprise, se traduisent en croyances
considérées comme évidentes par
tous. À ce stade, les individus sont
souvent inconscients de l'influence
de
ces
valeurs
sur
leur
comportement : celles-ci sont en effet du domaine de l'évidence - elles
ne méritent de faire l'objet ni de débats ni de remise en cause.
Ainsi, dans les entreprises citées
en illustration, vous découvrez que
la première a été fondée par un
créatif, convaincu que seuls des débats animés permettent de prendre
de bonnes décisions. Tandis que
l'autre a été créée par un scientifique désireux d'exploiter un brevet,
ayant bâti pour cela une organisation disciplinée, capable de mettre
efficacement en œuvre une solution préexistante. Donnant ainsi
B
L'influence de la culture
La culture d'entreprise influence l'ensemble des aspects fondamentaux de la vie
de l'organisation :
• Son mode de relation à l’environnement
– sa mission et ses buts fondamentaux
– sa structure, ses systèmes de management, ses processus
– ses systèmes de mesure, de détection et de correction des erreurs
• Les règles internes à la collectivité
– le langage, les concepts partagés
– les règles d'appartenance et d'expression de l'identité
– le mode de relations, la nature de l'autorité
– les modalités de reconnaissance et d'attribution des statuts
• Les hypothèses fondamentales sur l’homme et son environnement
– les rapports entre l'homme et la nature (harmonie, domination)
– les notions de réalité et de vérité (absolu, relatif)
– la nature fondamentale de l'homme (bon, mauvais, invariable, évolutif)
– les rapports entre l'individu et la collectivité
– la nature du temps et de l'espace
naissance à une entreprise dans laquelle la hiérarchie et la discipline
sont naturellement considérées
comme les fondements d'un fonctionnement efficace.
3 Déchiffrer
une culture
Les croyances partagées
ne peuvent être
identifiées qu'en
observant des débats
collectifs.
Comprendre une culture nécessite une analyse approfondie. Les
seules manifestations extérieures,
directement perceptibles par un
observateur, ne suffisent pas à
comprendre une culture. La véritable force d'une culture - ce qui
rend son influence déterminante
sur les comportements - réside en
effet dans les croyances partagées
par l'organisation. Les déchiffrer
nécessite de plonger dans l'inconscient collectif de l'entreprise.
Se lancer dans une telle analyse
doit être justifié par la volonté de
résoudre un problème concret, important. Par exemple :
– Comment réussir la conversion
vers une économie de marché
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d'une division vivant historiquement de marchés d'Etat ?
– Comment instaurer une approche coordonnée des grands
comptes, alors que chaque division a jusqu'alors été évaluée sur
son succès individuel ?
En effet, le domaine à explorer
est vaste et influence de multiples
aspects de la vie de l'entreprise (figure B). À défaut d'un enjeu bien
précis, l'analyse se révèle vite un
exercice frustrant, apparemment
sans fin, ne découlant sur aucune
implication pratique.
- Se méfier
des questionnaires
Une erreur classique consiste à
vouloir procéder par questionnaire. Il existe en effet plusieurs
questionnaires types d'analyse de
la culture. En réalité, un tel questionnaire peut en faire ressortir les
manifestations visibles, une partie
des valeurs proclamées, et peutêtre une ou deux croyances partagées. Mais en aucun cas il ne permet d'identifier les croyances partagées qui s'avèreront importantes
pour le problème analysé. Pour
deux raisons :
• Avant tout, il est impossible
d'identifier les bonnes questions à
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poser. L'expérience montre que les
croyances importantes pour un
problème donné peuvent être
d'origines et de natures multiples,
impossibles à anticiper. Par exemple, supposez qu'une entreprise ait
toujours réussi en maintenant un
niveau de trésorerie élevé et un endettement nul. Il se peut que la
conviction qu'il est nuisible de
s'endetter soit devenue un aspect
important de la culture, influençant de nombreuses décisions.
Mais rien ne permet par avance de
savoir si l'on doit prévoir des questions sur la gestion financière - et
encore moins lesquelles.
• De plus, la culture est un phénomène collectif. À ce titre, s'appuyer sur des questionnaires individuels se révèle inefficace. Seules
des discussions de groupe permettent de faire ressortir ce qui est
collectivement important : c'est le
meilleur moyen pour évaluer la
force des consensus et l'intensité
des ressentis collectifs.
- Un exercice
de groupe
L'analyse d'une culture doit reposer sur un exercice de groupe, conduit par un animateur externe à la
culture analysée. Ce dernier doit tirer parti de sa position d'observateur
pour provoquer le groupe à formuler
explicitement ses croyances tacites.
Les étapes du travail sont les
suivantes :
• Recenser les manifestations
visibles de la culture.
Cette première analyse permet
au groupe de commencer à caractériser la culture en examinant ses diverses manifestations. La figure C
fournit une check-list pour guider la
réflexion sur le sujet.
• Identifier les valeurs
proclamées.
Après environ une heure passée
sur les manifestations visibles, le
groupe doit ensuite se focaliser sur
les valeurs officielles de l'organisation. Souvent, celles-ci sont exprimées explicitement dans diverses
publications internes, ou dans
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C
Les manifestations visibles de la culture
Cette liste permet de guider la réflexion pour recenser l'ensemble
des manifestations visibles de la culture :
– Code vestimentaire
– Degré de formalité des relations hiérarchiques
– Horaires de travail
– Modalités des réunions (fréquence, durée, mode d'interaction)
– Fréquence de prise de décisions
– Communication, mode de diffusion des informations
– Evènements sociaux
– Jargon, uniformes, symboles d'identité
– Rites et rituels
– Mode de gestion des conflits
– Équilibre entre vie privée et vie professionnelle
l'énoncé de "la vision" de l'entreprise. Par exemple : "le client
d'abord", "nous valorisons le travail d'équipe", etc.
• Comparer les manifestations
visibles avec les valeurs
proclamées.
L'objectif est ensuite d'identifier les contradictions entre les
valeurs proclamées et la réalité.
Celles-ci mettent en effet en évidence que le comportement est
dicté par une croyance plus puissante que les valeurs proclamées.
L'analyse de chaque contradiction
permet ainsi d'identifier les
croyances partagées.
Par exemple, supposez que l'organisation proclame son attachement à une communication franche et ouverte entre niveaux
hiérarchiques. Mais que vous détectiez, dans les manifestations visibles, que ceux qui transmettent
les mauvaises nouvelles sont punis,
ou qu'il ne faut mentionner un problème qu'avec une solution à proposer. Cela met clairement en évidence un élément plus profond de
la culture - à savoir que seules les
communications positives sont jugées acceptables.
L'examen successif des différentes contradictions observées
conduit progressivement à mettre en lumière la logique d'ensemble des croyances tacites partagées.
• Répéter ce travail si
nécessaire avec d'autres
groupes.
Ce même travail peut être répété avec d'autres groupes, afin
d'affiner les résultats. Si vous pensez qu'il existe plusieurs cultures au
sein de l'organisation - liées à l'historique propre des différents départements, ou à une fusion passée
- vous pouvez approfondir l'analyse en conduisant l'exercice avec
des groupes représentatifs de ces
cultures.
4 Faire évoluer
la culture
Il arrive que la culture - ensemble
de règles héritées des succès passés s'avère inadaptée aux défis présents
ou futurs de l'entreprise. On peut
alors distinguer 2 cas de figure :
– si l'entreprise est encore jeune,
on peut chercher à influencer la
formation de la culture;
– si la culture est déjà forte, il faut
soit détruire la culture, soit s'engager dans un programme de
transformation dans la durée.
Nous allons examiner chacun de
ces cas de figure.
- La jeune entreprise
La promotion
de nouvelles valeurs
peut suffire à influencer
la culture d'une jeune
entreprise.
Nous nous plaçons ici dans le
cas d'une entreprise encore relativement jeune, dirigée par ses fon-
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dateurs ou leur famille. La notion
importante ici est que la culture
n'est pas seulement le résultat d'expériences passées : elle est en cours
de construction, sous l'influence
directe des valeurs des fondateurs
(figure D).
Cela crée deux différences importantes par rapport à une organisation mature :
– Toute proposition délibérée de
faire évoluer la culture a toutes
les chances d'être rejetée, dans la
mesure où la culture est un reflet
direct des valeurs du fondateur.
– Pour autant, la culture peut plus
aisément être influencée. Elle
repose en effet encore fortement sur le comportement des
leaders. Faire évoluer ce dernier
est plus aisé que de s'attaquer à
des croyances tacites, enfouies
dans l'inconscient collectif.
Dans une telle situation, le manager ou le consultant désireux de
faire évoluer la culture disposent
principalement de 2 leviers :
• Aider l'organisation
à prendre conscience
de ses croyances implicites.
Dans une jeune organisation, le
simple fait de provoquer une prise de
conscience des croyances implicites
peut permettre une évolution de la
culture. En effet, les dirigeants gar-
dent une influence forte sur son élaboration. S'ils prennent conscience
des croyances tacites qui les guident,
ils sont à même de remettre en cause
celles qui leur paraîtront inappropriées. Ce phénomène est l'équivalent d'une psychothérapie, au niveau
d'une équipe et non d'un individu.
C'est ainsi que les managers de
"Gamma Tech", une jeune société
de haute technologie, ont remis en
cause leur manque de considération pour le marketing. Ils avaient
toujours considéré qu'il s'agissait
d'une fonction subalterne, dont le
rôle se limitait au lancement des
produits sur le marché. Avec l'aide
d'un consultant, ils ont pris conscience de l'impact qu'elle pouvait
avoir sur des enjeux stratégiques à
leurs yeux : anticipation des besoins des clients, stratégie produit
à long terme, etc. Sur ces bases, ils
ont accordé plus d'attention au
marketing. Les succès rencontrés
ensuite les ont confortés dans cette
attitude. La perception d'un rôle
stratégique du marketing fait désormais partie de leur culture.
• Promouvoir des managers
porteurs des valeurs à
développer.
La nomination de managers soigneusement choisis est un
deuxième levier d'évolution de la
culture. Ainsi, à une période de
D
L'influence des fondateurs sur la culture
La culture d'une entreprise est fortement marquée par l'influence des fondateurs.
Cette influence s'exerce principalement au moyen des éléments suivants :
• Leviers fondamentaux d’influence.
– la nature des éléments régulièrement mesurés et contrôlés
– le mode de réaction aux incidents critiques et aux crises
– les critères implicites d'allocation des ressources
– l'influence délibérée sur les collaborateurs
– les critères implicites d'allocation des récompenses et des statuts
– les critères implicites de recrutement, de promotion, de licenciement ou
d'excommunication
• Leviers secondaires, de confirmation.
– structure d'organisation
– systèmes de management et procédures
– rites et rituels
– organisation de l'espace et des bâtiments
– mythes et légendes
– énoncés officiels des missions et des valeurs de l'organisation
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forte croissante, DEC a souffert de
sa culture fondée sur des valeurs de
débats ouverts et de devoir d'insubordination en cas de désaccord.
Pour contrer ce phénomène, les dirigeants ont favorisé la nomination
de managers issus de la production
et du SAV, où la discipline était la
norme. Ces managers ont su fonctionner dans la culture dominante,
tout en imposant graduellement
une plus forte discipline.
Il est important ici de procéder
par promotion interne, et non par
recrutement externe. En effet, à ce
stade de développement, l'attachement aux valeurs de l'organisation
est tel qu'une nouvelle recrue n'a
généralement d'autre choix que de
s'intégrer, ou de partir après un
constat d'échec. Tandis que le manager promu en interne bénéficie
d'une image de "membre de la famille", qui lui confère de la crédibilité et lui laisse une plus grande
latitude de remise en cause.
- L'entreprise mature
La transformation
progressive de la culture
d'une entreprise mature
nécessite 5 à 15 ans.
Dans une organisation plus mature, de tels leviers d'évolution deviennent insuffisants. En effet, une
fois passée la phase de construction de l'organisation, une fois les
fondateurs ou leurs descendants
directs remplacés par des dirigeants professionnels, les croyances tacites sont bien ancrées. Il ne
s'agit plus alors d'influencer une
culture en cours de construction,
mais bel et bien de supprimer certaines croyances pour les remplacer par d'autres.
Si l'entreprise est en situation de
crise, et qu'une transformation culturelle rapide est nécessaire, il
n'existe alors pas d'autres solutions
que de détruire la culture existante.
Cela nécessite des mesures radicales et implique un coût humain extrêmement élevé : il faut en effet
impérativement se séparer de ceux
qui ne parviennent pas à se convertir aux nouvelles valeurs.
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Mais si l'entreprise dispose de
temps, une transformation progressive est possible. Remettre en
cause des croyances fondamentales
sans pour autant détruire et reconstruire l'organisation nécessite
typiquement de 5 à 15 ans. L'expérience de Procter & Gamble dans
les années 50 en est une illustration claire. À l'époque, l'entreprise
a décidé de réorganiser ses usines
pour favoriser l'autonomie et l'efficacité locales. Consciente qu'elle
ne parviendrait jamais à imposer ce
nouveau mode de management aux
managers et aux syndicats en
place, l'entreprise a créé une nouvelle usine modèle, "Augusta".
Celle-ci s'est avérée rapidement
très performante. Mais il a fallu 15
ans d'efforts de formation et de
diffusion de ces nouvelles pratiques pour finalement convertir
l'ensemble des usines du groupe.
Plus proches de nous dans le
temps, les efforts de Jack Welch
pour transformer General Electric
se sont déroulés sur une période de
temps similaire.
Principes
Toute la difficulté d'une transformation de culture tient à ce que
les membres de l'organisation doivent "désapprendre" un certain
nombre de croyances profondément ancrées. Or, ces croyances
jouent pour eux un rôle important
dans leur activité quotidienne : par
exemple, croire que "la supériorité
technique prime" sert de référence
commune dans l'analyse d'une situation concurrentielle, de guide
dans les choix de conception des
produits, etc. Remettre en cause
une telle croyance se heurte donc
naturellement à une forte résistance psychologique, fondée sur
plusieurs craintes :
– la peur d'être incompétent, dans
la mesure où l'on doit abandonner ce que l'on maîtrise bien
pour le remplacer par une approche mal connue - par exemple, "répondre au mieux aux besoins", plutôt que "créer le
produit le plus performant";
– la crainte de perdre son identité,
lorsqu'on se sent personnellement attaché aux valeurs remises en cause;
8
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– la peur d'être rejeté par ses pairs,
dans la mesure où l'on adopterait des valeurs contraires à celles qui prédominent actuellement parmi ses collègues.
L'enjeu du succès d'une transformation culturelle réside ainsi
dans 2 points :
• La crainte du statu quo doit
être supérieure à la crainte du
changement.
La résistance psychologique au
changement est inévitable. Pour la
surmonter, la vision d'un meilleur
avenir possible suffit rarement. Les
collaborateurs doivent aussi être
motivés par un sentiment d'insatisfaction, ou de menace en cas de
statu quo. Cela peut être provoqué
par une menace économique - perte
d'emploi ou de pouvoir d'achat -,
une menace politique - prise de
pouvoir par un groupe extérieur -,
un scandale, la confrontation à une
autre culture lors d'une fusion, etc.
• Il vaut mieux minimiser
la crainte du changement
qu'accroître la crainte
du statu quo.
En effet, renforcer la crainte du
statu quo risque de provoquer des
réactions défensives - et de décourager d'affronter l'angoisse inévitable liée à l'apprentissage d'une
nouvelle culture.
Il faut donc s'efforcer de créer
un climat de sécurité psychologique, destiné à minimiser l'angoisse
du changement. Cela repose sur
8 points importants, présentés en
figure E.
Organisation
L'organisation pratique d'un
programme de transformation culturelle repose sur les points
suivants :
• Constituer une équipe de
pilotage.
Cette équipe doit inclure des dirigeants du plus haut niveau, des
représentants des groupes les plus
touchés par les transformations à
venir, ainsi que quelques observateurs externes - plus à même de
prendre du recul par rapport à la
culture. Chaque membre doit con-
sacrer entre un mi-temps et un
temps plein aux travaux.
• Définir précisément la cible
opérationnelle.
Seule une définition concrète et
précise des objectifs permet de valider la pertinence d'une transformation culturelle, puis de guider
les efforts. La première tâche de
l'équipe de pilotage est donc de
définir précisément les besoins.
À ce stade, il faut veiller à aller
au-delà d'intentions générales, telles que "nous devons plus travailler
en équipe", ou "nous devons favoriser l'ouverture et le dialogue". Il
est indispensable de préciser quels
comportements précis on souhaite
obtenir, et dans quel but. Par
exemple, il faut préciser si l'on
veut que chaque unité soit évaluée
selon des résultats collectifs plutôt
qu'individuels; pour quelles tâches
un travail d'équipe est indispensable, et quelle forme précise il doit
prendre. Ou encore, en matière de
communication, préciser quel type
d'information doit circuler librement, et sous quelle forme. Un tel
détail est nécessaire pour évaluer la
pertinence d'une transformation
culturelle pour atteindre les objectifs visés.
• Évaluer les atouts et les freins
de la culture actuelle.
La seconde étape consiste à
dresser un diagnostic de la culture
actuelle, afin d'identifier ses atouts
et ses freins dans la réalisation des
changements visés. Il faut pour
cela procéder selon la démarche
d'analyse indiquée plus haut.
Focalisez-vous d'abord sur
l'identification des atouts de la
culture existante pour atteindre
vos objectifs. Il ne faut pas
oublier que l'enjeu n'est pas de
créer une nouvelle culture, mais
seulement de faire évoluer les
éléments qui bloquent les changements souhaités.
Identifiez ensuite les éléments
culturels qui peuvent constituer
des freins aux changements nécessaires. Par exemple, un des changements visés peut être d'organiser
la force de vente en équipes, capables de développer collectivement
des grands comptes. Si le diagnostic montre que la culture valorise
avant tout la performance indivi-
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E
Minimiser la crainte du changement
8 leviers importants sont nécessaires pour créer un climat psychologique favorable
au changement culturel :
• une vision claire et motivante de l'avenir possible à l'issue de la transformation
• des formations aux nouveaux savoir-faire à acquérir
• une influence de chacun sur son programme de formation, afin de favoriser
la responsabilisation individuelle et l'adaptation aux besoins de chacun
• des actions de sensibilisation et d'acculturation collectives, permettant de
construire de nouvelles normes culturelles au sein de son groupe d'appartenance
• des "travaux pratiques", permettant à chacun de s'exercer aux nouvelles
pratiques dans un environnement moins risqué, en bénéficiant de support
et du feed-back
• des "modèles", fournis par exemple par des managers représentatifs des valeurs
à développer
• des groupes d'échanges et de discussions, dans lesquels les collaborateurs
peuvent échanger librement entre eux sur les difficultés rencontrées
et les frustrations vécues, et s'apporter un soutien mutuel
• des systèmes de management - structure, systèmes d'évaluation, etc. en cohérence avec les nouvelles valeurs
duelle, vous aurez identifié là un
défi à relever lors du programme
de changement.
• Bâtir le programme
de transformation.
À ce stade, l'équipe dispose d'une
vision claire de deux éléments :
– les évolutions concrètes attendues dans les comportements et
les modes de travail;
– les atouts et les freins de la culture actuelle pour réussir ces
évolutions.
Il s'agit maintenant de bâtir un
programme de changement, en
s'appuyant sur l'ensemble des mécanismes de transformation énoncés plus haut (figure E).
En concevant ce programme, il
faut s'efforcer de tirer parti au mieux
des atouts de la culture existante.
Au-delà de faciliter directement les
changements attendus, la ré-affirmation d'une partie des croyances existantes permet de minimiser l'anxiété
liée au changement.
Les efforts de transformation culturelle engagés par "Alpha Power"
en sont une illustration. Suite à l'explosion d'une de ses installations,
provoquant une pollution grave,
cette compagnie d'électricité a décidé de sensibiliser ses employés au
respect de l'environnement. Il a vite
été constaté qu'il s'agissait là d'un
véritable défi culturel : le code
d'honneur des employés était de
"faire ce qu'il fallait" pour minimiser
toute interruption du service, même
au prix d'une violation des règles de
sécurité ou de protection de l'environnement. En particulier, 3 valeurs
fortes sont apparues comme des
obstacles potentiels forts :
– un respect pour l'indépendance
individuelle, qui interdit toute
critique vis-à-vis d'un collègue
qui enfreint les règles;
– un respect profond pour la hiérarchie, qui conduit à suivre des
ordres contraires au réglement;
– une forte loyauté à son unité de
base, qui interdit toute dénonciation d'un manquement au règlement.
Face à ces défis, l'entreprise s'est
efforcée d'identifier comment la
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culture pouvait aider les changements. En particulier, elle a décidé
de s'appuyer sur les valeurs de respect de la hiérarchie et de paternalisme. Elle a ainsi pris toute une série de mesure tirant parti de ces
leviers :
– un directeur de l'environnement
a été nommé dans chaque unité;
– chaque employé a reçu une petite carte avec des instructions
précises en cas de risque environnemental - incluant l'appel à
un expert en environnement;
– etc.
Pour faire évoluer la règle qui
interdisait de critiquer ses collègues, plusieurs mesures ont été prises afin de renforcer le sentiment
de responsabilité collective. Par
exemple, il a été décidé que les
audits postérieurs à un accident ne
seraient pas confiés seulement à
des experts, mais aussi à des membres des équipes opérationnelles.
Ainsi, l'importance des respects
des règles est progressivement devenue une norme interne aux équipes de travail.
•••
Le principal danger pour un manager serait de sous-estimer la
force de la culture d'entreprise.
Que ce soit en l'ignorant : à
l'exemple du dirigeant d'Atari, il
risquerait d'en subir des effets inattendus. Ou en pensant pouvoir la
modeler aisément : proclamer de
nouvelles valeurs est bien dérisoire
au regard de croyances collectives
profondément ancrées !
Il faut donc adopter une attitude
pragmatique : reconnaître la force
de la culture, tirer parti de ses
atouts, et n'entreprendre sa remise
en cause qu'en pleine conscience
des efforts nécessaires.
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MAN_syn_a.fm Page 10 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11
commentaire critique de l’ouvrage
Par John S. Carroll, professeur à Sloan School of Management, MIT.
l'aube du XXIe siècle, il
apparaît évident que les
dirigeants vont devoir
développer leurs compétences en matière de culture d'entreprise, qu'il s'agisse d'en
faire le diagnostic, d'en tirer parti
ou de la faire évoluer. Les frontières
entre organisations sont en effet de
plus en plus mouvantes, du fait des
phénomènes de fusions, d'acquisitions, d'alliances et d'outsourcing.
Le rapprochement de Renault et
Nissan, Citicorp et Travelers ou
Daimler et Chrysler en sont de récents exemples. De même, au sein
des entreprises, les parcours individuels requierent une capacité
d'adaptation culturelle accrue. Les
carrières sont devenues des voyages
entre niveaux hiérarchiques, fonctions, entreprises, secteurs d'activité
et pays.
Dans cet environnement marqué
par le changement permanent, la
culture d'entreprise s'avère parfois
une attache à des pratiques autrefois performantes, mais aujourd'hui
inadaptées. Le paysage économique
est jonché de fusions ratées, de discordes entre équipes de direction,
d'efforts de changement sans effet
et de managers écartés de leur organisation. Savoir gérer les impacts de
la culture est ainsi un défi à la fois
stratégique, tactique et personnel
pour les dirigeants.
Ed Schein a travaillé sur ce sujet
pendant des décennies. Sa structuration de la culture en 3 niveaux -
À
manifestations visibles, valeurs proclamées et croyances tacites partagées - est désormais largement reconnue dans le monde universitaire
et de l'entreprise. Surtout, il a travaillé avec des dirigeants pour les
aider à comprendre et faire évoluer
la culture de leur entreprise. Ses enseignements sont donc précieux. En
particulier, il nous alerte sur les dangers d'une approche adoptée par un
trop grand nombre de consultants :
réalisez un questionnaire, mesurez
ainsi votre culture, élaborez une vision, énoncez les nouvelles valeurs,
et proclamez la victoire ! En effet, la
culture est le résultat unique et imprévisible de l'expérience collective
- et à ce titre défie les modèles simplistes. On peut par exemple mettre
en évidence que DEC et CibaGeigy se considéraient chacune
comme "une grande famille". Mais
celle de DEC était composée d'adolescents rebelles défiant leurs parents, tandis que celle de CibaGeigy rassemblait des enfants sages
et obéissants. Comment alors imaginer pouvoir réduire la culture à
quelques dimensions simples et
prédéfinies !
Schein parvient à nous proposer
une description claire de la culture
dans toute sa complexité. Il nous
montre à quel point celle-ci est
multiforme, profonde et cachée,
mais peut être analysée et gérée si
les dirigeants s'en donnent les
moyens. Son livre est riche d'exemples concrets issus d'entreprises aux
différentes phases de leur vie, de la
start-up au groupe établi. Il conseille sagement aux managers d'éviter de partir avec l'idée de changer
la culture. Il les incite plutôt à imaginer d'abord comment tirer parti
des forces de la culture existante
pour obtenir les changements souhaités. Et ne chercher à faire évoluer que les aspects réellement contre-productifs de la culture.
Transformer une culture est en effet
un processus long et difficile, qui
nécessite d'avancer par essais progressifs, avec humilité.
John S. Carroll est Professor of Behavioral
and Policy Sciences à Sloan School of
Management, au MIT. Ses travaux de
recherche portent sur les processus de prise de
décision, ainsi que la conduite du changement,
en particulier dans les industries à haut risque
telles que le nucléaire ou la pétrochimie.
Bibliographie
• ORGANIZATIONAL
TRANSITIONS, R. Beckhard et
R. T. Harris, éd. Addison-Wesley, 1987.
• PROCESS CONSULTATION
REVISITED, E. H. Schein, éd. AddisonWesley, 1999.
• THE FIFTH DISCIPLINE
FIELDBOOK, sous la direction
de P. M. Senge, Doubleday, 1994.
• THREE CULTURES OF
MANAGEMENT, E. H. Schein, in
Sloan Management Review, n° 38, 1996.
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