La culture - Cyberlearn
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MAN_syn_a.fm Page 3 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 THE CORPORATE CULTURE SURVIVAL GUIDE Edgar H. Schein Edgar H. Schein est Professor of Management à Sloan School of Management, au MIT. Éditions Jossey-Bass, 1999, 199 pages. Avec le commentaire de John S. Carroll, Professor of Behavioral and Policy Sciences à Sloan School of Management, au MIT. idées clés Comprendre et gérer les implications de la culture d'entreprise. La culture d'entreprise est une notion souvent déroutante. La simple observation met clairement en évidence d'importantes différences de styles entre entreprises. Mais comment analyser une culture ? Et quelle prise peut-on avoir sur elle ? - Le cœur de la culture d'entreprise est constitué de croyances inconscientes, partagées par l'ensemble de l'organisation. La culture peut être analysée à 3 niveaux, du plus superficiel au plus profond : – les manifestations visibles, directement observables, comme le code vestimentaire; – les valeurs proclamées, officiellement mises en avant par l'organisation; – les croyances partagées par la collectivité, souvent inconscientes tellement elles paraissent "évidentes" aux membres de l'entreprise. Ces croyances ont un impact déterminant sur le fonctionnement de l'organisation. - Une culture ne peut se déchiffrer qu'au travers d'exercices de groupes. L'utilisation de questionnaires pour analyser une culture est une erreur. Les croyances partagées les plus puissantes ne peuvent être identifiées qu'au travers de l'animation et de l'observation de débats collectifs. - Vouloir changer la culture n'est généralement pas l'approche la plus efficace pour transformer l'organisation. Faire évoluer une culture est extrêmement difficile. Il est souvent plus efficace de tirer parti des atouts de la culture existante, plutôt que de vouloir corriger ses défauts. The Corporate Culture Survival Guide m • N° 79a 3 MAN_syn_a.fm Page 4 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 synthèse de l’ouvrage 1 La culture : un facteur décisif La culture a un impact déterminant sur le fonctionnement de l'organisation. Ignorer l'existence de la culture d'entreprise peut avoir des conséquences désastreuses. Atari l'a appris à ses dépens, alors qu'elle était une compagnie florissante. Le conseil d'administration a nommé un nouveau Directeur Général. Celui-ci, recruté à l'extérieur, était un gestionnaire rigoureux, attaché à un pilotage clair des performances individuelles. Il a décidé de mettre de l'ordre dans une organisation apparemment désorganisée, où l'on ne savait pas qui avait contribué à quel succès. Il a instauré un système strict de définition des objectifs et de motivation individuelle - incluant par exemple la nomination de "l'ingénieur du mois". Contre toutes attentes, il s'en est suivi une profonde démotivation et le départ des meilleurs développeurs ! Cet échec s'explique par un manque de compréhension de la culture. Le dirigeant n'avait pas perçu que les méthodes de travail des ingénieurs d'Atari reposaient sur de multiples échanges informels, sources d'une forte créativité collective. En introduisant des mécanismes de compétitivité individuelle, il a détruit ce climat de collaboration et le plaisir qu'en retiraient les individus. Cet exemple n'est pas isolé. Même s'il est un peu tôt pour en tirer toutes les leçons, les difficultés de John Sculley à la tête d'Apple Computer s'apparentent à la situation d'Atari. Malgré tous ses efforts, Sculley n'est jamais parvenu à gagner le respect d'une culture profondément technicienne. Tous ses efforts de changement se sont heurtés à cette barrière culturelle. Il n'est pas surprenant qu'Apple ait souhaité rappeler un de ses fondateurs, Steve Jobs, pour reprendre les rênes de l'entreprise. • Les manifestations visibles. 2 Les composantes de la culture Le cœur de la culture est constitué des croyances tacites partagées par l'ensemble de l'organisation. La culture peut jouer un rôle clé dans le destin d'une entreprise. Malheureusement, les dirigeants sont mal armés pour l'appréhender et la gérer. Et les écrits populaires sur le sujet ne font rien pour arranger cette situation ! La culture y est en effet présentée sous de multiples angles, dont il est difficile de tirer une cohérence. Certains mettent en avant les rites, l'ambiance ou la façon de se vêtir. D'autres se focalisent sur les règles de comportement : l'entreprise devrait par exemple adopter une "cul- A Les 3 niveaux de la culture V stations visible nife s Ma rs proclamée u e s al Croyances tacites partagées 4 m • N° 79a ture de travail en équipe" ou "d'ouverture sur l'extérieur". Une troisième école assimile la culture aux valeurs proclamées par l'entreprise : "le client d'abord", "satisfaire l'actionnaire" ou "protéger l'environnement", etc. En réalité, tous ces éléments ne constituent qu'une représentation partielle et superficielle de la culture. En effet, des travaux de recherche approfondis ont permis de mettre en évidence que la culture est composée de 3 niveaux (figure A) : Les croyances tacites partagées constituent le niveau le moins visible, mais le plus déterminant, de la culture d’entreprise. Ce premier niveau, le plus immédiat, recouvre l'ensemble des manifestations évidentes aux yeux d'un observateur : le code vestimentaire, le décor, l'ambiance, le mode d'interaction entre individus. Ainsi, vous pouvez être frappé par la différence entre deux entreprises : l'une dans laquelle l'espace est ouvert, les collaborateurs vêtus de façon informelle et l'activité visiblement intense ; l'autre dans laquelle les portes des bureaux sont fermées, le code vestimentaire est strict et l'ambiance feutrée. Vous pouvez aimer ou détester l'un ou l'autre de ces environnements. Mais audelà de l'impact émotionnel immédiat, ce premier niveau d'observation vous apporte peu d'information utile. Que signifient ces différences ? Il faut pour cela approfondir l'analyse. • Les valeurs proclamées. Le second niveau d'analyse porte sur les raisons affichées des comportements observés. Il s'agit des explications apportées par les membres de l'organisation quant à leur comportement : "nous laissons les portes ouvertes et circulons fréquemment entre bureaux car nous croyons à la valeur des interactions et du travail en équipe". Dans l'autre entreprise, vous entendez : "les bonnes décisions nécessitent des réflexions posées et des délibérations calmes, en privé". Mais plus vous observerez les comportements, plus vous identifierez des décalages surprenants entre The Corporate Culture Survival Guide MAN_syn_a.fm Page 5 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 certaines valeurs annoncées et la réalité. Par exemple, vous constaterez que les deux entreprises proclament leur attachement au travail en équipe, mais s'appuient l'une comme l'autre sur un système de motivation très individualiste. Pour comprendre ces contradictions - et identifier ce qui motive réellement les comportements - vous devez approfondir votre analyse en examinant le niveau le plus fondamental de la culture. • Les croyances tacites partagées. Ce troisième niveau, qui constitue le cœur de la culture, est composé des croyances fortes, souvent inconscientes, partagées par l'ensemble des membres de l'organisation. Pour comprendre en quoi consistent ces croyances, il faut remonter à leurs origines. Lors de la création de l'entreprise, l'équipe fondatrice impose souvent ses propres valeurs à l'ensemble des employés. Par exemple : "chaque collaborateur doit faire preuve de loyauté vis-àvis de son chef d'équipe". Si l'entreprise réussit et se développe, ces valeurs - ou des variantes issues des enseignements de l'expérience collective - sont progressivement adoptées comme règles du succès. De plus, l'entreprise attire, recrute et promeut naturellement les collaborateurs les plus en accord avec les valeurs partagées. Ainsi, avec le temps, les valeurs initialement promues par les fondateurs, puis expérimentées avec succès par l'entreprise, se traduisent en croyances considérées comme évidentes par tous. À ce stade, les individus sont souvent inconscients de l'influence de ces valeurs sur leur comportement : celles-ci sont en effet du domaine de l'évidence - elles ne méritent de faire l'objet ni de débats ni de remise en cause. Ainsi, dans les entreprises citées en illustration, vous découvrez que la première a été fondée par un créatif, convaincu que seuls des débats animés permettent de prendre de bonnes décisions. Tandis que l'autre a été créée par un scientifique désireux d'exploiter un brevet, ayant bâti pour cela une organisation disciplinée, capable de mettre efficacement en œuvre une solution préexistante. Donnant ainsi B L'influence de la culture La culture d'entreprise influence l'ensemble des aspects fondamentaux de la vie de l'organisation : • Son mode de relation à l’environnement – sa mission et ses buts fondamentaux – sa structure, ses systèmes de management, ses processus – ses systèmes de mesure, de détection et de correction des erreurs • Les règles internes à la collectivité – le langage, les concepts partagés – les règles d'appartenance et d'expression de l'identité – le mode de relations, la nature de l'autorité – les modalités de reconnaissance et d'attribution des statuts • Les hypothèses fondamentales sur l’homme et son environnement – les rapports entre l'homme et la nature (harmonie, domination) – les notions de réalité et de vérité (absolu, relatif) – la nature fondamentale de l'homme (bon, mauvais, invariable, évolutif) – les rapports entre l'individu et la collectivité – la nature du temps et de l'espace naissance à une entreprise dans laquelle la hiérarchie et la discipline sont naturellement considérées comme les fondements d'un fonctionnement efficace. 3 Déchiffrer une culture Les croyances partagées ne peuvent être identifiées qu'en observant des débats collectifs. Comprendre une culture nécessite une analyse approfondie. Les seules manifestations extérieures, directement perceptibles par un observateur, ne suffisent pas à comprendre une culture. La véritable force d'une culture - ce qui rend son influence déterminante sur les comportements - réside en effet dans les croyances partagées par l'organisation. Les déchiffrer nécessite de plonger dans l'inconscient collectif de l'entreprise. Se lancer dans une telle analyse doit être justifié par la volonté de résoudre un problème concret, important. Par exemple : – Comment réussir la conversion vers une économie de marché The Corporate Culture Survival Guide d'une division vivant historiquement de marchés d'Etat ? – Comment instaurer une approche coordonnée des grands comptes, alors que chaque division a jusqu'alors été évaluée sur son succès individuel ? En effet, le domaine à explorer est vaste et influence de multiples aspects de la vie de l'entreprise (figure B). À défaut d'un enjeu bien précis, l'analyse se révèle vite un exercice frustrant, apparemment sans fin, ne découlant sur aucune implication pratique. - Se méfier des questionnaires Une erreur classique consiste à vouloir procéder par questionnaire. Il existe en effet plusieurs questionnaires types d'analyse de la culture. En réalité, un tel questionnaire peut en faire ressortir les manifestations visibles, une partie des valeurs proclamées, et peutêtre une ou deux croyances partagées. Mais en aucun cas il ne permet d'identifier les croyances partagées qui s'avèreront importantes pour le problème analysé. Pour deux raisons : • Avant tout, il est impossible d'identifier les bonnes questions à m • N° 79a 5 MAN_syn_a.fm Page 6 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 poser. L'expérience montre que les croyances importantes pour un problème donné peuvent être d'origines et de natures multiples, impossibles à anticiper. Par exemple, supposez qu'une entreprise ait toujours réussi en maintenant un niveau de trésorerie élevé et un endettement nul. Il se peut que la conviction qu'il est nuisible de s'endetter soit devenue un aspect important de la culture, influençant de nombreuses décisions. Mais rien ne permet par avance de savoir si l'on doit prévoir des questions sur la gestion financière - et encore moins lesquelles. • De plus, la culture est un phénomène collectif. À ce titre, s'appuyer sur des questionnaires individuels se révèle inefficace. Seules des discussions de groupe permettent de faire ressortir ce qui est collectivement important : c'est le meilleur moyen pour évaluer la force des consensus et l'intensité des ressentis collectifs. - Un exercice de groupe L'analyse d'une culture doit reposer sur un exercice de groupe, conduit par un animateur externe à la culture analysée. Ce dernier doit tirer parti de sa position d'observateur pour provoquer le groupe à formuler explicitement ses croyances tacites. Les étapes du travail sont les suivantes : • Recenser les manifestations visibles de la culture. Cette première analyse permet au groupe de commencer à caractériser la culture en examinant ses diverses manifestations. La figure C fournit une check-list pour guider la réflexion sur le sujet. • Identifier les valeurs proclamées. Après environ une heure passée sur les manifestations visibles, le groupe doit ensuite se focaliser sur les valeurs officielles de l'organisation. Souvent, celles-ci sont exprimées explicitement dans diverses publications internes, ou dans 6 m • N° 79a C Les manifestations visibles de la culture Cette liste permet de guider la réflexion pour recenser l'ensemble des manifestations visibles de la culture : – Code vestimentaire – Degré de formalité des relations hiérarchiques – Horaires de travail – Modalités des réunions (fréquence, durée, mode d'interaction) – Fréquence de prise de décisions – Communication, mode de diffusion des informations – Evènements sociaux – Jargon, uniformes, symboles d'identité – Rites et rituels – Mode de gestion des conflits – Équilibre entre vie privée et vie professionnelle l'énoncé de "la vision" de l'entreprise. Par exemple : "le client d'abord", "nous valorisons le travail d'équipe", etc. • Comparer les manifestations visibles avec les valeurs proclamées. L'objectif est ensuite d'identifier les contradictions entre les valeurs proclamées et la réalité. Celles-ci mettent en effet en évidence que le comportement est dicté par une croyance plus puissante que les valeurs proclamées. L'analyse de chaque contradiction permet ainsi d'identifier les croyances partagées. Par exemple, supposez que l'organisation proclame son attachement à une communication franche et ouverte entre niveaux hiérarchiques. Mais que vous détectiez, dans les manifestations visibles, que ceux qui transmettent les mauvaises nouvelles sont punis, ou qu'il ne faut mentionner un problème qu'avec une solution à proposer. Cela met clairement en évidence un élément plus profond de la culture - à savoir que seules les communications positives sont jugées acceptables. L'examen successif des différentes contradictions observées conduit progressivement à mettre en lumière la logique d'ensemble des croyances tacites partagées. • Répéter ce travail si nécessaire avec d'autres groupes. Ce même travail peut être répété avec d'autres groupes, afin d'affiner les résultats. Si vous pensez qu'il existe plusieurs cultures au sein de l'organisation - liées à l'historique propre des différents départements, ou à une fusion passée - vous pouvez approfondir l'analyse en conduisant l'exercice avec des groupes représentatifs de ces cultures. 4 Faire évoluer la culture Il arrive que la culture - ensemble de règles héritées des succès passés s'avère inadaptée aux défis présents ou futurs de l'entreprise. On peut alors distinguer 2 cas de figure : – si l'entreprise est encore jeune, on peut chercher à influencer la formation de la culture; – si la culture est déjà forte, il faut soit détruire la culture, soit s'engager dans un programme de transformation dans la durée. Nous allons examiner chacun de ces cas de figure. - La jeune entreprise La promotion de nouvelles valeurs peut suffire à influencer la culture d'une jeune entreprise. Nous nous plaçons ici dans le cas d'une entreprise encore relativement jeune, dirigée par ses fon- The Corporate Culture Survival Guide MAN_syn_a.fm Page 7 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 dateurs ou leur famille. La notion importante ici est que la culture n'est pas seulement le résultat d'expériences passées : elle est en cours de construction, sous l'influence directe des valeurs des fondateurs (figure D). Cela crée deux différences importantes par rapport à une organisation mature : – Toute proposition délibérée de faire évoluer la culture a toutes les chances d'être rejetée, dans la mesure où la culture est un reflet direct des valeurs du fondateur. – Pour autant, la culture peut plus aisément être influencée. Elle repose en effet encore fortement sur le comportement des leaders. Faire évoluer ce dernier est plus aisé que de s'attaquer à des croyances tacites, enfouies dans l'inconscient collectif. Dans une telle situation, le manager ou le consultant désireux de faire évoluer la culture disposent principalement de 2 leviers : • Aider l'organisation à prendre conscience de ses croyances implicites. Dans une jeune organisation, le simple fait de provoquer une prise de conscience des croyances implicites peut permettre une évolution de la culture. En effet, les dirigeants gar- dent une influence forte sur son élaboration. S'ils prennent conscience des croyances tacites qui les guident, ils sont à même de remettre en cause celles qui leur paraîtront inappropriées. Ce phénomène est l'équivalent d'une psychothérapie, au niveau d'une équipe et non d'un individu. C'est ainsi que les managers de "Gamma Tech", une jeune société de haute technologie, ont remis en cause leur manque de considération pour le marketing. Ils avaient toujours considéré qu'il s'agissait d'une fonction subalterne, dont le rôle se limitait au lancement des produits sur le marché. Avec l'aide d'un consultant, ils ont pris conscience de l'impact qu'elle pouvait avoir sur des enjeux stratégiques à leurs yeux : anticipation des besoins des clients, stratégie produit à long terme, etc. Sur ces bases, ils ont accordé plus d'attention au marketing. Les succès rencontrés ensuite les ont confortés dans cette attitude. La perception d'un rôle stratégique du marketing fait désormais partie de leur culture. • Promouvoir des managers porteurs des valeurs à développer. La nomination de managers soigneusement choisis est un deuxième levier d'évolution de la culture. Ainsi, à une période de D L'influence des fondateurs sur la culture La culture d'une entreprise est fortement marquée par l'influence des fondateurs. Cette influence s'exerce principalement au moyen des éléments suivants : • Leviers fondamentaux d’influence. – la nature des éléments régulièrement mesurés et contrôlés – le mode de réaction aux incidents critiques et aux crises – les critères implicites d'allocation des ressources – l'influence délibérée sur les collaborateurs – les critères implicites d'allocation des récompenses et des statuts – les critères implicites de recrutement, de promotion, de licenciement ou d'excommunication • Leviers secondaires, de confirmation. – structure d'organisation – systèmes de management et procédures – rites et rituels – organisation de l'espace et des bâtiments – mythes et légendes – énoncés officiels des missions et des valeurs de l'organisation The Corporate Culture Survival Guide forte croissante, DEC a souffert de sa culture fondée sur des valeurs de débats ouverts et de devoir d'insubordination en cas de désaccord. Pour contrer ce phénomène, les dirigeants ont favorisé la nomination de managers issus de la production et du SAV, où la discipline était la norme. Ces managers ont su fonctionner dans la culture dominante, tout en imposant graduellement une plus forte discipline. Il est important ici de procéder par promotion interne, et non par recrutement externe. En effet, à ce stade de développement, l'attachement aux valeurs de l'organisation est tel qu'une nouvelle recrue n'a généralement d'autre choix que de s'intégrer, ou de partir après un constat d'échec. Tandis que le manager promu en interne bénéficie d'une image de "membre de la famille", qui lui confère de la crédibilité et lui laisse une plus grande latitude de remise en cause. - L'entreprise mature La transformation progressive de la culture d'une entreprise mature nécessite 5 à 15 ans. Dans une organisation plus mature, de tels leviers d'évolution deviennent insuffisants. En effet, une fois passée la phase de construction de l'organisation, une fois les fondateurs ou leurs descendants directs remplacés par des dirigeants professionnels, les croyances tacites sont bien ancrées. Il ne s'agit plus alors d'influencer une culture en cours de construction, mais bel et bien de supprimer certaines croyances pour les remplacer par d'autres. Si l'entreprise est en situation de crise, et qu'une transformation culturelle rapide est nécessaire, il n'existe alors pas d'autres solutions que de détruire la culture existante. Cela nécessite des mesures radicales et implique un coût humain extrêmement élevé : il faut en effet impérativement se séparer de ceux qui ne parviennent pas à se convertir aux nouvelles valeurs. m • N° 79a 7 MAN_syn_a.fm Page 8 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 Mais si l'entreprise dispose de temps, une transformation progressive est possible. Remettre en cause des croyances fondamentales sans pour autant détruire et reconstruire l'organisation nécessite typiquement de 5 à 15 ans. L'expérience de Procter & Gamble dans les années 50 en est une illustration claire. À l'époque, l'entreprise a décidé de réorganiser ses usines pour favoriser l'autonomie et l'efficacité locales. Consciente qu'elle ne parviendrait jamais à imposer ce nouveau mode de management aux managers et aux syndicats en place, l'entreprise a créé une nouvelle usine modèle, "Augusta". Celle-ci s'est avérée rapidement très performante. Mais il a fallu 15 ans d'efforts de formation et de diffusion de ces nouvelles pratiques pour finalement convertir l'ensemble des usines du groupe. Plus proches de nous dans le temps, les efforts de Jack Welch pour transformer General Electric se sont déroulés sur une période de temps similaire. Principes Toute la difficulté d'une transformation de culture tient à ce que les membres de l'organisation doivent "désapprendre" un certain nombre de croyances profondément ancrées. Or, ces croyances jouent pour eux un rôle important dans leur activité quotidienne : par exemple, croire que "la supériorité technique prime" sert de référence commune dans l'analyse d'une situation concurrentielle, de guide dans les choix de conception des produits, etc. Remettre en cause une telle croyance se heurte donc naturellement à une forte résistance psychologique, fondée sur plusieurs craintes : – la peur d'être incompétent, dans la mesure où l'on doit abandonner ce que l'on maîtrise bien pour le remplacer par une approche mal connue - par exemple, "répondre au mieux aux besoins", plutôt que "créer le produit le plus performant"; – la crainte de perdre son identité, lorsqu'on se sent personnellement attaché aux valeurs remises en cause; 8 m • N° 79a – la peur d'être rejeté par ses pairs, dans la mesure où l'on adopterait des valeurs contraires à celles qui prédominent actuellement parmi ses collègues. L'enjeu du succès d'une transformation culturelle réside ainsi dans 2 points : • La crainte du statu quo doit être supérieure à la crainte du changement. La résistance psychologique au changement est inévitable. Pour la surmonter, la vision d'un meilleur avenir possible suffit rarement. Les collaborateurs doivent aussi être motivés par un sentiment d'insatisfaction, ou de menace en cas de statu quo. Cela peut être provoqué par une menace économique - perte d'emploi ou de pouvoir d'achat -, une menace politique - prise de pouvoir par un groupe extérieur -, un scandale, la confrontation à une autre culture lors d'une fusion, etc. • Il vaut mieux minimiser la crainte du changement qu'accroître la crainte du statu quo. En effet, renforcer la crainte du statu quo risque de provoquer des réactions défensives - et de décourager d'affronter l'angoisse inévitable liée à l'apprentissage d'une nouvelle culture. Il faut donc s'efforcer de créer un climat de sécurité psychologique, destiné à minimiser l'angoisse du changement. Cela repose sur 8 points importants, présentés en figure E. Organisation L'organisation pratique d'un programme de transformation culturelle repose sur les points suivants : • Constituer une équipe de pilotage. Cette équipe doit inclure des dirigeants du plus haut niveau, des représentants des groupes les plus touchés par les transformations à venir, ainsi que quelques observateurs externes - plus à même de prendre du recul par rapport à la culture. Chaque membre doit con- sacrer entre un mi-temps et un temps plein aux travaux. • Définir précisément la cible opérationnelle. Seule une définition concrète et précise des objectifs permet de valider la pertinence d'une transformation culturelle, puis de guider les efforts. La première tâche de l'équipe de pilotage est donc de définir précisément les besoins. À ce stade, il faut veiller à aller au-delà d'intentions générales, telles que "nous devons plus travailler en équipe", ou "nous devons favoriser l'ouverture et le dialogue". Il est indispensable de préciser quels comportements précis on souhaite obtenir, et dans quel but. Par exemple, il faut préciser si l'on veut que chaque unité soit évaluée selon des résultats collectifs plutôt qu'individuels; pour quelles tâches un travail d'équipe est indispensable, et quelle forme précise il doit prendre. Ou encore, en matière de communication, préciser quel type d'information doit circuler librement, et sous quelle forme. Un tel détail est nécessaire pour évaluer la pertinence d'une transformation culturelle pour atteindre les objectifs visés. • Évaluer les atouts et les freins de la culture actuelle. La seconde étape consiste à dresser un diagnostic de la culture actuelle, afin d'identifier ses atouts et ses freins dans la réalisation des changements visés. Il faut pour cela procéder selon la démarche d'analyse indiquée plus haut. Focalisez-vous d'abord sur l'identification des atouts de la culture existante pour atteindre vos objectifs. Il ne faut pas oublier que l'enjeu n'est pas de créer une nouvelle culture, mais seulement de faire évoluer les éléments qui bloquent les changements souhaités. Identifiez ensuite les éléments culturels qui peuvent constituer des freins aux changements nécessaires. Par exemple, un des changements visés peut être d'organiser la force de vente en équipes, capables de développer collectivement des grands comptes. Si le diagnostic montre que la culture valorise avant tout la performance indivi- The Corporate Culture Survival Guide MAN_syn_a.fm Page 9 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 E Minimiser la crainte du changement 8 leviers importants sont nécessaires pour créer un climat psychologique favorable au changement culturel : • une vision claire et motivante de l'avenir possible à l'issue de la transformation • des formations aux nouveaux savoir-faire à acquérir • une influence de chacun sur son programme de formation, afin de favoriser la responsabilisation individuelle et l'adaptation aux besoins de chacun • des actions de sensibilisation et d'acculturation collectives, permettant de construire de nouvelles normes culturelles au sein de son groupe d'appartenance • des "travaux pratiques", permettant à chacun de s'exercer aux nouvelles pratiques dans un environnement moins risqué, en bénéficiant de support et du feed-back • des "modèles", fournis par exemple par des managers représentatifs des valeurs à développer • des groupes d'échanges et de discussions, dans lesquels les collaborateurs peuvent échanger librement entre eux sur les difficultés rencontrées et les frustrations vécues, et s'apporter un soutien mutuel • des systèmes de management - structure, systèmes d'évaluation, etc. en cohérence avec les nouvelles valeurs duelle, vous aurez identifié là un défi à relever lors du programme de changement. • Bâtir le programme de transformation. À ce stade, l'équipe dispose d'une vision claire de deux éléments : – les évolutions concrètes attendues dans les comportements et les modes de travail; – les atouts et les freins de la culture actuelle pour réussir ces évolutions. Il s'agit maintenant de bâtir un programme de changement, en s'appuyant sur l'ensemble des mécanismes de transformation énoncés plus haut (figure E). En concevant ce programme, il faut s'efforcer de tirer parti au mieux des atouts de la culture existante. Au-delà de faciliter directement les changements attendus, la ré-affirmation d'une partie des croyances existantes permet de minimiser l'anxiété liée au changement. Les efforts de transformation culturelle engagés par "Alpha Power" en sont une illustration. Suite à l'explosion d'une de ses installations, provoquant une pollution grave, cette compagnie d'électricité a décidé de sensibiliser ses employés au respect de l'environnement. Il a vite été constaté qu'il s'agissait là d'un véritable défi culturel : le code d'honneur des employés était de "faire ce qu'il fallait" pour minimiser toute interruption du service, même au prix d'une violation des règles de sécurité ou de protection de l'environnement. En particulier, 3 valeurs fortes sont apparues comme des obstacles potentiels forts : – un respect pour l'indépendance individuelle, qui interdit toute critique vis-à-vis d'un collègue qui enfreint les règles; – un respect profond pour la hiérarchie, qui conduit à suivre des ordres contraires au réglement; – une forte loyauté à son unité de base, qui interdit toute dénonciation d'un manquement au règlement. Face à ces défis, l'entreprise s'est efforcée d'identifier comment la The Corporate Culture Survival Guide culture pouvait aider les changements. En particulier, elle a décidé de s'appuyer sur les valeurs de respect de la hiérarchie et de paternalisme. Elle a ainsi pris toute une série de mesure tirant parti de ces leviers : – un directeur de l'environnement a été nommé dans chaque unité; – chaque employé a reçu une petite carte avec des instructions précises en cas de risque environnemental - incluant l'appel à un expert en environnement; – etc. Pour faire évoluer la règle qui interdisait de critiquer ses collègues, plusieurs mesures ont été prises afin de renforcer le sentiment de responsabilité collective. Par exemple, il a été décidé que les audits postérieurs à un accident ne seraient pas confiés seulement à des experts, mais aussi à des membres des équipes opérationnelles. Ainsi, l'importance des respects des règles est progressivement devenue une norme interne aux équipes de travail. ••• Le principal danger pour un manager serait de sous-estimer la force de la culture d'entreprise. Que ce soit en l'ignorant : à l'exemple du dirigeant d'Atari, il risquerait d'en subir des effets inattendus. Ou en pensant pouvoir la modeler aisément : proclamer de nouvelles valeurs est bien dérisoire au regard de croyances collectives profondément ancrées ! Il faut donc adopter une attitude pragmatique : reconnaître la force de la culture, tirer parti de ses atouts, et n'entreprendre sa remise en cause qu'en pleine conscience des efforts nécessaires. m • N° 79a 9 MAN_syn_a.fm Page 10 Jeudi, 16. mars 2000 11:22 11 commentaire critique de l’ouvrage Par John S. Carroll, professeur à Sloan School of Management, MIT. l'aube du XXIe siècle, il apparaît évident que les dirigeants vont devoir développer leurs compétences en matière de culture d'entreprise, qu'il s'agisse d'en faire le diagnostic, d'en tirer parti ou de la faire évoluer. Les frontières entre organisations sont en effet de plus en plus mouvantes, du fait des phénomènes de fusions, d'acquisitions, d'alliances et d'outsourcing. Le rapprochement de Renault et Nissan, Citicorp et Travelers ou Daimler et Chrysler en sont de récents exemples. De même, au sein des entreprises, les parcours individuels requierent une capacité d'adaptation culturelle accrue. Les carrières sont devenues des voyages entre niveaux hiérarchiques, fonctions, entreprises, secteurs d'activité et pays. Dans cet environnement marqué par le changement permanent, la culture d'entreprise s'avère parfois une attache à des pratiques autrefois performantes, mais aujourd'hui inadaptées. Le paysage économique est jonché de fusions ratées, de discordes entre équipes de direction, d'efforts de changement sans effet et de managers écartés de leur organisation. Savoir gérer les impacts de la culture est ainsi un défi à la fois stratégique, tactique et personnel pour les dirigeants. Ed Schein a travaillé sur ce sujet pendant des décennies. Sa structuration de la culture en 3 niveaux - À manifestations visibles, valeurs proclamées et croyances tacites partagées - est désormais largement reconnue dans le monde universitaire et de l'entreprise. Surtout, il a travaillé avec des dirigeants pour les aider à comprendre et faire évoluer la culture de leur entreprise. Ses enseignements sont donc précieux. En particulier, il nous alerte sur les dangers d'une approche adoptée par un trop grand nombre de consultants : réalisez un questionnaire, mesurez ainsi votre culture, élaborez une vision, énoncez les nouvelles valeurs, et proclamez la victoire ! En effet, la culture est le résultat unique et imprévisible de l'expérience collective - et à ce titre défie les modèles simplistes. On peut par exemple mettre en évidence que DEC et CibaGeigy se considéraient chacune comme "une grande famille". Mais celle de DEC était composée d'adolescents rebelles défiant leurs parents, tandis que celle de CibaGeigy rassemblait des enfants sages et obéissants. Comment alors imaginer pouvoir réduire la culture à quelques dimensions simples et prédéfinies ! Schein parvient à nous proposer une description claire de la culture dans toute sa complexité. Il nous montre à quel point celle-ci est multiforme, profonde et cachée, mais peut être analysée et gérée si les dirigeants s'en donnent les moyens. Son livre est riche d'exemples concrets issus d'entreprises aux différentes phases de leur vie, de la start-up au groupe établi. Il conseille sagement aux managers d'éviter de partir avec l'idée de changer la culture. Il les incite plutôt à imaginer d'abord comment tirer parti des forces de la culture existante pour obtenir les changements souhaités. Et ne chercher à faire évoluer que les aspects réellement contre-productifs de la culture. Transformer une culture est en effet un processus long et difficile, qui nécessite d'avancer par essais progressifs, avec humilité. John S. Carroll est Professor of Behavioral and Policy Sciences à Sloan School of Management, au MIT. Ses travaux de recherche portent sur les processus de prise de décision, ainsi que la conduite du changement, en particulier dans les industries à haut risque telles que le nucléaire ou la pétrochimie. Bibliographie • ORGANIZATIONAL TRANSITIONS, R. Beckhard et R. T. Harris, éd. Addison-Wesley, 1987. • PROCESS CONSULTATION REVISITED, E. H. Schein, éd. AddisonWesley, 1999. • THE FIFTH DISCIPLINE FIELDBOOK, sous la direction de P. M. Senge, Doubleday, 1994. • THREE CULTURES OF MANAGEMENT, E. H. Schein, in Sloan Management Review, n° 38, 1996. MANAGERIS • 135, rue du Mont-Cenis - 75018 Paris • Tél : 01 42 57 70 67 • Fax : 01 42 57 70 38 • E.mail : [email protected] Retrouvez l’ensemble des ouvrages sélectionnés par Manageris sur www.manageris.com Directeur de la publication : Etienne Baërd Rédaction : Chrystel Martin Direction : Sabine de Virieu Service commercial : Marcelina Labarre Solutions intranet : Pierre Bass Relations abonnés : Sofia Polini Maquette : Barbary & Courte Impression : Promoprint Publication mensuelle composée de 2 synthèses, éditée par Manageris SARL au capital de 50 000 F RCS B 388 524 290 Commission paritaire : 74245 Copyright 2000. 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