BLOIS 2016-Les Diasporas

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Natalia Muchnik - Anne-Christine Trémon - Francesca Trivellato - Stephane
Dufoix -
BLOIS 2016-Les Diasporas
Samedi 8 octobre - Table ronde - Amphi 2, Université Rabelais - 16h30 - Le modérateur Guillaume Calafat,
par Annie De Nicola
Mise en ligne : lundi 24 octobre 2016
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A quoi sert-il de faire l’histoire d’un mot ?
Interroge Stéphane Dufoix, premier intervenant à prendre la parole. « Dans son voyage à travers
tous les âges, diaspora, semble se perdre dans les méandres de ses significations. Cette pandémie
rongeuse, source de nombreux conflits au sein de la communauté scientifique, est alors le cheval
de bataille de Stéphane Dufoix » rapporte Caroline CAPLAN, doctorante à l’université de
Montpellier dans une note de lecture pour la Revue Européenne des Migrations Internationales. Ce
sociologue de l’Université Paris X Nanterre pose d’abord ce postulat, l’enjeu essentiel est la
définition en tant que telle que l’on accole au mot diaspora. Il propose de commencer par une
rapide historicité du mot "diaspora" et de mettre en évidence ensuite son ambiguïté théorique et de
suggérer la mise en place de plusieurs concepts complétifs. [1]
Le terme de diaspora apparaît pour la première fois dans le texte de la Bible des Septante, de
l’Ancien Testament, traduit en grec de la Bible hébraïque au IIIe siècle avant J.C. Le vocable porte
une connotation religieuse et non la désignation de la dispersion d’un groupe, le sens pris plus
tardivement. Le conférencier rappelle l’étymologie grecque, "diaspora" viendrait du verbe grec diaspeirô- dont l’usage est attesté depuis le Ve siècle av.J.C. Ce mot ne comporte aucune
connotation négative, il ne ferait donc pas référence à l’origine d’une dispersion réelle, ne
correspondrait pas à l’exil des juifs à Babylone mais il désignerait plutôt un châtiment, à la
punition divine qui attendrait les hébreux s’ils n’obéissaient pas à leur Dieu. Ce ne serait qu’après
la destruction Second temple de Jérusalem que les juifs utiliseraient le terme de « diaspora » en
tant que dispersion historique.
Le terme est ensuite associé à une connotation religieuse pour désigner la dispersion des juifs et
des chrétiens, des communautés religieuses persécutées. Jusqu’au début du XXe siècle, l’usage du
terme se transforme avec l’apport des sciences humaines avec la sécularisation des sociétés
occidentales, avec la banalisation, le déplacement de populations aux causes diverses et la
"formalisation", définie par Stephane Dufoix avec la mise en place de critères différents et d’une
typologie de diasporas aussi disparates que complexes.
Au terme de cette introduction Stephane Dufoix rappelle la véritable inflation de sens du terme,
des années 1970 jusqu’au au cours des années 1990. [2]
C’est avec les sciences sociales que le mot est devenu polysémique et polémique tant il désigne à la
fois un phénomène de dispersion, une organisation ethnique, nationale ou religieuse, une
population dispersée sur plusieurs territoires, les lieux de la dispersion, des espaces d’échanges.
Avec l’époque contemporaine, l’usage du mot augmente et il tend à s’appliquer à des groupes
toujours plus nombreux et plus divers. Le mot fait partie du langage courant, employé désormais
dans le milieu politique ou dans les médias. La multiplicité des usages et des significations qui lui
sont associées conduit Stephane Dufoix à considérer le terme aujourd’hui plus nuisible qu’utile et
qu’il faut réhabiliter cette dynamique qu’est la diaspora. Autant de différents sens actuels
recouverts par ce terme qui renvoie à la problématique de départ proposé par le modérateur,
Guillaume Calafat : Quelles diasporas pour quels enjeux ?
C’est au tour de Francesca Trivellato, Professeur d’histoire économique et sociale de la
Méditerranée moderne de l’Université de Yale, de prendre la parole pour appuyer la thèse de
Stéphane Dufoix sur la vulgarisation récente du mot « diaspora » et pour montrer la charge positive
dans la connotation des diasporas au cours de années 1990. Pour cette historienne également, le
terme a des résonnances politiques et les grands organismes mondiaux l’utilisèrent positivement
pour aider ces diasporas. Mais le concept de globalisation émergeant à la fin des années 1990,
intègre la nouvelle notion de diaspora de façon négative en rapport avec l’Etat-Nation, symbolisant
la norme absolue des communautés politiques. Puis elle rappelle que les grands organismes
régulateurs mondiaux comme la Banque Mondiale, surtout le Haut Commissariat des Réfugiés en
autres, revoient leurs positions face aux diasporas de plus en plus nombreuses, définies ici comme
des groupes déplacés. En effet depuis la fin des années 1990, ces grandes institutions
internationales demandent aux Etats souverains de prendre conscience de la gestion de la question
des diasporas et de prendre en charge leurs propres ressortissants à l’étranger.
Etiologie des diasporas : des enjeux multiples
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Natalia Muchnik, maître de conférences à l’EHEES, spécialiste des diasporas à l’époque moderne,
présente un exemple des enjeux identitaires et communautaires qui ont motivés l’écriture de
l’ouvrage « Des paroles et de gestes. Constructions marranes en terre d’inquisition ». [3] A travers le cas
des marranes dans l’Espagne des XVIe-XVIIIe siècles, des descendants de juifs convertis au
christianisme au XVe siècle, l’historienne montre que l’individu développe une identité de groupe
soudée par une mémoire et des pratiques partagées, une diaspora à l’intérieur de son propre
territoire, en Espagne des Rois catholiques. Elle a montré dans son travail de recherche que les
marranes, des descendants de juifs convertis au XVe siècle, accusés par l’Inquisition de pratiquer
en secret le judaïsme, ont développé une identité de groupe.
Les marranes n’évoquaient pas le terme de diaspora mais ils se percevaient en tant que groupe. En
ce sens les diasporas de l’époque moderne sont différentes des diasporas de l’époque
contemporaines qui ont pour objectif de ne pas couper les liens avec leur pays d’origine ou bien de
créer un Etat. Pour terminer son propos Natalia Muchnik insiste sur le fait que les marranes
disposent de plusieurs identités potentielles qu’ils alternent selon les situations. Plutôt qu’un
déchirement entre deux religions, les marranes témoignent de l’impossibilité de dissocier les
différentes cultures et identités, d’une pluralité et du caractère illusoire d’une identité homogène.
Ces propos offrent une telle résonnance aujourd’hui qu’ils ont été fortement applaudis. Pour
Natalia Muchnik le travail de croisement sur les différentes diasporas reste un outil encore peu
utilisé pour analyser les diasporas d’hier à aujourd’hui. On peut retrouver cet échange plus détaillé
dans un entretien accordé à Canal-U dans le cadre de EHESS.
Francesca Trivalleto met l’accent à son tour sur d’autres enjeux, sur le type de relations nouées
entres les différentes diasporas, entre les marchands négociants italiens, de Livourne
principalement, ceux du Portugal et de l’Inde, dans des rapports d’échanges socio économiques à
l’époque moderne. Elle s’appuie sur son dernier ouvrage, devenu une référence pour tous les
historiens modernistes, « Corail contre diamants. De la Méditerranée à l’océan Indien au XVIIIe
siècle ». [4]] Cette historienne américaine de l’Université de Yale, a consulté les archives maritimes
de Livourne, un port de Toscane très actif à l’époque moderne jusqu’au début du XXe siècle, pour
étudier la redistribution de la pêche du corail en mer Méditerranée entre les différents réseaux
concernés, un vaste réseau d’échanges reliant le port toscan de Livourne, à Goa d’où sont exportés
des diamants bruts provenant du monde indien. Ce commerce interculturel actif et lucratif à
grande distance est animé par la communauté des marchands juifs à Londres, à Amsterdam, mais
aussi de Livourne, capitale méconnue nous rappelle l’historienne de la diaspora sépharade.
Dans ce port de Livourne à l’activité commerciale maritime dynamique plusieurs dizaines de
"nations" au sens médiéval du terme, de groupes d’origine étrangère, se côtoyaient comme des
marchands anglais, flamands, grecs, arméniens, arabes etc., aux confessions religieuses diverses
comme des chrétiens, des juifs, des musulmans en autres. Elle explique cette promiscuité à
Livourne par la présence d’un décret de tolérance religieuse avec une protection spécifique à
l’égard des marchands juifs. L’historienne se posa alors la question comment avec de telles
origines et aux confessions religieuses différentes, en particulier avec la présence de marchands
juifs et non-juifs, comment ces marchands de corail ont-ils pu nouer des relations commerciales,
développer des réseaux de commerçants entre les différents espaces maritimes, de la
Méditerranée, de l’Atlantique à l’Océan indien et ceci dans un rapport de confiance en sachant
qu’il n’y avait pas de règles codifiées et instituées dans le cadre du grand commerce maritime
international à l’époque ? D’où la problématique de Francesca Trivellato comment et sur quoi des
Juifs sépharades de Livourne, des Hindous de Goa, membres de la caste des Saraswat, des Italiens
catholiques de Lisbonne ont-ils pu s’entendre ? L’historienne montre à la suite de ses recherches
que la perception des diasporas vivant dans un monde clos à l’époque moderne est réductrice,
c’est plutôt l’inverse, un monde fonctionnant davantage en réseau et ouvert à d’autres
communautés qui prévalait.
Anne-Christine Trémon termine ce tour de table sur la présentation d’un autre exemple de
diaspora, celui des descendants migrants chinois dans les îles polynésiennes qui a fait l’objet d’une
thèse en anthropologie présentée en 2005 et intitulée « Les Chinois en Polynésie française.
Configuration d’un champ des identifications. ». [5]
Actuellement cette chercheuse de l’Université de Lausanne, conduit des recherches en Chine
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portant sur la relation entre les villages d’émigration et leur diaspora dans le contexte des
transformations chinoises. Agrégée d’histoire et anthropologue, Anne-Christine Trémon présente
avec clarté la prise de conscience et l’acceptation par les chinois de l’existence ancienne de la
diaspora chinoise. C’est en 1991, à l’Université de Berkeley, que le mot « diaspora » est apparu en
chinois, un vocable utilisé que par les intellectuels américano-chinois car le terme était réfuté par
les autorités chinoises de l’époque. Puis au moment de la création des ZES (des zones économiques
spéciales) sur le delta de la rivière des perles, un espace de libre échange ouvert aux capitaux
étrangers et aux entreprises étrangères et aussi pour attirer les capitaux de la diaspora chinoise,
qu’une première conférence a été consacrée à la diaspora chinoise à la demande des autorités
chinoises. En 2001, est publié « L’Encyclopédie de la diaspora chinoise » sous la direction de Lynn
Pan, d’origine chinoise, de Shanghai, qui clôt le chapitre de la non-reconnaissance du phénomène.
Aujourd’hui on compte plus de 30 millions de migrants chinois. La conférencière revient ensuite
sur l’étude de la diaspora chinoise dans les îles polynésiennes françaises pour expliquer
l’importance de cette migration qui remonte du côté français depuis le XVIIIe siècle et du poids de
cet héritage parmi les ascendants polynésiens qui rejetaient un temps leurs origines, aujourd’hui
davantage revendiquées. C’est cette transition de la reconnaissance sur laquelle souhaite intervenir
l’anthropologue.
Elle précise les contours géographiques concernés par son étude, objet de sa thèse, il s’agit des
descendants des migrants chinois vivant au Nord de l’archipel, où se trouve le chef-lieu Tahiti, les
îles de la Société accueillent le plus de chinois (en particulier des Hakka),au Sud-Est, dans îles
Marquises, au Sud, dans l’Île Australe des Tubuai, au centre, aux Tuamotu. Puis elle rappelle que
les chinois de Polynésie française ont peu à peu perdu leur caractère de diaspora et au bout de la
quatrième génération, apparaissent des identités soit locale, soit métissée, puis entre elles une
nouvelle identité « maori », issue d’une identification choisie dans un contexte de concurrence des
idéologies chinoise et polynésienne. [6]
La conférence se finit sur l’idée communément partagée que les diasporas ne sont pas des
autochtonies, ni des communautés fermées mais des groupes de personnes qui revendiquent la
mémoire de leur passé tout en se fondant dans les sociétés nouvelles d’appartenance pour les
migrants issus des récentes diasporas et pour les descendants de migrants depuis plusieurs
générations les diasporas revendiquées sont le signe d’une reconnaissance de leur métissage plus
culturel que identitaire. Tous les participants furent fortement applaudis tant pour la densité que
pour la qualité de leurs interventions à la fois scientifique et pédagogique.
[1] Sous la direction de Marie-Claude BLANC-CHALÉARD, Stéphane DUFOIX et Patrick WEIL,
L’Étranger en questions, Paris, Éditions Le Manuscrit, 2005, 529 p.+ Stéphane DUFOIX, De
« diaspora » à « diasporas ». La dynamique d’un nom propre, GEODE, Université de Paris X Nanterre,
p.431-458
[2] Stéphane DUFOIX, Les diasporas, PUF, 2003, n°3683,127 pages
[3] Natalia MUCHNIK, De paroles et de gestes, Paris, Éditions de l’EHESS, coll. « En temps et
lieux », 50, 2014, 288 p.
[4] Francesca TRIVELLATO, Corail contre diamants. De la Méditerranée à l’océan Indien au
XVIIIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2016, 564 p. (« L’Univers Historique » ). [Trad. par
Guillaume CALAFAT], Préface de Romain Bertrand
[5] Anne-Christine TRÉMON, « Les Chinois en Polynésie française. Immigration, métissage et
multiethnicité. » Éditions de la Société d’ethnologie, Nanterre, 2010, 425 p.
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[6] Benoît VULLIET,« Chinois en Polynésie française : Migration, métissage, diaspora de AnneChristine Trémon », Le Journal de la Société de océanistes, 133, 2011, 431-434 p.
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