L`éducation et l`action éducative

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L`éducation et l`action éducative
L’éducation et l’action éducative
Pierre de Rosa
« Le jour viendra, disait Nietzsche, où tous les discours politiques se résumeront à parler d’éducation. »
Si ce jour n’est pas encore là, il semble bien que nous n’en soyons plus très loin.
L’éducation seule ne peut certainement pas résoudre tous les problèmes ; ceux-ci relèvent, en partie tout au
moins, du système économique et de l’organisation sociale. Force est de constater cependant que la construction
et le développement de chaque personne déterminent des attitudes et des comportements qui ont inévitablement
des effets sur l’organisation et le fonctionnement de la société. Ces références nombreuses et fréquentes à
l’éducation sont donc incontestablement fondées. Reste que, depuis plus de vingt ans, et malgré diverses
innovations et réformes, les résultats ne sont pas encore satisfaisants1.
On objectera sans doute que toutes les innovations n’ont pas été menées à leur terme et que toutes les réformes
n’ont pas bénéficié des moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Il n’est pas sûr que cela suffise à expliquer des
résultats souvent décevants.
L’image tronquée de l’éducation.
Aujourd’hui encore, les insuffisances éducatives sont trop souvent imputées à l’école et aux parents : à l’école, la
grande accusée des années quatre-vingt, dont on a été jusqu’à dire -et écrire- qu’elle était responsable du
chômage… comme si la fonction de l’école était de créer des emplois ; aux parents, que l’avenir incertain de
leurs enfants angoisse et dont on oublie qu’ils appartiennent à des générations qui, déjà, ont pu être victimes
d’insuffisances semblables. Certes, ni la responsabilité éducative de l’école ni celle des parents ne peuvent -et ne
doivent- être minimisées. Mais l’éducation ne recouvre-t-elle que l’action éducative parentale et scolaire ?
Déjà, Emile Durkheim donnait de l’éducation une définition plus large, puisqu’elle impliquait non seulement les
parents et les enseignants, mais tous les adultes : « l’éducation est l’action exercée par les générations adultes
sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale ».
René Hubert est encore plus précis : pour lui, « l’éducation est l’ensemble des actions et des influences
exercées volontairement par un être humain sur un autre être humain, en principe par un adulte sur un
enfant, et orientées vers un but qui consiste en la formation dans l’être jeune des dispositions de toute espèce
correspondant aux fins auxquelles, parvenu à maturité, il est destiné ».
Ces deux définitions, qui limitent l’éducation à ce que font consciemment les adultes pour les plus jeunes,
recouvrent sans doute les représentations de l’éducation les plus répandues. Mais alors que l’on s’inquiète de
savoir, notamment, quel impact la télévision et les jeux électroniques peuvent avoir sur les plus jeunes, comment
peut-on croire que la construction et le développement des personnes dépendent exclusivement des actions et
influences volontairement exercées par les adultes ? Comment peut-on raisonnablement considérer que les
influences involontaires du milieu –« ensemble plus ou moins durable des circonstances physiques, humaines
ou idéologiques où se poursuivent les existences individuelles »2- sont négligeables ?
Qu’est-ce donc que l’éducation ?
Les définitions de Durkheim et de Hubert donnent, de l’éducation, une image tronquée. En réalité l’éducation
recouvre tout ce qui contribue à la construction et au développement d’un être humain : « l’éducation comprend
toutes les influences qui peuvent s’exercer sur l’individu pendant sa vie » écrit Roger Gal.
L’éducation est donc une combinaison d’influences diverses,
- les unes volontaires, issues d’actes qui se veulent éducatifs, fruits d’une volonté d’éduquer,
- les autres involontaires, issues de l’environnement , sans intention éducative.
De la part de l’adulte –ou de l’éduquant-, ces influences peuvent être conscientes ou inconscientes, finalisées ou
non.
Pour l’enfant –ou l’éduqué-, ces influences peuvent être subies, inconsciemment provoquées, ou consciemment
recherchées.
« Ponctuelles ou permanentes, ces influences peuvent être convergentes ou contradictoires ; l’individu peut les
rechercher, les accepter ou les subir ; de natures différentes -physiques, psychologiques, idéologiques, …- elles
sont aussi d’origines diverses : environnement matériel, environnement humain, environnement institutionnel,
etc. Emanation des circonstances ou production des hommes, toutes ces influences sont éducatrices, alors que
1 Par exemple : la création des ZEP, l’aménagement des rythmes, la création des cycles, l’accompagnement à la scolarité,
l’aide à la parentalité, les contrats temps libres, les contrats éducatifs locaux, etc.
2 Henri Wallon
toutes les situations dont elles émanent ou toutes les actions qui les produisent ne prétendent pas éduquer »3.
Toutes ces influences interfèrent, se complétant, se relativisant ou s’opposant les unes aux autres. Et toutes
constituent le bagage individuel et original à partir duquel chacun se construit.
Quelle que soit leur nature et quelle que soit leur origine, toutes ces influences se conjuguent : l’éducation est
globale.
Au fil de la vie, toutes ces influences ne cessent de se multiplier et d’interagir : l’éducation est continue.
En réduisant l’éducation aux influences volontairement éducatrices, nous ne tenons aucun compte des influences
de l’environnement qui pèsent indiscutablement, tant par les valeurs qu’elles transmettent que par les attitudes et
les comportements qu’elles proposent.
Certes, les influences volontaires permettent d’accroître le bagage individuel des enfants et des adolescents mais
encore faut-il que la confrontation des influences volontaires et des influences involontaires soit possible et, pour
ce faire, que des mises en relation soient explicites. En effet, l’individu est le seul à pouvoir traiter la matière
éducatrice que constitue l’ensemble des influences qui se sont exercées et s’exercent encore sur lui : il est, de
fait, le plus permanent de ses éducateurs. Voilà qui devrait nous inciter, non seulement à accroître le bagage
individuel des enfants et des adolescents, mais à veiller également au développement des capacités qui leur sont
indispensables, tant pour choisir leurs valeurs et se forger leurs opinions que pour déterminer leurs
comportements et leurs actes : capacités à observer, à analyser, à réfléchir, à hiérarchiser, à décider et à agir.
« L’auto/organisation, si elle se développe suffisamment permet à chacun de devenir un sujet qui se détermine
en partie lui-même. C’est-à-dire qui peut prétendre être libre »4.
L’action éducative.
L’action éducative est « l’ensemble des actions et influences exercées volontairement par un être humain sur un
autre être humain, en principe par un adulte sur un enfant… » Si la définition de René Hubert ne recouvre pas
l’éducation dans sa globalité, elle recouvre parfaitement l’action éducative.
L’action éducative est le domaine des influences volontaires.
Elle s’inscrit dans un contexte qu’elle ne doit pas ignorer.
L’environnement diffuse des idées et des valeurs, transmet des savoirs, propose des savoir-faire et des savoir-être
qui, non seulement influent sur les pratiques et les comportements mais prennent également place dans le bagage
à partir duquel chacun se construit.
Si nous sommes tous persuadés que l’environnement des enfants a des effets sur leur développement, nous n’en
tirons souvent des conclusions qu’en ce qui concerne les méthodes pédagogiques à mettre en œuvre ; il faut aussi
en tenir compte pour déterminer les objectifs et les contenus de l’action éducative.
L’action éducative doit tenir compte des influences involontaires pour permettre aux enfants et aux
adolescents de tirer profit de leur histoire et de leur expérience comme pour comprendre leur environnement :
certaines de ces influences méritent d’être explicitées, complétées, prolongées alors que d’autres, notamment
celles qui peuvent conduire à l’incivilité, à la violence voire à la délinquance, doivent être contrebalancées. Si
ces influences involontaires paraissent difficiles à maîtriser, il est néanmoins possible d’en repérer les effets pour
en tenir compte dans la détermination des influences volontaires que nous jugeons nécessaires.
L’action éducative doit, bien entendu, profiter des influences involontaires nouvelles : celles, entre autres,
des médias qui ouvrent des fenêtres sur le monde et permettent de découvrir l’existence d’autres cultures,
d’autres modes de vie et d’autres préoccupations que les nôtres ; mais elle doit aussi compenser la disparition
d’influences involontaires utiles : celles, par exemple, que la vie rurale développait en permettant notamment
aux enfants de découvrir très tôt, par l’observation quotidienne, les fonctions sociales et leur interdépendance.
L’action éducative, dans son ensemble, doit être finalisée, ce qui implique de finaliser chacune des actions
particulières. La volonté d’éduquer ne suffit pas ; encore faut-il choisir dans quel but. D’autant que toute
situation éducative qui émet des influences voulues produit aussi des influences qui ne le sont pas : proposer un
apprentissage technique permet aux enfants concernés d’acquérir des savoirs et des savoir-faire ; mais si les
acquisitions techniques individuelles constituent les seules finalités éducatives visées, le risque est grand que se
développent des influences non voulues : attitude passive de consommation, indifférence, mépris voire irrespect
pour les autres … Et la répétition de ces situations en renforce les effets.
L’action éducative recouvre un ensemble d’actions diverses. Chacune de ces actions a une spécificité qui tient
tant à la nature de l’activité sur laquelle elle s’appuie qu’aux apprentissages disciplinaires et techniques qu’elle
comporte ; chacune a, par conséquent, des objectifs particuliers. Cependant, toutes les actions éducatives
s’adressent à des enfants et à des adolescents ; elles ont en commun des objectifs qui tiennent à la nature
humaine de ceux auxquels elles s’adressent : les attitudes, les comportements individuels et les relations entre
les individus. « L’humanité dans sa diversité, dit Louis Legrand, est le premier objet d’étude et de respect
effectif et actif que l’éducation doit prendre comme objet ».
3 Pierre de Rosa : « L’éducation aussi ».
4 Albert Jacquard : « Moi et les autres ».