Bien connaître les règles de transfert du patrimoine
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Bien connaître les règles de transfert du patrimoine
Bien connaître les règles de transfert du patrimoine Tout le monde, un jour ou l’autre, se doit de transférer son patrimoine : du vivant ou par un héritage, en fiducie ou par testament, les arrangements diffèrent selon la situation financière et familiale.Voici quelques rappels juridiques pour vous y retrouver et conseiller judicieusement vos clients. Isabelle Marceau OBJECTIF CONSEILLER 30 ransférer son patrimoine ne sous-entend pas forcément que la fin est proche… En effet, il peut s’agir du cas de l’entreprise familiale qui passe d’une génération à l’autre, de la constitution d’une fiducie entre vifs ou tout simplement de dons. T La fiducie : plus de protection et d’organisation Une fiducie entre vifs, rappelons-le, est un transfert d’une partie du patrimoine d’un individu à un patrimoine d’affectation. Elle établit des droits fiduciaires; il doit toujours y avoir un fiduciaire différent de la fiducie elle-même. On crée ainsi un contribuable additionnel, qui sera taxé au taux maximal d’imposition dans le cas de la fiducie entre vifs. L’impôt est payé soit par le bénéficiaire, soit par la fiducie elle-même avec un taux progressif ou encore en faisant une combinaison des deux. «La fiducie est souvent créée pour des raisons de protection d’actifs ou bien dans le cas de la cession de l’entreprise familiale», explique Marc-André Lamontagne, notaire, Pl. fin. et directeur, testaments et successions, au Trust Général du Canada. Lors d’un transfert d’une entreprise familiale, les juristes parlent de «gel successoral» : la valeur de l’entreprise est transférée dans une catégorie d’actions «privilégiées de gel», et des actions ordinaires sont émises aux bénéficiaires qui vont récupérer la plusvalue de l’entreprise. S’ils le désirent, les parents peuvent garder des actions votantes, ce qui leur permet de conserver un contrôle sur l’entreprise et de retarder le transfert. Dans le cas d’un transfert jumelé à une fiducie entre vifs, celle-ci détient les actions ordinaires (appelées participantes) et le père – ou la mère – est le fiduciaire. Les revenus entre les membres d’une même famille peuvent être fractionnés et l’impôt, payé à un taux progressif. De plus, les actions n’étant pas directement dans le patrimoine familial, le fiduciaire se crée une protection contre les créanciers alimentaires et les tiers. En résumé, en cas de faillite ou de dettes, les biens ne sont pas saisissables. Évidemment, on ne peut établir cette protection que lorsque tout va bien! Autre avantage de la fiducie, selon Pierre Allard, avocat chez Brouillette, Charpentier, Fortin : si l’entreprise est vendue, la fiducie peut permettre de multiplier les 500 000 $ de déduction pour gain en capital selon le nombre de bénéficiaires. En effet, quand un individu vend une société privée, les premiers 500 000 $ ne sont pas imposables en contrepartie de certaines règles. Parfois, il est bon de recommander à vos clients de prévoir le sort de leur patrimoine avant leur trépas. Outre de protéger leurs héritiers contre une faillite ou encore contre eux-mêmes – dans le cas d’un enfant jugé irresponsable ou influençable – la fiducie testamentaire permet de fixer des règles à l’avance. Ainsi, le testateur nomme le fiduciaire qui va gérer le patrimoine au profit des bénéficiaires. Conçue dans le testament, cette forme de fiducie est souvent utilisée pour conserver le patrimoine en vue de le transmettre à une deuxième ou troisième génération, en le protégeant contre les bénéficiaires ou bien un tiers. Cette fiducie permet aussi de décider où ira le capital non utilisé et elle peut être exclusive : prenons l’exemple d’un époux qui ne veut pas que l’argent restant aille au nouveau conjoint de sa femme, mais plutôt à ses enfants. Côté impôt, le fractionnement de revenus s’applique également. Enfin, à l’inverse de la fiducie entre vifs, le taux d’imposition est ici celui du revenu d’un particulier. La personne qui décède est «présumée avoir disposé de tous ses biens à leur pleine valeur», donc les héritiers devront payer l’impôt selon cette règle. Un testament pour tout planifier Contrairement à d’autres pays, il n’y a pas d’impôt sur la succession au Canada, mais sur la plus-value au moment du décès. Dans le cas d’une perte en capital non réalisée, on reporte la perte contre le gain du défunt dans sa dernière année. En dehors des dépenses dues à l’impôt, il y a les frais liés à l’exécution du testament. Vous pouvez donc suggérer de désigner le liquidateur (anciennement exécuteur testamentaire) et de fixer ses honoraires par testament, évitant de la sorte toute discussion indélicate… Car, si le testateur n’a rien prévu, le liquidateur, un héritier ou une tierce personne, peut demander une rémunération devant un tribunal. Cependant, il se doit de faire FÉVRIER 2001 31 une «saine gestion de la succesSuggérer de prévoir les dépenses… sion», et la moyenne des honoraires de liquidation réclamée Si le legs se trouve constitué est d’environ 2 à 2,5 % de la en majorité de dettes, les valeur de la succession. héritiers peuvent refuser la Quel testament préconiser succession. Pour couvrir les d’adopter? Le testament notarié dépenses auxquelles ceux-ci est un acte authentique et auront à faire face, vous immédiatement exécutoire, pouvez conseiller à vos c’est-à-dire qu’il n’a nul besoin clients de prendre une assud’être homologué, contrairerance de frais juridiques ment au testament holographe pour compenser la poncet au testament devant témoins. tion de l’impôt, de même Le premier est manuscrit et simque les frais liés à l’exécuplement signé par le testateur; tion du testament. Ainsi, le second est rédigé devant deux l’assurance-vie, payable à la Pierre Alllard, témoins. succession, viendra en aide avocat chez Brouillette, Pour obtenir une homologaà leurs héritiers. Charpentier, Fortin tion, ils doivent être reconnus Plus complète, la police devant notaire ou devant la Photo : Sonia Jam universelle ou assurance-vie Cour supérieure. pour la préservation d’actifs comporte deux principes : une «Le testament est un acte individuel et personnel; par composante capital-décès et une composante placement. conséquent, ni le testament conjoint ni le testament miroir Permanente, elle permet de faire des rendements à l’abri (soit deux actes identiques par deux personnes différentes) de l’impôt, et les héritiers ne paieront pas de taxes sur la ne sont reconnus», précise Marc-André Lamontagne. plus-value. Elle est calculée en fonction du capital-décès Si cela n’est pas prévu dans le contrat de mariage, il est et de l’argent assuré. bon de rappeler qu’il est possible de faire une donation au Autre moyen de parer aux frais : faire une donation du dernier vivant dans le testament pour privilégier le conjoint vivant ou, si l’on veut, une avance sur héritage. Il est pospar rapport aux enfants. Le testament peut également palsible de transférer la partie d’un patrimoine qui n’a aucune lier le non-héritage en cas de conjoints de fait non mariés. incidence fiscale, à savoir tout bien n’ayant pris aucune Il permet encore de régler des disputes potentielles au sujet plus-value : «Attention, c’est le donateur qui devra payer du chalet familial… l’impôt, même si c’est le bénéficiaire qui dispose du bien», Le testament n’aura guère de poids devant l’existence de souligne Pierre Allard. Lorsqu’un bien est imposable, il biens à l’étranger. Dans le cas d’un immeuble aux Étatsl’est au moment même du transfert; dans le cas d’un porUnis, par exemple, c’est la juridiction du lieu de résidence tefeuille d’actions, on s’en tiendra aux chiffres à la clôture qui s’applique. Mais en ce qui concerne le portefeuille de des marchés. valeurs mobilières, c’est la loi du pays où le défunt a élu Cela étant, il n’y a pas de plafond pour les dons en domicile qui est prise en compte, sachant qu’il existe des argent, par exemple, à condition que le donateur ne se conventions fiscales. Au sein du Canada, les principes sont rende pas insolvable. Une bonne raison pour lui propoles mêmes; seuls les taux de taxes diffèrent. ser de faire des cadeaux en espèces à toute sa famille! À noter : si seul le conjoint légal est reconnu pour l’héOn ne le dira jamais assez : transférer son patrimoine ritage, le conjoint de fait – du même sexe ou non – l’est est, avant tout, une affaire de planification et de stratégie pour les rentes du gouvernement, qui sont néanmoins financière… incessibles du vivant. D’où l’importance du rôle du conseiller financier. OBJECTIF CONSEILLER 32