La difficile équation des sièges sociaux

Transcription

La difficile équation des sièges sociaux
La difficile équation des sièges sociaux
Source : LSA_ le 30 août 2012
L'EVENEMENT DE LA SEMAINE
Carrefour s'apprête à tailler dans ses multiples sièges sociaux : 5% au minimum de ses
effectifs seraient concernés. En cas de crise, les frais de personnel demeurent la meilleure
variable d'ajustement. Tous les distributeurs cherchent à les optimiser, tout en donnant
plus de latitude aux magasins. Enquête.
Ce n'est pas la première fois. Après une première vague de baisse des effectifs sous l'ère
Duran (2006-2007), qui s'était traduite par le départ de 20% des troupes du siège, Georges
Plassat, nouveau patron du groupe depuis le 2 avril dernier, devait annoncer des coupes
portant encore sur les structures centrales. Neuf comités centraux étaient convoqués ce
mercredi 29 août, à 18 h 30, au siège de Massy pour une réunion extraordinaire. Menu du jour
: les « perspectives économiques et sociales pour les sièges de Carrefour en France ». Les
deux principaux syndicats, FO et la CFDT, qui à eux deux représentent plus de 60% des
salariés, ne se font aucune illusion. « La direction prépare un plan de départs volontaires
concernant 600 à 1 000 personnes sur les 4 500 des neuf sièges concernés », assure Bruno
Moutry, délégué syndical CFDT. Ce qui équivaut à 5%-10% des 7 000 salariés de tous les
sièges, de Massy à Évry, de Mondeville dans le Calvados à Lyon. Informatique, supply chain,
direction exécutive des hypermarchés, marketing et comptabilité, merchandising, achats... Peu
de services centraux seront épargnés.
« Lorsque le parking du siège est plein, c'est mauvais signe. » Cette remarque d'un ancien de
Carrefour, Georges Plassat pourrait la faire sienne aujourd'hui. Ne s'était-il pas exclamé, lors
de l'assemblée générale le 18 juin, qu'il y avait autant d'acheteurs de chocolat (une trentaine)
que de plaques... de chocolat ?!
S'attaquer aux racines du mal
La décision est tout sauf une surprise. Le gel des embauches avait déjà été décidé en mars, et
cela fait belle lurette que les départs ne sont plus remplacés en magasins. La fermeture du
siège de Levallois et le regroupement de tous les effectifs parisiens à Massy d'ici à 2014
devraient encore « dégraisser le mammouth ». Mais cela ne suffira pas. Il faut s'attaquer aux
racines du mal. Docteur Plassat a tranché : Carrefour pâtit d'une trop grande centralisation,
source de lourdeur et de lenteur. « L'entreprise semble gérée de façon administrative avec des
contrôles à foison, estime Édouard-Nicolas Dubar, fondateur d'un cabinet de recherche de
dirigeants, Job-Dubar et Associés. C'est devenu une superstructure avec des redondances
entre la France et l'international, notamment pour les achats et les produits. »
Une préoccupation commune à tous les groupes
Souci d'efficacité, souci d'économies, souci de faire la différence avec son rival, l'allègement
des coûts centraux préoccupe tous les groupes de distribution, en France et à l'étranger. Metro
pourrait se séparer de 800 salariés à son siège de Düsseldorf (4 000 personnes) ; Tesco
s'apprête à l'imiter dans sa filiale américaine avec la suppression d'une cinquantaine d'emplois
; Walmart et Target ont allégé de 1 000 postes leurs équipes des services centraux il y a deux
ans.
Tous les groupes intégrés sont confrontés à une inflation des frais de siège : ces derniers ont
beaucoup augmenté ces dix dernières années, passant de 1% à une moyenne de 3 ou 4%. Les
raisons ? Le développement de filiales à l'étranger, du multicanal, mais aussi des raisons plus
conjoncturelles. « La répétition des crises et la flambée de l'indice du coût de construction
font que beaucoup s'interrogent sur la pérennité de leurs sièges sociaux », constate JeanLouis Guilhamat, directeur grands comptes utilisateurs France chez CBRE, conseil en
immobilier d'entreprise. Depuis deux ans, les prix de l'immobilier de bureau ralentissent, ce
qui offre un levier énorme aux entreprises, pour un poste considéré comme le deuxième après
la masse salariale.
Si pour Carrefour il y a urgence, mauvais résultats obligent - les hypermarchés ont encore
enregistré une baisse de 4,8% de leur chiffre d'affaires au premier semestre 2012 et le groupe
a perdu 1,3% de part de marché (20,5%) en France entre le 11 juillet et le 7 août -, ses
concurrents surveillent aussi de près la courbe de leurs frais de personnel et de gestion. Là où
se fait la différence. « Depuis un an, il y a une seule structure qui gère la paye, le
recrutement, la formation pour les quatre entités du groupe, hypers, supers, proximité et
cafétéria », énumère Brigitte Chatenie, déléguée FO de Casino. Les points de productivité se
gagnent aussi sur le terrain : les départs ne sont pas remplacés en magasins. Chez Auchan, un
plan de départs volontaires est enclenché depuis juin : 1 700 personnes sont concernées, dont
300 dans l'administratif, 200 dans les relations clients et 500 dans les postes de service.
Toutes appartiennent aux fonctions support des magasins. Le prochain comité central
d'entreprise, prévu le 2 octobre, devrait apporter davantage de précisions. Pourtant composé
de très grandes surfaces, comme Carrefour, Auchan laisse place à la décentralisation. «
Contrôle de gestion et ressources humaines sont des fonctions présentes dans chaque
magasin », explique Pascal Saeyvoet, délégué syndical central FO.
Le pouvoir aux magasins...
Même chez les indépendants, réputés pour leurs structures légères, l'optimisation des coûts est
dans toutes les têtes... Surtout dans celles des directeurs de magasin, toujours prompts à
fustiger les dépenses somptuaires des sièges sociaux ! « À Paris, vous êtes trop nombreux et
vous ne servez à rien, on ne cesse d'entendre cela, rapporte un adhérent d'Intermarché. Notre
grande chance, à nous indépendants, c'est que nous sommes partie prenante de la gestion
"amont" avec des adhérents motivés, via le tiers-temps, qui font office de cadres supérieurs au
siège de Bondoufle, sans pour autant être rémunérés. » Une main-d’œuvre souvent
compétente et... bon marché. Historiquement très centralisateur, Intermarché s'est ouvert à
davantage d'autonomie pour redonner - un peu - de pouvoir aux magasins.
... et aux adhérents
Système U entame aussi une chasse aux économies de structure. « Nous aurons harmonisé la
totalité de nos systèmes d'information d'ici à 2014, déclarait il y a peu Serge Papin, le patron
de Système U, à LSA. Mais les nids de productivité existent encore, notamment sur la
logistique, qui pèse chez nous 350 millions d'euros par an. Nous pouvons économiser encore
10%, ce qui est loin d'être neutre. » Même souci d'économie pour les négociations avec les
banques, qui, pour l'instant, sont gérées en ordre dispersé, ou pour les achats de matériaux, de
gondoles ou de carrelages en passe d'être centralisés dans une structure à Nantes... quand c'est
possible.
À l'opposé d'un Goliath comme Carrefour, Leclerc peut se targuer d'avoir l'une des structures
les plus légères. « Nous bénéficions d'une grande souplesse d'exécution, permettant de
repérer très vite les erreurs quand elles se produisent », expliquait en juillet à LSA MichelÉdouard Leclerc. Le contraire d'une artillerie lourde à la Carrefour, comparable certes en
termes de taille, mais pas en nombre de pays ou de formats.
Au sein de l'ACDLec, un comité stratégique rassemblant les 16 présidents de région se réunit
tous les quinze jours, tandis qu'une soixantaine d'adhérents dispatchés dans sept commissions
planchent sur les grands sujets du moment. Au Galec, où se décide la politique commerciale
de Leclerc, un directoire de cinq adhérents veille au grain et 350 d'entre eux se réunissent
dans des groupes de travail spécialisés. Le pouvoir appartient aux adhérents. C'est aussi
l'ambition de Georges Plassat de redonner une marge de manœuvre aux gens du terrain.
M Picard et J-N Caussil
Ce qui justifie d'alléger son siège social







Pour faire face à la succession de crises depuis 2008
Pour donner plus d'autonomie aux magasins
Pour s'adapter aux nouvelles donnes législatives (LME...)
Pour faire face à la flambée des prix de l'immobilier
Pour externaliser certaines fonctions comme le SAV ou l'informatique
Pour accompagner le retrait de certains pays
Pour éviter l'embourgeoisement
Ce qui justifie d'embaucher dans son siège social






Pour accompagner le multiformat
Pour trouver des économies d'échelle
Pour gérer un assortiment de plus en plus large
Pour rechercher des économies d'échelle
Pour faire face à la «judiciarisation» du commerce
Pour développer de nouvelles activités
En Allemagne, les coopératives résistent mieux

La crise a choisi ses victimes outre-Rhin. Metro, présent dans vingt pays européens, a
été frappé de plein fouet par la récession. Son premier plan de redressement, lancé en
2009 et baptisé Shape 2012, aurait, selon le syndicat Ver.di, provoqué la disparition de
près de 19 000 emplois, dont environ 300 au siège social basé à Düsseldorf.
Aujourd'hui, c'est un second programme de restructuration qui vise les 4 000 salariés
toujours en poste dans les bureaux. En voulant réduire ses coûts annuels de 100
millions d'euros, le nouveau patron du distributeur, Olaf Koch, pourrait se séparer d'au
moins 800 employés à son siège. Certains représentants du personnel avancent même
des chiffres proches de 2 000 suppressions, soit la moitié des effectifs ! Les
coopératives Rewe et Edeka s'en sortent nettement mieux. Pourtant présent dans
plusieurs pays en crise, Rewe a recruté 200 personnes à son siège de Cologne (5 500
personnes). Loin de licencier une partie de son personnel, la coopérative Edeka a,
quant à elle, recruté 52 000 salariés depuis 2007. Les effectifs du siège, installé à
Hambourg, sont restés stables, avec 1 400 employés.
Les distributeurs anglais jouent la stabilité

Les distributeurs britanniques créent des emplois... surtout dans les magasins. Le
numéro deux du secteur, Asda, a annoncé cette année la création de 5 000 emplois,
essentiellement au sein de ses magasins, ce qui porte à 180 000 le total de ses effectifs.
À son siège de Leeds, Asda compte 3 000 personnes et la seule réduction d'effectifs en
a touché 200 en 2005. Ailleurs, les troupes restent stables. Ou presque. Il y a trois ans,
Sainsbury a réduit de 5% les effectifs de son siège implanté à Londres. Tesco pourrait
faire de même à son siège américain de Fresh et Easy, en Californie. Les services
administratifs d'El Segundo, à Los Angales, pourraient être amputés d'une
cinquantaine de personnes dans les prochains mois. Tesco emploie 5 200 personnes
outre-Atlantique. En revanche, en Grande-Bretagne, les effectifs au siège restent
stables, avec 7 500 personnes.
Aux États-Unis, les coupes ont déjà eu lieu

Le gros des réajustements d'effectifs au niveau des sièges sociaux s'est déroulé il y a
deux ans, en pleine crise économique. Le dernier plan de Walmart remonte à 20092010 avec la suppression à Bentonville de 1 100 postes dans l'immobilier, le textile et
la santé. En 2010, Target annonçait la baisse de 10% des effectifs de son siège social
basé à Minneapolis (1 000 personnes) alors que le groupe enregistrait les pires
performances économiques depuis sa création en 1962. Pour l'heure, c'est l'enseigne
californienne Albertson, rachetée par Supervalu en 2006, qui licencie 2 500 salariés en
Californie et au Nevada, tandis que la maison mère a déjà supprimé 800 postes au
siège social à Minneapolis au début de l'année. Si la greffe entre les deux entreprises
n'a pas pris, Supervalu affiche depuis trois ans des contreperformances qui laissent
planer une prochaine restructuration d'ensemble de ses activités.
Chiffres








7 000 : Le nombre de personnes aux sièges de Carrefour, sur un total de 120 000
salariés en France, alors que Tesco compte 7 500 personnes...pour 300 400 salariés.
3 500 : Le nombre de salariés au siège d'Auchan, à Villeneuve-d'Ascq, sur un total de
60 000 salariés en France
350 : Les effectifs du siège de Cora
500 : Le nombre de personnes au siège de Système U
4 000 : Le nombre de personnes au siège de Metro en Allemagne, dont 800 sont
menacées
3 000 : personnes au siège d'Asda (Grande-Bretagne), à Leeds
- 5% : La baisse des effectifs au siège de Sainsbury, en 2009
500 E/m² : Le coût de revient d'un salarié, immobilier et masse salariale compris
Source : LSA, entreprises

Documents pareils