CHAPITRE VII NIVEAUX D`ÉNERGIE DES ATOMES À N

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CHAPITRE VII NIVEAUX D`ÉNERGIE DES ATOMES À N
CHAPITRE VII
NIVEAUX D'ÉNERGIE DES ATOMES À N ÉLECTRONS
Ionisation, Excitation
I - DOMAINE OPTIQUE et ELECTRONS LENTS : Couches externes des atomes
1) Photoionisation
Nous avons déjà vu lors de l'étude de l'effet photoélectrique des métaux qu'un phénomène similaire existe aussi
dans le cas des atomes isolés tels qu'on les rencontre par exemple dans une vapeur monoatomique. Dans ce cas, un tel
effet n'est observable que grâce à l'emploi de photons appartenant au domaine UV ou UV lointain : les fréquences-seuil
à partir desquelles l'ionisation des atomes apparaît sont environ deux fois plus élevées que dans le cas des métaux.
L'énergie de "sortie" wi correspondant à l'arrachement d'un électron à un atome, et donnée par
w i = h νi
est ce que l'on appelle l'énergie d'ionisation de l'atome. Dans le domaine visible ou UV, l'effet photoélectrique
ne se produit en général que sur l'électron le moins lié d'un atome donné : nous verrons que l'emploi de photons
correspondant au domaine X permet de mettre en évidence l'existence à l'intérieur de l'atome d'électrons qui lui sont
plus ou moins liés.
2) Bombardement électronique (électrons lents)
Nous avons vu un peu plus tôt que dans les lampes à décharge, le passage d'un courant électronique conduit à
l'émission d'un spectre de raies. Cette décharge s'accompagne également en général de la formation d'ions positifs à
l'intérieur de la vapeur atomique : on peut identifier ces ions par des techniques de spectrométrie de masse. Dès le début
du siècle, nombre de physiciens se sont interrogés sur les mécanismes régissant les échanges d'énergie entre courant
électronique et atomes de la vapeur.
a) Potentiel d'ionisation - expérience de Lenard (1902)
La plupart des expériences réalisées au début du siècle pour l'étude des processus d'interaction électron lent atome l'ont été dans des dispositifs apparentés aux premières "lampes électroniques" (diode, triode, pentode, etc...).
Dans une ampoule en verre contenant une vapeur atomique ou un gaz sous faible pression, on dispose un filament et
une "plaque" à chaque extrémité de l'ampoule ; entre les deux, on interpose un certain nombre de "grilles" qui chacune
permettent d'établir une différence de potentiel bien définie entre le filament et un point de l'ampoule, tout en
permettant la libre (ou quasi libre) circulation des électrons au travers de celles-ci. Le dispositif de Lenard est le plus
simple.
1
J.P. Rozet 2007
Il comprend une seule grille disposée près du
filament, à un potentiel Vg positif par rapport à celui du
Ip
filament : les électrons, émis par le filament à une vitesse
(thermique) quasi nulle, ont acquis une énergie cinétique
T=
1
mv 2 ≅ eVg
2
Vg > 0
Vp
-e.V
lorsqu'ils traversent la grille. La
plaque est quant à elle portée à un potentiel Vp négatif
par rapport au filament si bien qu'aucun électron ne peut
Xo
l'atteindre : ils rebroussent chemin à l'abscisse notée x0
X
sur la figure ci-contre. Si des ions positifs sont produits
dans la vapeur, ils seront cependant attirés par la plaque,
Ip
ce qui se traduira par l'apparition d'un courant Ip (au
travers
du
générateur
qui
alimente
la
plaque).
L'expérience consiste à faire varier Vg et à mesurer
Ip.
Vi
Vg
On constate que le courant Ip n'apparaît que si la tension Vg est supérieure à une valeur Vi qui dépend de la
nature chimique de la vapeur.
L'interprétation de ces expériences repose sur le fait que l'électron étant très léger par rapport aux atomes, il peut
leur communiquer la quasi intégralité de son énergie (cinétique) au cours d'une collision inélastique : si cette énergie
est suffisante, elle permet de vaincre les forces de cohésion correspondant à l'énergie de liaison d'un électron de
l'atome. La condition s'écrit :
1
mv 2 = eVg ≥ Wi = eVi
2
(Vg ≥ Vi)
et Vi est appelé potentiel d'ionisation des atomes de la vapeur.
Ces potentiels d'ionisation ont été mesurés pour toute une série d'espèces chimiques, en particulier les gaz rares
et les vapeurs de métaux alcalins (les gaz diatomiques sont à éviter ici où on s'intéresse aux propriétés des atomes et
non des molécules).
Les expériences de bombardement électronique ont fourni les premières mesures de l'énergie d'ionisation des
atomes : elles ont été confirmées un peu plus tard par les expériences de photoionisation. Les fréquences seuil
d'apparition doivent être liées aux potentiels d'ionisation par la relation
eVi = Wi = h νi
ou pour les longueurs d'onde :
λi =
Rappelons que la valeur de
hc
hc
hc 1
=
=
hν i eVi
e Vi
⇒ λ i Vi =
hc
e
h
se déduit de la mesure de pente de la droite donnant la contre-tension maximale
e
en fonction de la fréquence ν des photons mesurée dans le cas de l'effet photoélectrique des métaux. Les valeurs
actuelles de h, c et e permettent d'écrire :
hc
= 12398,5 Å.Volt
e
2
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Le rapprochement des mesures de λi et Wi (photoionisation des atomes et potentiels d'ionisation) redonne des
valeurs remarquablement voisines pour la quantité hc/e :
Atome
Cs
Rb
K
Na
Li
Xe
Kr
A
Ne
He
λi en Å
3184
2968
2856
2412
2300
1022
885
787
575
504
νi en Volts
3,89
4,18
4,34
5,14
5,39
12,1
14,0
15,8
21,6
24,6
λi.Vi
12386
12406
12395
12398
12397
12366
12390
12435
12420
12398
Comme nous l'avons déjà signalé, on constate que les potentiels d'ionisation Vi des atomes sont sensiblement
plus grands que les potentiels de sortie VS des métaux correspondants :
Potentiel de sortie du métal
(VS)
Potentiel
d'ionisation
de
l'atome (Vi)
Cs
Rb
K
Na
2,1
2,2
2,4
2,5
3,89
4,18
4,34
5,14
Les électrons sont donc liés plus fortement aux atomes isolés qu'aux atomes assemblés d'un métal : cette
propriété justifie l'hypothèse des électrons "libres" des métaux qui permet d'expliquer leur conductivité électrique.
b) Potentiels de résonance - Expérience de Franck et Hertz (1913)
L'expérience de Lenard permettait d'étudier le devenir des atomes lors du bombardement électronique, et plus
spécifiquement l'apparition d'ions positifs. Le dispositif de Franck et Hertz est au contraire destiné à observer le
comportement des électrons.
Rappelons que dans les conditions expérimentales de ces expériences, les chocs électrons-atomes correspondent
au cas particulier d'un projectile très léger venant frapper une cible lourde quasi-immobile (vitesse des électrons :
1
3RT
mv 2 ≅ 1 eV ⇒ ve ≅ 4.105 m/s ; vitesse des atomes : v q =
≅ qq 102 m/s).
M
2
Dans ces conditions :
- si la collision électron-atome est élastique, la direction du vecteur vitesse de l'électron change de direction,
mais son module reste inchangé (son énergie cinétique reste la même).
- si la collision est inélastique, l'énergie perdue par l'électron est entièrement communiquée à l'atome cible
(énergie de "recul" négligeable).
Les expériences de Franck et Hertz vont en fait mettre en évidence un phénomène différent de l'ionisation : il
s'agit de l'excitation des atomes de la vapeur.
Le dispositif est semblable à celui de Lenard, mais les potentiels sont fixés à des valeurs différentes.
3
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La plaque est maintenant portée à un potentiel
positif Vp>0 afin de recueillir les électrons, et maintenue à
un potentiel très légèrement inférieur à celui de la grille
Ip
Vp=Vg-ε. On observe donc sur la plaque un courant de
Vg > 0
sens opposé à celui de l'expérience précédente. On fait
Vp > 0
-e.V
alors varier Vg en maintenant ε fixe, et on mesure Ip .
X
Energie
potentielle
des électrons
Les électrons qui ne subissent que des collisions élastiques
atteignent sans problème la plaque. Par contre, ceux qui
ε = cste.
-e.Vg
cèdent l'intégralité de leur énergie cinétique (à eε près) à
Ip
un atome entre grille et plaque ne peuvent atteindre la
Courant
plaque
plaque.
Les figures ci-contre reproduisent des résultats
expérimentaux typiques : on observe des oscillations très
nettes et régulièrement espacées du courant plaque. Si on
mesure en même temps l'émission de lumière par le tube,
4.9
14.7
Vg
19.6
Intensité
lumineuse
on constate une brusque augmentation de celle-ci à chaque
9.8
fois que Ip repasse par un maximum.
Vg
Cette expérience fut réalisée avec une vapeur de mercure. La position de chaque maximum correspond à une
valeur de Vg qui est un multiple entier de 4,9 V, tandis qu'on constate l'émission d'une lumière monochromatique à λ =
2537 Å (ultraviolet).
On interprète ces courbes de la façon suivante :
- tant que Vg ≤ 4,9 V, le courant plaque augmente régulièrement, parce que l'on améliore la collection des
charges (électrons) sur la plaque.
- lorsque Vg dépasse un certain seuil correspondant ici à Vr = 4,9 Volts, on constate une diminution brutale du
courant, qu'on explique par l'apparition de collisions inélastiques au cours desquelles l'électron peut céder la totalité de
son énergie cinétique à un atome de mercure. Ces électrons ne peuvent alors plus atteindre la plaque, à cause du
potentiel antagoniste ε.
- au delà, le courant recommence à croître : ceci s'explique bien si on suppose que les électrons continuent à
céder la même énergie Wr = eVr aux atomes : pour Vg ≥ Vr + ε, ils gardent après une collision inélastique une énergie
suffisante pour atteindre la plaque. Lorsque Vg continue à croître, la collection des charges s'améliore à nouveau et le
courant augmente de nouveau.
- pour Vg ≥ 2 Vr, les électrons deviennent capables de subir deux collisions inélastiques successives sur deux
atomes différents, en perdant à chaque fois Wr = e Vr : ils peuvent de nouveau perdre toute leur énergie cinétique et le
courant diminue à nouveau brutalement. Le phénomène se répète pour 3Vr, 4Vr, etc...
On est donc conduit à conclure que les atomes de la vapeur ne peuvent prendre aux électrons qu'une quantité
d'énergie parfaitement déterminée :
W r = e Vr
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L'émission lumineuse s'interprète de la même façon : pour Vg < Vr, aucune collision inélastique ne se produit, et
il n'y a pas émission lumineuse. Dès que Vg ≥ Vr, on produit des atomes dans des états excités : ces états excités se
relaxent par émission lumineuse. On note que (λ = 2537 Å ⇒)
12398,5
= 4,887 ≅ 4,9 Volts
2537
C'est à dire que la longueur d'onde mesurée pour la lumière émise est en parfait accord avec une transition
radiative entre deux niveaux de l'atome de mercure séparés de 4,9 Volts. Enfin, l'augmentation par paliers de l'intensité
lumineuse est tout à fait cohérente avec l'interprétation en terme de n collisions successives de l'électron (→ 0, puis 1,
puis 2, puis 3, etc... photons émis par électron quand Vg augmente).
On note par ailleurs que le potentiel d'ionisation du mercure est de 10,5 Volts, alors qu'on mesure ici Vr = 4,9
Volts : il s'agit là d'une situation où l'atome effectue une transition à partir de son état fondamental d'énergie E1 vers un
état excité d'énergie E2 = E1 + Wr, état dans lequel l'ensemble des électrons reste lié à l'atome. Le potentiel Vr est appelé
potentiel de résonance, et la raie de désexcitation correspondante est une raie de résonance de l'atome.
On vérifie en détail sur cette expérience l'ensemble des prédictions liées à la loi de Bohr, soit ici :
hc
= hν r = E 2 − E1 = Wr = eVr
λr
c) Potentiels critiques : expérience de Franck et Einsporn (1920)
Les courbes obtenues dans l'expérience de Franck et Hertz, et en particulier celle donnant Ip en fonction de Vg,
ont une forme générale qui dépend de façon assez sensible des conditions expérimentales ; les paramètres les plus
sensibles sont la valeur de ε et surtout la valeur de la pression qui règne dans le tube. Aux pressions relativement
élevées utilisées par Franck et Hertz, on observe une seule résonance, alors qu'en général un atome peut se trouver dans
de nombreux états excités.
En utilisant un dispositif amélioré, et en travaillant à des pressions beaucoup plus faibles, Franck et Einsporn
réussirent à mettre en évidence l'existence de toute une série de niveaux excités du mercure. La figure suivante indique
un exemple typique de courbe ainsi obtenue.
Cathode à
chauffage
indirect
Volume
équipotentiel
Ip
I
Vg > 0
-e.V
Energie
potentielle
des électrons
-e.Vg
Vp > 0
X
ε = cste.
4.7 5.3 6.7 Vg (volts)
4.9 5.8
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On constate l'existence de discontinuités, beaucoup plus faibles, mais qui dénotent l'existence de collisions
inélastiques apparaissant lorsque Vg dépasse certaines valeurs critiques. On vérifie que ces potentiels critiques
correspondent à des niveaux excités de l'atome à partir desquels de nouvelles raies d'émission peuvent être observées.
Dans le cas du mercure, cependant, il n'existe pas de transition radiative entre le niveau excité correspondant au
potentiel critique à 4,7 Volts et le niveau fondamental : ce niveau est un niveau dit métastable (de longue durée de
vie), dont la désexcitation radiative est interdite par des règles de sélection que nous expliquerons un peu plus loin
dans ce cours.
II - SPECTRES DE RAYONS X : couches internes des atomes
Les rayons X furent découverts par Röntgen en 1895. A partir de 1900, l'utilisation de dispositifs plus
perfectionnés que celui de Röntgen, tels que le tube de Crookes, permet d'obtenir des rayons X de pouvoirs de
pénétration (ou énergies, ou longueurs d'onde,...) variables. L'aspect ondulatoire des rayons X n'est cependant établi que
plus tard, à la suite des travaux de Max Van Laue (1912) et Bragg (1913). A la même époque, Moseley entreprend une
étude systématique des spectres de rayons X émis par 38 éléments différents, dans un domaine de longueurs d'onde
allant de 0,4 à 8 Å (30 keV à 1,5 keV). Ce n'est que plus tard que fut étudié l'effet photoélectrique des rayons X dans
tous ses détails. Nous commencerons cependant cette partie avec cet effet (déjà mentionné) parce que son interprétation
est relativement simple et nous sera utile lorsque nous discuterons des spectres d'émission X.
1) Effet photoélectrique des rayons X
a) Spectre d'absorption
Au début de ce chapitre, nous avons mentionné l'existence de l'effet photoélectrique des atomes, et nous sommes
intéressés à l'aspect énergétique du processus. Rappelons qu'un photon d'énergie hν est susceptible d'arracher à un
atome un électron d’énergie cinétique
Te− =
1
m e v 2 = hν − Wi
2
où Wi est l'énergie d'ionisation de l'atome.
Un autre aspect du phénomène est lié à sa probabilité, ou, en termes d'interactions élémentaires photon-atome, à
sa section efficace. On constate qu'un faisceau de photons monochromatique d'intensité initiale I0 incident sur une cible
d'épaisseur z et de densité atomique n en ressort avec une intensité I donnée par :
I(z) = I 0 e −μz = I 0 e − nσz
où µ est le coefficient d'absorption et σ la section efficace d'absorption, soit ici la section efficace pour l'effet
photoélectrique.
Lorsque l'on fait varier l'énergie des photons incidents, l'énergie des photoélectrons varie. Mais en même temps,
on constate que la section efficace photoélectrique varie : elle décroît rapidement avec E = hν (dépendance
approximative en 1/E3). Le phénomène le plus important est cependant ici l'existence de brusques variations de la
section efficace (ou du coefficient d'absorption) lorsque l'énergie du photon incident passe par certaines valeurs : ces
6
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variations brusques du coefficient d'absorption sont appelées discontinuités d'absorption. Les figures ci-dessous
donnent les courbes observées dans le cas de feuilles (minces) d'argent et de plomb.
Argent (ρ = 10.48)
Plomb (ρ = 11.33)
1000
100
10
1
0,1
1
10
100
1000
Coefficient d'absorption (cm²/g)
Coefficient d'absorption (cm²/g)
10000
10000
1000
100
10
1
0,1
1
Energie (keV)
10
100
1000
Energie (keV)
Dans tous les cas, on observe une discontinuité unique et bien marquée correspondant à une énergie de photon
nettement plus élevée que pour toutes les autres, qu'on appelle discontinuité K. En dessous apparaissent des
discontinuités de structure plus complexe :
- la discontinuité L, qui comprend trois discontinuités voisines notées L1, L2 et L3 dans l'ordre des énergies
décroissantes
- la discontinuité M (cas du plomb) qui comprend les 5 discontinuités voisines M1 ...M5.
En dessous, on peut observer dans les éléments les plus lourds une discontinuité N à 7 composantes voisines.
Chaque discontinuité s'interprète comme correspondant à un seuil au dessus duquel un nouveau processus
contribue à l'absorption (d'où l'augmentation brusque du coefficient d'absorption) : chaque discontinuité correspond
donc finalement à l'existence dans l'atome d'électrons d'énergies de liaison différentes, que nous noterons BK,
B L1 , B L 2 , B L 3 , B M 1 , etc... (B vient de l'anglais "binding energy", énergie de liaison).
b) Spectres de vitesses des photoélectrons
Cette interprétation est confirmée par les mesures des spectres de vitesses des photoélectrons.
Considérons par exemple le cas d'une cible d'argent, pour laquelle on observe une discontinuité K à 25,5 keV et
trois discontinuités L à 3,8, 3,5 et 3,35 keV. Si ces énergies correspondent bien à des énergies de liaison atomiques (ou
travail de sortie) différentes, les relations d'Einstein de l'effet photoélectrique prévoient pour une énergie de photons
incidents hν = 70 keV par exemple (énergie des X produits dans un tube X à anticathode de tungstène -voir plus loin)
l'émission de photoélectrons d'énergies :
TK = hν – BK = 70 - 25,5 ≅ 45 keV
TL = hν – BL = 70 - 3,8 ≅ 66 keV
etc...
Les photoélectrons ainsi produits sont donc des photoélectrons de grande énergie dont on ne peut mesurer la
vitesse par les méthodes précédentes (partie I). Les méthodes adaptées sont au contraire ici des méthodes qui
s'apparentent à celles utilisées en spectroscopie de masse : on peut par exemple utiliser une mesure du rayon de
7
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courbure des trajectoires des électrons dans une région où a été appliqué un champ magnétique perpendiculaire à la
direction des vitesses initiales des électrons.
(Exemple : T = 45 keV ⇒ pc =
45(45 + 2 × 511) = 219 keV, pc (MeV) = 300 qBρ ⇒ ρ ≅ 7 cm pour B = 10-2 T).
Maurice de Broglie (le frère de Louis de Broglie) a effectué de telles mesures en 1922. L'énergie des
photoélectrons varie comme prévu avec hν et les énergies des diverses discontinuités d'absorption Bi mesurées par
ailleurs :
Ti = hν - Bi
2) Spectres d'émission X
a) Spectre de raies
Lorsque l'on irradie une substance avec un faisceau de rayons X, on n'observe pas seulement une atténuation du
faisceau incident : on constate aussi que la substance irradiée se comporte à son tour comme une source de rayons X.
L'analyse spectrale de ce nouveau rayonnement permet d'y distinguer
- le rayonnement diffusé (diffusion Thomson sans changement de fréquence et diffusion Compton)
- un rayonnement dit de fluorescence, formant un spectre de raies, caractéristique de la substance.
On observe plusieurs séries de raies, chacune des raies correspondant à la différence des énergies de deux
discontinuités d'absorption
Kα
I
1
Lα
Lβ
Lβ 2
Kα
1
Lγ
2
Kβ 1
1
Lγ
2
Kβ 2
E = hν
XL
XK
Série L (ou raies XL) :
raies
Série K (ou raies XK) :
L α 1, 2 : hν = B L 3 − B M 5, 4
raies
K α 1 : hν = B K − B L 3
L β 1 : hν = B L 2 − B M 4
K α 2 : hν = B K − B L 2
L β 2 : hν = B L 3 − B N 4 , 5
K β1 : hν = B K − B M3
L γ 1 : hν = B L 2 − B N 4
K β 2 : hν = B K − B M 2
…etc…
b) Bombardement électronique et spectre continu
La façon la plus courante de produire un spectre de raie X consiste en fait à utiliser un tube à rayon X : on
bombarde avec des électrons fortement accélérés un bloc métallique appelé anticathode : on observe alors un spectre de
raies caractéristique de la nature de l'anticathode. Ces raies sont complètement identiques à celles des spectres de
fluorescence (sous certaines conditions sur lesquelles nous reviendrons).
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L'ionisation des électrons de grande énergie de liaison de l'atome est ici produite par les électrons, au cours d'un
processus semblable à celui de l'expérience de Lenard pour les électrons les moins liés.
On observe cependant que le spectre de raie est en général superposé à un spectre continu, dont les
caractéristiques dépendent de la nature de l'anticathode et de l'énergie des électrons :
anticathodes de Z croissant
(même énergie d'électrons)
Intensité
Intensité
Energies d'électrons croissantes
(même anticathode)
Energie des photons
Energie des photons
L'intensité globale du spectre croît avec le numéro atomique Z du matériau constitutif de l'anticathode, tandis
que l'énergie maximum du spectre continu varie linéairement avec l'énergie des électrons. Ce spectre continu
correspond à ce que l'on appelle le "rayonnement de freinage" ou "Bremsstrahlung" (nom allemand généralement
employé) : les électrons arrivant sur l'anticathode y produisent des ionisations (d'où le spectre de raie), mais y sont aussi
brutalement freinés : en théorie classique du rayonnement, toute charge accélérée émet une onde électromagnétique,
dont la fréquence est d'autant plus élevée que l'accélération est plus intense. Chaque photon du spectre continu est ici
émis par un seul électron : l'énergie maximale qu'un électron peut donner sous forme de photon correspond à son
énergie maximale. La fréquence maximale du spectre continu correspond effectivement à
hν max =
1
mv 2 = eV
2
où V est la tension accélératrice, et la mesure de νmax connaissant V permet une mesure extrêmement précise du
rapport h/e (Hunt, 1915).
Notons pour finir que ce spectre continu contribue lui-même à la production du spectre de raies (absorption des
photons de Bremsstrahlung par effet photoélectrique dans l'anticathode).
c) Conditions d'observation du spectre X : principe d'exclusion
Lorsque l'on fait varier la tension accélératrice V du tube à rayons X, ou l'énergie des photons produisant un
spectre de fluorescence, on constate que les raies d'une série donnée n'apparaissent qu'à condition que l'énergie des
électrons ou des photons incidents soit suffisante pour ioniser l'électron du niveau atomique considéré.
Par exemple, pour
hν < BK
ou eV < BK
aucune des raies de la série K n'apparaît (même si par exemple hν(Kα) < hν < BK), alors qu'au contraire, dès que
hν ou eV > BK, toutes les raies de la série K apparaissent.
Pour la série L, en particulier, on peut par exemple ajuster l'énergie des électrons (ou photons) incidents de
manière à ne faire apparaître dans le spectre que les raies correspondant à des transitions impliquant le niveau L3 (raies
Lα et Lβ 2 ).
9
J.P. Rozet 2007
Au total, on constate que les transitions correspondant à un niveau donné n'apparaissent que si on a au préalable
arraché un électron du niveau en question. Ceci ne peut s'expliquer qu'en faisant l'hypothèse que le nombre de places
disponibles sur chaque niveau d'énergie est limité. Les états les plus stables correspondant aux énergies de liaison
les plus élevées, les électrons occupent normalement les niveaux d'énergie les plus profonds, qui sont donc
normalement complètement occupés : un électron d'un état moins lié ne peut retomber sur ce niveau (en émettant un
photon d'énergie caractéristique) que si on y a créé préalablement une place disponible en y arrachant un électron.
d) Comparaison avec les spectres optiques et règles de sélection
On peut, pour se représenter l'atome à N électrons et les transitions entre niveaux d'énergie, utiliser une
représentation légèrement différente de celle utilisée pour les spectres optiques : au lieu d'y faire figurer l'énergie totale
d'excitation de l'atome, on y représente les énergies "individuelles" des électrons par niveau. Ce que l'on entend par là,
en fait, c'est l'énergie nécessaire pour arracher un électron d'une couche atomique donnée, c'est à dire son énergie
d'ionisation. Les effets "d'écrantage" que nous introduirons dans le paragraphe suivant font qu'en réalité l'énergie
nécessaire pour arracher, par exemple, deux électrons d'une couche donnée est légèrement supérieure à 2 fois l'énergie
nécessaire pour en arracher un seul, et que l'énergie nécessaire pour arracher tous les électrons est nettement supérieure
à la somme des énergies d'ionisation "individuelles" de chacun des électrons. Ainsi l'énergie nécessaire pour arracher
un e- de l'atome d'hélium est de 24,5 eV, celle pour les arracher tous les deux de 79 eV.
L'état "fondamental" correspond au cas où tous
les électrons occupent les états les plus liés. Les
électrons des couches internes ont une probabilité très
E
0
niveaux
vides
faible d'être excité vers un niveau excité normalement
M
vide : leur probabilité d'être ionisé est beaucoup plus
grande, et (en première approximation), on n'observe
L
pas d'excitation résonante, contrairement à ce qui se
passe dans le cas des électrons des couches les moins
Série L
liées (qui donnent lieu à l'émission de raies dans le
domaine optique).
K
Série K
On retrouve pour les transitions X les "règles de sélection" déjà mentionnées pour les spectres optiques : il
n'existe pas, par exemple, de transition L1 → K.
On pourra se reporter à l'ouvrage " Physique Atomique " (B.Cagnac et J.C. Pebay-Peyroula) pp 182-183 pour
une discussion sur la comparaison des "schéma de niveaux" en termes d'énergie individuelle des électrons et d'énergie
globale de l'atome.
e) Conséquences sur la structure des atomes à N électrons
En définitive, on peut résumer les conclusions tirées de l'étude des spectres X de la façon suivante, en ce qui
concerne les atomes à N électrons :
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- les électrons n'ont pas tous la même énergie de liaison : il existe plusieurs niveaux d'énergie dans l'atome
- les niveaux d'énergie les plus profonds sont normalement entièrement occupés : le nombre d'électrons présents
sur chaque "couche" correspond au nombre maximum d'électrons que l'on peut y placer (au moins pour les couches les
plus liées).
La détermination du nombre d'électrons que l'on peut placer sur un niveau donné conduira en 1925 à l'énoncé du
principe d'exclusion de Pauli et à l'interprétation de la classification périodique des éléments de Mendeleïev.
f) Emission d’électrons Auger
Il existe un processus de réarrangement de l’atome ionisé ou excité concurrentiel de l'émission de photons :
l'énergie disponible est communiquée à un électron du cortège atomique qui emporte l'énergie
E e = hν − B n
−
où hν est l'énergie disponible emportée par un photon dans le cas du processus radiatif, et Bn l'énergie de liaison
de l'électron dans son état initial. L'équation précédente, analogue à celle de l'effet photoélectrique, fait que l'on parle
parfois d'"effet photoélectrique interne". Ce phénomène porte le nom d'effet Auger
e- Auger
Exemple :
• Auger K en concurrence avec l'émission d'XK
L
Auger KLL :
E e ≅ hν − B L ≅ B K − 2B L
−
K
Si on appelle Px la probabilité de désexcitation par émission X d'un état ionisé donné et PA celle de l'émission
d'électron Auger, on appelle rendement de fluorescence le rapport
ω=
Px
Px + PA
3) Loi de Moseley
Ainsi que nous l'avons signalé en introduction de cette partie, une étude systématique des spectres de rayons X a
été réalisée par Moseley à partir de 1913. (cf modèle de Bohr !)
Une des principales conclusions de ses études fut la constatation que l'énergie des transitions Kα et Kβ varie
suivant une loi approchée en Z2.
Une étude plus systématique, portant sur l'énergie des niveaux K, L et M, conduit à constater que leurs énergies
sont données en première approximation par la même formule en fonction du numéro atomique Z des éléments :
B n = Rhc
(Z − Sn ) 2
n2
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(Bn représente l'énergie à fournir pour arracher un électron d'une couche donnée, et est donc positive : l'énergie
de liaison est au contraire négative et est donnée pour chaque couche par En = - Bn).
On constate que la formule précédente ne diffère des prédictions du modèle de Bohr que par la présence de la
quantité S, qu'on appelle coefficient d'écran. On trouve :
pour le niveau K :
n = 1 et SK ≅ 1 à 2
pour les niveaux L :
n = 2 et SL ≅ 10
pour les niveaux M :
n = 3 et SM ≅ 20
En fait, on observe des coefficients d'écrans (ou facteurs d'écrantage) légèrement différents pour chacun des sous
niveaux d'une couche atomique de n donné (trois pour L, n=2 ; cinq pour M, n=3, etc...)
n
Bn / Rhc
La figure ci-contre reproduit les
valeurs observées (on a
Bn
Z − Sn
=
Rhc
n
K
LI
LII
LIII
80
qui doit avoir une dépendance linéaire en
fonction de Z : on constate que la linéarité,
assez bonne pour le niveau K (n=1) n'est
MI
M II
M III
M IV
MV
60
qu'assez approximative pour les autres
niveaux).
L'évolution avec n des valeurs
40
observées pour les coefficients d'écran
peut
s'expliquer
en
première
approximation dans le cadre du modèle
20
d'atome de Bohr et des orbites circulaires.
0
20
40
60
80
Z
Dans le cas d'atomes à plusieurs électrons, il convient d'ajouter à l'énergie d'interaction entre un électron et le
noyau une énergie d'interaction entre électrons. On peut évaluer grossièrement l'effet des autres électrons que celui
considéré de la façon suivante : les électrons étant en orbite circulaire très rapide, leur action moyenne est en première
approximation la même que si leur charge possédait une symétrie sphérique centrée sur le noyau. L'application du
théorème de Gauss montre alors que pour un électron donné, seuls ceux qui sont plus proches du noyau que lui
produisent une variation de la charge effective qu'il ressent. Comme, d'après le modèle de Bohr, les rayons des orbites
croissent avec n (r = a0 n2/Z), on s'attend à ce que l'effet d'écran croisse avec n, ce que l'on observe.
Remarquons cependant que ce calcul simpliste pourrait laisser croire qu'on devrait observer SK ≅ 0, SL ≅ neK, SM
≅ neK + neL, ce qui n'est en fait pas le cas. Par ailleurs, les niveaux L, M, N etc... présentent une structure fine
(subdivision en plusieurs sous niveaux) que ce modèle simpliste n'explique pas. Le modèle d'orbites elliptiques de
Sommerfeld, exposé dans le chapitre suivant, permettra par contre un début d'explication.
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