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LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Maud CLERMONT LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS, ENJEUX ET PERSPECTIVES Mémoire de DEA sous la direction du Professeur Christophe Jamin DEA DROIT DES CONTRATS OPTION DROIT DES AFFAIRES Promotion 2002-2003 Lille 2 - Université du droit et de la santé Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion 1 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS INTRODUCTION L’Europe s’est tout d’abord construite sur des fondements économiques, le coût des innovations du monde moderne ne pouvait pas être assumé par les Etats pris isolément. Leur unification est alors apparue comme le meilleur moyen d’améliorer leurs activités économiques et techniques, on pense notamment à la conquête de l’espace, tout en faisant face aux grandes puissances. Ainsi, après une longue période de nationalisme politique et juridique, le traité de Rome a marqué l’engagement des pays d’Europe vers une communauté économique avec pour notion clé, la création d’un marché intérieur. L’Acte unique de 1986 a en suite marqué un tournant vers une union également politique, la procédure de coopération avec le Parlement en est une illustration. Puis, l’effondrement des systèmes communistes a accéléré cette évolution en permettant la signature en 1992 du Traité de Maastricht instituant l’ « Union européenne ». La CEE (Communauté économique européenne) est alors devenue la Communauté européenne (CE), ce changement terminologique n’a rien d’anodin au contraire, il témoigne de la volonté des signataires d’élargir les compétences communautaires à des domaines non économiques. Ce traité marque également la création de la citoyenneté européenne et accroît le rôle législatif du Parlement européen. Tant que le rapprochement des Etats avait un objectif uniquement économique, il n’était pas nécessaire d’instaurer une unité juridique, l’exemple d’Etats fédérés comme les Etats-Unis d’Amérique qui malgré cinquante législations différentes multiplient les échanges entre Etats au point d’instaurer une véritable économie « nationale » en est la plus évidente illustration1. Mais dès lors que l’Europe a souhaité s’orienter vers une union également politique, il faut s’attendre à une convergence des législations. Celle-ci peut se faire en partie spontanément, mais elle est essentiellement l’œuvre de juristes qui confrontent les règles légales tout en ayant une approche compréhensive des systèmes en présence, ils prennent en compte tout le contexte parajuridique, notamment les histoires et cultures individuelles. Quoi qu’il en soit, même si elle devient également politique, il ne faut pas perdre de vue que l’Europe du Traité est fondamentalement une Europe de marché2. A ce titre en tout cas, elle implique l’élimination des mesures nationales susceptibles de constituer des entraves aux échanges des marchandises 1 MAGNIER V., Rapprochement des droits dans l’Union Européenne et viabilité d’un droit commun des sociétés, thèse Paris, LGDJ, 1999, p. 1. 2 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS ou des services sur la base des articles 28 ou 49 du Traité3. La Communauté doit donc s’assurer que les législations des divers Etats membres ne sont pas des obstacles au libre échange auquel cas leur rapprochement s’avèrerait nécessaire. 1. Les prémices d’un rapprochement des législations C’est dans la deuxième moitié du XIXème siècle que le droit comparé a été « inventé » pour reprendre le terme de Marc Ancel, la fondation de la Société de législation comparée en 1869 pouvant être considérée comme sa date de naissance4. Mais le premier Congrès international de droit comparé qui s’est tenu en 1900 a marqué un tournant décisif dans l’évolution de cette discipline. Des auteurs tels que Saleilles ou Lambert, ont contribué à développer la matière mais surtout à l’envisager sous un angle différent. Ils ont refusé de continuer à simplement présenter les lois étrangères au contraire, selon eux, le comparatiste doit analyser en profondeur les droits étrangers pour en faire profiter son propre droit ce qui passe nécessairement par l’étude de l’ensemble des sources du droit et notamment la jurisprudence et la doctrine5. Le droit comparé a alors pour objet la recherche d’un fond commun à toutes les législations nationales6 et qu’il s’oriente rapidement vers la perspective d’une unification législative internationale. La fin de la Première Guerre mondiale marque un nouveau pas en avant, l’Europe est pacifiée, la Société des Nations vient d’ailleurs d’être créée, il est temps de songer à une unification des règles juridiques de plusieurs pays. En effet, la disparité des lois nationales semble incompatible avec la multiplication des échanges entre les Etats, en outre, une unification apparaît plus efficace qu’un système uniformisé de règlement des conflits de lois qui laisse subsister les divergences nationales. On soutenait également que la diversité des lois compromettait la sûreté et ainsi leur suprématie. De plus, la loi uniforme internationale était considérée comme la plus aboutie car elle était le résultat d’une confrontation des diverses lois nationales ce qui devait permettre de garder le meilleur de chacune d’entre elles et ainsi d’améliorer le droit. C’est à cette époque qu’un projet a vu le 2 WITZ Cl., Rapport de synthèse du colloque sur L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 162. 3 Art. 28 : Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. Art. 49§1 : Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation. 4 ANCEL M., Rapprochement, unification ou harmonisation des droits ?, in Mélanges Gabriel Marty, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 2. 5 JAMIN Ch., Le vieux rêve de Saleilles et Lambert revisité, RIDC, 2000, p. 744. 6 ANCEL M., Rapprochement, unification ou harmonisation des droits ?, Op. cit., p. 2. 3 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS jour, il s’agissait de réaliser un code des obligations et des contrats franco-italien. Bien que celui-ci n’ait pas abouti, peut-être parce qu’un tel projet était prématuré, il témoigne du souci purement économique de faciliter les échanges entre les deux pays, mais aussi d’un état d’esprit ambiant qui rompt avec l’isolationnisme et le nationalisme juridique qui ont suivi la première vague de codification du XIXème siècle. La nouvelle génération de comparatistes donnait alors un nouveau souffle au mythe du droit idéal. Les premiers comparatistes avaient de très larges ambitions7, mais celles-ci se sont rapidement révélées utopiques ou tout du moins irréalisables à court terme. C’est ainsi que les travaux se sont portés d’avantage sur des systèmes d’uniformisation à une échelle régionale. 2. Les différentes modalités de rapprochement Afin de mieux comprendre le vocabulaire comparatiste, il convient d’établir une typologie des divers modes de rapprochement possibles. En effet, le terme de « rapprochement » est le nom générique pour désigner l'ensemble des méthodes de convergence des législations nationales car celles-ci peuvent se faire à des degrés très variables. Une première subdivision est à faire entre les rapprochements dus au hasard et ceux qui sont l’expression d’une volonté. Parmi les rapprochements fortuits, on peut relever notamment ceux qui résultent d’évènements politiques comme des annexions ou des colonisations, mais seules les convergences volontaires sont issues de méthodes juridiques particulières. Au niveau communautaire, le rapprochement juridique étant un élément de la réalisation de l’Union politique, nous n’étudierons que les méthodes de rapprochement volontaire. A ce stade, il faut à nouveau faire une distinction selon que la source du rapprochement est d’origine légale ou doctrinale. Ainsi, le rapprochement d’origine légale se fait par voie conventionnelle, il s’agit de l’ « unification » des règles de droit par l’édiction d’un texte législatif uniforme. Cette unification s’oppose à l’ « harmonisation » qui est d’origine doctrinale, et plus difficile à cerner car elle est plus diffuse, elle ne s’intéresse pas aux seules lois mais correspond plus à un accord sur la façon de traiter certains problèmes8. Selon les auteurs, ces différents types de rapprochement ne sont pas définis de la même manière, ainsi, le Vocabulaire Capitant retient qu’une harmonisation peut consister à « unifier des ensembles législatifs différents par élaboration d’un droit nouveau empruntant aux uns et 7 JAMIN Ch., Le vieux rêve de Saleilles et Lambert revisité, Op. cit., p. 748. MAGNIER V., Rapprochement des droits dans l’Union Européenne et viabilité d’un droit commun des sociétés, Op. cit., p. 23. 8 4 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS aux autres », elle se rapproche ainsi de l’unification. L’harmonisation peut également correspondre d’après le Vocabulaire Capitant à un « simple rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques » ce qui la fait alors plus ressembler à une coordination. Mais l’incertitude est encore plus grande lorsque ce même vocabulaire énonce que le rapprochement des législations est un « mode d’intégration juridique moins poussée que l’unification » et que c’est un synonyme d’harmonisation9 alors qu’il correspond à un terme générique. Toutefois, pour la suite, nous continuerons à parler d’unification si le rapprochement est de source légale et d’harmonisation s’il est d’origine doctrinale. Ceci se justifie notamment du fait que malgré les incertitudes quant à ce que recouvrent ces termes, les auteurs s’accordent toutefois sur la hiérarchie qu’ils impliquent, l’harmonisation correspondant à une étape moins poussée de rapprochement que l’uniformisation, elle-même moins aboutie que l’unification ou encore la coordination qui semblerait être la première étape du rapprochement10. L’unification et l’harmonisation étant les deux formes les plus typiques du rapprochement, elles nous retiendront plus particulièrement. La définition donnée par le Professeur Jeammaud de l’unification semble la plus claire, elle s’entendrait de la substitution, à des droits formellement distincts ou à des corps de règles de droit distincts, « d’un droit unique ou d’un corps unique de dispositions »11. La technique conventionnelle peut se manifester de différentes manières, les premières ont consisté à unifier des règles de conflit de lois ce qui a permis de limiter les incertitudes quant à la résolution des litiges à l’échelon international. Ce type d’unification est apparu indispensable à l’établissement de relations commerciales interétatiques durables. Par la suite, l’unification conventionnelle a directement porté sur le droit matériel, c’est par exemple le cas de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises. Les règlements communautaires correspondent également à une unification car ils écartent les droits nationaux antérieurement applicables. Mais le bilan de ce mode de rapprochement est globalement insatisfaisant car ces conventions n’ont de valeur qu’une fois ratifiées or les Etats signataires ne vont pas nécessairement jusqu’à cette ultime étape ou alors emploient 9 Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant, dir. G. Cornu, 7ème éd., Puf, 1998. JEAMMAUD A., Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ?, in Vers un code européen de la consommation, Colloque de Lyon des 12 et 13 décembre 1997, sous la direction de F. Osman, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 35, MAGNIER V., Rapprochement des droits dans l’Union Européenne et viabilité d’un droit commun des sociétés, Op. cit., p. 13 et s. 11 JEAMMAUD A., Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ?, Op. cit., p. 39 (l’auteur souligne). 10 5 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS largement la technique des réserves. Puis, dans leur application, des atteintes peuvent être portées à l’unification car les juges nationaux ont des interprétations différentes des textes. L’harmonisation quant à elle correspond à un instrument juridique beaucoup plus souple mais son aspect protéiforme rend difficile toute systématisation. Antoine Jeammaud en donne toutefois une définition satisfaisante, il s’agirait de la réalisation, dans le respect de la pluralité des droits étatiques, d’une équivalence des règles nationales12. La volonté d’harmoniser les droits s’est développée en raison des déceptions nées de l’unification, politiquement, l’harmonisation est plus acceptable car son objectif est plus modeste13. De par son objet comme sa source, l’harmonisation se veut plus proche des justiciables, d’une part, elle porte sur des domaines matériel et géographique plus circonscrits, mais encore, elle est le fruit d’une doctrine qui ne pense pas le droit de façon isolée mais au contraire dans un contexte socioculturel qui rend ce rapprochement moins artificiel. Le droit comparé est à la base de l’harmonisation, cette technique est plus lente que l’unification car elle repose sur une volonté de mieux comprendre les systèmes juridiques à rapprocher et de mettre en avant leurs similitudes et leurs différences. Il faut également relever que le rapprochement issu de l’harmonisation se fait de façon beaucoup plus progressive, à savoir tout d’abord la recherche de concepts communs puis l’élaboration de principes et enfin éventuellement l’édiction de règles de droit, cette phase ultime se confond alors avec l’unification conventionnelle. Les exemples de technique d’harmonisation sont nombreux, aux Etats-Unis où chaque Etat a une législation différente, même si elles sont toutes issues de la common law (exception faite de l’Etat de Louisiane), il existe la technique des lois modèles dont la plus connue est le Uniform Commercial Code. Leur but est de proposer pour l’ensemble du territoire un corps de règles unique facultatif, à destination tant des particuliers que des législateurs pour l’élaboration de nouvelles lois qui, à terme, sont censées remplacer les divers textes existant. L’Europe continentale a également connu un mode d’harmonisation tout à fait particulier au Moyen Age, le jus commune. Au-delà de la multitude de systèmes juridiques de l’époque, nous avons connu une sorte de droit commun européen spontané d’origine obscure qui s’est notamment développé avec les foires internationales. Il correspond à un des premiers modes d’harmonisation telle que nous l’entendons actuellement car il fut le fruit des juristes de l’époque qui avaient pour base commune le droit romain mais également le latin comme 12 JEAMMAUD A., Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ?, Op. cit., p. 43. DELMAS-MARTY M., Le phénomène de l’harmonisation, l’expérience contemporaine, in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 31. 13 6 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS langue de travail commune. Il s’agissait donc d’un droit savant d’origine doctrinale, baigné de philosophie et ce, en particulier grâce à l’influence de l’Ecole du droit naturel. Au niveau communautaire, les recommandations et les directives correspondent à deux formes d’harmonisation et il semble que le principe de subsidiarité implique que le droit dérivé communautaire relève plus de l’harmonisation que de l’unification. Il faut enfin signaler l’expression « coopération » qui est souvent associée à celle d’harmonisation, il semblerait qu’elles recouvrent la même notion, la coopération correspondant à une étape de rapprochement moindre. L’unification et l’harmonisation sont donc deux techniques différentes de rapprochement mais elles ne sont pas contradictoires, il faut les envisager de façon complémentaire car l’unification peut être l’aboutissement d’une harmonisation. Une telle démarche doit être encouragée car elle seule permet une unification satisfaisante. Enfin, si les auteurs n’utilisent pas toujours de façon appropriée ces différents termes, on peut relever qu’ils n’y sont pas encouragés car les conventions internationales elles-mêmes manquent de rigueur sur ce point. C’est notamment le cas de la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises qui se présente dans son préambule comme un ensemble de « règles uniformes » alors qu’imposant des solutions, elle correspond à une unification du droit14. 3. Le rapprochement des législations au niveau communautaire Dans le cadre de l’Union européenne, le traité de Rome prévoit que l'action de la Communauté porte notamment, d’après l’article 3-1 h, sur le rapprochement des législations nationales, dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun. En effet, pour reprendre les termes du Professeur Denis Tallon, convaincu depuis la première heure de la nécessité d’un rapprochement des législations au niveau communautaire, « il ne peut exister de libre circulation des personnes, des biens, des capitaux, des services en présence de disparités flagrantes entre les droits nationaux »15. Mais comme nous l’avons vu, les modalités de ce rapprochement sont multiples, elles relèvent essentiellement des règlements et des directives. Toutefois, une harmonisation souple est souvent privilégiée car le droit communautaire obéit aux principes de subsidiarité et de proportionnalité dans la répartition 14 15 JEAMMAUD A., Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ?, Op. cit., p. 49. TALLON D., Vers un droit européen du contrat ?, in Mélanges André Colomer, Litec, 1993, p. 486. 7 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS des compétences entre les Etats membres et les institutions communautaires. Ceci a pour but de limiter l’action des institutions communautaires afin de respecter la souveraineté des Etats. Ainsi, l’unification doit être limitée aux domaines où elle paraît strictement nécessaire. Il résulte de ces divers éléments une préférence du droit communautaire pour un rapprochement souple des législations même si l’unification tend à se multiplier dans des situations où elle ne semble pas indispensable pour tous, sans doute en raison de la volonté d’aller plus en avant dans l’intégration européenne16. S’il est beaucoup question de rapprochement en matière de droit des contrats, il s’agit en fait d’une évolution actuelle du droit communautaire qui s’inscrit dans un cadre plus général. Ce mouvement se retrouve dans des domaines aussi variés que le droit des marchés publics, le droit des sociétés ou le droit pénal. C’est par exemple le cas du droit judiciaire privé, depuis le 1er mai 1999, date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, la coopération judiciaire en matière civile ne relève plus de la coopération intergouvernementale mais a été « communautarisée »17. Il résulte de la combinaison des articles 61 c et 65 du traité CE que le Conseil doit arrêter les mesures permettant d’améliorer et de simplifier la coopération en matière d’obtention des preuves. C’est ainsi qu’a été pris un règlement le 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale18. Ce règlement a pour vocation de privilégier l’entraide judiciaire. En effet, le pluralisme législatif interdit toute fluidité spatiale dans l’administration de la preuve. Or, la liberté de circulation des mesures d’instruction, comme celle des personnes ou des capitaux, est nécessaire au bon fonctionnement du marché commun. De même, en matière de droit social, les domaines couverts par l’harmonisation se sont considérablement multipliés. Elle concerne entre autre, les licenciements collectifs19 ou les mesures organisant la sécurité et la santé au travail20. En définitive, à par les domaines exclus de la compétence communautaire par l’article 137§6 du traité C.E., c’est-à-dire les rémunérations, le droit d’association, le droit de grève et le lock-out, rares sont ceux qui 16 C’est notamment le cas pour certains auteurs pour le projet de code européen des contrats, OMARJEE I, Harmonisation communautaire et renouvellement des concepts en droit du travail français, in Variations sur l’harmonisation communautaire des droits nationaux, Chronique par le Centre d’études juridiques européennes et comparées de l’Université Paris X-Nanterre, Petites Affiches, 28 février 2002, n°43, p. 14. 17 GROUD T., Obtention de preuves situées à l’étranger. Harmonisation européenne et unification internationale, in Variations sur l’harmonisation communautaire des droits nationaux, Chronique par le Centre d’études juridiques européennes et comparées de l’Université Paris X-Nanterre, Petites Affiches, 28 février 2002, n°43, p. 11. 18 Règlement 1206/2001, JOCE L 174 du 27/06/2001. 19 Directive 98/59 du 20 juillet 1998, JOCE L 225 du 12/08/1998. 20 Directive cadre 89/391 du 12 juin 1989, JOCE L 183 du 29/06/1989. 8 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS échappent effectivement à l’harmonisation. Loin de donner un aperçu exhaustif des secteurs concernés par le rapprochement des législations au niveau communautaire, ces données témoignent de la vigueur de ce mouvement. Toutefois, si ce désir de rapprochement du droit ne se limite pas au droit des contrats, celui-ci constitue tout de même un élément phare de l’évolution du droit communautaire. La réalisation de la Communauté économique se concrétise par le contrat qui apparaît donc comme la technique de base de la libre circulation et de ce fait, c’est sur lui que doivent porter les efforts de rapprochement21. Il ressort de ces éléments une réelle volonté de rapprocher les législations nationales en matière de droit des contrats au niveau communautaire. Nous verrons au Titre I qu’un tel rapprochement est également nécessaire pour la réalisation du marché intérieur qui est actuellement freiné par la diversité des législations nationales. Au Titre II, nous tenterons d’étudier les diverses modalités de mise en œuvre de ce rapprochement, d’une part les propositions issues d’organismes privés puis celles d’origine communautaire. 21 CHARBIT N., L’esperanto du droit ? La rencontre du droit communautaire et du droit des contrats–A propos de la communication de la Commission européenne relative au droit européen des contrats, JCP, 2002, I 110, p. 11. 9 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS TITRE I : UNE VOLONTE DE RAPPROCHEMENT DES LEGISLATIONS AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE Actuellement, on observe que les objectifs du droit communautaire ne sont pas atteints de façon satisfaisante et que les législations, tant au niveau communautaire qu’interne ne sont pas en phase avec nos besoins (Section I). Aussi, s’avère-t-il nécessaire de repenser nos législations à chacun de ces niveaux mais également dans une perspective plus globale pour une meilleure unité au sein de la communauté (Section II). 10 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS SECTION I. DES CONSTATS NEGATIFS DU MARCHE INTERIEUR Alors que le marché intérieur a pour objectif principal d’instaurer au sein de la communauté le principe de libre circulation, il s’avère que les divers opérateurs en profitent de façon inégale (sous-section 1), en outre, la législation est souvent lacunaire et manque de cohérence ce qui compromet son efficacité (sous-section 2). Sous-section 1. L’inégalité des différents opérateurs face au principe de libre échange La libre circulation des produits existe bien en théorie, en revanche, selon la qualité des opérateurs, ce n’est pas toujours une réalité pratique. Ainsi, si les grandes entreprises profitent de ce grand marché (I), les consommateurs et les petites entreprises s’en sentent exclus (II). I. Les grandes entreprises familières du libre échange L’article 2 du traité de Rome prévoit que la Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun et la mise en œuvre de politiques communes, de promouvoir dans l’ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques. Pour y parvenir, l’article 3 c), issu de l’Acte unique de 1986, retient que la Communauté met en œuvre un marché intérieur caractérisé par l’abolition, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. En pratique, on peut tout de même se demander si la mise en place de ce marché unique correspond aux attentes des institutions communautaires ; les 11 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS entreprises ont-elles vu leurs champs d’actions s’élargir et sont-elles satisfaites de ce nouvel espace ? Pour tenter de répondre à cette question, nous pouvons nous intéresser à la communication de la Commission concernant le droit européen des contrats en date du 11 juillet 200122. En effet, dans ce Livre vert sur lequel nous reviendrons ultérieurement, la Commission cherche à savoir si la législation communautaire répond aux objectifs du traité de Rome et notamment si le libre échange est assuré. En particulier, elle s’interroge sur le point de savoir si les différences de législations entre les Etats membres sont un frein au principe de libre échange. Pour ce faire, elle invitait toute personne à réagir sur ce sujet afin d’adapter le cas échéant la législation européenne. Des entreprises de plusieurs pays y ont répondu. On ne peut toutefois donner une valeur trop importante à ces réactions qui n’ont en aucun cas la prétention de refléter une réalité valable pour l’ensemble de l’Union. On peut par exemple relever que les réactions proviennent essentiellement d’entreprises allemandes et qu’aucune entreprise française n’a pris part à ce débat, le panel n’est pas représentatif du paysage industriel communautaire. En revanche, on peut en déduire une tendance. Globalement, le résultat est plutôt positif, selon certaines contributions d’entreprises manufacturières notamment, pour les contrats entre entreprises, les différences entre les législations ne constituent pas un obstacle significatif aux transactions transfrontalières23. Elles retiennent que le plus souvent, le droit international privé, essentiellement la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises24 ainsi que la législation communautaire existante apportent des solutions satisfaisantes. Toutefois, le but de cette communication était de mettre en avant les éléments négatifs de la législation actuelle aussi, de nombreux points perfectibles sont-ils abordés. En particulier, les entreprises qui se sont manifestées ont essentiellement relevé comme handicap à la réalisation d’opérations transfrontières, le manque de cohérence des directives communautaires entre elles. On peut également relever que divers gouvernements ont procédé à des consultations sur ce sujet dans leur pays mais il serait délicat d’en tirer une position commune car il n’y a pas de réelle unité entre les réactions des différents gouvernements. Ainsi, en Allemagne, les 22 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant le droit européen des contrats du 11 juillet 2001, COM(2001) 398 final, JOCE C 255/1 du 13/09/2001. 23 C’est notamment ce qui ressort de la réponse de l’entreprise anglaise C.B.I. point 3 : « Legal costs should not be significantly increased as a result of contracting under the laws of another jurisdiction » consultable sur le site de la Commission : http://europa.eu.int/comm/consumers/cons_int/safe_shop/fair_bus_pract/cont_law/comments/2.1.6.pdf 24 Convention des Nations Unies, signée à Vienne le 11 avril 1980, JO 27 décembre 1987, entrée en vigueur en France le 1er janvier 1988. 12 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Länder estiment que la complexité de la situation juridique actuelle et le problème du droit applicable représentent des obstacles substantiels. En revanche, le gouvernement danois rapporte que la majeure partie des réactions des organisations industrielles indique que rien ne permet d’établir l’existence de difficultés notables entravant le développement du marché intérieur. Il précise que c’est grâce notamment à la mise au point de normes standards ainsi que de contrats types internationaux ou européens. Pour ce qui est du gouvernement britannique, évoquant l’existence de différents régimes juridiques en Ecosse, en Angleterre et au Pays de Galles, il ne pense pas que la coexistence de différents droits nationaux des contrats implique nécessairement une entrave au fonctionnement du marché intérieur. Il faut néanmoins modérer la portée de ces propos. Si la question était ici de savoir si les différences de législations représentent un handicap profond à la réalisation du marché intérieur, la réponse étant alors plutôt négative, en posant la question différemment, on s’aperçoit que les résultats peuvent apparaître tout autres. Ainsi, suite à un sondage commandé par la Commission sur le commerce transfrontalier entre professionnels et consommateurs, à la question « parmi ces différents facteurs, lesquels rendent le commerce entre Etats membres le plus difficile selon vous ? », les différences de législations nationales arrivent en premier avec 47% des personnes interrogées qui considèrent ce facteur comme au moins assez important25 (la Commission précise que la taille de l’échantillon est de 1000 personnes par Etat membre, sauf en Allemagne où ils sont 2000 et la marge d’erreur de ce type de sondage est estimée à +/- 3,1%). De façon générale, on peut en déduire que les différences de règles matérielles d’un Etat membre à l’autre impliquent un coût supplémentaire pour les entreprises. Cela se manifeste avant la conclusion de tout contrat car il faut mettre en œuvre un investissement lourd en terme de conseils juridiques pour connaître le contexte juridique de l’Etat dans lequel une entreprise veut s’implanter. Puis, en cours d’exécution, le moindre litige implique de faire appel à des avocats internationaux aux honoraires souvent élevés. L’organisation et le coût que cela engendre pour une entreprise de bénéficier du principe de libre échange sont considérables mais, cela rentre dans leur budget normal et en théorie, c’est une perte pour un gain bien plus important. A long terme, ces dépenses se rentabilisent aisément. On peut toutefois signaler que dans leurs réactions à la Commission, les entreprises ont relevé que ces 25 Rapport Flash EB 128 du 14 novembre 2002 « Public opinion in Europe : views on business-to-consumer cross-border trade », question 22-2, consultable sur le site : http://europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/eb/ebs_175_fl128_en.pdf 13 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS dépenses étaient beaucoup plus importantes quand elles avaient pour destinataires des consommateurs et non des entreprises. En effet, bien que la loi d’origine des entreprises soit le plus souvent applicable d’après les articles 4 et 5 de la Convention de Rome26, les consommateurs bénéficient de dispositions nationales impératives protectrices qui diffèrent d’un Etat membre à l’autre. Cela alourdit considérablement la démarche des entreprises et est source d’insécurité juridique et ce d’autant plus que la distinction entre les lois impératives et supplétives n’est pas toujours aisée, même pour des juristes. Si le commerce transfrontalier implique des dépenses supplémentaires pour les entreprises, celles de grande taille y trouvent tout de même un avantage incontestable, pour les consommateurs et les petites et moyennes entreprises en revanche, le constat est beaucoup moins positif (II). II. La méfiance des consommateurs et des PME pour les contrats transfrontaliers Alors que les grandes entreprises s’accommodent facilement de l’ouverture des frontières et surtout en profitent pour élargir leur champ d’action, les plus petites entreprises et les consommateurs sont au contraire réticents pour passer des contrats transfrontières. Tout d’abord, bien que de nombreuses PME, en particulier dans les zones frontalières, souhaiteraient accroître leur domaine d’activité géographique, elles sont très vite freinées par l’investissement financier que cela implique, pour elles, les coûts du recours à une assistance juridique sont proportionnellement plus élevés que pour des grandes entreprises. Dans sa communication de 2001, la Commission a relevé que la sollicitation de conseils sur un droit applicable qui n’est pas connu entraîne des frais juridiques considérables et des risques commerciaux pour la partie au contrat concernée, sans pour autant apporter la solution économiquement la plus avantageuse. Dans sa nouvelle communication de la Commission en date du 12 février 2003 adoptant le Plan d’action pour « Un droit européen des contrats plus 26 Convention de Rome, 80/934 CEE du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, JOCE L 266 du 9/10/1980. 14 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS cohérent » où elle fait la synthèse des réactions à sa première communication, elle retient que 27 les PME se voient complètement dissuadées d’avoir des activités transfrontalières. Si elles s’y risquent, elles subissent un net désavantage compétitif car elles sont en situation de concurrence avec les opérateurs nationaux qui, à ce titre, n’ont pas à exposer de tels frais28. C’est notamment ce qui ressort de la réaction du gouvernement danois, les résultats de ses consultations ont fait apparaître que les PME peuvent rencontrer des difficultés particulières sur le marché intérieur du fait des différences de législations, principalement en raison du risque d’ignorance des règles étrangères ou des coûts liés à la clarification des ambiguïtés. De plus, bien que le principe de la loi d’autonomie s’applique dans leurs contrats passés avec d’autres entreprises, cela ne leur apporte aucune aide, les PME sont souvent contraintes d’accepter les clauses générales de leur cocontractant car elles ne disposent pas d’un pouvoir de négociation économique suffisant pour imposer leur choix du droit applicable29. Si les PME ne peuvent pas bénéficier pleinement du marché intérieur, la situation est encore plus délicate pour les consommateurs. Dans la plupart des cas, leurs lois nationales ne seront pas applicables. Cela peut tenir au fait que souvent, le professionnel choisi son droit national comme étant le droit applicable grâce à des clauses contractuelles types. Cela signifie que le consommateur est censé avoir reconnu et accepté cette loi en vertu du principe de la loi d’autonomie alors qu’en pratique, le plus souvent, il n’a même pas conscience de ce genre de considération. A défaut de choix de la loi, même si dans l’hypothèse précitée, le choix n’est que théorique pour le consommateur, l’article 4 de la Convention de Rome retient comme loi objectivement applicable, celle du débiteur de la prestation caractéristique qui correspond en pratique à la partie pour laquelle le paiement est dû, c’est-à-dire la loi du professionnel. L’article 5 de cette même Convention qui traite plus particulièrement des consommateurs n’apporte pas d’aide significative car il ne reconnaît l’application de la loi de résidence du consommateur que dans des cas strictement limités et en aucun cas s’il s’agit d’un consommateur actif qui souhaite profiter des possibilités offertes par le marché intérieur. Étant donné qu’en principe le consommateur ignore tout du droit étranger, il lui faut, davantage que d’autres, solliciter des conseils juridiques avant la conclusion d’un contrat transfrontalier30. Toutefois, un juriste anglais relève que s’il y a un risque légal dans le 27 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur un plan d’action pour un droit européen des contrats plus cohérent du 12 février 2003, COM(2003) 68 final, JOCE C 63/38 du 15/03/2003. 28 COM(2003) 68 final, point 30. 29 COM(2003) 68 final, point 29. 30 COM(2003) 68 final, point 31. 15 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS commerce transfrontière, ceci n’est pas dû uniquement au caractère international de la transaction. Il résulte également simplement du fait que le climat de confiance qui s’acquiert grâce à une histoire contractuelle commune satisfaisante, est ici absent31. Ceci explique entre autre que les transfrontaliers soient plus adeptes de ce type de commerce, leur proximité leur permet d’instaurer des habitudes contractuelles avec des commerçants étrangers. A l’inverse, ils seront réticents pour passer des contrats avec des partenaires de leur propre pays mais qui sont très éloignés géographiquement et avec lesquels ils ont en principe peu de contacts. S’il est évident que la grande majorité des consommateurs ne connaît pas le contenu de la loi applicable dans son propre pays, ce qui ne l’empêche pas de passer des contrats chaque jour, il en prend d’avantage conscience avec la législation des autres Etats membres. Le consommateur craint donc de s’aventurer dans un domaine qu’il ignore et qu’il a conscience d’ignorer. Comme il ne se sent pas en sécurité, il préfère se contenter de ce que lui offre son marché national. Ainsi, une grande partie des consommateurs est exclue des avantages que représente le marché unique à savoir une offre plus variée et des différences de prix. Courant 2002, la Commission européenne a sondé l’opinion publique pour tenter de dégager la vision qu’elle pouvait avoir du commerce transfrontalier à destination des consommateurs. En moyenne sur l’Europe des quinze, seuls 13% des consommateurs interrogés avaient, dans les douze derniers mois, acheté ou commandé un bien ou un service à usage personnel dans un magasin d’un autre Etat membre. On constate toutefois des écarts importants d’un pays à l’autre. Les pays du nord sont globalement plus coutumiers du commerce transfrontalier (39% pour le Danemark, 38% pour le Luxembourg) que ceux du sud (4% pour la Grèce, 6% pour l’Espagne) et de façon générale ce chiffre augmente également avec le niveau social (23% chez les cadres) et chez la population jeune (17% des 15-39 ans)32 (nous rappelons que la Commission prend comme échantillon 1000 personnes de plus de 15 ans, par Etat membre, sauf en Allemagne où elle en interroge 2000 et qu’elle estime sa marge d’erreur à +/- 3,1%). A cela s’ajoute un autre phénomène, il est évident qu’en dehors des frontaliers, il est délicat de se déplacer pour bénéficier de prix avantageux dans un pays voisin. Les résultats de ce sondage peuvent se lire parallèlement à ceux d’un autre sondage également commandé par la Commission réalisé en janvier 2002. Il en résulte que les consommateurs européens ne déclarent pas avoir a priori moins confiance dans les marchandises des autres Etats membres. 31 COLLINS H., Transaction Costs and Subsidiarity in European Contract Law, contribution au colloque de Leuven, Belgique, des 30 novembre et 1er décembre 2001, Communication from the Commission on European Contract Law. 32 Rapport Flash EB 128, question 16. 16 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS En revanche, en cas de difficulté, ils pensent que leurs droits seraient moins bien protégés s’ils entraient en conflit avec un vendeur ou un fabricant d’un autre pays de l’Union européenne qu’en cas de litige interne33. Avec le développement d’Internet et l’euro, il est aujourd’hui beaucoup plus aisé de comparer les prix et de commander à distance. Mais dès lors, à la peur de la loi étrangère s’ajoute la méfiance envers cet outil commercial qu’est Internet et ce, même si les consommateurs européens sont en moyenne 12% à être plus intéressés par le commerce transfrontalier depuis l’introduction de l’euro34. S’il est compréhensible que les différences de législations puissent limiter les échanges intra-communautaires, la législation communautaire est censée restreindre cet effet. Pourtant, ses lacunes et son manque de cohérence ne permettent pas d’arriver à un niveau satisfaisant de sécurité juridique (sous-section 2). Sous-section 2. Le manque de cohérence de la législation communautaire La législation communautaire portant sur le droit des contrats ne semble pas apte à remédier aux différences entre les législations car elle n’a pas été adoptée en suivant une logique globale (I). De plus, sa mise en œuvre est décevante car l’interprétation qui en est faite par les Etats membres n’est pas uniforme (II). I. Une législation adoptée secteur par secteur Comme le souligne la Commission dans son Livre vert de 2001, le législateur communautaire doit veiller à la cohérence de l’énoncé de la législation communautaire, de sa 33 Rapport Flash EB 117 janvier 2002 « Etude consommateurs », en moyenne, 55.3% des consommateurs pensent leurs droits au moins bien protégés dans leur propre pays (question 4) et ce chiffre passe à 31.5% en cas de conflit dans un autre Etat membre (http://europa.eu.int/comm/public_opinion/flash/fl117_fr.pdf). 34 Rapport Flash EB 128 question 19, depuis l’euro 12% des européens sont plus intéressés par le commerce transfrontalier, les pays ne faisant pas parti de l’euro ayant en toute logique des résultas moindres (UK :8%, Suède :10%). L’autre partie de cette question portait sur le point de savoir si les consommateurs étaient plus intéressés par les achats transfrontières par l’intermédiaire d’Internet, mais ils ne sont en moyenne que 9% à être convaincus de tels achats. 17 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS mise en œuvre et de son application dans les États membres. Les mesures adoptées par la Communauté européenne doivent être cohérentes les unes avec les autres, interprétées de la même manière et produire les mêmes effets dans tous les États membres35. Dans cette même communication, elle reconnaît que le législateur européen a suivi une démarche « au coup par coup » en matière d’harmonisation. L’objectif de cette communication est donc de savoir si une telle façon d’agir ne serait pas susceptible d’entraîner des incohérences dans l’application du droit communautaire36. Or, il semble bien que le droit dérivé européen n’apporte pas toute la sécurité juridique qu’il était censé garantir. Il ressort de la communication de la Commission de 2003 qui a pour but de faire le point sur toutes les réactions que la Commission a reçu, suite à son Livre vert sur le droit européen des contrats, que l’approche sectorielle n’apporte pas toute satisfaction. Différents types de problèmes ont été signalés. Parmi les catégories d’incohérences propres à la législation communautaire dans le domaine des contrats, il a été indiqué que des situations identiques font l’objet d’un traitement différent sans que celui-ci ne soit justifié de manière pertinente. L’accent a été mis sur le problème des exigences et des conséquences divergentes résultant de certaines directives applicables à la même situation commerciale. Parmi les exemples cités, on retrouve les modalités différentes applicables au droit de rétractation prévu dans les directives sur le démarchage à domicile37, l’utilisation à temps partiel de biens immobiliers, dite time-share38, les ventes à distance39 et les ventes à distance de services financiers40, en particulier les différences au niveau des délais et méthodes de calcul des délais de rétractation. En effet, la directive sur les ventes à distance de services financiers prévoit un délai de rétractation minimum de « quatorze jours calendrier » (art. 6), il est de « dix jours de calendrier » dans la directive time-share (art. 5), « d’au moins sept jours ouvrables » en matière de vente à distance (art. 6) et « d’au moins sept jours » pour les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (art. 5). D’autres exemples font état d’approches 35 COM(2001) 398 final, point 31. COM(2001) 398 final, point 35. 37 Directive 85/577/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, JOCE L 372 du 31 décembre 1985, p. 31. 38 Directive 94/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 1994, concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l’acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers, dite directive, JOCE L 280 du 29 octobre 1994, p. 83. 39 Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance, JOCE L 144 du 4 juin 1997, p. 19. 40 Directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, JOCE L 271 du 9 octobre 2002, p. 16. 36 18 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS incohérentes en ce qui concerne les exigences d’information entre la directive sur le commerce électronique41 et les deux directives sur les ventes à distance. On constate notamment que la directive sur les ventes à distance est moins exigeante que celles sur les services financiers ou sur le commerce électronique quant à la qualité du fournisseur ces dernières exigeant par exemple son numéro d’immatriculation s’il en a un. En revanche, la directive de 1997 sur la vente à distance est la seule à exiger du fournisseur qu’il communique au moins une partie des informations par écrit (art. 5). La Commission relève également des exigences d’information différentes en ce qui concerne le droit des contrats figurant dans différentes directives relatives à la protection des consommateurs42. D’après le rapport du Conseil de l’Union européenne en date du 29 octobre 2001 en réaction à la communication de la Commission sur la nécessité de rapprocher les législations des États membres en matière civile43, il semblerait que de nombreuses incohérences pourraient être évitées si un effort était fait pour définir chacun des termes employés par les directives. Le Conseil donne notamment l’exemple des directives de 1985 sur les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux et de 1997 sur les contrats à distance. Elles accordent toutes deux au consommateur, sous certaines conditions, le droit de renoncer au contrat conclu et obligent le vendeur à l’informer de l’existence de ce droit. Mais alors que la première parle d’un droit de « résiliation », celle sur les contrats à distance désigne ce même droit par le mot « rétractation ». Une plus grande rigueur dans le choix des mots employés pourrait ainsi diminuer certaines incohérences du droit dérivé. Une autre catégorie d’incohérences mentionnée est celle de l’application possible, dans des circonstances spécifiques, de différents instruments communautaires produisant des résultats antagoniques44. Un exemple concerne l’application simultanée de la directive sur le démarchage à domicile et de la directive time-share comme l’a confirmée la CJCE dans l'affaire Travel Vac45. Cette affaire s’explique toutefois par une question d’opportunité, une personne avait acheté un appartement en multipropriété en Espagne en 1996 puis y avait renoncé oralement au bout de trois jours. En principe, la directive time-share de 1994 qui 41 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ("directive sur le commerce électronique"), JOCE L 178 du 17 juillet 2000, p. 1. 42 COM(2003) 68 final, point 16. 43 Rapport du Conseil de l’Union européenne sur la nécessité de rapprocher les législations des Etats membres en matière civile du 29 octobre 2001, document 13017, Justciv 29. 44 COM(2003) 68 final, point 17. 45 CJCE, 22 avril 1999, Affaire C-423/97 Travel-Vac S.L. contre Manuel José Antelm Sanchis 1999, Rec. I-2195. 19 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS venait d’être transposée, était applicable. La cour a pourtant retenu que la directive sur le démarchage à domicile, dont tout droit portant sur l’immobilier est exclu du champ d’application, était applicable au cas d’espèce. En effet, même si le contrat portait en partie sur un appartement, le consommateur faisait valoir que cela était accessoire et qu’il portait avant tout sur la fourniture de services qui avaient une valeur supérieure à celle du droit d'utilisation du bien immobilier. L’application de la directive de 1985, même si elle prévoit un délai de renonciation plus court (sept jours) que celle sur la multipropriété (dix jours), était avantageuse car le consommateur n’avait suivi aucun formalisme pour se rétracter, il l’avait annoncé oralement, ce qui était seulement possible avec la directive sur le démarchage à domicile. La directive de 1994 retenant au contraire qu’elle doit être notifiée avant l'expiration du délai et d'une manière pouvant être prouvée conformément aux législations nationales. Ainsi, la CJCE retient dans son considérant 22 « qu’il convient d’abord de constater que, s’il est vrai que les contrats de multipropriété sont visés à la directive 94/47, cela n’exclut pas qu’un contrat contenant un élément de multipropriété puisse également relever de la directive 85/577 si les conditions d’application de cette dernière sont par ailleurs réunies » et ajoute au considérant 23, « En effet, aucune des deux directives ne comporte de dispositions excluant l’application de l’autre directive. En outre, il serait contraire à l’objectif de la directive 85/577 de l’interpréter en ce sens que sa protection serait exclue au seul motif que le contrat relève en principe de la directive 94/47; une telle interprétation aurait pour conséquence de priver le consommateur des dispositions protectrices de la directive 85/577 alors même que le contrat a été conclu en dehors d’un établissement commercial ». Cet arrêt n’est pas contestable, néanmoins il est intervenu en pleine polémique concernant les appartements en multipropriété aussi peut-on penser que les juges ont plus particulièrement cherché à défendre les intérêts de l’acquéreur de cet appartement. S’il est gênant de constater que la législation communautaire manque de cohérence et ainsi ne permet pas une harmonisation convenable, il est encore plus fâcheux de constater qu’au sein de chacun des Etats membres, les applications qui sont faites du droit dérivé creusent encore d’avantage les différences quant au droit des Etats membres (II). 20 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS II. Une application et une interprétation irrégulières du droit communautaire dérivé Selon le type de mesure de droit dérivé retenu, la cohérence de la législation au niveau communautaire varie sensiblement (A), il s’avère que la directive est un instrument peu susceptible de garantir un haut niveau de cohérence, nous tenterons d’illustrer ce phénomène avec la transposition de la directive 1999/44 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation46 (B). A. Un niveau de cohérence variable selon le type de droit dérivé retenu Comme le prévoit l’article 249 du traité de Rome, le règlement a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre. C’est à travers lui que s’exprime le pouvoir législatif de la Communauté par excellence, sa nature et son efficacité sont comparables à la loi dans les systèmes nationaux. A ce titre, il représente l’instrument d’uniformisation communautaire le plus efficace et qui permet la plus grande cohérence entre la législation communautaire et celles des Etats membres d’une part et des législations nationales entre elles d’autre part. Un autre instrument de droit communautaire dérivé qui permet une certaine uniformisation non des droits nationaux comme le fait remarquer le Professeur Jamin, mais des contrats eux-mêmes, est le règlement d’exemption par catégories47. Pour ne pas se voir annulés, les contrats concernés doivent respecter leurs dispositions ainsi, ces règlements d’exemption par catégories réalisent une uniformisation cohérente de la pratique bien qu’elle soit indirecte. Contrairement au règlement, la directive ne lie tout Etat membre destinataire que quant au résultat à atteindre et laisse aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La directive permet donc une collaboration entre les législateurs nationaux et communautaire. Comme nous l’avons vu, elle est souvent choisie de préférence en raison des principes de subsidiarité et de proportionnalité reconnus à l’article 5 du traité CE. Elle a l’avantage de ne pas heurter les législateurs nationaux qui ont un certain temps pour procéder 46 Directive 1999/44/CE du parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, JOCE L 171/12 du 07/07/1999. 47 JAMIN Ch., Un droit européen des contrats ?, in Le Droit privé européen sous la direction de P. de VareillesSommières, Economica, 1998, Collection Etudes Juridiques, t. 1, p. 47. 21 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS à la transposition et peuvent faire des transformations du texte d’origine pour qu’il s’incère au mieux à la législation des Etats membres. Ce procédé est donc très apprécié des législateurs mais la contrepartie de cette liberté qui leur est offerte est qu’il arrive que le texte des directives soit dénaturé. L’harmonisation que souhaitait le législateur communautaire n’est donc pas totalement réalisée ce qui est source d’insécurité juridique. D’ailleurs, dans le rapport du Conseil du 29 octobre 200148 en réaction à la consultation de la Commission sur le droit européen des contrats de 2001, il considère au point n°9 que les résultats de l’harmonisation réalisés par le biais des directives sont parfois insuffisants, notamment du fait des importantes divergences existant entre les mesures nationales de transposition. Le Conseil retient que ce phénomène est accentué par l’absence de définitions uniformes de termes et concepts généraux dans le droit communautaire. La Commission a également pu constater que l’articulation du droit communautaire dérivé avec les droits des Etats membres était rendue souvent délicate par la diversité de ceux-ci, en outre, l’adoption de règles au niveau de l’Union européenne est parfois la source de graves incohérences dans la réglementation d’ensemble des questions visées49. Les divergences de transpositions ont plusieurs origines, elles peuvent tout d’abord, comme l’a signalé le Conseil, s’expliquer par le fait que les termes employés dans les directives manquent de précision, ils ne sont pas définis ou le sont de manière trop vague. De ce fait, les législateurs nationaux disposent d’un très large pouvoir discrétionnaire au niveau de la transposition. Ces divergences peuvent également s’expliquer par le principe d’harmonisation minimale reconnu article 153.5 du traité CE dans la législation en matière de protection du consommateur. En principe, les directives communautaires harmonisent entièrement le domaine concerné par leur champ d’application, en revanche, en matière de droit des contrats de consommation, les directives contiennent des clauses d’harmonisation minimale. Dès lors, le texte donne la possibilité à chacun des législateurs d’aller plus loin que la directive dans la protection offerte aux consommateurs. Ainsi, alors que certains Etats se contentent de transposer strictement le texte de la directive, d’autres vont beaucoup plus loin dans la défense des consommateurs. Sur le fond ce principe se veut favorable aux consommateurs mais cela ne permet pas de garantir des solutions identiques à des situations qui le sont, comme le veut le marché intérieur. Ceci peut donc être source d’insécurité 48 Rapport du Conseil de l’Union européenne sur la nécessité de rapprocher les législations des Etats membres en matière civile du 29 octobre 2001, document 13017, Justciv 29. 49 HEUZE V., A propos d’une « initiative européenne en matière de droit des contrats », JCP, 2002, I 152. 22 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS juridique car un consommateur peut s’attendre à bénéficier automatiquement des mêmes droits sur l’ensemble du territoire de l’Union que ceux prévus par la loi de sa résidence alors que celle-ci est peut-être plus protectrice que ce qu’imposait la directive. Dans sa communication de 2003, la Commission relève certains exemples qui lui ont été rapportés50 ainsi, on note des différences d’un État membre à l’autre, dans la transposition des périodes de rétractation prévues dans les directives concernant le démarchage à domicile, la multipropriété et les ventes à distance, de même, dans les plafonds fixés par les textes de mise en œuvre de la directive sur le démarchage à domicile. En principe, les mesures adoptées par la Communauté européenne doivent être cohérentes les unes avec les autres, interprétées de la même manière et produire les mêmes effets dans tous les États membres. Pourtant, non seulement les directives une fois transposées ne se retrouvent pas de façon identique dans chacun des Etats membres mais encore, des divergences plus importantes peuvent intervenir a posteriori par l’interprétation que peuvent en faire les magistrats. La CJCE l’a rappelé dans un arrêt de 2000 : « Il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit communautaire qui ne comportent aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause »51. Il peut être difficile pour les législateurs nationaux d’intégrer à leur législation des termes abstraits qui ne correspondent pas nécessairement aux concepts juridiques auxquels ils sont familiers, mais en cas de litige, les tribunaux auront naturellement tendance à les interpréter au regard de concepts nationaux. Ces concepts varient sensiblement d’un État membre à l’autre. L’absence d’une acception uniforme en droit communautaire des termes employés peut aboutir à des résultats différents dans la pratique commerciale et juridique de différents États membres. Or, si certaines différences de traitement peuvent parfois s’expliquer par le contexte comme ça peut être le cas de discriminations positives ici, elles ne sont justifiées par aucune différence de substance et à ce titre, sont contestables car contraires au principe général d’égalité reconnu par la Cour de justice. C’est précisément ce qui ressort 50 COM(2003) 68 final, point 24. CJCE, 9 novembre 2000, aff. C-357/98 The Queen contre Secretary of State for the Home Department ex parte: Nana Yaa Konadu Yiadom, Rec. 2000, p. I-9265, point 26. 51 23 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS d’un arrêt de la Cour de 2002, le demandeur, de nationalité autrichienne, réclamait que lui soit appliquée la directive sur les voyages, vacances et circuits à forfait52 et que lui soit reconnu un préjudice moral, l’article 5§2 de ladite directive faisant référence aux « dommages autres que corporels » sans les définir. Pourtant, saisis de l’affaire, les tribunaux autrichiens avaient refusé de lui accorder de tels dommages car ceux-ci n’étaient pas connus de leur législation53. Finalement, les juridictions autrichiennes reconnaissant qu’une juridiction nationale est tenue d’interpréter les dispositions du droit national à la lumière du texte et de la finalité d’une directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci, ont décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice. Elles lui demandaient en substance de les éclairer sur l’interprétation qu’elles devaient faire de l’expression « dommages autres que corporels », et plus particulièrement de savoir si cela correspondait à un préjudice moral. La Cour a répondu par l’affirmative ainsi, dans cette espèce, l’harmonisation des solutions a été respectée mais si le demandeur s’était arrêté en première instance, il n’aurait pas pu bénéficier de cette interprétation. On imagine ainsi aisément le nombre de situations où des interprétations non conformes au droit communautaire sont faites par les juridictions nationales. Etudions maintenant un exemple actuel de divergence de législation entre Etats membres suite à des transpositions opposées (B). B. L’exemple de la directive 1999/44 Comme nous l’avons vu, les transpositions de directives peuvent ne pas être uniformes et ceci est particulièrement vrai pour les directives à destination des consommateurs qui ne prévoient qu’une harmonisation minimum. Si jusque là les différences que nous avons relevées sont pour la plupart ponctuelles, la transposition de la directive du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation pourrait conduire à un véritable éloignement de certaines législations. Actuellement, seuls onze des Etats membres 52 Directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, JOCE L 158, p. 59. 53 CJCE, 12 mars 2002, aff. C-168/00, Simone Leitner c./ TUI Deutschland GmbH & Co (KG), considérant 10 :Sur ce point, elle a considéré que, si les sentiments de déplaisir et les impressions négatives causés par la déception doivent être qualifiés, en droit autrichien, de préjudice moral, ils ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation puisqu'aucune loi autrichienne ne prévoit expressément la réparation d'un préjudice moral de cette nature. 24 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS l’ont transposée alors qu’ils étaient tenus de le faire avant le 1er janvier 2002. Dans un premier temps, la Commission a adressé un avis motivé aux huit États membres qui ne l'avaient pas encore informé des mesures adoptées en droit national pour mettre en œuvre la directive (voir IP/03/3). A ce jour, quatre Etats n’ont toujours pas procédé à cette transposition, à savoir d'une part l’Espagne qui ne l’a transposé que partiellement, et d'autre part, la Belgique, la France et le Luxembourg qui n’ont encore pris aucune disposition. La Commission a donc décidé d’intenter une action à leur encontre (IP/03/1009). Parmi les Etats membres qui l’ont transposé, certains ont opté pour une transposition a minima, c’est le cas notamment de l’Italie qui a introduit dans son Code civil un nouveau paragraphe (1519bis-1519septies) qui, sous le titre « Vente de biens de consommations », établit les nouvelles règles des rapports entre consommateurs et vendeurs54. D’autres comme l’Autriche, ont au contraire choisi de procéder à une transposition large de la directive comme le permet son article 8§2. Le champ d’application de la loi de transposition ne se limite pas aux seuls contrats de consommation, en outre, alors que la directive excluait de son domaine de compétence les immeubles, l’électricité et l’eau, le Code civil autrichien nouveau ne fait aucune exception, le texte est ainsi plus simple mais aussi plus harmonieux55. Même si les choix de ces législateurs sont différents, on arrive néanmoins à un rapprochement de ces textes, ainsi le délai pour agir est de deux ans dans les deux pays, alors qu’auparavant il était de six mois en Autriche. Dans ce dernier cas, non seulement la directive permet une harmonisation mais de plus, elle accorde des droits plus larges à l’acquéreur (qu’il contracte en tant que consommateur ou professionnel). En revanche, pour d’autres Etats membres, cette directive risque de n’avoir aucun effet harmonisateur, au contraire, elle pourrait éloigner des législations qui jusque là étaient sensiblement identiques. C’est le cas de la France et de la Belgique, en effet, cette dernière a adopté le Code Napoléon de 1804 et dans l’ensemble le droit de la vente de ces deux pays est resté inchangé depuis. Pour l’heure, aucun de ces pays n’a encore transposé la directive, la Commission a d’ailleurs engagé une action à leur encontre. Ils ont pourtant tous les deux rédigé un avant-projet de loi de transposition mais ceux-ci adoptent une politique totalement différente. 54 55 MARTINELLO P., REDC, 2001, p. 382. TUCHLER M., REDC, 2001, p. 179. 25 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Ainsi, le projet de loi belge opte pour une transposition a minima. Bien qu’elle n’ait pas de Code de la consommation (la France est un des rares pays à en posséder un), mais une loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur, il aurait semblé logique comme elle souhaite restreindre le champ d’application de sa transposition aux seuls contrats de consommation, qu’elle incère le texte de la directive à cette loi. Pourtant, d’après ce projet, il s’agirait d’ajouter au titre VI du Livre III du Code civil, qui contient les dispositions relatives au contrat de vente, une nouvelle section IV (art. 1649bis à 1649octies), intitulée « Dispositions relatives aux ventes à des consommateurs » qui prendrait place au sein du chapitre IV relatif aux obligations du vendeur. Cela signifie donc que le droit de la vente tel qu’il est prévu par le Code civil tel qu’on le connaît actuellement, ne serait plus applicable qu’entre professionnels ou entre particuliers, pour les contrats entre un professionnel et un consommateur, il faudrait appliquer la nouvelle section IV qui transpose la directive. Ce choix nous semble contestable car il va considérablement alourdir le droit de la vente et pourrait être source d’insécurité juridique car il peut être délicat de déterminer dans quel cas un contrat est de nature consumériste56. En France, le 13 octobre 2000, la Chancellerie a nommé un groupe de travail présidé par Geneviève Viney, chargé de réfléchir aux modalités d’intégration de la directive 1999/44. Ce groupe s’est mis d’accord sur la rédaction d’un avant-projet de loi57, et a opté au contraire pour une transposition large. Alors qu’il aurait pu en toute simplicité, transposer la directive dans le Code le la consommation, il a préféré en profiter pour opérer une refonte globale du droit de la vente en France. Nous reviendrons ultérieurement sur le contenu de cet avant-projet de loi mais nous pouvons d’ores et déjà en conclure que les droits de la vente belge et français qui sont encore aujourd’hui identiques, pourraient devenir très distincts. Certes, il ne s’agit encore que de projets mais alors que la directive du 25 mai 1999 avait pour but une harmonisation du droit des garanties en Europe, la faculté qui est ouverte aux Etats de transposer le texte en adoptant des dispositions plus strictes pour assurer un niveau de protection plus élevé du consommateur (art. 8§2), pourrait avoir l’effet pervers d’éloigner des législations jusqu’ici très proches. 56 On peut ici faire un parallèle avec la jurisprudence française qui a été longtemps hésitante sur ce point. Elle a dans un premier temps adopté une définition large, un professionnel qui passait un contrat pour l’exercice de son activité mais qui n’entrait pas dans le cadre de son domaine de compétence pouvait bénéficier de la législation protectrice des consommateurs (Civ. I, 06 janvier 1993, JCP 1993, p. 68). Désormais, la jurisprudence refuse la qualité de consommateur à un contractant dès que le contrat présente un rapport direct avec son activité professionnelle (Civ. I, 24 janvier 1995, D. 1995, somm. 229, obs. Delebecque). 57 Consultable sur le site http://www.justice.gouv.fr/publicat/RappGTIDFb.htm 26 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS La démarche actuelle du droit communautaire en vue de rapprocher les législations ne semble pas pleinement satisfaisante, il serait donc peut-être temps de la repenser (section II). 27 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS SECTION II. LA NECESSITE D’UNE NOUVELLE APPROCHE DU DROIT DES CONTRATS Pas plus que la législation communautaire, le droit français des contrats n’est approprié, il faudrait donc le repenser (sous-section 1) et ce, dans un esprit de rapprochement des législations (sous-section 2). Sous-section 1. Le Code civil français, un outil dépassé Dans le domaine du droit des contrats, le Code civil ne paraît plus adapté à notre société (I) mais la transposition de la directive de 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation pourrait être l’occasion de le moderniser (II). I. Un contenu plus en harmonie avec son temps Pour remédier à l’obsolescence sur certains points du Code civil, les magistrats ont dû en faire une interprétation très large et parfois même découvrir de nouveaux principes (A). Comme le Code ne correspond plus au droit réellement applicable, nous devrions peut-être nous inspirer du droit allemand car le BGB vient d’être rénové en profondeur (B). A. Le rôle du juge Si d’aucuns retiennent que « le Code civil n’a pas vécu crispé sur lui-même »58, les réformes qu’ils mettent en exergue, si profondes soient-elles, ne concernent pas le droit des contrats mais plutôt celui de la famille comme les régimes matrimoniaux, le divorce ou plus 58 CORNU G., Un code civil n’est pas un instrument communautaire, D., 2002, Chron. p. 352. 28 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS récemment le PACS. Mais de ce « bain de jouvence »59, le droit des contrats n’a pas profité et est resté presque inchangé depuis 1804. Si à l’époque il s’agissait d’un texte très novateur dans son principe et moderne dans son contenu et qu’il a su perdurer malgré les bouleversements politiques et économiques, il a vieilli60 et il semble aujourd’hui dépassé sur certains points. On peut tout d’abord relever que le langage employé n’est guère compréhensible du grand public, avant même d’aborder le fond, il serait bon de réécrire certains articles du Code civil pour les mettre à la portée de tous. Actuellement le Code est un outil qui fait peur et que nombreux croient réservé à une élite intellectuelle, ce qui est difficilement conciliable avec le principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. Le vocabulaire et les tournures de phrase sont désuets mais le contenu aussi est marqué par une époque et n’a pas su s’adapter. C’est ainsi que si notre Code a longtemps servi de modèle, en particulier pour le Code civil égyptien et le droit libanais mais on en retrouve également des traces jusqu’en Amérique latine et au Japon61, en revanche, certains pays comme le Québec qui s’en étaient fortement inspirés s’en sont éloignés en prenant pour modèle des textes plus récents. Conscients de ce manque d’actualité, les juges ont vu leur rôle considérablement augmenter et ont interprété le Code dans un esprit de moins en moins fidèle à sa lettre. Alors qu’une large partie du XIXème siècle a été marquée par l’Ecole de l’exégèse qui prônait une interprétation au plus près du Code, dès le début du XXème , la doctrine a revendiqué la diversification des sources du droit et ce notamment pour l’interprétation du Code. C’est en particulier le cas pour Gény qui, par la libre recherche scientifique, retient que dans les hypothèses non prévues par le législateur, le juge peut rechercher en dehors de la loi les instruments lui permettant de résoudre une question. De son côté, Saleilles prônait la méthode historique qui consistait à interpréter le Code en fonction du contexte historique, d’autres comme Lambert recherchaient la solution la plus juste grâce au droit comparé. Aussi, allons-nous voir comment le juge français a su adapter le droit des contrats d’une part en intégrant les évolutions de notre temps (1) et d’autre part par l’observation du travail législatif étranger (2). 59 Ibid, p. 352. FAUVARQUE-COSSON B., Faut-il un Code civil européen ?, RTD Civ., 2002, p. 464. 61 LEQUETTE Y., Quelques remarques à propos du projet de code civil européen de M. von Bar, D., 2002, Chron. p. 2202. 60 29 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS 1) Une interprétation à la lumière du contexte historique Depuis la rédaction du Code civil, le droit des contrats a été le siège de créations prétoriennes particulièrement marquantes, c’est ainsi par exemple, que remettant en cause le volontarisme contractuel, les magistrats, conscients que l’inégalité de fait entre les parties, n’ont eu de cesse de tenter de rééquilibrer les relations contractuelles. La jurisprudence a ainsi considérablement augmenté les obligations à la charge du professionnel. S’appuyant sur l’article 1135 du Code civil62, elle a par exemple découvert l’obligation de sécurité63 mais c’est encore dans les contrats de consommation qu’elle a multiplié les obligations complémentaires à la charge du professionnel. Elle a notamment reconnu des obligations d’information ou de conseil, qu’on retrouve par exemple dans les contrats de prêt d’argent, les banquiers ne pouvant consentir de prêts qu’ils savent insupportables pour leur client64. Ces derniers temps, même dans le domaine des contrats d’affaire, la jurisprudence a pris conscience de l’inégalité des parties et a cherché à en limiter les conséquences sans remettre en cause le principe de la liberté contractuelle. Cette tendance se manifeste par une jurisprudence libérale empreinte de moralité, les juges semblent accorder plus de libertés aux parties, à condition qu’elles n’en abusent pas. Cela se traduit souvent par le passage d’un contrôle a priori du juge à un contrôle a posteriori. Mais ce glissement est parfois si marqué que les interprétations du Code civil par les tribunaux peuvent parfois sembler être contra legem, en outre, leur manque de prévisibilité peut être source d’insécurité juridique. Cette « philosophie de la solidarité »65 a inspiré la Cour de cassation dans son arrêt Alcatel du 29 novembre 1994 et de façon particulièrement éclatante dans les fameux arrêts d’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 1er décembre 199566. Après une longue période d’incertitudes en matière d’indétermination du prix dans les contrats cadres, l’Assemblée plénière a admis la possibilité pour un fournisseur de déterminer unilatéralement les prix dans chacun des contrats successifs. Elle a ainsi déplacé son contrôle, il ne se situe plus au niveau 62 Art. 1135 :Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. 63 Civ. 21 novembre 1911, GAJC, 11ème éd., n°262, reconnaissant une obligation de sécurité de résultat à la charge du transporteur. 64 Civ. I, 27 juin 1995, Bull. civ. n°287. 65 JAMIN Ch., Réseaux intégrés de distribution : De l’abus dans la détermination du prix au contrôle des pratiques abusives, JCP, 1996, I 3959, p. 343. 66 Cass. Ass. plén., 1er décembre 1995, Bull. civ. n°7 et 8, Civ. I, 29 novembre 1994, Bull. civ., n°348. 30 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS de la formation du contrat mais à celui de son exécution ce qui implique que les contrats cadres n’encourent plus l’annulation dont l’effet rétroactif était désastreux. Désormais, seul l'abus dans la fixation ultérieure du prix peut donner lieu à résiliation ou indemnisation ce qui restreint considérablement la puissance des distributeurs. De même, en matière de résolution, une jurisprudence récente qui a été très controversée, a remis en cause l’article 1184 du Code civil selon lequel la résolution est nécessairement judiciaire67, en reconnaissant la validité de résolutions unilatérales68. On peut tout d’abord y voir une jurisprudence contra legem regrettable car elle légitime une justice privée, de plus, elle amoindrit la portée traditionnelle du respect dû à la force obligatoire du contrat69. Toutefois, on peut également l’appréhender comme une simple exception au principe de résolution judiciaire car le juge conserve un pouvoir de contrôle a posteriori de la gravité du manquement du contractant défaillant70. Cette jurisprudence semble être le reflet d’une évolution inévitable du droit des contrats guidée par un souci d’efficacité économique71. En effet, les échanges se font actuellement beaucoup plus vite. Quand un contractant est défaillant, la partie lésée doit pouvoir réagir très rapidement afin de maintenir son activité et de retrouver d’autres partenaires commerciaux. L’attente d’une résolution judiciaire pourrait au contraire remettre en cause son activité. De plus, loin de consacrer une justice privée, elle retient un contrôle a posteriori du juge qui s’assure qu’il y a bien eu un manquement grave de la part d’une partie à ses obligations. Dans le cas contraire, le cocontractant qui a pris l’initiative de la résolution en assume les conséquences, celle-ci étant à ses risques et périls. 2) L’alignement des solutions nationales sur les droits étrangers Pour certains, cette liberté d’interprétation dont font preuve les magistrats est inopportune. S’écarter de la sorte du Code civil est très critiquable sur le principe, mais l’est encore plus quant aux conséquences que cela engendre car ces interprétations peuvent être 67 Art. 1184 :La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. 68 Civ. I, 13 octobre 1998, Bull. civ., n°380, Civ. I, 20 février 2001, Bull. civ., n°40. 69 JAMIN Ch., note sous Civ. I, 20 février 2001, D., 2001, p. 1569. 70 RZEPECKI N., note sous Civ. I, 13 octobre 1998, JCP, 1999, p. 1413. 71 JAMIN Ch., note sous Civ. I, 13 octobre 1998, D., 1999, p. 199. 31 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS source d’insécurité juridique. Le manque d’actualité du Code civil et les tentatives jurisprudentielles pour y remédier ont le désavantage de l’imprévisibilité et sont autant de raisons qui expliquent que notre Code ait perdu de son rayonnement. S’il a été longtemps repris par nombre de législateurs étrangers, c’est qu’il était certes d’une grande qualité, mais aussi qu’il était le seul. Par la suite de nouveaux codes qui ne s’inspiraient pas du Code Napoléon ont vu le jour, c’est notamment le cas du BGB allemand au début du XXème. Depuis, les législateurs étrangers ont diversifié leurs sources d’inspiration, allant jusqu’à revenir sur des principes qu’ils avaient emprunté au droit civil français. C’est en particulier le cas des législateurs québécois et néerlandais qui avaient adopté le système français de la résolution judiciaire. A l’occasion de la refonte récente de leurs Codes civils, ils sont revenus sur ce type de résolution pour lui préférer la résolution unilatérale72. Nous soutenons donc cette nouvelle jurisprudence en matière de résolution unilatérale car elle correspond à un mouvement auquel la France doit prendre part. Elle s’inscrit dans un courant général au niveau communautaire et international qui retient, à titre de principe, la résolution unilatérale73. On la retrouve en particulier dans la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises (art. 49§1 et 64§1)74, dans les Principes du droit européen des contrats mis au point par la commission Lando (art. 9-301§1)75 ou encore dans les Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international (art. 7.3.1). Cette jurisprudence est le fruit d’un transfert de droit de nature horizontale76 car elle n’est pas issue d’un texte mais de la jurisprudence. A force de rencontrer la notion de résolution unilatérale dans les droits étrangers, pour ne pas que la France se retrouve isolée d’un point de vue commercial, il était nécessaire qu’elle aligne ses solutions sur celles de ses voisins. D’une façon générale, on peut donc retenir que les transferts de droit sont propices à un rapprochement des différents droits nationaux. 72 Ibid. RAYNARD J., note sous Civ. I, 13 octobre 1998, RTD Civ., 1999, p. 506. 74 Art. 49§1 : L’acheteur peut déclarer le contrat résolu : a) si l’inexécution par le vendeur de l’une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat ou de la présente Convention constitue une contravention essentielle au contrat; ou b) en cas de défaut de livraison, si le vendeur ne livre pas les marchandises dans le délai supplémentaire imparti par l’acheteur conformément au paragraphe 1 de l’article 47 ou s’il déclare qu’il ne livrera pas dans le délai ainsi imparti. Art. 64§1 : Le vendeur peut déclarer le contrat résolu: a) si l’inexécution par l’acheteur de l’une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat ou de la présente Convention constitue une contravention essentielle au contrat; ou b) si l’acheteur n’exécute pas son obligation de payer le prix ou ne prend pas livraison des marchandises dans le délai supplémentaire imparti par le vendeur conformément au paragraphe 1 de l’article 63 ou s’il déclare qu’il ne le fera pas dans le délai ainsi imparti. 75 Art. 9-301§1 : Une partie peut résoudre le contrat s'il y a inexécution essentielle de la part du cocontractant. 76 JAMIN Ch., Un droit européen des contrats ?, Op. cit., p. 44. 73 32 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Pour conclure, la jurisprudence permet, comme nous l’avons vu, d’actualiser en partie le droit des contrats, toutefois, d’autres notions nécessiteraient également d’être revisitées, ne serait-ce que parce qu’elles correspondent à des concepts connus de notre seul droit comme par exemple la cause. Il serait donc peut-être temps de réécrire largement la partie du Code civil qui traite du droit des contrats en y intégrant les nouvelles jurisprudences et en s’intéressant de près aux autres législations. A l’heure où l’on parle d’un rapprochement du droit des contrats en Europe, le Code civil français pourrait ainsi faire à nouveau figure d’exemple. A ce titre, le législateur allemand nous montre l’exemple car il vient de reprendre son droit des contrats (B). B. Le BGB, un exemple de modernisation à méditer Le 1er janvier 2002, le Code civil allemand ou BGB, a connu une des transformations les plus importantes de toute son existence. La réforme du droit des obligations était en suspens depuis de nombreuses années mais le législateur allemand a profité de la transposition de la directive 1999/44 pour le reprendre dans sa totalité77. La question s’est également posée de savoir s’il fallait opter pour une transposition stricte ou s’il fallait étendre le contenu de la directive à tous les contrats de vente. C’est cette dernière solution qui a été retenue. Le législateur ne voulait pas d’un nouveau droit spécial de la vente réservé aux consommateurs qui se serait surajouté au droit de la vente général du BGB, aux règles complémentaires en matière commerciale et au droit de la vente internationale issu de la Convention de Vienne. C’est directement le droit de la vente du BGB qui a été repris. Mais au-delà d’une transposition large de la directive, c’est bien tout le droit des contrats qui a été repris. En effet, le BGB avait lui aussi perdu de son rôle. Tout d’abord, de nouvelles lois ont été édictées sans être intégrées au BGB, le droit des obligations se trouvait pour partie dans le BGB mais également dans de nombreuses lois annexes. Ceci était notamment le cas des lois de transpositions de directives communautaires portant sur la protection des consommateurs comme celles sur le démarchage à domicile, le time-share ou encore la vente à distance. Le 77 SCHLEY M., La grande réforme du droit des obligations en Allemagne, D., 2002, p. 1738. 33 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS BGB avait également en partie perdu de sa valeur par de nombreuses créations prétoriennes comme la résolution pour motif grave des contrats à exécutions successives78. Désormais, le BGB intègre tous ces points ce qui refait de lui une source législative exhaustive du droit des obligations. En outre, les auteurs de la réforme ont cherché à simplifier ce droit en renonçant à certaines notions connues du seul droit allemand comme la « violation positive » qui visait à protéger les victimes d’inexécutions contractuelles. Il est d’ailleurs intéressant de relever que ses sources d’inspiration sont la Convention de Vienne, les Principes Unidroit et les Principes du droit européen des contrats. Cela se retrouve entre autre dans le fait que la nouvelle législation cherche au maximum à maintenir les contrats, même en cas d’inexécution par une partie, on préférera lui accorder des délais pour agir plutôt que de rompre le contrat (§281) ce qui correspond aux articles 46 et 47 de la Convention de Vienne79 et à l’article 8-106 des Principes de la commission Lando80. Ceci peut s’expliquer par des considérations économiques, chacune des parties peut être gagnante car si le contrat est rompu alors qu’il ne s’agit que d’un simple retard dans l’exécution, le vendeur est susceptible de perdre des marchandises, c’est le cas si elles sont périssables ou qu’elles ont été faites spécialement pour la commande. De son côté, l’acquéreur devra intenter une action puis trouver un autre fournisseur, il sera donc livré bien plus tard. De même, le droit allemand connaissait déjà le principe de la résolution non judiciaire mais son domaine est étendu. Là encore, comme nous l’avons signalé avec la jurisprudence française, le droit allemand s’aligne sur les instruments d’uniformisation du droit, les articles 49 et 64 de la Convention de Vienne prévoient également une telle résolution unilatérale, ainsi que l’article 9-301 des Principes du droit européen des contrats. Il ressort de tous ces éléments que la réforme a considérablement renforcé le BGB, il est plus simple et ainsi plus accessible aux juristes étrangers. De la même façon qu’il s’est inspiré d’instruments d’uniformisation, il pourrait servir de base dans l’hypothèse d’un code européen des contrats. A l’heure actuelle, il semble beaucoup mieux armé que le Code civil 78 WITZ Cl., La nouvelle jeunesse du BGB insufflée par la réforme du droit des obligations, D., 2002, Chron., p. 3157. 79 Art. 46§1 : L’acheteur peut exiger du vendeur l’exécution de ses obligations, à moins qu’il ne se soit prévalu d’un moyen incompatible avec cette exigence. Art. 47§1 : L’acheteur peut impartir au vendeur un délai supplémentaire de durée raisonnable pour l’exécution de ses obligations. 80 Art. 8-106§1 : Dans tous les cas d'inexécution, le créancier peut notifier au débiteur qu'il lui impartit un délai supplémentaire pour l'exécution. 34 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS français pour être un moteur du rapprochement des législations au niveau communautaire. Le législateur français devrait s’inspirer de cette réforme s’il souhaite que notre droit des obligations ne soit pas écarté d’office lors d’une éventuelle harmonisation. Il faut accepter de se remettre en cause et d’écarter certains points de notre droit qui nous éloignent trop des autres législations si nous voulons que le droit français continue à avoir une influence internationale. Comme la France doit également transposer la directive de 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, peut-être est-ce aussi l’occasion pour nous de réviser notre droit des obligations (II) ? II. La directive 1999/44, l’occasion de réformer le Code civil Pour que le Code civil ne soit pas mis à l’écart dans l’hypothèse d’un rapprochement des législations, il doit faire l’effort d’aller vers les autres législations. Il doit se montrer ouvert aux autres systèmes juridiques et non rester dans sa tour d’ivoire en vivant sur ses acquis. Le législateur français doit être capable de remettre en cause notre « constitution civile »81 car depuis 1804, d’autres textes ont pris de l’avance sur notre Code. On pense notamment au nouveau Code civil néerlandais entré en vigueur le 1er janvier 1992, après cinquante ans de travaux préparatoires et qui témoigne d’une grande ouverture comparatiste. C’est également le cas du droit allemand qui, comme nous l’avons vu, a écarté des notions connues de lui seul. Il est temps de revoir nos particularismes qui, loin de nous mettre en avant, nous placent au contraire en marge des autres systèmes juridiques. Pour Geneviève Viney, c’est une attitude irrationnelle et même consternante qu’à l’heure de l’harmonisation, les juristes français se replient sur eux-mêmes et maintiennent leurs particularismes, ils ne doivent pas rester inconditionnellement attachés à une législation vieillie82. Le point fondamental sur lequel diffèrent le droit de la vente français et celui issu de la directive 1999/44 est leur conception des obligations de garantie du vendeur, alors que le droit 81 CARBONNIER J., Droit civil, Introduction, 26ème éd., Puf, coll. Thémis, 1999, n°78. VINEY G., Quel domaine assigner à la loi de transposition de la directive européenne sur la vente ?, JCP, 2002, I 158, p. 1497. 82 35 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS français en a une vision dualiste (A), le droit communautaire consacre une obligation moniste du vendeur (B). A. Les obligations de garantie du vendeur en droit français Une illustration de la vétusté de notre Code est que notre droit des contrats retient des concepts qui ont déjà été abandonnés par d’autres législateurs car ils étaient trop complexes. C’est notamment le cas en matière d’obligation de garantie du vendeur dont traite la directive 1999/44. En effet, le droit français a une conception dualiste des garanties dues par le vendeur tel qu’il ressort de l’article 1603 du Code civil83. Il doit d’une part procéder à la délivrance conforme de la chose objet du contrat, d’autre part, il est garant des défauts cachés de la chose comme le prévoit l’article 1641 du Code civil84. Chacune de ces obligations obéit à un régime différent, si le vendeur a failli à son obligation de délivrance conforme, l’acquéreur pourra au choix, demander l’exécution ou la résolution de la vente conformément à l’article 1610 du Code civil85. La garantie de l’article 1641, qui remonte à l’époque du droit romain, d’où elle a gardé son autre nom de garantie édilicienne86, permet également à l’acquéreur de choisir entre deux actions, l’action estimatoire, qui lui permet de récupérer auprès du vendeur le montant de la perte subie, ou l’action rédhibitoire qui provoque l’anéantissement du contrat87. En théorie, ces deux types de recours dont bénéficie l’acquéreur, sont bien distincts et correspondent à des manquements différents de la part du vendeur. La délivrance non conforme correspond à la livraison d’une chose saine mais différente de celle qui a été contractuellement prévue, on la retrouve par exemple quand l’ordinateur livré n’a pas la puissance promise88. L’obligation de garantie du vendeur est en revanche mise en cause lorsqu’il livre la chose qui a été prévue au contrat, qu’elle est d’apparence saine mais qu’en réalité elle comporte un vice qui la rend impropre à son usage. Pour mettre en jeu cette action, 83 Art. 1603 : Il a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. Art. 1641 : Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. 85 Art. 1610 : Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur. 86 Les édiles étaient des magistrats élus pour administrer certains domaines publics, ils sont à l’origine d’une obligation de garantie des défauts par les vendeurs d’esclaves. 87 Art. 1644 : Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts. 88 Civ. I, 13 octobre 1993, Sté Bouchonnerie Gabriel, Bull. n°287. 84 36 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS l’acquéreur a dû s’assurer que la chose ne présentait pas de vice, ce qui s’apprécie in concreto c’est-à-dire en fonction de la personne89. Mais ce qui distingue surtout ces actions est que l’action en délivrance conforme se prescrit par trente ans en matière civile, dix, en matière commerciale, alors que l’action en garantie des vices cachés doit être engagée à bref délai. L’article 164890 ne donne pas de précision sur ce qu’il faut entendre par « bref délai » mais selon la jurisprudence il varie entre six et douze mois. Si ces deux actions semblent a priori bien différentes, il y a eu de nombreuses tentatives tant doctrinales que jurisprudentielles pour étendre le domaine de l’action en délivrance conforme afin de faire passer des vices cachés pour des défauts de conformité et bénéficier ainsi de leur délai pour agir. Or, en pratique, dans certaines situations, il est en effet très difficile de trouver la frontière entre les deux actions car elles sont fondées sur des notions imprécises. Depuis plusieurs années, la doctrine a tenté de mettre au point divers critères pour éviter que ces actions ne se chevauchent, le Professeur Bénabent a essayé de les classer selon un ordre chronologique91, l’obligation de délivrance conforme étant antérieure à la garantie des vices cachés, mais cela n’a eu aucun échos en jurisprudence, de même, on a retenu des critères conceptuels, fonctionnels92, mais aucun n’a été capable de distinguer à coup sur les deux actions. Des auteurs ont en revanche su stigmatiser l’enchevêtrement de ces actions à propos d’un arrêt d’Assemblée plénière, « la chose qui présente un défaut caché n’est pas conforme à ce que les parties avaient convenu ; le vice caché rejoint le défaut de conformité. Inversement, la chose non conforme à ce dont les parties étaient convenues est fréquemment impropre à l’usage auquel on la destine ; le défaut de conformité rejoint alors le vice caché »93. En substance, on peut de façon caricaturale retenir que si une chose a un vice, qu’il soit caché ou non, elle ne correspond pas aux attentes de l’acquéreur, les parties n’ont en effet pu s’entendre contractuellement sur l’existence d’un vice, la chose n’est donc pas conforme. 89 Civ. I, 24 février 1964, Bull. n°105, a retenu comme vice caché, le fait qu’un cheval ait été borgne lors de la vente car cette infirmité ne pouvait être décelée que par un examen approfondi auquel un acheteur n’a pas coutume de se livrer personnellement. 90 Art. 1648 : L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. 91 BENABENT A., note sous arrêt, Civ. I, 5 février 1993, D., 1993, p. 506. 92 TOURNAFOND O., Distinction entre vices cachés et défaut de conformité, D., 1997, sommaires commentés, p. 346. 93 TERRE F., LEQUETTE Y., observations sous Ass. plén., 7 février 1986, in Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd, 2000, Dalloz. 37 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS La directive 1999/44 semble adopter une conception plus simple de l’obligation de garantie du vendeur dont il serait judicieux de s’inspirer (B). B. La consécration de la conception moniste de l’obligation de garantie du vendeur dans la directive sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation Contrairement au droit français, la directive de 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation adopte une conception moniste de l’obligation de garantie du vendeur, celui-ci est tenu de livrer au consommateur un bien conforme au contrat de vente (article 2§1). La directive prévoit également une liste de présomptions de conformité du bien dans laquelle on retrouve tant des critères de l’obligation de conformité que de la garantie édilicienne94. C’est sur ce point que les débats entre juristes français ont été les plus vifs95. Si la question semblait être de savoir s’il faut transposer la directive dans le Code de la consommation ou dans le Code civil, le fond du problème était surtout de savoir s’il fallait remettre en cause notre principe dualiste. Opérer une transposition dans le Code de la consommation signifierait que dans les seuls contrats de consommation l’approche dualiste serait supprimée et parallèlement, pour les contrats entre professionnels ou entre non professionnels, le concept dualiste, source d’insécurité juridique serait maintenu. Le système actuel est déjà compliqué, si on devait lui ajouter un nouveau droit de la vente à destination 94 Art. 2§2 : Le bien de consommation est présumé conforme au contrat: a) s'il correspond à la description donnée par le vendeur et possède les qualités du bien que le vendeur a présenté sous forme d'échantillon ou modèle au consommateur; b) s'il est propre à tout usage spécial recherché par le consommateur, que celui-ci a porté à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat et que le vendeur a accepté; c) s'il est propre aux usages auxquels servent habituellement les biens du même type; d) s'il présente la qualité et les prestations habituelles d'un bien de même type auxquelles le consommateur peut raisonnablement s'attendre, eu égard à la nature du bien et, le cas échéant, compte tenu des déclarations publiques faites sur les caractéristiques concrètes du bien par le vendeur, par le producteur ou par son représentant, notamment dans la publicité ou l'étiquetage. 95 notamment : VINEY G., Quel domaine assigner à la loi de transposition de la directive européenne sur la vente ?, JCP, 2002, I 158, p. 1497, Retour sur la transposition de la directive du 25 mai 1999, D., 2002, p. 3162, TOURNAFOND O., Remarques critiques sur la directive européenne du 25 mai 1999 relative à certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, D., 2000, p. 159, De la transposition de la directive du 25 mai 1999 à la réforme du Code civil, D., 2002, Chron. p. 2883, TROCHU M., Vente et garantie des biens de consommation : directive CE n°1999/44 du 25 mai 1999, D., 2000, p. 119, PAISANT G., Quelle transposition pour la directive du 25 mai 1999 sur les garanties dans la vente de biens de consommation ?, JCP, 2002, I 135, p. 923. 38 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS des consommateurs, la situation serait pire encore, et ce d’autant que la jurisprudence est incertaine pour déterminer ce que recouvrent les contrats de consommation96. C’est donc pour rendre le droit de la vente plus abordable et plus conforme à celui des pays voisins, qui pour la plupart reconnaissent une obligation moniste du vendeur, mais également par souci rationnel, que le groupe de travail nommé par le ministère de la justice a opté pour une transposition large97. En incérant au Code civil le texte de la directive, il met un terme à notre système dualiste car il applique à toutes les ventes, quelle que soit la qualité des parties et la nature de l’objet de la vente ce « devoir de délivrance conforme »98. Ce choix est d’autant plus louable que cette obligation moniste du vendeur est également celle reconnue par la Convention de Vienne99. Cette réforme d’envergure que propose le groupe de travail présidé par Geneviève Viney devrait mettre fin à un particularisme de notre droit que nous ne maîtrisons même pas et nous permettre de rejoindre le mouvement d’harmonisation du droit des contrats en Europe sans renoncer à ce qui est bon dans notre droit100, nous pensons notamment à notre souci de protection de l’acquéreur, l’avant-projet de loi va d’ailleurs beaucoup plus loin que la directive dans les délais qui lui sont accordés (de 2 ans dans la directive, ils passent à 5 pour les meubles et 10 ans pour les immeubles cf. nouvel art. 1648). 96 Dans un premier temps elle a adopté une définition large, un professionnel qui passait un contrat pour l’exercice de son activité mais qui n’entrait pas dans le cadre de son domaine de compétence pouvait bénéficier de la législation protectrice des consommateurs (Civ. I, 06 janvier 1993, JCP, 1993, p. 68). Désormais, la jurisprudence refuse la qualité de consommateur à un contractant dès que le contrat présente un rapport direct avec son activité professionnelle (Civ. I, 24 janvier 1995, D., 1995, somm. 229, obs. Delebecque). 97 JOURDAIN P., Le domaine d’application de la loi, in La transposition en droit français de la directive européenne du 25 mai 1999 relative à la vente, JCP éd. E., 2003, supplément n°1, p. 8. 98 Art.1641 de l’avant-projet de loi : Le vendeur est tenu de livrer une chose conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance, quand même il ne les aurait pas connus. La chose est conforme au contrat lorsqu'elle présente les caractéristiques que les parties ont définies d'un commun accord et qu'elle est propre à l'usage habituellement attendu d'une chose semblable. 99 Art. 35§1 : Le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui sont prévus au contrat, et dont l’emballage ou le conditionnement correspond à celui qui est prévu au contrat. §2 : A moins que les parties n’en soient convenues autrement, les marchandises ne sont conformes au contrat que si: a) elles sont propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type; b) elles sont propres à tout usage spécial qui a été porté expressément ou tacitement à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat, sauf s’il résulte des circonstances que l’acheteur ne s’en est pas remis à la compétence ou à l’appréciation du vendeur ou qu’il n’était pas raisonnable de sa part de le faire; c) elles possèdent les qualités d’une marchandise que le vendeur a présentée à l’acheteur comme échantillon ou modèle; d) elles sont emballées ou conditionnées selon le mode habituel pour les marchandises du même type ou, à défaut de mode habituel, d’une manière propre à les conserver et à les protéger. §3 : Le vendeur n’est pas responsable, au regard des alinéas a) à d) du paragraphe précédent, d’un défaut de conformité que l’acheteur connaissait ou ne pouvait ignorer au moment de la conclusion du contrat. 100 VINEY G., Retour sur la transposition de la directive du 25 mai 1999, D., 2002, p. 3162. 39 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Au même titre que le législateur allemand, cette directive nous donne l’opportunité d’améliorer, simplifier et rapprocher notre droit de la vente de celui de nos voisins, il semble que ce soit une occasion à ne pas laisser passer. Il ne sert à rien non plus d’opter pour le statu quo sous prétexte que quoi que nous fassions l’harmonisation qui est proche se chargera de modifier notre législation. En effet, il ne faut pas perdre de temps pour réformer notre législation car l’harmonisation, elle, peut en revanche tarder. Il ne faut donc pas refaire l’erreur que le législateur a commise au début des années soixante dans son travail de réécriture du Code civil en écartant le droit des obligations au bénéfice de celui de la famille sous prétexte qu’une unification européenne était proche101. En revanche, si chaque pays adapte son droit dans un sens commun cette harmonisation pourrait intervenir plus rapidement et surtout, cela permettrait à la législation française d’être prise avec plus de considération et ainsi de jouer un rôle fort au lieu de se voir imposer un texte qui lui est totalement étranger. Pour Madame Fauvarque-Cosson, la meilleure des stratégies consiste sans doute à entreprendre une réforme d’ensemble des obligations, tout en participant aux divers travaux actuels d’unification du droit privé européen102. Les législations communautaire et interne ne sont pas satisfaisantes en droit des contrats ce qui est un frein à la réalisation du marché intérieur, il est donc temps de réfléchir concrètement à un rapprochement des législations qui apparaît incontournable (sous-section 2). Sous-section 2. Le rapprochement des législations Le rapprochement des droits civils est souhaitable mais il faut s’interroger pour savoir à quel niveau le faire, international ou communautaire, spontanément ou par l’action (I) et quels domaines particulièrement doivent être concernés (II). 101 AUBRY H., L’influence du droit communautaire sur le droit français des contrats, thèse, PUAM, 2002, p. 17. 102 FAUVARQUE-COSSON B., Faut-il un Code civil européen ?, Op. cit., p. 465. 40 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS I. Quel champ géographique pour un rapprochement ? Le droit international permet déjà un rapprochement, mais il semble insuffisant pour le marché unique (A), c’est donc à ce stade qu’il faut avoir une réelle réflexion (B). A. Le rapprochement issu du droit international inadapté au marché unique On constate que le droit international conventionnel ne permet pas une harmonisation satisfaisante (1), en outre, celui-ci tend à être remis en cause par les principes de droit communautaire (2). 1) Les résultats limités du droit conventionnel Comme le faisait remarquer la Commission dans sa communication de 2001, les remèdes internationaux offrent des solutions à certains problèmes potentiels liés à des différences en matière de droit national des contrats (point 16). Il existe l’unification de la règle de conflit, en matière de conflit de lois, on connaît en particulier la Convention de Rome de 1980 sur le droit applicable aux obligations contractuelles103, ratifiée par tous les Etats membres. Elle reconnaît le principe de la loi d’autonomie tout en limitant le choix de la loi dans les contrats déséquilibrés, en l'absence de choix, elle définit quel droit est applicable. Elle permet ainsi l’application d’un droit unique quel que soit le juge saisi. Aussi, peut-on considérer comme Paul Lagarde, que la Convention de Rome réalise une « unification souple du droit international privé des contrats au sein de la Communauté économique européenne »104. En revanche, l’article 1er de la Convention de Rome exclu de son domaine d’application certaines questions relatives notamment au statut et à la capacité des personnes physiques ou encore aux contrats d'assurance couvrant des risques situés dans les territoires des États membres de la Communauté européenne. Le règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en 103 Convention 80/934 CEE du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, JOCE L 266 du 6/10/1980. 104 LAGARDE P., Le nouveau droit privé des contrats après l’entrée en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980, Rev. crit. DIP, 1991, p. 287. 41 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS matière civile et commerciale105 qui détermine l’instance compétente pour traiter d’une affaire contribue également à ce rapprochement. Mais l’unification de la règle de conflit ne paraît pas résoudre toutes les difficultés. Les normes uniformes sur les conflits de loi favorisent la prévisibilité du droit applicable, mais, comme le fait remarquer le Professeur Gandolfi, elles « n’éliminent pas cet obstacle qu’est la pluralité, la disparité des différents droits, qui se manifeste parfois aussi sous l’aspect insidieux de la propension du juge saisi d’une affaire à s’orienter vers le droit qui lui est familier »106. En outre, malgré l’uniformisation des règles de conflit, il faut tout de même rechercher le contenu de la loi applicable, ce qui peut être long, difficile et coûteux, c’est le cas par exemple si les parties au litige sont des ressortissants de pays lointains, de langue rare et de systèmes juridiques différents107. Il est également possible de procéder à une harmonisation des règles matérielles, l'instrument le plus important étant la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises (CVIM), adoptée par tous les États membres à l'exception du Royaume-Uni, du Portugal et de l'Irlande. Elle s’applique automatiquement aux contrats de vente internationale de marchandises sauf si les parties décident de l’écarter et choisissent explicitement une autre loi pour régir leur contrat, cela correspond à une application de type opt-out. Mais là encore, certains domaines y sont exclus, notamment les marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique (art. 2, a)). Toutefois, il n’apparaît pas souhaitable de procéder à une harmonisation au niveau international. Tout d’abord, même si le bloc communiste n’existe plus, les Etats membres sont économiquement et politiquement plus proches entre eux qu’ils ne le sont du reste du monde. De plus, à l’échelle internationale, il serait difficile d’écarter l’hégémonie des Etats-Unis, la voix des pays de l’Union serait donc faible. Enfin, comme nous l’avons signalé en introduction pour distinguer l’uniformisation de l’harmonisation, plus le champ géographique est important, plus le contenu du texte de rapprochement sera restreint. En effet, la Convention de Vienne ne s’applique qu’au commerce international, seul un texte de niveau communautaire pourrait avoir vocation à régir tous les contrats. 2) L’empiètement du droit communautaire sur le droit international 105 Règlement CE n° 44/2001, JOCE L 12 du 16/01/2001, p.1 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 713. 107 TALLON D., Vers un droit européen du contrat ?, in Mélanges André Colomer, Litec, 1993, p. 487. 106 42 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Comme nous l’avons vu, le marché unique n’a plus un objectif exclusivement économique or, la réalisation du marché intérieur passe par la suppression des entraves à certaines libertés économiques comme la liberté de circulation des travailleurs, des capitaux ou la libre prestation de services. Or, pour satisfaire ces exigences, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes tend à faire prévaloir ces principes sur ceux du droit international privé. Il en résulte un affrontement entre le droit international et le droit communautaire, affrontement que la Convention de Rome évite en prévoyant dans son article 20 que le droit communautaire est prioritaire sur ses propres dispositions. Selon un principe classique du droit international privé, les lois de police sont au sommet de la hiérarchie des normes et sont d’application immédiate, ainsi, quel que soit le droit normalement applicable, le juge peut imposer l’application des lois de police du for. Pourtant, dans un arrêt récent, la Cour a retenu qu’au même titre que toute réglementation nationale, les lois de police susceptibles d’entraver les échanges au sein de l’Union, devaient être écartées au profit du droit communautaire108. L’arrêt Ingmar de la Cour de justice des Communautés européennes du 9 novembre 2000109 est un autre exemple de la primauté du droit communautaire sur le droit international privé. Alors que d’après la loi d’autonomie, la loi d’un Etat tiers était applicable, l’arrêt reconnaît l’application de dispositions protectrices de la directive de 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants110, du seul fait que le contrat a été exécuté sur le territoire de la Communauté. En effet, l’arrêt retient que les objectifs poursuivis par la directive exigent que ses dispositions s'appliquent à tous les agents commerciaux établis dans un État membre, indépendamment de la nationalité ou du lieu d'établissement de leur commettant (point 18). La CJCE retient ici que des articles d’une directive peuvent avoir un effet impératif qui implique que la loi d’un Etat tiers, normalement applicable au contrat soit évincée si elle est en contradiction avec les objectifs poursuivis par le droit communautaire. Il ressort de cet arrêt d’une part que le principe de la loi d’autonomie, fondamental en droit international, est remis en cause, d’autre part, il conduit à la reconnaissance d’une nouvelle catégorie de lois de police, les lois de police des Etats membres, qui s’ajoute aux lois de police du for et aux lois de police des Etats tiers111. Cette solution a l’avantage de garantir les droits des agents 108 CJCE, 23 novembre 1999, Arblade, Rev. Crit. DIP., 2000, p. 710, note M. Fallon. CJCE, 9 novembre 2000, Ingmar GB Ltd, aff. C-381/98, Rec., p. 9305, Rev. crit. DIP., 2001, p. 107, note L. Idot. 110 Directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants JOCE L 382, p. 17. 111 LOUSSOUARN Y., BOUREL P., Droit international privé, 7ème éd., Dalloz, 2001, n°133-1. 109 43 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS commerciaux mais elle est source d’insécurité juridique et témoigne d’une judiciarisation du droit des contrats au niveau communautaire. En outre, cette jurisprudence est empreinte d’un fort unilatéralisme qui aurait tendance à isoler la Communauté européenne du reste du monde et ainsi à dissuader les Etats tiers de passer des contrats avec des ressortissants de l’Union européenne. En effet, il en résulte que « toutes les directives communautaires de rapprochement des législations sont susceptibles d’être érigées en lois de police puisqu’elles visent toutes, à tout le moins indirectement, à diminuer les distorsions de concurrence qui résultent des divergences des législations nationales »112. Il ressort de cette jurisprudence que le droit international ne paraît pas à même de procéder de façon satisfaisante à un rapprochement des législations car les principes du droit communautaire prennent une valeur telle qu’ils remettent en cause les lois normalement applicables en matière de contrats internationaux. En revanche, il semble qu’à l’échelle communautaire un rapprochement soit plus efficace et plus approprié, celui-ci est d’ailleurs en marche (B). B. Une impulsion forte en faveur d’un rapprochement au niveau communautaire Comme nous l’avons signalé, ces derniers temps, nous constatons un rapprochement très sensible des législations au niveau communautaire mais on peut se demander ce qui en est à l’origine. D’un côté, on retrouve les critères d’un rapprochement spontané proche de ce que l’ancien droit a connu sous le non de jus commune (1). De l’autre côté, les institutions communautaires cherchent à provoquer ce rapprochement (2). 1) Un nouveau jus commune ? L’Europe n’a jamais eu de législateur unique à l’origine d’un système judiciaire uniformisé. Au contraire, avant la grande période de codification du XIXème siècle qui avait pour tête de file le Code civil français, chaque région avait ses propres lois, cette vague de codification a donc permis d’uniformiser les législations au sein des Etats. Pour reprendre l’exemple de la France, le Code civil de 1804 a rendu possible le rapprochement des deux traditions légales les plus fortes de la France d’Ancien Régime desquelles découlaient toutes 112 IDOT L., note sous CJCE, 9 novembre 2000, Ingmar GB Ltd, Rev. crit. DIP., 2001, p. 107, n°18. 44 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS sortes de législations spéciales, à savoir celle de droit écrit du sud, très influencée par le droit romain, et celle de droit coutumier du nord113. Le Code Napoléon a ainsi réalisé l’unification du droit civil en France puis a été suivi dans la plupart des pays d’Europe. L’autre effet de cette codification a été de cloisonner ces nouvelles législations donnant naissance à des nationalismes juridiques puis politiques. Pourtant, avant cela, du Moyen Age aux temps modernes, malgré une Europe morcelée, loin d’imposer une législation uniforme, le jus commune représentait un droit commun par l’unité conceptuelle qu’il offrait aux entités politiques autonomes diverses que représentaient les provinces, régions ou cités114. Ainsi coexistaient un jus porprium, particulier à chaque ordre juridique, et un jus commune ou droit savant, seul enseigné dans toutes les universités d’Europe ce qui permettait, pour reprendre les termes du Professeur Oppetit, de « maintenir l’unité dans la diversité »115. Toutefois, il s’agissait moins de règles matérielles uniformes que d’une manière commune d’appréhender les problèmes. Aussi, si ce phénomène est particulièrement intéressant c’est parce qu’au départ spontané, il a été ensuite l’œuvre de juristes qui en ont fait une source juridique commune qui fit de lui un droit savant d’origine doctrinale. Si on évoque régulièrement le retour du jus commune, c’est justement en raison de sa source doctrinale, celle-ci lui donne des similitudes avec le droit comparé dont le but était à l’origine de dégager un fond juridique commun de l’ensemble des systèmes législatifs116. En revanche, si un parallèle peut être fait entre le jus commune et le droit comparé, ils restent distincts et celui-là ne risque pas de réapparaître. En effet, comme le souligne le Professeur Basedow, ce qui le caractérisait ne se retrouve plus aujourd’hui, d’une part la doctrine avait une langue commune, le latin, d’autre part elle avait une source unique, le droit romain qui a considérablement perdu de son impact117. Quoi qu’il en soit, il n’est pas certain qu’une « renaissance » du jus commune serait souhaitable car il ne correspondait pas à un droit du progrès, il était notamment indifférent aux facteurs économiques et sociaux aussi, s’il est 113 REMY Ph., The French Code civil : a Model (Not) to Follow ?, ERA Forum 2002 special issue, p. 1 consultable sur le site http://www.era.int/. 114 MAGNIER V., Rapprochement des droits dans l’Union Européenne et viabilité d’un droit commun des sociétés, Op. cit., p. 29. 115 OPPETIT B., Droit commun et droit européen, in L’internationalisation du droit, Mélanges Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 312. 116 JAMIN Ch., Le vieux rêve de Saleilles et Lambert revisité, RIDC, 2000, p. 733. 117 BASEDOW J., Un droit commun des contrats pour le marché commun, RIDC, 1998, p. 9. 45 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS possible de s’inspirer de cet ancien droit, il ne doit pas en revanche servir de modèle pour le droit du futur118. Il n’est plus question aujourd’hui pour le droit comparé de réaliser l’unification universelle des législations, en revanche, l’étude des droits étrangers amène à une plus grande tolérance envers ceux-ci, mais également à plus d’humilité et de recul vis-à-vis de notre propre législation, cela met un terme à l’autarcie juridique qui a suivi l’ère des codifications. C’est ainsi que naturellement, si des juristes de plusieurs Etats procèdent à de telles analyses comparatistes, ils devraient s’accorder pour déterminer les notions étrangères les plus pertinentes et ainsi s’en inspirer. C’est en procédant de la sorte que de façon lente mais certaine, le travail de savants contribue à un rapprochement des législations qui convergent toutes vers un droit idéal. Cette démarche neutre et systématique a été suivie dès 1982 par une commission, à l’époque officieuse, d’universitaires issus de toute l’Europe, présidée par le professeur Ole Lando, qui s’est attelée à l’élaboration de principes généraux de droit européen du contrat. 2) L’impulsion des autorités communautaires La tendance au rapprochement n’est pas le seul fait de personnes privées, les institutions communautaires y contribuent également. Comme nous l’avons vu, la création d’une union politique passe par une intégration juridique, dès lors, le rapprochement des droits devient un instrument de la construction européenne119. C’est pour ces raisons que les institutions européennes œuvrent depuis plusieurs années pour encourager le rapprochement des législations. C’est dans le sillage des travaux de la commission Lando, que le Parlement européen s’est en premier intéressé à cette question. Par deux résolutions de 1989 et 1994, il a demandé que soient entamés les travaux sur la possibilité d'élaborer un Code européen commun de droit privé120. Pour lui, l’harmonisation de certains secteurs du droit privé est essentielle pour 118 DELMAS-MARTY M., Le phénomène de l’harmonisation, l’expérience contemporaine, in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 27. 119 MAGNIER V., Rapprochement des droits dans l’Union Européenne et viabilité d’un droit commun des sociétés, Op. cit., p. 2. 120 Résolution A2-157/89, JOCE C 158 du 26/06/1989, p. 400; Résolution A3-0329/94, JOCE C 205 du 25/07/1994, p. 518. 46 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS l’achèvement du marché intérieur. Il a également affirmé que l’unification des principales branches du droit privé sous la forme d'un Code civil européen constituerait le moyen le plus efficace de réaliser l’harmonisation en vue de répondre aux exigences juridiques de la Communauté pour réaliser un marché unique sans frontières. En 1999, le Parlement a publié une « Etude comparative sur les ordres juridiques des Etats membres de l’Union européenne à l’égard de discriminations pour des raisons liées à la nationalité ainsi qu’à l’égard de la possibilité et la nécessité de la création d’un Code civil européen »121. Enfin, dans une résolution du 16 mars 2000 concernant le programme de travail de la Commission pour 2000, le Parlement européen a déclaré qu’une harmonisation plus poussée dans le domaine du droit civil était devenue essentielle dans le marché intérieur et a demandé à la Commission d’élaborer une étude dans ce domaine122. Dans sa réponse du 25 juillet 2000, la Commission a déclaré qu’elle soumettrait le sujet aux autres institutions communautaires et au public afin d’approfondir la question, ce qu’elle a fait avec sa communication de 2001 concernant le droit européen des contrats123. Celle-ci fut le premier document de consultation publié par la Commission européenne qui envisageait une discussion plus fondamentale sur les moyens de traiter, au niveau européen, les problèmes découlant des divergences entre les différents droits des contrats en vigueur dans l’Union européenne. La Commission y proposait quatre options très différentes allant du statu quo laissant ainsi au marché le soin de régler tout problème, à l’adoption d’un nouvel instrument au niveau communautaire qui pourrait par exemple prendre la forme d’un code. Elle souhaitait recueillir les réactions suscitées par ces options et insistait sur le fait que cette liste n’était pas exhaustive et qu’elle était ouverte à toute autre proposition. D’une manière générale, les réactions n’ont pas été favorables à ces deux options extrêmes, surtout celle prônant toute absence d’intervention. En revanche, les deux options intermédiaires qui proposaient d’une part l’élaboration de principes communs non contraignants en droit des contrats et d’autre part d’améliorer la législation communautaire existante dans ce même domaine pour la rendre plus cohérente ont recueilli la majorité des suffrages. Sur la base de ces réponses, la Commission a pu élaborer un Plan d’action en 2003124 dans lequel elle en fait la synthèse et y énonce la politique qu’elle entend mener pour réaliser le rapprochement des législations, elle y précise à nouveau qu’elle attend toutes les 121 Parlement européen, DG recherches, série affaires juridiques, Juri 103, juin 1999. Résolution B5-0228, 0229, 0230 / 2000, p. 326, paragraphe 28, JOCE C 377 du 29/12/2000, p. 323. 123 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant le droit européen des contrats du 11 juillet 2001, COM(2001) 398 final, JOCE C 255/1 du 13/09/2001. 124 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur un plan d’action pour un droit européen des contrats plus cohérent du 12 février 2003, COM(2003) 68 final, JOCE C 63/38 du 15/03/2003. 122 47 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS remarques que peuvent inspirer ce plan. Si le rapprochement des législations est au départ le fruit de savants, la mise en œuvre de tels travaux ne peut se faire qu’avec le soutien d’autorités publiques et une réelle volonté politique. Contrairement à l’époque du jus commune qui accordait la plus grande autorité à la doctrine, la philosophie des Lumières a mis le droit à la disposition de la politique donc, si la loi n’est pas suffisante pour procéder à l’unité du droit, elle y est toutefois nécessaire125. L’harmonisation se fait donc en collaboration étroite entre les institutions communautaires et la doctrine qui est leur principale source d’inspiration mais elles en restent le seul véritable déclencheur et moteur. Après s’être interrogé sur le point de savoir à quelle échelle il était possible de procéder à une harmonisation des législations et qui pouvait en être à la base, il faut se demander sur quels domaines doit porter ce rapprochement (II). II. Les domaines concernés par le rapprochement Pour la réalisation de ce rapprochement, le législateur doit se mettre d’accord sur ses domaines tant matériels (A) que personnels (B). A. Le domaine matériel du rapprochement Pour ce qui est du domaine matériel, une des questions centrales est de savoir jusqu’où doit aller cette harmonisation, doit-elle concerner le seul droit des contrats ou avoir vocation à harmoniser l’ensemble du droit privé ? Dans ses résolutions de 1989 et 1994, le Parlement avait demandé que soient entamés les travaux sur la possibilité d’un « Code européen commun de droit privé »126, mais cette perspective a été abandonnée parce que disproportionnée. Début 2000, le Parlement, dans une nouvelle résolution moins ambitieuse, a demandé une harmonisation limitée au droit des contrats. Ceci a conduit au Livre vert de 2001 125 BASEDOW J., Un droit commun des contrats pour le marché commun, Op. cit., p. 9. Résolutions du 26 mai 1989 sur un effort de rapprochement du droit privé des Etats membres, JOCE C. 158400, du 6 mai 1994 sur l’harmonisation de certains secteurs du droit privé des Etats membres, JOCE C. 205-518. 126 48 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS de la Commission qui propose, parmi ses options (option n°4), d’élaborer un texte global comportant des dispositions sur des questions générales de droit des contrats et sur des contrats spécifiques (point 61). Le Comité économique et social dans son avis du 17 juillet 2001 en réaction à la communication de la Commission, a contesté son approche restrictive, il préconise notamment au point 3.12, de ne pas exclure le droit du travail transfrontalier du débat même si le droit du travail général n’a pas à être concerné car il est intimement lié aux traditions juridiques nationales. Il a été suivi par la résolution du Parlement européen du 15 novembre 2001 qui critique la Commission de limiter le domaine du débat public qu’elle a lancé, au seul droit des contrats et à certains contrats spéciaux. Pour le Professeur Witz, fervent défenseur de ce qu’il nomme également « l’Eurocode »127, le domaine de l’harmonisation ne doit pas être trop restreint. Tout le droit des obligations doit être concerné, et notamment le droit de la responsabilité. Selon lui, il ne faut pas se limiter à une harmonisation de la responsabilité contractuelle, mais également s’intéresser à la responsabilité délictuelle et se prononcer sur le principe du non-cumul car il n’est pas reconnu par toutes les législations, ainsi, selon le droit national applicable, la victime contractante pourrait très bien mettre également en œuvre la responsabilité délictuelle128. Les travaux du groupe d’études sur un code civil européen optent pour une harmonisation encore plus étendue. Dans un article de son président, le Professeur von Bar, publié en 2001, il retenait que leur objectif était de créer une sorte de « droit fondamental » sur le plan du droit patrimonial pour les Etats membres de l’Union européenne129. Il proposait ainsi de diviser en quatre parties les domaines harmonisés, une consacrée au droit patrimonial en général, une autre au droit des contrats, une troisième au droit des obligations extra-contractuelles et la dernière au droit de propriété ou des biens (les meubles seuls étant concernés). Si jusque là ces secteurs recoupent des domaines d’harmonisation également plébiscités par d’autres auteurs, l’analyse de son article laisse à penser qu’il souhaite aller encore plus loin130. En effet, il relève que le groupe d’étude ne pense pas encore inclure le droit de la famille ni celui des successions, a contrario, on peut en conclure qu’à terme l’harmonisation devrait également concerner ces secteurs. En outre, dans une conférence donnée un an plus tard, il informait qu’en 2002, une commission sur le droit européen de la famille avait été créée et qu’elle 127 WITZ Cl., Plaidoyer pour un code civil européen des obligations, D., 2000, p. 79. Ibid., p. 83. 129 BAR (von) C., Le groupe d’études sur un code civil européen, RIDC, 2001, p. 130. 130 Ibid. p. 131. 128 49 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS devait procéder à l’unification de cette branche du droit131. Enfin, il nous semble que la position de Jérôme Huet doit être relevée car elle est mesurée et circonstanciée. Il se place au niveau des autorités européennes qui ont un point de vue essentiellement économique et retient ainsi que le processus devrait être limité au droit des contrats utilisés dans le commerce intra-communautaire (vente de marchandises, prestation de services, réseaux de distribution…) et au droit des sûretés pouvant servir à garantir l’exécution de tels contrats132. Comme le fait remarquer le Professeur Malaurie, la théorie générale des obligations du droit civil est partout en recul au profit des droits fragmentés des contrats spéciaux de la consommation, de la concurrence, du travail, de la santé publique, de la construction, etc. En un temps où le droit se parcellise, est-ce vraiment le moment d’établir un Code civil européen des obligations et des contrats133 ? B. Le domaine personnel du rapprochement Avant de régler la question du domaine personnel d’un rapprochement, il y a lieu de s’interroger sur le point de savoir s’il faut élaborer un code européen qui se substitue aux droits nationaux ou un code parallèle qui ne concerne que les opérations intracommunautaires. Cette dernière solution permettrait de régler le problème des opérations transfrontalières tout en ménageant les traditions juridiques nationales. Mais elle n’est pas satisfaisante car d’une part, elle compliquerait considérablement la situation actuelle car il y aurait une superposition de règles. Pour les situations présentant un élément d’extranéité, le problème se poserait de savoir s’il faut appliquer le droit international privé ou un droit matériel unifié au niveau communautaire, et à cela s’ajouterait au niveau interne un droit matériel différent dans chacun des Etats membres. Cette proposition ne se situe pas dans l’esprit d’un grand marché intérieur censé appliquer les mêmes règles de droit quel que soit le lieu de résidence ou d’établissement des entreprises134. 131 LEQUETTE Y., Quelques remarques à propos du projet de code civil européen de M. von Bar, D., 2002, Chron. p. 2203. 132 HUET J., Nous faut-il un « euro » droit civil ? (propos sur la communication de la Commission concernant le « droit européen des contrats », et, plus généralement, sur l’uniformisation du droit civil au niveau européen), D., 2002, Point de vue, p. 2611. 133 MALAURIE Ph., Le code civil européen des obligations-Une question toujours ouverte, JCP, 2002, I 110, p. 281. 134 WITZ Cl., Rapport de synthèse du colloque sur L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 170. 50 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS En ce qui concerne plus précisément le domaine personnel, il s’agit de savoir si tous les Européens seront concernés quelle que soit leur qualité ou si seules quelques catégories pourront en profiter. On peut relever que jusque là, l’harmonisation du droit privé issu des directives communautaires avait la plupart du temps pour seuls destinataires les consommateurs, c’était le cas par exemple de la directive sur les clauses abusives, de la directive time-share, de celle sur la responsabilité du fait des produits défectueux ou plus récemment de la directive sur la garantie due par le vendeur dans la vente de biens de consommation. Bien qu’il ait été question d’un code européen de la consommation135, un domaine personnel si restreint ne semble pas judicieux car cela accentuerait encore la fissure au sein des Etats membres entre le droit privé général et sa branche consumériste. Ce champ d’action de la Communauté s’explique par la grande latitude que lui accorde le traité CE à l’article 153136 sur la protection des consommateurs. Celui-ci lui donne une compétence spéciale pour procéder au rapprochement des législations selon la procédure de l’article 95 du traité dont les conditions de mise en œuvre sont peu contraignantes. Comme nous le verrons ultérieurement, il n’est pas certain qu’un tel fondement juridique existe pour procéder à un rapprochement du droit privé qui concerne l’ensemble des opérateurs économiques. Dans un souci de cohérence et de clarté, il serait toutefois préférable d’élargir le champ du rapprochement à tous les ressortissants de l’Union. Pour y parvenir, il faudrait concentrer les efforts et engager des réformes, ceci pourrait par exemple passer par une révision du traité CE qui donnerait plus de latitude à la Communauté pour procéder à un rapprochement élargi. Il ressort des critiques que nous avons pu porter sur la législation interne et surtout sur l’aptitude limitée de la législation communautaire à réaliser le marché intérieur de façon satisfaisante, la nécessité de réaliser un rapprochement des législations plus efficace au niveau communautaire (Partie II). 135 Vers un code européen de la consommation, Colloque de Lyon des 12 et 13 décembre 1997, sous la direction de F. Osman, Bruylant, Bruxelles, 1998. 136 art. 153§1: Afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, la Communauté contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu’à la promotion de leur droit à l’information, à l’éducation et à s’organiser afin de préserver leurs intérêts. §3 : La Communauté contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 par : a) des mesures qu’elle adopte en application de l’article 95 dans le cadre de la réalisation du marché intérieur. 51 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DU RAPPROCHEMENT Diverses options sont possibles pour procéder au rapprochement des législations, la doctrine en propose plusieurs versions qui pour certaines d’entre elles vont très loin dans le processus d’harmonisation (Section I). De son côté, la Commission européenne vient d’adopter un plan d’action pour un droit européen des contrats plus cohérent137 suite à la vaste consultation publique qu’avait suscitée sa communication de 2001 sur le droit européen des contrats. Elle tente d’y concilier les prétentions plutôt ambitieuses du Parlement et du Conseil avec les réactions réservées qui ont fait suite à sa communication de 2001 (Section II). 137 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur un plan d’action pour un droit européen des contrats plus cohérent du 12 février 2003, COM(2003) 68 final, JOCE C 63/38 du 15/03/2003. 52 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS SECTION I. LES PROPOSITIONS DOCTRINALES Depuis une vingtaine d’années, on doit un important travail à plusieurs groupes d’universitaires, pour une meilleure réalisation du marché intérieur, au moyen d’un rapprochement des droits des contrats. Certains proposent des méthodes souples (sous-section 1), d’autres au contraire, se sont orientés vers la réalisation de codes qui à terme, ont vocation à devenir contraignants (sous-section 2). Sous-section1. Des rapprochements non contraignants Une partie de la doctrine prône un rapprochement qui découlerait d’une meilleure connaissance de l’ensemble des législations, essentiellement communautaires, mais elle étend également son champ d’observation à d’autres systèmes législatifs et notamment américain (I). Sans exclure cette étape, des auteurs proposent d’aller plus loin et ont réalisé des Principes susceptibles d’organiser des relations contractuelles (II). I. Le travail de droit comparé Une meilleure analyse des droits mais également de l’environnement socioculturel permet de comprendre dans quel contexte ils ont été élaborés et permet d’éviter toute critique a priori. Toutefois, on peut se demander si tous les systèmes législatifs que l’on retrouve sur le territoire de l’Union européenne sont compatibles entre eux et si dès lors, un droit unique peut leur être proposé (A). Grâce à une approche comparative, les universitaires de Trente ont tenté d’établir un état des lieux des ressemblances et des dissemblances entre les législations des différents Etats membres pour réfléchir sur le point de savoir si un droit unique pourrait être accepté (B). 53 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS A. La conciliation des différents systèmes juridiques Chaque système juridique est le fruit d’une histoire, d’une langue, d’un contexte socioéconomique et en général d’une culture qui expliquent leurs divergences. Au niveau communautaire, deux courants principaux s’opposent. Il y a d’une part les systèmes continentaux ou romano-germaniques de droit écrit et d’autre part, le système britannique de common law. Il est classé de façon un peu simpliste dans la catégorie des droits non écrits car il ne possède pas de codes tels que nous les entendons, mais il s’agit plus exactement d’un droit coutumier et jurisprudentiel. Alors qu’on a pu dire que les législations du Québec et de l’Etat de Louisiane étaient des forteresses civilistes résistant courageusement aux assauts anglo-saxons, la question est désormais de savoir si les « assiégeants peuvent devenir des assiégés » ou plus exactement, si la common law anglaise et irlandaise peuvent « s’européaniser »138. En effet, qu’il s’agisse de la législation ou de la façon de juger, ces deux traditions sont a priori éloignées. Alors que les tribunaux des Etats continentaux s’intéressent essentiellement aux textes, les juges britanniques s’attachent principalement aux faits. Pour certains auteurs, la coexistence de ces deux traditions juridiques sur le territoire européen ne permet pas d’envisager la création d’un système rationalisé. Lambert déjà, au début du XXème siècle retenait que les différences entre le droit anglais et les législations d’Europe continentale excluaient un rapprochement de ces deux cultures juridiques139. En effet, l’idée de « tradition juridique » implique une manière bien caractéristique de penser le droit, il en résulte que seuls les juristes continentaux envisagent leur droit comme un système140. Les débats portant sur un rapprochement des législations seraient donc totalement étrangers aux juristes de common law, hermétiques à toute idée d’organisation. On peut notamment noter que le jus commune, vers lequel de nombreux auteurs sont attirés, ne concernerait que les pays de culture romaniste, un élargissement aux pays de common law pourrait donc sembler relativement artificiel. Le Professeur Pierre Legrand qui compte parmi les auteurs les plus farouchement opposés à un rapprochement des législations au niveau communautaire, va même plus loin. Selon lui, la seule idée d’une intégration juridique européenne reflète une 138 LEWIS X., A common law fortress under attack :is english law being europeanized ?, The Columbia Journal of European Law, 1995/96, vol. 2, p. 1. 139 JAMIN Ch., Le vieux rêve de Saleilles et Lambert revisité, RIDC, 2000, p. 749. 140 LEGRAND P., Sens et non-sens d’un code civil européen, RIDC, 1996, p. 781. 54 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS vision romaniste du droit et exclu par la même le common law, il y voit une « forme de terrorisme intellectuel »141. Ainsi, la pensée de common law serait la preuve que l’idée d’universalité du droit n’est pas universelle. En outre, il est question ici d’un rapprochement au niveau communautaire des droits privés or, cette distinction droit privé / droit public n’est pas connue des traditions de common law ce qui rend cette œuvre unificatrice d’autant plus complexe en pratique. On constate également que sur un point fondamental ces deux ordres divergent totalement. Ainsi, si les droits d’origine romaniste représentent un ensemble de règles, pour des raisons historiques et culturelles, cette notion est étrangère à la pensée de common law. En effet, la notion de « règle » nous provient du droit canonique, il est établi qu’il faut suivre telle ou telle voie préalablement définie. En revanche, il n’est pas certain que la culture juridique britannique ait hérité du droit canon ce qui expliquerait qu’aucune décision n’ait d’impact impératif au-delà de l’affaire, elle pourra servir de précédent uniquement si le juge d’une nouvelle affaire en décide de la sorte mais il n’est jamais contraint par une décision antérieure142. De cela découle qu’alors que les législateurs d’inspiration romaniste cherchent autant que possible à anticiper les litiges, le juge de common law attend le litige, le résout et attend le prochain litige. Pierre Legrand retient également que le problème n’est pas de savoir si le droit de common law peut être codifié, selon lui, ce n’est pas qu’il ne le puisse pas mais plutôt qu’il ne le veuille pas. En effet, le common law anglais serait caractérisé par un refus de tout ce qui relève des traditions romanistes, à ce titre, il ne peut se résoudre à penser le droit comme un code143. De même, pour le Professeur Cornu, grand défenseur du Code civil, le droit est le fruit d’une culture, aussi selon lui, les travaux de rapprochement (« l’obsession fusionniste ») sontils une « aberration culturelle »144. D’autres auteurs au contraire soutiennent que les différences entre le common law et les droits d’origine romaniste ne sont pas incompatibles avec tout rapprochement. Tout d’abord, comme nous l’avons déjà évoqué, un rapprochement des droits peut se faire de façon naturelle par le système des transferts de droit145. En pratique, ceci est de plus en plus 141 LEGRAND P., Le primat de la culture, in Le Droit privé européen sous la direction de P. de VareillesSommières, Economica, 1998, Collection Etudes Juridiques, t. 1, p. 1. 142 LEGRAND P., European Legal Systems are not Converging, International and Comparative Law Quartely, 1996, vol. 45, p. 68. 143 LEGRAND P., Sens et non-sens d’un code civil européen, Op. cit., p. 794. 144 CORNU G., Un code civil n’est pas un instrument communautaire, D., 2002, Chron. p. 351. 145 JAMIN Ch., Un droit européen des contrats ?, in Le Droit privé européen sous la direction de P. de VareillesSommières, Economica, 1998, Collection Etudes Juridiques, t. 1, p. 46. 55 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS fréquent, les échanges entre universités témoignent notamment de cette ouverture des juristes sur le monde. Un auteur anglais retient même qu’il est tout simplement faux de dire que la loi anglaise est coupée du continent européen146. Pour lui, la common law a déjà été largement influencée par les lois du continent et la doctrine anglaise s’est inspirée de Grotius, Domat et surtout Pothier. Plus encore, contrairement à ce que soutient Pierre Legrand, selon le Professeur Lewis, nos sources sont identiques à savoir le droit romain et le droit canon147. En outre, en matière contractuelle, l’Europe continentale et les systèmes de common law ont un dénominateur commun, ils reconnaissent tous le principe d’autonomie privée. Si de prime abord cela peut sembler aller de soi, il faut rappeler que les codes socialistes, au lieu de limiter les effets des contrats aux parties stipulantes, devaient également garantir l’intérêt collectif et les pouvoirs publics. Par leurs contrats, les citoyens devaient coopérer à la réalisation de la planification nationale148. Pour d’autres, à l’argument selon lequel la tradition de common law refuse par principe toute idée de code, on peut rappeler l’Indian Contract Act de 1872. Il s’agit d’un texte élaboré par des juges et juristes anglais qui traduisirent pour l’Inde la common law de l’Angleterre en un ensemble de règles écrites149. Plus récemment, en 1965, le Law Commission Act, a chargé des commissions anglaise et écossaise de la consolidation et de la codification de leurs droits en vue de rapprocher la common law anglaise de la civil law écossaise. Le professeur Mc Gregor a été chargé par la commission anglaise, de rédiger le Contract Code qui rassemblait l’état actuel du droit des contrats de common law ainsi que des réformes désirées par de nombreux juristes150. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre purement doctrinale sans valeur contraignante et que le projet n’ait pas abouti, il témoigne de la non-aversion des juristes britanniques pour tout ordonnancement. En outre, alors que d’aucuns soutiennent qu’en Angleterre le législateur a un rôle très secondaire dans le processus d’élaboration juridique, ce qui ne permet pas de créer de toute pièce un texte harmonisateur, on peut répondre que la loi se pose de plus en plus comme un 146 LEWIS X., A common law fortress under attack :is english law being europeanized ?, The Columbia Journal of European Law, 1995/96, vol. 2, p. 1. 147 Ibid., p. 3. 148 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 715. 149 RUFFINI GANDOLFI M. L., Problèmes d’unification du droit en Europe et le code européen des contrats, RIDC, 2002, p. 1085. 150 BEALE H., La Commission Lando : le point de vue d’un « common-law lawyer », in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 128. 56 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS des modes ordinaires de formation du droit151. Déjà au XIXème, le législateur avait élaboré des lois générales comme le célèbre Sale of Goods Act de 1893. Mais actuellement, sous l’impulsion du droit communautaire, l’Angleterre connaît de plus en plus de lois écrites. En effet, les règlements communautaires s’incèrent automatiquement dans sa législation au même titre que dans celle de chacun des Etats membres et le législateur anglais est obligé d’intervenir pour transposer les directives dans le droit interne. Comme le fait également remarquer le Professeur Sacco, tant la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises que les Principes Unidroit ont été élaborés en commun par des juristes civilistes et des common lawyers152. Il n’y a donc a priori pas de raison de penser qu’ils ne peuvent en aucun cas travailler en collaboration. Enfin, toutes ces considérations visant à rapprocher la common law du système continental reflètent essentiellement la position que peuvent avoir des juristes de tradition romano-germanique. Mais dans l’hypothèse d’un rapprochement, celui-ci doit se faire dans les deux sens. Or, on constate que les juristes continentaux accordent de plus en plus d’importance à la jurisprudence ce qui est typique de la vision pragmatique du droit qu’ont les juristes anglais. Toutefois, il reste que si un rapprochement n’est pas impossible, il existe toujours un fossé entre ces deux cultures juridiques et le comblement de celui-ci risque de prendre du temps. En outre, ce n’est pas parce que les ordres juridiques continentaux sont les plus nombreux qu’ils pourront absorber celui de common law. Chacune des traditions juridiques devra faire un pas vers l’autre. Le Professeur Lewis va encore plus loin, il retient que non seulement l’invasion des juristes continentaux n’aura pas lieu, mais encore, s’il doit y avoir une invasion, elle se fera en sens inverse153. Pour tenter d’avoir une vision plus objective de l’éventuelle conciliation des différents systèmes juridiques, il convient d’étudier les recherches purement comparatives des universitaires de Trente (B). B. Les travaux des universitaires de Trente 151 RUFFINI GANDOLFI M. L., Problèmes d’unification du droit en Europe et le code européen des contrats, Op. cit., p. 1084. 152 SACCO R., Non, oui, peut-être, in Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, tome 1, p. 163. 153 LEWIS X., A common law fortress under attack :is english law being europeanized ?, Op. cit., p. 24. 57 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS En 1994, les Professeurs italiens Ugo Mattei et Mauro Bussani, ont lancé un projet intitulé « The Common Core of European Private Law ». Il s’agit d’une étude comparative de l’ensemble des systèmes juridiques représentés dans la Communauté européenne. Elle vise à mettre en lumière leurs différences et leurs ressemblances et ainsi retenir les grandes lignes du droit privé européen sans toutefois chercher à l’unifier. Il s’agit essentiellement d’un travail d’observation. Le fonds commun du droit privé européen vise à élaborer une carte très précise des éléments pertinents appartenant aux différents systèmes juridiques. En revanche, à plus long terme, ces auteurs estiment que ces travaux seront utiles à la construction d’une culture juridique européenne commune154. Pour atteindre un tel objectif, il faut créer un système éducatif juridique commun qui passe principalement par la généralisation du droit comparé. Le Professeur van Gerven suit une démarche similaire et travaille à la réalisation d’une série de case-books sur le droit commun européen. Ce qui différencie essentiellement ces deux projets est qu’alors que le Common core est destiné en priorité aux professionnels, le projet de European case-books s’adresse plus particulièrement aux étudiants et se situe ainsi dans la lignée des échanges Erasmus-Socrates. Pour la réalisation du Common core, il est essentiel d’avoir l’approche la plus neutre possible. Il s’agit de proposer une image fiable et fidèle du droit existant dans les systèmes européens et ce, dans un nombre important de domaines. Pour ce faire, les universitaires de Trente ont dû mettre au point une méthode qui s’inspirait des recherches de grands comparatistes, principalement Rudolf Schlesinger et Rodolfo Sacco. Par exemple, ils se méfient de l’analyse que peut avoir un juriste de son propre droit. Bien qu’il en sache sûrement plus qu’un juriste étranger, le national, même indirectement, « fabrique » du droit et est baigné par toutes sortes d’automatismes. Il n’a pas le recul nécessaire pour être parfaitement objectif155. La méthode de ces universitaires consiste en une approche factuelle au moyen de questionnaires. Il s’agit de comparer, pour une même situation, les différentes méthodes permettant de résoudre un problème. Cette présentation sous forme de cas pratiques peut conduire à des résultats différents de ceux édictés dans les manuels. Forts de ces modèles, MM. Bussani et Mattei ont pu par exemple comprendre que le débat sur le point de savoir si common law et civil law étaient capables de converger, était stérile. « Plutôt que de 154 155 BUSSANI M., MATTEI U., Le fonds commun du droit privé européen, Op. cit., p. 32. BUSSANI M., MATTEI U., Le fonds commun du droit privé européen, Op. cit., p. 45. 58 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS se demander si un vers est à moitié vide ou à moitié plein, il est préférable de savoir à quel niveau les convergences ou les divergences interviennent »156. Aussi, bien que le « fonds commun » ne recherche pas l’uniformisation, pourrait-il indirectement y contribuer car une meilleure connaissance des législations pourrait permettre l’intégration. En outre, bien qu’il n’ait pas de perspective d’harmonisation, il pourrait être à l’origine de textes communs, en effet, s’il est aisé d’élaborer des textes d’harmonisation, seuls ceux élaborés en connaissance des différents systèmes à harmoniser seront à même d’être reconnus et appliqués. Ce qui différencie essentiellement la démarche du Common core de celle qui consisterait à procéder à une uniformisation, est qu’il ne s’agit pas de créer un nouveau droit, mais seulement d’analyser le droit existant. Mais surtout, les universitaires de Trente n’ont pas à porter de jugement de valeur sur les différents droits existants contrairement aux auteurs de projets d’harmonisation qui recherchent ce qui leur semble être le meilleur droit. A côté de ces démarches purement théoriques, d’autres juristes proposent l’élaboration de principes susceptibles d’organiser le droit des contrats au niveau communautaire (II). II. L’hypothèse de principes du droit européen des contrats La Commission pour le droit européen des contrats dite commission Lando, du nom de son instigateur a édité des principes non contraignants destinés à régir les rapports contractuels au sein de la Communauté. Après une description de la démarche suivie (A), nous tenterons d’étudier leurs lignes forces retenues (B). A. Les Principes du droit européen des contrats de la Commission Lando Il s’agit d’une œuvre purement doctrinale qui n’a donc aucune valeur normative (1), à ce titre, il est intéressant d’analyser sa démarche (2). 156 Ibid., p. 38. 59 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS 1) Une œuvre doctrinale Les Principes élaborés par la commission Lando semblent s’apparenter aux Restatements américains qui constituent des compilations sous forme d’articles de la jurisprudence dans des domaines particuliers de la common law et suivis de commentaires explicatifs, ils ont pour but de rationaliser l’état du droit positif. De leur côté, les Principes sont rédigés sous forme d’articles assortis d’un commentaire pour expliquer la solution retenue et d’une note qui résume l’état du droit dans les quinze Etats membres ainsi que des indications bibliographiques et les solutions d’instruments internationaux comme la Convention de Vienne. Les Restatements sont le fruit d’un organisme privé, l’American Law Institute, composé de praticiens et d’universitaires. A ce titre, ils n’ont aucune valeur normative, leur force vient de la seule réputation du rapporteur de chaque point ayant donné lieu à un commentaire. En pratique toutefois, les Restatements sont souvent retenus par les juges157. De la même façon, les Principes de la commission Lando n’ont pas de valeur normative, ils sont le fruit de la recherche d’universitaires qui n’ont reçu aucune mission de la part d’une quelconque institution publique. Ainsi, conformément au premier article des Principes, ils s’appliquent si « les parties sont convenues de les incorporer à leur contrat ou d’y soumettre celui-ci » (art. 1.101 2) ou qu’elles se sont référées à la lex mercatoria, aux principes généraux du droit, ou à toute expression similaire (art. 1.101 3a), ils obéissent donc à la technique de l’opt-in qui implique une démarche positive des parties. En outre, en l’absence de choix de la loi applicable ou de lacune de celle-ci, le juge pourra également s’y référer (art. 1.101 3b et 1.101 4). Toutefois, bien que de valeur non contraignante, les notions retenues par les Principes peuvent acquérir indirectement une valeur normative car elles sont susceptibles d’inspirer les législateurs. De cette façon, les Principes peuvent contribuer au rapprochement des législations car ils offrent un modèle unique de droit des contrats pour l’ensemble de la Communauté158 et éventuellement au-delà étant donné que la commission Lando ne travaille pas sur délégation d’une institution communautaire. Toutefois, les Principes revendiquent eux-mêmes qu’ils sont « destinés à s’appliquer en tant que règles générales du droit des contrats dans l’Union européenne », aussi, bien que la commission 157 TALLON D., Les travaux de la Commission Lando, in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 120. 158 Pour certains en revanche, les Principes ne permettent qu’une unité de façade, notamment du fait de leur flexibilité, voir JAMIN Ch., Un droit européen des contrats ?, in Le Droit privé européen sous la direction de P. de Vareilles-Sommières, Economica, 1998, Collection Etudes Juridiques, t. 1, p. 55. 60 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Lando soit en dehors de toute institution, revendique-t-elle son attachement à l’Union alors que le terme de « Principes du droit européen des contrats » pourrait tout aussi bien consacrer une Europe géographique. D’un point de vue plus théorique, les Principes sont enfin l’occasion de faire évoluer le débat sur l’opportunité d’une unification européenne du droit d’autant que dans l’hypothèse d’une telle unification, il se pourrait que les Principes y soient intégrés. Les Principes peuvent également être comparés au Uniform Commercial Code (U.C.C.) américain, malgré son nom, il s’agit d’un texte non contraignant qui fait parti des Model Laws. Il s’agit d’un recueil qui vise à harmoniser le droit commercial sur l’ensemble des Etats-Unis, cette discipline relevant de la compétence des Etats fédérés. Le U.C.C. est un texte complet qui s’apparente certes à un code dans la forme, mais les Etats sont tout à fait libres de l’adopter en tout ou en partie ou seulement de s’en inspirer, ainsi, il cherche à réaliser une harmonisation mais aucunement une unification. Enfin, et de façon encore plus évidente, on peut rapprocher les Principes de la commission Lando, des Principes relatifs aux contrats du commerce international rédigés par l’Institut International pour l’Unification du droit privé dit Unidroit, publiés en 1994. Il s’agit d’une organisation internationale intergouvernementale qui siège à Rome, vestige de la Société des Nations, il a été créé par un accord multilatéral en 1940 et a pour rôle d’unifier les règles matérielles de droit international privé. Les Principes Unidroit constituent une source de droit du commerce international qu’il est délicat de classer car il s’agit d’un droit savant sans valeur persuasive. De la même façon que les Principes Lando, les Principes Unidroit ont été conçus comme un modèle législatif pour les Etats qui souhaiteraient légiférer en matière de contrats internationaux159. Sans entrer d’avantage dans les détails, ces deux ensembles de Principes sont si proches que pour certains, seul leur champ géographique respectif les différencie, à savoir l’échelle internationale pour les Principes Unidroit et communautaire pour les Principes Lando160. Pour le Professeur Tallon, au contraire, cette différence de domaine d’application géographique permet de les distinguer sur le fond161. Les Principes Unidroit ont une valeur universelle aussi, lors de leur rédaction, ont-ils dû surmonter des différences politiques et économiques sans aucune mesure avec celles qu’on retrouve sur le 159 KESSEDJIAN C., Un exercice de rénovation des sources du droit des contrats du commerce international : les Principes proposés par l’Unidroit, Rev. Crit. DIP, 1995, p. 649. 160 KESSEDJIAN C., Un exercice de rénovation des sources du droit des contrats du commerce international : les Principes proposés par l’Unidroit, Op. cit., p. 668. 161 TALLON D., Les travaux de la Commission Lando, Op. cit., p. 119. 61 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS territoire de la Communauté, le texte devait être acceptable aussi bien par les pays capitalistes, communistes qu’émergeants. Au contraire, le nombre de pays concernés par les Principes Lando étant bien moindre, ils ont pu aller plus loin dans le rapprochement et constituent moins une œuvre de compromis. En outre, Les Principes Lando concernent tous les contrats alors que les Principes Unidroit sont restreints aux contrats commerciaux, s’ils avaient fait le choix d’un domaine matériel plus étendu, ils seraient devenus une œuvre de compromis telle qu’elle n’aurait pu réaliser aucun rapprochement satisfaisant et serait restée lettre morte. Il est tout de même intéressant de noter qu’afin de concilier au mieux common law et tradition romano-germanique, certains Principes s’inspirent plutôt du Code civil français en établissant de grandes et larges notions comme par exemple celle de bonne foi consacrée à l’article 1.201. D’autres en revanche, contiennent des règles plus spécifiques et correspondent ainsi d’avantage à l’esprit de common law. Dès lors, on peut se demander si ces Principes portent bien leur nom car d’après le Vocabulaire Capitant, « un principe est une règle juridique établie par un texte en termes assez généraux destinée à inspirer diverses applications et s’imposant avec une autorité supérieure »162. Néanmoins, le Professeur Tallon consent que ce terme n’a pas été choisi « de gaîté de cœur mais plutôt faute de mieux »163. 2) Le mode opératoire de la Commission Lando C’est en 1980 qu’un groupe officieux de juristes, la Commission pour le droit européen des contrats, a vu le jour. Ses membres n’ont été désignés par aucun gouvernement et travaillent ainsi en toute indépendance, toutefois bien que non officielle, la commission Lando a considérablement gagné en notoriété. La majeure partie de son financement provient certes de la Commission européenne mais elle ne lui donne en principe aucune instruction. Même si ni la Communauté, ni les Etats membres ne contrôlent la commission pour le droit européen des contrats, elle fait en sorte de respecter au mieux la diversité des Etats aussi, chacun d’entre eux y est-il représenté. De la même façon que les universitaires de Trente, la démarche suivie par la commission est essentiellement comparatiste. Tout d’abord, pour chaque question, les 162 CORNU G., Vocabulaire Juridique de l’Association Henri Capitant, 7ème éd., Puf, 1998. TALLON D., Les Principes pour le droit européen des contrats : quelles perspectives pour la pratique ?, Defrénois, 2000, p. 685. 163 62 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS législations des divers Etats membres sont analysées, mais le plus souvent, d’autres textes sont également consultés, en particulier le Restatement américain portant sur les contrats, le U.C.C., les législations récentes comme les Code civils québécois et néerlandais. Enfin, les rédacteurs ont également consulté les conventions internationales comme les lois uniformes sur la vente d’objets mobiliers corporels de La Haye de 1964 ou la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, ainsi que les Principes Unidroit. Mais la grande différence avec le Common core, est qu’après étude de ces solutions, il a fallu choisir la règle la plus adaptée aux relations intra-communautaires. Pour cette étape, toutes les possibilités étaient envisageables, les comités de rédaction pouvaient aussi bien reprendre textuellement la loi d’un Etat, mélanger plusieurs règles ou découvrir une solution nouvelle. Après avoir trouvé la règle a priori la meilleure, il fallait procéder en sens inverse pour s’assurer de la compatibilité de celle-ci au droit existant de chacun des Etats membres. Si la loi, ne serait-ce que d’un Etat, était en contradiction avec cette règle, il fallait la revoir, en effet, d’un point de vue moral, cette situation aurait été inacceptable, de plus, elle aurait été refusée par la pratique du pays164. Enfin, il faut relever qu’au cours de toutes ces étapes, pour s’assurer que la règle adoptée était compatible avec les systèmes juridiques de l’ensemble de la Communauté, les travaux ont été simultanément conduit en anglais et en français. Si les textes ne pouvaient être transposés d’une langue à l’autre, c’était un signe qu’ils n’étaient pas adaptables au système juridique concerné. Bien sur, dans un monde idéal, il aurait été préférable que les travaux se fassent dans chacune des langues de la Communauté mais d’une part, c’est toujours mieux que ne de travailler que dans une seule langue comme le fait la commission von Bar, d’autre part, cette solution permet de représenter les deux grands systèmes juridiques présents dans la Communauté. B. Le contenu des Principes Il n’est pas question ici de commenter en détail chacun des articles des Principes mais de tenter d’en dégager les lignes forces révélatrices de l’esprit du texte tout en faisant un parallèle avec le droit français des contrats. Ainsi, on peut relever deux tendances, d’une part, les Principes cherchent à préserver l’économie du contrat (1), ce à quoi contribue le juge qui devient d’autre part un réel acteur de la relation contractuelle (2). 164 TALLON D., Vers un droit européen du contrat ?, in Mélanges André Colomer, Litec, 1993, p. 493. 63 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS 1) La préservation du contrat Plus encore que le contrat, ce sont les relations économiques que les Principes cherchent à préserver. Ils tentent de maintenir les relations contractuelles, mais si ceci n’est plus possible, ils adoptent une analyse économique du droit et s’efforcent de sauvegarder la situation économique des parties au contrat. En effet, il est souvent plus intéressant pour les deux parties à un contrat de revenir en partie dessus pour qu’il perdure, plutôt que d’y mettre fin ce qui implique que tous les frais déjà engagés sont alors perdus. Par exemple, comme nous l’avons signalé dans la première partie, en cas d’inexécution essentielle par une partie, l’autre peut résoudre le contrat unilatéralement (art. 9.301). Ce principe fait prévaloir une vision économique du droit selon laquelle, le commerce va vite aussi, le créancier ne peut-il se permettre d’attendre la résolution judiciaire du contrat, il a déjà été en partie exécuté, il doit se poursuivre même si le partenaire contractuel change. Ici, la personne du cocontractant a peu d’importance, le contrat engagé doit arriver à son terme. En procédant lui-même à la résolution, le créancier peut vite réagir et trouver un autre partenaire qui prendra le relais. Les Principes vont même encore plus loin, car il est possible pour une partie de résoudre le contrat par anticipation si « avant la date à laquelle une partie doit exécuter, il est manifeste qu’il y aura inexécution essentielle de sa part » (art. 9.304). Il faut également en déduire qu’a contrario, si l’inexécution n’est pas essentielle, la partie qui en est victime ne peut résoudre le contrat, ceci s’inspire de la notion de mitigation of damages que nous étudierons ultérieurement, mais là encore, on cherche à maintenir autant que possible la relation contractuelle. Un autre exemple de ce souci de préserver le contrat est l’article 8.104 qui permet à une partie dont l’offre d’exécution a été refusée par le cocontractant pour défaut de conformité au contrat de « faire une offre nouvelle et conforme si la date de l’exécution n’est pas arrivée ou si le retard n’est pas tel qu’il constituerait une inexécution essentielle ». Plutôt que de mettre fin à la relation contractuelle, on offre une seconde chance à une partie de s’exécuter correctement. Il nous semble qu’il s’agit ici de la contre-partie de la reconnaissance du principe de résolution unilatérale. En effet, l’article 1184 du Code civil qui consacre la résolution judiciaire, prévoit dans son troisième alinéa que le juge peut accorder au défendeur un délai pour s’exécuter. En 1804 déjà on considérait qu’il valait mieux exécuter son 64 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS obligation fût-ce avec retard que de mettre fin au contrat. Toutefois, alors qu’aujourd’hui on répond à un souci économique, à l’époque les considérations étaient plus morales il s’agissait d’inciter les parties à respecter leurs engagements. En pratique, ces deux solutions mènent à un résultat similaire mais les Principes font preuve d’une plus grande souplesse. Une fois encore, chaque contractant est gagnant financièrement. La partie qui a refusé l’offre d’exécution userait beaucoup de temps et d’énergie à trouver un nouveau partenaire contractuel, quant à celui qui s’est dans un premier temps mal exécuté, il suffit souvent de peu de choses pour rendre son obligation conforme. En outre, s’il s’agit d’un producteur, par exemple, sa marchandise pourrait être perdue ou au mieux, le temps qu’il passerait à trouver un autre acquéreur serait du temps en moins pour sa production. Enfin, une fois encore, toute la période de négociation précontractuelle serait perdue. Afin de maintenir autant que possible le contrat, les Principes se sont inspirés de la notion de mitigation of damages issue de la common law. En substance, il s’agit pour la victime d’une faute contractuelle de diminuer autant que possible le préjudice qu’elle subit, en prenant toutes les mesures raisonnables à cet effet165. Cette notion est parfois difficile à comprendre pour les juristes français, alors que le débiteur ne s’est pas exécuté, le créancier doit prendre sur lui pour restreindre les effets néfastes de la non-exécution ou de la mauvaise exécution par le débiteur. Indirectement, c’est ce concept que l’on retrouve dans la faculté qu’a le créancier de proposer un délai supplémentaire au débiteur pour s’exécuter(art. 8.106). Plutôt que de résoudre le contrat, ce qui serait néfaste au créancier, celui-ci consent un délai à son cocontractant. On retrouve ici la vision de Demogue qui dans son « Traité des Obligations », affirmait l’obligation pour le créancier de prévenir le dommage ou toute extension des charges du débiteur, ainsi, chacun doit faire un effort, un pas vers l’autre, pour préserver le contrat qui est le creuset de l’intérêt commun des contractants166. D’une façon encore plus nette, les Principes prévoient que si le créancier avait pu réduire son préjudice en prenant des mesures raisonnables et qu’il ne l’a pas fait, alors le débiteur n’est pas tenu du préjudice (art. 9.505). C’est encore la notion de modération du préjudice qu’on retrouve à l’article 9.506 sur le contrat de remplacement. Il prévoit que si « le créancier a résolu le contrat et qu’il a passé un contrat de remplacement dans un délai et d’une manière raisonnables », il peut « obtenir la différence entre le prix du contrat originel et celui du 165 ELLAND-GOLDSMITH M., La « Mitigation of Damages » en droit anglais, RDAI, 1987, p. 345. MAZEAUD D., La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français, in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Economica, 2001, Collection Etudes Juridiques, t. 11, p. 148. 166 65 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS contrat de remplacement, ainsi que des dommages et intérêts ». Ainsi, s’il n’a pas laissé la situation s’envenimer et qu’il a cherché une solution de substitution bien qu’elle lui coûte plus cher, son cocontractant originel en assumera la charge ainsi que des dommages et intérêts, ce que l’article 9.505 écartait. Ces deux articles sont directement issus du U.C.C., l’article 2/715 (2) (a) dispose que les consequential damages ne couvrent pas les pertes que l’acheteur a pu 167 raisonnablement éviter par un contrat de substitution modérer le dommage, vision solidariste du contrat de collaboration prévu à l’article 1.202 169 . D’une façon générale, ce devoir de 168 , est parfaitement exprimé par le devoir qui est lui-même le corollaire de l’article 1.201 selon lequel les parties doivent agir de bonne foi 170 . Une autre illustration de ce devoir de collaboration est que lorsqu’une exécution en nature des obligations contractuelles impliquerait « pour le débiteur des efforts ou dépenses déraisonnables », celle-ci ne peut être obtenue (art. 9.102(2)(b)). Cela implique que le créancier de bonne foi ne peut décemment pas exiger le paiement en nature de sa créance car le dommage qu’aurait à subir son cocontractant s’il s’exécutait serait autrement plus important que son propre dommage résultant d’un paiement par équivalent171. Un autre exemple de la volonté de préserver le contrat et de l’influence de la notion anglo-saxonne de la mitigation of damages, est l’article 9.104 concernant la réduction du prix. Il est loisible pour une partie d’accepter une offre d’exécution, bien qu’elle soit non conforme au contrat et de ce fait de demander d’en réduire le prix. On en arrive toujours à la même conclusion, même si ce n’est pas ce qui a été convenu, on prend ce qu’il y a à prendre, la partie qui accepte subit un préjudice mais en contre partie, le prix est revu à la baisse et là c’est l’autre partie au contrat qui subit un préjudice. En revanche, le contrat perdure et les parties évitent ainsi toutes deux un mal plus grand encore, elles font donc chacune un pas vers l’autre pour éviter le pire car elles ont un intérêt commun au contrat et non un intérêt purement individuel. Ce principe rappelle fortement l’action estimatoire reconnue par le droit français à l’article 1644 du Code civil, elle permet à l’acquéreur qui agit en garantie contre son vendeur, en raison des vices cachés de la chose vendue d’obtenir la restitution d’une partie du prix de vente. Bien que le juge joue, comme nous allons le voir, un rôle particulier 167 HANOTIAU B., Régime juridique et portée de l’obligation de modérer le dommage dans les ordres juridiques nationaux et le droit du commerce international, RDAI, 1987, p. 396. 168 MAZEAUD D., La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français, Op. cit., p. 148. 169 Art. 1.202 : Caque partie doit à l’autre une collaboration qui permette au contrat de produire son plein effet. 170 Art. 1.201(1) : Chaque partie est tenue d’agir conformément aux exigences de la bonne foi. (2) Les parties ne peuvent exclure ce devoir ni le nier. 171 MAZEAUD D., La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français, Op. cit., p. 149. 66 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS dans les Principes, le choix qui a été fait ici est encore d’encourager la rapidité tout en faisant confiance aux parties. On considère que celles-si savent où est leur intérêt et de ce fait elles doivent agir au mieux, ce n’est qu’en cas de difficulté pour évaluer le montant de la déduction qu’on fera appel au juge. 2) Le juge, acteur du contrat Le droit français fait preuve de beaucoup de réticence à l’égard du juge, lui accorder trop de pouvoirs est considéré comme remettre en cause l’impératif de sécurité juridique et la prévisibilité contractuelle172. Pourtant, les Principes lui accordent une grande confiance, il est difficile de se prononcer sur le point de savoir qui a raison, en revanche, il n’est pas difficile de prévoir que les réticences hexagonales risquent d’être nombreuses. Comme nous l’avons déjà signalé, les Principes laissent une grande liberté aux parties et le juge n’intervient souvent qu’a posteriori, c’est notamment le cas en matière de résolution, les Principes reconnaissant un système de résolution unilatérale (art. 9.301). En revanche, dans de nombreuses hypothèses, il peut devenir une partie intégrante du contrat. Ce rôle du juge se retrouve par exemple à l’article 4.109 « Profit excessif ou avantage déloyal », si une partie a profité de la faiblesse de son cocontractant ou de la situation de dépendance dans laquelle il se trouvait vis-à-vis d’elle, le juge peut, à la demande de la partie lésée, « adapter le contrat de façon à le mettre en accord avec ce qui aurait pu être convenu conformément aux exigences de la bonne foi ». Ceci est en contradiction avec le droit français qui ne reconnaît qu’exceptionnellement la lésion, il faut qu’un texte exprès la prévoie (art.1118 du Code civil), à défaut, un juge ne peut pas annuler un contrat parce qu’il le trouve léonin, ni réduire un prix qu’il trouve excessif173. Une autre situation accorde au juge la fonction d’une partie au contrat, en effet, les parties peuvent prévoir qu’un élément de leur contrat doit être déterminé par un tiers, si celuici ne s’exécute pas, il appartient au tribunal de lui désigner un remplaçant174. Ainsi, alors que 172 MAZEAUD D., La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français, Op. cit., p. 155. Com. 9 octobre 1990, RTD Civ, 1991, p. 113, note Mestre. 174 Art. 6.106(1) : Lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par un tiers et que celui-ci ne peut ou ne veut le faire, les parties sont présumées avoir donné au tribunal pouvoir de lui désigner un remplaçant qui procédera à cette détermination. (2) Si le prix ou tout autre élément déterminé par le tiers est manifestement déraisonnable, un prix ou un autre élément raisonnable lui est substitué. 173 67 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS les parties avaient elles-mêmes choisi leur tiers, le juge se substituera à elles pour en désigner un autre, dès lors, il est mis au même niveau que les parties dans le rapport contractuel. En outre, si le tiers détermine l’élément manquant du contrat, l’article 6.106(2) retient que s’il est déraisonnable, il lui en sera substitué un raisonnable, sans autre précision. Il faut alors certainement comprendre d’une part, qu’il revient au juge de s’assurer que l’élément manquant est raisonnable et d’autre part, qu’à défaut, c’est à lui que devrait revenir la mission de déterminer cet élément. Là encore, la place du juge est déterminante et est sans rapport avec celle que lui reconnaît le droit français. Un dernier exemple de l’importance et de la confiance accordée au juge se retrouve dans les contrats à exécution successive en cas de changement de circonstances. Tout d’abord, il faut relever que l’article 6.111(2) oblige les parties à « engager des négociations en vue d’adapter leur contrat ou d’y mettre fin si cette exécution devient onéreuse à l’excès pour l’une d’elles en raison d’un changement de circonstances ». Il convient de relever que cette situation se distingue de la force majeure, dans cette dernière situation, l’exécution du contrat est impossible, ici, elle est très difficile et coûteuse. L’article 6.111(2) vient contredire un élément fondamental de notre droit à savoir l’article 1134 du Code civil qui consacre le principe de l’intangibilité des conventions, un contrat ne peut être révisé que si les parties s’entendent sur ce point. Elles peuvent en décider ainsi après la réalisation de l’événement ou dès la formation du contrat en y incérant une clause d’adaptation telle une clause de harship. Dans les Principes du droit européen des contrats, non seulement, les parties sont obligées de négocier, mais encore, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le tribunal peut mettre fin au contrat et il peut surtout « l’adapter de façon à distribuer équitablement entre les parties les pertes et profits qui résultent du changement de circonstances » (art. 6.111(3)). Cet article diverge considérablement du droit français qui reconnaît depuis la fameuse affaire du Canal de Craponne en 1876, qu’en « aucun cas il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants »175. D’une manière générale, là où le droit français donne au juge le pouvoir de trancher entre des solutions souvent extrêmes, les Principes Lando lui permettent de prendre des décisions plus en nuance et qui s’adaptent mieux à chacune des relations contractuelles. 175 Civ., 6 mars 1876, DP, 1876, I, 193, note Giboulot. 68 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Si la commission Lando s’est « seulement » attelée à la rédaction de Principes, d’autres en revanche ont opté pour un code (sous-section 2). Sous-section 2. L’hypothèse d’une uniformisation à vocation contraignante Nous allons étudier les projets en matière de code européen des contrats qui correspondent à une des mises en œuvre de la quatrième option de la Commission dans sa communication de 2001176. La Commission n’exclut aucune hypothèse, en particulier, elle retient que ce code pourrait être un modèle optionnel qui coexisterait avec les droits nationaux ou au contraire remplacer totalement les législations nationales (points 66 et 67). Dans l’étude qui va suivre, on se basera sur cette dernière hypothèse car c’est la plus extrême mais on supposera qu’en cas d’élaboration d’un tel code, son adoption se fera par étapes. Il se superposera tout d’abord aux droits nationaux pour permettre à chacun de se familiariser avec puis, si son application est satisfaisante, il pourra alors remplacer les législations internes en matière de droit des contrats. Nous verrons tout d’abord comme élaborer un code européen (I) puis les difficultés que représente un tel projet (II). I. L’élaboration d’un code européen Deux groupes de juristes travaillent à la réalisation d’un code européen de droit des contrats, d’une part, l’Académie des privatistes de Pavie, sous la coordination du Professeur Gandolfi, et le Groupe d’Etudes sur un code civil européen, autrement appelé commission von Bar, du nom de son instigateur qui est certainement le plus connu. Nous verrons tout d’abord ce qu’implique la rédaction d’un code par rapport aux autres démarches vues précédemment (A), puis la légitimité d’une telle initiative (B). 176 Point 61 : Une autre option résiderait dans un texte global comportant des dispositions sur des questions générales de droit des contrats et sur des contrats spécifiques. Pour cette option, il y a lieu de discuter du choix de l'instrument et de la nature contraignante des mesures. 69 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS A. L’élaboration d’un code unique pour l’ensemble de la communauté Cette démarche va beaucoup plus loin que celles que nous avons vu précédemment mais elles ne sont en rien contradictoires. Tout d’abord, les objectifs à la base de la rédaction d’un code sont identiques tant à ceux des universitaires de Trente qu’à ceux de la commission Lando, il s’agit de faciliter les échanges intra-communautaires pour réaliser un véritable marché unique. Quant aux méthodes, ce sont sensiblement les mêmes, elles consistent en une analyse puis une comparaison des législations en présence, tant communautaires qu’extracommunautaires, puis, à la façon des Principes du droit européen des contrats, il s’agit de trancher et de rédiger des articles compatibles avec les législations des différents Etats membres. En outre, ces travaux de codification sont postérieurs, aussi, ont-ils pu bénéficier de l’œuvre considérable que leurs collègues ont déjà réalisée. Ce qui différencie en revanche ces deux œuvres de rapprochement des législations, est qu’alors que les Principes Lando cherchent à harmoniser le droit des contrats au niveau communautaire, ces codes visent une unification. Ils vont donc beaucoup plus loin dans le processus de rapprochement, mais la technique adoptée par ces deux groupes est différente. Lors d’un colloque qui s’est tenu à Pavie en 1992 et qui avait pour but de réfléchir à la nécessité d’élaborer un code européen commun de droit privé, suite à la Résolution du Parlement européen de 1989, le Professeur André Tunc, en sa qualité de membre fondateur de l’Académie des privatistes de Pavie, créée à cette occasion, a clairement affirmé, après avoir passé en revue d’autres moyens susceptibles de procéder à un rapprochement, que selon lui, seule la loi pouvait être source d’unification177. Parmi les autres techniques abordées, il a fait référence aux Restatements mais n’a pas cité les Principes de la commission Lando, ceux-ci n’étant pas encore achevés, en revanche, comme nous l’avons vu, tant leurs méthodes que leurs résultats sont très proches, nous pouvons donc appliquer ses critiques aux Principes. Monsieur Tunc ne nie pas l’utilité des Restatements et reconnaît qu’ils ont permis un certain rapprochement entre les législations des différents Etats fédérés, en revanche, bien qu’ils existent depuis de très nombreuses années, ils n’ont toujours pas supprimé les problèmes de droit international privé que seule une unification des droits peut permettre. Comme nous l’avons déjà vu, on peut illustrer la différence entre unification et harmonisation en faisant un 177 TUNC A., L’unification du droit des contrats en Europe : avec ou sans loi ?, RIDC, 1993, p. 877. 70 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS parallèle avec les directives et les règlements communautaires. Certes, les directives heurtent moins la sensibilité des législateurs que les règlements qui leur sont directement imposés, mais en raison de la latitude dont ils disposent pour les transposer, on constate des différences d’application importantes d’un Etat membre à l’autre. En principe, plus les traditions juridiques sont éloignées (on pense par exemple à l’Angleterre par rapport à un Etat du continent), plus les risques de divergence sont grands, mais même lorsque deux Etats ont une législation proche, les risques ne sont pas négligeables. A ce titre, on peut rappeler l’exemple de la transposition de la directive 1999/44 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation dont nous avons vu précédemment qu’alors que les codes civils belges et français sont sensiblement identiques, il semblerait que nos législateurs respectifs optent pour des transpositions opposées. Par conséquent, comme l’affirmait le Professeur Gandolfi dès avant la création de l’Académie de Pavie, la réalisation « complète » du marché intérieur requiert la promulgation d’une loi « substantielle » qui soit commune aux Etats membres178. Aussi, les Académiciens ont-ils écarté les principes car ceux-ci peuvent avoir une portée vaste et indéterminée qui n’est pas propice à une unification effective car leurs mises en œuvre sont tributaires des mentalités et des traditions nationales179. Non seulement les académiciens de Pavie ont choisi un code comme outil de rapprochement mais encore, ils ont cherché à éviter toute disposition vague, abstraite ou trop générale180 comme le Code civil français en connaît de nombreuses tels la bonne foi ou l’abus pour ne citer que celles-là. En procédant de la sorte, les universitaires de Pavie ont cherché, contrairement aux Principes Lando, à restreindre les pouvoirs du juge. Le Groupe d’études pour un Code civil européen a également écarté le système des principes mais en pratique, il s’en éloigne moins que le groupe de Pavie. Tout d’abord, son travail se fait en parallèle avec celui de la commission Lando, il se consacre donc surtout aux domaines qu’elle ne traite pas, les Principes du droit européen des contrats ayant vocation à intégrer le code civil européen. Contrairement à l’Académie des privatistes de Pavie, la commission von Bar ne cherche pas à faire une codification dans le détail mais plutôt à retenir des formulations succinctes. Le Professeur von Bar explique ce choix par le fait qu’il faut laisser de la marge pour les développements futurs car un code se modifie rarement et 178 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 713, (l’auteur qui souligne). GRIDEL J.-P., Sur l’hypothèse d’un Code européen des contrats : les propositions de l’Académie des privatistes européens (Pavie), Gaz. Pal., 2003, n° 52, p. 3. 180 RUFFINI GANDOLFI M. L., Problèmes d’unification du droit en Europe et le code européen des contrats, RIDC, 2002, p. 1087. 179 71 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS difficilement, surtout un code européen181. Le choix d’un texte flexible semble le plus approprié mais il a une contrepartie qui pourrait bien mettre à mal cette œuvre codificatrice. En effet, en élaborant des articles assez larges, comme c’est parfois le cas du Code civil français, on reconnaît une place essentielle au juge. Cela implique comme nous l’avons dit, de plus grands risques d’insécurité juridique et surtout, comme le fait remarquer Yves Lequette, « la diversité pourrait bien se réintroduire d’un pays à l’autre au stade de l’application »182. B. Les bases contestables de tels travaux La démarche de ces groupes de juristes n’échappe pas à toute critique, leurs méthodes ne sont pas pleinement satisfaisantes et leur légitimité n’est pas toujours à la hauteur de leurs prétentions (1), en outre, les fondements juridiques de tels travaux sont douteux (2). 1) Une méthode et une légitimité incertaines Comme nous l’avons signalé, les deux organismes codificateurs ont adopté des démarches méthodologiques proches de celles des autres groupes de juristes que nous avons déjà étudiés. En ce qui concerne l’Académie des privatistes de Pavie toutefois, quelques précisions sont à apporter. Tout d’abord, il faut saluer la volonté qui a été la sienne de ne pas se laisser aller aux compromis. Pour ce faire, d’une façon générale, les académiciens ont écarté les notions ignorées dans certains pays pour ne pas « insérer de corps étrangers dans leur vie juridique »183 et ils ont proposé aux parties des alternatives car ils ont constaté que souvent, les différentes techniques juridiques nationales aboutissaient au même résultat, certaines pouvaient donc être conservées pour éviter tout bouleversement. En revanche, si bien sur, comme nous l’avons signalé, chaque législation est prise en considération, l’Académie a fait le choix délibéré de se baser plus spécialement sur deux textes, le Livre IV du Code civil italien et le Contract Code élaboré par Mc Gregor. L’initiative est compréhensible, recourir à des modèles n’est pas contestable en soi et le choix d’un texte 181 BAR (von) C., Le groupe d’études sur un code civil européen, RIDC, 2001, p. 135. LEQUETTE Y., Quelques remarques à propos du projet de code civil européen de M. von Bar, D., 2002, Chron. p. 2210. 183 RUFFINI GANDOLFI M. L., Problèmes d’unification du droit en Europe et le code européen des contrats, Op. cit., p. 1091. 182 72 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS reprenant les principes de common law sous forme codifiée et l’un autre de tradition romanogermanique semble une décision équilibrée. Pourtant, le choix du code civil italien peut, en tout cas de prime abord, être le signe d’un manque de neutralité pour un groupe qui s’est domicilié à Pavie et dont le coordinateur est lui-même professeur à Pavie et ce, même si ses membres sont issus de plusieurs Etats. Les académiciens justifient ce choix du fait que le Code civil italien serait plus proche du droit anglais que d’autres législations continentales. Mais surtout, il correspondrait à une voie médiane entre les droits français et allemand. En effet, le premier code civil italien, promulgué en 1865 était semblable au code napoléonien, pendant l’entre deux guerres, l’Italie chercha à le réviser, après un premier projet très influencé par le Projet italo-français d’un code des obligations et des contrats de 1927, celuilà fut retiré et la rédaction du code s’orienta finalement en partie vers des solutions inspirées du BGB184. Ainsi, le code civil italien aurait subi autant les influences des législations française qu’allemande qui sont considérées comme les deux pôles, les deux modèles législatifs de l’Europe continentale. Enfin, le code civil italien est considéré comme un texte moderne et à ce titre, a inspiré tant la Convention de Vienne que la commission sur le droit européen des contrats185. Ces justifications semblent fondées et le choix du Livre IV du code civil italien n’a sûrement rien d’arbitraire, toutefois, il laisse dubitatif quant à la neutralité d’un tel choix et pousse à la réserve. Les académiciens auraient peut-être gagné en crédibilité s’ils n’avaient pas ouvertement choisi ce texte comme base de leurs travaux. Un autre élément nous semble contestable, tant la commission von Bar que l’Académie des privatistes de Pavie ont décidé de ne travailler que dans une seule langue, l’anglais pour la commission von Bar et le français pour la seconde. Les académiciens ont justifié leur choix par le fait que la langue française était « typiquement européocommunautaire, l’anglais présentant plutôt un caractère intercontinental » pour reprendre les termes de Jean-Pierre Gridel186. Ce n’est que dans un second temps que leur code européen des contrats doit être traduit dans toutes les langues. Comme nous l’avons évoqué à propos des Principes Lando, une traduction ne peut aboutir à un résultat aussi satisfaisant qu’une corédaction, à savoir la rédaction simultanée dans plusieurs langues, au contraire, elle risque 184 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 726. Ibid., p. 731. 186 GRIDEL J.-P., Sur l’hypothèse d’un Code européen des contrats : les propositions de l’Académie des privatistes européens (Pavie), Gaz. Pal., 2003, n° 52, p. 3. 185 73 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS d’appauvrir le texte et tous les concepts n’ont pas forcément d’équivalent, en outre, cette démarche implique qu’elle prend parti pour la tradition romano-germanique. Pour ce qui est du Groupe d’études sur un Code civil européen, la critique est la même en sens inverse mais leur mode opératoire semble encore plus contestable car en choisissant l’anglais, il exclut d’office la famille juridique la plus représentée dans la Communauté. Il est également intéressant de relever l’origine des financements de la commission von Bar, ils sont essentiellement issus de pays germaniques, il s’agit en particulier d’une société allemande de recherche scientifique, mais également néerlandaise, flamande ou encore autrichienne. Il ressort de ces divers éléments que ces deux groupes ne garantissent pas nécessairement une parfaite neutralité, au contraire, on peut pour chacun imaginer leurs inclinations à l’image de leur localisation géographique. En ce qui concerne l’Académie de Pavie, on aurait tendance à penser qu’elle est très ancrée dans la tradition romano-germanique quant à la commission von Bar, elle fait une large place à la common law et est globalement sensible aux systèmes juridiques du nord de l’Europe, la refonte du BGB y est d’ailleurs pour beaucoup. Il faut également signaler au sujet de la commission von Bar que ses prétentions ne correspondent peut-être pas à l’autorité qui lui est effectivement reconnue. En effet, le Professeur von Bar a fixé un calendrier indicatif, selon lui, dès 2005 les universitaires devraient enseigner ce projet de code européen car celui-ci devrait devenir notre droit positif à partir de 2010. On se demande à quel titre, Christian von Bar peut faire de telles déclarations qui pourraient être celles d’un législateur car il n’a obtenu aucune compétence politique de la part des autorités communautaires et ce projet de code européen est une initiative purement privée. Alors qu’il revendique n’avoir qu’une autorité exclusivement scientifique, il se place dans la posture d’une personne officiellement investie par les autorités communautaires de la mission d’établir ce code187. 2) L’absence de base juridique satisfaisante Une question fondamentale à résoudre avant d’élaborer un code civil européen est de savoir si la Communauté européenne est compétente pour une telle initiative. En effet, 187 LEQUETTE Y., Quelques remarques à propos du projet de code civil européen de M. von Bar, Op. cit. p. 2211. 74 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS contrairement aux législateurs nationaux, le législateur communautaire ne jouit que d’une compétence d’attribution. L’article 5 du traité CE reconnaît le principe de spécialité selon lequel, la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le traité. Dès lors, il est nécessaire pour la mise en œuvre d’un code civil européen de trouver une base juridique susceptible de reconnaître cette compétence à la Communauté dans le traité CE. Or, il n’est pas certain qu’une telle base existe en outre, les principes de subsidiarité et de proportionnalité semblent être des freins supplémentaires. En matière de rapprochement, les deux premiers textes auxquels on peut penser sont les articles 94 et 95 du traité CE, eux-même insérés dans un chapitre consacré au rapprochement des législations. Toutefois, l’article 94 a perdu beaucoup d’influence depuis l’Acte Unique de 1986 qui a consacré l’article 95 (ex. 100 A). En effet, l’utilisation de l’article 94 est subordonnée à des conditions plus strictes. Tout d’abord, il prévoit que le Conseil statue à l’unanimité et il ne concerne que les directives. En outre, le rapprochement, ici, n’est pas envisagé comme une fin en soi, le recours à ce texte ne se justifie que si la législation en cause a une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun188. L’article 95 est d’application plus souple, il devrait donc lui être préféré car il ne requiert qu’une majorité qualifiée du Conseil conformément à l’article 251 du traité CE et il lui permet d’arrêter « les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur », le type de texte qu’il peut adopter en vertu de l’article 95 ne se restreint donc pas aux directives. Or, il semble qu’une directive, outil d’harmonisation, soit exclue pour la mise en œuvre d’un code européen des contrats, seul un règlement serait susceptible de réaliser une telle unification sur la base de l’article 95, l’autre alternative étant la révision du traité CE lui-même. En revanche, en ce qui concerne l’éventualité d’un code européen des contrats, il n’est pas certain que cet article puisse être invoqué. Une telle œuvre pourrait excéder le domaine d’application de l’article 95189, en effet, l’unification du droit européen des contrats n’est pas une condition essentielle à la réalisation du marché intérieur puisque celui-ci existe déjà. En outre, la CJCE a récemment interdit une 188 IDOT L., Les bases communautaires d’un droit privé européen (traité de Maastricht et traité de Rome), in Le Droit privé européen sous la direction de P. de Vareilles-Sommières, Economica, 1998, Collection Etudes Juridiques, t. 1, p. 29. 189 Contra : BASEDOW J., Un droit commun des contrats pour le marché commun, RIDC, 1998, p. 19. 75 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS lecture trop extensive de cet article190 qui ne doit pas jouer pour éliminer les différences mais uniquement pour supprimer les obstacles à la libre circulation des biens et des services191. Un autre fondement textuel peut être envisagé, l’article 308 du traité CE. Il permet au Conseil, lorsque que le traité ne prévoit pas de compétence spécifique, de prendre, à l’unanimité, après consultation du Parlement, les dispositions appropriées « si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le bon fonctionnement du marché commun, l’un des objectifs de la Communauté ». Ce texte permet d’étendre de manière significative les compétences communautaires or, le droit des contrats relève bien de la compétence partagée entre la Communauté et les Etats membres, cet article pourrait donc être une solution. Toutefois, comme l’article 94, il requiert l’unanimité du Conseil ce qui est un obstacle considérable pour l’adoption d’un texte en outre, il doit n’être utilisé qu’exceptionnellement192. Aussi, là encore, n’est-il pas certain que cette base juridique soit totalement satisfaisante. Une autre technique enfin est envisageable, il s’agit de la théorie des compétences implicites consacrée par la CJCE en 1956193. Elle invite à rejeter l’interprétation littérale des traités au profit d’une interprétation téléologique. Elle permet de reconnaître à l’Union, en plus de ses compétences expresses, des compétences implicites pour réaliser celles-ci194. Mais il semblerait que pour élaborer un projet aussi important qu’un code européen des contrats, une telle base juridique soit fragile et qu’en particulier elle soit balayée par les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le principe de subsidiarité a été introduit par le traité de Maastricht. Il est consacré par l’article 5 alinéa 2 du traité CE et prévoit que dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient « que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres ». Ce principe permet ainsi d’organiser un partage dans chaque domaine de compétence concurrente, l’exercice de la Communauté étant doublement conditionné. Il faut d’une part une insuffisance de l’action étatique et d’autre part que l’intervention de la Communauté puisse garantir une plus grande efficacité. Comme le droit privé ne relève pas de la compétence exclusive de la Communauté, la question est de savoir si un code européen est 190 CJCE, 5 octobre 2000, Allemagne c./ Parlement et Conseil, aff. C-376/98, Imperial Tobacco, aff. C-74/99, Europe, déc. 2000, comm. D. Simon, n°200. 191 FAUVARQUE-COSSON B., Faut-il un Code civil européen ?, RTD Civ., 2002, p. 467. 192 MALINVAUD Ph., Réponse - hors délai - à la Commission européenne : à propos d’un code européen des contrats, D., 2002, Chron. p. 2542. 193 CJCE, 29 novembre 1956, Fédéchar Rec., p. 291. 194 FAUVARQUE-COSSON B., Faut-il un Code civil européen ?, Op. cit., p. 467. 76 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS nécessaire, les codes nationaux n’étant pas à même de régir de façon satisfaisante les relations juridiques de la Communauté195. Rien ne dit que l’élaboration d’un code obéisse à cette condition, mais si tel est le cas, elle devra encore respecter le principe de proportionnalité énoncé article 5 alinéa 3 du traité196. Il en résulte que même si l’action de la Communauté est jugée nécessaire, si elle a le choix entre plusieurs mesures, elle devra choisir la moins contraignante. Or, l’élaboration d’un code semble être pour le moins une mesure contraignante.. En conclusion, les obstacles juridiques à un tel ouvrage sont grands. Si le Parlement européen indique dans sa résolution du 15 novembre 2001 qu’il serait favorable à l’élaboration d’un règlement pris sur la base de l’article 95 du traité, il semblerait que le moyen le plus sûr pour parvenir à une uniformisation satisfaisante, serait encore la modification du traité CE. En revanche, pour chacune de ces solutions, cela impliquerait, comme le fait remarquer le Professeur Lequette197, que les Parlements nationaux seraient privés de la possibilité de participer réellement à l’élaboration de ce qui reste le texte juridique essentiel des peuples. Aussi, une telle initiative qui évincerait les Parlements nationaux, risquerait-elle d’être rejetée par la population qui reprocherait à la Communauté d’avoir procédé de façon bureaucratique. Certes un tel fondement peut sembler peu démocratique mais il n’est pas souhaitable que cette unification soit le fruit uniquement de politiques car ils auraient trop tendance aux compromis ce qui pourrait mettre en cause la qualité du texte. Outre les fondements juridiques, l’élaboration d’un code européen des contrats implique de faire face à de nombreuses autres difficultés idéologiques et pratiques (II). II. Une œuvre difficile à mettre en place L’édiction d’un code européen des contrats ne peut s’envisager que si la Communauté dans son ensemble fait preuve d’une volonté politique forte car il existe de nombreux 195 BUSSANI M., MATTEI U., Le fonds commun du droit privé européen, Op. cit., p. 42. Art. 5 al. 3 : L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité. 197 LEQUETTE Y., Quelques remarques à propos du projet de code civil européen de M. von Bar, D., 2002, Chron., p. 2211. 196 77 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS obstacles à l’élaboration d’un code européen des contrats, ils sont notamment culturels (A) et financiers (B). A. Les freins culturels Le droit constitue un élément essentiel de la culture d’un pays. Comme nous l’avons déjà évoqué, un des premiers freins culturels est la langue, il n’y a pas et il ne peut y avoir une langue européenne comme il existe depuis le 1er janvier 2002 une monnaie unique. Et encore, on sait les réticences qu’elle a suscitées et qu’elle continue de provoquer en particulier en Grande-Bretagne et en Suède. Le problème de la langue est d’ailleurs un des éléments essentiels pour restreindre la comparaison entre une harmonisation aux Etats-Unis par l’intermédiaire du U.C.C. ou des Restatements où ils ont une langue unique, et un rapprochement à l’échelle européenne. Pour le Professeur Cornu, il doit revenir à chaque Etat de dire ses lois dans sa ou ses langues, avec le soin qu’il y mesure198. Ainsi, plusieurs associations de défense de la culture française et notamment l’association « Avenir de la langue française » se sont indignées en découvrant que le projet de code civil européen coordonné par le Professeur von Bar se faisait exclusivement en anglais199. De même, l’ « Académie des Sciences morales et politiques » a adopté à l’unanimité le 1er juillet 2002 une motion dans laquelle elle exprime toutes ses réserves vis-à-vis de ce projet qui selon elle, remettrait en cause une des institutions fondamentales de la France à savoir son Code civil. A l’inverse, le Professeur Sacco retient que rien n’est immuable, le droit « n’est pas » mais il « devient » et il « circule »200. C’est ainsi que les modèles du Code civil français ou de la common law ont largement circulé à travers le monde, en outre, le Code civil est lui-même le fruit de la réception du droit romain mais également de la volonté politique d’un tyran visionnaire qui, pour la réalisation de son code, a dû mettre fin à une multitude de cultures juridiques à travers la France. Pour Rodolfo Sacco, on peut défendre la diversité mais pas l’invariabilité et il faut profiter des modèles des autres car selon lui, « l’idéologie de l’autosuffisance culturelle n’est autre chose que l’idéologie du retard »201. 198 CORNU G., Un code civil n’est pas un instrument communautaire, D., 2002, Chron., p. 351. Consultable sur le site : http://www.avenirlanguefrancaise.org/, Alarme ! Des européistes s’attaquent maintenant au Code civil français ! 200 SACCO R., Non, oui, peut-être, in Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, tome 1, p. 164 (l’auteur souligne). 201 Ibid., p. 165. 199 78 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS L’un des premiers débats concrets sur le bien fondé et la forme d’un éventuel rapprochement de législations a eu lieu en Allemagne au début du XIXème siècle entre Savigny et Thibaut202 mais il ne s’agissait pas alors d’un rapprochement de législations inter-étatiques. Thibaut proposait l’élaboration d’un code civil allemand unique à l’image du Code Napoléon qui avait permis de mettre fin à la multitude de droits et coutumes régionales. De son côté, Savigny y était fortement opposé car il refusait que la loi soit la source unique du droit, il n’admettait pas que le droit émane uniquement du pouvoir de l’Etat car il considérait qu’il était une composante inséparable d’une tradition culturelle donnée qui était elle-même le fruit d’une histoire. Nous pouvons faire un parallèle entre ce débat et les réflexions sur un code européen des contrats. Où Savigny retenait qu’un code ne peut être une source unique du droit car l’histoire et la culture sont également sources de droit, on pourrait répondre, comment élaborer un code unique alors que nous n’avons même pas d’histoire et de culture communes. En effet, bien que les Européens soient proches sur de nombreux points, il serait peut-être illusoire de prétendre que nous avons une culture commune. Dès lors, sans culture commune, un droit commun n’est peut-être pas souhaitable car il pourrait être artificiel et ainsi serait rejeté par les Européens. En dehors de l’aspect culturel proprement dit, pour savoir si un code unique est possible pour l’ensemble de l’Europe, on peut également avoir une approche plus sociologique. En effet, un autre élément important est le sentiment d’appartenance, on ne peut construire de culture commune si les quelques 330 millions de personnes qui vivent sur le territoire des Etats membres n’ont pas le sentiment d’être européens. Pour se faire une idée, on peut s’intéresser à une brochure faite par la Commission européenne en 2000 intitulée « Les Européens vus par eux-mêmes »203. Depuis 1973, la Commission fait régulièrement des sondages d’opinions auprès d’Européens, il s’agit dans ce recueil d’une sorte de recensement et d’analyse de l’évolution de la perception de l’Europe par ses habitants. Au préalable, la Commission informe les lecteurs de la façon dont sont faits ces sondages et notamment comment sont choisis les personnes sondées, il s’agit de citoyens européens de plus de 15 ans avec une base de 1000 personnes interrogées par Etat membre mais ce chiffre est ajusté en fonction de la population de chacun d’eux, les modalités varient légèrement d’un type de 202 RUFFINI GANDOLFI M. L., Problèmes d’unification du droit en Europe et le code européen des contrats, RIDC, 2002, p. 1079 et s. 203 Les Européens vus par eux-mêmes, les enseignements des sondages d’opinion, brochure de la documentation européenne, 2001, consultable sur le site : http://europa.eu.int/comm/publications/booklets/eu_documentation/05/index_fr.htm 79 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS sondage à l’autre et la Commission estime la marge d’erreur selon les sondages entre +/- 3,1% et +/- 3,5%. Le traité de Maastricht a institué la notion de citoyen européen, est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. Le traité d’Amsterdam a précisé que la citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas (art. 17 du traité CE). Dans un sondage de 1999, la Commission a interrogé un échantillon de citoyens européens sur le point de savoir s’ils étaient attachés géographiquement à l’Europe (graphique 5). En moyenne, six sur dix se sentent très ou plutôt attachés à l’Europe, mais il est intéressant de regarder les réponses en détail en fonction du pays de provenance des sondés. En effet, ce sentiment varie considérablement d’un Etat membre à l’autre ainsi, il est très répandu dans les pays du nord de l’Europe, en revanche, ceux qui sont éloignés géographiquement ressentent fort logiquement un attachement moindre, c’est le cas de la Grèce et du Royaume-Uni où seuls 37% des personnes interrogées se déclarent très ou plutôt attachées géographiquement à l’Europe. Dans le contexte de la citoyenneté européenne l’appartenance géographique n’est pas suffisante, il est important que les gens se sentent également psychologiquement attachés à l’Europe. Une question plus délicate a donc été posée, il s’agissait de mettre en parallèle le sentiment d’identité européenne et nationale (graphique 6). Les résultats sont alors moins favorables à l’Europe, 50% des personnes sondées se reconnaissant une identité seulement européenne ou nationale et européenne et 45% se déclarant uniquement d’identité nationale et là encore le Royaume-Uni se distingue, 67% des personnes interrogées se reconnaissent uniquement d’identité nationale. Enfin, les Européens ont été interrogés sur une question qui nous intéresse tout particulièrement : existe-t-il une identité culturelle partagée par tous les Européens (graphique 7) ? En moyenne sur l’Europe, le nombre des personnes qui répondent par l’affirmative tombe à 38% contre 49% qui ne croient pas à une telle identité culturelle. Il faut à nouveau préciser qu’il s’agit de moyennes et que les habitants de certains Etats membres sont encore plus sceptiques quant à une éventuelle identité culturelle, c’est notamment le cas du Royaume-Uni où seuls 28% croient à cette culture commune contre 53% qui ne s’y reconnaissent pas, mais on peut également relever le cas de la France où 59% des personnes sondées ont déclaré ne pas être d’accord avec l’existence d’une identité culturelle commune contre 36% qui y croyaient. Il est bien certain qu’il faut prendre ces sondages avec toute la réserve qui s’impose, et ce d’autant qu’ils datent de 1999, ce même sondage fait en 2003, avec l’arrivée de l’euro 80 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS n’aboutirait peut-être pas aux mêmes conclusions. Quoi qu’il en soit, ils témoignent tout de même d’une tendance, il ne suffit pas de reconnaître la citoyenneté européenne pour être « Européen » au même titre que l’on est « Espagnol » ou « Français ». Or, comme le font remarquer de nombreux auteurs et en particulier Pierre Legrand204, le droit est à la fois le fruit d’une histoire, de traditions, mais il fait également partie intégrante de la culture d’un pays, on parle d’ailleurs de « culture juridique ». Dès lors, est-il vraiment envisageable d’élaborer un code européen des contrats si les Européens n’ont pas le sentiment d’avoir une culture européenne commune ? Toutefois, il faut à nouveau modérer ce propos, tout d’abord, un autre sondage de 1999 dont les résultats sont également publiés dans cette brochure de la documentation européenne, montre que 45% des personnes interrogées souhaitaient que le rôle de l’Union européenne soit plus important au XXIème siècle contre 14% qui le voulaient moins important (graphique 44). Enfin, si on considère que les jeunes d’aujourd’hui feront l’Europe de demain, il est important de constater qu’en 1997, sur un panel de jeunes européens de 15 à 24 ans (graphique 46), très peu associaient l’Union européenne à des éléments négatifs tels qu’un excès de bureaucratie (14%), une perte de diversité culturelle (12%) ou encore une utopie (8%), alors qu’à 34% ils considéraient que l’Union européenne impliquait un meilleur avenir et une meilleure situation économique. On peut en conclure que d’un point de vue culturel, il est encore trop tôt pour imaginer un code uniformisé, en revanche, on peut penser que dans un avenir plus ou moins proche, un tel projet serait envisageable car il serait susceptible d’être accepté par la population européenne. B. Les coûts d’une unification du droit des contrats L’élaboration d’un code européen des contrats implique toutes sortes de dépenses parfois considérables, sa rédaction tout d’abord engendre des frais importants (1), mais surtout, afin de garantir une interprétation uniforme du code, il faut entièrement réorganiser le système judiciaire au niveau européen (2). 1) Les coûts inhérents à l’unification 204 LEGRAND P., Le primat de la culture, in Le Droit privé européen sous la direction de P. de VareillesSommières, Economica, 1998, Collection Etudes Juridiques, t. 1, p. 1. 81 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Un des arguments essentiels mis en avant par les défenseurs d’un code européen des contrats est le gain financier qu’il pourrait engendrer, en effet, comme nous l’avons déjà vu, la disparité entre les différentes lois nationales entraîne des coûts élevés de transaction. Tout d’abord, elle nécessite de se renseigner sur les lois, le plus souvent par l’intermédiaire de services juridiques, puis, en cas de différend, les frais sont beaucoup plus importants et les services d’avocats internationaux sont souvent indispensables. En outre, ces différences légales entraînent des coûts pour l’économie européenne du fait de la non-conclusion de transactions qu'elles suscitent, les parties étant découragées par les risques du commerce extérieur205. Mais ces arguments ne font état que d’une partie de la question et les conséquences d’une unification sont beaucoup plus complexes à analyser en termes de coûts. Tout d’abord, on peut s’étonner que la Commission qui a largement invoqué l’argument financier, n’ait pas fait d’études poussées pour tenter de quantifier le gain d’une telle opération. Il semble guère sérieux de se baser ainsi sur un constat plus intuitif que scientifiquement démontré206. Bien que cet argument soit séduisant, il serait utile de mener une véritable analyse scientifique à l’aide des instruments utilisés en sciences économiques afin de déterminer si les différences légales entraînent des coûts de transaction et dans l’affirmative, de préciser les économies qu’un rapprochement pourrait engendrer. En outre, ce constat fait par la Commission est partial, certes des économies sont envisageables pour les différents opérateurs économiques mais en contre partie, l’élaboration d’un code européen des contrats devrait entraîner des coûts considérables207. Un immense travail a déjà été accompli, tant par la commission Lando, que par le groupe von Bar ou encore par les académiciens de Pavie mais la rédaction d’un code n’est pas encore achevée, de nombreux juristes, linguistes, économistes et savants de divers domaines devront encore contribuer à la rédaction d’un code, soit autant de personnes à rémunérer et ce, sur une période sûrement longue. De plus, le travail des commissions qui réfléchissent au rapprochement des législations ne devrait pas être gratuit pour la Communauté européenne. La commission Lando est déjà en partie financée par la Commission, ce n’est pas le cas des autres mais si la Communauté décide de reprendre leurs travaux, ils risquent de les négocier à un prix très élevé. Il serait donc sérieux de faire 205 BASEDOW J., Un droit commun des contrats pour le marché commun, RIDC, 1998, p. 18. Réaction du groupe constitué par J. B. Racine à la communication de 2001, consultable à la rubrique « Academics » du site de la Commission consacré au droit européen des contrats. 207 VAN DEN BERGH R., Forced Harmonisation of Contract Law in Europe not to be continued, contribution au colloque de Leuven, Belgique, des 30 novembre et 1er décembre 2001, Communication from the Commission on European Contract Law. 206 82 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS des estimations sur ces points afin de pouvoir évaluer de la façon la plus complète possible, les coûts de l’unification. Un autre élément à prendre en considération si on procède à une analyse économique du droit est qu’une uniformisation mettra nécessairement fin à la compétition qui existe actuellement entre les lois nationales. En effet, l’existence de plusieurs lois a tendance à stimuler les législateurs qui cherchent tous à élaborer les meilleurs textes, cette concurrence légale serait donc productive208. Une uniformisation pourrait en revanche conduire à une déperdition linguistique et à un appauvrissement légal car les législateurs tiennent compte du droit comparé ainsi quand un Etat adopte une loi qui se révèle meilleure que les autres, elle agit comme un moteur sur les Etats voisins. S’inspirer les uns les autres et tirer les leçons des échecs ou des réussites de chacun contribue à faire avancer la science juridique en revanche, un code uniformisé risque de ne pas être non plus à même de s’adapter aux évolutions économiques. Et comme le fait remarquer le professeur Malaurie, on ne sait pas quelle autorité européenne pourrait adapter « dans des conditions convenables et des délais raisonnables » le droit européen des contrats aux changements rapides de notre société209. En outre, à titre subsidiaire, on peut relever qu’un système unifié n’est pas nécessairement l’unique condition d’un fort développement économique, malgré l’absence de droit uniforme des contrats aux Etats-Unis, ils sont parvenus à établir le marché unique le plus vaste et le plus dynamique du monde210. En dehors des dépenses directement liées à la rédaction du code en lui-même, il ne faut pas oublier les nombreux frais qui en découleront. Il s’agit principalement de frais de formation sous toutes ses formes. Tout d’abord, tous les recueils de droit des contrats dans l’ensemble de l’Union seront obsolètes du jour au lendemain, ce n’est pas qu’ils manqueront d’actualité, mais bien qu’ils seront presque inutilisables. Cela signifie que tous les éditeurs devront en même temps et dans des quantités gigantesques, réécrire tous leurs ouvrages et la précipitation ajoutée au manque de recul font craindre quant à leur qualité. Il ne s’agit pourtant ici que d’un problème pratique qui bien que non négligeable, ne soit pas 208 Contra : BASEDOW J., Un droit commun des contrats pour le marché commun, RIDC, 1998, p. 20 qui relève entre autre que si les institutions législatives recherchaient en permanence chez leurs voisins des meilleures solutions en matière de contrat, « comment pourrait-on expliquer autrement que les règles fondamentales sur les contrats contenues dans les Codes civils de nombreux pays européens […], soient restées inchangées pendant de longues périodes allant jusqu’à 200 ans ? ». 209 MALAURIE Ph., Le code civil européen des obligations-Une question toujours ouverte, JCP, 2002, I 110, p. 285. 210 HEUZE V., A propos d’une « initiative européenne en matière de droit des contrats », JCP, 2002, I 152, p. 1342. 83 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS insurmontable. Plus délicate est la question de la mise à jour des connaissances de la communauté des juristes. Les étudiants sont encore malléables et plus ils seront en début de cursus, plus facile sera leur adaptation mais d’un point de vue quantitatif c’est marginal. Les plus grandes difficultés concerneront l’immense majorité des juristes, qu’ils soient praticiens ou universitaires en outre, le droit des contrats est tellement fondamental qu’aucune branche du droit ne devrait être épargnée. Certes des systèmes de formation accélérée devraient se mettre en place mais il faudra s’attendre à une longue période de flottement avant que tous se familiarisent au nouveau droit des contrats. Dans le même ordre d’idées, il faudra également refaire un nombre incalculable de contrats types et de bases de données. Au regard de tous ces éléments, non pris en considération par la Commission et qui sont encore loin de prétendre à une base d’analyse coût-dépense exhaustive, on peut considérablement atténuer les espoirs d’économie qu’un code uniforme pourrait permettre. Dans l’hypothèse d’un code européen des contrats, les gains financiers ne devraient être véritablement sensibles qu’à très long terme quand il sera parfaitement intégré par tous, mais en attendant, cet argument doit être retenu avec beaucoup de réserves. Un autre coût essentiel doit être pris en compte, pour garantir réellement un droit uniforme, il faut avoir conscience qu’il sera également nécessaire de repenser les systèmes juridiques dans l’ensemble de la Communauté afin de garantir une interprétation uniforme (2). 2) La réorganisation du système judiciaire Comme nous l’avons déjà évoqué, une unification du droit est sans effet dès lors que les différents juges nationaux l’interprètent dans des sens qui divergent. D’après l’avocat anglais Lewis, ceci est particulièrement vrai en Angleterre, bien que la Communauté européenne instaure des nouvelles lois pour l’ensemble des Etats membres, les juges britanniques ont tendance à les interpréter à la lumière de la common law et à les rendre ainsi totalement locales211 ce qui les vide du sens que la Communauté entendait leur donner. Si à l’inverse d’autres Etats membres font des interprétations également éloignées de l’esprit du texte et opposé à l’interprétation anglaise, l’uniformisation n’a plus aucun intérêt. 211 LEWIS X., A common law fortress under attack :is english law being europeanized ?, The Columbia Journal of European Law, 1995/96, vol. 2, p. 10. 84 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Parallèlement à l’élaboration du code, il faudrait donc réfléchir aux moyens d’éviter que les différences réapparaissent au stade de l’application du code. Et ce d’autant qu’alors que nous disposons de deux propositions de codes, c’est celle du groupe von Bar dont les articles sont les plus généraux qui semble avoir la préférence de la Communauté par rapport à celle de l’Académie des privatistes de Pavie qui essaie d’être très précise. Comme nous l’avons déjà signalé, ce choix procure au code une certaine flexibilité qui lui permet de mieux s’adapter aux cas concrets et de durer plus dans le temps. En contre-partie, en revanche, ce type de code nécessite, encore plus qu’un code qui évite les articles généraux, la présence d’un juge au rôle essentiel212 car il devient créateur de droit, dès lors, une interprétation uniforme devient la condition sine qua non si un tel code est adopté. Pour illustrer les coûts d’une uniformisation du droit au niveau communautaire, le Professeur d’économie Hugh Collins distingue le risque juridique qui découle d’une ignorance du droit de celui qui découle de son manque de prévisibilité213. Alors qu’un code uniforme permet de mettre fin à l’ignorance des juristes de la Communauté pour les lois des autres Etats membres (puisqu’il n’y en a plus qu’une !), un tel code ne devrait pas en parallèle obligatoirement diminuer le risque d’imprévisibilité car celui-ci est inhérent au droit. Le seul moyen réellement de limiter au maximum les risques du manque de prévisibilité de la loi, est de garantir une interprétation uniforme de celle-ci. Pour ce faire, il faut établir une hiérarchie de cours avec au sommet une cour régulatrice. Certes ceci existe déjà dans l’ensemble des Etats membres, mais désormais, les investissements liés à l’élaboration d’un code uniforme seraient vains si une cour régulatrice au niveau supra-national n’était mise en place pour harmoniser l’interprétation du code faite par les différentes cours suprêmes nationales. En effet, rien ne garantit que les juridictions supérieures de chacun des Etats membres interprèteront le code uniforme dans le même sens, il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises que chaque juge national interprète à sa manière. Le rôle d’une cour régulatrice pourrait bien sur revenir à la Cour de justice des Communautés européennes, mais c’est là que l’argument financier intervient, à l’heure actuelle, une fonction si étendue ne semble pas envisageable. Le nombre de dossiers en attente 212 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 723. COLLINS H., Transaction Costs and Subsidiarity in European Contract Law, contribution au colloque de Leuven, Belgique, des 30 novembre et 1er décembre 2001, Communication from the Commission on European Contract Law. 213 85 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS devant la Cour est déjà très important or, dans l’hypothèse d’un code unique où elle aurait le rôle d’une cour régulatrice, elle aurait à traiter beaucoup plus d’affaires et ne pourrait certainement pas le faire dans des délais raisonnables tel que l’impose l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme214 et ce particulièrement au début car une période de flottement sera inévitable. Il serait donc indispensable d’augmenter considérablement le budget de la Cour de justice, tant en termes de moyens matériels qu’humains. Une autre solution plus radicale encore serait de créer une nouvelle juridiction communautaire qui serait consacrée aux litiges portant sur le seul code européen des contrats. En effet, même si le montant du budget de la CJCE est adapté à l’augmentation du nombre d’affaires, elle aurait toujours à traiter de celles qui relèvent de sa compétence traditionnelle, dès lors, on pourrait envisager la création d’une autre cour qui aurait la charge exclusive des litiges en matière contractuelle et serait composée de magistrats spécialement formés dans ce domaine. Si on pousse encore le raisonnement, afin de réduire le temps de la procédure et d’éviter aux parties d’attendre d’avoir épuisé leurs recours internes avant d’espérer profiter de l’interprétation uniforme d’une cour supra-nationale, on pourrait réfléchir à une nouvelle organisation également interne du système judiciaire. Plusieurs hypothèses sont imaginables, la moins traumatisante pour les Etats membres serait de créer une nouvelle section au sein de chaque cour suprême dont le domaine de compétence serait identique à celui de la cour supranationale. On pourrait également penser à une plus grande collaboration entre les cours suprêmes nationales et la cour régulatrice européenne, cette dernière pouvant par exemple détacher certain de ses membres dans chaque Etat membre, formant ainsi des cours mixtes avec des juges suprêmes nationaux. Une autre solution qui priverait encore un peu plus les Etats de leur souveraineté, consisterait à maintenir la compétence des juges nationaux uniquement en première instance et en appel et à évincer les cours suprêmes nationales des litiges relevant du code européen des contrats. Les pourvois en cassation se feraient alors directement devant des juridictions communautaires qui pourraient éventuellement être représentées dans chacun des Etats membres. Cette dernière hypothèse semble toutefois illusoire car non seulement la Communauté devra établir qu’elle est seule apte à garantir une interprétation uniforme en raison des principes de subsidiarité et de proportionnalité, mais encore, on imagine les réticences énormes tant de la part des magistrats nationaux qui se 214 Art. 6 :Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (…). 86 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS sentiraient évincés, que de la part des justiciables qui verraient le pouvoir judiciaire s’éloigner encore plus d’eux. De plus, cela impliquerait que deux hiérarchies de cours coexistent en parallèle en matière civile, ce qui pourrait en pratique être très complexe, pour les justiciables bien sûr, mais également pour les professionnels du droit qui ne seraient pas à l’abri d’erreurs d’aiguillage et donc encore de pertes de temps. Une telle entreprise serait donc extrêmement coûteuse sans oublier son impact psychologique. Il ressort de tous ces éléments que l’argument financier ne peut pas être pris en considération de façon isolée, il est lié à l’argument culturel mais encore plus généralement à l’existence ou non d’une réelle volonté politique. Si un code européen des contrats doit être adopté, ce n’est pas dans le seul but de faire des économies, mais plutôt dans celui de reconnaître les valeurs d’une société libérale et une façon d’affirmer une sorte de « construction nationale ». Il semblerait que si ces arguments sont absents des communications de la Commission, c’est qu’elle les écarterait sciemment car ils ne seraient pas en accord avec le principe de subsidiarité215. En effet, l’élaboration du marché intérieur relève sans conteste de sa compétence, en revanche, des considérations plus politiques excèdent quelque peu sa compétence. Aussi, sous couverts d’arguments essentiellement économiques, la Communauté pourrait-elle parvenir à des fins également politiques sans pour autant être censurée par l’article 5 du traité CE qui consacre les principes de subsidiarité et de proportionnalité. 215 COLLINS H., Transaction Costs and Subsidiarity in European Contract Law, Op. cit. 87 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS SECTION II. LE CHOIX DE LA COMMISSION Le 12 février 2003, la Commission européenne a adopté, suite aux diverses réactions qu’avait suscitées son Livre vert de 2001 « Concernant le droit européen des contrats », le Plan d’action pour « Un droit européen des contrats plus cohérent »216. Il en ressort tout d’abord que la Commission souhaite maintenir le principe d’une approche sectorielle même si celle-ci doit être adaptée (sous-section 1). En revanche, elle n’exclut pas l’élaboration, dans un avenir plus ou moins proche, d’un nouvel outil d’harmonisation (sous-section 2). Dans cette communication, la Commission cherche à concilier d’un côté le désir fort d’évolution du Parlement et du Conseil avec une position plus conservatrice qu’on retrouve dans l’ensemble des réactions engendrées par la communication de 2001. Aussi, faut-il tout d’abord relever que dans la formulation même de cette nouvelle communication, la Commission s’inspire largement de la résolution du Parlement dont l’un des points essentiels était la demande qui lui était adressée d’expliciter son approche sous la forme d’un plan d’action détaillé, à savoir une structure comportant des mesures à court, moyen et long terme. Il faut également retenir qu’au même titre que celle de 2001, cette nouvelle communication conserve un esprit consultatif. Sous-section 1. La confirmation d’une approche sectorielle Bien que les débats aient essentiellement porté sur le point de savoir s’il fallait adopter un texte uniforme en matière de droit des contrats pour l’ensemble de la Communauté et dans l’affirmative, quel forme il devrait prendre, la Commission européenne exclut une telle entreprise pour finalement maintenir son approche sectorielle. En revanche, comme l’indique le nom de sa communication, elle a établi un plan d’action en plusieurs étapes, et souhaite, par le mélange de mesures d’ordre réglementaire et non-réglementaire217, d’une part améliorer le 216 217 COM(2003) 68 final, JOCE C 63/38 du 15/03/2003. COM(2003) 68 final, n°3. 88 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS droit communautaire existant et futur (I) mais également adopter une nouvelle démarche grâce à la promotion de clauses contractuelles types (II). I. L’amélioration de l’acquis communautaire On peut constater que la Commission, dans cette communication, a largement pris en compte les diverses réactions qui ont fait suite à son Livre vert sur le droit européen des contrats. C’est sur la base des résultats de cette consultation qu’elle a pu en conclure que l’Union européenne pouvait maintenir une approche sectorielle comme c’est en particulier le cas en matière de droit de la consommation où elle multiplie les directives protectrices. En revanche, il ressort très nettement de l’ensemble des réactions, la nécessité d’améliorer le droit communautaire en accroissant la cohérence de l’acquis existant dans le domaine du droit des contrats et en évitant à l’avenir toutes confusions218. Cette phase doit donc, en toute logique, se faire en deux temps. Il s’agira tout d’abord de reprendre les textes déjà en vigueur pour les rendre plus harmonieux puis, de suivre une démarche parallèle pour les textes futurs afin d’éviter que des incohérences s’immiscent à nouveau. Pour ce faire, la Commission souhaite établir un cadre commun de référence219, il s’agit ici d’une mesure à moyen terme comme le Parlement l’a préconisé. Il consistera à établir des principes communs et une terminologie commune en matière de droit européen des contrats. La Commission précise qu’il se présentera sous la forme d’un document accessible au public, traduit dans toutes les langues officielles et qui devrait servir à l’ensemble des institutions communautaires pour garantir à tous les niveaux une plus grande cohérence de l’acquis actuel et futur dans le domaine du droit européen des contrats220. En effet, le rapport du Conseil de l’Union européenne soulevait notamment que l’absence de définition uniforme ou de termes et concepts généraux en droit communautaire, pouvait aboutir à des résultats différents dans la pratique commerciale et juridique des différents États membres221. Aussi, la Commission propose-t-elle de s’entendre sur la définition de termes abstraits tels que « contrat » ou « dommage »(n°62). 218 COM(2003) 68 final, n°55. COM(2003) 68 final, n°59. 220 COM(2003) 68 final, n°59. 221 Rapport du Conseil de l’Union européenne sur la nécessité de rapprocher les législations des Etats membres en matière civile du 29 octobre 2001, document 13017, Justciv 29, point n°9. 219 89 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Ce cadre commun aurait plusieurs buts, tout d’abord, comme nous l’avons signalé, il s’agirait de le consulter pour améliorer et simplifier le droit communautaire existant et pour éviter les écueils du passé dans les nouveaux textes. Dans un deuxième temps, ce cadre commun de référence pourrait également être adopté comme critère de référence par les pouvoirs législatifs nationaux au sein de l’UE, il deviendrait ainsi « un instrument de réalisation d’un degré plus élevé de convergence entre les droits des contrats des Etats membres de l’UE » (n°62), il pourrait même éventuellement être repris par des pays tiers. Enfin, dans une dernière étape, ce cadre pourrait servir de base à une réflexion sur le point de savoir si un nouvel instrument d’harmonisation doit être mis en place et dans l’affirmative quelle forme il devrait prendre. Pour ce qui est du contenu du cadre commun de référence, bien qu’il soit encore à définir précisément, il dépendra d’ailleurs en partie des réactions du public à cette nouvelle communication, la Commission nous informe sur certains points déjà fortement pressentis. Il devrait traiter essentiellement du droit des contrats, principalement les types de contrats transfrontaliers concernés tels que les contrats de vente et les contrats de services. En outre, il devrait couvrir les règles générales en matière de conclusion, de validité et d’interprétation des contrats ainsi que celles relatives à l’exécution, à l’inexécution et aux recours, sans oublier les règles en matière de garanties de crédit concernant les biens mobiliers et le droit touchant à l’enrichissement sans cause (n°63). En ce qui concerne la mise en œuvre de ce cadre commun de référence, la Commission entend utiliser comme base de travail les différents droits nationaux des contrats, elle compte ainsi trouver des dénominateurs communs lui permettant d’élaborer des principes communs et, le cas échéant, d’identifier les meilleures solutions. Pour la Commission, il est également important de tenir compte de l’analyse des jurisprudences nationales et plus particulièrement de celle des cours suprêmes222. Enfin, elle retient qu’il faudrait analyser l’acquis communautaire existant et les instruments internationaux contraignants applicables en la matière, principalement la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises. En revanche, il est surprenant de constater qu’à aucun moment elle ne fait allusion aux groupes d’universitaires que nous avons étudiés. Pourtant, le cadre de référence qu’elle se propose d’élaborer reprend de nombreux éléments caractéristiques de leur travail, en particulier le droit comparé, tant des législations des Etats membres entre elles qu’avec les conventions internationales. Toutefois, elle relève que les 222 STAUDENMAYER D., Le plan d'action de la Commission européenne concernant le droit européen des contrats, JCP, 2003, I 127, p. 714. 90 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS travaux de recherche sur le droit européen des contrats se multiplient aussi, lui semble-t-il important qu’ils se poursuivent et qu’ils soient pleinement exploités. Ainsi, bien qu’elle ne les nomme pas, elle se donne pour objectif de les combiner et de les coordonner afin de les inscrire dans un cadre commun selon plusieurs approches générales223. Comme nous l’avons signalé, ce cadre relève d’une action à moyen terme de la Commission qui compte faire débuter les travaux de recherche dès que leur financement sera disponible, si possible dès 2004. Dès lors, on peut espérer que ce cadre commun de référence pourra être établi à partir de 2008224. Ces délais semblent plus réalistes que ceux du Professeur von Bar qui envisageait qu’à partir de 2010, un corps de règles relatives au droit des contrats dans l’Union européenne serait adopté225. Il est intéressant de relever que l’élaboration de ce cadre commun de référence s’intègre dans une stratégie globale des institutions européennes qui vise à simplifier l’environnement réglementaire et à améliorer la qualité de la législation communautaire. Ainsi, en 2000, le Conseil européen de Lisbonne a donné mandat à la Commission226 de présenter une stratégie visant, par une nouvelle action coordonnée, à simplifier l’environnement réglementaire. Depuis 2001, la Commission s’est donc engagée dans un vaste processus de consultation des autres institutions et Etats membres avec lesquels elle partage la responsabilité de la qualité de la législation communautaire. Un débat important a été lancé dans le but d’améliorer la qualité, l’efficacité et la simplicité des actes réglementaires et de mieux consulter et impliquer la société civile dans le processus décisionnel européen. La Commission a donc élaboré un plan d’action sur l’environnement réglementaire227, dans lequel elle estime indispensable de maintenir une exigence de qualité et de cohérence tout au long du cycle législatif. Elle y souligne la pertinence des trois étapes du cycle législatif (la préparation et la présentation de la proposition d’acte par la Commission ; la discussion législative entre le Parlement européen et le Conseil ; enfin l’application par les Etats membres), et met l’accent sur les responsabilités de chacun dans le plan d’action. 223 COM(2003) 68 final, n°66. STAUDENMAYER D., Le plan d'action de la Commission européenne concernant le droit européen des contrats, JCP, 2003, I 127, p. 714. 225 LEQUETTE Y., Quelques remarques à propos du projet de code civil européen de M. von Bar, D., 2002, Chron., p. 2203. 226 Conclusions de la présidence, Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, SN (2000) 100, p. 6. 227 Plan d’action « Simplifier et améliorer l’environnement réglementaire », du 5 juin 2002 COM (2002) 278 final, p. 15. 224 91 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Comme la Commission l’a rappelé dans son plan d’action visant à simplifier et améliorer l’environnement réglementaire, il existe, en dehors des instruments réglementaires (règlements, directives, recommandations), d’autres outils qui peuvent être utilisés, pour réaliser les objectifs du traité tout en simplifiant le travail législatif (autorégulation, méthode ouverte de coordination, campagne d'information, …). Aussi, dans son plan d’action pour le droit européen des contrats, la Commission propose-t-elle une mesure de rapprochement non réglementaire à savoir la promotion et la circulation de contrats-types (II). II. L’élaboration de clauses contractuelles types Cette deuxième série de mesures témoigne du succès de la soft-law, la baisse de la réglementation permet une plus grande souplesse dans les rapports contractuels. En effet, en dépit de diverses dispositions impératives, les parties à un contrat jouissent d’un degré élevé de liberté pour négocier les clauses et conditions contractuelles qu’elles souhaitent. Néanmoins, dans de nombreuses hypothèses, et notamment pour les transactions assez simples et habituelles, souvent déséquilibrées, les parties souhaitent fréquemment s’en remettre à des clauses contractuelles types. Même si ces clauses sont souvent imposées par la partie la plus forte ce qui, en pratique, remet en cause la liberté contractuelle, elles ont des avantages indéniables. En particulier, elles permettent des réductions considérables des coûts de négociation, ainsi que des gains de temps. En outre, lorsque deux parties sont coutumières d’un type de contrat, bien qu’au départ une seule en soit à l’origine, à force de répétition, la partie la plus faible a fini par avoir confiance dans son contenu. Aussi, bien que ce contrat ne soit pas le fruit d’une réelle discussion entre les parties, elles l’ont toutes deux adopté et la partie qui se l’est vu imposer ne cherche pas à en modifier les termes. Contrairement à une réglementation qui aurait été imposée aux parties, un contrat type s’adapte au plus prêt de leurs besoins. Dès lors, non seulement ces clauses contractuelles types sont fréquemment utilisées, mais encore, elles reçoivent très souvent l’aval des parties, même si elles n’en sont pas à l’origine. En revanche, ces contrats types sont plus courants dans les contrats internes que dans les contrats transfrontières car la plupart d’entre eux ont été conçus par les parties d’un seul Etat membre pour des contrats entre ressortissants de ce même Etat. Il se peut donc que ces 92 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS clauses contractuelles soient moins bien adaptées aux besoins particuliers des transactions transfrontalières. Pourtant, elles pourraient permettre de remédier à certaines critiques ou à certains facteurs dissuasifs qu’on a pu relever concernant les contrats transfrontières. On a en particulier retenu qu’ils étaient source d’insécurité juridique or, si un réel effort d’harmonisation des contrats types est entrepris, les problèmes d’ignorance devraient être considérablement restreints. En outre, on a évoqué les coûts et le temps nécessaires aux négociations contractuelles, là encore ils diminueraient fortement. Enfin, cela devrait accroître la confiance des parties pour les opérations transfrontières et donc développer le marché intérieur. Aussi, la Commission propose-t-elle de faciliter les échanges d’informations au sein des Etats membres et plus particulièrement des organismes à l’origine de clauses types pour élaborer de nouveaux contrats types particulièrement adaptés aux opérations transfrontalières et qui seraient susceptibles d’être reconnus par tous les Etats membres. Dans un premier temps, dans le cadre de son Plan d’action, la Commission envisage, à court terme, de créer un site Internet qui aura pour objet d’accueillir des informations sur des initiatives existantes ou envisagées. Il s’agira par la suite d’établir une liste de ces initiatives tant internes que transnationales, qu’elles soient d’origine purement privée ou le fruit d’organismes spécialisés. Lorsque cette liste sera disponible, les parties qui souhaitent élaborer des clauses et conditions types pourront s’inspirer de ce qui aura déjà pu être fait dans d’autres secteurs228. Toujours par l’intermédiaire de ce forum de discussion, la Commission envisage, au fur et à mesure de la mise en service de ce site, d’en évaluer l’efficacité avec l’aide de ses utilisateurs et, le cas échéant, de l’adapter suivant les réactions qu’il aura suscité. Il est notable qu’ici, la Commission répond à des attentes déjà anciennes, notamment des constructeurs automobiles qui réclamaient parallèlement à l’uniformisation indirecte des contrats en raison des règlements d’exemption par catégorie, la rédaction d’un « contrat cadre européen »229. La Commission précise que les diffusions sur ce site Internet engageront la responsabilité de leurs seuls auteurs mais elle tient tout de même à contrôler le contenu des clauses et contrats types qui pourraient en résulter. En effet, ils ne doivent pas violer les règles communautaires ni aller à l’encontre des politiques de l’Union. Aussi, la Commission envisage-t-elle de publier des lignes directrices dans le but de rappeler aux sociétés, personnes 228 COM(2003) 68 final, n°86. CONTES (de) M. L., Négociation d’un nouveau contrat cadre européen : l’expérience d’un constructeur et de son réseau, Dalloz Affaires, 1996, p. 1275. 229 93 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS et organisations intéressées qu’il y a lieu de respecter certaines limites juridiques230. Enfin, la Commission insiste sur le fait qu’il importe de s’assurer que les clauses et conditions contractuelles types soient élaborées en commun par des représentants de l’ensemble des groupes concernés y compris les grandes entreprises et les PME, les commerçants, les consommateurs et les praticiens pour qu’elles soient les plus équitables possibles. Si tous ces éléments sont respectés, cette initiative devrait permettre des progrès considérables, elle devrait faciliter les échanges transfrontières dans le respect de chacune des parties en leur garantissant une certaine sécurité juridique. Il faut toutefois relever que cette initiative n’est pas exempte de toute critique, le Professeur Gandolfi s’est interrogé sur le point de savoir si un rapprochement était envisageable par les contrats-types. Il arrive alors à la même conclusion que celle que nous avons déjà faite à propos d’un code européen des contrats, selon lui, seule la création en parallèle d’une juridiction supra-nationale pourrait assurer une interprétation uniforme de ces contrats231. Après ces deux étapes à court et moyen termes mis en œuvre par le Plan d’action de la Commission pour un droit européen des contrats plus cohérent, elle se projette dans un avenir plus lointain et envisage des réformes de plus grande envergure (sous-section 2). Sous-section 2. Les domaines de réflexion à plus long terme La Commission prévoit une nouvelle étape pour rendre plus cohérent le droit européen des contrats, elle réfléchit à la mise en place d’un outil optionnel uniformisé (I), mais au-delà d’un approfondissement du rapprochement au niveau communautaire, certains élargissent déjà leurs perspectives et pensent à un droit harmonisé à l’échelle internationale (II). 230 231 COM(2003) 68 final, n°88. GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 710. 94 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS I. L’adoption d’un instrument optionnel dans le domaine du droit européen des contrats Le dernier point du Plan d’action de la Commission porte sur l’éventualité d’adopter un nouvel instrument optionnel qui proposerait aux parties à un contrat un ensemble modernisé de règles particulièrement adaptées aux contrats transfrontaliers dans le marché intérieur. Il s’agirait d’une législation uniforme, indépendante, qui aurait pour mission spécifique d’organiser les relations contractuelles transfrontières. Elle n’aurait pas de caractère sectoriel comme c’est actuellement le cas des mesures d’harmonisation notamment en matière de protection du consommateur, mais aurait pour but d’organiser le droit des contrats dans sa globalité. Dans les contrats transfrontières, la partie économiquement forte et la partie économiquement faible se verraient proposer un texte légal neutre et approprié, évitant le débat sur le point de savoir de quelle partie le droit national serait applicable au contrat ce qui faciliterait également les négociations. Si le Plan de la Commission n’évoque pas le terme de code européen des contrats, la forme d’un tel texte n’est d’ailleurs pas encore déterminée, le résultat pratique d’une telle initiative est très proche de celui de celui que pourrait engendrer l’élaboration d’un code uniforme. Une grande différence toutefois est à relever, cet « instrument optionnel dans le domaine du droit européen des contrats » n’aurait pas vocation à remplacer les législations existantes dans l’ensemble des Etats membres. Il ne s’agirait que d’un outil légal parallèle et optionnel qui ne serait pas applicable aux contrats purement internes. De nombreux points seront néanmoins à préciser en fonction des réactions à cette proposition, outre l’opportunité d’une telle mesure, il faudra s’entendre sur sa forme comme sur son contenu par exemple, on ne sait pas encore s’il couvrira uniquement les dispositions générales relatives aux contrats ou s’il concernera aussi les contrats spéciaux. Son fondement juridique sera également à déterminer mais la Commission propose qu’elle soit consacrée par un règlement ou qu’elle figure dans une recommandation. Il semblerait en revanche qu’elle ait exclu la technique de la directive car elles serait incompatible avec la méthode du texte optionnel. En effet, cet instrument optionnel implique une cohabitation des systèmes juridiques et non à remplacer les droits nationaux existants comme c’est le cas avec une 95 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS harmonisation classique issue d’une directive232. Dès lors, on ne comprend pas vraiment pourquoi le règlement devrait échapper à cette critique car l’hypothèse d’un « règlement optionnel » est en contradiction avec l’article 249 du traité CE selon lequel le règlement est obligatoire. Une des questions principales à résoudre est celle de la valeur juridique d’un tel instrument, en effet, la Commission laisse entendre qu’il pourrait tout aussi bien s’agir d’une solution opt-in ou opt-out233. Cette dernière est comparable au modèle de la Convention de Vienne, elle implique que cet instrument optionnel s’applique automatiquement aux contrats transfrontaliers, il constitue le droit positif. En revanche, comme il reste un instrument optionnel, les parties peuvent y renoncer et ce, au profit de la loi nationale de leur choix. Dans une telle hypothèse, il serait nécessaire de préciser comment concilier cet instrument avec la Convention de Vienne dans le cas d’une vente de marchandises entre professionnels. On peut par exemple imaginer qu’en cas de rejet de l’instrument communautaire, la Convention de Vienne viendrait directement en concurrence avec les lois nationales ou encore une hiérarchie plus complexe selon laquelle si l’instrument communautaire est écarté, la Convention de Vienne obéira toujours à une application de type opt-out et seul le choix explicite d’une autre loi pourrait l’écarter. Enfin, on pourrait également considérer que la Convention de Vienne est une loi spéciale par rapport à cet instrument communautaire car son domaine matériel est plus restreint et que dès lors il doit s’appliquer par priorité à défaut de choix contraire. Au contraire, si cet instrument communautaire obéit à une application du type opt-in telle qu’on la retrouve dans les Principes Unidroit ou les Principes Lando, son application ne pourrait être le fait que d’une démarche positive de la part des parties au contrat. Celles-ci devront prévoir explicitement dans leur contrat qu’elles désirent être soumises à cette législation uniforme. A défaut du choix de cet instrument communautaire, c’est la loi normalement applicable en fonction du droit international privé qui s’appliquerait. Cette clause conférerait ainsi aux parties un degré maximal de liberté contractuelle car elles n’y recourraient que si cet instrument correspond mieux à leurs exigences économiques ou juridiques, à ce titre, elle semble avoir la préférence de la Commission. Madame Fauvarque-Cosson fait remarquer que cette dernière option n’est toutefois pas nécessairement compatible avec la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qui interdit aux parties de 232 STAUDENMAYER D., Le plan d’action de la Commission européenne concernant le droit européen des contrats, JCP, 2003, I 127, p. 715. 233 COM(2003) 68 final, n°92. 96 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS choisir autre chose qu’une loi étatique pour régir leur contrat234. Il semble néanmoins que l’article 20 de la convention de Rome qui donne priorité au droit communautaire et notamment aux « actes émanant des institutions des Communautés européennes » comme tel serait le cas de cet instrument optionnel, puisse palier cette difficulté. Il faut également relever que la Commission souhaite autant que possible favoriser le principe de liberté contractuelle aussi, seules les restrictions jugées indispensables telles que celles visant la protection des consommateurs seront-elles envisageables. Pour respecter ce principe de liberté contractuelle, les parties contractantes devraient également avoir la faculté d’adapter les règles spécifiques de ce nouvel instrument en fonction de leurs besoins. En accordant une telle valeur au contrat, la Commission adopte ici une vision subjectiviste du droit international privé. Toutefois, pour que le texte de cet instrument corresponde au mieux aux attentes des parties, la Commission a l’intention de s’inspirer fortement du cadre commun de référence. Plusieurs remarques peuvent être apportées, bien que cet instrument n’ait pas de force contraignante et surtout qu’il n’ait pas vocation à remplacer les droits nationaux, il est possible de faire un parallèle avec ce que nous avons déjà pu signaler à propos d’un éventuel code européen des contrats. En ce qui concerne l’argument culturel, il semble que dans ce cas de figure ce ne soit pas un obstacle, en revanche, si on adopte une analyse économique du droit, on peut reprendre certaines critiques. Cet instrument a pour but de développer le marché intérieur or, comme nous l’avons vu, pour cela, il faut restreindre les coûts engendrés par de tels contrats or, qu’on retienne le système opt-in ou opt-out, les parties devront prendre connaissance de cette nouvelle législation ce qui implique à nouveau du temps et les services de juristes. Ceci est toutefois presque négligeable car il suffit d’une fois, en revanche, si cet instrument ne convient pas aux parties, elles auront à nouveau à assumer les frais d’une négociation et si la loi applicable au contrat n’est pas leur loi nationale, les frais et l’insécurité juridique qui en résultent seront maintenus235. Or, si on se réfère à d’autres instruments actuels d’unification du droit, on se rend compte que la pratique a peu tendance à retenir ce type d’outil, il semblerait que la Convention de Vienne soit souvent écartée mais le système de l’opting out ne permet pas de se faire une idée précise sur la question. En revanche, en ce qui 234 FAUVARQUE-COSSON B., Droit européen des contrats : première réaction au plan d’action de la Commission, D., 2003, Point de vue, p. 1172. 235 COLLINS H., Transaction Costs and Subsidiarity in European Contract Law, contribution au colloque de Leuven, Belgique, des 30 novembre et 1er décembre 2001, Communication from the Commission on European Contract Law. 97 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS concerne les Principes Unidroit qui sont applicables opt-in, la Chambre de commerce international a pu constater que dans moins d’une affaire sur cent qu’elle avait à traiter, les parties avaient entendu se référer aux Principes Unidroit236. Cette réticence pourrait également se manifester à l’égard de cet instrument optionnel, outre l’échec que cela représenterait pour les institutions communautaires, l’objet principal de cette mesure à savoir développer le marché intérieur en diminuant les frais des opérations transfrontalières serait sans échos. Enfin, la Commission ne soulève pas la question de l’interprétation de cet outil, il faut espérer qu’elle aborde ce sujet car si on maintient le statu quo, malgré une législation uniformisée, les divergences entre les Etats membres devraient réapparaître au stade de son application et seraient source d’insécurité juridique. Alors que par ce Plan d’action la Commission refreine ceux qui désiraient l’élaboration d’un code européen des contrats, les réflexions portant sur une uniformisation du droit à grande échelle ne sont pas prêts de s’arrêter (II). II. Une harmonisation de plus grande envergure géographique Comme nous l’avons vu, le rapprochement des législations au sein de l’Union européenne semble un corollaire nécessaire à la volonté de ne plus constituer uniquement une union économique mais également politique. Nous avons pu observer que les freins à une uniformisation légale étaient nombreux et c’est pour cette raison que la Commission a fait le choix de procéder lentement et par étapes avant d’aboutir éventuellement à une uniformisation du droit européen des contrats. Mais la question du rapprochement des législations ne doit pas se poser au niveau des seuls quinze Etats membres. Nous savons que dès 2004, dix nouveaux pays vont adhérer à l’Union et deux autres sont candidats pour 2007, plus tard, la Turquie devrait peut-être également intégrer l’Europe. La question d’un droit européen des contrats semble accessoire à côté de ces bouleversements de structure de l’Europe qui devraient d’avantage occuper les institutions communautaires, mais surtout, a-t-on réellement pris en considération les législations de ces Etats dans la perspective d’un rapprochement. De la même façon qu’on retient qu’aucune solution de rapprochement ne doit heurter la culture 236 HEUZE V., A propos d’une « initiative européenne en matière de droit des contrats », JCP, 2002, I 152, p. 1343. 98 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS juridique d’un Etat membre actuel, il faudra s’assurer de la compatibilité d’un texte uniformisé avec le droit de chacun des Etats adhérents. On sait que pour la plupart d’entre eux, avec la chute du bloc soviétique, ils ont perdu de nombreux repères en matière juridique mais pour autant, ils ne doivent en aucun cas être exclus de ce débat. Au contraire, ils sont dans une phase propice à l’élaboration d’un droit qui leur est parfaitement adapté et qu’ils auront totalement choisi. Or, il ne semble pas que les travaux tant de la commission Lando, que ceux du groupe von Bar ou ceux des académiciens de Pavie les aient pris en compte, gageons que les institutions communautaires sauront le faire. Toutefois, il faut relever que dans l’ensemble, leurs législations ne devraient pas être trop éloignées des divers projets de rapprochement car pour l’élaboration de leurs nouvelles lois, ils se sont largement inspirés de textes modernes comme le Code civil néerlandais, la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises ou encore les Principes Unidroit qui devraient également servir de base à une uniformisation communautaire. En outre, au-delà de l’Europe, qu’elle soit à quinze ou élargie, les plus utopistes pensent à un rapprochement à l’échelle internationale. Depuis les débuts du droit comparé il y a plus d’un siècle, Salleiles ou Josserand rêvaient d’un droit commun universel. Si aujourd’hui la majorité des auteurs qui prônent un rapprochement des législations l’envisagent à une échelle géographique restreinte, certains imaginent qu’il soit mondial. Le Professeur De Geest de law & economics aux universités d’Utrecht et de Gand, propose notamment l’élaboration d’un code international très détaillé de type opt-out. Ses justifications sont très proches de celles retenues pour l’élaboration d’un code européen des contrats, il s’agit de réduire les frais suscités par le commerce transfrontière et plus généralement de faciliter les échanges entre les Etats. L’auteur prévoit également qu’il s’agirait d’une œuvre doctrinale qu’une institution internationale devrait coordonner, il aborde également la question d’une éventuelle cour internationale mais selon lui, si cette institution met régulièrement à jour le texte, il ne devrait pas y avoir de difficulté d’interprétation ce qui permettrait d’économiser la création d’une telle cour. Ce projet nous semble illusoire et en pratique nous doutons de son intérêt car comme nous l’avons vu, plus l’échelle géographique est large, plus il est difficile d’adopter un texte exhaustif car de trop nombreux compromis sont à faire. Nous avons donc du mal à envisager que ce code puisse être aussi détaillé que l’auteur le prétend. Quoi qu’il en soit, ce projet témoigne de ce que le rapprochement des législations est une grande 99 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS préoccupation actuelle et que des projets a priori aussi utopistes devraient servir de moteur à un rapprochement communautaire. 100 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS CONCLUSION Il ressort de l’ensemble de ces considérations qu’un rapprochement du droit des contrats au niveau communautaire est nécessaire pour réaliser le marché commun mais qu’il correspond également à une évolution logique et naturelle. De même que la constitution communautaire, il correspond à une des manifestations du rôle croissant de l’Union, y mettre un terme serait certainement aller à l’encontre de l’histoire. En revanche, on ne sait pas quelle forme doit prendre ce rapprochement, alors que l’Académie de Pavie et le groupe von Bar proposent un véritable code ce qui correspond à une étape ultime du rapprochement, il semble qu’actuellement la Communauté ne voit pas aussi loin. A ce titre, il faut d’ailleurs remarquer que la Communauté est ici en recul, comme nous l’avons vu, en 1989 le Parlement envisageait l’hypothèse d’un code communautaire, aujourd’hui sa position est plus prudente. Toutefois, il semblerait que les travaux du groupe von Bar aient plus d’échos auprès de la Communauté que ceux des académiciens de Pavie mais ceci ne paraît pas se justifier par des considérations de fond car il n’y a pas de prise de position claire de sa part sur ce point. Ce penchant s’expliquerait plutôt par la plus grande notoriété du groupe allemand qui a peut-être mieux géré sa communication et ce notamment, en s’associant à la commission Lando. Néanmoins, il existe une certitude, ce rapprochement doit se faire lentement, par étapes et si son évolution n’est pas satisfaisante, il doit être interrompu le temps de le réorganiser. Selon nous, même s’il ne faut rien précipiter, ce rapprochement devrait à terme prendre la forme d’un code et passer par une réforme judiciaire, à défaut, d’une part cette réforme paraîtrait inachevée, d’autre part comme nous l’avons déjà signalé, elle serait inefficace car les divergences réapparaîtraient certainement au stade de l’application. En outre, parallèlement aux trois étapes proposées par la Commission, on peut également envisager, dans l’optique d’un code, l’élaboration de lois-cadres. Celles-ci permettraient aux juges mais également à l’ensemble des praticiens, de tester leur efficacité et d’approfondir les différentes problématiques. Elles serviraient ainsi de point de départ et, pour reprendre le terme du Professeur Gandolfi, de « rodage » 237 en vue de l’élaboration d’un code futur qui tiendrait également compte du débat qu’elles auraient suscité. Si un code européen des contrats va dans 237 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 713. 101 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS le sens de l’histoire, il y a lieu de se demander si nous ne sommes pas en présence d’une troisième génération de législateurs. La première génération dont est issu le Code civil français, découlerait du droit naturel, le BGB et le code civil italien correspondraient à la deuxième génération et enfin, la troisième génération serait celle du législateur européen238. Pour conclure, quelle que soit la forme du rapprochement, il semblerait que ce processus soit irréversible239, en revanche, son contenu est très incertain car il sera nécessairement politique. A ce titre, nous pouvons nous rallier à la position du Professeur néerlandais Martin Hesselink240, qui constate que les communications de la Commission sont fortement marquées par une idéologie libérale de marché. Or, l’histoire montre qu’il faut avoir une confiance limitée dans le marché car il n’est pas omnipotent et que tous les agents économiques sont loin de se comporter systématiquement de façon rationnelle. Aussi, faut-il espérer que l’idéologie de marché ne sera pas la seule source politico-économique du rapprochement des législations mais que des considérations sociales entreront également en jeu et en particulier que les parties faibles bénéficient d’une protection appropriée. 238 GANDOLFI G., Pour un code européen des contrats, RTD Civ., 1992, p. 720, reprenant une hypothèse d’E. A. Kramer. 239 ZIMMERMANN R., Civil code and civil law, The « Europeanization » of Private Law Within the European Community and the Re-emergence of a European Legal Science, The Columbia Journal of European Law, 1994/95, vol. 1, p. 104. 240 HESSELINK M. W., The Politics of European Contract Law : Who has an Interest in What Kind of Contract Law for Europe ?, contribution au colloque de Leuven, Belgique, des 30 novembre et 1er décembre 2001, Communication from the Commission on European Contract Law. 102 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS BIBLIOGRAPHIE MANUELS ET TRAITES BENABENT A., Droit civil, Les obligations, 8ème éd., Montchrestien, 2001. CORNU G., Vocabulaire Juridique de l’Association Henri Capitant, 7ème éd., Puf, 1998. LOUSSOUARN Y., BOUREL P., Droit international privé, 7ème éd., Précis Dalloz, 2001. MALAURIE P., AYNES L., GAUTIER P.-Y., Contrats spéciaux, 14ème éd., Cujas, 2001. 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Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur un plan d’action pour un droit européen des contrats plus cohérent du 12 février 2003, COM(2003) 68 final, JOCE C 63/38 du 15/03/2003. OUTILS OPTIONNELS DE RAPPROCHEMENT Les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, 1994, consultables sur le site http://www.unidroit.org/french/principles/contents.htm. Les Principes du droit européen des contrats, 1998, consultables sur le site http://www.jura.uni-augsburg.de/altepage/Fakultaet/Moellers/pecl_fr.html. Code européen des contrats. Avant-projet de l’Académie des privatistes européens de Pavie, Gaz. Pal., 2003, n° 52 à 56. NOTES ET ARRETS CJCE, 29 novembre 1956, Fédéchar Rec., p.291 112 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS CJCE, 22 avril 1999, Travel Vac., aff. C-423/97, Rec., p. 2195. CJCE, 23 novembre 1999, Arblade, aff. jointes C-369/96 et C-376/96. 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SITES INTERNET Site du Parlement Européen : http://europa.eu.int/ Site de la Commission européenne : http://europa.eu.int/ Site de la Direction Générale de la santé et de la protection des consommateurs : http://europa.eu.int/comm.dgs/health_consumer/index_fr.htm Site de la Commission européenne consacré au droit européen des contrats : http://europa.eu.int/comm/consumers/policy/developments/contract_law/com_2003_68_fr.pdf Site de la Commission consacré à la brochure de la documentation européenne « Les Européens vus par eux-mêmes », les enseignements des sondages d’opinion, 2001 : http://europa.eu.int/comm/publications/booklets/eu_documentation/05/index_fr.htm Site de la Commission consacré aux études de sondages : http://europa.eu.int/comm/public_opinion/index_fr.htm Site de la Cour de justice des Communautés européennes : http://curia.eu.int/fr/ Site du Ministère de la justice : http://www.justice.gouv.fr 113 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS Site de la Commission Lando : http://www.cbs.dk/departments/law/staff/ol/commission_on_ecl/index.html Site du Groupe d’Etudes sur un code civil européen : http://www.sgecc.net/ Site du fonds commun du droit privé européen : http://www.CommonCore-home.htm Site UNIDROIT : www.unidroit.org Site du programme de recherche de l’université de Trente : http://www.jus.unitn.it/dsg/common-core/ Site de l’académie de droit européen de Trèves : http://www.era.int/ Site de l’avenir de la langue française : http://www.avenirlanguefrancaise.org/ 114 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS TABLE DES MATIERES INTRODUCTION.......................................................................................................................1 1.Les prémices d’un rapprochement des législations..................................................3 2.Les différentes modalités de rapprochement............................................................4 3.Le rapprochement des législations au niveau communautaire.................................7 TITRE I : UNE VOLONTE DE RAPPROCHEMENT DES LEGISLATIONS AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE...............................................................................................................10 SECTION I. DES CONSTATS NEGATIFS DU MARCHE INTERIEUR......................... 11 Sous-section 1. L’inégalité des différents opérateurs face au principe de libre échange.. 11 I. Les grandes entreprises familières du libre échange..................................................11 II. La méfiance des consommateurs et des PME pour les contrats transfrontaliers...... 14 Sous-section 2. Le manque de cohérence de la législation communautaire..................... 17 I. Une législation adoptée secteur par secteur............................................................... 17 II. Une application et une interprétation irrégulières du droit communautaire dérivé.. 21 A.Un niveau de cohérence variable selon le type de droit dérivé retenu.................. 21 B.L’exemple de la directive 1999/44........................................................................ 24 SECTION II. LA NECESSITE D’UNE NOUVELLE APPROCHE DU DROIT DES CONTRATS..........................................................................................................................28 Sous-section 1. Le Code civil français, un outil dépassé.................................................. 28 I.Un contenu plus en harmonie avec son temps............................................................ 28 A.Le rôle du juge.......................................................................................................28 1)Une interprétation à la lumière du contexte historique......................................30 2)L’alignement des solutions nationales sur les droits étrangers.......................... 31 B.Le BGB, un exemple de modernisation à méditer.................................................33 II.La directive 1999/44, l’occasion de réformer le Code civil...................................... 35 A.Les obligations de garantie du vendeur en droit français...................................... 36 B.La consécration de la conception moniste de l’obligation de garantie du vendeur dans la directive sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation........................................................................................................... 38 Sous-section 2. Le rapprochement des législations...........................................................40 115 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS I.Quel champ géographique pour un rapprochement ?................................................. 41 A.Le rapprochement issu du droit international inadapté au marché unique............41 1)Les résultats limités du droit conventionnel...................................................... 41 2)L’empiètement du droit communautaire sur le droit international.................... 42 B.Une impulsion forte en faveur d’un rapprochement au niveau communautaire... 44 1)Un nouveau jus commune ?...............................................................................44 2)L’impulsion des autorités communautaires....................................................... 46 II.Les domaines concernés par le rapprochement......................................................... 48 A.Le domaine matériel du rapprochement................................................................48 B.Le domaine personnel du rapprochement..............................................................50 TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DU RAPPROCHEMENT.................................................52 SECTION I. LES PROPOSITIONS DOCTRINALES.........................................................53 Sous-section1. Des rapprochements non contraignants.................................................... 53 I.Le travail de droit comparé......................................................................................... 53 A.La conciliation des différents systèmes juridiques................................................54 B.Les travaux des universitaires de Trente............................................................... 57 II.L’hypothèse de principes du droit européen des contrats..........................................59 A.Les Principes du droit européen des contrats de la Commission Lando............... 59 1)Une œuvre doctrinale.........................................................................................60 2)Le mode opératoire de la Commission Lando................................................... 62 B.Le contenu des Principes....................................................................................... 63 1)La préservation du contrat................................................................................. 64 2)Le juge, acteur du contrat...................................................................................67 Sous-section 2. L’hypothèse d’une uniformisation à vocation contraignante...................69 I.L’élaboration d’un code européen.............................................................................. 69 A.L’élaboration d’un code unique pour l’ensemble de la communauté................... 70 B.Les bases contestables de tels travaux...................................................................72 1)Une méthode et une légitimité incertaines.........................................................72 2)L’absence de base juridique satisfaisante.......................................................... 74 II.Une œuvre difficile à mettre en place........................................................................77 A.Les freins culturels................................................................................................ 78 B.Les coûts d’une unification du droit des contrats.................................................. 81 116 LE RAPPROCHEMENT DU DROIT EUROPEEN DES CONTRATS 1)Les coûts inhérents à l’unification..................................................................... 81 2)La réorganisation du système judiciaire.............................................................84 SECTION II. LE CHOIX DE LA COMMISSION............................................................... 88 Sous-section 1. La confirmation d’une approche sectorielle............................................ 88 I.L’amélioration de l’acquis communautaire................................................................ 89 II.L’élaboration de clauses contractuelles types............................................................92 Sous-section 2. Les domaines de réflexion à plus long terme.......................................... 94 I.L’adoption d’un instrument optionnel dans le domaine du droit européen des contrats .......................................................................................................................................95 II.Une harmonisation de plus grande envergure géographique.....................................98 CONCLUSION....................................................................................................................... 101 BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................. 103 TABLE DES MATIERES...................................................................................................... 115 117