Note Jérôme Jaffré

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Note Jérôme Jaffré
2012 - Les électorats politiques
2012
Elections
Les électorats politiques
L’abstention aux
élections présidentielles
N°7
Avril 2012
Jérôme Jaffré
Directeur du Centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique (CECOP)
Chercheur associé
www.cevipof.com
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Centre de recherches politiques
2012 - Les électorats politiques
N°7
Avril 2012
Jérôme Jaffré
Directeur du Centre d’études et de connaissance sur
l’opinion publique (CECOP)
Chercheur associé
L’abstention aux élections présidentielles
La montée de l’abstention est une tendance lourde de la vie politique
française depuis une vingtaine d’années. Seule l’élection présidentielle
suscite encore une forte participation. Dans le top 10 des premiers tours
de tous les types de scrutin confondus depuis 1965 pour l’abstention la
plus faible, neuf concernent l’élection présidentielle. Et le premier tour
de la présidentielle de 2007 a même établi un record de participation.
Dans ces conditions, l’un des enjeux de 2012 est de savoir si la
présidentielle restera à un haut niveau de mobilisation des électeurs ou
s’inscrira dans la tendance lourde de l’accroissement de l’abstention.
I. Un scrutin-roi de la Ve République
Du point de vue de la mobilisation
électorale, l’élection présidentielle est bien le
scrutin-roi de la Ve République, celui qui suscite la
plus faible abstention. En examinant la moyenne
de l’abstention depuis 1965 aux premiers tours
des différents types de scrutin (tableau 1), on
constate que la présidentielle se place nettement
en tête de tous les scrutins pour la mobilisation
électorale1 .
Tableau 1 - Moyenne d’abstention aux différents
scrutins, 1965-2011
Présidentielle
18,8 %
(7 el.)
Législatives
24,5 %
(11 el.)
Municipales
27,3 %
(7 el.)
Régionales
32,8 %
(5 el.)
Cantonales
38,2 %
(11 el.)
Européennes
49,5 %
(7 el.)
La logique des scrutins est claire. Ce
sont les élections nationales qui se classent en
tête de la mobilisation électorale. Présidentielle
puis, assez loin derrière, les législatives, qui,
dans la dernière période, ont souffert d’être
organisées dans la foulée de la présidentielle,
devenant en partie un scrutin de second rang.
Puis viennent les élections locales (municipales,
régionales et cantonales) et ferme la marche le
scrutin le plus extérieur au système politique
national : les européennes.
La présidentielle est le scrutin-roi car
elle est tout à la fois une élection décisive,
personnalisée et globale. Décisive, car il s’agit de
désigner celui ou celle qui occupera la fonction la
plus importante de la République. Personnalisée,
car le scrutin oppose non pas des partis mais des
personnalités avec une histoire propre et des
liens tissés ou non avec les Français. Globale, car
chaque voix compte autant qu’une autre. Alors
qu’aux autres scrutins, la voix de l’électeur de
gauche du 16e arrondissement de Paris est
perdue tout comme celle de l’électeur de droite
de Liévin (Pas-de-Calais), rien de tel à la
présidentielle.
Si l’on classe toutes les élections depuis
1965 selon leur niveau de participation, neuf des
dix premières places sont occupées par la
présidentielle. La seule exception est celle des
législatives de 1978 marquées par un
affrontement maximal entre gauche et droite
autour du Programme commun. Ce n’est pas un
Tous les chiffres cités dans cette note proviennent de calculs effectués à partir de la base EDEN des données électorales
du CEVIPOF et concernent la seule métropole.
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2012 - Les électorats politiques
hasard si les deux records de participation en
France encadrent cette date de 1978 et
concernent les seconds tours des présidentielles.
En 1974 avec 12,1% seulement d’abstention,
record absolu de l’histoire politique française. Et
juste en-dessous, la présidentielle de 1981 avec
13,6% d’abstention. Deux élections aux résultats
très incertains et qui paraissaient engager
l’avenir de la société française, bien au-delà
d’une simple alternance.
II. 1974, 2002 et 2007
Ces références assez lointaines
indiquent que les participations massives ne sont
plus qu’exceptionnelles. Au surplus, l’abstention
varie assez fortement d’une élection
présidentielle à l’autre (tableau 2). Lors du
premier scrutin en 1965, l’appropriation des
Français fut immédiate avec 15% d’abstention,
record absolu de l’histoire politique française
tenu jusqu’en 1974. 2002 fut à l’inverse
l’élection de tous les refus avec, entre autres, le
taux d’abstention record des présidentielles
(27,2%). La conjonction d’un nombre record de
candidats (seize), d’une campagne décevante et
d’une cohabitation interminable fut à l’origine de
la très forte abstention et de la qualification
surprise de Jean-Marie Le Pen.
Tableau 2 - L’abstention au 1er tour
des huit élections présidentielles
1965
1969
1974
1981
1988
1995
2002
2007
15,0%
21,8%
15,1%
18,4%
18,0%
20,6%
27,2% ➚
14,7% ➘
C’est précisément le souvenir de 2002
qui explique en large partie la participation record
de 2007 avec seulement 14,7% d’abstention,
meilleur résultat des premiers tours des huit
élections présidentielles. Si se retrouvent les
niveaux des années 70, depuis lors le centre de
gravité géographique et sociologique de
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l’abstention s’est déplacé. En 1974, les régions
les plus participationnistes étaient situées dans la
partie nord et est du pays. La France industrielle
et ouvrière au vote gaulliste et communiste était
la moins abstentionniste.
En 2007, la carte de l’abstention a
beaucoup changé. La Picardie, première région
participationniste en 1974 est devenue seizième,
le Nord-Pas-de-Calais, deuxième en 1974, est
désormais à la vingt-et-unième place des régions,
l’avant-dernière. La Haute-Normandie troisième
devient dix-septième. Et Champagne-Ardenne,
neuvième alors, devient vingtième. La France
participationniste de 2007 se situe désormais
dans la partie ouest du pays et dans son centre.
La France socialiste est désormais la plus
participationniste. L’Auvergne cinquième en 2007
n’était que seizième en 1974, l’Aquitaine
désormais troisième était onzième, la Bretagne
deuxième n’était que septième et, enfin, MidiPyrénées, premier en 2007 n’était que huitième
en 1974. Il est significatif de constater que la
France ouvrière du Nord et de l’Est devenue
beaucoup plus abstentionniste correspond à des
zones de développement du vote Front national.
III. Et 2012 ?
À l’inverse de 2007, la présidentielle de
2012 pourrait être un scrutin de forte abstention,
tout au moins pour ce type d’élection. Cette fois-ci,
la campagne paraît bien décevante et le vote
nourrit peu d’espoir d’amélioration de la situation
de la France et du sort des Français. Au surplus,
depuis les législatives de 2007, chaque scrutin a
battu dans sa catégorie le record d’abstention de
toute l’histoire électorale. C’est vrai des
législatives avec 39% d’abstention en juin 2007,
chiffre le plus élevé depuis les premières
statistiques datant de… 1876. C’est vrai aussi des
municipales avec 33,5% en 2008, des européennes
en 2009 avec 58,7%, des régionales en 2010 avec
53,6% et, enfin, des cantonales de 2011 avec
55,7%. C’est un signe fort que la défiance des
Français envers leur représentation politique
s’accroît et que la notion de devoir civique s’est
profondément transformée.
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2012 - Les électorats politiques
Le second tour de 2012 pourrait être
celui d’un certain rattrapage. C’est souvent le cas
à la présidentielle (tableau 3).
Tableau 3 - La sur-mobilisation du second tour
des présidentielles
1er tour
2e tour
Ecart
➚
➘
Pour aller plus loin :
> LANCELOT (Alain), L’Abstentionnisme
électoral en France, Paris, Armand Colin,
Cahiers de la Fondation nationale des
sciences politiques, 1968,
XIV p.-290 p.
> JAFFRÉ (Jérôme) et MUXEL (Anne),
« S’abstenir : hors du jeu ou dans le
jeu politique ? », Pierre Bréchon,
Annie Laurent et Pascal Perrineau
(dir.), Les Cultures politiques des Français,
Paris, Presses de Science Po, 2000,
pp. 19-52. [ISBN 978-2-7246-0802-1]
1965
15,0 %
15,5 %
+ 0,5 pt
1969
21,8 %
31,0 %
+ 9,2 pts
1974
15,1 %
12,1 %
- 3 pts
1981
18,4 %
13,6 %
- 4,8 pts
1988
18,0 %
15,8 %
-2,2 pts
1995
20,6 %
19,5 %
- 1,1 pts
> JUGNOT (Stéphane),
« La participation électorale en 2007 :
la mémoire de 2002 », INSEE Première,
n° 1169, décembre 2007, 4 p.
http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/
ip1169/ip1169.pdf
2002
27,2 %
19,1 %
- 8,1 pts
> MUXEL (Anne), « Le retour de la
2007
14,7 %
14,7 %
+ 0,03 pt
À l’exception de 1969 où le Parti
communiste, alors très puissant, et l’extrême
gauche avaient appelé à l’abstention dans un
choix restreint au gaulliste Georges Pompidou et
au centriste Alain Poher, le second tour est
marqué par une participation la plus souvent
supérieure à celle du premier tour. Cela a été
particulièrement vrai en 2002, où l’élimination
de Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen a
précipité les électeurs dans une participationregret. Mais, en règle générale, l’abstention
décroît entre les deux tours de la présidentielle
d’environ trois points. Plus le résultat paraît
incertain au vu des sondages, plus le choix
proposé paraît important, plus le phénomène se
vérifie. Deux conditions dont il est encore trop tôt
pour dire si elles se trouveront réunies le jour du
second tour le 6 mai 2012.
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participation électorale », Pascal
Perrineau (dir.), Le Vote de rupture : les
élections présidentielle et législatives d’avriljuin 2007, Paris, Presses de Sciences
Po, Chroniques électorales, 2008,
pp. 99-117.[ISBN 978-2-7246-1068-0]
http://www.cairn.info/load_pdf.php?
ID_ARTICLE=SCPO_PERRI_2008
_01_0099
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