Gibraltar, le «Rocher» de la discorde

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Gibraltar, le «Rocher» de la discorde
Gibraltar, le «Rocher» de la
discorde
12/08/2013 à 20:57
12.08.2013-Le Figaro (France)
http://www.lefigaro.fr/international/2013/08/12/01003-20130812ARTFIG00456-gibraltar-le-rocher-dela-discorde.php
Le torchon brûle entre Londres et Madrid autour de cette enclave britannique dont
l'Espagne revendique la souveraineté. Un contentieux qui dure depuis 300 ans.
Jusqu'où iront les provocations entre l'Espagne et le Royaume-Uni? Depuis quelques
jours, les deux pays s'écharpent autour de Gibraltar, enclave britannique située à
l'extrême sud de l'Espagne. Le problème, selon le chef du gouvernement espagnol
Mariano Rajoy «est né parce que les 24 et 25 juillet un remorqueur de Gibraltar a jeté
dans l'eau de la baie d'Algeciras 70 blocs de bétons d'environ un mètre cube et demi,
d'où sortent des barres de fer de cinquante centimètres de long et plusieurs
centimètres d'épaisseur». Un dispositif «inacceptable» qui entrave le travail des
pêcheurs espagnols, accuse Madrid.
Depuis, c'est l'escalade. En représailles, l'Espagne a menacé d'instaurer un péage de 50
euros à l'entrée de Gibraltar, et a surtout durci ses contrôles douaniers à la frontière
du «Rocher», entrainant des files d'attente interminables qui exaspèrent locaux
comme touristes. Ce lundi, Londres a annoncé étudier la possibilité de poursuivre
l'Espagne à propos de ses contrôles «disproportionnés» alors qu'un bâtiment de la
Royal Navy a mis le cap sur Gibraltar. La veille, une source diplomatique indiquait que
l'Espagne envisageait d'en appeler aux Nations unies.
Une histoire émaillée de crises
La crise entre Londres et Madrid autour du «Peñón» («Rocher» en espagnol) ne date
pas d'hier. Ce territoire de 7 km2 et de 30.000 habitants, qui bénéficie d'un
emplacement stratégique, gangrène leur relation depuis qu'il a été cédé à perpétuité à
l'Angleterre par l'Espagne par le traité d'Utrecht en 1713, il y a tout juste 300 ans. Le
«Rocher» était alors occupé depuis neuf ans par les troupes britanniques, qui s'en
étaient emparé lors de la guerre de succession d'Espagne.
Londres y a longtemps maintenu une importante présence militaire. Toutefois, «il n'y a
depuis jamais eu de conflit armé autour de la question de Gibraltar et l'Espagne n'avait
de toute façon pas la capacité militaire de revendiquer ce bout de territoire», rappelle
Alejandro Barón, chercheur à l'institut espagnol Fride (Fondation pour les relations
internationales et le dialogue extérieur). Le«Peñón» a cependant alimenté de
nombreuses crises. «En 1969, Franco a fait fermer le côté espagnol de la frontière»,
rappelle ainsi le chercheur. Une situation qui dura jusque dans les années 1980. Le
quotidien britannique The Guardian cite pour sa part d'autres moments clés, comme
en 1954, quand l'Espagne coupa les liaisons aériennes pour protester contre la visite
de la reine à Gibraltar. Il rappelle aussi que le roi Juan Carlos a boycotté le mariage du
Prince Charles et de Lady Diana en 1981 alors que le couple voulait entamer sa lune de
miel sur le «Rocher». L'an dernier encore, la reine Sofia a décliné l'invitation de la reine
Elisabeth II qui fêtait son jubilé de diamant.
«Cette affaire sert probablement à détourner l'attention du scandale de
corruption qui implique une grande partie du gouvernement»
(Alejandro Barón, chercheur à la Fride)
Les «bonnes relations entre les premiers ministres Tony Blair et José María Aznar» ont
permis un rechauffement des relations, rappelle Alejandro Barón. Dans un effort
diplomatique, Tony Blair avait même proposé la mise en place de la co-souveraineté
entre l'Espagne et la Grande-Bretagne… Un projet rejeté par plus de 98% des locaux
lors d'un référendum en 2002.
Un enjeu principalement fiscal
Depuis l'arrivée du gouvernement Rajoy fin 2011, le ton s'est durci. Aujourd'hui, les
enjeux ne sont plus militaires: ils se concentrent principalement sur la pêche et la
fiscalité. Avec une croissance insolente (7,8% en 2012) et un chômage quasi-nul (2,5%),
Gibraltar nargue sa voisine andalouse , région où le chômage dépasse les 35%. Le
«Rocher», qui doit sa bonne santé aux services bancaires et financiers et aux jeux en
ligne notamment , est accusé par Madrid d'être un paradis fiscal. Et même s'il a aboli
son régime exemptant d'impôts certaines entreprises, le taux désormais appliqué
(10%) sur ce territoire reste bien inférieur à celui de l'Espagne (30%).
Difficile de dire jusqu'où ira la crise actuelle, même si chacun s'accorde pour dire
qu'une guerre entre les deux pays est tout simplement impensable. «Même si certains
membres très conservateurs du gouvernement veulent faire pression pour un
«Gibraltar espagnol» ils savent très bien que c'est impossible», estime Alejandro
Barón, qui ajoute:«Il faut remettre toute cette affaire dans un contexte où l'économie
ne relève pas la tête. D'autre part, cette affaire sert probablement à détourner
l'attention du scandale de corruption qui implique une grande partie du
gouvernement.»