Lire le texte de Valérie Mréjen sur cette série

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The Fabulous Adventures of Cécile & Thierry
Cécile et Thierry pourraient être les personnages d'une
méthode de français : ils sont gentils mignons et jeunes, ils
portent des prénoms normaux, ils représentent l'idée du
neutre. Le genre de gens dont on dira après le drame qu'ils
étaient sans histoires.
Le ciel est bleu, ils sont heureux, ils n'ont pas de cernes,
ils adorent se photographier.
Emmanuelle Barge reprend certaines de leurs images pour
nous les présenter, et son intervention fort minimale
consiste simplement à les classer et à les encadrer.
Si un artiste décidait de fabriquer un tel travail sur le
bonheur en couple, de mettre en scène ces purs
stéréotypes publicitaires, il atteindrait sans doute
difficilement un tel degré de perfection. Fatalement, par le
choix d'un vêtement ou d'un site, son regard nous
apparaîtrait, l'on devinerait un désir de « pointer du doigt »
derrière une ironie plus ou moins assumée (car sinon,
pourquoi vouloir évoquer cette effrayante conformité ?).
Or justement, ce qui fascine dans les photos de Cécile et
Thierry est l'absence de recul. Comment de « vraies
personnes » - peuvent-elles s'identifier à ce point à des
représentations et des clichés standards ? Dans sa façon de
les utiliser, Emmanuelle Barge ne cherche pas à se placer
au premier plan ni en rivalité avec "Les Cosnuau". Son
geste consiste à nous montrer un monde, à révéler
finement l'horreur de leur image parfaite. Elle nous injecte
l'air de rien une goutte de que sera sera. Nous voyons un
jeune couple avec les pommettes roses et la mort nous
étrangle. Comme ces journaux qui reproduisent les
portraits des victimes souriantes et insouciantes avant leur
accident. Un léger dépassement de regard, et ce sont plus
ni les vacances ni le voyage de noces mais l'idée de sursis,
l'omniprésence de la menace, le vrai visage de Dorian
Gray.
— Valérie Mréjen
Texte écrit à lʼoccasion de la présentation de la série Les Cosnuau de Emmanuelle Barge lors des Rencontres
photographiques dʼimage/imatge : Ce que nous voyons comme si nous le voyions en octobre-novembre 2002.