UN RITE VESTIMENTAIRE : LA "KIPA" Par le Grand Rabbin de

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UN RITE VESTIMENTAIRE : LA "KIPA" Par le Grand Rabbin de
UN RITE VESTIMENTAIRE : LA "KIPA"
Par le Grand Rabbin de Paris, Michel Gugenheim
« Rav Houna, fils de Rav Yehochoua, ne parcourait jamais quatre coudées
(deux mètres) la tête nue. Il disait : la présence divine est au-dessus de ma tête. »
(Kidouchin 31a).
Un Juif pratiquant garde constamment la tête couverte. C'est pour lui une seconde
nature, une nécessité aussi évidente que de manger ou de s'habiller. Il n'est pas
rare, ainsi, de voir des malades en état de grande faiblesse, quasi-inconscients,
réclamer comme par réflexe, leur kipa –leur calotte : sans elle, ils ont comme
l'impression d'être tout nus. Parallèlement, toute personne croisée dans la rue la tête
coiffée d'une kipa, est automatiquement supposée fidèle aux observances du
judaïsme, et fière de l'être. Ce phénomène très remarquable mérite un rappel de son
origine, de sa signification et de l'importance qu'il occupe au sein de la halakha, la loi
juive.
Paradoxalement, il n'existe aucune source talmudique interdisant de manière
explicite de rester tête nue. Par contre, de nombreux passages, tel celui cité au début
de ces lignes, indiquent clairement que les Sages veillaient à s'abstenir de marcher
nu-tête. Il semble, en fait, que même la prononciation tête nue du Nom divin ait fait
l'objet d'un débat à l'époque talmudique (Traité Sofrim, XIV, 15). Cela explique que
certains textes du Moyen Age (Or Zaroua, 2e p., chap. 43) décrivent "l'usage de nos
maîtres de France qui permettent de réciter une bénédiction tête nue".
Dans ces conditions, c'est la position du Choul'han Aroukh, code officiel du droit
rabbinique, qui doit fixer le point de vue de la halakha en la matière. Mais, en
l'occurrence, l'interprétation du code est elle-même problématique. En effet, il énonce
(Ora'h 'Hayim, 91, 3) qu'il est interdit de prononcer le Nom divin et aussi de pénétrer
dans une synagogue la tête nue, ce qui laisse entendre qu'en d'autres circonstances
le port d'un couvre-chef est facultatif. Pourquoi alors, stipule-t-il (Ib. 2, 6)" de ne pas
parcourir quatre coudées nu-tête, par égard à la présence divine" ?
AFFIRMATION DE LA PRESENCE DIVINE
En réalité, explique l'auteur du Maguen Avraham, cette dernière injonction n'a pas
réellement valeur de défense, mais seulement de recommandation : il s'agit d'une
midat 'hassidout - une mesure de piété. Cette opinion, qui rejoint la position de la
plupart des décisionnaires, cadre parfaitement avec la signification de ce rite
vestimentaire, telle qu'elle ressort des textes rabbiniques. Il s'agit, en effet, avant tout
d'une marque de piété et, plus précisément, de l'expression du sentiment constant de
la présence divine - sentiment qui, d'ailleurs, inspire et guide tout le comportement du
Juif : "la présence divine est au-dessus de ma tête". L'affirmation de cette présence
débouche naturellement sur la pratique et l'action : en se couvrant la tête, le fidèle
manifeste aussi publiquement sa soumission à D., sa volonté de Le servir. C'est
pourquoi le Talmud (Chabbat 156b) suggère qu'une telle discipline apporte à qui s'y
astreint une véritable protection contre le péché. Dans le même esprit, ajoute le Rav
S.R. Hirsch ('Horev), la coiffure rituelle rappelle à l'homme que le territoire qui lui est
dévolu est limité : au-dessus de lui s'étend un domaine pur, éternel, qui appartient à
D. Et si dans l'univers inférieur des relations entre les hommes, seules les parties du
corps empreintes d'animalité doivent être couvertes, dans la relation verticale de
l'homme à D., la.tête, trop corporelle encore face au pur esprit, se doit d'être
modestement voilée.
Selon Rav Kouk enfin (Mitsvat Reïya), l'homme doit couvrir toute partie du corps
susceptible de servir à un usage honteux, afin d'être conscient constamment de ce
risque, et de se prémunir contre lui. Or la tête, qui contient le cerveau, et qui a été
conçue pour les fonctions les plus nobles, est néanmoins, elle aussi, susceptible
d'activités -de pensées- indignes et dépravées. Elle se doit donc, également, d'être
préventivement recouverte.
NECESSITE IMPERIEUSE
Il importe de noter que les décisionnaires de notre temps s'accordent à considérer
aujourd'hui le port d'un couvre-chef comme une nécessité plus impérieuse qu'une
simple "mesure de piété".
Ainsi, le grand rabbin 'Ovadia Yossef (Ye'havé Daat t. 4, 1) fait observer que ce détail
vestimentaire est devenu le signe et le symbole de la religiosité, et qu'en marchant
nu-tête on donne l'impression d'être partisan du rejet de la pratique des mitsvot.
Donner prise à de tels soupçons est naturellement très préjudiciable et condamnable,
en vertu d'un principe du droit rabbinique fondé sur l'Ecriture-même : "Vous serez
quittes envers D. et envers Israël" (Nombres, 32, 22).
Rabbi Moché Feinstein, l'illustre sommité américaine, de mémoire bénie, va plus loin
encore. Si, à l'origine, le port d'un couvre-chef ne relevait que de la « mesure de
piété », il n'en a pas moins été adopté par l'ensemble de la communauté. A ce titre il
est promu au rang de coutume -minhag- qui, elle, a force de loi. Il faudrait, dès lors,
que le maintien de la tête couverte entraîne une perte d'argent considérable - telle,
par exemple, que la perte de son emploi - pour qu'on en soit dispensé. (Igrot Moché,
Ora'h 'Hayim, t. 1 et 4).
Qu'il nous soit permis d'ajouter, pour combattre une idée relativement répandue, qu'il
n'y aurait nullement hypocrisie ou incohérence, dans un tel cas, à se recouvrir la tête
dès que la situation le permet.
Ce serait, au contraire, se montrer fidèle tant à la lettre qu'à l'esprit d'une loi qui, par
son caractère souple, évolutif, et pour tout dire vivant, constitue une illustration
particulièrement représentative de l'ensemble de la législation juive.