La grande sculpture antique en bronze assem b
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La grande sculpture antique en bronze assem b
1002_0065_P_020_022_ACTU_TECHNOLOGIE actualités I 16/03/10 13:06 Page 20 technologie SOUDAGE ANTIQUE La grande sculpture antique en bronze assem b On savait déjà que la fabrication des grandes sculptures de bronze de l’Antiquité nécessitait la maîtrise de techniques de moulage à la cire perdue très élaborées. Les travaux expérimentaux engagés actuellement au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France montrent que cela ne suffisait pas, il fallait également être capable d’assembler les différentes pièces de la statue au moyen d’un procédé complexe de soudage par fusion au bronze liquide. Premiers résultats de l’étude expérimentale de ces techniques menée par Aurélia AZEMA et Benoît MILLE. De récentes études techniques ont révélé que les grandes statues antiques en bronze n’ont pas été coulées d’un seul jet – en dépit d’une remarquable maîtrise des procédés de fonte à la cire perdue, mais résultent de l’assemblage de pièces par soudage. Les procédés mis en œuvre devaient être spectaculaires : du bronze liquide de même composition que le métal de base était en effet directement versé entre les deux pièces à assembler, et le soudage était obtenu par fusion locale des bords à joindre. Cette technique d’assemblage illustre le très haut niveau de savoir-faire atteint par l’artisanat métallurgique antique. Pour mieux s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple des L’examen et l’analyse d’une statue de cheval découverte à Neuvyen-Sullias a constitué le point de départ de ce programme de recherche sur les techniques de soudage. Ce dernier est en effet constitué à partir de 20 pièces coulées séparément puis soudées (Mille 2007). Mises bout à bout, ces soudures formeraient un cordon de plus de 5 mètres de longueur ! Ces soudures sont fréquemment ponctuées de cuvettes (figure 1) dont la fonction était probablement double : d’une part augmenter la surface de contact et d’autre part servir de réservoir de chaleur (par accumulation de métal liquide à cet endroit). Des soudures analogues peuvent être observées sur tous les grands bronzes antiques connus (figure 2). Si leur étude apporte beaucoup à la compréhension du procédé utilisé, cela ne suffit pas à décrire précisément la technique mise en œuvre. Raison pour laquelle des expérimentations se devaient d’être engagées. ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DU SOUDAGE PAR FUSION AU BRONZE LIQUIDE Statue de cheval de Neuve-en-Sullias (Loiret), 1er siècle ap. J.-C., H. 112,5 cm, musée historique et archéologique de l’Orléanais, © Bibracte, A. Maillier. L’inscription votive du socle nous apprend que la statue était dédiée au dieu gaulois Rudiobus. fondeurs du début de la Renaissance, qui n’ont jamais réussi à reproduire ce procédé, ce qui les a conduits soit à sécuriser leurs assemblages par des moyens essentiellement mécaniques, soit à contourner le problème en améliorant la circulation du métal Figure 1 : schéma de synthèse des observations techniques effectuées sur le cheval de Neuvy-enSullias, les soudures se matérialisent sous la forme de cordons linéaires ponctués de cuvettes plus ou moins rapprochées © C2RMF, B. Mille. 20 S OUDAGE ET T ECHNIQUES C ONNEXES I MARS - AVRIL 2010 I dans le moule et ainsi réussir des coulées en un seul jet (Bewer et al. 2008). L’objectif des expérimentations est de contribuer à la compréhension des processus de soudage antique au bronze liquide par la mise en œuvre d’essais en laboratoire. Ces derniers sont accomplis en utilisant la plate-forme « hautes températures » aménagée Figure 2 : principe du soudage par fusion au bronze liquide des grands bronzes antiques, © C2RMF, B. Mille. Deux principales variantes sont pour l’heure reconnues, elles diffèrent par la technique de préparation : - a (à gauche) : le métal de base des deux pièces à joindre est préparé en creusant le bronze sur la moitié de son épaisseur pour la réalisation d’un canal dans lequel le métal déposé pouvait circuler. - b (à droite) : un espace est laissé entre les deux pièces à joindre et l’on vient directement y couler le métal de soudure. Un lit réfractaire devait donc être mis en place pour empêcher les fuites de métal à l’intérieur de la statue. 1002_0065_P_020_022_ACTU_TECHNOLOGIE 16/03/10 13:06 Page 21 actualités technologie m blée par soudage par fusion au C2RMF, et permettent de tester les paramètres qui peuvent avoir une influence sur le procédé. Les paramètres thermiques sont étudiés avec l’aide du CEMHTI (Conditions Extrêmes et Matériaux : Haute Température et Irradiation, UPR 3079 du CNRS). La caractérisation des échantillons est réalisée au laboratoire du C2RMF et au CEA Le Ripault. Fabrication des éprouvettes et préparation du soudage Trois plaques de bronze (alliage cuivre-étain) de nuance différente ont préalablement été coulées à la fonderie d’art Coubertin (600 ~ 350 ~ 5 mm). Découpées dans ces plaques, des éprouvettes de (50 ~ 25 ~ 5 mm) sont préparées pour le soudage : un demicanal d’une profondeur et d’une largeur de 3 mm est usiné en bordure de la longueur de chaque éprouvette. La juxtaposition des deux éprouvettes au niveau des demi-canaux conduit à la formation du canal recevant le métal déposé. Il s’agit des conditions d’assemblage précédemment décrites en figure 2a. L’influence de trois paramètres est étudiée, d’une part la composition de l’alliage (5, 10, et 15 % en masse d’étain), d’autre part la température de coulée (1 150 oC < T < 1 310 oC) et enfin la température de préchauffage des plaques à souder (ambiante, 100 oC, 200 oC, 300 oC). Un porte-échantillon (figure 3) a été construit de telle sorte qu’il réponde aux contraintes suivantes : le maintien des éprouvettes pendant le soudage et la circulation du métal dans le canal avec la possibilité de modifier le a Céramique réfractaire Éprouvettes de bronze Thermocouple disposé à la surface des éprouvettes afin de suivre les variations de température de la plaque Porte-échantillon (vue du dessus) b Porte-échantillon (vue de la sortie du canal) a Figure 3, © C2RMF, A. Azéma. débit via l’inclinaison du plan de coulée. Les éprouvettes sont disposées entre deux plaques de céramique réfractaire de 15 mm d’épaisseur, l’ensemble est maintenu grâce à une barre venant directement se visser sur le porteéchantillon. Le réfractaire supérieur est percé au niveau de l’entrée du canal. Une résistance chauffante est incorporée dans la plaque réfractaire inférieure (fabrication par le CEMHTI) afin de permettre le préchauffage des éprouvettes. L’ensemble est placé au-dessus d’un bac de sable pour la récupération du métal éjecté depuis l’extrémité distale du canal. Une caméra thermique (Thermacam SC 3000), prêtée par le CEMHTI, permet d’observer les échanges thermiques durant la coulée. chambre. L’opérateur réalise la coulée en versant rapidement le bronze liquide au niveau de l’entrée du canal. Dans une première phase, le bronze en fusion circule dans le canal et s’écoule dans le bac de récupération. Ce faisant, il porte progressivement les bords des pièces à joindre à la température requise pour obtenir la soudure. Au bout de quelques dixièmes de seconde, le métal déposé dans le canal commence à se solidifier, la coulée est stoppée lorsque le canal est complètement rempli (figures 4 et 5). Résultat des expérimentations A l’issue des soudures expérimentales, des examens métallographiques sont réalisés à partir de coupes transversales. La microstructure de la zone de soudure est alors étudiée grâce à des observations en microscopie optique et électronique au C2RMF, complétées par des examens à la microsonde de Castaing au CEA Le Ripault. Parallèlement, des observations menées sur des statues antiques permettent d’effectuer des comparaisons avec les soudures faites en laboratoire. Figure 5 : soudure expérimentale, © C2RMF, A. Azéma. Réalisation d’une coulée Une masse de 100 g de bronze de composition identique à celle des éprouvettes est fondue dans un creuset placé dans un four à b c d Figure 4 : Réalisation d’une soudure expérimentale (suivi thermique à la caméra Infra-Rouge), © C2RMF, A. Azéma. I MARS - AVRIL 2010 I S OUDAGE ET T ECHNIQUES C ONNEXES 21 1002_0065_P_020_022_ACTU_TECHNOLOGIE 16/03/10 actualités I 13:06 Page 22 technologie SOUDAGE ANTIQUE Métallographie de soudure antique, cheval de Neuvy-en-Sullias (bronze à 10 % d’étain et 7 % de plomb), © C2RMF, B. Mille b Métallographie de soudure expérimentale (bronze à 10 % d’étain), © C2RMF, A. Azéma a Figure 6 : comparaison des microstructures expérimentale / antique. Le processus de soudage par fusion nécessite un apport important de chaleur pour permettre la fusion partielle des pièces à assembler. Aujourd’hui, cet apport pourrait se faire à l’aide d’un arc électrique, d’un chalumeau oxy-acétylénique, ou encore d’une résistance, ... (Murry 1994). Dans le cas du soudage antique de la grande statuaire en bronze, il apparaît que seul le métal déposé peut apporter l’énergie suffisante pour provoquer la soudure des pièces à joindre. De manière générale au cours des premières expérimentations, la température atteinte au niveau du joint est insuffisante pour réaliser la soudure sur toute la longueur de l’éprouvette. En effet, quelles que soient les conditions de mise en œuvre, le soudage n’est effectif que sur une longueur de 10 à 15 mm environ à partir du point d’entrée du métal dans le canal. Si l’influence positive du préchauffage et de l’élévation de la température de coulée n’a pu être mise en évidence, l’effet de ces deux paramètres demeure cependant insuffisant. Une des pistes explorées actuellement pour favoriser plus efficacement le transfert de chaleur du métal déposé vers le métal de base est de tenter d’augmenter la quantité de bronze circulant dans le canal. On comprend aisément que ce transfert ne pourra être amélioré que si le volume de bronze qui circule dans le canal augmente notablement (cf. Prochaines étapes du travail expérimental). Comparaison microstructure expérimentale/microstructure antique La microstructure du bronze dans les conditions de solidification testées (refroidissement à l’air, brut de coulée) est constituée de dendrites de phase α (marquées par une forte ségrégation primaire) et d’un eutectoïde α + δ (riche en étain) qui comble l’espace interdendritique (Bower et Granger 1998). Les métallographies ci-dessous comparent une soudure expérimentale et une soudure antique prélevée sur la statue du cheval de Neuvy-enSullias (figure 6). Pour les essais en laboratoire (a) comme pour la soudure antique (b), on remarque que la microstructure du métal déposé (B) est plus fine que celle du métal de base (A), ce qui montre que la solidifica- RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Bewer, F., Bourgarit, D. and Bassett, J. 2008. ‘Les bronzes français (XVIe-XVIIIe siècle) : notes techniques’. In Bronzes français de la Renaissance au Siècle des Lumières, Bresc-Bautier, G. and Scherf, G. d. (ed.) 28-41. Paris : Musée du Louvre – Somogy. Bower T.F, Granger D.A, 1998. Solidification structure of copper alloys ingots. Metals Handbook, volume 8, 2e édition, p. 169-177 Darblade-Audoin, M.-P., Mille, B., 2008. Le pied de bronze colossal de Clermont-Ferrand. Monuments et mémoires de la fondation Eugène Piot, tome 87, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, p. 31-68. Mille, B. 2007. Etude technique du cheval de bronze de Neuvy-en-Sullias. In : Gorget, C. & Guillaumet, J.-P. (eds.) Le cheval et la danseuse, à la redécouverte du trésor de Neuvy-en-Sullias, catalogue de l’exposition présentée au musée des Beaux-Arts d’Orléans du 13 mars au 26 août 2007. Paris : Somogy, p. 88-99 et 264-265. Murry, G., 1994. Soudage et soudabilité métallurgique des métaux. Techniques de l’ingénieur, MC2 : M715 22 S OUDAGE ET T ECHNIQUES C ONNEXES I MARS - AVRIL 2010 I tion du métal de soudure a été plus rapide que celle du métal des pièces à assembler. On observe également l’existence d’une zone fondue dans les deux cas. La différence de taille de microstructure est cependant nettement plus marquée dans le cas de nos expérimentations, la zone fondue est en revanche beaucoup moins étendue (environ 20 μm vs 500 μm). Les examens micrographiques sont complétés par des analyses à la microsonde de Castaing qui permettent de mettre en évidence la répartition du cuivre, de l’étain ou encore du plomb. Grâce à cette technique une concentration importante d’eutectoïde α + δ a été détectée à l’interface métal déposé / métal de base qui témoigne de phénomènes de ségrégation inverse particulièrement marqués dans le cas des soudures expérimentales (figure 7) ; jusqu’à présent ce phénomène n’a pas été observé dans les statues antiques étudiées. Figure 7 : Cartographie en étain d’une soudure expérimentale, © CEA, J.-L. Longuet récurrents de mouillage déjà observés entre le métal déposé et le métal de base. Des collaborations sont par ailleurs envisagées avec l’Institut de Soudure dans le cadre d’un partage de compétences « science des matériaux du Patrimoine / métallurgie de la soudure ». Un objectif sera d’utiliser les connaissances modernes du soudage par fusion pour aider à la compréhension et à une description précise du savoir oublié des soudeurs de l’Antiquité. Il est également prévu d’approfondir l’étude des soudures par la mise en œuvre de techniques de Contrôle Non Destructif actuellement en développement à l’Institut de Soudure. Aurélia AZEMA1 et Benoît MILLE1, 2 REMERCIEMENTS Nous tenons d’abord à remercier nos partenaires Patrick Echégut et Domingos de Sousa Meneses du CEMHTI d’une part et, Jean-Louis Longuet et Fabien Pilon du CEA Le Ripault d’autre part, pour l’aide qu’ils nous ont apportée. Ensuite, nous remercions le musée historique et archéologique de l’Orléanais en la personne de Catherine Gorget, qui nous a permis d’étudier le Cheval de bronze de Neuvy-en-Sullias. Enfin, un grand merci à Sheng Yang et Giulia Gianelli pour avoir participé à la réalisation de ces expérimentations en se mettant dans la peau du soudeur de l’Antiquité. PROCHAINES ÉTAPES DU TRAVAIL EXPÉRIMENTAL Les prochaines expérimentations auront pour premier objectif d’améliorer la circulation du métal dans le canal de soudure, via l’utilisation d’un flux (substance qui, appliquée sur les surfaces à joindre par soudage, facilite la circulation du métal déposé et prévient la formation d’oxydes). En effet, la preuve est désormais faite que de telles substances ont été utilisées pour la soudure de différentes pièces constituant les grands bronzes antiques (cf. l’étude d’une statue colossale récemment découverte à Clermont-Ferrand, DarbladeAudoin et Mille 2008). Le deuxième objectif de ces essais sera de résoudre les problèmes 1 Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, UMR171 CNRS – Ministère de la Culture, 14, Quai François Mitterrand, 75001 Paris. 2 Préhistoire et Technologie, UMR7055 CNRS – Université de Paris X Nanterre, Maison « René Ginouvès » Archéologie et ethnologie, 21, allée de l’Université, 92023 Nanterre Cedex.