La grande sculpture antique en bronze assem b

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SOUDAGE ANTIQUE
La grande sculpture antique en bronze assem b
On savait déjà que la
fabrication des grandes
sculptures de bronze de
l’Antiquité nécessitait la
maîtrise de techniques de
moulage à la cire perdue très
élaborées. Les travaux
expérimentaux engagés
actuellement au Centre de
Recherche et de Restauration
des Musées de France
montrent que cela ne
suffisait pas, il fallait
également être capable
d’assembler les différentes
pièces de la statue au moyen
d’un procédé complexe de
soudage par fusion au
bronze liquide. Premiers
résultats de l’étude
expérimentale de ces
techniques menée par
Aurélia AZEMA
et Benoît MILLE.
De récentes études techniques ont
révélé que les grandes statues
antiques en bronze n’ont pas été
coulées d’un seul jet – en dépit
d’une remarquable maîtrise des
procédés de fonte à la cire perdue,
mais résultent de l’assemblage de
pièces par soudage. Les procédés
mis en œuvre devaient être spectaculaires : du bronze liquide de
même composition que le métal
de base était en effet directement
versé entre les deux pièces à
assembler, et le soudage était
obtenu par fusion locale des
bords à joindre. Cette technique
d’assemblage illustre le très haut
niveau de savoir-faire atteint par
l’artisanat métallurgique antique.
Pour mieux s’en convaincre, il
suffit de prendre l’exemple des
L’examen et l’analyse d’une statue
de cheval découverte à Neuvyen-Sullias a constitué le point de
départ de ce programme de
recherche sur les techniques de
soudage. Ce dernier est en effet
constitué à partir de 20 pièces
coulées séparément puis soudées
(Mille 2007). Mises bout à bout,
ces soudures formeraient un cordon de plus de 5 mètres de longueur ! Ces soudures sont fréquemment ponctuées de cuvettes
(figure 1) dont la fonction était
probablement double : d’une part
augmenter la surface de contact
et d’autre part servir de réservoir
de chaleur (par accumulation de
métal liquide à cet endroit). Des
soudures analogues peuvent être
observées sur tous les grands
bronzes antiques connus (figure 2).
Si leur étude apporte beaucoup
à la compréhension du procédé
utilisé, cela ne suffit pas à décrire
précisément la technique mise
en œuvre. Raison pour laquelle
des expérimentations se devaient
d’être engagées.
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE
DU SOUDAGE PAR FUSION
AU BRONZE LIQUIDE
Statue de cheval de Neuve-en-Sullias (Loiret), 1er siècle ap. J.-C., H. 112,5 cm, musée
historique et archéologique de l’Orléanais, © Bibracte, A. Maillier. L’inscription votive
du socle nous apprend que la statue était dédiée au dieu gaulois Rudiobus.
fondeurs du début de la Renaissance, qui n’ont jamais réussi à
reproduire ce procédé, ce qui les
a conduits soit à sécuriser leurs
assemblages par des moyens
essentiellement mécaniques, soit
à contourner le problème en améliorant la circulation du métal
Figure 1 : schéma de
synthèse des observations
techniques effectuées sur
le cheval de Neuvy-enSullias, les soudures se
matérialisent sous la
forme de cordons linéaires
ponctués de cuvettes plus
ou moins rapprochées
© C2RMF, B. Mille.
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dans le moule et ainsi réussir des
coulées en un seul jet (Bewer et al.
2008).
L’objectif des expérimentations
est de contribuer à la compréhension des processus de soudage
antique au bronze liquide par la
mise en œuvre d’essais en laboratoire. Ces derniers sont accomplis en utilisant la plate-forme
« hautes températures » aménagée
Figure 2 : principe du soudage par fusion au bronze liquide des grands bronzes antiques,
© C2RMF, B. Mille. Deux principales variantes sont pour l’heure reconnues, elles diffèrent
par la technique de préparation :
- a (à gauche) : le métal de base des deux pièces à joindre est préparé en creusant le bronze
sur la moitié de son épaisseur pour la réalisation d’un canal dans lequel le métal déposé
pouvait circuler.
- b (à droite) : un espace est laissé entre les deux pièces à joindre et l’on vient directement y
couler le métal de soudure. Un lit réfractaire devait donc être mis en place pour empêcher
les fuites de métal à l’intérieur de la statue.
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m blée par soudage par fusion
au C2RMF, et permettent de tester
les paramètres qui peuvent avoir
une influence sur le procédé. Les
paramètres thermiques sont étudiés avec l’aide du CEMHTI
(Conditions Extrêmes et Matériaux : Haute Température et Irradiation, UPR 3079 du CNRS). La
caractérisation des échantillons est
réalisée au laboratoire du C2RMF
et au CEA Le Ripault.
Fabrication des éprouvettes
et préparation du soudage
Trois plaques de bronze (alliage
cuivre-étain) de nuance différente
ont préalablement été coulées
à la fonderie d’art Coubertin
(600 ~ 350 ~ 5 mm). Découpées
dans ces plaques, des éprouvettes
de (50 ~ 25 ~ 5 mm) sont préparées pour le soudage : un demicanal d’une profondeur et d’une
largeur de 3 mm est usiné en bordure de la longueur de chaque
éprouvette. La juxtaposition
des deux éprouvettes au niveau
des demi-canaux conduit à la
formation du canal recevant le
métal déposé. Il s’agit des conditions d’assemblage précédemment
décrites en figure 2a. L’influence de
trois paramètres est étudiée, d’une
part la composition de l’alliage
(5, 10, et 15 % en masse d’étain),
d’autre part la température de
coulée (1 150 oC < T < 1 310 oC)
et enfin la température de préchauffage des plaques à souder
(ambiante, 100 oC, 200 oC, 300 oC).
Un porte-échantillon (figure 3)
a été construit de telle sorte
qu’il réponde aux contraintes
suivantes : le maintien des éprouvettes pendant le soudage et la
circulation du métal dans le canal
avec la possibilité de modifier le
a
Céramique réfractaire
Éprouvettes de bronze
Thermocouple disposé
à la surface des
éprouvettes afin de
suivre les variations de
température de la plaque
Porte-échantillon
(vue du dessus)
b
Porte-échantillon
(vue de la sortie du canal)
a
Figure 3, © C2RMF, A. Azéma.
débit via l’inclinaison du plan
de coulée. Les éprouvettes sont
disposées entre deux plaques de
céramique réfractaire de 15 mm
d’épaisseur, l’ensemble est maintenu grâce à une barre venant
directement se visser sur le porteéchantillon. Le réfractaire supérieur est percé au niveau de
l’entrée du canal. Une résistance
chauffante est incorporée dans
la plaque réfractaire inférieure
(fabrication par le CEMHTI)
afin de permettre le préchauffage
des éprouvettes. L’ensemble est
placé au-dessus d’un bac de sable
pour la récupération du métal
éjecté depuis l’extrémité distale du
canal.
Une caméra thermique (Thermacam SC 3000), prêtée par le
CEMHTI, permet d’observer les
échanges thermiques durant la
coulée.
chambre. L’opérateur réalise la
coulée en versant rapidement le
bronze liquide au niveau de l’entrée du canal. Dans une première
phase, le bronze en fusion circule
dans le canal et s’écoule dans le
bac de récupération. Ce faisant, il
porte progressivement les bords
des pièces à joindre à la température requise pour obtenir la
soudure. Au bout de quelques
dixièmes de seconde, le métal
déposé dans le canal commence à
se solidifier, la coulée est stoppée
lorsque le canal est complètement
rempli (figures 4 et 5).
Résultat des expérimentations
A l’issue des soudures expérimentales, des examens métallographiques sont réalisés à partir de
coupes transversales. La microstructure de la zone de soudure est
alors étudiée grâce à des observations en microscopie optique et
électronique au C2RMF, complétées par des examens à la microsonde de Castaing au CEA Le
Ripault. Parallèlement, des observations menées sur des statues
antiques permettent d’effectuer
des comparaisons avec les soudures faites en laboratoire.
Figure 5 : soudure
expérimentale,
© C2RMF, A. Azéma.
Réalisation d’une coulée
Une masse de 100 g de bronze
de composition identique à celle
des éprouvettes est fondue dans
un creuset placé dans un four à
b
c
d
Figure 4 : Réalisation d’une soudure expérimentale (suivi thermique à la caméra Infra-Rouge), © C2RMF, A. Azéma.
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Métallographie de soudure antique, cheval de Neuvy-en-Sullias
(bronze à 10 % d’étain et 7 % de plomb), © C2RMF, B. Mille
b
Métallographie de soudure expérimentale
(bronze à 10 % d’étain), © C2RMF, A. Azéma
a
Figure 6 : comparaison des microstructures expérimentale / antique.
Le processus de soudage par fusion
nécessite un apport important de
chaleur pour permettre la fusion
partielle des pièces à assembler.
Aujourd’hui, cet apport pourrait
se faire à l’aide d’un arc électrique,
d’un chalumeau oxy-acétylénique,
ou encore d’une résistance, ...
(Murry 1994). Dans le cas du soudage antique de la grande statuaire
en bronze, il apparaît que seul le
métal déposé peut apporter l’énergie suffisante pour provoquer la
soudure des pièces à joindre.
De manière générale au cours
des premières expérimentations, la
température atteinte au niveau du
joint est insuffisante pour réaliser la
soudure sur toute la longueur de
l’éprouvette. En effet, quelles que
soient les conditions de mise en
œuvre, le soudage n’est effectif que
sur une longueur de 10 à 15 mm
environ à partir du point d’entrée
du métal dans le canal. Si l’influence positive du préchauffage et
de l’élévation de la température de
coulée n’a pu être mise en évidence,
l’effet de ces deux paramètres
demeure cependant insuffisant.
Une des pistes explorées actuellement pour favoriser plus efficacement le transfert de chaleur du
métal déposé vers le métal de base
est de tenter d’augmenter la quantité de bronze circulant dans le
canal. On comprend aisément que
ce transfert ne pourra être amélioré
que si le volume de bronze qui
circule dans le canal augmente
notablement (cf. Prochaines étapes
du travail expérimental).
Comparaison microstructure
expérimentale/microstructure
antique
La microstructure du bronze dans
les conditions de solidification testées (refroidissement à l’air, brut de
coulée) est constituée de dendrites
de phase α (marquées par une forte
ségrégation primaire) et d’un eutectoïde α + δ (riche en étain) qui
comble l’espace interdendritique
(Bower et Granger 1998). Les
métallographies ci-dessous comparent une soudure expérimentale et
une soudure antique prélevée sur
la statue du cheval de Neuvy-enSullias (figure 6).
Pour les essais en laboratoire (a)
comme pour la soudure antique
(b), on remarque que la microstructure du métal déposé (B) est
plus fine que celle du métal de base
(A), ce qui montre que la solidifica-
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bewer, F., Bourgarit, D. and Bassett, J. 2008. ‘Les bronzes français (XVIe-XVIIIe siècle) :
notes techniques’. In Bronzes français de la Renaissance au Siècle des Lumières,
Bresc-Bautier, G. and Scherf, G. d. (ed.) 28-41. Paris : Musée du Louvre – Somogy.
Bower T.F, Granger D.A, 1998. Solidification structure of copper alloys ingots. Metals
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Darblade-Audoin, M.-P., Mille, B., 2008. Le pied de bronze colossal de Clermont-Ferrand.
Monuments et mémoires de la fondation Eugène Piot, tome 87, Académie des
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C. & Guillaumet, J.-P. (eds.) Le cheval et la danseuse, à la redécouverte du trésor
de Neuvy-en-Sullias, catalogue de l’exposition présentée au musée des Beaux-Arts
d’Orléans du 13 mars au 26 août 2007. Paris : Somogy, p. 88-99 et 264-265.
Murry, G., 1994. Soudage et soudabilité métallurgique des métaux.
Techniques de l’ingénieur, MC2 : M715
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tion du métal de soudure a été plus
rapide que celle du métal des pièces
à assembler. On observe également
l’existence d’une zone fondue dans
les deux cas. La différence de taille
de microstructure est cependant
nettement plus marquée dans le cas
de nos expérimentations, la zone
fondue est en revanche beaucoup
moins étendue (environ 20 μm vs
500 μm).
Les examens micrographiques sont
complétés par des analyses à la
microsonde de Castaing qui permettent de mettre en évidence la
répartition du cuivre, de l’étain
ou encore du plomb. Grâce à
cette technique une concentration
importante d’eutectoïde α + δ a été
détectée à l’interface métal déposé /
métal de base qui témoigne de phénomènes de ségrégation inverse
particulièrement marqués dans le
cas des soudures expérimentales
(figure 7) ; jusqu’à présent ce phénomène n’a pas été observé dans
les statues antiques étudiées.
Figure 7 : Cartographie en étain d’une soudure
expérimentale, © CEA, J.-L. Longuet
récurrents de mouillage déjà observés entre le métal déposé et le
métal de base.
Des collaborations sont par ailleurs
envisagées avec l’Institut de Soudure dans le cadre d’un partage de
compétences « science des matériaux du Patrimoine / métallurgie
de la soudure ». Un objectif sera
d’utiliser les connaissances modernes du soudage par fusion
pour aider à la compréhension et
à une description précise du savoir
oublié des soudeurs de l’Antiquité.
Il est également prévu d’approfondir l’étude des soudures par la
mise en œuvre de techniques de
Contrôle Non Destructif actuellement en développement à l’Institut de Soudure. Aurélia AZEMA1
et Benoît MILLE1, 2
REMERCIEMENTS
Nous tenons d’abord à remercier nos
partenaires Patrick Echégut et Domingos
de Sousa Meneses du CEMHTI d’une part
et, Jean-Louis Longuet et Fabien Pilon du
CEA Le Ripault d’autre part, pour l’aide
qu’ils nous ont apportée. Ensuite, nous
remercions le musée historique et
archéologique de l’Orléanais en la
personne de Catherine Gorget, qui nous a
permis d’étudier le Cheval de bronze de
Neuvy-en-Sullias. Enfin, un grand merci à
Sheng Yang et Giulia Gianelli pour avoir
participé à la réalisation de ces
expérimentations en se mettant dans la
peau du soudeur de l’Antiquité.
PROCHAINES ÉTAPES
DU TRAVAIL EXPÉRIMENTAL
Les prochaines expérimentations
auront pour premier objectif
d’améliorer la circulation du
métal dans le canal de soudure,
via l’utilisation d’un flux (substance qui, appliquée sur les
surfaces à joindre par soudage,
facilite la circulation du métal
déposé et prévient la formation
d’oxydes). En effet, la preuve
est désormais faite que de telles
substances ont été utilisées pour
la soudure de différentes pièces
constituant les grands bronzes
antiques (cf. l’étude d’une statue
colossale récemment découverte
à Clermont-Ferrand, DarbladeAudoin et Mille 2008). Le
deuxième objectif de ces essais
sera de résoudre les problèmes
1
Centre de Recherche et de Restauration des
Musées de France, UMR171 CNRS –
Ministère de la Culture, 14, Quai François
Mitterrand, 75001 Paris.
2 Préhistoire et Technologie, UMR7055 CNRS
– Université de Paris X Nanterre, Maison
« René Ginouvès » Archéologie et
ethnologie, 21, allée de l’Université,
92023 Nanterre Cedex.

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