INTERCHANGEABLES Demain, tu lui diras, se dit Wendy Merryday
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INTERCHANGEABLES Demain, tu lui diras, se dit Wendy Merryday
INTERCHANGEABLES Demain, tu lui diras, se dit Wendy Merryday. Demain, peut-être. Tu lui diras, et tout se passera bien. Elle aimait se répéter cette litanie chaque matin et chaque soir. Elle aimait se promettre tous les jours la même chose. Cela la rassurait, allégeait quelque peu sa conscience. Même si cela faisait longtemps qu’elle n’y croyait plus. Demain. Pas aujourd’hui. Un dernier jour. Ca peut attendre un jour de plus, non ? Ca a déjà attendu des années, alors un jour… Quoique, songea Wendy. Peut-être que cette fois, c’est la bonne. Peut-être trouverait-elle enfin le courage de dire à Ryan ce qu’elle lui avait caché durant si longtemps ? Les circonstances semblaient s’y prêter. C’était l’anniversaire de leur premier rendez-vous. Le jeune homme l’avait invitée à un restaurant assez cher dans le quartier. Elle était très touchée, il avait dû économiser longtemps pour avoir l’argent nécessaire. Les parents de Ryan étaient assez riches, mais leur fils unique refusait désormais d’accepter tout financement de leur part. Il avait trouvé un premier emploi en temps que mécanicien. Il ne gagnait pas encore beaucoup, mais il voulait voir s’il était capable de se débrouiller seul. Jusqu’à présent, il en avait été parfaitement capable. Le connaissant, Wendy était confiante qu’il continuerait ainsi. La litanie reprit. Demain, peut-être. Demain. C’était comme une prière, comme une berceuse pour l’aider à trouver le sommeil. La jeune femme changea de nouveau de position avec un soupir agacé. Cela faisait au moins une demi-heure qu’elle était entrée dans son lit, et depuis elle n’avait cessé de se tourner, se retourner, dans l’espoir de se reposer enfin. Elle était épuisée, mais ses pensées refusaient de se calmer, et la maintenaient éveillée. Si, demain, tu es fatiguée, tu n’auras pas le courage de lui dire. En même temps, comment lui dire ? Wendy se dit qu’elle devrait se préparer. Ecrire quelques mots, répéter un peu avant le moment fatidique ? Ridicule. Quelle pouvait être la difficulté ? Dire la vérité, ce n’était pas si dur ! Mais bien sûr, ricana-t-elle mentalement, riant de sa propre bêtise. Et comment peux-tu présenter les choses, au juste ? Il n’y a pas de façon délicate de le dire. Mais vas-y, sois complètement honnête, tu verras la réaction de Ryan. Qu’est-ce que cela donnerait ? « Alors, j’ai peut-être oublié de te signaler un tout petit détail. Mineur, je t’assure. En fait, mon nom c’est Wendy, pas Myriam. Myriam, c’est ma sœur. On a échangé nos rôles. Je ne t’ai pas exactement menti sur mon identité depuis le début, non… Un nom, ce n’est pas si important, n’est-ce pas ? Je comprends que tu aies du mal à saisir, mais au fond, tout cela n’a pas tant d’importance, tu ne trouves pas ? » Wendy enfouit son visage dans son oreiller. Comment s’était-elle enfoncée dans une situation pareille ? Et comment s’en sortir, maintenant ? Tout cela avait commencé une dizaine d’années plus tôt. A ce moment-là, Wendy et sa sœur jumelle, Myriam, n’avaient que seize ans. Depuis toujours, les deux filles avaient été absolument identiques physiquement, et complètement inséparables. Pourtant, leurs caractères respectifs étaient aussi différents que leur apparence était semblable. Myriam était… flamboyante. C’était le meilleur mot pour la décrire, dans l’opinion de Wendy. Myriam était intelligente, audacieuse et redoutablement malicieuse. Elle était l’ainée, 1 à une ou deux minutes près, ce qui était peut-être à l’origine du fait que, des deux sœurs, c’était incontestablement elle qui donnait les ordres. Elle était irrésistiblement drôle, et accaparait la parole la majorité du temps. Cela ne gênait pas vraiment, sa voix était agréable à entendre, et, de toute manière, assez forte pour être difficile à faire taire. Il était très difficile d’attirer l’attention de Myriam. Presque tout l’ennuyait, et une chose qui la passionnait un jour, pouvait devenir repoussante à ses yeux le lendemain. Elle n’avait jamais écouté en cours. Elle préférait échanger des regards appuyés avec les garçons de la classe. Ou alors, elle dessinait d’une main distraite – elle avait toujours eu un joli coup de crayon. Très vite, elle décida que l’adolescence était sa chance d’essayer de nouvelles choses. Elle commença à fumer, et prit de la drogue pour la première fois à tout juste quatorze ans. Mais à la suite d’un accident avec son dealer, qui envoya Wendy à l’hôpital – évènement auquel cette dernière évitait de penser, autant qu’il lui était possible – les parents Merryday apprirent de la pire des manières ce que leur fille faisait derrière leur dos. Myriam dut corriger son attitude, et, par la suite, ne toucha plus jamais à de la drogue. En revanche, la cigarette comptait toujours à l’heure actuelle parmi ses mauvaises habitudes. Privée de ses passe-temps favoris, Myriam s’intéressa de plus en plus près aux garçons. Elle eut sa première relation amoureuse peu après l’anniversaire de ses quinze ans. Cette année-là elle eut de nombreuses aventures extrêmement brèves, car chaque nouveau compagnon, comme toutes choses, l’ennuyait dès que l’attrait de la nouveauté se dissipait. Le garçon qui avait des allures inaccessibles était un défi à relever, alors que celui qui succombait à son charme aurait aussi bien pu cesser d’exister. En quelques mois, Myriam eut, parmi les élèves de son lycée, une réputation bien enracinée. Ceci aurait pu rebondir sur Wendy, mais, heureusement, M. et Mme. Merryday avaient, très tôt, pris la sage décision de ne jamais placer leurs filles dans le même établissement, devinant que le contraire n’aurait de conséquences positives ni sur les jumelles, ni sur leurs camarades. Dans le lycée de Myriam, l’existence de Wendy était inconnue. Non seulement sa sœur ne l’avait jamais mentionnée, entre autres à cause du fait qu’elle n’avait aucun ami (son caractère difficile les avaient tous faits fuir), mais la cadette, contrairement à l’autre, était complètement absente des réseaux sociaux. De son côté, Wendy se comportait d’une manière radicalement différente. Elle était aussi jolie et aussi intelligente que sa jumelle, mais n’utilisait pas ses atouts de la même manière. Toute sa vie, elle s’était distinguée par sa maturité par rapport à son âge. Elle était aussi discrète que studieuse, et compta toujours parmi les meilleurs élèves de sa classe. Elle n’avait pas énormément d’amis, mais ceux qu’elle eut, elle les garda toute sa vie. Elle ne parlait pas beaucoup, mais quand sa bouche s’ouvrait, c’était pour dire quelque chose d’honnête. Wendy ne voyait pas d’intérêt à prétendre être quelqu’un d’autre qu’elle-même. C’était une chose assez ironique, en considération du fait que pendant très longtemps, le tour préféré des jumelles Merryday avait été d’échanger leurs places sans que personne ne le remarque : si Myriam avait un contrôle pour lequel elle n’avait pas révisé du tout, Wendy prenait sa place pour la journée ; si Wendy avait besoin de s’exprimer en face des autres élèves avec une audace que sa timidité ne lui permettait pas, Myriam prenait le relais. Même les parents ne s’étaient jamais doutés de leurs subterfuges. Jusqu’au jour où toute envie d’échange leur avait été ôtée par l’incident avec le dealer de Myriam. C’était Wendy qui était partie tenter de négocier auprès de lui. Les choses avaient mal tourné. Les filles avaient alors compris que ce tour comportait ses dangers. Aucune des deux ne voulait reproduire l’expérience, et Myriam jura à sa sœur, qui était aussi sa seule amie, de ne plus jamais lui faire payer le prix de ses erreurs. 2 Mais les bonnes résolutions ont la fâcheuse habitude de ne pas être appliquées. La vie de Myriam devenait difficile dans son lycée. Ses aventures amoureuses à répétition l’avaient rendue si impopulaire que même les professeurs commençaient à lui mener la vie dure. Finalement, M. et Mme. Merryday ne virent d’autre issue que de changer leur fille d’établissement. Dans le nouveau lycée de Myriam, la jeune fille décida de s’assagir. Il serait dommage de reproduire les mêmes erreurs. Si les réseaux sociaux empêchaient cette situation d’être une véritable seconde chance, tout de même était-ce une opportunité d’arranger sa vie sociale. Elle ne se fit pas d’amis. Elle se lassait d’eux trop vite. Wendy lui paraissait suffisante. Cependant, elle se força à rester à distance des garçons. Elle avait appris qu’ils ne lui apporteraient que des ennuis. Mais à l’arrivée d’un nouvel élève au milieu du premier trimestre, la conviction de Myriam s’évanouit. Elle le voulait. Ce nouvel élève, c’était Ryan. Mais en observant le jeune homme discrètement, la jeune fille constata que toutes les séductrices de la classe lui tombaient dessus – sans aucun résultat. Myriam comprit avec horreur que ce genre de filles ne plaisait pas à Ryan, et que cette fois, il lui faudrait une approche plus discrète, plus « traditionnelle », pour attirer l’attention du nouveau venu. Mais l’idée d’être gentille, de venir parler à quelqu’un comme le ferait une personne banale, lui était complètement étrangère. Ne sachant pas comment s’y prendre, elle recourut à son éternelle solution de rechange. Avec mille égards, elle demanda à Wendy de parler à Ryan à sa place. En premier lieu, la cadette faillit s’énerver, n’en revenant pas que sa jumelle ait déjà oublié toutes ses promesses. « Je n’ai vraiment pas besoin d’avoir tes histoires sur le dos en ce moment, » dit-elle rageusement. Mais Myriam ne renonçait jamais. A force de grands yeux, de mots doux et de supplications, elle obtint l’aide de Wendy, qui avait toujours été incapable de lui dire non. L’ainée lui assura que tout ce qu’elle devait faire était parler à Ryan. Prendre sa place au lycée rien qu’une journée, trouver une occasion de commencer une conversation, et faire en sorte d’obtenir un rendez-vous avec le jeune homme. « Je n’ai jamais parlé à un garçon en-dehors des cours ! » s’exclama Wendy avec des yeux ronds. « Je ne saurais pas quoi lui dire ! » Myriam soupira : « Sois toi-même, Dy. Sois simplement toi-même. Avec tes airs innocents, tout le monde t’aime bien. Allez, obtiens-moi son numéro de téléphone, ce n’est pas trop demander tout de même ? » En sachant déjà qu’un jour, elle regretterait cette décision, Wendy remplaça sa sœur au lycée, rien qu’une journée. Tous ceux qui connaissaient Myriam, ne serait-ce qu’un peu, remarquèrent chez leur camarade un changement d’attitude qu’ils ne surent s’expliquer. A la première récréation, Wendy partit à la recherche du fameux Ryan. Elle le trouva seul, dans un coin de la cour, assis sur un banc avec un livre ouvert sur les genoux. Tout de suite, elle se dit que s’il avait été dans son lycée, ils se seraient probablement bien entendus. Mais, avec un haussement d’épaules, la jeune fille pensa qu’ils n’étaient pas dans le même lycée, et que par conséquent, toute cette affaire ne devrait la concerner en rien. Il valait donc mieux se débarrasser de sa tâche le plus vite possible, et laisser la place à Myriam. -Salut ! fit-elle d’une voix enjouée, en se plantant devant Ryan. Il cligna des yeux, et, levant la tête, découvrit qui était devant lui avec une expression ahurie. -Myriam ? -Hm-hm, acquiesça-t-elle. -Qu’est-ce que tu fais ici ? s’étonna-t-il. Elle haussa les épaules. -Tu ne te sens pas un peu seul, là ? demanda-t-elle. 3 Il sourit. -Non. On ne s’ennuie jamais, avec un livre. -C’est vrai. En lui souriant gentiment, elle se lança : -Je peux m’asseoir à côté de toi ? Il se décala pour lui laisser la place. La conversation dura jusqu’à la sonnerie annonçant le début des cours. Wendy fut ellemême, comme lui avait conseillé Myriam ; et, ainsi, elle découvrit qu’elle s’entendait très bien avec le jeune homme. Durant les cours, ils échangèrent quelques sourires timides, et ils se retrouvèrent à la pause suivante pour continuer à parler. Il semblait que Ryan ne cherchait, lui non plus, pas vraiment à se faire des amis. Ils aimaient les mêmes livres, et avaient les mêmes cours favoris – ce fut suffisant pour fournir des sujets de conversation, ce jour-là. Ils finirent par échanger leurs numéros de téléphone, et Wendy, en rentrant chez elle le soir, put annoncer à Myriam le succès de l’opération. Ryan appela Myriam le jour même. Ils fixèrent un rendez-vous le vendredi soir, après les cours. Le garçon passerait la chercher chez les Merryday. Wendy rapporta à sa sœur tout ce qu’ils s’étaient dit au lycée, et là se posa un problème : Myriam n’aimait pas lire, et n’aimait aucun cours. Comment faire semblant durant toute une soirée ? La suite était prévisible. Myriam demanda à Wendy d’aller au rendez-vous à sa place. Là aussi, dans l’esprit de l’ainée, Wendy pouvait faire ce qu’il lui plaisait avec Ryan, du moment qu’elle parvenait à le ramener à la maison à la fin de la soirée (M. et Mme. Merryday étaient absents pour le week-end). Là, Myriam prendrait le relais discrètement. Wendy sentit les ennuis arriver. Pourtant il ne fut pas difficile de la faire céder. Au fond, parler avec Ryan de nouveau ne la gênait pas le moins du monde. Les choses se passèrent exactement telles que Myriam avait espéré. Wendy et Ryan allèrent au cinéma. Ensuite, avec une conversation animée au sujet du film, ils s’achetèrent de quoi manger dans le premier restaurant venu. Puis ils se baladèrent en ville en parlant de choses et d’autres. Ils découvrirent que, décidément, ils s’entendaient très bien. Alors, doucement, ils commencèrent à se diriger vers la maison des Merryday, qui n’était pas très loin du centre-ville. Arrivés devant le palier, les jeunes gens restèrent dans un silence un peu gêné durant quelques instants. Puis Wendy proposa à Ryan d’entrer. A l’intérieur, elle trouva une excuse pour s’éclipser dans sa chambre. La jeune fille qui rejoint ensuite le garçon était Myriam. Cette dernière ne se lassa pas de Ryan tout de suite, si bien que les filles échangèrent leurs places plusieurs fois. Puis Myriam décida de passer à autre chose. Puisqu’elle avait eu ce qu’elle avait voulu, le rôle de Wendy était joué. L’ainée n’eut même pas besoin de rompre avec le jeune homme : un hasard bien chronométré fit qu’il dut déménager de nouveau (plus tard, Wendy apprit que son père, militaire, en était la raison) et qu’il perdit son téléphone. Dans ces circonstances, il aurait été bien difficile de garder le contact, si bien qu’il disparut de la vie des sœurs Merryday. L’histoire aurait dû s’arrêter là. Les années passant, le lycée s’acheva et les sœurs partirent chacune de leur côté. Wendy continua ses études et devint professeure de français, à la grande fierté de ses parents. Myriam, quand à elle, fuit l’éducation pour partir à l’aventure. Elle se trouva des ennuis 4 partout, fréquenta les mauvaises personnes, fit des choix néfastes, mais après des années de dérive, elle finit par trouver un emploi comme serveuse dans un bar. Elle s’était lassée de l’aventure, un peu de stabilité lui convenait désormais. Alors, elle s’appliqua à ne pas ruiner cette nouvelle chance. Elle essaya de n’attirer la haine de personne, ce qui était déjà un exploit pour elle. Myriam avait réussi à se quereller avec toutes les personnes de son passé. Même M. et Mme. Merryday ne voulaient plus entendre parler d’elle, et les tentatives de Wendy de garder le contact, n’ayant abouti à rien, avaient fini par cesser. Myriam le regretta, et, non sans mal, parvint à retrouver la trace de sa jumelle. Cette dernière renoua avec son ainée avec plaisir, et les jeunes femmes restèrent par la suite toujours en contact. Wendy était parfaitement satisfaite de la vie qu’elle était en train de se construire. Elle avait beaucoup de travail, mais elle aimait ce qu’elle faisait, et elle aimait ses élèves. Son salaire lui avait permis d’aménager dans un appartement confortable de taille respectable, dans lequel son compagnon, rencontré durant ses études, la rejoint rapidement. Ryan refit surface dans la vie de Wendy, juste après une rupture amère entre la jeune femme et son compagnon. Leur rencontre n’était due qu’au hasard. Ils vivaient dans la même ville, mais ne s’en étaient jamais rendus compte… jusqu’au jour où ils se croisèrent dans un bar. Wendy y était venue dans l’intention de se saouler pour ne plus penser à son ex, mais cela ne fut pas nécessaire. -Myriam ! l’interpella une voix incrédule. Se retournant par réflexe, elle s’aperçut que c’était bien à elle qu’on s’était adressé, et découvrit un visage familier. Cet énorme sourire lui rappelait quelque chose… Lorsqu’elle se souvint, l’étonnement la priva de sa voix un moment. -Qu’est-ce que tu fais ici ? fit l’homme qui se tenait devant elle. C’est dingue, je ne pensais pas te revoir un jour ! -Ry—Ryan ? bégaya Wendy. -Myriam. Wow, c’est vraiment dingue. Je t’offre un verre ? Dis non, lui ordonna la voix de la raison. Dis non, ou tu vas te retrouver dans une situation impossible. -Oui, répondit Wendy en rendant son sourire à son interlocuteur. Oui, avec plaisir. Le soleil, qui se déversait sur elle, réveilla Wendy. La fenêtre était juste en face de son lit. La jeune femme bailla et, émergeant doucement, se frotta les yeux. On dirait que j’ai réussi à m’endormir, au final. Avec des mouvements maladroits, la professeure posa un pied, puis deux, sur le sol, et s’étira méticuleusement. Puis elle se leva lentement. En sortant de sa chambre, elle ne put éviter de rencontrer son reflet dans le grand miroir qui ornait la porte de son armoire. Elle avait toujours une allure désastreuse, le matin. Son bas de pyjama était froissé, et le haut avait des bretelles qui ne tenaient jamais en place, laissant toujours une de ses épaules dénudées. Quand à Wendy elle-même : ses cheveux nécessitaient chaque matin un brossage méticuleux, avant lequel ils se dressaient telle une crinière emmêlée. En prime, elle parvenait toujours à garder une trace rouge sur une de ses joues, marquant le côté sur lequel elle s’était assoupie. Elle avait un teint si blanc que cela se voyait à des kilomètres à la ronde. Wendy traina des pieds jusqu’à sortir de sa chambre. Elle traversa le petit couloir qui courait au travers de son appartement pour rejoindre la cuisine. Là, elle se prépara un café, qu’elle but distraitement en compagnie d’un bol de céréales. Son esprit se réveilla peu à peu. Elle aimait beaucoup les samedi matins comme celui-ci. Il était si agréable de pouvoir prendre son temps, après le réveil ! Finalement, Wendy renonça. Elle avait tenté de bannir Ryan de ses pensées, en vain. 5 Après leur rencontre inattendue dans le bar, ils avaient bu un ou deux verres et s’étaient raconté tout ce qu’il leur était arrivé depuis la dernière fois. Wendy ne lui avait pas menti, mais elle avait omis de lui expliquer l’histoire de sa ruse avec Myriam. Sur le moment, elle s’était retenue, en se disant qu’après tout, ce n’était pas si important, et que de toute manière, Ryan n’était qu’une vieille connaissance qu’elle ne reverrait probablement plus par la suite. Sauf qu’à un moment, cette vieille connaissance fit remarquer qu’il était temps pour lui de rentrer. Puis, très innocemment, il signala qu’il n’habitait pas loin, et que Myriam pouvait l’accompagner, si elle n’avait rien d’autre à faire. Wendy accepta. Le lendemain, en se réveillant chez lui, elle réalisa avec résignation qu’elle aurait du mal à se sortir de cette situation. Dis-lui la vérité, susurrait la voix de la raison. Dis lui maintenant, et il ne t’en voudra pas. Du moment que tu es honnête dès le début. Mais cette voix se faisait toujours ignorer. Demain, s’était promis Wendy. Je lui dirai demain. C’était ainsi qu’avait commencé la litanie. Chaque matin, chaque soir, la jeune femme remettait le moment incontournable au lendemain. Cela faisait bientôt trois ans que Ryan et elle étaient ensemble. Myriam, lorsque sa sœur lui en avait parlé, avait trouvé la situation extrêmement comique. Trois ans, et Wendy n’avait toujours pas ouvert la bouche. Récemment, ils avaient commencé à parler d’emménager ensemble. Mais il continuait à l’appeler Myriam. Un jour ou l’autre, il le saura. Dis-lui. Demain, peut-être. Aujourd’hui, je n’ai vraiment pas envie. Wendy porta son regard sur la pendule suspendue à l’un des murs de la cuisine. Il était huit heures trente. Ryan devait passer la chercher à dix-huit heures. La professeure aurait la journée à elle. Dans son sac se trouvaient plusieurs tas de copies à corriger. C’étaient des rédactions, elle aurait besoin d’y passer plusieurs heures. Alors Wendy finit ses céréales, lava rapidement ses couverts, et partit prendre une douche avant de se mettre au travail. Lorsque Ryan sonna à la porte, très ponctuel, Wendy ouvrit presque tout de suite. Elle était prête depuis une trentaine de minutes. La voyant, son compagnon l’accueillit avec un sourire émerveillé. -Décidément, tu es de plus en plus belle, la complimenta-t-il. Elle pouffa. En même temps, elle avait sorti le grand jeu : elle portait sa plus belle robe, avait réussi à transformer sa crinière en une cascade brillante de boucles blondes, et s’était même maquillée, contrairement à son habitude. Ryan n’avait rien à lui envier. Il portait un costume noir qui lui allait merveilleusement bien. -Et toi, tu es de plus en plus chic, sourit Wendy. Ils se rendirent au restaurant avec la voiture de Ryan. La jeune femme avait aussi son permis, mais ne s’était jamais acheté de véhicule. Tous les deux venaient ici pour la première fois. Ils découvrirent un endroit simple et moderne, qui transpirait le luxe. Wendy se dit qu’elle ferait bien d’en profiter, étant donné qu’elle ne reviendrait probablement jamais. Tandis qu’on les menait à leur table, ils observèrent discrètement les autres clients, chose qui leur permit de constater qu’ils avaient bien fait de porter leurs vêtements les plus chics. Ils s’installèrent tranquillement. Les sièges étaient très confortables. La nourriture était délicieuse – l’endroit méritait sa réputation, visiblement. Ils burent quelques verres de vin, mais pas suffisamment pour leur brouiller les idées. Ils parlèrent, comme d’ordinaire, et Wendy comprit avec horreur qu’elle était vraiment amoureuse de cet homme. Je te hais, Myriam. Je te hais. Dis-lui, dis-lui, dis-lui… 6 Le temps filait, et Wendy n’avait toujours rien dit. Elle se répétait que c’était nécessaire, mais à chaque fois qu’elle était sur le point de se lancer, Ryan lui disait quelque chose, ou elle était distraite par un détail – il se produisait toujours quelque chose qui lui faisait reporter l’inévitable à plus tard. Au pire, je lui dis demain. Il n’y a pas d’urgence. Pas d’urgence ? Si, il y a urgence. Trois ans que tu repousses à demain. Demain peut-être, c’est bien mignon… Demain, c’est aujourd’hui. C’est maintenant ou jamais. Bien trop rapidement, le dessert toucha à sa fin. Wendy savait qu’ils devraient bientôt partir. Alors qu’elle se maudissait intérieurement de n’avoir toujours pas expliqué la situation à son interlocuteur, ce dernier se racla la gorge. -Oui ? fit-elle. Ryan lui sourit nerveusement. -J’ai un truc important à te dire. -Moi aussi, avoua-t-elle. -Vas-y. -Non, toi d’abord. -Tu es sûre ? -Oui oui, vas-y. -Bon, dit-il. Je suppose que c’est maintenant ou jamais. Ne te moque pas de moi, d’accord ? Elle fronça les sourcils, sur le point de lui demander une explication, mais toute faculté de parler lui fut ôtée lorsqu’elle comprit. Ryan quitta sa chaise, et s’agenouilla devant Wendy. Il respira profondément pour se donner courage, puis sortit lentement une petite boite noire de l’intérieur de sa veste. En lui montrant la bague qui se trouvait à l’intérieur, avec un large sourire vaguement nerveux, il lui demanda d’une voix claire : -Myriam Merryday, veux-tu m’épouser ? 7