Commerce électronique

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Commerce électronique
Commerce électronique
Juillet 2002
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.
La nouvelle loi québécoise sur le commerce électronique
Par Claude Marseille
Le commerce électronique est maintenant une réalité incontournable. Il est cependant source d’inquiétude pour
les entreprises qui veulent s’y aventurer. Un contrat conclu de façon purement électronique, sur un site web ou par
échange de courriels par exemple, sera-t-il reconnu par les tribunaux ? Peut-on abandonner le papier ? Quel est
l’effet juridique et la valeur probante d’un document préservé uniquement sur un réseau, une fois le document sur
support papier détruit ?
Pour répondre à ces incertitudes et promouvoir le développement du commerce électronique, les gouvernements
d’à peu près tous les pays industrialisés ont adopté des lois à cet égard au cours des dernières années. L’initiative
québécoise en ce sens est la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information1 (la « LCCJTI »),
entrée en vigueur le 1er novembre 2001.
Le « document », point d’ancrage de la loi
La LCCJTI s’articule autour de la notion de document, qui ne doit plus impliquer l’utilisation du papier.
Désormais, toute information portée par un support constitue un document2. Ce support peut être le papier, bien
sûr, mais aussi tout support technologique : disquette, CD-ROM, disque dur, réseau, etc. L’information doit être
intelligible à l’être humain, sous forme de mots, de sons ou d’images; bref, constituent des documents non
seulement les écrits traditionnels, utilisant les caractères de l’alphabet, mais aussi des pictogrammes ou même des
enregistrements audio ou vidéo.
Les principes directeurs de la loi
La LCCJTI établit les principes visant à assurer que les documents technologiques seront aussi valables aux yeux
de la loi que les traditionnels documents papier, soit la neutralité technologique, la liberté de choix quant au
support choisi, l’équivalence fonctionnelle des documents, peu importe leur support, et l’interchangeabilité des
supports :
§
chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix pour créer ou conserver un document, dans la
mesure où l’on respecte par ailleurs les règles de droit applicables au type de document visé, et sauf
disposition contraire expresse de la loi;
1
2
L.Q. 2001, c. 32
Ibid., art. 3. Voir aussi l’art. 71
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§
l’exigence d’un « écrit » ou d’un « document » dans la loi n’emporte pas l’obligation d’utiliser le support
papier, un support technologique étant tout aussi valable3;
§
la valeur juridique d’un document n’est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu’un support ou une
technologie spécifique a été choisi;
§
des documents sur des supports différents ont la même valeur juridique s’ils comportent la même information,
si l’intégrité de chacun d’eux est assurée (voir ci-après pour cette notion) et s’ils respectent tous les deux les
règles de droit qui les régissent.
Bref, un document est un document, peu importe le support choisi, et ce qui se faisait jusqu’ici sur support papier
peut désormais se faire aussi sur support technologique, sans restriction (sauf disposition expresse de la loi et sous
réserve des conditions dont nous traitons ci-après). Ceci comprend, par exemple, la conclusion d’un contrat écrit,
l’émission d’un chèque ou la rédaction d’un testament4.
L’intégrité d’un document technologique, nécessaire à sa valeur juridique
Les documents technologiques présentent des problèmes délicats lorsqu’il s’agit de documenter, avec une certaine
permanence, un fait juridique, notamment une transaction commerciale. Contrairement aux documents papier, ils
peuvent être facilement modifiés, une caractéristique précieuse lors de la rédaction et la négociation d’une
convention, mais qui devient inquiétante lorsqu’il s’agit d’en conserver une preuve permanente uniquement sur
support technologique.
Dès lors, pour qu’un document technologique soit reconnu valable aux yeux de la loi, la LCCJTI prévoit que le
support choisi doit en assurer l’intégrité, au même titre que le papier assure l’intégrité des documents conservés
sur ce support, étant entendu que la perfection n’est pas de ce monde. Selon l’article 6 LCCJTI, l’intégrité d’un
document est assurée « lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’en est pas altérée et qu’elle est
maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité
voulue. ». Et cette intégrité doit être maintenue tout au cours du « cycle de vie » du document considéré, soit
« depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa transmission, jusqu’à sa conservation, y
compris son archivage ou sa destruction. »
Ces conditions sont rigoureuses, si rigoureuses en fait qu’elles sont susceptibles de remettre en question l’objectif
de la LCCJTI d’encourager l’utilisation des documents technologiques pour remplacer le papier. Quel logiciel en
effet permet de vérifier que l’information contenue dans un fichier n’a jamais été altérée au cours de son « cycle
de vie » et qu’elle est maintenue dans son intégralité ? Par exemple, des fichiers de traitement de texte WordMC ou
WordPerfectMC, ou encore un courriel, n’offrent pas de telles garanties : il est facile de les altérer sans laisser de
trace.
3
4
Ibid., art. 2, al. 2
Voir notamment l’art. 71 LCCJTI
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Sans doute conscient de ce problème, le législateur ajoute que l’intégrité (et donc la valeur juridique) d’un
document technologique doit être présumée5. Il n’appartient pas à la partie qui invoque un document
technologique en justice d’établir que son intégrité a été assurée tout au cours de son cycle de vie, mais bien à son
adversaire de démontrer que son intégrité a été atteinte. Ce renversement du fardeau de la preuve est étonnant en
droit civil québécois et contraire aux règles connues jusqu’ici dans un monde papier (c’est à la partie qui invoque
un écrit en justice de prouver son authenticité, et non pas à son adversaire de prouver qu’il s’agit d’un faux).
Le maintien de l’intégrité du document au cours de son cycle de vie
Le législateur prévoit ensuite différentes règles relatives au maintien de l’intégrité d’un document technologique
au cours de son cycle de vie, notamment lorsque l’information contenue dans un document est transférée d’un
support à un autre (par exemple, un chèque est numérisé sur CD-ROM et ensuite détruit), conservée pour une
certaine période de temps, consultée par un tiers ou transmise à une autre personne (par exemple par courriel).
D’un intérêt particulier dans le cadre du commerce électronique est l’article 35 LCCJTI, qui traite des produits ou
services offerts au moyen d’un document préprogrammé (par exemple un site web où l’on peut acheter des
produits ou services en cliquant sur un bouton « J’accepte », ou un autre dispositif semblable). Animée d’un souci
de protection du consommateur, cette disposition prévoit qu’un tel document préprogrammé doit contenir des
instructions et des moyens pour que la partie qui l’utilise puisse éviter les erreurs ou les corriger, le cas échéant
(par exemple, si elle clique erronément sur une confirmation de commande alors qu’elle ne voulait effectivement
pas du produit ou du service offert), sous peine de nullité de la transaction.
L’établissement d’un lien avec un document technologique, notamment par une
signature technologique
Le législateur confirme ensuite les procédés disponibles pour assurer le lien entre une personne ou une entreprise
et un document technologique6. L’identification de l’auteur d’un document dans le monde virtuel pose
effectivement de délicats problèmes. Notamment, un système de certificats et de répertoires est mis en place, par
lequel des autorités de certification accréditées par l’État pourront confirmer l’identité des personnes ou des
entreprises contractant à distance. La LCCJTI précise les règles relatives à la responsabilité civile de ces autorités
de certification, en cas d’erreur sur la personne dans un contexte virtuel.
Cette section de la loi est d’un intérêt particulier pour l’entreprise qui désire se lancer dans le commerce
électronique puisqu’elle confirme la validité d’une signature purement technologique. L’article 39 LCCJTI7, en
effet, édicte que la signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une
marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante pour manifester son consentement. Ceci vaut
bien sûr pour une signature manuscrite apposée sur un document papier, mais aussi pour un code secret par
exemple, personnel à son utilisateur, utilisé pour manifester son consentement à un contrat purement
technologique. Par exemple, un échange de courriels respectant ces conditions peut très bien servir de contrat «
écrit » à ceux qui l’utilisent à cette fin, et sera reconnu par les tribunaux au même titre qu’un traditionnel contrat
écrit sur support papier.
5
Ibid., art. 7
Ibid., arts 38 à 62
7
Lu en conjonction avec l’art. 2827 C.c.Q.
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L’harmonisation des systèmes, des normes et des standards techniques
La LCCJTI n’identifie pas elle-même les moyens technologiques qui peuvent être adoptés pour rencontrer les
obligations qu’elle impose. Le législateur prévoit cependant la constitution d’un « comité multidisciplinaire pour
l’harmonisation des systèmes et des normes », lequel pourra recommander les systèmes, les normes et les
standards techniques susceptibles de faciliter l’application concrète de la LCCJTI8. Le gouvernement pourra aussi
adopter des règlements à cet égard. Dans l’intervalle, la loi s’applique et les principes qu’elle établit doivent être
respectés.
Conclusion
Malheureusement, bien que procédant de bonnes intentions, la LCCJTI risque, selon nous, de nuire au
développement harmonieux du commerce électronique au Québec plutôt que de le favoriser. Cette loi, en effet,
est d’une facture lourde et compliquée, difficilement intelligible. Mais aussi, et surtout, la loi québécoise ne
s’harmonise aucunement avec les autres lois sur le commerce électronique adoptées ailleurs. L’harmonisation et
la coordination des diverses lois dans le domaine est particulièrement importante puisque, comme chacun sait, les
frontières n’ont plus d’importance dans le cadre du commerce électronique. Différentes lois modèles avaient été
adoptées à l’égard du commerce électronique, dont l’une, notamment, par la Conférence pour l’harmonisation des
lois au Canada. Toutes les provinces s’en sont inspirées, sauf le Québec. Celui-ci fait donc bande à part et il est
difficile de prévoir pour l’instant si le contexte juridique québécois s’avérera favorable à l’essor du commerce
électronique.
On peut communiquer avec Claude Marseille, à Montréal, au 514 397 4337 ou à :
[email protected]
8
Ibid., arts 63 à 68