Que Dieu est bon et tout-puissant…

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Que Dieu est bon et tout-puissant…
Que Dieu est bon et tout-puissant…
mais pas comme on le pense généralement
Permettez qu’aujourd’hui je ne prenne pas un texte biblique pour point de départ à cette
méditation, mais un échange que j’ai eu il y a quelques semaines. C’était avec l’un de mes
enfants. La réflexion dont il m’a fait part et la question qu’il m’a posée ont suscité en moi de
nombreuses cogitations qui, je pense, sont très actuelles. Quentin – c’est son prénom – était
allé voir au cinéma le film « Batman versus Superman ». La thématique principale en est la
suivante : Batman, superhéros bien connu dans sa ville de Gotham, ayant atteint un certain
âge, est confronté à l’apparition sur terre et dans le ciel de Superman.
Batman, lui, n’a pas de pouvoirs particuliers. Sa force, il la tient d’un entrainement des
plus poussés et d’une technologie très avancée, permise grâce à des moyens financiers
illimités, un centre de recherche personnel ultra sophistiqué et un serviteur, Alfred, plus
chercheur et inventeur que réellement serviteur.
Superman, venu de la planète Krypton, a lui des supers pouvoirs qui le rendent presque
invincible et immortel, faisant de lui un être surnaturel tout-puissant venu du ciel et élevé
sur terre par des parents adoptifs. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Et Superman de venir en
aide à l’humanité, plus exactement aux humains, en mettant à leur service ses pouvoirs pour
lutter contre le mal, la violence, la souffrance, quelle que soit leur origine, du fait de la
nature ou du fait des hommes.
La rencontre entre ses deux personnages aurait pu être des plus bénéfiques pour la
société. S’unissant, ils auraient lutté encore plus efficacement contre le crime, les violences
de toutes sortes… en une formule synthétique : contre le mal et ses maux.
Sauf que c’est précisément là que Batman va se poser une question ô combien difficile.
Lui qui n’est qu’un homme marqué par les traumatismes de l’enfance, dont celui de la mort
violente de ses parents sous ses yeux juvéniles, reconnaissant en Superman un être aux
pouvoirs qui font de lui une sorte de dieu tout-puissant, il se demande : le tout-puissant
saura-t-il toujours resté du côté du bien ? N’y a-t-il pas une chance – ou plutôt une
malchance – même une sur cent – de le voir un jour passer du côté obscur – pour reprendre
le vocabulaire bien connu d’un autre film ? La réponse est logique : il n’y a pas de garantie à
100 % que Superman reste à tout jamais du côté du bien. Alors, principe de précaution
oblige, pour éviter une catastrophe aux conséquences inimaginables pour l’humanité,
Batman se sait obligé d’entrer en lutte contre Superman pour l’éliminer, et ainsi éviter que le
tout-puissant qui fit des merveilles ne passe du côté du mal. Si, tel que décrit, Superman est
une image du messie tout-puissant – le film a un arrière-fond biblique des plus évidents – la
question posée à Batman est la suivante : « Un dieu ne peut être à la fois bon et toutpuissant. Parce que s’il est bon, il n’est pas tout-puissant, et s’il est tout-puissant il n’est pas
bon ? »
C’est bien celle que m’a envoyée mon fils, et elle n’est certainement pas que la sienne. Je
l’ai trouvée reprise dans de nombreuses critiques du film, et dans de nombreux blogs sur
internet. Elle a été et est encore celle de beaucoup de gens. Si Dieu est vraiment bon et toutpuissant, tel qu’il est désigné habituellement, pourquoi n’a-t-il rien fait pour contrevenir aux
attentats du 22 mars, du 13 novembre et de tous les autres à travers le monde ? Pourquoi
n’a-t-il pas retenu le tsunami au Japon, la foudre ce samedi soir à Paris, en Pologne ou en
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Allemagne ? Et pourquoi les tremblements de terre qui font tant de victimes innocentes ?
Pourquoi n’est-il pas intervenu pour que ne meurent pas ces trois bébés qu’il a bien fallu
pourtant que j’ensevelisse ? S’il y a bien des morts injustes et qui ne pourront jamais avoir
de sens, ce sont celles-ci : les morts subites des nourrissons ! Et la Shoah ? Et la Première et
la Seconde Guerre mondiale ? Toutes ces guerres qui gorgent la terre de sang, à Verdun et
ailleurs, trop d’ailleurs… il n’est pas question ici de sang impur qui abreuve nos sillons, tout
sang versé est du sang en trop dans la terre…
J’ajoute à la précédente une question subsidiaire que, personnellement, je n’ai jamais pu
résoudre, à laquelle je ne peux me résoudre. Lorsque j’étais à Paris, j’avais un ami qui a
échappé par miracle – c’était son expression – à un évènement qui aurait pu au moins le
blesser et peut-être le tuer. Tous les jours, pour se rendre à son travail, il suivait le même
trajet. Un matin, une explosion s’est produite au lieu et à l’heure où il aurait dû se trouver.
Mais ce jour-là, sans qu’il puisse dire pourquoi sur le moment, il a changé d’itinéraire,
prenant une rue à côté. Par la suite, il disait que Dieu l’avait sauvé, que Dieu avait été bon
pour lui. Certes, mais alors que dire pour les autres personnes victimes de l’explosion. Dieu
serait-il bon pour l’un et pas pour les autres ? Une bonté sélective est-elle encore de la
bonté ? Pourquoi ne pas avoir sauvé toutes les personnes ?
Si Dieu était réellement tout-puissant et bon, n’aurait-il pas dû demander à ses anges
d’intervenir pour porter l’Airbus de peur que son fuselage ne heurte une vague et se
disloque, permettant ainsi à toutes les personnes qui étaient à bord de prendre place dans
des canots de sauvetage et d’être sauvées, y compris ce bébé qui a eu une vie si courte, trop
courte – je sais, dire cela c’est jouer sur les émotions, et alors les émotions sont l’expression
de l’envie de la vie, pas de la mort…
Si Dieu est réellement le tout-puissant dont on parle et qu’il n’agit pas, c’est qu’il n’est
pas bon !
Et s’il est bon, mais qu’il ne fait rien ou que sélectivement, c’est qu’il n’est pas toutpuissant !
J’ai alors repris ma Bible et j’ai cherché.
Première remarque : lorsque Dieu est qualifié de tout-puissant dans un passage, il n’y est
jamais dit bon, et réciproquement. La toute-puissance de Dieu et sa bonté ne sont jamais
juxtaposées l’une à l’autre. Dès lors, les opposer est aussi factice que de les rapprocher.
De plus, sa toute-puissance n’a rien à voir avec celle ordinairement appliquée aux
humains. Dans la Bible, elle est d’abord et avant tout liée à son acte créateur des origines. Le
Dieu tout-puissant est celui qui a créé l’univers et tout ce qu’il contient, la terre et tous les
vivants qui la peuplent. Il est le donateur de vie. Ensuite, elle est affirmée en référence à la
sortie d’Égypte, lorsqu’il a étendu la main pour libérer le peuple hébreu de l’esclavage, puis
le mener dans le désert jusqu’à la terre promise. C’est un acte libérateur. La toute-puissance
de Dieu est donc définie par ses deux actes fondamentaux que sont la création et la
libération. Nous sommes là très loin de la toute-puissance ordinaire que la psychanalyse
définit avec raison comme le mal par excellence : faire ce que je veux quand je veux de qui je
veux parce que je suis référé à moi-même et à nul autre. Cet acte-là n’est ni créateur ni
libérateur, il est destructeur et aliénateur. Pour répondre à mon fils, je lui ai écrit qu’elle est
bien ce mal à l'origine de beaucoup de maux... Le tout-puissant est celui qui se prend pour le
maitre... qui se fait dieu à la place de Dieu, qui édicte les règles à sa façon... et là, Quentin a
eu raison de citer Hitler — dans la Bible ce serait Pharaon. Dans la Bible, Dieu est seul à être
tout-puissant, parce qu’il est le créateur et le libérateur. Cela évite à l'homme de se prendre
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pour ce qu'il n'est pas. Il est à l'image de Dieu, il n'est pas Dieu. Celui ou celle qui est dans la
toute-puissance considère ses désirs, ses pulsions... en fait, se considère comme la référence
et s'impose aux autres. La Bible, en attribuant la toute-puissance à Dieu seul, fait de lui la
référence première à laquelle tout humain est référé. En cela, même si on considère que
Dieu n'existe pas, la religion a du bon.
Autre élément important pour une bonne compréhension, le terme grec de
pantokratwr, que nous connaissons par les mosaïques et autres tableaux représentant le
Christ Pantokrátor dans nombre de basiliques anciennes, n’apparait qu’exceptionnellement
dans le Nouveau Testament : jamais dans les évangiles, une seule fois chez Paul en
conclusion d’une série de citations du Premier Testament i, et uniquement dans
l’Apocalypseii, livre prophétique au langage symbolique hyper développé. Par ailleurs, la
nouvelle édition de la Traduction Œcuménique de la Bible a choisi de rendre cette
expression non plus par tout-puissant, mais par souverain. C’est dire l’embarras que crée
l’usage de cette notion, trop mal comprise lorsqu’elle est séparée de ses racines
vétérotestamentaire qui montrent Dieu tout-puissant lorsqu’il est créateur et libérateur.
Maintenant, la bonté de Dieu. Tout comme pour l’image du Dieu tout-puissant, le Bon
Dieu semble absent du Nouveau Testament. Une seule fois, Dieu est dit bon. À un homme
venu l’interroger en lui demandant « Bon maitre, que faut-il faire… ? », Jésus répond :
« Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul. »iii
Il y a bien entendu le passage de l’évangile de Jean où Jésus déclare : « Je suis le bon
berger »iv. Encore que là bon ne soit pas accolé à Dieu, mais à la figure du berger. Le bon
berger est celui qui donne sa vie pour ses brebis ; il est celui qui les connait et qu’elles
reconnaissent. Dans le Premier Testament, la bonté de Dieu entre dans le champ
sémantique de l’amour. L’amour et la bonté consonnent l’une à l’autre. L’évangile de Jean
ne fait rien d’autre que reprendre cela puisque dans la bouche de Jésus « nul n’a d’amour
plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime »v qui entre en résonnance
avec le bon berger qui précisément « se dessaisit de sa vie pour ses brebis ».
Amour et bonté décrivent le lien particulier qui unit Jésus à ses disciples et au-delà à tout
croyant, Dieu à son peuple et au-delà à toute sa création.
S’il est une personne qui a été confrontée à cette remise en question de la simultanéité
de la toute-puissance et de la bonté de Dieu, c’est bien Etty Hillesum, jeune femme juive
dans une Amsterdam ravagée par la Seconde Guerre mondiale, et qui découvre la foi un jour
en s’agenouillant pour prier au beau milieu de ce désastre humain. Sylvie Germain écrit à
son sujet : « L’homme est appelé à donner un fruit unique dans la création : le fruit de
l’amour. Il a la charge des autres, et c’est en transformant cette terre qu’il se réalise
pleinement, qu’il répond à sa vocation d’homme créé à l’image de Dieu… La providence de
Dieu est davantage de l’ordre d’un dynamisme de vie en l’homme, qui le fait plus agir dans le
sens de l’amour, qu’un deus ex machina qui interviendrait à temps et à contretemps dans les
affaires de notre monde, au gré des prières qui lui sont adressées… Nous comptons sur Dieu
pour nous aider devant les épreuves de la vie, nous croyons qu’il agit en notre faveur, mais
Etty, par sa conception de la providence, nous rappelle que Dieu compte sur nous et qu’il
nous offre avant tout sa grâce afin que nous puissions répondre à notre très haute vocation…
Comme voie de salut, Dieu nous propose de le laisser faire sa demeure en nous et de
transfigurer ainsi nos vies à sa ressemblance, afin que non seulement elles soient ordonnées
pour que nous vivions éternellement auprès de lui, mais que, dès maintenant, elles soient
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porteuses de sa sollicitude à l’égard de notre monde, porteuses d’un amour qui est plus fort
que la mort, et qui donne sens à l’existence de celles et ceux qui l’accueillent… Son Dieu […]
révèle sa puissance dans la faiblesse, comme si la seule force capable de transformer
l’univers était l’amour qui va au bout de lui-même et qui a sa source en Dieu… Etty a
l’intuition d’un Dieu qui prie l’homme autant que l’homme le prie. »
En fin de compte, si Dieu n’est pas le tout-puissant à la manière des hommes, mais le
demeure dans l’amour en étant créateur et libérateur, c’est mieux pour toutes celles et tous
ceux qui, comme Etty, trouvent en eux la voie du salut – « Un peu de toi en nous, mon
Dieu »vi – et par eux mettent un peu de lui dans le monde, un peu de création et de
libération, un peu d’amour. N’est-ce pas là le chemin tracé par Jésus ? C’est celui que j’avais
envie de vous inviter à suivre ce matin.
Une dernière chose au sujet de ce film. Pendant que Batman se démène avec sa question
et en découd avec Superman, Lex Luthor (celui qui a vraiment posé la question à Batman)
prépare le mal en puissance. Pendant que les théologiens et les philosophes discutent et
parfois s’opposent, peut-être que le mal grandit dans ce monde, à cause de leur incapacité
d’amour, ou quand l’idéologie prend le pas sur la vie ?
Et un ultime clin d’œil cinématographique. Dans le Tout Nouveau Testament, Dieu y est
méchant. C’est alors qu’il se révèle comme particulièrement incapable de toute-puissance, il
ne peut même pas marcher sur les eaux – ce que son fils il y a bien longtemps, et sa fille
devant ses yeux font. C’est un signe. Il ne peut pas être tout-puissant, il est avant tout
destructeur et non créateur ou libérateur… car il n’aime pas. Le Dieu de la Bible n’est pas
ainsi. Lui, il est tout-puissant dans l’amour, et c’est en ce Dieu que je crois. Comme quoi, un
film ironique peut aussi présenter une vérité profonde.
Bruneau Jousellin
Bruxelles-Musée
Le 29 mai 2016
i
2 Corinthiens 6, 18
Apocalypse 1, 8 ; 4, 8 ; 11, 17…
iii
Luc 18, 18.19 et //
iv
Jean 10, 11ss
v
Jean 15, 13
vi
Prière du 12 juillet 1942
ii
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