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La répression de l'insurrection légitimiste en 1832 dans la région nantaise
Jean-Claude Drouin
Extrait de
97e Congrès national des sociétés savantes
Nantes, 1972, hist. mod.,t. II, p. 229 à 242.
La tentative légitimiste de soulèvement armé de mai-juin 1832 n'a pas été une surprise pour le
gouvernement de Louis-Philippe 1er, roi des Français1. Depuis plusieurs mois, les autorités centrales et
régionales étaient au courant de ce qui se préparait. Une lettre de Casimir Périer du 6 mars 1832 parle déjà d'«
excitations carlistes ». Ce qui est plus, un an auparavant le sous-préfet de Savenay ordonne la perquisition du
château de Careil2 et justifie ainsi son initiative :
« Elle prouvera aux carlistes que nous avons de forts soupçons contre eux... elle jettera l'épouvante parmi
eux et éclaircira les rangs de leurs partisans. »3
Cette prophétie s'est en partie réalisée, car les partisans de la dynastie déchue en 1830 ont été très divisés
sur l'opportunité d'une levée de boucliers contre la nouvelle dynastie jugée usurpatrice. En mai-juin 1832,
lorsque l'ordre de l'insurrection générale a été enfin lancé, ils ne furent que quelques centaines à y répondre et à y
participer.
Nous n'avons pas la prétention de faire le récit des événements qui se, sont déroulés dans les provinces de l'Ouest
en juin 1832, car les ouvrages sur cette question sont déjà fort nombreux et précis. Depuis le XIXe siècle, J.
Crétineau-joly, A. de Courson et Émile Gabory ont écrit des études, partiales, mais fort intéressantes à des titres
divers4. Notre but a été d'exploiter d'une façon nouvelle et systématique le volumineux dossier 1 M 565 des
archives du département de Loire-Atlantique et du comté nantais5. Ce dossier renferme 432 pièces consacrées à
la surveillance des suspects pendant la période 1830-1848. En fait, la quasi-totalité des documents concerne la
période 1832-1834.
Quelle image ces témoignages contemporains permettent-ils de se faire des événements de 1832 dans la
région nantaise ? Il s'agit, bien sûr, de documents très « orientés » et très critiques, rédigés par les adversaires
politiques des légitimistes. Nous avons essayé, à travers ces fiches de renseignements souvent très brèves, de
mieux approcher la personnalité de ceux qui ont tenté vainement de s'opposer à l'usurpateur Louis-Philippe6.
On sait que sur les conseils de Madame de La Rochejaquelein, la date du dimanche 3 juin 1832 avait été fixée
par Bourmont pour le soulèvement. Cette deuxième tentative ne réussit pas. La Rochemacé, après un succès à
Riaillé7, est obligé de licencier ses troupes. Le 4 juin, les paysans de la région nantaise tentent de se réunir à
Maisdon (arr. Nantes, commune Aigrefeuille) sous la direction de Charette8, mais le général Dermoncourt9 les
disperse facilement avant qu'ils puissent être nombreux. Le 5 juin, Charette et Hervouet de La Roberie font leur
jonction. C'est le moment où se situe l'épisode sanglant de la mort de Mademoiselle de La Roberie, tuée par les
Bleus. D'où la réaction de son père et de son frère, qui remportent le premier combat du Chêne avant d'être battus
dans le second10. Le rapport officiel présente ainsi La Roberie : « C'est un vieillard, lorsqu'il a appris la mort de
sa fille, il a parcouru en fureur les rangs carlistes ; on dit ensuite qu'il s'est jeté en désespéré sur les troupes
patriotes. » Enfin, le 6 juin 1832 se déroula le combat de la Pénissière (en Vendée) tandis que la division de
Vallet ne fournissait que 400 hommes au lieu des 4 000 prévus. La guerre de Vendée était terminée... La
répression commençait.
Il semble que la répression ait été souvent exercée en fait avant le début de l'insurrection. Prévenue de
l'organisation du soulèvement, la police de Louis-Philippe a arrêté les chefs possibles. Ainsi, dès le 20 mars
1832, le procureur du Roi à Saint-Nazaire annonce l'arrestation du maire de Saint-Gildas11, de La Morandais,
chez qui on a trouvé un portrait de Charette, une médaille de Henri V et surtout deux lettres annonçant des
liaisons avec « des personnes peu amies du gouvernement et de Louis-Philippe ».
Le sous-préfet de Savenay annonce de son côté l'arrestation de deux carlistes, Duguiny12 et Espivent, le 30
mai. Il les accuse d'avoir chez eux du soufre, du salpêtre, des amulettes de drap vert portant une croix blanche
avec les mots « Dieu et le Roi », une pièce de 5 F à l'effigie de Henri V roi de France et cinquante brochures à la
louange du duc de Bordeaux.
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Le complot avait donc été préparé et organisé, mais les autorités en place ont été prévenues et ont
désamorcé le mouvement. Le sous-préfet écrit « Le mouvement annoncé n'a pas eu lieu, au moment d'agir le
coeur a manqué à ces vaillants champions de la légitimité, ils comptaient sur une surprise mais quand ils ont vu
que nous étions prêts à les recevoir ils ont remis la partie à un autre jour. Cependant ils nous tiennent toujours sur
le qui-vive. L'état d'inquiétude dans lequel on vit gêne et suspend toutes les opérations, pendant une fâcheuse
stagnation des affaires ; de là le mécontentement du peuple.. un malaise général. Ce n'est que par une fermeté
continue et une juste sévérité que l'on pourra faire cesser une si déplorable situation. »
En outre, une perquisition effectuée au château de La Charlière près de La Chapelle-sur-Erdre permet de
découvrir le comte Le Lièvre de Laubépin et des documents que ce dernier avait cachés dans une bouteille. Le
gouvernement de Louis-Philippe, averti du complot, proclama l'état de siège dans l'Ouest le 3 juin 1832.
Quels renseignements précis nous apportent les quelques centaines de documents consultés ? Montrent-ils
un « sentiment unanime d'affection et de dévouement » vis-à-vis des Bourbons comme l'affirmait un rapport de
la fin de 183013 ? Quelles sont les zones et plus particulièrement les communes, qui furent le théâtre d'«
événements » insurrectionnels ?
Les premiers rapports ont été rédigés juste après l'alerte de juin 1832. Ils portent encore le ton de l'émotion
provoquée par le soulèvement du 3 juin et l'affaire de Maisdon. Les renseignements fournis ne concernent que la
Loire-Inférieure, mais ils sont précis et nombreux dans le cadre des cantons.
L'arrondissement de Nantes fournit le plus grand nombre de noms et par conséquent de délits. La « bande »
réunie à Saint-Philbert de Grand-Lieu avait plusieurs meneurs : Louis de CornuIier14 les deux Pitard, de Lépinay,
et de La Roche, parents de Cornulier. Elle possédait treize souschefs gradés dont un capitaine, un lieutenant, cinq
chefs de commune. Il n'y avait que seize soldats, dont un aubergiste, un marchand de ferrailles, un
commissionnaire boucher. Quatre membres de la même famille Redois, originaires de Saint-Étienne de Mer
Morte, furent accusés d'avoir forcé les jeunes gens à marcher avec eux. Le village de Paulx semble avoir été un
lieu d'agitation ; le curé, Camus, faisait partie de la bande, ainsi que Harley instituteur et chantre. Un autre
habitant, Giraud, a été tué dans ce village.
En fait, il semble que Louis de Cornulier, responsable de la division de Machecoul, se soit opposé le 21 mai
1832 à la tentative d'insurrection. On avait appelé les chefs hostiles à l'entreprise téméraire des pancaliers du
nom d'une sorte de chou qui n'a pas de coeur15. Les troupes n'ont donc pas suivi les conseils de prudence de leurs
supérieurs.
La bande de Machecoul s'est réellement manifestée. Trois cents hommes étaient prévus, sous la direction de
Séjourné. En fait, ce dernier ne put réunir à la foire de Machecoul qu'une trentaine d'hommes avec de mauvais
fusils pris chez eux. D'autres rassemblements ont eu lieu entre les villages de la locherie et du Grand Chêne sous
la direction d'un certain Benjamin Blondeau (de Machecoul) qui a « excité » les jeunes gens à la révolte » et chez
qui douze chefs locaux se sont réunis le 5 juin 1832. Parmi les cinquante-six noms retenus le 12 juillet, on trouve
quatre fermiers de « Monsieur de Cornullier » (sic) à côté d'un charpentier et d'un horloger, alors que le meunier
Leduc est qualifié du titre de chef.
Au nord du lac de Grand-Lieu, que s'est-il passé dans les cantons de Bouaye et du Pellerin ? Peu de choses
en vérité : onze noms d'acteurs ont été retenus pour le second. Parmi eux on comptait trois laboureurs, deux
réfractaires, un forgeron, un débitant de tabac, un volailler, un secrétaire.
Dans le canton de Bouaye, les accusations portent sur trois chefs organisateurs, tous les trois des notables : de
Biret est accusé d'avoir réuni neuf personnes chez lui et d'avoir donné 10 F à un maçon pour qu'il prenne les
armes ; de Kersabiec, avec le titre de colonel, aurait donné des armes et des munitions à une trentaine
d'individus16, Bruneau de La Souchais, ex-juge à Nantes, a organisé une bande dans la nuit du 3 au 4 juin à
Pont-SaintMartin17.
En continuant notre enquête vers l'Est, en contournant Nantes, le canton de Vertou fournit en particulier les
noms des deux frères Bougrenet de La Tocnaye qui sont accusés d'avoir tiré des coups de fusils sur un certain M.
Prot. Quelques armes (6 fusils, 1 épée) ont été saisies chez Chiron de La Casinière. Mais dans l'ensemble, on
accuse les « agents organisateurs » d'avoir excité des rassemblements sans y paraître personnellement. Les
suspects sont peu nombreux : sept noms pour Vertou, trois seulement pour Aigrefeuille, dont celui de l'ex-
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militaire de Couëtus jugé comme embaucheur avec l'aide de son homme d'affaires Morison fils. Pour le village
de Vieillevigne, aux limites de la Vendée, on peut lire cette note rassurante pour les autorités : « Le maire croit
pouvoir assurer qu'il n'y aurait de soulèvement que dans le cas où ils y seraient contraints par une force
supérieure. »
Au-delà de Roche-Servière et du département de la Vendée, les trois chefs de Saint-Etienne et de Saint-Jean
de Corcoué portent le même nom : Morné Du Temple. Avec l'aide de quatre soldats (dont l'un domestique du
curé qui portait le drapeau) ils auraient forcé dix-neuf jeunes gens à les suivre. La bande semble avoir eu maille à
partir avec les autorités, puisque l'un de ses membres, le meunier jean Charon, fut blessé. Quant à l'instituteur
jean Maindron, le rapport de police dit qu'il mérite d'être arrêté pour avoir affiché des proclamations et
encouragé les paysans.
L'activité semble avoir été plus importante dans les cantons de l'Est près du département de Maine-et-Loire.
Le chef organisateur souvent cité pour les cantons de Clisson et de Vallet est un certain Le Chauff qui, le 4 juin
1832, réunissait trois cents hommes à La Blanquetière. Il demanda pour eux des rafraîchissements au maire du
Pallet, puis des armes et un cheval à l'adjoint du maire.
Le Chauff était accompagné de plusieurs lieutenants. Dans le canton de Vallet on trouve le « capitaine »
Terrien, ex-maire de Saint-julien de Concelles, le « lieutenant » Bécavin, ancien domestique de Le Chauff, et un
mystérieux Henry inconnu dans le pays. Le rapport officiel dit simplement que c'est un homme de petite taille,
portant une écharpe blanche au bras gauche ornée de trois fleurs de lys.
Dans le canton de Clisson, les deux « sous-chefs » assistant Le Chauff sont le sacristain de Monnières, qui a
sonné le tocsin après avoir reçu 3 F d'un certain Arondel, et le domestique d'un meunier du Pallet.
Enfin, dans le canton du Loroux-Bottereau, le chef Dudoré avec ses trois fils18 avait, à la tête de 250
hommes, tout brisé à la cure de La Remaudière dans la nuit du 4 au 5 juin. La nuit précédente, une bande de 400
hommes avait, selon les rapports officiels, subi une défaite. Ce qui n'empêcha pas le lendemain plusieurs bandes
de converger vers La Chapelle-Meulin . Lacombe avec 200 hommes, Guibert avec 150 hommes, Landemont
avec les jeunes gens de Saint-julien. Le rassemblement eut lieu dans la cour du château de Decombe, qui fournit
le vin et le pain.
Toutes ces bandes ont ensuite convergé vers Maisdon sur Sèvre, après avoir opéré leur fusion avec celles de
Le Chauff. Les chefs principaux signalés par les autorités sont le comte de Retz pour les troupes de La ChapelleMeulin et les frères Bache pour celles de Nantes.
Les autres arrondissements fournissent beaucoup moins d'acteurs de l'insurrection. Il n'y a que dix-huit
noms pour l'arrondissement de Châteaubriant., Saint-Mars du Désert (canton de Nort) est le lieu d'origine de
deux participants : le garçon meunier Pipot, auteur de « cris séditieux », et un certain Legrand, compromis dans
l'assassinat d'un gendarme qui avait eu lieu le 25 mars. Les armes auraient été fournies par un voiturier de Nozay
et un ex-douanier.
Cependant, une quarantaine de noms semblent montrer que l'arrondissement d'Ancenis a été le théâtre de
formation de bandes. Les points de ralliement signalés par la police sont Saint-Herblon tout près de la Loire, La
Rouxière, Riaillé et Couffé.
Le commandant de la 3e division royaliste du nord de la Loire était Jacques de La Roche-Macé, habitant
Couffé, aidé du chirurgien Dangeais fils (de La Rouxière) comme chef du bataillon. Des heurts ont eu lieu, car
Félix Landemont est dit avoir été blessé à la tête à Riaillé. Dangeais est accusé d'avoir enlevé à main armée les
caisses des percepteurs de Varades et de La Rouxière, si bien que sa famille a été obligée de combler le déficit.
Quant à l'arrondissement de Savenay, treize individus furent traduits en cour d'assises et une douzaine furent
compromis. Quelques communes sont particulièrement visées : Pont-Château, où l'ancien maire Dufresne de
Thimar et la famille du marquis de Coislin ont joué un rôle prépondérant19, Donges avec son ex-curé Pierre Le
Masson, La Chapelle des Marais (au nord de la Grande Brière) où le garde champêtre est désigné, Plessé enfin.
Mais le 15 septembre 1832, les charges pour poursuivre les dix habitants de Plessé n'étaient pas suffisantes.
Certains événements graves en Loire-Atlantique se sont donc déroulés en juin 1832. Des bandes se sont
formées : quelques centaines d'hommes en tout, qui ont fini par se retrouver dans les landes de Bouaisnes. A ces
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manifestations collectives on peut ajouter des actes isolés : à la Limouzière (au sud de Saint-Philbert) Pierre
Rigolet, un charpentier charron, a descendu Ic drapeau tricolore, l'a brûlé, il a sonné le carillon... Mais dans
l'ensemble, les « forces de l'ordre » ont constaté avec plaisir que les paroisses qui s'étaient distinguées dans «
l'ancienne guerre » n'avaient pas bougé. L'enthousiasme constaté par le baron de Bordigné à la fin de l'année
1830 n'a pas provoqué de soulèvement général quinze mois plus tard.
On constate enfin que les principaux centres du mouvement de 1832 se situent au sud de la Loire : SaintColombin (à 6 km de Saint-Philbert de Grand-Lieu) était le quartier général de La Roberie qui, commandant en
chef du mouvement sous les ordres de Charette, avait rassemblé chez lui les différentes bandes. Ensuite, les
bandes se retrouvèrent dans la demeure de Pitard père, à la Tamiserie près de Saint-Philbert, avant de rejoindre
les landes de Bouaisnes avec les bandes de Monnières et de Maisdon-sur-Sèvre.
L'autre zone insurrectionnelle est la région comprise entre la Sèvre Nantaise et la Petite Maine. C'est là qu'un
certain jean Porot, dans le village de La Garnière, a fabriqué 4.000 cartouches. Les communes de Maisdon et de
Sainte-Lumine-de-Coutais près de Clisson sont jugées très peu sûres : « Elles paraissent disposées à déposer
leurs armes mais il ne faudrait pas perdre de temps dans la crainte qu'elles changeassent de résolution. »
Par contre la région de Pont-Château, présentée en mai 1832 par un dénonciateur comme très dangereuse,
n'a pas bougé au début de juin 1832, Cette lettre mérite d'être citée car elle est un témoignage de l'esprit d'une
partie de la population .
« Songez que si la majorité de cette commune est libérale, ces gens sont superstitieux, que déjà il existe un
couvent très considérable, que nous sommes environnés de Cambon (Plessé d'heureuse mémoire) Missillac, lieu
de tous les recrutements de chouans, qu'enfin nous sommes fort éloignés des grandes villes des troupes et
autorités supérieures capables de nous protéger. »
Après le récit rapide des événements eux-mêmes, essayons de voir quelle fut la portée de la répression.
La duchesse de Berry, après avoir reçu les principaux chefs à Nantes le 14 juin, resta cachée cinq mois,
jusqu'à ce que Deutz la dénonce à Thiers et au préfet20. Durant tout ce temps, l'administration procéda au moins à
vingt-cinq perquisitions, dont douze dans des couvents. Dès le 9 juin, le château de Quéhillac, dans la commune
de Bouvron, avait été l'objet d'une visite de la garde nationale, qui n'avait trouvé que les empreintes de fleurs de
lys sur un porte-manteau. Ce qui n'empêche pas l'auteur du rapport de faire du zèle :
« L'expédition a été menée par un tems (sic) affreux mais qui n'a pu refroidir le zèle de la garde nationale qui ne
demande que l'occasion de se mesurer avec les éternels ennemis de notre repos et de notre liberté ».
En juillet 1832, on arrêta même deux religieuses croyant reconnaître en elles la duchesse ! Le couvent de la
Visitation, dont la mère supérieure appartenait à une grande famille légitimiste, de la Ferronnays, fut
particulièrement visé. Un local dépendant de ce couvent (sis à Nantes, 97, rue SaintClément) fut perquisitionné
en septembre 1832. La police n'y trouva pas ce qu'elle recherchait, mais les traces de Dudoré, parmi lesquelles
un alphabet secret et des clés concernant les lieux et des personnages.
Toujours à Nantes, les rapports des 12 au 13 septembre font le bilarides perquisitions. Au cloître des
Chartreux, où le succès fut dû à la « promptitude de l'exécution », la police arrêta quatre personnes et saisit des
gravures représentant le roi Henry V. Le Couvent de la Charité fournit des pièces relatives à une association
religieuse dite « Confrérie du mois angélique ». Chez l'avocat Deshéros (7, rue Saint-Vincent) on saisit une lettre
d'Honoré Guibourg et un plan de « contre-révolution » dont la copie fut envoyée au ministère.
Toutes les pistes sont exploitées d'une façon systématique. Au château de Foisnard (commune de Montbert),
c'est une femme de confiance, Marie Gillard, que l'on recherche parce qu'elle connaîtrait la cachette de la
fugitive (l1 septembre). Les perquisitions s'étendent dans l'arrondissement d'Ancenis, chez Hardouin gérant de la
Gazette de Bretagne habitant Varades : les mai. sons appartenant aux membres de sa famille et à ses amis sont
également fouillées.
Ces perquisitions provoquent des protestations. Le couvent de la Visitation a été « fouillé » deux fois : les
11 et 17 septembre 1832. Dès la première perquisition, la Mère supérieure se plaint vigoureusement que les
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chapelles aient été métamorphosées en lieux d'aisance... et que les visiteurs aient bu quarante bouteilles de vin
rouge.
Ces recherches concernaient aussi Charette, dont un ancien domestique, Lefevre, fut arrêté à Nantes le 14
septembre. Encore en décembre 1832, tous les séminaires de Nantes furent perquisitionnés pour retrouver un des
principaux chefs de l'insurrection. La surveillance s'exerce aussi sur le littoral et dans les départements voisins.
Le 26 septembre, le préfet de Vendée annonce qu'il a vainement recherché la cachette de la « princesse
d'Holyrood »à Saint-Christophe du Ligneron, près des Sables d'Olonne. Au début d'octobre, on fouille une
maison à La Jarrie, près de la Bernerie (non loin de Paimboeuf), que l'on suppose pouvoir être un asile pour la
duchesse, en raison de la parenté de la propriétaire avec Espivent de Villeboisnet : « J'aime à me persuader que
ce n'est pas par le littoral que l'amazone introuvable réussira à s'échapper. »
Le gouvernement semble ne pas avoir reculé devant les dépenses. Le ler août 1832, le ministre de
l'Intérieur, Montalivet, envoya 2000 F et ajouta de sa propre main : « mais cela ne limite en rien les sommes que
vous pouvez permettre et que j'acquitterai ensuite ». Thiers, lui, on le sait, versa même 500 000 F à Deutz...
Après l'arrestation de la duchesse de Berry, les craintes des autorités ne furent pas totalement apaisées. Des
« traîtres », pour recevoir de l'argent ou se faire pardonner leur passé récent, livrèrent des renseignements, vrais
ou faux. Le 24 janvier 1833, un détenu de Bicêtre, Hilaric, dénonçait l'arrivée de trois caisses de fusils au
couvent de Bellefontaine et mettait en cause un certain frère Romuald. Une perquisition effectuée quelques jours
plus tard ne donnait aucun résultat, malgré la surveillance particulière du frère Romuald. On n'avait pu s'emparer
du général Clouet, qui aurait logé la veille à Bellefontaine en compagnie du comte Bouyer et de Landier. Les
conjurés pouvaient facilement se réfugier dans la forêt de Vézins, où ils se transformaient en bûcherons. Leur
présence est signalée le 28 janvier 1833 au couvent de Saint-Laurent-sur-Sèvre, près de Mortagne.
L'homme chargé des missions policières et plus spécialement l'instigateur des perquisitions dans les
couvents était un ancien chef de division vendéen de 1815, Douard. C'est lui qui, dans une lettre du 22 janvier,
fournit des renseignements sur les réunions des chefs légitimistes aux confins des quatre départements. C'est lui
qui évoque la possibilité d'un débarquement de 20.000 Espagnols et Portugais sur la côte. Certes, il ajoute
aussitôt que c'est là une « assertion ridicule », qu'il ne rejette cependant pas tout à fait, car il pense qu'un
débarquement d'armes n'est pas impossible, l'envoyé de la duchesse de Berry à dom Miguel s'étant engagé à
déposer 10 000 fusils sur les côtes de la Bretagne et de la Vendée.
En échange de ces renseignements, Douard demande encore de l'argent. Il a bien reçu 10.000 F le 5 octobre
1832, mais il réclame encore une somme identique, car « la police secrète de Nantes et de ses environs coûte
cher ».
Le préfet de Loire-Inférieure avertit ses collègues du littoral, depuis le Morbihan jusqu'à la Vendée ; « un excès
de prudence ne peut jamais être dangereux », ajouta-t-il... Que redoutait-on au juste ? Un débarquement de 20
000 Espagnols et Portugais sur la côte, soit à Saint-Gilles ou à Saint-Jeande-Monts, soit à Auray, pays de
Cadoudal, l'homme chargé de les diriger. On redoutait, fin janvier 1833, 800 hommes venus de la Bretagne et
réunis aux 1800 Chouans de la forêt de Vézins : « Sitôt l'année libératrice débarquée, ils comptent sur le
soulèvement général de la Vendée appuyé par un mouvement dans le Midi. C'est alors que, disent-ils, les
étrangers viendront rendre à la France ses légitimes souverains et faire une autre restauration. »
Pour prévenir ce débarquement, et utilisant les renseignements de Douard, une perquisition eut lieu dans les
deux couvents de Saint-Laurentsur-Sèvre (maisons du Saint-Esprit et de la Sagesse). Elle dura trois jours. Une
cheminée étant plâtrée, un feu fut allumé, comme lors de la capture fameuse de la duchesse de Berry... Le 1er
février 1833, le Supérieur envoya une note des frais aux autorités : 600 F pour restaurer la fresque qui avait été
abîmée « uniquement par malice et sans ombre de nécessité, à coups de pointes de sabre et de baïonnettes » ; 600
F pour le foin, l'avoine, la paille, le vin, la volaille, le bois, les chandelles utilisées ou volées. En tout, 1272,50 F.
Cette somme fut réduite d'autorité, le 21 février, par Méméry, le commissaire de police, à 148,50 F...
L'expédition étrangère n'eut pas lieu, mais le préfet était assez inquiet pour écrire encore au ministre de
l'Intérieur le 16 janvier 1833 : « Les détails qu'elle contient sur une prochaine expédition par les frères Cadoudal
sur les côtes de Bretagne me paraissent probable (sic). Le Chauff un des chefs les plus influants des bandes
légitimistes... attend en effet un renfort d'hommes pour rallumer la guerre civile. »
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Cette hantise du débarquement organisé avec l'aide d'étrangers et d'armes anglaises se prolonge au moins
jusqu'en juillet 1833. De nombreux chefs carlistes condamnés à mort avaient, en effet, réussi à gagner les îles
anglo-normandes de jersey et de Guernesey. On savait que La RocheMacé et La Rochejaquelein se disposaient
encore à reprendre l'offensive. Ces nouvelles, qui avaient un solide fonds de vérité mais qui étaient bien sûr
amplifiées par les autorités responsables, inquiétèrent même le ministre de l'Intérieur, le comte d'Agout, qui
demanda le 30 mai 1833 des renseignements complémentaires sur les fréquentes communications que les chefs
légitimistes auraient eues avec les habitants de la côte française. Les allées et venues de La Rochejaquelein
obsédaient les autorités : le 5 juillet 1833, le préfet écrit au commissaire central que le chef légitimiste a été
aperçu sur les limites de la Vendée et de la Loire-Atlantique; le 12 juillet, le commissaire central réplique qu'il a
les preuves en main de la présence de La Rochejaquelein à Jersey.
Toutes les réunions qui, de près ou de loin, peuvent ressembler à des préparatifs de complots sont étroitement
surveillées par la police. Un rapport de 1833 signale l'absence des « Chevaliers de la légitimité » mais analyse en
détail l'« Association pour la défense des intérêts légitimes », qui aurait eu des ramifications dans la Vendée, le
Morbihan et les Deux-Sèvres. L'agent général de cette organisation secrète à Nantes était l'avoué Alexandre
Clemenceau, qui avait bénéficié d'un non-lieu. Chaque soir, cette association se réunissait rue des Minimes à
Nantes chez une dame Bourseau chargée de distribuer de l'argent aux ouvriers. Parmi les membres cités retenons
trois personnages à l'activité débordante : de Chevigné, originaire de Saint-Etiennede-Montluc, chargé des
relations avec Paris, Bonzet, « la terreur du pays », ancien fabricant de poudres pour les rebelles et un tisserand
aubergiste chargé d'embaucher les ouvriers.
En mai 1833, c'est la vente de leurs biens par certains chefs carlistes qui retient l'attention. Cette opération
provoque des commentaires contradictoires.
Lorsque Mme Le Chauff vend ses bestiaux et ses propriétés et demande des passeports pour jersey, on en
tire cette conséquence : « Cette émigration montre le peu de confiance que ces chefs ont aujourd'hui pour le
succès de leur cause » (10 mai 1833).
Par contre, lorsque les Kersabiec vendent leurs biens à Nantes, les autorités sont sceptiques : « je suis
autorisé à croire que cette vente est simulée pour mettre les biens de la famille de Kersabiec à couvert lors d'une
seconde tentative que la Duchesse pourrait faire quelque temps après sa mise en liberté. D'autant plus que le
sieur Clémenceau est chargé de cette vente. »
Enfin, même le pèlerinage à Sainte-Anne d'Auray peut être prétexte àdes « conciliabules légitimistes ». On
note en 1833 l'identité des participants qui, bien sûr, se rattachent en grand nombre au légitimisme, la présence
de « L.M.Ch. de Vierzon ép. de Charette (22 ans) » est mise en valeur, car il s'agit de la propre fille du duc de
Berry21. L'autorité n'avait pas tort d'avoir des soupçons : « Il serait possible que le voyage de ces légitimistes
aurait plutôt un but politique qu'un pèlerinage ordinaire. »
L'inquiétude de l'administration de Louis-Philippe ne fut pas calmée par le départ de France de la duchesse
de Berry. En 1834, on communique au préfet la liste de cinquante Français ayant servi la cause de dom Miguel et
qui étaient alors en quarantaine au lazaret d'Albuquerque22. La plupart de ces fanatiques de la légitimité étaient
des jeunes nobles de 20 à 30 ans et beaucoup étaient originaires des provinces de l'Ouest : de Kersabiec, de
Bourmont, d'Andigné, Cathelineau23. Deux autres Nantais sont particulièrement signalés : Dudoré, 30 ans, et
Louis Rousseau, 29 ans, ex-maréchal des logis arrêté comme embaucheur le 7 novembre 1832, mais qui avait
profité d'un non-lieu faute de preuve. Pour l'administration, il importait avant tout d'empêcher le retour de ces
soldats aventuriers dans les départements de l'Ouest. On se méfie même des domestiques.
Nous savons aujourd'hui que ces craintes n'étaient pas fondées mais, sur le moment, il était normal que le
nouveau gouvernement s'inquiétât des menées de ses adversaires déclarés.
Les entreprises légitimistes n'ont pas réussi parce qu'elles se sont heurtées à l'inertie et même à l'opposition d'une
grande partie de la population, fatiguée des troubles depuis 1793. Dès le 28 avril 1832, le maire de Moisdon, qui
peut-être veut se faire bien voir, écrit aux autorités supérieures : « Quand est-ce donc qu'on en finira avec ces
misérables il est vraiment temps qu'on prenne les mesures convenables pour empêcher cette guerre civile qui met
la désolation dans nos campagnes. »
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Une autre explication de l'échec légitimiste est peut-être J'adhésion d'une partie des royalistes à la fable de
la survivance de Louis XVII On sait que La Rochejaquelein était lui-même un adepte fervent de cette thèse.
Quoi qu'il en soit, des 150000 hommes prévus dans un rapport au roi Charles X en septembre 1830, il n'en
est resté pour les huit départements de l'Ouest que quelques milliers le jour de l'insurrection. Après l'échec de
l'insurrection, plusieurs centaines ont été poursuivis et condamnés.
Peut-on dresser le bilan de la répression dans le département de LoireAtlantique ?
Des condamnations nombreuses suivirent la tentative avortée de soulèvement. Une étude détaillée des
procès en montrerait l'ampleur.
Pour l'affaire du 3 juin 1832, trente et une personnes furent poursuivies pour complot contre la sûreté
intérieure de l'Etat. On retrouve parmi eux les noms des chefs : Aimé, Joseph, Antoine de Laubepin, AlexandreFrançois Clémenceau, Achille Guilbourg, Alexis Duguiny, Denis Espivent, mais aussi de nombreux
représentants des classes dites populaires : quatre sergers de Nantes, sept laboureurs de Saint-Mars du Désert, un
garde malade, un marchand de vin, un cabaretier, un maréchal, un domestique, un ouvrier chocolatier.
Onze personnes sont poursuivies pour cris, propos et actes séditieux. Parmi elles on trouve encore trois
laboureurs de Saint-Mars-du-Désert, deux tisserands, un tailleur d'habits, un tonnelier, un maçon, un journalier et
un vagabond.
Durant l'année 1832, il apparaît que trente et une condamnations furent piononcées. La presse fut
particulièrement visée : Pierre-François-Casimir Merson, imprimeur et gérant de l'Ami de l'Ordre, fut victime
entre le 9 septembre 1831 et le 12 septembre 1832 de huit condamnations totalisant 3 ans 3 mois de prison et 124
000 francs d'amende. Encore le 11 septembre 1832, il était condamné pour « offense publique envers la personne
du roi et attaque des droits que Sa Majesté tient de la nation... »
Deux laboureurs de Saint-Mars-du-Désert, Jacques et Pierre Boissière, furent condamnés pour voies de fait
envers des agents de la force publique à respectivement 13 mois de prison et 2 ans de prison, plus 4 000 francs
d'amende.
Sur 27 individus dont nous avons la profession, soulignons à nouveau la forte proportion des laboureurs
(neuf) et des ouvriers (six bergers, deux tisserands, un menuisier, un sabotier). La plupart sont âgés de 25 à 35
ans.
Mais en 1832, il semble qu'un grand nombre de prévenus aient pu facilement échapper à la justice. Des
familles entières sont pourchassées mais réussissent à se cacher dans la région même : les Terrien (dont le père,
Louis Terrien dit Coeur de Lion), les Le Chauff, les Bernard, forment encore des bandes redoutées. Les têtes
sont mises à prix : 10 000 F pour Bourmont, 15 000 pour Charette ! Parmi les 83 prévenus en fuite (contre 23
seulement en prison), un grand nombre sont propriétaires (au moins 20) ou laboureurs (une vingtaine également),
mais on remarque aussi trois ex-percepteurs : Terrien père, de Nantes, Arondel de Monnières et Jean Gaulthier
d'Ancenis.
Nous possédons deux feuillets arrachés d'un registre, qui donnent pour la période antérieure au 6 février 1834
près de cent-vingt noms pour l'ensem ble du département. C'est une liste alphabétique indiquant le nom, l'origine
géographique et quelques renseignements sommaires.
Plusieurs familles nobles nécessitent une très grande surveillance. Il n'est pas étonnant de retrouver les noms
de Kersabiec, Cornulier, Monti de Rézé, Bougrenet de la Tocnaye, Sesmaisons, Bourmont, Coëtus, etc. De ces
notices brèves, on peut donner trois exemples caractéristiques :
« - De Biré fils, Alfred, gendre de M, de Kersabiec, principal chef organisateur, demeure tantôt à Nantes, à
Pont-Saint-Martin et chez son père à Bouaye. Condamné à mort par contumace, exécuté en effigie le 28
décembre 1833, une visite faite chez son père n'a produit aucun résultat.
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- De Goulaine, marquis Alph.-Adrien-François, Saint-Martin-des-Noyers (Vendée). Hôtel à Nantes, chef de
chouans riche et influent. A chargé le 4 juin 1832 une charrette de fusils et poudre. C'est un des chefs vendéens
qui mérite le plus de surveillance.
- Luzeau de la Mulonnière. 2 frères : Eaux et Forêts et Préfecture. Si on faisait une visite chez le père de ces
M. M. on pourrait y découvrir quelque chose. »
Cette liste est en quelque sorte le Gotha, le livre d'or de l'insurrection royaliste de 1832. Elle montre l'intérêt
permanent que les actions des carlistes provoquaient chez les subordonnés de Louis-Philippe ler. Certains chefs
de l'insurrection purgeaient des peines de prison : Carré de la Serrie, de SaintHerblon, fut condamné à 6 ans de
détention. D'autres furent soumis à un régime de surveillance de haute police : 5 ans pour le marchand Jacques
Panheleux, de Saint-Nicolas de Redon. Daniel Guyet, le colporteur le plus actif de la duchesse de Berry fut
envoyé au bagne de Brest.
Mais, soulignons-le à nouveau, beaucoup de Chouans très compromis avaient réussi à fuir à Jersey, en
Espagne, en Italie, à Genève ou tout simplement à se cacher, soit à Paris soit dans la région. La police sent très
bien qu'elle opère dans un milieu hostile.
On peut se rendre compte des groupes qui furent particulièrement mêlés à l'insurrection.
D'abord les ecclésiastiques sont en grand nombre24. Le registre de surveillance de 1834 indique plusieurs
membres du clergé comme personnages dangereux : l'ex-missionnaire Cormier, venant de Cayenne, « prêtre
fanatique », établi à Saint-Etienne de Mer-Morte, où il a beaucoup d'influence sur l'esprit des paysans, qu'il
stimulait pour la légitimité, le trappiste J.-B.-Etienne Barillet, qui aurait beaucoup voyagé depuis la dissolution
du couvent de La Meillerage. Les exemples sont abondants, contentons-nous des plus significatifs :
- Rillardon, prêtre, Méry-sur-Cher, intrigant carliste, toujours habillé en bourgeois.
- Lusson, prêtre, chouan exalté, influent et capable de tout, chargé de la cure de Saint-Jacques, y ayant
prêché la guerre civile.
- Thebaud, prêtre, Nantes, professeur au Petit Séminaire (chouan) exalté et un de nos meneurs légitimes,
signalé le 10 mai 1833 à l'intérieur. »
Le séminaire de Nantes est particulièrement visé dans la personne de Louis de Courson, supérieur de
philosophie, d'un autre professeur Thébaud, et de plusieurs étudiants anciens détenus de 1832. Tous les
représentants du « parti-prêtre » sont a priori des ennemis du nouveau roi. En tout, nous avons relevé 11 prêtres
sur 120 suspects.
Les anciens militaires ont également joué un rôle important dans la préparation du soulèvement. Il serait
fastidieux de relever les noms de tous les anciens officiers de Charles X démissionnaires ou démissionnés de
1830 qui ont participé au soulèvement. Beaucoup sont des anciens colonels d'infanterie ou de cavalerie, chefs
d'escadron, capitaines de carabiniers. Tous les grades de l'armée sont représentés depuis le maréchal de France
(Bourmont) et les maréchaux de camp (Clouet) jusqu'au sergent-major (Pitard fils). Très souvent l'imprécision
des termes « militaire » et « officier » ne permet pas de se rendre compte de la place hiérarchique des individus
signalés.
D'ailleurs, il n'est pas possible d'établir des statistiques sur des nombres aussi faibles et le mieux est de
suivre la méthode narrative et descriptive. Parmi les vingt-trois prévenus détenus après 1832, le nom de l'avocat
député Berryer est suivi de ceux d'un portefaix portier et d'un laboureur métayer. On y trouve bien huit
propriétaires, mais également un commis, un charpentier charron, un cabaretier, un instituteur primaire et trois
laboureurs et le portefaix et sa femme, portière elle aussi. Les autres prévenus sont l'imprimeur Merson, un curé,
deux étudiants au séminaire et un ex-lieutenant de gendarmerie.
Toutes.les catégories de la population ont donc participé à l'insurrection et le fait que les classes dites
inférieures ou populaires aient fourni des acteurs de premier plan montre que l'attachement aux Bourbons aînés
était profondément ancré dans la mentalité collective. Les insurgés étaient comme des poissons dans l'eau au
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milieu des nobles, des prêtres, des laboureurs et des artisans. Ils ont mené une petite guerre de harcèlement
contre les militaires, la police et l'administration.
Le caractère de guérilla nous est apparu évident si l'on passe en revue quelques traits de la période 18311834.
Tout d'abord les opposants politiques sont prêts à collaborer avec les irréguliers qui depuis plusieurs mois
narguent les autorités. Le 28 mars 1832, la peine de mort avait été prononcée contre quatre soldats réfractaires
accusés d'assassinat de quatre militaires. Cette bande dite celle de « Belliau dit Poulain » semble s'être fondue
avec un groupe de Chouans de Moisdon (comprenant un tourneur et sacristain, un domestique, un laboureur
domestique) puisqu'on apprend qu'un des condamnés de mars 1832, Lecocq, a été tué ensuite dans une bande de
Chouans.
Les allusions aux réfractaires sont en outre très nombreuses. Contentons-nous de présenter quelques
réfractaires très compromis avec les légitimistes. jean Gouy, laboureur à Saint-Etienne-de-Mer-Morte et un des
trente et un prévenus de 1832, est dit « conscrit réfractaire », Pierre Bernard, fils de Franc Bernard, réfractaire
depuis 1830, est tué par un gendarme le 12 décembre 1833.
Les méthodes employées relèvent aussi de la technique de la guérilla attaque de petits détachements, vol d'armes
et de munition. Encore le 16 juin 1832 quatre Chouans tentent de voler de la poudre à Savenay. Ils sont pour cela
condamnés le 18 octobre 1832.
Souvent les opérations entreprises tournent au brigandage et conduisent leurs auteurs devant la cour
d'assises. L'affaire du 15 juillet 1832 de SaintVincent des Landes se termine mal pour les quatre laboureurs
arrêtés.
Enfin, la population pouvait avoir aidé les prévenus à se cacher et àéchapper à la justice. Beaucoup de
condamnés à mort réussissent à passer à jersey (Le Chauff père). Encore à la fin de 1833, beaucoup de chefs de
bandes vivent cachés dans les bois (Arondel, le réfractaire Belliau).
Cette agitation entretenue par des anciens Chouans et des réfractaires se prolonge jusqu'au début de 1834. A
cette époque, le préfet ordonne une battue pour venir à bout des dernières bandes. L'arrestation de BelliauPoullain et de ses trois complices permet à l'arrondissement de Châteaubriant de ne plus connaître de brigandage.
Dans sa lettre du 13 janvier le préfet est fier d'annoncer la soumission au maire de Machecoul d'un déserteur et
de deux retardataires. Il termine : « D'autres soumissions suivront celles-ci, persuadés comme ils le sont d'avoir
été abusés. Il paraîtrait qu'une seule bande commandée par Verges exploite simultanément les arrondissements
de Nantes, d'Ancenis et se retire après leur brigandage dans la forêt de Fieigné (Maine-et-Loire) ».
Pour faire la guerre il faut de l'argent et du fanatisme. Les Chouans avaient en partie ces deux atouts. En
1832, la police arrêta chez les frères Maublanc à Nantes deux personnages porteurs de 4 000 F en or qui devaient
servir à « embaucher » des partisans. Il est dit encore à propos des frères Maublanc qu'ils étaient très exaltés et
qu'armés d'espingoles dont ils se servaient très bien ils ont tiré et blessé plusieurs patriotes et soldats dans les
landes de Bouaisnes. La vétusté des armes utilisées montre bien le caractère archaïque et passionné de la lutte.
Cette lutte fut abandonnée comme entreprise collective après la répression qui suivit juin 1832. Par contre,
les actes individuels se prolongèrent pendant plus d'un an. En juin-juillet 1833, d'Agout s'émeut de l'assassinat
d'un certain Gautier qui, après avoir chanté des chansons « patriotiques »dans un cabaret de La Chapelle-Glain,
fut frappé à la tête d'une manière violente par huit « henriquinquistes », aussitôt arrêtés.
Les bandes existaient toujours dans la région de la forêt de Machecoul. Dans la commune de Saint-Philbert,
on signale au ministre de l'Intérieur la cas du fils d'un métayer de M. de La Roberie qui a été rejoindre les bandes
parce qu'il avait tiré un mauvais numéro. Il y avait retrouvé Julien Mabit, un « retardataire » de la classe de 1830,
qui ne fut arrêté qu'en 1833. Enfin le préfet se plaint d'une affaire qui vient de se passer chez les cabaretiers de
Saint-Lumine de Coutais, commune dont « l'esprit est très mauvais » quatre individus en auraient interpellé cinq
autres de la façon suivante « Patauds ! Les vieilles bayonnettes, les vieux canons rouillés reparaîtront bientôt.
Vive Henri V ! » Prophétie qui ne fut pas réalisée, puisque le comte de Chambord ne devint jamais Henri V et
que l'Ouest laissa rouiller les baïonnettes et les canons.
9
*
***
Notes
1. Sur l'insurrection royaliste de 1832 nous renvoyons aux nombreux ouvrages concernant la duchesse de Berry.
Parmi les plus utiles, signalons ceux de H. Thirria (1900), de Reiset (1906), de Lucas-Dubreton (J.), La princesse
captive (1925) et La duchesse de Berry (1935) et plus particulièrement ceux d'Imbert de Saint-Amand, La
duchesse de Berry et la Vendée, Paris, 1889 et La duchesse de Berry en Vendée, à Nantes et à Blaye, Paris, 1893.
2. Il y a deux châteaux de ce nom dans la Loire-Atlantique, l'un près de Guérande, l'autre dans la commune de
Plessé, arr. Saint-Nazaire, comm. SaintNicolas de Redon. C'est dans le second qu'était né en 1769 le marquis de
Coislin.
3. Tous les documents cités dans cette communication sont extraits de la liasse 1 M 565 des Archives
départementales de Loire-Atlantique et du comté nantais. Nous tenons à remercier M. de Boisrouvray,
conservateur en chef, qui a facilité nos recherches.
4. Ces problèmes sont évoqués par Dubreil (L.), Histoire des insurrections de l'Ouest, Paris, Rieder, 1929 et par
Colle (J.R.), La Chouannerie de 1832 dans les Deux-Sèvres et la Vendée orientale, thèse doctorat ès lettres,
Lezay, 1948. - Crétineau-Joly (Jacques, Augustin, Marie), Histoire de la Vendée militaire, Paris, Hivert, 18401842. - 1793, 1815, 1832, épisodes de la guerre de Vendée, précédés d'un tableau historique de cette contrée
depuis la révolution de juillet, Paris, 1834. - Courson de la Villeneuve (Aurélien, Georges, Marie joseph de),
1830 Chouans et réfractaires (Bretagne et Bas Maine), Paris, 1899. - Le dernier effort de la Vendée (1832),
Paris, 1909. - L'insurrection de 1832, Paris, 1910. - Gabory (Emile), Les Bourbons et la Vendée, Paris, 1923 et
1947.
5. Pour des renseignements complémentaires consulter de Lemiere (E.), Bibliographie de la contre-révolution
dans les provinces de l'Ouest, Saint-Brieuc, 1906... continuée par Yves Lemiere et publiée par Pierre Le Gall
dans les Bulletins et Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, 1934, t. LXVI.
6. Pour tous les préparatifs, voir les correspondances et les documents inédits publiés par Bertier de Sauvigny
(G. de), La conspiration des légitimistes et de la duchesse de Berry contre Louis-Philippe, 1830-1832, Paris, A.
Hatier, 1950 (thèse complémentaire) (et dans Soc. d'hist. mod. Etudes d'hist. mod. et contemp., t. I 11).
7. Riaillé, arr. Ancenis. Voir Courson de la Villeneuve (A.G.M.J. de), La division dAncenis en 1832. Combat de
Riaillé, Vannes, 1897 (Extrait de la Revue histor. de l'Ouest).
8. Charette (Athanase Charles Marie de), né en 1796 au château de La Trémissière. Pair de France de 1823 à
1830. Il publia en 1842 un journal militaire d'un chef de l'Ouest, contenant la vie de Madame, duchesse de
Berry, qui donne de nombreux renseignements sur le combat du Chêne.
9. Le général baron Dermoncourt (1771-1847) a écrit deux brochures sur les événements de Vendée : La Vendée
et Madame (1833), et Deutz ou imposture, ingratitude et trahison (1836).
10. Le combat du Chêne-en-Vieille-Vigne avait pour but d'empêcher les deux armées gouvernementales d'opérer
leur jonction. Le combat de La Pénissière a été raconté par le romancier La Varende (jean de), dans Man dArc,
Paris, 1839. Pour les opérations militaires, voir Mallfray (H. de), Les cinq Vendées, Angers, 1921.
11. Saint Gildas-des-Bois, arr. Saint-Nazaire.
12. On sait que la duchesse de Berry se cacha dès le 13 juin 1832 dans la liaison des demoiselles Duguiny ou Du
Guiny, à Nantes, où elle devait demeurer jusqu'à sa capture.
13. Rapport du baron de Bordigné sur les dispositions des provinces de l'Ouest et du Sud-Ouest, dans La
conspiration des légitimistes, op. cit., p. 24.
14. Cornulier (Louis Auguste comte de), né à Nantes en 1778, mort en 1843. Engagé dans l'armée de Charette en
1794, il prit également les armes en 1815. Ses deux fils, Henri et Auguste, jouèrent également un rôle actif en
1832.
15. Voir sur ce problème la polémique de 1840 entre Auguste Johanet, La Vendée à trois époques (1840),
exposant le point de vue des pancaliers, et le baron de Charette, Quelques mots sur les événements de Vendée en
1832 (1840). Le marquis de Goulaine, mis en cause par Charette, écrivit, lui aussi, plusieurs brochures.
16. Sioc'han de Kersiabec (Edouard, vicomte), Récits et souvenirs de tamille; S.A.R. Madame Duchesse de Berry
et ses amis 1832, Rennes, 1895. Hélène Françoise de Kersabiec était la femme d'Alfred de Biré (ou Biret).
17. Arr. Nantes, comm. Bouaye.
18. Parmi eux, Raymond Barbier Dudoré ou Du Doré, né à Nantes le 10 juin 1807, mort au château du Doré,
commune de Montrevault (Maine-etLoire).
19. Coislin (Pierre Louis du Cambout marquis de). Emigré dès 1792, sert dans l'armée royale de 1815. Député en
1815 et 1816. Pair de France en 1823, il prêta cependant serment à Louis-Philippe, mais démissionna de l'armée
en 1830.
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20. Voir Guibourg (Achille), Relation fidèle et détaillée de l'arrestation de Madame, duchesse de Berry, Nantes,
1832. - Sur le même sujet, baron de Cholet, Madame, Nantes, 1833, Deutz, Arrestation de Madame (1835) et
Bonnelier (H.), La plaque de cheminée (1833).
21. Il s'agit de Louise-Marie-Charlotte, comtesse de Vierzon, fille du duc de Berry et d'Amy Brown; elle avait
épousé en 1823 Athanase de Charette.
22. Sur ces miguelistes, voir Hadingue (A.), « Une équipée française au Portugal (1833) », dans Revue des
questions historiques, 1925, no 3 et 4, p. 42-74 et 361-394. Pour les témoignages : Colonel Dubreuil (Fernel),
Souvenirs du Portugal, Galerie de portraits dessinés d'après nature aux lazarets de Valencia d'Alcantara et
d'Albuquerque en Octobre 1833, Paris, 1834.
23. Henri de Cathelineau (1813-1891), dont le père Jacques joseph fut tué le 7 mai 1832 au combat de La
Chaponnière près de Jallais. On trouve aussi un légitimiste originaire de Talence, jean Nicolas Taffard de SaintGermain.
24. Dans un rapport cité par J.R. Colle et conservé aux archives du château de Clisson (Deux-Sèvres), l'auteur
déplore la défection du clergé et surtout du haut clergé. Dans l'ouvrage de Deniau, dom Chamard) et Uzureau,
Histoire de la guerre de Vendée, Angers, 1879, l'action du clergé est minimisée (cf. t. VI, p. 527-761).
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