Télécharger - Centre international de criminologie comparée

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Titre du projet – Perception managériale de la criminalistique au Québec : le point de vue des
décideurs opérationnels et financiers des corps policiers québécois.
Rationnel de l’étude :
Définie comme la science de l’individualisation (Kirk, 1963), la criminalistique possède
néanmoins un rôle minime dans la résolution de crimes au Québec (Brodeur, 2007). Elle ne contribue
que peu à l’identification ou à la location de suspects. Les sources humaines (témoins, informateurs)
et les sources policières (intervention des patrouilleurs, surveillance) sont les facteurs qui contribuent
le plus à l’élucidation des affaires, notamment dans les cas d’homicides (Brodeur, 2007). Pourtant, le
Canada a connu une baisse des taux de classement des homicides depuis le milieu des années 1960,
passant de 95% d’affaires élucidées à environ 75% en 2010 (Statistique Canada, 2012), et ce malgré les
nombreuses innovations dans le domaine de la criminalistique depuis l’utilisation des profils d’ADN
dans les années 1980. Le taux de classement des affaires représente la proportion d’affaires criminelles
déclarées ayant été résolues par la police. Pour qu’une affaire soit classée, il faut qu’un auteur présumé
ait été identifié et qu’il y ait suffisamment de preuves pour déposer ou recommander une accusation
(Statistique Canada, 2012). Considérant le principe d’échange de Locard selon lequel nul ne peut agir
avec l'intensité de l'action criminelle sans laisser de traces de son passage (Locard, 1920), il devient
pertinent de se questionner à savoir si la criminalistique pourrait voir son rôle optimiser au niveau de
l’enquête policière et de l’action de sécurité au Québec puisqu’il y aura, selon ce principe, toujours des
traces fournissant de l’information à qui sait l’interpréter.
Si, en Amérique du Nord, un rapport américain (National Research Council, 2009) et un rapport
canadien (Pollanen, Bowes, VanLaerhoven & Wallace, 2012) dénoncent la culture d’isolement des
différentes disciplines qui composent la criminalistique et appellent à un investissement académique
en appui de la pratique, ils n’abordent à aucun moment la question de la gestion des moyens par les
décideurs de sécurité. Ceux-ci semblent pourtant avoir un impact majeur sur l’exercice de la police
scientifique (Crispino et al., 2014). Aucune étude ne semble s’intéresser à la perception de la
criminalistique par les dirigeants de corps policiers donneurs d’ordre et allocateurs de ressources. Une
conception de la criminalistique s’orientant unilatéralement sur les laboratoires, ignore toutes les
étapes en amont et en aval de la gestion des traces dans un concept sécuritaire débordant largement
la seule présentation des preuves au tribunal : la collecte des données, le développement des
hypothèses et la gestion de l’action de sécurité (Ribaux, 2014). L’efficacité du traitement des traces en
laboratoire ne peut donc pas être isolée de l’ensemble du processus, qui est défini et géré par les
responsables de police. Les services de police, et plus particulièrement les décideurs opérationnels
pourraient donc être des facteurs pertinents de développement de la criminalistique. Comme la
conception de la police scientifique varie grandement dans le milieu judiciaire, passant d’une simple
pratique policière purement mécanique à un métier à part entière appuyant la police et le système de
justice (Ludwig et al., 2012 ; Ribaux, 2014), la compréhension de cette discipline et de ses concepts par
les dirigeants de corps policier est au cœur de la prise de décisions quant à la gestion des opérations.
Objectifs de recherche :
L’objectif principal de la présente étude est de comprendre la perception de la criminalistique
par les décideurs opérationnels des services de police. Le projet vise à comprendre le rôle, le potentiel
et les limites de la discipline envisagées par ces dirigeants et d’évaluer leur compréhension face à la
diversité des traces. Cette base de connaissance permettra également de déterminer si les décideurs
opérationnels policiers disposent des connaissances nécessaires pour optimiser l’utilisation de la
criminalistique au sein des services de police.
Le second objectif de l’étude est d’évaluer les variations entre les services quant à la
perception de la place de la criminalistique dans la gestion des opérations policières. Il sera ainsi
possible d’observer le niveau d’harmonisation de la compréhension de l’exploitation des traces chez
les responsables policiers.
Méthodologie :
Au Québec, il y a six niveaux de services de police en fonction du nombre d'habitants de la
municipalité dont la Sûreté du Québec. La complexité des enquêtes augmente en fonction du niveau
de service du corps de police. Afin de procéder à la présente étude qualitative, des entretiens semidirectifs seront réalisés avec une dizaine de dirigeants de corps policier de niveau 2 et plus puisque
ceux-ci ont l’obligation de posséder un service d’identité judiciaire selon la Loi concernant
l’organisation des services policiers de 2001. L’échantillonnage sera fait de manière à représenter les
réponses de chacun des niveaux de police. L’entretien est la méthode la plus efficace pour l’exploration
de la perception de la criminalistique par les dirigeants de corps policiers puisqu’on s’intéresse aux
caractéristiques d’une pratique professionnelle et aux points de vue des acteurs sociaux impliqués. Un
partenariat à venir avec l’École Nationale de Police du Québec (ENPQ) et l’Association québécoise des
directeurs de police (ADPQ) permettra de faciliter la sélection des candidats qui seront soumis à des
entretiens. Certains directeurs ont déjà exprimé leur intérêt de participer à cette recherche.
Implication pour les milieux de la pratique :
En contribuant à l’optimisation de la criminalistique au Québec et en mettant sur pied des
connaissances sur un sujet dont nous possédons très peu d’information, la présente recherche semble
une candidate par excellence pour l’obtention de la bourse « Recherche & société ». L’approche
pluridisciplinaire adoptée pour cette recherche, en cotutelle au sein du Centre interuniversitaire de
criminologie comparée (CICC) et du Laboratoire de recherche en criminalistique (LRC) de l’UQTR,
répond par ailleurs à de récentes publications suggérant une plus grande collaboration entre la
criminologie et la criminalistique (Cusson & Ribaux, 2015 ; Ribaux et al., 2015).
Somme toute, les résultats de ce projet et les propositions éventuelles auront pour but
d’envisager des actions concrètes dans les milieux policiers et de mettre sur pied de connaissances
pour des recherches ultérieures (notamment puisque le présent projet s’inscrit dans une des facettes
de la réalisation de mon travail dirigé portant sur le même sujet). Il est attendu que les connaissances
acquises par cette recherche et la littérature scientifique permettront d’identifier des besoins et des
pistes de solution envisageables pour optimiser l’utilisation des traces au Québec. Différentes pistes
d’optimisation non exclusives les unes des autres pourraient être confrontées au contexte québécois.
Par exemple, une conséquence envisagée du projet est l’identification d’un besoin de formation des
cadres supérieurs de police dans le domaine de la science forensique. À la fois partenaire du projet et
responsable des formations des cadres policiers, l’École Nationale de Police du Québec pourra mettre
en place les ajustements nécessaires s’il y a lieu. Il est également probable que la recherche identifie
le besoin de création d’un poste particulier au sein des services police. Un généraliste de la trace,
concept mis de l’avant par plusieurs études récentes (Hazard & Margot, 2014 ; Ribaux, 2014 ; Schuliar,
2009), ou un poste similaire assurant le lien entre les premiers intervenants (techniciens de scènes de
crime), les experts du laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) et les corps
policiers pourrait éventuellement paraitre nécessaire au développement de la criminalistique au
Québec. Certains services de police à l’étranger ont d’ailleurs développé des modèles inspirés de ce
concept au sein de leurs organisations (Barclay, 2009 ; Schuliar, 2009).
Le projet permettrait également de cerner des balises pour l’élaboration de renseignement
forensique dans une optique d’action de sécurité, optimisant ainsi le potentiel de la discipline. À l’instar
du modèle de police par renseignement (intelligence-led policing), l’exploitation des traces peut
générer du renseignement forensique (forensic intelligence) en produisant des éléments de
connaissance sur des problèmes spécifiques à l’action de sécurité (Ribaux, 2014). Cette recherche est
d’autant plus pertinente que le développement rapide des « Lab-on-a-chip », ou laboratoires portatifs
(Liu et al., 2008) , et des nouvelles technologies de l’information projetées sur scène de crime (Baechler
et al., 2016) autonomisent les techniciens de scène de crime et dépossèdent les décideurs
opérationnels et financiers de leur rôle de maîtrise de ces évolutions, avec des conséquences
potentiellement nuisibles sur la justification des moyens criminalistiques (Bitzer et al., sous presse). Le
présent projet se déroule ainsi à un moment opportun en étudiant la perception de la criminalistique
avant le perfectionnement de ces innovations. Finalement, l’originalité et l’innovation de cette
recherche ouvrent la voie à une coopération à plus grande échelle avec des corps policiers étrangers.
Les résultats susciteront vraisemblablement un vif intérêt pour les organisations policières désirant
optimiser la gestion de la criminalistique.
Références :
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Baechler, S., Gélinas, A., Tremblay, R. & Crispino, F. (2016). Les applications de téléphones intelligents et
tablettes pour l'investigation de scène de crime : état des lieux, typologie et critères d’évaluation. Canadian
Society of Forensic Science Journal, 49(3), 107-126.
Barclay, D. (2009). Using Forensic Science in Major Crime Inquiries. Dans J. Fraser et R. Williams (dir.),
Handbook of Forensic Science (p. 337-358), Willian, Cullompton.
Bitzer, S., Albertini, N., Lock, E., Ribaux, O. & Delémont, O. (Sous Presse). Utility of the Clue - From Measuring
the Investigative Contribution of Forensic Science to Supporting the Decision to Use Traces.
Brodeur, J.-P. (2007). L’enquête criminelle. Dans M. Cusson, B. Dupont et F. Lemieux (dir.), Traité de sécurité
intérieure (p. 541-555) Montréal, Québec : Éditions Hurtubise.
Committee on Identifying the Needs of the Forensic Sciences Community, National Research Council (2009).
Strengthening Forensic Science in the United States: A Path Forward. Repéré à
http://www.nap.edu/catalog/12589/strengthening-forensic-science-in-the-united-states-a-path-forward
Crispino, F., et al. (2014). Education and training in forensic intelligence : a new challenge. Australian Journal
of Forensic Sciences, 47(1), 49-60.
Cusson, M. & Ribaux, O. (2015). Vers une méthode commune à la police scientifique et à la criminologie.
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique LXVIII : 266-284.
Hazard, Đ., & Margot, P. (2014). Forensic science culture. In Encyclopedia of Criminology and Criminal
Justice (1782-1795). Springer New York.
Kirk, P.L. (1963). The Ontogeny of Criminalistics. The Journal of Criminal Law, Criminology and Police Science,
54(2), 235-238.
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Liu, P., et al. (2008). Real-time forensic DNA analysis at a crime scene using a portable microchip analyzer.
Forensic Science International: Genetics, 2(4), 301-309.
Locard, E. (1920). L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques. Flammarion, Paris.
Ludwig, A., Fraser, J., & Williams, R. (2012). Crime scene examiners and volume crime investigations : an
empirical study of perception and practice. Forensic science policy & management : an international journal,
3(2), 53-61.
Pollanen, M. S., Bowes, M. J., VanLaerhoven, S. L., & Wallace, J. (2012). Forensic Science in Canada: A Report
of Multidisciplinary Discussion. Centre for Forensic Science & Medicine, University of Toronto. Repéré à
http://www.crime-scene-investigator.net/forensic-science-in-canada.pdf
Ribaux, O. (2014). Police scientifique. Le renseignement par la trace (1re éd.). Presses polytechniques et
universitaires romandes.
Ribaux, O., Crispino, F., Delémont, O. & Roux, C. (2015). The progressive opening of forensic science toward
criminological concerns. Security Journal
Schuliar, Y. (2009). La coordination scientifique dans les investigations criminelles. Proposition d’organisation,
aspects éthiques ou de la nécessité d’un nouveau métier. Doctoral dissertation, Faculté de Médecine,
Université Paris 5- Descartes Faculté de Médecine and Université de Lausanne, Institut de Police Scientifique,
Paris et Lausanne.
Statistique Canada (2012). Les taux de classement des affaires déclarées par la police au Canada, 2010
(Publication no 85-002-X). Repéré à http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2012001/article/11647-fra.htm
Calendrier des opérations :
Automne 2016
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Automne 2017
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Rencontre exploratoire auprès de l’ENPQ et de l’Association des
directeurs de police du Québec (ADPQ)
Demande d’accès à la documentation interne
Établissement d’une liste de services et dirigeants volontaires
Demande de certificat d’éthique
Construction du formulaire de consentement des participants et la
fiche de répondant
Préparation des entretiens semi-directifs
Réalisation d’entretiens semi-directifs avec des chefs de police
Transcription des verbatim
Analyse qualitative des verbatim
Présentation orale des résultats au colloque annuel de l’ADPQ
Rédaction du rapport de recherche
Analyse des documents internes aux services policiers
Réalisation d’entretiens semi-directifs avec des autorités de police
Transcription des verbatim
Rédaction du travail dirigé
Diffusion de la recherche et des résultats préliminaires (IAFS) SI
POSSIBLE (Voir automne 2017)
Session d’étude à l’Université de Lausanne
Hiver 2018
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Analyse qualitative des verbatim
Rédaction du travail dirigé
Dépôt du travail dirigé
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Hiver 2017
Été 2017
Été 2018
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**Les opérations qui ne sont pas en gras sont ultérieures à la diffusion des résultats et à la rédaction du rapport
de recherche. Ils représentent la continuité du travail dirigé portant sur le même sujet, mais à un niveau plus
approfondi. Les résultats de cette recherche exploratoire auront donc également des impacts à plus long terme
sur les milieux pratiques.

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