Retour aux années ABBA
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Retour aux années ABBA
Dimanche 7 septembre 2008 14 [ Sélection Maman bobo A chacun son dictionnaire © d.r. Un premier roman ne saurait, paraît-il, se concevoir sans sa part d’autobiographie. Nouvel arrivant dans le carrousel littéraire, Julien Almendros (photo) enfourche joyeusement le lieu commun et même surenchérit. Sûr, si l’écriture autorise à se libérer d’un bagage encombrant, alors maman doit être pour lui l’unique objet de son premier ressentiment. A sa décharge, on comprend vite que dans le genre subtilement dévoreuse et habilement castratrice, elle fait fort, maman. Gérant tout, sorties scolaires et choix des copines. Usant d’armes imparables, parlote et larmes en cascade. Un truc à vous gâcher une enfance avec Vue sur la mère (le dilettante). Cette détestable manie remonte aux origines, le narrateur en a très vite la douloureuse conscience, « dès la naissance donc, ma mère me coupa la parole, et il y a fort à parier que lorsque le docteur Couetty me libéra de mes liens et que je poussai mon premier cri, ma mère en poussa un à son tour, pour avoir le dernier. » Pendant ce temps, papa soupire et le chien secoue la truffe. Ou l’inverse. Tout durerait encore si dans un violent réflexe de survie, l’enfant devenu adulte ne trouvait enfin le mot libérateur. Un "connasse" tranchant comme une lame à couper le cordon. Problème évacué ? Voire… Michel GENSON « Finalement, le grand charme de ce dictionnaire, c’est qu’on y trouve tout… et même ce qu’on n’y cherchait pas. » La formule est d’Henriette Walter, professeur émérite de linguistique, qui préface l’édition 2009 du dictionnaire Hachette. Nous la prêterons sans vergogne à la concurrence, Le Robert et Larousse. Les trois géants de l’encyclopédie se retrouvent évidemment sur la ligne de départ de la grande course de rentrée. Les dictionnaires d’aujourd’hui sont des tout-en-un, enrichis chaque année, illustrés généreusement. Alors lequel choisir ? Question d’habitude, de tradition familiale parfois puisque tous ont une belle histoire derrière eux. Les tenants du Larousse se régalent des somptueuses planches illustrées (photo), les partisans du Robert s’accrochent à la précision scrupuleuse des définitions, les amateurs du Dictionnaire Hachette apprécient ses aspects pratiques. Une question de style, en somme. Car « Le style est autant sous les mots que dans les mots. C’est autant l’âme que la chair d’une œuvre ». C’est Gustave Flaubert qui l’a dit. C. B. [ Cinéma [ Musique Retour aux années ABBA Peter Gabriel signe son dernier album avec soixantequinze autres artistes. Après avoir été jouée devant plus de 30 millions de spectateurs, la comédie musicale Mamma mia ! est portée à l’écran par Phyllida Lloyd, qui en avait déjà signé la version scénique. L’occasion, à défaut de mieux, de renouer avec les tubes d’ABBA. par Michel BITZER Photo AFP Peter & compagnie Un manoir de pierre, flanqué de ce qui ressemble à une immense serre, est posé dans la campagne anglaise. C’est dans ce studio d’enregistrement luxueux qu’entre 1992 et 1995 Peter Gabriel a accueilli 75 artistes du monde entier. La règle du jeu : improviser ensemble, offrir ce qu’ils avaient à livrer de leur culture, de leur sensibilité de musiciens et de poètes. La contrainte : des sessions d’une semaine enregistrées sur le champ. C’est ainsi que s’est bâti le projet Big Blue Ball, titre de l’album du label maison Real World, sorte de messe cosmopolite dite par le rock pour la pop, l’électro, la world, le rap et tout le toutim. Le disque s’ouvre sur une ambiance rock années quatre-vingt-dix, signature rassurante de Peter Gabriel et de son complice guitariste Karl Wallinger, coauteur du projet. Le voyage débute au second titre, avec Natacha Atlas au chant, Stephen Hague aux claviers et une chouette équipe de percussionnistes aptes à vous envoyer pendant 7’12 aux portes du désert retrouver le goût des dattes. S’offre ensuite la route vers le cœur de l’Afrique, avec Papa Wemba interpellé par la guitare flamenco de Cañizares. Vient l’heure de la contemplation : le timbre dylanesque de Joseph Arthur associé au cosmique duo français électro de Deep Forest et à l’Irlandaise Iarla O Lionaird peignent un tableau celtique apaisant. On l’aura compris, l’album est un patchwork coloré et lumineux, pour lequel seize années de travail et de patine temporelle sur les bandes enregistrées ont été nécessaires. Peter Gabriel, en humaniste engagé, a cherché l’harmonie en conservant la liberté des tons et des tonalités qui s’exprimaient dans son "laboratoire". Exercice délicat, accompli grâce au respect et à l’admiration mutuels des artistes. Mais aussi à la capacité de dialogues ludiques de ces invités de qualité que sont notamment Manu Katché, Marta Sebestyen (envoûtante voix hongroise), Arona N’Ddiaye qui esquisse au djembé les forêts sénégalaises, Joji Hirota compositeur et percussionniste japonais étonnant dans une émouvante conversation avec la chanteuse Sinead O’Connor. Au final, on passe d’une séquence mélancolique à un joyeux rap malgache, d’une balade onirique au rock carré de l’hôte de ces bois. Les plages sont longues (cinq minutes en moyenne), de quoi savourer des univers peu adaptés aux impatients… Cet album longuement mûri a trouvé une forme d’équilibre, d’élégance et de sincérité. Un bon cru. « Et c’est la musique que je me suis le plus amusé à faire » a dit Peter. On veut bien le croire. Catherine BELIN gnetha Fältskog, Benny Andersson, Björn Ulvaeus et Anni-Frid Lyngstad, ça vous dit quelque chose ? Et Waterloo, Fernando, Dancing Queen, Money, money, money, Knowing me, knowing you, The name of the game, Take a chance on me, I do, I do, I do, I do, I do, Voulez-vous, Gimme ! Gimme ! Gimme ! ou Super trouper ? ABBA, bien sûr. Le quatuor suédois qui enfila les tubes comme autant de perles dans les années soixante-dix – près de 400 millions d’albums vendus à ce jour – avant de se séparer au début des années quatre-vingt, après les divorces successifs d’Agnetha et Björn, puis d’Anni-Frid et Benny. Mais il était dit qu’un tel trésor ne sommeillerait pas ad vitam æternam dans les oubliettes du show-business. Dès la décennie suivante, un phénomène ABBA revival démarrait avec les groupes australien Björn Again et anglais Erasure. Puis, de reprises en rééditions et compilations, l’affaire – déjà fructueuse – allait prendre une tout autre dimension avec Mamma mia !, la comédie musicale écrite par la scénariste britannique Catherine Johnson et articulée autour d’une vingtaine de hits incontournables des rois scandinaves du disco. Depuis la première le 6 avril 1999 – vingt-cinq ans jour pour jour après la victoire d’ABBA au Grand Prix Eurovision de la chanson avec Waterloo – sur la scène londonienne du Prince Edward Theatre, plus de trente millions de spectateurs ont assisté à une représentation de ce spectacle dans une des 170 villes où il a été donné. Le tout pour plus de deux milliards de dollars de recettes à ce jour ! Neuf productions tournent toujours au gré des continents, générant huit millions de dollars de recettes chaque semaine. Et après West Side Story, Hair, Chicago ou Sweeney Todd, c’est le cinéma qui prend le relais à partir de mercredi, dans une adaptation de Photo Peter Mountain A Meryl Streep et Pierce Brosnan poussent courageusement la chansonnette sous le soleil grec, mais sans la magie des seventies. Phyllida Lloyd qui avait déjà signé la version scénique de Mamma mia !. On ne s’étonnera donc pas que le film ressemble à un copier-coller de la comédie musicale. Soit une île grecque paradisiaque sur laquelle Donna (Meryl Streep) tient un hôtel, tout en s’activant en vue du mariage de sa fille Sophie (Amanda Seyfried) avec Sky (Dominic Cooper). Seule ombre au tableau : l’absence du père de la mariée, Donna ayant eu une vie amoureuse particulièrement agitée et ne sachant qui de Sam (Pierce Brosnan), Harry (Colin Firth) ou Bill (Stellan Skarsgard) est le géniteur de Sophie. Qu’à cela Panique à Disney World l’ambiance des années paillettes et boules à facettes. La mièvrerie de l’intrigue souffre du passage des planches à l’écran, et la réalisation n’a rien de vraiment imaginatif. Restent quelques refrains pour les nostalgiques des seventies : « « Money, money, money, must be funny in the rich man’s world », « Gimme gimme gimme a man after midnight », « Mamma mia, now I really know, my my, I could never let you go », « You are the Dancing Queen, young and sweet, only seventeen, Dancing Queen », « Voulez-vous (ah-ha), take it now or leave it (ah-ha) »… Trop peu après tant d’efforts. un manège pour adultes infantilisés est une œuvre d’art qui mérite que l’on tue pour elle. Une telle dystopie renvoie en miroir l’image exagérée de notre modernité, où l’art se confond avec la « culture », autre nom pour la consommation étendue à tous les domaines de l’activité humaine. Où nous conduisent nos prouesses technologiques ? A un univers consensuel dont témoigne entre autres la proto-culture en formation des réseaux internet, à la fois formidable espace de connaissance et poubelle du genre humain. Cory Doctorow, contributeur du célèbre blog Boing-Boing (www.boingboing.net), connaît bien la faune des internautes, fans et autres geek. Ils l’ont sans nulle doute inspiré pour ce roman déjà culte sur la toile, qui associe par la forme un courageux positionnement sur la licence gratuite, et sur le fond une fable cruelle, prémonition d’un avenir qui fera des hommes de grotesques adolescents décérébrés. Jean-Baptiste DEFAUT Tranches de vies parisiennes Un danseur dont le cœur bat la breloque et sa sœur assistante sociale, un prof de fac et son frère architecte, des marchands de fruits et légumes, une boulangère un peu facho, un SDF et un clandestin camerounais… on trouve tout dans Paris de Cédric Klapisch (Studio Canal). Et une distribution haut de gamme – Romain Duris, Juliette Binoche, Albert Dupontel, Fabrice Luchini, Karine Viard, Gilles Lellouche, François Cluzet et Mélanie Laurent – pour interpréter ces destins qui n’en finissent pas de se croiser dans les rues de la Capitale, personnage à part entière d’un film choral qui fête les retrouvailles du cinéaste avec sa ville. Un peu à la manière de Lelouch, Klapisch hume l’air du temps en entrelaçant des histoires simples faites d’humour et de tendresse, mais aussi de mélancolie et de gravité. Il y a sans doute trop de pièces dans le puzzle et certaines ont un peu de mal à s’assembler, mais le seul duo Duris-Binoche suffit déjà à notre bonheur. Manouchian et les siens © d.r. nant où l’homme, libéré de la mort et du travail, mène une vie de loisirs perpétuels, à s’amuser, à passer des doctorats, ou à composer des symphonies. L’adhocratie est la forme politique de cette société future, la « société Bitchun ». C’est une méritocratie collective où tout est géré par des groupes d’usagers, et où le consensus, mesuré par la popularité individuelle (le « whuffie »), structure la hiérarchie sociale et remplace l’argent dans les transactions. Julius habite à Walt Disney World, à Orlando en Floride. Il est membre de l’adhoc qui gère les trois attractions du Liberty Square, une zone du gigantesque parc de loisirs : le bateau Liberty Bell, le Hall of Présidents et la fameuse Haunted Mansion. C’est le paradis, mais une certaine Debra et son adhoc ont inventé des atttrations révolutionnaires et débarquent pour rénover le Hall of Présidents. La guerre pour la conservation de la Hauted Mansion originelle commence. Dans ce futur, le monde se réduit à un parc d’attraction et ne tienne, la jeunette convie secrètement les trois play-boys sur le retour, en espérant enfin découvrir qui est son paternel. Et comme Donna, de son côté, a invité Rosie (Julie Walters) et Tanya (Christine Baranski) avec qui elle formait jadis le groupe Donna et les Dynamos, c’est sur un dance floor à ciel ouvert que l’énigme se dénouera. Avec la plupart des tubes cités plus haut, Mamma mia ! a des allures de best of, en même temps qu’il permet à Meryl Streep, Pierce Brosnan et consorts de s’essayer à la chansonnette. Souvent avec conviction, mais sans jamais retrouver [ DVD [ Science-fiction Dans le débat encore brûlant qui oppose les tenants du livre électronique aux amoureux du papier, compliqué par les problèmes de propriété intellectuelle liés à l’usage d’internet, Cory Doctorow a jeté en 2003 un pavé dans la mare. Journaliste et bloggeur reconnu, farouche partisan de la license Creative Commons (http://creativecommons.org) qui permet la diffusion gratuite de contenus sur le web, il publie son premier roman de science-fiction en même temps sous forme papier payante et en téléchargement gratuit sur son site internet. On l’a traité de fou. Ce fut pourtant un succès de librairie et à ce jour, plus de 700 000 personnes ont téléchargé la version numérique. C’est ce premier roman, Dans la dèche au Royaume Enchanté, que publie aujourd’hui Gallimard directement en poche dans sa collection Folio SF. Au-delà de son importance évènementielle et militante, la popularité de ce petit texte tient avant tout dans sa qualité et son originalité. Cory Doctorow y invente un futur halluci- 7 Cory Doctorow publie son premier roman sur le net et en librairie. Le 21 février 1944, vingt-deux membres du groupe Manouchian étaient fusillés par les nazis au Mont Valérien. Olga Bancic, quant à elle, fut guillotinée le 10 mai suivant en Allemagne. C’est l’histoire de ces résistants communistes – des juifs hongrois et polonais, mais aussi des Arméniens, des Italiens et des Espagnols – qu’évoque Frank Cassenti dans L’affiche rouge (Doriane Films), un film dont le titre fait évidemment allusion à l’avis triomphant que la propagande allemande placardera au lendemain de leur ar- restation. Mais plutôt que de raconter leur itinéraire sur un mode linéaire, Cassenti s’interroge sur le sens de leur action en mettant en scène une troupe de théâtre qui prépare un spectacle à la mémoire de ces martyrs injustement oubliés. Une œuvre passionnante à redécouvrir d’urgence, tout comme La longue route d’Alfred Radok (Doriane Films également) qui nous ramène dans le ghetto de Prague aux heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale. M. B.