DOMPTEURS DE PORTIQUES

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DOMPTEURS DE PORTIQUES
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No 15 - Lundi 12 avril 2010
REF TE 07
Région 7
TRAVAIL DE NUIT / EN ZONE PORTUAIRE
DOMPTEURS DE PORTIQUES
C’est un univers d’étagements de conteneurs colorés, de gigantesques appareillages. Et d’eau aussi. C’est le décor des ports
rhénans où l’on s’active parfois près de 24 heures sur 24, comme celui d’Ottmarsheim, un des trois ports de Mulhouse-Rhin.
■ Voilà que les bruits du trafic routier s’estompent. La
nuit est tombée. Les innombrables colonnes, cheminées
et tuyauteries des industries
chimiques étalées entre Ottmarsheim et Chalampé viennent de s’illuminer, offrant
une débauche de repères aux
navires qui remontent le
Rhin et son ombre polie, le
grand canal d’Alsace. Parmi
eux, «L’Innuendo» et le «Heros». Leurs arrivées à un des
trois ports de Mulhouse-Rhin,
celui d’Ottmarsheim, sont
confirmées depuis la fin
d’après-midi. L’heure d’amarrage est par contre encore incertaine.
Des volées de marches
« Nous sommes une position
intermédiaire entre Strasbourg et Bâle. Nous ne sommes donc pas les seuls sur
leurs parcours. » Yvan Stephan, chef de port, s’engage
dans une allée bordée de wagons immobiles. « Il suffit
qu’ils prennent du retard à
cause de la barge qui les précède pour qu’on mette deux heures à la place de dix minutes
pour transborder ses conteneurs. Ce boulot, c’est pas
vraiment un train-train », souligne-t-il. « On apprend parfois
en toute fin de journée qu’on
va faire une centaine de "boîtes". Nous devons avoir la
possibilité de mobiliser les
équipes jusqu’au dernier moment. En journée, nous tournons en moyenne à six chauffeurs. La nuit, il n’y en a que
deux, plus un chef d’équipe.
En cas de grosse charge de
travail, nous faisons appel à
deux personnels supplémentaires. » Pas de branle-bas de
combat cette nuit-là, le port
Mulhouse-Rhin
d’Ottmarsheim ne devant accueillir
que cinq bateaux, annoncés à
des horaires suffisamment
espacés.
« L’Innuendo arrive », annonce le chef d’équipe Frédéric Naviliat, joignant le geste
à la parole. Dans le bureau, il
réunit les documents liés à
cette apparition, liste des
conteneurs qui vont être manipulés et feuillets d’« autorisations de chargement et - ou de déchargement, venues par
courrier. » On aperçoit la silhouette du bateau lorsqu’on
quitte le poste de commandement illuminé. Dans la pénombre se dessinent les profils des mariniers. Le bateau
fait plus de cent cinquante
mètres de longueur mais se
stabilise sans difficulté le
long du quai.
Dans quelques instants, ce
sera à la gigantesque machine de manutention d’entrer
en scène. Sans grincements
stridents malgré les déplacements sur les rails. Les puissants projecteurs accrochés
au portique éclaireront les
conteneurs entreposés sur le
pont, dévoileront la silhouette éphémère d’un marin. De
temps à autre, un faisceau
balaiera la surface du grand
canal d’Alsace. Sa puissance
ne parviendra cependant pas
à percer les eaux noires. « Ici,
le mouillage fait au minimum
4,5 m », précise Yvan Stephan.
« Un peu moins au niveau des
pylônes où le courant entasse
les carcasses de véhicules jetées dans l’eau », complète
d’un sourire son collègue
nocturne, Hervé Behe. Passionné, comme les autres,
par ce travail en extérieur,
dépendant également des
crues et des décrues.
« On ne calcule pas tant en
embarcations qu’en conteneurs à charger ou à décharger. "L’Innuendo" en attend
32. Nous devrions en avoir
pour entre une heure et demie
et deux heures », reprend
Yvan Stephan, pendant que
Hervé Behe s’installe aux
commandes d’un des cha-
Vue du port d’Ottmarsheim, prise au-dessus du grand canal d’Alsace, depuis les passerelles d’un portique installé sur rails. Au premier plan, le «Heros» attendant que débute la valse des conteneurs.
riots-élévateurs atteints de gigantisme. Un troisième membre du personnel, Noël Bensaadi, entame l’ascension qui
lui permettra d’atteindre la
cabine du portique. Il lui faudra franchir des volées de dizaines de marches métalliques pour accéder au poste
«vital» de cet engin à plusieurs millions d’euros.
Perdu dans la pénombre
Voilà un métier solitaire,
pense-t-on. Isolé dans la pénombre, littéralement balloté
- force d’inertie oblige - à près
d’une trentaine de mètres du
sol, ne pouvant pas même
profiter du paysage, à la différence des grutiers qui officient le jour. On se trompe.
Les contacts radio sont omniprésents, les conteneurs étant
validés l’un après l’autre. Manœuvrer un portique, semblable à une gigantesque araignée métallique, cela demande près d’un mois « en formation interne, 15 jours pour
s’adapter au fonctionnement,
15 jours pour s’initier à la gestion informatique. » Cette spécialisation n’interdit pas le pilotage de grues, comme celles érigées en centre-ville.
Textes
Stéphane Freund
Photos
Marc Rollmann
A GRAPILLER
❏ Contrairement à ce qu’on
pourrait penser, on n’utilise
pas d’électro-aimants pour
soulever les conteneurs de
plusieurs tonnes. « Imaginez
les dégâts que peuvent occasionner ces aimants sur
du matériel médical ultrasensible », nous sourit-on.
C’est un système classique
de clipsage-verrouillage.
❏ Les marins aperçus sur
les barges rhénanes sont
désormais semblables à
leurs confrères des océans :
de toutes nationalités, comme les armateurs. On peut
maintenant aussi bien croiser Allemands, Néerlandais,
Français que Thaïlandais ou
Indonésiens.
Un univers de gigantisme. Ce chariot-élévateur est capable de soulever jusqu’à 40 T ou huit éléphants.
Pendant la nuit, les allées et venues des péniches se poursuivent. Le
port permet une liaison directe avec les rails et la route.
« Avec les vraquiers, utilisés
pour décharger sables et gypses, on a les bases », rappelle
Frédéric Naviliat.
« Les anciens connaissaient
par cœur leurs docks, savaient
précisément où se trouvait tel
conteneur, leur position, leur
étagement », reprend Yvan
Stephan. « Aujourd’hui, tout
s’est accéléré. Beaucoup plus
de mouvements, beaucoup
plus d’échanges. » Pour ces
raisons, chaque conteneur
est désormais identifié informatiquement.
A Ottmarsheim, le port voit
notamment passer certaines
pièces
détachées
du
constructeur automobile voisin, de l’équipement agricole,
mais aussi « du vrac, comme
de l’engrais ou du sable. » Enfin voit, façon de parler.
« Sauf particularités ou conteneurs en partie ouverts, comme dans le cas d’éoliennes,
nous ne savons pas ce qu’ils
contiennent », rappelle notre
interlocuteur.
« Finalement,
cela ressemble à un entrepôt
en plein air où tout est beaucoup plus grand », résume le
chef d’équipe Frédéric Naviliat. « Et encore, vous n’avez
pas vu Fos-sur-Mer, où les
portiques sont de véritables titans », complète son voisin,
l’air rêveur.
EN REMONTANT
Les Ports de Mulhouse-Rhin
(Ottmarsheim-HuningueIle-Napoléon), ont été créés
en 1960 par la CCI Sud-Alsace Mulhouse. En Sud-Alsace,
comme dans le reste de la
région, on a rapidement réalisé que « la voie d’eau » peut
s’intégrer « dans un schéma
de transport. » On compte
aujourd’hui une demi-douzaine de ports dans la région. Présentation rapide.
Centre-Alsace
■ Le port rhénan de Vogelsheim
« Pas d’équipes de nuit, mais
un système d’astreinte mobilisant au moins un pontier et
un cariste », explique le chef
d’exploitation Marc Lagarde.
Le port rhénan de Vogelsheim, un des moteurs de la
CCI Colmar Centre-Alsace,
emploie 28 personnes. Il est
équipé de grues datant des
années 1960, de porte-charges, mais aussi d’un portique
conçu en 1979. « En 2000, il a
été rallongé côté terre, puis en
2003, côté fleuve en raison de
la largeur accrue des bateaux. »
Phénomène inattendu, la
Coupe du monde en Afrique
du Sud a augmenté l’activité
du port qui voit passer « les
bobines d’aluminium nécessaires à la conception des cannettes de soda. »
Bas-Rhin
■ Le port autonome de
Strasbourg
Le P.A.S., en résumé, c’est un
site spacieux équipé de deux
terminaux à conteneurs et de
trois portiques. Il dispose
d’un pont roulant d’une capacité de 350 T. Le deuxième
portique est arrivé en 1998.
On trouve également un portique à colis lourds au niveau
de Lauterbourg.
■ Ensuite ? Le Rhin, dont le
cours effleure le Liechsten-
stein, traverse la Suisse, se
fraie un chemin entre France
et Allemagne puis poursuit sa
route vers le Nord. Après
Strasbourg, Karlsruhe, Ludwigshafen, Mainz (où se trouve la liaison Rhin-Danube),
Koblenz, Köln, Düsseldorf,
Duisburg, Nijmegen, Rotterdam. Selon les chiffres communiqués par la CCI, il faut
environ 40 heures pour joindre Ottmarsheim à Anvers,
70 heures pour effectuer le
trajet en sens inverse.

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