N° 31-32 - Sustainable and Responsible Finance

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N° 31-32 - Sustainable and Responsible Finance
N° 31-32 - II-III / 2008
Finance & the Common Good / Bien Commun
N°
31-32
CR I S E O U CATA...LYSE ?
FEATURE ARTICLES
• La finance trahit-elle le capitalisme ?
• Minsky’s ‘Cushions of Safety’, Systemic Risk and the Crisis
• The Actual Financial Crisis and the South
• Trust, Honesty and Ethics in Business
• La représentation du risque : une faute morale collective ?
Marc Chesney
Jan Kregel
Yaga V. Reddy, interview
Tamar Frankel
Christian Walter
NEWS MONITOR
• The G-20 Attack on ‘Banking Secrecy’
• De la spéculation pour soi au souci des autres
Paul H. Dembinski
Fabrizio Sabelli
OTHER ARTICLES AND BOOK REVIEWS
CHF 40.- / € 26.-
L
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Marc Chesney
Université de Zurich
Capitalism is supposed
to be grounded in liberalism, as a last resort
in the spirit of entrepreneurship, which
should flourish thanks
to free markets.
Today’s financial sector
no longer appears to
respect the basis of
capitalism.
The financialisation
of economy has as
its corollary the rise
in power of Business
Banks.
a finance trahit-elle
le capitalisme ?
La crise actuelle est souvent associée à une perte de confiance entre
les acteurs financiers. La confiance
est effectivement un élément essentiel de l’économie : elle est à la base
des échanges, donc des marchés et
du capitalisme.
Toutefois, lorsque la question de
la confiance se pose, c’est que, de
manière sous-jacente, celle de la trahison est proche : trahison supposée,
subodorée ou observée. Il est difficile
de les traiter l’une sans l’autre, car la
confiance ne saurait éventuellement
revenir sans que la trahison ne cesse,
comme c’est le cas pour un couple
ou pour deux amis. Ainsi la perte de
confiance est souvent un euphémisme qui permet d’éviter l’utilisation
de ce mot plus fort, plus difficile à
prononcer, qu’est la trahison.
Dans le cadre de la crise financière actuelle, qui seraient les acteurs de
cette trahison ? Qui aurait trahi, qui
aurait été trahi ? Une réponse semble
s’imposer. La crise provenant du secteur financier - de ceux qui ont diffusé les produits toxiques - et s’étant
propagée à l’ « économie réelle »,
la trahison potentielle ne serait-elle
justement pas celle de l’économie ou
du capitalisme par la finance? Les
propos que le Directeur de la Banque
d’Angleterre, Mervyn King, a tenu
en octobre 2008, devant le patronat
anglais, semblent corroborer cette
idée : « Les actions entreprises n’ont
pas pour but de sauver les Banques
en tant que telles, mais de protéger le
reste de l’économie, des banques ».
Les règles du
capitalisme bafouées
Cette question d’une possible trahison peut se traiter d’au moins deux
points de vue : d’une part grâce à une
analyse globale permettant de comprendre la dynamique ayant conduit
à cet état de fait, et d’autre part par le
biais d’une analyse factuelle et technique, c’est-à-dire sur la base des
faits concrets établissant la trahison.
Le capitalisme actuel est censé reposer sur le libéralisme, c’est-à-dire
en dernière instance sur l’esprit d’entreprise qui doit s’épanouir grâce à
la libre concurrence. L’entrepreneur
assume les risques qu’il a pris et est
rémunéré pour cela le cas échéant.
Nous pouvons ici nous référer à F.
Hayek ainsi qu’à d’autres théoriciens
de l’économie.
Or, de quelle nature sont les
mesures proposées pour résoudre
la crise financière et économique
mondiale ? La clôture de la bourse
de New-York, le jeudi 18 septembre
2008, a généré des scènes surprenan-
FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008
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These banks depend
among other aspects
on M & As, which
have led to losses resulting from inappropriate investments and
excessive salaries and
bonuses.
Another factor of the
financialisation of
economy and on which
business banks rely is
the sale of derivatives/
hedge funds that are
supposed to protect
against risk, but which
have actually ended up
increasing it.
But the principle of
converting debt into
stocks is not negative
per se.
It does, however
reduce the incentive
for banks to carry out
an adequate analysis
of the risk of clients
defaulting.
There is no existing
strategy on financial
markets that is liable to
generate huge profits at
almost no risk, as the
speculative funds or investment capital would
have liked people to
believe.
tes : les intervenants applaudissaient
debout à la nationalisation d’AIG. En
effet, les mesures proposées sont de
nature dirigiste et étatiste. Elles sont
aux antipodes de ce qu’un système
libéral est supposé appliquer. Il s’agit
surtout de plans de sauvetage de
banques, c’est-à-dire de leur nationalisation partielle ou de leur recapitalisation, et de la garantie de leur
bilan et de leurs dépôts, financée par
un budget public correspondant à
des montants énormes. Par ailleurs,
des plans de relance géants, de type
keynésiens, seront mis en place au
niveau mondial. Selon les dernières
estimations, les coûts de ces mesures
pourraient atteindre 10’000 milliards
de dollars au niveau international.
Ainsi, pour résoudre la crise actuelle, les Etats ont mis les marchés
et le secteur financier en général
sous perfusion. Ils n’avaient probablement pas d’autres choix.
Des colosses
aux pieds d’argile
Les pays développés et les EtatsUnis en tête se réfèrent au libéralisme, mais de la même manière que la
population vis-à-vis de la religion, ils
sont plus croyants que pratiquants.
Actuellement, une partie importante
du secteur financier ne semble plus
respecter les règles de base du capitalisme (voir à ce sujet Pène, 2009).
La crise actuelle le met en évidence,
mais ce phénomène existait déjà
auparavant.
La financiarisation de l’économie, qui a débuté pendant les années
1980, avec la vague de déréglementations et de privatisations, a eu pour
corollaire la montée en puissance des
banques d’affaires, dont le modèle a
été repris par certaines sociétés d’assurance et par les fonds d’investissements. Ces colosses aux pieds d’argile entraînent actuellement dans leur
chute l’économie réelle.
Ce modèle repose entre autres
sur les opérations de fusions-acquisitions, dont on sait qu’elles ont finalement détruit de la valeur (sauf
pour les banques d’affaire qui les organisaient). Selon une étude centrée
sur la période allant de 1991 à 2001
(Moeller et al., 2005), ces opérations
se sont traduites globalement pour
les actionnaires des sociétés acheteuses par des pertes agrégées importantes : 216 milliards de dollars.
Ces pertes ont pour explications
principales des stratégies d’investissements inappropriées et des rémunérations démesurées de la Direction
Générale qui peut en effet arguer de
la taille énorme de la nouvelle entité
pour obtenir du conseil d’administration une augmentation substantielle
de sa rémunération, que l’opération
se soit soldée par un succès ou par
un échec. Il s’agit alors d’une rente
de situation incompatible avec l’esprit d’entreprise.
Ces opérations se traduisent
aussi par des pertes d’emplois pour
de nombreux salariés ainsi qu’éventuellement par une diminution de
la concurrence et donc par une augmentation des prix préjudiciable au
consommateur.
LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ?
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When the market trend
is upwards, the high
level of debt of these
funds (which was made
possible by the very low
interest rates) generated
record profits; but in a
downward trend, this
accentuates the loss.
These characteristics
of finance are contrary
to the spirit of free
enterprise, to the ethics
of entrepreneurship
and therefore to the
basic principles of
capitalism, as they
contribute to disconnecting income from
risk: those who receive
the income are not
those who have taken
the risks.
In the sub-prime market, the banks linked
their risky debts to
better-quality debts to
create what has been
termed ‘Collaterized
Debt Obligations’
(CDOs). This is how
these debts were marketed.
Un autre facteur de la financialisation de l’économie et sur lequel
reposent les banques d’affaires est la
vente de produits dérivés/structurés,
censés protéger contre les risques
mais qui les ont finalement accrus.
Un modèle basé
sur le risque
Cette soi-disant couverture des
risques particuliers génère ainsi un
risque systémique. Les émetteurs
de ces produits se sont comportés
comme des pompiers pyromanes
(l’exemple d’AIG est à ce titre intéressant).
De plus, la titrisation des créances
à grande échelle, qui était supposée
accroître la liquidité sur les marchés
et diversifier les risques, a démontré
sa faiblesse. Le principe qui consiste
à transformer des créances en titres
financiers n’est pas condamnable en
tant que tel. Par contre, il réduit pour
les banques les incitations à analyser
le risque de défaut de leurs clients de
manière adéquate. En effet, ayant la
possibilité de vendre ces créances,
elles peuvent espérer ne pas devoir
supporter ce risque. Le revenu est
créé par la vente de ces produits financiers et non par les intérêts de la
dette. Lorsque la titrisation est pratiquée à une telle échelle, les risques
s’agrègent et font courir à l’économie
un risque systémique, comme on
peut actuellement le constater.
Le mythe de marchés censés être
transparents, liquides, efficients et
gratuits s’est effondré, et ces marchés
se sont révélés opaques, complexes,
coûteux, actuellement asséchés et
inaptes à transmettre des informations pertinentes. Comment se faitil, par exemple, que des créances
douteuses, qui initialement ne devaient représenter qu’un faible pourcentage des encours des banques,
produisent une crise aussi profonde
au sein de marchés censés être efficients? Comment se fait-il que des
montages complexes, quasiment
incompréhensibles pour la majorité
des investisseurs, aient pris une telle
ampleur dans des marchés supposés
être transparents ?
Le dernier facteur sur lequel reposait le modèle de la banque d’affaires est celui des agences de notation, financées précisément par des
banques dont elles doivent évaluer la
situation financière ! Il va sans dire
que cela génère des conflits d’intérêt
comparables à ceux des auditeurs
vis-à-vis des entreprises.
Une finance en
contradiction avec
l’esprit d’entreprise
Les fonds spéculatifs ou de capital investissement, dont les activités ne sont soumises à aucune
réglementations, sont devenus un
rouage important de cette financiarisation de l’économie et donc de ce
non respect des règles de base du
capitalisme. Ils ont fait croire qu’ils
pouvaient déconnecter le risque du
profit attendu, ou même le faire disparaître, soit en rachetant et en restructurant des sociétés qui étaient
déjà en bonne santé et qui n’en avait
FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008
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The ‘Credit Default
Swaps’ (CDS) are
financial insurance
products that are supposed to provide cover
against the risk of default between financial
institutions that have
too many CDOs on
their books.
But these products turned into hedges against
the bankruptcy of the
companies in question. From then on the
risk of default became
particularly difficult to
evaluate.
All actors have their
own role to play: companies invest, banks
lend money, insurers
provide cover.
The system loses control when instead of
covering the amount of
a loan, banks buy CDS
of a higher amount
than the loan itself.
donc pas un besoin urgent, pour les
revendre à un prix plus élevé, soit
en procédant à des investissements
sur les marchés financiers ou à des
transactions de gré à gré caractérisées par une logique courtermiste
qui concourt au développement
d’une économie casino.
Or, il n’existe pas de martingale
gagnante sur les marchés financiers,
c’est-à-dire de stratégie susceptible
de générer d’énormes profits quasiment sans risque, ou avec une chance infime de se tromper, comme le
fond LTCM et ses deux prix Nobel
d’économie en ont fait la triste expérience à la fin du siècle dernier.
Les activités de ces fonds sont basées sur un endettement important
qui a été rendu possible par des
taux d’intérêt très faibles ces dernières années.
C’est cet effet de levier qui, lorsque les marchés sont orientés à la
hausse, génère des profits records,
mais qui en cas de baisse accentue la
chute, comme cela a pu être constaté
durant les derniers mois de l’année
2008, avec des ventes massives de
titres par les « hedge funds ». Les
fonds ont contribué à la création rapide d’immenses fortunes que rien
ne saurait justifier. Il suffit de penser
qu’en 2007 John Paulson, directeur
du fond qui porte son nom, a perçu
3 milliards de dollars, ce qui correspond à environ 76.000 fois le salaire
moyen aux Etats-Unis !
Ces caractéristiques actuelles de
la finance sont contraires à l’esprit
d’entreprise, à l’éthique de l’entrepreneur et donc aux principes de base
du capitalisme, car elles contribuent
à déconnecter le revenu du risque,
c’est-à-dire à faire en sorte que ceux
qui perçoivent les revenus ne soient
pas ceux qui en dernière instance assument les risques qui leur sont liés.
La perte de confiance actuelle résulte
ainsi de ces comportements irrespectueux des principes sur lesquels
repose le capitalisme.
Les paradoxes
de la crise actuelle
Les principaux produits financiers
associés à cette crise sont les « Collaterized Debt Obligations » (CDO) et
les « Credit Default Swaps » (CDS).
Leur analyse a pour objectif d’expliquer le paradoxe suivant : comment
une crise sur le marché des subprime,
marché de taille relativement limitée,
a-t-elle pu prendre une telle ampleur,
et générer un tel séisme financier et
économique ?
Aux Etats-Unis, l’insolvabilité
des foyers endettés sur le marché
des subprime correspondrait à un défaut total d’environ 500 milliards de
dollars. C’est beaucoup, mais beaucoup moins que les montants requis
pour sortir de la crise qui sont environ vingt fois plus élevés. Comme
certains économistes aux Etats-Unis
l’ont déclaré, donner gratuitement
des maisons à ces foyers endettés
aurait coûté moins cher.
Si l’on considère maintenant les
CDS en circulation, ils devraient
assurer 60’000 milliards de dollars,
soit 12 fois plus que les montants des
créances à risque !
LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ?
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Encadré 1 :
Le cas Morgan Stanley
L’exemple d’utilisation de CDS
pour parier sur la faillite de Morgan Stanley pendant la semaine du
10 au 17 septembre 2008, illustre
cette idée - les éléments factuels
proviennent du Wall Street Journal
du 24 Novembre.
Deux jours après la faillite de
la banque Lehman Brothers, une
rumeur se propagea selon laquelle
une autre société importante de
Wall Street, Morgan Stanley, était
sur le point de faire faillite. La
Deutsche Bank lui aurait soi-disant fourni une ligne de crédit de
25 milliards de dollar. Ce n’était
pas vrai, mais cela généra une cascade de paris à la baisse sur Morgan Stanley.
Qui était responsable de ces
paris? Entre autres, d’importantes
institutions financières de Wall
Street comme Merrill Lynch, Citigroup, UBS, etc. Elles intervinrent
en achetant des CDS. Par ailleurs,
de nombreuses ventes à découvert
d’actions de Morgan Stanley furent
détectées.
L’impact combiné des CDS et
des ventes à découvert accéléra
la chute du cours de l’action. Les
traders manipulaient-ils le marché
intentionnellement en propageant
de fausses informations de manière
à profiter de leurs paris? Les sociétés concernées indiquèrent pour la
plupart avoir acquis les contrats
de CDS seulement de manière à
se couvrir contre d’éventuelles
pertes. La situation financière de
Morgan Stanley n’était cependant
pas mauvaise au début du mois de
septembre.
Le 17 septembre, le directeur
de Morgan Stanley contacta la
bourse de New-York et le département du Trésor américain dans
le but de faire interdire les ventes
à découvert sur les actions de sa
société. Cette initiative de Morgan Stanley fut mal perçue par de
nombreux hedge funds. Des 1100
hedge funds clients de Morgan
Stanley, environ un tiers décida de
retirer des capitaux. Quatre jours
plus tard, Morgan Stanley abandonna son statut de banque d’affaires pour devenir une holding
et obtint une injection de 10 milliards de dollars du gouvernement
américain.
Ainsi, la banque Morgan Stanley, qui le 10 septembre était dans
une situation relativement saine,
venait en quelques jours, de changer de statut et d’éviter une faillite
qui n’aurait été basée sur aucun
élément fondamental. En une
seule journée, le 17 septembre, le
cours boursier perdit 24%.
FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008
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In this context the
bank no longer plays
its dedicated role
(cover is converted
into a hedge on the
potential bankruptcy of
a company that may be
the bank’s own client),
nor does the insurance
broker (who multiplies
sales of insurance contracts without having
sufficient available
funds) and companies
are the ones who pay
the price.
The CDS in circulation are supposed to
guarantee an amount
twelve times higher
than the sum to be
insured! This is like
the owner of a car
having to buy 10 or
100 accident insurance
policies!
If an insurance broker
believes that a driver
is liable to crash his
car, he is unable to
get accident or life
insurance cover! He
is not allowed to try
to cause an accident
by sabotaging his car!
This would be a crime!
Il convient à ce niveau d’expliquer
brièvement ce que sont les CDS. Il
s’agit de produits financiers permettant de se couvrir contre le risque de
défaut d’une contrepartie. La société
qui émet des CDS - une banque, une
société d’assurance comme AIG, ou
un fond - est censée assumer le risque de défaut, c’est-à-dire le prendre
à sa charge s’il se produit. Or, le risque de défaut est la caractéristique
principale du marché des subprime.
En effet, la solvabilité des foyers endettés reposait avant tout sur l’hérésie selon laquelle le marché de l’immobilier allait continuer à croître
indéfiniment (ce qui aurait éventuellement permis de vendre les maisons
et de rembourser les dettes), ce qui
n’est le cas pour aucun marché.
CDO/CDS : une
construction qui semble
à priori logique
Les banques ont associé leurs
créances douteuses à des créances de
meilleures et de bien meilleures qualités pour former ce que l’on appelle
des CDO. Elles ont vendu ces CDO
qui se sont diffusés dans l’économie
et c’est ainsi que ces créances ont été
titrisées.
A partir du moment où un risque
financier difficilement quantifiable,
tel que le risque de défaut, se diffuse
dans l’économie, il est normal que
des produits de couverture apparaissent. Les CDS étaient justement censés couvrir contre le risque de défaut
entre autres de sociétés financières
ayant trop de CDO à leur bilan.
Cette construction qui semble logique, où des produits d’assurance,
les CDS, couvrent des produits financiers risqués, n’a pas fonctionné et a
amplifié la crise. Pourquoi ? Avant
tout car les produits de couverture
se sont transformés en paris sur la
faillite des entreprises concernées et
qu’à partir de là, le risque de défaut
devenait particulièrement difficile à
évaluer (voir l’article de Chesney M.
2009).
Comme ce fut le cas pour Morgan Stanley (encadré 1), des contrats
d’assurance contre le risque de défaut
(CDS) qui se transforment en paris
sur la faillite, couplés à des ventes à
découvert qui accentuent ce risque
de faillite, deviennent des produits
très dangereux pour la stabilité financière internationale et donc pour
le capitalisme.
Un système qui dérape
Si l’on considère les relations de
base entre, par exemple, une entreprise, une banque et une assurance,
on s’attend à trouver une construction claire et efficace. Si l’entreprise
a un projet d’investissement, l’entrepreneur assume le risque associé
à l’investissement. Supposons que,
pour le financer, il doive recourir à
l’emprunt. Une banque analyse son
projet et lui prête le montant requis
si elle estime qu’il a suffisamment
de potentiel. Si tel est le cas, l’entreprise se couvre contre les risques
inhérents à son investissement : risques d’intempéries, d’incendies, etc.
Elle dispose donc de divers contrats
d’assurance. Chaque entité joue son
LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ?
38
rôle, l’entreprise investit, la banque prête, l’assureur assure contre
les dégâts matériels. On pourrait
aussi supposer que la banque s’assure contre un risque de défaut de
l’entreprise en achetant à la société
d’assurance des CDS.
Well, in the above
case, selling at a loss
is authorised by the
markets!
Bailing out AIG, the
insurance company,
enabled the companies
that had gambled on
the bankruptcy of companies like Lehman
Brother, by buying
CDS from AIG, to be
paid off.
AIG may have been
saved, but the spirit
of free enterprise certainly wasn’t!
Le système dérape à partir du
moment où, au lieu de couvrir le
montant qu’elle a prêté, la banque
achète des CDS sur un montant bien
supérieur à celui-ci. C’est à partir de
là que le contrat d’assurance contre
le risque de faillite de l’entreprise se
transforme en pari sur cette même
faillite. Qu’une banque soit susceptible de parier sur la banqueroute de
son client pose de nombreux problèmes non seulement éthiques mais
aussi économiques, comme on peut
l’imaginer.
Une nouvelle banque peut apparaître dans ce scénario et bien qu’elle
n’ait rien prêté à l’entreprise, c’est-àdire bien qu’elle n’ait pas besoin de
s’assurer contre le risque de faillite de
l’entreprise, peut parier sur cette faillite en achetant de nombreux CDS.
Dans ce contexte, la banque ne
joue plus son rôle (sa couverture se
transforme en pari sur la faillite d’une
entreprise éventuellement cliente),
l’assureur non plus (il multiplie les
ventes de contrats d’assurance - CDS
- sans provisionner de manière adéquate en pensant que si le risque de
faillite est élevé, l’Etat interviendra
en dernière instance) et l’entreprise
pâtit de ces relations malsaines.
Finalement, le risque de faillite
d’une ou plusieurs des sociétés con-
cernées est susceptible d’augmenter.
S’il se matérialise, l’aide de l’Etat sera
demandée !
Il s’agit en réalité du risque de
faillite de nos valeurs et d’un certain
type de société. La perte de confiance, évoquée dans l’introduction, est
due au fait que la confiance ne soit
pas suffisamment rémunératrice. Le
cynisme du pari sur la faillite d’une
autre société, pas obligatoirement
concurrente, l’est bien plus et ce de
par l’existence des CDS.
Les paris sur des
faillites récompensés
Les CDS en circulation devraient
assurer un montant environ douze
fois supérieur à ce qu’il faudrait en
réalité assurer ! Cela ne devrait être
autorisé sur aucun marché. Le propriétaire d’une voiture dispose d’un
contrat d’assurance le couvrant contre les accidents, il ne peut en aucun
cas en acheter 10 ou 100 ! S’il pense
qu’une tierce personne conduit mal
et qu’il est probable qu’elle ait un
accident, il ne peut acheter ni des
assurances accidents, ni des assurances vie la concernant ! Il ne peut pas
essayer de provoquer un accident en
sabotant sa voiture ! Ce serait un délit ! Et bien, dans le cas précédent, il
s’agit de la vente à découvert, autorisée sur les marchés. Ce sont précisément ces comportements des agents
financiers qui sont contraires à l’éthique, et plus précisément à l’éthique
de l’entrepreneur, et qui sont l’une
des composantes importantes de la
crise économique actuelle.
FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008
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In order to enable markets to return to their
basic vocation - that of
optimal distribution of
capital - certain steps
need to be taken:
• Financial products
need to be certified before being put on sale;
• Toxic assets should
be made illegal;
• Activities sold on
the stock exchange
should be controlled
in order to avoid cover
products that hedge on
companies bankruptcy;
• The activities of
speculative funds or
investment capital
should be controlled;
• Pay systems based on
bonuses should be replaced by systems that
also include penalties
(malus);
• The efficiency of
risk control centres of
banks should be drastically improved;
Le sauvetage de la compagnie
d’Assurance AIG a permis, entre
autres, aux sociétés qui avaient parié
sur la faillite de compagnies comme
Lehman Brothers, en achetant des
CDS à AIG, d’être récompensées.
AIG ayant évité la faillite a ainsi pu
honorer ses contrats d’assurance.
Environ deux tiers des fonds publics reçus par AIG (173 milliards
de dollars) ont en effet été utilisés
à cette fin.
AIG a peut-être été sauvé, mais
l’esprit d’entreprise certainement pas
! Lorsque la finance trahit l’éthique
de l’entrepreneur, elle se trahit ellemême. Nous sommes ainsi bien loin
de cet esprit du capitalisme décrit
par Max Weber dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, dont
les représentants assignaient à leur
tâche, entre autres, l’objectif de «
mettre le travail au service d’une organisation rationnelle qui fournisse
à l’humanité ses biens » et services,
comme nous dirions aujourd’hui.
Un regard prospectif
Les marchés financiers étaient
supposés permettre une allocation
optimale du capital, dans le sens
où le capital ainsi alloué devait optimiser la création de valeur, ainsi
qu’une allocation optimale des risques.
C’est exactement le contraire qui
s’est produit dans le cadre de cette
crise. Pour permettre aux marchés
de revenir à leur vocation initiale
des mesures s’imposent. Celles qui
suivent sont particulièrement importantes :
• les produits financiers devraient obtenir une certification
avant une éventuelle mise sur le
marché, comme c’est les cas pour
les autres produits, par exemple
dans les secteurs industriel, agroalimentaire ou pharmaceutique. Une
institution financière internationale
devrait être responsable de l’émission de telles certifications. Cela
permettrait d’éviter la diffusion de
produits toxiques ;
• la diffusion de produits toxiques devrait constituer un délit
en finance, comme c’est le cas, ou
censé l’être, dans tous les autres secteurs d’activité. Il s’agirait d’un délit
d’atteinte à la sécurité économique
et financière ;
• l’achat de CDS devrait être
conditionné par la détention de
l’obligation sous-jacente ;
• les activités sur les marchés de
gré à gré, qui comme ont l’a vu sont
susceptibles d’augmenter le risque
systémique, devraient être contrôlées, fréquemment enregistrées et
l’information y relative diffusée publiquement. Cela permettrait d’éviter que des produits de couverture
se transforment en paris sur la faillite des entreprises ;
• les activités des fonds spéculatifs ou de capital investissement
devraient être contrôlées ;
• pour les dirigeants des grandes
banques, les systèmes de rémunération à base de bonus uniquement
devraient être remplacés par des
systèmes qui incluent aussi les pénalités (malus). Les stock-options,
LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ?
40
• The contents of
financial courses that
are taught should be
analysed and reviewed.
parachutes dorés, etc. qui incitent
à prendre des risques, lesquels sont
finalement assumés par les autres
composantes de la société : c’està-dire les actionnaires, clients, salariés, retraités et finalement les
contribuables, posent de grave problèmes.
• l’efficacité du travail des cellules de contrôle des risques dans les
banques devrait être grandement
améliorée (par le biais entre autres
d’une réflexion sur le risque de modèle et les incitations financières) ;
• le contenu des cours de finance
devrait être analysé et revu. •
Bibliographie
Chesney, M., 2009. « Il faut réformer les bombes financières que
sont les CDS », Les Echos, 30 mars.
Pène, D., 2009. « La fin du rêve
faustien des financiers », http://
www.europolis-online.org/pdf/archiv_49.pdf, avril.
Moeller, S., Schlingemann, F. et
Stulz, R., 2005. « Wealth destruction
on a massive scale? A study of
acquiring-firm returns in the recent
merger wave », Journal of Finance,
avril.
FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008
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Finance & the Common Good/Bien Commun
http://www.obsfin.ch/finance&thecommongood-biencommun.htm
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Observatoire de la Finance, 24, rue de l’Athénée, 1206 Geneva, Fax +41 (0)22 789 14 60, Email: [email protected]
FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008
8th International Meeting
Ethique, Finance & Responsabilité /
Ethics, Finance & Responsibility
La crise: des opportunités perdues?
The crisis: wasted opportunities?
October 22-23 2009
Venue: Forum Genève (Rue de Lausanne 17, 1201 Genève)
Workshops
Les banques à la reconquête de leurs clients / How banks are trying to woo back their clients
Finance et économie réelle / Finance and the real economy
Ethique en finance après la crise / Financial ethics after the crisis
Que reste-t-il de nos modèles économiques? / What’s left of our economic models?
Cérémonie de remise du «Ethique en finance, Prix Robin Cosgrove»
Award Ceremony of the «Ethics in Finance, Robin Cosgrove Prize»
Keynote speech
Stephen A. Marglin, Harvard University
L’économie, une science à bout de souffle? / Economy: the dismal science?
Emilio Fontela Lecture: Economics and the Common Good
Inscriptions et informations / Registration and information:
Sibilla La Spina,Tél.: +41 (0)22 346 30 35, e-mail: office@obsfin.ch
http://www.obsfin.ch/ethique-finance-responsabilite.htm

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