N° 31-32 - Sustainable and Responsible Finance
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N° 31-32 - II-III / 2008 Finance & the Common Good / Bien Commun N° 31-32 CR I S E O U CATA...LYSE ? FEATURE ARTICLES • La finance trahit-elle le capitalisme ? • Minsky’s ‘Cushions of Safety’, Systemic Risk and the Crisis • The Actual Financial Crisis and the South • Trust, Honesty and Ethics in Business • La représentation du risque : une faute morale collective ? Marc Chesney Jan Kregel Yaga V. Reddy, interview Tamar Frankel Christian Walter NEWS MONITOR • The G-20 Attack on ‘Banking Secrecy’ • De la spéculation pour soi au souci des autres Paul H. Dembinski Fabrizio Sabelli OTHER ARTICLES AND BOOK REVIEWS CHF 40.- / € 26.- L 32 Marc Chesney Université de Zurich Capitalism is supposed to be grounded in liberalism, as a last resort in the spirit of entrepreneurship, which should flourish thanks to free markets. Today’s financial sector no longer appears to respect the basis of capitalism. The financialisation of economy has as its corollary the rise in power of Business Banks. a finance trahit-elle le capitalisme ? La crise actuelle est souvent associée à une perte de confiance entre les acteurs financiers. La confiance est effectivement un élément essentiel de l’économie : elle est à la base des échanges, donc des marchés et du capitalisme. Toutefois, lorsque la question de la confiance se pose, c’est que, de manière sous-jacente, celle de la trahison est proche : trahison supposée, subodorée ou observée. Il est difficile de les traiter l’une sans l’autre, car la confiance ne saurait éventuellement revenir sans que la trahison ne cesse, comme c’est le cas pour un couple ou pour deux amis. Ainsi la perte de confiance est souvent un euphémisme qui permet d’éviter l’utilisation de ce mot plus fort, plus difficile à prononcer, qu’est la trahison. Dans le cadre de la crise financière actuelle, qui seraient les acteurs de cette trahison ? Qui aurait trahi, qui aurait été trahi ? Une réponse semble s’imposer. La crise provenant du secteur financier - de ceux qui ont diffusé les produits toxiques - et s’étant propagée à l’ « économie réelle », la trahison potentielle ne serait-elle justement pas celle de l’économie ou du capitalisme par la finance? Les propos que le Directeur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, a tenu en octobre 2008, devant le patronat anglais, semblent corroborer cette idée : « Les actions entreprises n’ont pas pour but de sauver les Banques en tant que telles, mais de protéger le reste de l’économie, des banques ». Les règles du capitalisme bafouées Cette question d’une possible trahison peut se traiter d’au moins deux points de vue : d’une part grâce à une analyse globale permettant de comprendre la dynamique ayant conduit à cet état de fait, et d’autre part par le biais d’une analyse factuelle et technique, c’est-à-dire sur la base des faits concrets établissant la trahison. Le capitalisme actuel est censé reposer sur le libéralisme, c’est-à-dire en dernière instance sur l’esprit d’entreprise qui doit s’épanouir grâce à la libre concurrence. L’entrepreneur assume les risques qu’il a pris et est rémunéré pour cela le cas échéant. Nous pouvons ici nous référer à F. Hayek ainsi qu’à d’autres théoriciens de l’économie. Or, de quelle nature sont les mesures proposées pour résoudre la crise financière et économique mondiale ? La clôture de la bourse de New-York, le jeudi 18 septembre 2008, a généré des scènes surprenan- FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008 33 These banks depend among other aspects on M & As, which have led to losses resulting from inappropriate investments and excessive salaries and bonuses. Another factor of the financialisation of economy and on which business banks rely is the sale of derivatives/ hedge funds that are supposed to protect against risk, but which have actually ended up increasing it. But the principle of converting debt into stocks is not negative per se. It does, however reduce the incentive for banks to carry out an adequate analysis of the risk of clients defaulting. There is no existing strategy on financial markets that is liable to generate huge profits at almost no risk, as the speculative funds or investment capital would have liked people to believe. tes : les intervenants applaudissaient debout à la nationalisation d’AIG. En effet, les mesures proposées sont de nature dirigiste et étatiste. Elles sont aux antipodes de ce qu’un système libéral est supposé appliquer. Il s’agit surtout de plans de sauvetage de banques, c’est-à-dire de leur nationalisation partielle ou de leur recapitalisation, et de la garantie de leur bilan et de leurs dépôts, financée par un budget public correspondant à des montants énormes. Par ailleurs, des plans de relance géants, de type keynésiens, seront mis en place au niveau mondial. Selon les dernières estimations, les coûts de ces mesures pourraient atteindre 10’000 milliards de dollars au niveau international. Ainsi, pour résoudre la crise actuelle, les Etats ont mis les marchés et le secteur financier en général sous perfusion. Ils n’avaient probablement pas d’autres choix. Des colosses aux pieds d’argile Les pays développés et les EtatsUnis en tête se réfèrent au libéralisme, mais de la même manière que la population vis-à-vis de la religion, ils sont plus croyants que pratiquants. Actuellement, une partie importante du secteur financier ne semble plus respecter les règles de base du capitalisme (voir à ce sujet Pène, 2009). La crise actuelle le met en évidence, mais ce phénomène existait déjà auparavant. La financiarisation de l’économie, qui a débuté pendant les années 1980, avec la vague de déréglementations et de privatisations, a eu pour corollaire la montée en puissance des banques d’affaires, dont le modèle a été repris par certaines sociétés d’assurance et par les fonds d’investissements. Ces colosses aux pieds d’argile entraînent actuellement dans leur chute l’économie réelle. Ce modèle repose entre autres sur les opérations de fusions-acquisitions, dont on sait qu’elles ont finalement détruit de la valeur (sauf pour les banques d’affaire qui les organisaient). Selon une étude centrée sur la période allant de 1991 à 2001 (Moeller et al., 2005), ces opérations se sont traduites globalement pour les actionnaires des sociétés acheteuses par des pertes agrégées importantes : 216 milliards de dollars. Ces pertes ont pour explications principales des stratégies d’investissements inappropriées et des rémunérations démesurées de la Direction Générale qui peut en effet arguer de la taille énorme de la nouvelle entité pour obtenir du conseil d’administration une augmentation substantielle de sa rémunération, que l’opération se soit soldée par un succès ou par un échec. Il s’agit alors d’une rente de situation incompatible avec l’esprit d’entreprise. Ces opérations se traduisent aussi par des pertes d’emplois pour de nombreux salariés ainsi qu’éventuellement par une diminution de la concurrence et donc par une augmentation des prix préjudiciable au consommateur. LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ? 34 When the market trend is upwards, the high level of debt of these funds (which was made possible by the very low interest rates) generated record profits; but in a downward trend, this accentuates the loss. These characteristics of finance are contrary to the spirit of free enterprise, to the ethics of entrepreneurship and therefore to the basic principles of capitalism, as they contribute to disconnecting income from risk: those who receive the income are not those who have taken the risks. In the sub-prime market, the banks linked their risky debts to better-quality debts to create what has been termed ‘Collaterized Debt Obligations’ (CDOs). This is how these debts were marketed. Un autre facteur de la financialisation de l’économie et sur lequel reposent les banques d’affaires est la vente de produits dérivés/structurés, censés protéger contre les risques mais qui les ont finalement accrus. Un modèle basé sur le risque Cette soi-disant couverture des risques particuliers génère ainsi un risque systémique. Les émetteurs de ces produits se sont comportés comme des pompiers pyromanes (l’exemple d’AIG est à ce titre intéressant). De plus, la titrisation des créances à grande échelle, qui était supposée accroître la liquidité sur les marchés et diversifier les risques, a démontré sa faiblesse. Le principe qui consiste à transformer des créances en titres financiers n’est pas condamnable en tant que tel. Par contre, il réduit pour les banques les incitations à analyser le risque de défaut de leurs clients de manière adéquate. En effet, ayant la possibilité de vendre ces créances, elles peuvent espérer ne pas devoir supporter ce risque. Le revenu est créé par la vente de ces produits financiers et non par les intérêts de la dette. Lorsque la titrisation est pratiquée à une telle échelle, les risques s’agrègent et font courir à l’économie un risque systémique, comme on peut actuellement le constater. Le mythe de marchés censés être transparents, liquides, efficients et gratuits s’est effondré, et ces marchés se sont révélés opaques, complexes, coûteux, actuellement asséchés et inaptes à transmettre des informations pertinentes. Comment se faitil, par exemple, que des créances douteuses, qui initialement ne devaient représenter qu’un faible pourcentage des encours des banques, produisent une crise aussi profonde au sein de marchés censés être efficients? Comment se fait-il que des montages complexes, quasiment incompréhensibles pour la majorité des investisseurs, aient pris une telle ampleur dans des marchés supposés être transparents ? Le dernier facteur sur lequel reposait le modèle de la banque d’affaires est celui des agences de notation, financées précisément par des banques dont elles doivent évaluer la situation financière ! Il va sans dire que cela génère des conflits d’intérêt comparables à ceux des auditeurs vis-à-vis des entreprises. Une finance en contradiction avec l’esprit d’entreprise Les fonds spéculatifs ou de capital investissement, dont les activités ne sont soumises à aucune réglementations, sont devenus un rouage important de cette financiarisation de l’économie et donc de ce non respect des règles de base du capitalisme. Ils ont fait croire qu’ils pouvaient déconnecter le risque du profit attendu, ou même le faire disparaître, soit en rachetant et en restructurant des sociétés qui étaient déjà en bonne santé et qui n’en avait FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008 35 The ‘Credit Default Swaps’ (CDS) are financial insurance products that are supposed to provide cover against the risk of default between financial institutions that have too many CDOs on their books. But these products turned into hedges against the bankruptcy of the companies in question. From then on the risk of default became particularly difficult to evaluate. All actors have their own role to play: companies invest, banks lend money, insurers provide cover. The system loses control when instead of covering the amount of a loan, banks buy CDS of a higher amount than the loan itself. donc pas un besoin urgent, pour les revendre à un prix plus élevé, soit en procédant à des investissements sur les marchés financiers ou à des transactions de gré à gré caractérisées par une logique courtermiste qui concourt au développement d’une économie casino. Or, il n’existe pas de martingale gagnante sur les marchés financiers, c’est-à-dire de stratégie susceptible de générer d’énormes profits quasiment sans risque, ou avec une chance infime de se tromper, comme le fond LTCM et ses deux prix Nobel d’économie en ont fait la triste expérience à la fin du siècle dernier. Les activités de ces fonds sont basées sur un endettement important qui a été rendu possible par des taux d’intérêt très faibles ces dernières années. C’est cet effet de levier qui, lorsque les marchés sont orientés à la hausse, génère des profits records, mais qui en cas de baisse accentue la chute, comme cela a pu être constaté durant les derniers mois de l’année 2008, avec des ventes massives de titres par les « hedge funds ». Les fonds ont contribué à la création rapide d’immenses fortunes que rien ne saurait justifier. Il suffit de penser qu’en 2007 John Paulson, directeur du fond qui porte son nom, a perçu 3 milliards de dollars, ce qui correspond à environ 76.000 fois le salaire moyen aux Etats-Unis ! Ces caractéristiques actuelles de la finance sont contraires à l’esprit d’entreprise, à l’éthique de l’entrepreneur et donc aux principes de base du capitalisme, car elles contribuent à déconnecter le revenu du risque, c’est-à-dire à faire en sorte que ceux qui perçoivent les revenus ne soient pas ceux qui en dernière instance assument les risques qui leur sont liés. La perte de confiance actuelle résulte ainsi de ces comportements irrespectueux des principes sur lesquels repose le capitalisme. Les paradoxes de la crise actuelle Les principaux produits financiers associés à cette crise sont les « Collaterized Debt Obligations » (CDO) et les « Credit Default Swaps » (CDS). Leur analyse a pour objectif d’expliquer le paradoxe suivant : comment une crise sur le marché des subprime, marché de taille relativement limitée, a-t-elle pu prendre une telle ampleur, et générer un tel séisme financier et économique ? Aux Etats-Unis, l’insolvabilité des foyers endettés sur le marché des subprime correspondrait à un défaut total d’environ 500 milliards de dollars. C’est beaucoup, mais beaucoup moins que les montants requis pour sortir de la crise qui sont environ vingt fois plus élevés. Comme certains économistes aux Etats-Unis l’ont déclaré, donner gratuitement des maisons à ces foyers endettés aurait coûté moins cher. Si l’on considère maintenant les CDS en circulation, ils devraient assurer 60’000 milliards de dollars, soit 12 fois plus que les montants des créances à risque ! LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ? 36 Encadré 1 : Le cas Morgan Stanley L’exemple d’utilisation de CDS pour parier sur la faillite de Morgan Stanley pendant la semaine du 10 au 17 septembre 2008, illustre cette idée - les éléments factuels proviennent du Wall Street Journal du 24 Novembre. Deux jours après la faillite de la banque Lehman Brothers, une rumeur se propagea selon laquelle une autre société importante de Wall Street, Morgan Stanley, était sur le point de faire faillite. La Deutsche Bank lui aurait soi-disant fourni une ligne de crédit de 25 milliards de dollar. Ce n’était pas vrai, mais cela généra une cascade de paris à la baisse sur Morgan Stanley. Qui était responsable de ces paris? Entre autres, d’importantes institutions financières de Wall Street comme Merrill Lynch, Citigroup, UBS, etc. Elles intervinrent en achetant des CDS. Par ailleurs, de nombreuses ventes à découvert d’actions de Morgan Stanley furent détectées. L’impact combiné des CDS et des ventes à découvert accéléra la chute du cours de l’action. Les traders manipulaient-ils le marché intentionnellement en propageant de fausses informations de manière à profiter de leurs paris? Les sociétés concernées indiquèrent pour la plupart avoir acquis les contrats de CDS seulement de manière à se couvrir contre d’éventuelles pertes. La situation financière de Morgan Stanley n’était cependant pas mauvaise au début du mois de septembre. Le 17 septembre, le directeur de Morgan Stanley contacta la bourse de New-York et le département du Trésor américain dans le but de faire interdire les ventes à découvert sur les actions de sa société. Cette initiative de Morgan Stanley fut mal perçue par de nombreux hedge funds. Des 1100 hedge funds clients de Morgan Stanley, environ un tiers décida de retirer des capitaux. Quatre jours plus tard, Morgan Stanley abandonna son statut de banque d’affaires pour devenir une holding et obtint une injection de 10 milliards de dollars du gouvernement américain. Ainsi, la banque Morgan Stanley, qui le 10 septembre était dans une situation relativement saine, venait en quelques jours, de changer de statut et d’éviter une faillite qui n’aurait été basée sur aucun élément fondamental. En une seule journée, le 17 septembre, le cours boursier perdit 24%. FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008 37 In this context the bank no longer plays its dedicated role (cover is converted into a hedge on the potential bankruptcy of a company that may be the bank’s own client), nor does the insurance broker (who multiplies sales of insurance contracts without having sufficient available funds) and companies are the ones who pay the price. The CDS in circulation are supposed to guarantee an amount twelve times higher than the sum to be insured! This is like the owner of a car having to buy 10 or 100 accident insurance policies! If an insurance broker believes that a driver is liable to crash his car, he is unable to get accident or life insurance cover! He is not allowed to try to cause an accident by sabotaging his car! This would be a crime! Il convient à ce niveau d’expliquer brièvement ce que sont les CDS. Il s’agit de produits financiers permettant de se couvrir contre le risque de défaut d’une contrepartie. La société qui émet des CDS - une banque, une société d’assurance comme AIG, ou un fond - est censée assumer le risque de défaut, c’est-à-dire le prendre à sa charge s’il se produit. Or, le risque de défaut est la caractéristique principale du marché des subprime. En effet, la solvabilité des foyers endettés reposait avant tout sur l’hérésie selon laquelle le marché de l’immobilier allait continuer à croître indéfiniment (ce qui aurait éventuellement permis de vendre les maisons et de rembourser les dettes), ce qui n’est le cas pour aucun marché. CDO/CDS : une construction qui semble à priori logique Les banques ont associé leurs créances douteuses à des créances de meilleures et de bien meilleures qualités pour former ce que l’on appelle des CDO. Elles ont vendu ces CDO qui se sont diffusés dans l’économie et c’est ainsi que ces créances ont été titrisées. A partir du moment où un risque financier difficilement quantifiable, tel que le risque de défaut, se diffuse dans l’économie, il est normal que des produits de couverture apparaissent. Les CDS étaient justement censés couvrir contre le risque de défaut entre autres de sociétés financières ayant trop de CDO à leur bilan. Cette construction qui semble logique, où des produits d’assurance, les CDS, couvrent des produits financiers risqués, n’a pas fonctionné et a amplifié la crise. Pourquoi ? Avant tout car les produits de couverture se sont transformés en paris sur la faillite des entreprises concernées et qu’à partir de là, le risque de défaut devenait particulièrement difficile à évaluer (voir l’article de Chesney M. 2009). Comme ce fut le cas pour Morgan Stanley (encadré 1), des contrats d’assurance contre le risque de défaut (CDS) qui se transforment en paris sur la faillite, couplés à des ventes à découvert qui accentuent ce risque de faillite, deviennent des produits très dangereux pour la stabilité financière internationale et donc pour le capitalisme. Un système qui dérape Si l’on considère les relations de base entre, par exemple, une entreprise, une banque et une assurance, on s’attend à trouver une construction claire et efficace. Si l’entreprise a un projet d’investissement, l’entrepreneur assume le risque associé à l’investissement. Supposons que, pour le financer, il doive recourir à l’emprunt. Une banque analyse son projet et lui prête le montant requis si elle estime qu’il a suffisamment de potentiel. Si tel est le cas, l’entreprise se couvre contre les risques inhérents à son investissement : risques d’intempéries, d’incendies, etc. Elle dispose donc de divers contrats d’assurance. Chaque entité joue son LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ? 38 rôle, l’entreprise investit, la banque prête, l’assureur assure contre les dégâts matériels. On pourrait aussi supposer que la banque s’assure contre un risque de défaut de l’entreprise en achetant à la société d’assurance des CDS. Well, in the above case, selling at a loss is authorised by the markets! Bailing out AIG, the insurance company, enabled the companies that had gambled on the bankruptcy of companies like Lehman Brother, by buying CDS from AIG, to be paid off. AIG may have been saved, but the spirit of free enterprise certainly wasn’t! Le système dérape à partir du moment où, au lieu de couvrir le montant qu’elle a prêté, la banque achète des CDS sur un montant bien supérieur à celui-ci. C’est à partir de là que le contrat d’assurance contre le risque de faillite de l’entreprise se transforme en pari sur cette même faillite. Qu’une banque soit susceptible de parier sur la banqueroute de son client pose de nombreux problèmes non seulement éthiques mais aussi économiques, comme on peut l’imaginer. Une nouvelle banque peut apparaître dans ce scénario et bien qu’elle n’ait rien prêté à l’entreprise, c’est-àdire bien qu’elle n’ait pas besoin de s’assurer contre le risque de faillite de l’entreprise, peut parier sur cette faillite en achetant de nombreux CDS. Dans ce contexte, la banque ne joue plus son rôle (sa couverture se transforme en pari sur la faillite d’une entreprise éventuellement cliente), l’assureur non plus (il multiplie les ventes de contrats d’assurance - CDS - sans provisionner de manière adéquate en pensant que si le risque de faillite est élevé, l’Etat interviendra en dernière instance) et l’entreprise pâtit de ces relations malsaines. Finalement, le risque de faillite d’une ou plusieurs des sociétés con- cernées est susceptible d’augmenter. S’il se matérialise, l’aide de l’Etat sera demandée ! Il s’agit en réalité du risque de faillite de nos valeurs et d’un certain type de société. La perte de confiance, évoquée dans l’introduction, est due au fait que la confiance ne soit pas suffisamment rémunératrice. Le cynisme du pari sur la faillite d’une autre société, pas obligatoirement concurrente, l’est bien plus et ce de par l’existence des CDS. Les paris sur des faillites récompensés Les CDS en circulation devraient assurer un montant environ douze fois supérieur à ce qu’il faudrait en réalité assurer ! Cela ne devrait être autorisé sur aucun marché. Le propriétaire d’une voiture dispose d’un contrat d’assurance le couvrant contre les accidents, il ne peut en aucun cas en acheter 10 ou 100 ! S’il pense qu’une tierce personne conduit mal et qu’il est probable qu’elle ait un accident, il ne peut acheter ni des assurances accidents, ni des assurances vie la concernant ! Il ne peut pas essayer de provoquer un accident en sabotant sa voiture ! Ce serait un délit ! Et bien, dans le cas précédent, il s’agit de la vente à découvert, autorisée sur les marchés. Ce sont précisément ces comportements des agents financiers qui sont contraires à l’éthique, et plus précisément à l’éthique de l’entrepreneur, et qui sont l’une des composantes importantes de la crise économique actuelle. FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008 39 In order to enable markets to return to their basic vocation - that of optimal distribution of capital - certain steps need to be taken: • Financial products need to be certified before being put on sale; • Toxic assets should be made illegal; • Activities sold on the stock exchange should be controlled in order to avoid cover products that hedge on companies bankruptcy; • The activities of speculative funds or investment capital should be controlled; • Pay systems based on bonuses should be replaced by systems that also include penalties (malus); • The efficiency of risk control centres of banks should be drastically improved; Le sauvetage de la compagnie d’Assurance AIG a permis, entre autres, aux sociétés qui avaient parié sur la faillite de compagnies comme Lehman Brothers, en achetant des CDS à AIG, d’être récompensées. AIG ayant évité la faillite a ainsi pu honorer ses contrats d’assurance. Environ deux tiers des fonds publics reçus par AIG (173 milliards de dollars) ont en effet été utilisés à cette fin. AIG a peut-être été sauvé, mais l’esprit d’entreprise certainement pas ! Lorsque la finance trahit l’éthique de l’entrepreneur, elle se trahit ellemême. Nous sommes ainsi bien loin de cet esprit du capitalisme décrit par Max Weber dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, dont les représentants assignaient à leur tâche, entre autres, l’objectif de « mettre le travail au service d’une organisation rationnelle qui fournisse à l’humanité ses biens » et services, comme nous dirions aujourd’hui. Un regard prospectif Les marchés financiers étaient supposés permettre une allocation optimale du capital, dans le sens où le capital ainsi alloué devait optimiser la création de valeur, ainsi qu’une allocation optimale des risques. C’est exactement le contraire qui s’est produit dans le cadre de cette crise. Pour permettre aux marchés de revenir à leur vocation initiale des mesures s’imposent. Celles qui suivent sont particulièrement importantes : • les produits financiers devraient obtenir une certification avant une éventuelle mise sur le marché, comme c’est les cas pour les autres produits, par exemple dans les secteurs industriel, agroalimentaire ou pharmaceutique. Une institution financière internationale devrait être responsable de l’émission de telles certifications. Cela permettrait d’éviter la diffusion de produits toxiques ; • la diffusion de produits toxiques devrait constituer un délit en finance, comme c’est le cas, ou censé l’être, dans tous les autres secteurs d’activité. Il s’agirait d’un délit d’atteinte à la sécurité économique et financière ; • l’achat de CDS devrait être conditionné par la détention de l’obligation sous-jacente ; • les activités sur les marchés de gré à gré, qui comme ont l’a vu sont susceptibles d’augmenter le risque systémique, devraient être contrôlées, fréquemment enregistrées et l’information y relative diffusée publiquement. Cela permettrait d’éviter que des produits de couverture se transforment en paris sur la faillite des entreprises ; • les activités des fonds spéculatifs ou de capital investissement devraient être contrôlées ; • pour les dirigeants des grandes banques, les systèmes de rémunération à base de bonus uniquement devraient être remplacés par des systèmes qui incluent aussi les pénalités (malus). Les stock-options, LA FINANCE TRAHIT-ELLE LE CAPITALISME ? 40 • The contents of financial courses that are taught should be analysed and reviewed. parachutes dorés, etc. qui incitent à prendre des risques, lesquels sont finalement assumés par les autres composantes de la société : c’està-dire les actionnaires, clients, salariés, retraités et finalement les contribuables, posent de grave problèmes. • l’efficacité du travail des cellules de contrôle des risques dans les banques devrait être grandement améliorée (par le biais entre autres d’une réflexion sur le risque de modèle et les incitations financières) ; • le contenu des cours de finance devrait être analysé et revu. • Bibliographie Chesney, M., 2009. « Il faut réformer les bombes financières que sont les CDS », Les Echos, 30 mars. Pène, D., 2009. « La fin du rêve faustien des financiers », http:// www.europolis-online.org/pdf/archiv_49.pdf, avril. Moeller, S., Schlingemann, F. et Stulz, R., 2005. « Wealth destruction on a massive scale? A study of acquiring-firm returns in the recent merger wave », Journal of Finance, avril. FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008 160 Finance & the Common Good/Bien Commun http://www.obsfin.ch/finance&thecommongood-biencommun.htm Last Issues / Derniers numéros 25 26 27 28/29 30 Europe : la microfinance se fait une place La finance joue avec le sport Robin Cosgrove Prize. Ethics in Finance L’Afrique entre traditions éthiques et attraits financiers Can Management Survive without Values? 75 €, 110 CHF 75 €, 110 CHF ¤ Ordinary Subscription (3 issues): ¤ Abonnement simple (3 numéros): ¤ Institutional Subscription (3 issues, 2 copies): 100 €, 150 CHF ¤ Abonnement institutionnel (3 numéros, 2 copies): 100 €, 150 CHF ¤ Complete Collection (issues 1 - 30): ¤ Collection complète (numéros 1 - 30): 600 €, 1000 CHF 600 €, 1000 CHF ¤ CD-Rom with pdf versions of issues 1-17: ¤ CD-Rom avec les versions pdf des numéros 1-17: 60 €, 90 CHF 60 €, 90 CHF I order ____ copies of number ____: Je commande ____ copies du numéro ____: 26 €, 40 CHF (+ postage) 26 €, 40 CHF (+ frais de port) Name/Nom:___________________________First Name/Prénom:_______________________ Institution:____________________________________________________________________ Address/Adresse:_______________________________________________________________ _____________________________________________________________________________ Observatoire de la Finance, 24, rue de l’Athénée, 1206 Geneva, Fax +41 (0)22 789 14 60, Email: [email protected] FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - N° 31-32 - II-III/2008 8th International Meeting Ethique, Finance & Responsabilité / Ethics, Finance & Responsibility La crise: des opportunités perdues? The crisis: wasted opportunities? October 22-23 2009 Venue: Forum Genève (Rue de Lausanne 17, 1201 Genève) Workshops Les banques à la reconquête de leurs clients / How banks are trying to woo back their clients Finance et économie réelle / Finance and the real economy Ethique en finance après la crise / Financial ethics after the crisis Que reste-t-il de nos modèles économiques? / What’s left of our economic models? Cérémonie de remise du «Ethique en finance, Prix Robin Cosgrove» Award Ceremony of the «Ethics in Finance, Robin Cosgrove Prize» Keynote speech Stephen A. Marglin, Harvard University L’économie, une science à bout de souffle? / Economy: the dismal science? Emilio Fontela Lecture: Economics and the Common Good Inscriptions et informations / Registration and information: Sibilla La Spina,Tél.: +41 (0)22 346 30 35, e-mail: office@obsfin.ch http://www.obsfin.ch/ethique-finance-responsabilite.htm