Avez-vous vu le tamanoir ? Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir

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Avez-vous vu le tamanoir ? Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir
Avez-vous vu le tamanoir ?
Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir.
Noir. Au moment où nous nous apprêtions à monter dans le car, il faisait noir
déjà plusieurs heures. Trois heures allaient sonner à l’horloge de Pey Berland
mais nous n’étions plus au temps où des vignes de Bouliac, l’on entendait
l’horloge bordelaise.
Nous étions à l’ère de hyper consommation où
pratiquement chaque petite commune a son hyper zone commerciale et son
hyper parking où les arbres peuvent être comptés en quelques secondes. De
peur de le manquer, nous attendions le bus de Toulouse affrété par Europe
Ecologie les Verts de Midi-Pyrénées depuis pratiquement une bonne heure;
nous étions une dizaine au rendez-vous, sur l’un de ces lugubres parkings ;
une dizaine de militants, citoyens lambdas, fatigués par une si courte nuit,
mais nous ne risquions pas nous endormir, en comptant les malheureux arbres
du parking.
Le groupe EELV de Bordeaux ne s’était pas chargé d’organiser un départ
pour ses adhérents. Par le biais de nos échanges téléphoniques, on avait
entendu la contrariété de nos collègues de Toulouse ; on prenait conscience
que le détour par Bordeaux, signifiait pour ceux de Marmande et d’Agen qu’il
n’y aurait donc pas de ramassage ; on évoquait l’usage de nos cotisations,
mais, nous partions tout de même et c’était l’essentiel. Nous étions dix à partir
de Bordeaux, en bénéficiant de ce transport, tellement moins fatiguant que le
covoiturage et tellement plus riche en rencontres. Certains étaient déjà partis
la veille avec un fourgon chargé de matériel pour la reconstruction de
cabanes, d’autres avaient partagé leur véhicule, mais beaucoup avaient dû
renoncer à participer à la manifestation sur Notre Dame Des Landes faute de
place dans le car.
Dans le car certains se sont reconnus et les autres ont appris à faire
connaissance, difficile de dormir lorsque l’on est serré comme dans un bocal à
anchois. Seuls les fanions étaient en position horizontale, couchés au sol sous
nos banquettes. Les tournesols sur fond vert, s’enroulaient confortablement
sur 3 grosses lettres rouges, fleuretant au passage sous le siège du voisin
avec le symbole pourcentage, lequel se réchauffait dans le bleu d’un point
d’exclamation. Nous avons sympathisés avec des militants de différentes
associations, de différents collectifs, Négajoule, Technoblaye et bien d’autres,
mais nous n’avions pas eu besoin de montrer patte verte pour faire partie du
convoi ; nous étions tous animés par la même volonté d’arrêter un projet
inutile et polluant. L’ère de l’hyper consommation avait suffisamment
provoqué de dégâts.
L’arrivée à Notre Dame Des Landes relevait presque de la fiction : une petite
commune de 30 mille habitants accueillant par flots des grappes de personnes
semblables à des fourmis qui descendaient de cars, de voitures et de
fourgons, immatriculés de partout en France et même de Suisse, de Grande
Bretagne et de Belgique. Des centaines de tracteurs décorés de panneaux
aux slogans imagés, tiraient des mètres cubes de planches, de portes et
fenêtres, de quoi construire des hébergements pour les occupants de passage
et des lieux de vie collective. La manifestation de réoccupation ne devait pas
être accaparée par d’éventuels mouvements politiques ; aussi certains fanions
et banderoles étaient donc consignés à demeure sous les sièges, dans les
soutes et dans les coffres à l’abri des regards et des caméras. Le discours
d’accueil nous l’avait signifié. Les accréditations médiatiques avaient dû être
distribuées comme des confettis, le festival de Cannes en aurait pâli de
jalousie.
Nombreux pourtant avait conservé leur écharpe conventionnelle
tricolore ou parsemée de fleurs de lys ; nombreuses aussi les pancartes
rappelant des engagements et ce n’est sans doute pas sans malice, que l’on
nous a pointé du doigt, celle avec la célèbre phrase de notre Cécile nationale
datant d’août 2010 : « Je vous le dis dans les yeux, l’accord de 2012 avec le PS, s’ils ne
lâchent pas sur Notre Dame des Landes, ce sera non. ». Sonnaient autour de nous
les notes cuivrées des fanfares et les percussions des groupes de Batucada.
Tout en haut, dans le doux vent humide de Loire Atlantique, flottait un
magnifique zeppelin jaune à la prophétie déjà bien amorcée : « Crash
Climatique », des saltimbanques virevoltaient autour de nous, créant des
spectacles brefs, des brigades de bisous et des saynètes engagées ; dans la
foule : des militants entonnaient des slogans au rythme de flûtes et
bombardes. Mais toujours tous ensembles encore serrés, agglutinés comme
des fourmis, dans une marche qui s’étendait sur 5 kilomètres où des
épouvantails et des sculptures de branchages nous saluaient en passant de
leurs messages de révolte et d’appel à l’aide. Tous ensembles, jeunes et
moins jeunes, familles avec des poussettes, toutes classes sociales
confondues. Certains avaient été choqués par les brutales expulsions des
forces de l’ordre, d’autres voulaient conserver leur paysage de boccages et la
forêt de Rohanne, d’autres faisaient un parallèle avec les spoliations des
terres dans tout le monde entier au profit de multi-nationales. La folie
goudronesque devait cesser sur terre et dans tout l’univers : Notre Dame Des
Landes symbolisait la suprême prière pour l’Humanité.
La zone d'aménagement différée, rebaptisée "zone à défendre" voyait déferler
une joyeuse et bigarrée marée humaine, tant et si bien que le chemin qui
menait vers la forêt de Rohanne en était devenu invisible. Cinq kilomètres de
fourmis s’activant vers les bois, comme vers une source de miellat. L’objectif
restait à réaliser, la réoccupation devait se faire. Déjà les tracteurs les avaient
précédés, déposant à terre matériaux et outils. Une chaine humaine se formait
et se passait planches et panneaux, tasseaux et rondins. Ils étaient là
ensemble pour partager leur énergie, certains savaient construire, d’autres
ignoraient tout d’un plan, mais ils étaient présents et quand le jour s’est éteint,
une maison de bois se dressait déjà dans la forêt. Celle de Sherwood était un
lieu de légendes, mais celle de Rohanne portait désormais le fruit d’une
victorieuse énergie collective et celle-ci était bien réelle : dans courage il y a
rage.
« Avez-vous vu le tamanoir ? » demandait Robert Desnos. Non, nous n’avons
pas vu le tamanoir, mais nous rencontré la solidarité et appris ce qu’était
refuser la fatalité. Le car qui nous ramenait vers Bordeaux était étrangement
silencieux, personne ne dormait malgré ces 24 heures d’éveil, car tous
pensaient déjà à recommencer. Nous n’avons pas vu le tamanoir certes, mais
sous la grisaille nantaise, un grand morceau de ciel bleu.
C.B. Laurence, une fourmi