Un texte sur l`architecture funéraire

Transcription

Un texte sur l`architecture funéraire
2013-2014, S1
Université Paris 1
L1 - Histoire de l’art et archéologie
Art et archéologie de Rome et de l’Italie
E. Letellier
[email protected]
Un texte sur l’architecture funéraire
Trimalcion prépare son tombeau monumental
Pétrone, Satiricon LXXI
texte latin édité et traduit par A. Ernout (Belles Lettres)
Pétrone ( ? – 65 ap. J.-C.) était probablement, même si on le connaît mal, un proche de Néron, avant d’être
déchu suite à la conjuration de Pison. Nous avons conservé de lui les fragments d’un roman intitulé le
Satiricon. Il y raconte, dans un genre brillant et mêlé, qu’on retrouvera plus tard dans les romans
picaresques, les aventures de trois hommes : Encolpe, le narrateur, Ascylte et Giton. L’épisode central les
mène au festin donné par un riche affranchi jouisseur : Trimalcion. Celui-ci est décrit comme le modèle du
parvenu, et représente la montée d’une nouvelle classe sociale. Pétrone nous en fait une peinture satirique,
montrant une volonté d’imiter les gens les plus haut placés, tout en dévoilant inculture et mauvais goût. Il
s’agit ici du testament de Trimalcion, où ce dernier décrit le tombeau qu’il veut qu’on lui élève lorsqu’il
sera mort.
« Pour ma chère Fortunata, j’en fais mon héritière, et la recommande à tous mes amis. Et si je publie mes
dernières volontés, c’est pour que dès maintenant ma maison me chérisse comme si j’étais mort. » Déjà tous
s’empressaient de rendre grâces à la générosité de leur maître, quand celui-ci, prenant la chose au sérieux, fit
apporter une copie de son testament qu’il lut d’un bout à l’autre, et sans rien omettre, au milieu des
gémissements de toute la maison. Puis se tournant vers Habinnas : « Hé bien, très cher ami, lui dit-il,
t’occupes-tu d’élever mon monument comme je te l’ai commandé ? Je te prie instamment de placer aux
pieds de ma statue ma petite chienne, et des couronnes, et des parfums, et tous les combats de Pétraitès, afin
que, grâce à toi, j’aie le bonheur de vivre après ma mort. Et qu’il ait cent pieds en façade et deux cents en
profondeur. Je veux en effet qu’il y ait toutes sortes de fruits autour de mes cendres, et des vignes en
abondance. Rien n’est plus absurde que d’avoir de son vivant des maisons bien garnies, et de ne pas soigner
celles où nous devons demeurer bien plus longtemps. Et c’est pour cela qu’avant toute autre chose je veux
qu’on ajoute ceci :
« CE MONUMENT NE DOIT PAS REVENIR A MON HERITIER »
Du reste, j’aurai soin de prendre mes précautions par testament pour être à l’abri de toute injure après ma
mort. Je préposerai un de mes affranchis à la garde de mon tombeau, pour que les gens n’y courent pas
déposer leurs étrons. Je te prie encore de sculpter sur mon monument des vaisseaux cinglant à pleines voiles,
et moi-même siégeant sur un tribunal, et distribuant au peuple un sac d’écus : tu sais en effet que j’ai donné
un repas public et deux deniers par personne. Ajoutes-y, si bon te semble, la salle du repas et tout le peuple
se gobergeant. A ma droite, tu placeras la statue de ma Fortunata, tenant une colombe : et qu’elle mène en
laisse une petite chienne ; et puis mon petit chéri, et puis des amphores bien larges, bien cachetées, pour
qu’elles ne répandent pas le vin. Tu peux aussi sculpter une urne brisée, sur laquelle un enfant versera des
pleurs. Une horloge au centre, pour que quiconque regardera l’heure soit, bon gré mal gré, forcé de lire mon
nom. Quant à l’épitaphe, examine celle-ci et dis-moi si elle te paraît pouvoir aller :
« C. POMPEIUS TRIMALCHIO MAECENATIANUS REPOSE ICI. LE SÉVIRAT LUI FUT DÉCERNÉ
EN SON ABSENCE. IL POUVAIT ÊTRE DE TOUTES LES DÉCURIES À ROME, MAIS NE LE
VOULUT PAS. PIEUX, VAILLANT, FIDÈLE, IL EST PARTI DE PEU ; IL A LAISSÉ TRENTE
MILLIONS DE SESTERCES, ET JAMAIS NE SUIVIT LES LEÇONS D’UN PHILOSOPHE. PORTE-TOI
BIEN. – TOI AUSSI. »