Les États-Unis, une hyperpuissance toujours en guerre ?
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Les États-Unis, une hyperpuissance toujours en guerre ?
Les États-Unis, une hyperpuissance toujours en guerre ? Doc 1 Après l'Histoire, l'ennui ? Interrogé au moment de son départ de la Maison Blanche sur ce dont il était le plus fier, Ronald Reagan a répondu, en toute modestie : « J'ai gagné la guerre froide. » En un sens, il avait raison : en accélérant brutalement la course aux armements, en installant, en réplique au déploiement des SS-20, des fusées capables de raser en quelques minutes Moscou, Kiev ou Leningrad, en lançant son programme surréaliste de « guerre des étoiles », il a obligé les dirigeants soviétiques à reconnaître qu'ils n'avaient pas les moyens économiques de leur expansionnisme et à opérer un virage à 180 degrés en direction de la détente. Gorbatchev peut tomber demain, les données de fait qui ont guidé sa politique extérieure demeureront. Cette constatation a inspiré depuis des mois, notamment aux États-Unis, bien des commentaires. Mais un chercheur de la Rand Corporation, Francis Fukuyama, est allé beaucoup plus loin. Dans un article de la revue conservatrice National Interest paru il y a quelques semaines, il écrit : 1. Que ce qui se passe en URSS sous Gorbatchev a planté le « clou final dans le cercueil du marxismeléninisme » ; 2. Qu'ainsi disparaît, après celui du fascisme, l'un des deux défis majeurs posés au cours de ce siècle au libéralisme ; 3. Que, ni la religion ni le nationalisme ne paraissant de taille à présenter des défis d'une telle ampleur, la victoire de la démocratie est assurée ad vitam aeternam ; 4. Que donc nous assistons tout simplement à la « fin de l'Histoire ». André Fontaine, Le Monde, 27 septembre 1989 Doc 2 Dans son discours sur l'état de l'Union le président Bush a annoncé des mesures pour réduire les dépenses militaires et relancer l'économie « Nous avons gagné la guerre froide […], maintenant, nous allons nous occuper un peu plus de nous-mêmes. » D'une phrase, le président Bush a résumé le message qui va lui tenir lieu de plate-forme électorale à destination d'une opinion de plus en plus sceptique : les changements intervenus sur la scène internationale vont lui permettre, a-t-il dit, de se consacrer davantage au « front intérieur ». Tel fut le fil conducteur de son discours sur l'état de l'Union prononcé au soir du mardi 28 janvier, devant les deux chambres du Congrès. M. Bush a voulu répondre à nombre de ses concitoyens qui lui reprochent de les avoir délaissés pour se consacrer à la politique étrangère. Il leur propose un plan en deux volets : d'abord, un catalogue d'allégements fiscaux (de l'ordre de 25 milliards de dollars) censés dynamiser une économie en récession ; ensuite, un ensemble de réductions des dépenses militaires destinées à financer ce programme de relance. Autrement dit, le « dividende de la paix » doit servir plus à favoriser la reprise, et les chances électorales d'un George Bush en chute libre dans les sondages à dix mois du scrutin présidentiel, qu'à combattre le déficit budgétaire. M. Bush a expliqué que les changements internationaux survenus au cours des douze derniers mois « la mort du communisme » étaient « de proportion quasi biblique » et autorisaient les États-Unis à baisser leur garde. Le président, à qui l'on reproche souvent son absence de « vision » ou de souffle, avait fait appel à l'un des « speech-writers » de son prédécesseur Ronald Reagan, et le ton s'en ressentait : « Par la grâce de Dieu, l'Amérique a gagné la guerre froide », a-t-il lancé. L'envolée s'est poursuivie avec quelques connotations à portée autant électorale qu'historique, le président assurant qu'un des premiers bénéficiaires de la fin de la guerre froide devait être « le contribuable américain », qui avait supporté « l'essentiel du fardeau » de l'effort militaire. Alain Frachon, Le Monde, 30 janvier 1992 Doc 3 Les dépenses américaines de défense et leur part dans le PIB depuis 1960 Source : Science Po Doc 4 Les interventions militaires des États-Unis dans le monde entre 1989 et 2003 Doc 5 Une nouvelle guerre mondiale a commencé Comprendre les enjeux de l’après-guerre froide et le rôle qu'y jouent les États-Unis est une tâche qui occupe les meilleurs esprits au sein des universités, de l'administration et des groupes de réflexion de Washington. Il existe un lien entre les idées elles-mêmes, les stratèges qui les émettent, le président et ses collaborateurs, et les soldats américains en mission dans le monde entier. Les idées ont des conséquences. Eliot Cohen, professeur d'études stratégiques à l'université Johns Hopkins, à Washington, et membre du Defense Policy Board [Bureau sur la politique de défense], est également conseiller stratégique auprès du ministre de la Défense. Il a été le premier universitaire à utiliser l'expression "quatrième guerre mondiale", dans un article paru dans The Wall Street Journal en novembre 2001. Il cherchait une formulation adéquate pour replacer dans un cadre général la "guerre contre le terrorisme" annoncée par le président Bush. "'Guerre du 11 septembre', peut-être ? écrivait-il. Mais la guerre a commencé bien avant le 11 septembre 2001 et, au nombre de ses pertes, il faut au moins compter les morts et les blessés de nos ambassades en Afrique, de l'USS Cole et, probablement, de Somalie et des bases américaines de Khobar, en Arabie Saoudite." Il opta pour "quatrième guerre mondiale", expression "moins savoureuse mais plus exacte", dans la mesure où la guerre actuelle est planétaire, exige une mobilisation des savoir-faire et des ressources plutôt que d'un grand nombre d'hommes, sera longue et a des "racines idéologiques". Le concept en troubla plus d'un, moins à cause de l'expression elle-même que par sa désignation audacieuse et sans équivoque de l'ennemi : "l'islam militant". Or qualifier d'ennemi un groupe islamique - fût-il radical - est si politiquement incorrect que c'en est quasiment radioactif. Même le président Bush s'en est bien gardé. Après un premier lapsus de l'après-11 septembre, où il qualifiait la guerre contre le terrorisme de "croisade", il s'est rendu dans une mosquée pour y déclarer que l'islam était une "religion de paix", afin que chacun sache que les États-Unis n'étaient pas en guerre contre lui. S'en prendre à l'islam "militant" et à lui seul est tout sauf simple. Pourtant, dans son article sur la quatrième guerre mondiale, Eliot Cohen exprimait l'espoir que cela soit possible, avec une conséquence bénéfique : que les "musulmans fanatiques" aient "presque autant d'ennemis parmi les musulmans modérés que parmi les infidèles". Pour conclure, il affirmait qu'en recourant à la force militaire de façon sélective - contre "l'Irak évidemment" - les Etats-Unis s'attireraient le respect [de la communauté internationale]. Joseph Cirincione, du Carnegie Endowment for International Peace, considère la notion de quatrième guerre mondiale comme "un fantasme dangereux". "Notre objectif devrait être d'apporter la démocratie au Moyen-Orient, mais cela prendra beaucoup de temps et on n'accélérera pas les choses en occupant l'une des principales nations arabes, poursuit-il. C'est une expérience qui a déjà été tentée - et qui s'appelle le colonialisme." Phil McCombs, The Washington Post, cité et traduit dans Courrier International, 24 avril 2003 Ensemble documentaire Première partie 1. Quelle analyse est donnée de la fin de la Guerre froide dans les années 1989-1992 ? 2. Quelles sont les conséquences annoncées ? 3. Comment interprétez-vous l’évolution des dépenses militaires américaines entre 1960 et 1990 ? entre 1990 et 2004 ? 4. Où se situent les interventions militaires des États-Unis depuis 1989 ? 5. Quelle analyse est proposée du monde contemporain en 2003 ? Deuxième partie À partir des informations contenues dans cet ensemble documentaire et de vos connaissances personnelles, rédigez une réponse argumentée au sujet : « Les États-Unis, une hyperpuissance toujours en guerre ? »