Télécharger l`article au format PDF

Transcription

Télécharger l`article au format PDF
MÉTHODOLOGIE
Consommation d’alcool et attentes d’effets positifs
chez les jeunes adultes : approche typologique
avec la méthode de classification TwoStep
S. VAUTIER (1), S. JMEL (1), C. FOURIO (1), D. MONCANY (2)
Alcohol consumption and positive alcohol expectancies in young adults : a typological approach using
TwoStep cluster
Summary. Aims – The present study investigates the heterogeneity of the population of young adult drinkers with respect
to alcohol consumption and Positive Alcohol Expectancies (PAEs). Based on the positive relationship between both kinds
of variables, PAE is commonly viewed as a potential motivational factor of alcoholic addiction. Empirical analyses based
on the regression of alcohol consumption on PAEs suppose that the observations are statistically homogeneous with
respect to the level of alcohol consumption, however. We explored the existence of (1) moderate drinkers with a high
PAE profile, and (2) abusive drinkers with a low PAE profile. Method – 1 017 young adult drinkers, mean age = 23 ± 2.84,
with various educational levels, comprising 506 males and 511 females, were recruited as voluntary participants in a
survey by undergraduate psychology students from the University of Toulouse Le Mirail. They completed a French version
of the Alcohol Use Disorders Identifiction Test (AUDIT) and a French adaptation of the Alcohol Expectancy Questionnaire
(AEQ). Three levels of alcohol consumption were defined using the AUDIT score, and six composite scores were obtained
by averaging the relevant item-scores from the AEQ. The AEQ scores were interpreted as measurement of six kinds of
PAEs, namely Global positive change, Sexual enhancement, Social and physical pleasure, Social assertiveness, Relaxation, and Arousal/Power. The TwoStep cluster methodology was used to explore the data. This methodology is convenient
to deal with a mix of quantitative and qualitative variables, and it provides a classification model which is optimized through
the use of an information criterion as Schwarz’s Bayesian Information Criterion (BIC). Results – The automatic clustering
suggested five clusters, whose stability was ascertained until 75 % of the sample size. Low drinkers (n = 527) were split
into one cluster of low PAEs (I1) and, interestingly, one cluster of high PAEs (I3, 46 %). High drinkers (n = 344) were split
into one cluster of intermediate PAEs (II4) and one cluster of high PAEs (II5, 52 %). Interestingly again, abusive drinkers
(n = 146) remained a single group (III2), exhibiting high PAEs. Clusters I3 and III3 comprised a significant proportion of
males. Constraining the algorithm to find 6 clusters did not affect class III2, but split low drinkers into three clusters. Discussion – Although the present results should be considered cautiously because of the novelty of TwoStep cluster methodology, they suggest a group of moderate drinkers with high PAEs. Also, abusive drinkers express high PAEs (except
for 2 cases). Statistical homogeneity of moderate drinkers with respect to PAE variables appears as a dubious assumption.
Key words : Alcoholic addiction ; Clustering ; Positive alcohol expectancy.
(1) Université de Toulouse Le Mirail, 5, allée Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France.
(2) Cabinet de Psychologie Ducongé et Moncany.
Travail reçu le 18 août 2005 et accepté le 27 mars 2006.
Tirés à part : S. Vautier (à l’adresse ci-dessus).
568
L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 1
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 568-71, cahier 1
Résumé. Les attentes d’effets positifs (AEP) procurés par
l’alcool et le niveau de consommation d’alcool sont souvent
considérés comme des variables positivement liées. À partir
d’un échantillon de 1 017 jeunes adultes ayant participé à une
enquête par questionnaires, cette étude explore à l’aide de
la classification TwoStep deux possibilités n’ayant pas été
documentées dans la littérature : (1) on peut être un buveur
modéré tout en ayant des AEP élevées, (2) on peut être un
buveur abusif tout en ayant des AEP faibles. Trois niveaux
de consommation ont été déterminés à l’aide d’une version
française de l’Alcohol Use Disorders Identification Test et six
types d’AEP ont été quantifiés avec une adaptation française
de l’Alcohol Expectancy Questionnaire. Les résultats confirment seulement la première possibilité. La classe des
buveurs modérés à haut niveau d’AEP est constituée d’hommes à 62 %. Les buveurs catégorisés alcoolo-dépendants
sont constitué d’hommes à 71 % et présentent un profil
moyen d’AEP élevé.
Mots clés : Alcoolo-dépendance ; Attentes d’effets positifs procurés
par l’alcool ; Classification.
INTRODUCTION
Les consommateurs d’alcool peuvent être caractérisés
en fonction de leur niveau de consommation et du niveau
des attentes d’effets positifs (AEP) procurés par l’alcool.
Les AEP procurées par l’alcool sont classiquement considérées comme un facteur de motivation pouvant intervenir dans la consommation abusive (5) : l’association
positive entre niveau de consommation et niveau d’AEP
suggère que les AEP jouent un rôle causal dans l’alcoolodépendance
des
jeunes
adultes.
Deux
possibilités empiriques n’ont pas été documentées : (i)
Peut-on trouver des consommateurs modérés exhibant
un fort niveau d’AEP ? (ii) Peut-on trouver des consommateurs abusifs exprimant un faible niveau d’AEP ?
Les analyses de régression couramment effectuées
dans les études statistiques portant sur les AEP procurées
par l’alcool postulent l’homogénéité statistique des personnes échantillonnées. Ainsi par exemple, on peut
régresser le niveau de consommation sur une mesure
d’AEP et montrer une relation croissante entre les deux
variables, en supposant que les observations relatives à
un niveau de consommation d’alcool proviennent d’une
distribution unique (voir par exemple 2, 4, 7). Cependant,
ce type d’analyse ne permet pas d’envisager la possibilité
qu’une catégorie donnée de buveurs soit constituée de
plusieurs groupes différenciables en termes d’AEP
(mélange de distributions).
La mise en évidence de groupements naturels au sein
d’une population de consommateurs d’alcool nécessite
d’analyser les données avec une méthode de classification automatique. La méthode de classification TwoStep
(3), implémentée dans le logiciel SPSS 12.0F, présente
deux intérêts spécifiques : (i) elle est adaptée à des jeux
de données pour partie continues (AEP) et pour partie
qualitatives (niveau de consommation) alors que les
Consommation d’alcool et attentes d’effets positifs chez les jeunes adultes
méthodes classiques nécessitent que les variables aient
le même niveau de mesure, et (ii) elle permet de déterminer un nombre de classes optimal en se basant sur le critère d’information d’Akaike (AIC) ou de Schwarz (BIC).
Savoir si, connaissant le niveau de consommation, il est
possible ou non de trouver différents profils moyens d’AEP
est un moyen de préciser l’association positive entre
niveau de consommation et niveau d’AEP. L’objectif de la
présente étude consiste à étudier l’hétérogénéité des
groupes définis par le niveau de consommation relativement au niveau d’AEP procurées par l’alcool.
MÉTHODOLOGIE
Participants
Un total de 1 017 jeunes adultes volontaires a pris part
à une enquête par questionnaire au printemps 2002. Les
participants ont été recrutés dans le cadre du réseau des
relations sociales et familiales d’étudiants de troisième
année de psychologie de l’université de Toulouse Le
Mirail. Les participants étaient préalablement informés de
l’aspect anonyme et gratuit de l’enquête. Le critère
d’exclusion, laissé à l’appréciation des participants, était
« ne jamais consommer d’alcool » et le critère d’inclusion
un âge compris entre 18 et 30 ans. La tâche des participants consistait à remplir en présence de l’enquêteur des
auto-questionnaires durant environ 15 mn. Les conditions
de réalisation de l’enquête n’étaient pas compatibles avec
l’évaluation de pathologies psychiatriques ni des antécédents familiaux liés à l’alcool. Le nombre de refus de participer a été négligeable. L’échantillon se compose de
506 hommes et de 511 femmes ayant des niveaux de formation variant du CAP à bac +12 et un âge moyen de
23 ans (écart type = 2,84). La différence entre les âges
moyens des hommes et des femmes est significative,
t(1 015) = 4,60 mais correspond à une petite taille d’effet,
d = 0,29.
Instruments
Le niveau de consommation d’alcool a été calculé à partir des réponses à une version française de l’Alcohol Use
Disorders Identification Test (AUDIT, 9), qui permet de distinguer des buveurs « sans problème » (< 7 points pour
les hommes et < 6 points pour les femmes), « à
problèmes » et « alcoolo-dépendants » (> 12 points pour
les hommes et les femmes). L’AUDIT comprend 10 items
cotés de 1 à 4. L’adaptation française de l’Alcohol Expectancy Questionnaire (AEQ, 1, 10), qui comprend 55 items
cotés de 0 à 10, permet d’obtenir 6 sous-scores composites interprétés comme mesures des différences individuelles relatives à 6 types d’effets positifs procurés par
l’alcool (6) : changements positifs globaux (G), amélioration sexuelle (S), plaisirs relationnels et physiques (P),
assurance sociale augmentée (A), relaxation (R) et éveil
physiologique (E).
569
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 568-71, cahier 1
Analyses
Dans un premier temps, la méthode TwoStep a été
appliquée de manière exploratoire, afin de déterminer le
nombre de classes optimal à l’aide du critère bayésien de
Schwarz (BIC) et d’analyser les profils moyens d’AEP en
fonction du niveau de consommation. Ensuite et compte
tenu des premiers résultats, un modèle comprenant une
classe supplémentaire a été ajusté aux données afin
d’éprouver l’homogénéité de la classe des buveurs
alcoolo-dépendants. Enfin, l’hypothèse d’une proportion
différente de 50 % d’hommes dans chaque classe a été
testée.
RÉSULTATS
La classification automatique suggère 5 classes. La
stabilité de ce résultat a été éprouvée en effectuant la classification sur des sélections aléatoires d’une proportion
décroissante d’observations. La classification produit
5 classes jusqu’à 75 % de l’effectif de l’échantillon. L’analyse d’une proportion d’observations inférieure à 75 % ou
l’introduction d’une classe d’observations éloignées produisent un nombre de classes instable. Le tableau I présente la répartition des observations en fonction du niveau
de consommation et des 5 classes obtenues sans utiliser
de classe d’observations éloignées. On négligera les deux
buveurs alcoolo-dépendants de la classe 1. Outre la
classe 2 qui correspond aux buveurs alcoolo-dépendants,
la classification suggère deux types de buveurs sans problème (classes 1 et 3) et deux types de buveurs à problèmes (classes 4 et 5).
TABLEAU I. — Répartition des observations en fonction des
classes automatiques et du niveau de consommation d’alcool.
Niveau de consommation
Classe
1
2
3
4
5
I
II
III
282
0
245
0
0
0
0
0
164
180
2
144
0
0
0
Les profils basés sur les six scores moyens d’AEP sont
représentés sur la figure 1. La classe 1 correspond aux
buveurs sans problème (score AUDIT < 6 ou 7 selon le
sexe) et présentant un niveau d’AEP faible, tandis que la
classe 3 correspond aux buveurs sans problème mais présentant un niveau d’AEP élevé. Ainsi, le groupe des
buveurs sans problème présente une hétérogénéité du
point de vue des niveaux d’AEP. De même, l’hétérogénéité du groupe des buveurs à problèmes (score AUDIT
compris entre 6-7 et 12 inclus) est suggérée par 2 classes :
la classe 4 est associée à un niveau d’AEP intermédiaire
tandis que la classe 5 est associée à un niveau d’AEP
élevé. La classification suggère en revanche que le
570
Score moyen d'attente d’effets positifs
S. Vautier et al.
8
II5
III2
7
I3
6
II4
5
4
I1
3
2
1
0
1
2
3
4
5
E
G
R
S
A
P
Classe
FIG. 1. — Profils moyens d’attente d’effets positifs selon les
classes automatiques, avec intervalles de confiance à 95 %.
groupe des buveurs alcoolo-dépendants (score AUDIT
> 12) est homogène puisqu’il correspond à une seule
classe (classe 2), et associé à un niveau d’AEP élevé.
Afin d’éprouver l’homogénéité de la classe des buveurs
alcoolo-dépendants, la classification a été effectuée en
forçant le nombre de classes à 6. Si la classe 2 est peu
homogène relativement aux autres classes, elle devrait
être scindée lors de la nouvelle analyse. La nouvelle classification a scindé non pas le groupe des buveurs alcoolodépendants, mais le groupe des buveurs sans problème
en 3 classes. Ce résultat renforce l’idée que le groupe des
buveurs modérés est hétérogène du point de vue du profil
d’AEP.
L’inégalité de la proportion d’hommes et de femmes
dans chacune des cinq classes a été testée à l’aide du
test binomial. Les proportions observées d’hommes sont
respectivement 0,38, p < 0,001, 0,71, p < 0,001, 0,58,
p = 0,015, 0,59, p = 0,035 et 0,46, p = 0,263. L’effet
d’association du sexe (féminin, masculin) et de la classe
(1, …, 5) est significatif, χ2(4) = 54,64, p < 0,001. Il se
manifeste essentiellement dans les classes 1 et 2 : le
groupe des buveurs sans problème à bas niveau d’AEP
est plus féminin, et le groupe des buveurs alcoolo-dépendants est plus masculin. Enfin, l’examen de l’âge dans
chacune des classes ne révèle pas de différence de
moyenne ni de dispersion.
DISCUSSION
Cette étude avait pour objectif d’explorer la possibilité
de l’hétérogénéité statistique de trois catégories de
buveurs définies à partir d’un score de consommation à
l’AUDIT. L’hétérogénéité a été appréhendée du point de
vue de six mesures d’attentes d’effets positifs (AEP) procurés par l’alcool à partir d’une adaptation française de
l’AEQ. L’application de la méthode de classification TwoStep suggère :
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 568-71, cahier 1
– deux types de buveurs sans problème : (I1) ceux
dont le niveau d’attente est faible, à proportion majoritairement féminine (62 %) et (I3) ceux dont le niveau
d’attente est élevé ;
– deux types de buveurs à problèmes : (II4) ceux dont
le niveau d’attente est intermédiaire et (II5) ceux dont le
niveau d’attente est élevé ;
– à deux observations près, un seul type de buveurs
alcoolo-dépendants (III2), caractérisé par un niveau
d’attente élevé, à forte majorité masculine (71 %).
La proportion observée d’hommes alcoolo-dépendants
est du même ordre que ce que suggèrent les études épidémiologiques (8).
Le fait que l’on puisse trouver 46 % de buveurs sans
problème regroupés autour d’un profil d’attente élevée
d’effets positifs procurés par l’alcool invite à considérer
avec circonspection l’association positive entre niveau de
consommation et niveau d’AEP : des AEP élevées ne sont
pas nécessairement associées à un niveau de consommation élevé. Sauf à considérer que les personnes de la
classe 3 seraient fatalement alcoolo-dépendantes dans
un avenir plus ou moins proche de la date à laquelle elles
ont été interrogées, on peut extrapoler que des AEP élevées ne conduisent pas mécaniquement à l’alcoolodépendance, même si l’alcoolo-dépendance est (quasiment parfaitement) associée à un haut niveau d’AEP. Par
ailleurs, la variable d’âge n’est pas liée au fait d’appartenir
à telle ou telle classe. L’interprétation du rôle des AEP liées
à l’alcool dans l’alcoolo-dépendance des jeunes adultes
nécessite sans doute un éclairage clinique.
CONCLUSION
L’application de la classification TwoStep projette un
nouvel éclairage sur l’association positive entre AEP et
niveau de consommation d’alcool. Du point de vue statistique, le modèle en cinq classes ne peut pas être considéré
comme un résultat définitif, car on dispose de peu de recul
Consommation d’alcool et attentes d’effets positifs chez les jeunes adultes
pour apprécier la stabilité de la méthode TwoStep
lorsqu’elle est appliquée à des données psychologiques.
Plutôt que le nombre de classes, on peut retenir qu’il a
été possible de trouver une classe de buveurs modérés
à haut niveau d’AEP et qu’il n’a pas été possible de trouver
des buveurs alcoolo-dépendants à niveau d’AEP faible ou
modéré, ce qui précise la structure typologique de l’association entre ces deux types de variables.
Références
1. BROWN SA, CHRISTIANSEN BA, GOLDMAN MS. The Alcohol
Expectancy Questionnaire : an instrument for the assessment of
adolescent and adult alcohol expectancies. J Stud Alcohol 1987 ;
48 : 483-91.
2. BROWN SA, GOLDMAN MS, INN A et al. Expectations of reinforcement from alcohol : their domain and relation to drinking patterns.
J Consult Clin Psychol 1980 ; 48 : 419-26.
3. CHIU T, FANG D, CHEN J et al. A robust and scalable clustering
algorithm for mixed type attributes in large database environment.
Proceeding of the seventh ACM SIGKDD international conference
on knowledge discovery and data mining. New York : ACM Press,
2001 : 263-8.
4. COOPER ML. Motivations for alcohol use among adolescents :
development and validation of a four-factor model. Psychological
Assessment 1994 ; 6 : 117-28.
5. GOLDMAN M S. The alcohol expectancy concept : applications to
assessment, prevention, and treatment of alcohol abuse. Appl Prevent Psychol 1994 ; 3 : 131-44.
6. GOLDMAN MS, GREENBAUM P E, DARKES J. A confirmatory test
of hierarchical expectancy structure and predictive power : discriminant validation of the alcohol expectancy questionnaire. Psychol
Assess 1997 ; 9 : 145-57.
7. LEIGH BC. Attitudes and expectancies as predictors of drinking
habits : a comparison of three scales. J Stud Alcohol 1989 ; 50 :
432-40.
8. LIMOSIN F. Spécificités cliniques et biologiques de l’alcoolisme de
la femme. Encéphale 2002 ; 28 : 503-9.
9. MICHAUD P. Boire moins, c’est mieux. Alcool Sant 2001 ; 237 : 4-15.
10. VAUTIER S, MONCANY D. Positive alcohol expectancies in the
French context : factorial properties of data from a large sample of
alcohol drinkers (manuscript submitted for publication). Eur J Appl
Psychol 2007 (sous presse).
571

Documents pareils