La guerre après la guerre - CDEF
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La guerre après la guerre - CDEF
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Revue d’études générales LA GUERRE APRÈS LA GUERRE ENSEIGNEMENTS DE VINGT MOIS D’OPÉRATIONS DE STABILISATION EN IRAK (mai 2003 - décembre 2004) sommaire Avant-propos p. 3 Introduction p. 4 Repères chronologiques p. 5 LA GUERRE APRES LA GUERRE Le brouillard de la paix L’ “heure dorée” p. 6 Marteau et clous p. 7 Directeur de la publication : Général (2s) Jean-Marie Veyrat Au sud, rien de nouveau p. 9 Le fracas des âmes p. 9 Rédacteur en chef : Capitaine Stéphane Carmès Tél. : 01 44 42 35 91 L’adaptation au son du canon Maquette : Christine Villey Tél. : 01 44 42 59 86 Création : amarena Crédits photos : US ARMY (1ère & 4e de couverture) Photogravure : Saint-Gilles (Paris) Gestion du fichier des abonnés : Nicolas Trioreau - Tél. : 01 44 42 48 93 Diffusion : bureau courrier du CDEF Impression : Saint-Gilles (Paris) Tirage : 2 000 exemplaires Autant en emporte l’ “avant” p. 13 Boots on the ground p. 15 Le pouvoir au bout du fusil p. 15 Une armée de sable ? p. 16 Les opérations du cœur p. 17 Vaincre et convaincre p. 18 Octobre rouge p. 19 Pendant ce temps aux Etats-Unis … Révolution dans les affaires humaines p. 20 Transformer les légions p. 20 “Les faits ne rentrent pas dans le domaine de nos croyances” p. 21 Les citadelles des assassins p. 22 Poliorcétique à l’américaine Les cercles de feu p. 23 Les colonnes de fer p. 24 Le sabre et le scalpel p. 25 Dépôt légal : à parution ISSN : 1293-2671 - Tous droits de reproduction réservés. No worse enemy, no better friend p. 27 Des coups d’épée dans l’eau ? p. 27 Revue trimestrielle Conformément à la loi «informatique et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978, le fichier des abonnés à DOCTRINE a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, enregistrée sous le n° 732939. Le droit d’accès et de rectification s’effectue auprès du CDEF. Centre de Doctrine d’Emploi des Forces BP 53 - 00445 ARMEES. Conclusion : les “comptes des 1001 ennuis” p. 28 ANNEXE 1 : LA BRIGADE LABORATOIRE p. 30 ANNEXE 2 : ETUDE DE QUELQUES FONCTIONS OPERATIONNELLES Renseignement p. 34 Fax : 01 44 42 52 17 ou 821 753 52 17 Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr Mel : [email protected] Contact p. 36 L’art de la patrouille p. 36 Opérations de bouclage p. 37 L’emploi de l’acier p. 37 Les anges gardiens Feux indirects p. 38 p. 40 Agencement de l’espace terrestre La menace des engins explosifs improvisés Les phalanges de la route p. 41 p. 41 p. 42 ANNEXE 3 : CARTES D’IRAK p. 44 ANNEXE 4 : SOURCES p. 46 Avant-propos C•D•E•F C ette étude du Centre de doctrine d’emploi des forces constitue une des premières analyses des opérations de stabilisation menées en Irak depuis vingt mois. Elle fait suite aux deux premières études consacrées au conflit irakien, l’une sur la première phase de Iraqi Freedom, l’autre sur l’évolution de la guérilla irakienne et s’inscrit par ailleurs dans le cadre des travaux en cours sur la phase de stabilisation. Bien que la France ne soit pas engagée sur ce théâtre, ce travail s’imposait tant la dialectique défi-réponse entre nos alliés et un adversaire asymétrique ingénieux y est riche d’enseignements ; l’étude portant sur la tactique employée tant par les Marines, l’Army ou les coalisés le prouve. Il s’avère en effet que si cette “ guerre après la guerre ” comporte des éléments évoquant les conflits de décolonisation, elle présente aussi des caractères inédits et redoutables qu’il est préférable d’étudier “ à froid ” avant, peut-être, d’y être confronté à notre tour. Les forces françaises ont non seulement tout intérêt à réétudier les savoir-faire anciens et parfois perdus de la contre-guérilla, mais ont également l’opportunité de tirer profit des enseignements de l’engagement de nos alliés pour leurs propres opérations en cours, opportunité qu’il serait malhabile de manquer. En ces temps incertains, il est nécessaire en effet de concentrer les esprits sur l’inattendu. L’ennemi n’est plus un monolithe mais une hydre aux multiples cerveaux et en matière d’innovation tactique, le “ faible ” et le “ fort ” ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Etre lent d’esprit, refuser l’imagination, c’est se condamner à recevoir des coups, sans doute moins formidables que ceux qu’aurait pu nous porter l’ancien Pacte de Varsovie, mais combien plus probables ? S’il est difficile d’adopter un système “ d’adaptation réactive ” pour faire évoluer nos matériels existants ou facilement accessibles, en raison de contraintes organiques diverses, il demeure essentiel d’être vigilant et réactif à ce qui ce passe lors des conflits contemporains pour au minimum conserver une agilité intellectuelle maximale. Adapter nos propres concepts et doctrines, en liaison avec l’interarmées, améliorer ou acquérir de nouveaux savoir-faire, toujours penser l’impensable et prévoir l’imprévisible, voilà bien notre rôle et notre devoir de militaire au profit du citoyen, que ce soit dans ou hors de nos frontières. A travers un travail rigoureux d’analyse, puis de synthèse et de vérification, rendu possible par le très grand nombre de sources ouvertes sur le conflit irakien, cette étude nous y aide assurément. A cet égard, je souhaite souligner combien Internet, les différents médias et la culture ouverte des soldats américains permettent le recueil des faits et l’émergence rapide des enseignements de toute nature. Il y a là, pour nous sans aucun doute, une grande perspective sous réserve d’éducation, de formation et tout simplement d’intelligence de situation. Le général de division Gérard BEZACIER, commandant le Centre de doctrine d’emploi des forces MARS 2005 3 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Introduction A la fin de l’année 2004, près de 1 400 soldats de la Coalition ont été tués et 13 000 autres blessés depuis la fin officielle des combats en Irak, proclamée le 1er mai 2003. Ces hommes sont tombés, après “ la guerre ”, dans la première lutte à grande échelle pratiquée depuis plus de trente ans par des forces occidentales contre une guérilla. On est donc en présence d’un phénomène à la fois connu et passablement oublié. Il s’agit aussi d’un type de guerre qui heurte les valeurs traditionnelles militaires occidentales, privilégiant l’affrontement direct entre combattants. Ici, peu de batailles et encore moins de bataille décisive. Le quotidien peut y ressembler à celui du policier le matin, de l’humanitaire l’après-midi et, enfin, du guerrier le soir. Et encore, ce travail de guerrier est-il souvent fait de missions ingrates de quadrillage où le contact avec un ennemi fugitif est presque toujours à l’initiative de ce dernier. Rien de plus déplaisant donc pour un soldat, rien de plus éloigné de la “ vraie guerre” et autant de bonnes raisons de refuser de s’y intéresser. En France, la contre-guérilla reste depuis plus de quarante ans sous le couvercle honteux de la guerre d’Algérie. Or, les modes d’action des guérillas ont évolué et l’erreur serait de croire qu’il n’y a rien de nouveau à apprendre sur le sujet depuis les succès du plan Challe. Les groupes d’insurgés irakiens renouent certes avec des principes et des procédés utilisés par les mouvements des années 1950-1960 ou même avant. Ils présentent aussi des aspects inédits, propres à la fois à la culture locale et aux innovations techniques du nouveau siècle, qu’il faut examiner de près avant d’avoir à les affronter un jour. Une autre erreur serait de croire, par un orgueil mal placé que, forts de ses succès passés, l’armée française serait capable de faire mieux que ses alliés. Le conflit actuel en DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 4 MARS 2005 Irak mérite à de nombreux égards une active attention malgré l’absence de capteurs nationaux sur place. Les sources ouvertes, qu’elles proviennent de la presse civile, d’internet, d’une presse militaire américaine très libre de ton et, surtout, des contacts établis par le détachement de liaison terre aux Etats-Unis, sont suffisamment abondantes pour compenser largement cette absence. Il convient toutefois d’appliquer une méthode rigoureuse proche de celle de l’historien, faite de recoupements et de confrontations aux expertises diverses. Ce document, réalisé par la Division recherche et retour d’expérience (DREX) et en particulier le chef de bataillon Michel GOYA, est essentiellement consacré au processus d’évolution tactique de l’Armée de terre américaine, du Corps des Marines et, secondairement, des alliés européens, face aux défis des guérillas irakiennes. Il est complété ensuite par des descriptions plus détaillées de problèmes et modes d’action qui peuvent présenter un intérêt particulier pour nos forces. Il est complémentaire des travaux déjà effectués par la DREX du CDEF sur les enseignements de la phase 1 de l’opération Iraqi Freedom, sur l’évolution de la guérilla irakienne (Les armées du chaos) et des études sur la stabilisation. Dans la suite du texte, Coalition et Force multinationale seront considérées comme synonymes. Irak Repèr es chronologiques 2003 2004 • 1 er mai : fin des “ opérations de combat • 1er février : attentats contre les sièges des par- majeures ” annoncée par George Bush depuis le porte-avions Abraham Lincoln. • 6 mai : nomination de Paul Bremer comme “envoyé présidentiel pour l’Irak ”. • 22 mai : vote de la résolution 1483 de l'ONU confiant “ temporairement ” les pouvoirs à la coalition. • 23 mai : démantèlement de l’armée et des anciens services de sécurité irakiens. • 16 juillet : le commandement américain reconnaît devoir affronter une situation de “guérilla”. • 19 août : attentat suicide contre le siège de l’ONU à Bagdad : 23 morts dont Sergio de Mello, représentant de l’ONU en Irak. • 29 août : attentat à la voiture piégée à la mosquée de Nadjaf (82 morts, dont l’ayatollah Mohammad Baqer Hakim). • 12 novembre : attentat à la voiture piégée contre un poste de carabiniers italiens (19 morts italiens). • 13 novembre : opération Iron hammer dans le triangle sunnite. • 13 décembre : capture de Saddam Hussein près de Tikrit. tis kurdes (plus de 100 morts). • 2 mars :journée la plus meurtrière en Irak depuis le début de la stabilisation. Plusieurs attentats font 180 morts dont 112 à Kerbala. • 31 mars : quatre civils américains sont tués et mutilés à Falloujah. • 4 avril-27 mai : premiers affrontements contre l’Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr. • 5-30 avril : siège de Falloujah par le Corps des Marines. • 28 avril :diffusion des premières photographies montrant les sévices exercés par des soldats américains à Abou Graïb. • 28 juin : transfert de pouvoir au gouvernement intérimaire irakien dirigé par Iyad Allaoui. L’autorité provisoire de la coalition (CPA) est dissoute. • 5-26 août : reprise des combats contre l’Armée du Mahdi. • 8 septembre : le seuil symbolique des 1000 morts américains en Irak est franchi. • 9-17 septembre :série de raids irako-américains dans le triangle sunnite, à Bagdad et Tall Afar. • 2-3 octobre :reprise de Samarra par les Marines. • 7 novembre : état d’urgence décrété dans tout le pays, sauf le Kurdistan, pour 60 jours. • 8 novembre :début de l’opération Phantom Fury contre Falloujah. MARS 2005 5 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL LA GUERRE APRES LA GUERRE Le brouillard de la paix L’ “heure dorée” e 1er mai 2003, sur le porte-avions Abraham Lincoln, le président Bush annonce la fin des combats. Deux jours auparavant, une manifestation à Falloujah s’est terminée par la mort de 13 civils irakiens dont 6 enfants. Pour les Américains, cet accrochage et ceux qui perdurent dans ce qu’il sera désormais convenu d’appeler le “triangle sunnite” (Bagdad-Ramadi-Tikrit) ne peuvent donc être que les derniers feux d’un réseau de quelques nostalgiques du régime déchu. Rien d’autre à faire donc sinon capturer les derniers dignitaires du jeu de 55 cartes et trouver les armes de destruction massives. Pour le reste, il suffit d’attendre la relève par des troupes sous mandat de l’ONU et/ou des forces de sécurité irakiennes. Comme on n’aborde pas un conflit qui se termine comme une nouvelle guerre, il n’y a guère d’incitations à s’interroger et innover chez les Américains. Comme, par ailleurs, la phase stabilisation de l’opération Iraqi Freedom a, de l’aveu même de plusieurs généraux, été peu planifiée, c’est donc en conduite permanente, et avec une armée structurée pour le combat classique, qu’est abordé le phénomène grandissant de la guérilla. L Pour beaucoup d’Américains1, les Irakiens attendaient surtout des droits individuels. Une fois ceux-ci acquis, ils ne tarderaient pas, à la manière des Minutemen2 ou des pionniers de l’Ouest, à prendre leur destin en main et à assurer leur propre sécurité face à des anciens baasistes et des terroristes étrangers, forcément honnis. En réalité, il semble surtout que les Irakiens aspiraient d’abord à un minimum de sécurité physique et matérielle après des décennies de guerre, répression et embargo. Par tradition et habitude, cette sécurité était attendue de l’Etat ou, à défaut, de cette puissance militaire américaine qui les avaient tant impressionnés. De ce décalage entre cette force déployée et cette incapacité à assurer la sécurité, visible dès les pillages du 10 avril à Bagdad3, est née la rumeur selon laquelle cette attitude était volontaire afin de maintenir, pendant des années, l’emprise américaine sur le pays. DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 6 MARS 2005 En réalité, cette situation est surtout le résultat de l’impréparation et d’une rivalité entre les services. Après les atermoiements des premières semaines d’occupation, le Département d’État remplace l’équipe du général Garner et crée une “ bulle administrative” dans la “zone verte” de Bagdad. Alors que les prisons ont été vidées par Saddam Hussein avant l’arrivée des Alliés, une des premières décisions de l’administrateur Bremer est de supprimer d’un trait de plume tous les organismes de sécurité existants. De son côté, l’armée de la Coalition, sur qui retombe toute la charge de sécurité, ne peut contrôler les milliers de dépôts d’armes laissés à l’abandon et s’avère incapable de surveiller les frontières. Les initiatives de contact de l’armée américaine avec la population avortent rapidement du fait du manque d’interprètes (souvent un seul par bataillon), du manque de fonds propres dans les unités pour concrétiser des projets immédiats, d’une spécialisation qui fait que ce domaine semble réservé aux forces spéciales4 et d’une méconnaissance de la culture locale. La multiplication des attaques anti-américaines à la fin du mois de mai marque alors la fermeture de cette fenêtre d’opportunité de quelques semaines pendant laquelle tout était possible, comme la “golden hour ” évoquée par les Britanniques à propos des tout premiers soins médicaux après une blessure grave (réf. 41). Comme pour les soins apportés à un blessé, le diagnostic initial et les premiers gestes sont primordiaux pour la réussite de la mission. Entre la phase de coercition et la phase de stabilisation, les forces doivent être capables de changer très rapidement de posture afin de pouvoir se rallier la population. Il faut pour cela, soit une grande polyvalence des moyens et des hommes, soit la relève rapide des forces. De la même façon, les états-majors doivent être capables de planifier ces deux phases et notamment le passage de l’une à l’autre, sinon il faut faire appel à deux états-majors différents mais coordonnés 5. Irak US ARMY Ces premières attaques, simples harcèlements à l’arme légère, sont le fait de petites cellules de quelques combattants, souvent des criminels ou des désœuvrés, payés “ à l’acte” par un noyau de “ moubhabarak” (anciens membres des services de sécurité). Ces cellules s’intègrent dans l’entrelacs des liens familiaux et tribaux qui soutenait le pouvoir de Saddam Hussein au sommet de la pyramide féodale irakienne. Leur but n’est évidemment pas de vaincre l’armée américaine mais de saper son moral et celui de l’opinion publique en lui causant des pertes. Il s’agit aussi d’acquérir du prestige auprès de la population locale sunnite, la plus défavorisée par le changement de situation politique (réf. 23). Malgré la faible efficacité de ces agressions, les Américains finissent par perdre, chaque mois, entre 200 et 300 hommes, tués ou blessés. Il leur faut réagir. Marteau et clous6 Le premier axe d’effort concerne la protection de la force. Il est alors tentant de se replier sur de grandes bases protégées, sortes de “ fort ” au milieu du territoire indien (c’est le surnom du triangle sunnite) et de réduire le nombre de missions. Les unités s’installent dans des bases7 à la sortie des villes, à l’écart de positions dangereuses, à l’abri des voitures piégées et, autant que possible, des tirs, mais la rareté des forces de substitution (locales ou alliées), la nécessité de protéger les nombreux convois logistiques et la reconstruction imposent une attitude plus offensive. La “force protection” est alors conçue comme un moyen de conserver sa liberté d’action. Des programmes d’urgence sont lancés pour protéger ceux qui ne sont plus à “ l’arrière”, mais désormais au cœur des combats. Tous les véhicules non protégés sont peu à peu renforcés par des kits de blindage ou, en attendant, des moyens de fortune mais l’ampleur de la tâche est telle qu’au mois de juillet 2004, deux tiers seulement des Humvee ont été blindés. Tous les hommes sont peu à peu équipés du très efficace gilet pare-balles Interceptor IBAS (Individual Body Armor Systems) (réf. 41). Pour ne pas être paralysante, la protection des hommes doit être “ légère ” et mobile. Il vaut mieux distribuer des armures que bâtir des châteaux forts. Le blindage autorise l’audace. La Rapid Equipping Force (REF), structure créée en 2002 et destinée à fournir des réponses rapides à des problèmes concrets rencontrés par les unités sur le terrain, prend une extension inattendue. La moitié de ses 45 personnels se déploie en “équipes de traque” dans les unités tandis que l’autre moitié cherche des solutions, adaptables en moins de 90 jours8. Pour mieux identifier les problèmes concrets, la REF travaille en liaison étroite avec le CALL (Center for Army Lessons Learned), qui synthétise tous les enseignements du théâtre, et avec le TRADOC (Training and Doctrine Command), qui s’efforce d’étendre à l’ensemble de l’Army les solutions trouvées. La REF se concentre désormais sur le renseignement urbain, la circulation des informations, les armes non létales, la précision des feux et les moyens d’un entraînement plus réaliste. Cette première réponse technique, dans la tradition américaine, est très efficace (réf. 424). La réponse tactique est plus complexe (réf. 424). La sécurité active passe par la mise en place d’un système de quadrillage du terrain rayonnant à partir de bases solides. Les effectifs étant limités, ce quadrillage est donc dynamique, à base de patrouilles, check-points fixes ou mobiles, bouclages, fouilles et forces d’intervention (Quick Reaction ForceQRF). Il s’agit de chercher le renseignement auprès de la population et de profiter de toutes les occasions pour infliger des pertes aux agresseurs. La qualité des moyens de protection et la supériorité de l’entraînement en combat urbain permettent aux soldats américains de servir d’appât aux “soldats fantômes ” qu’ils ont tant de mal à déceler. L’attitude rigide de ces patrouilles, la mise en joue systématique des passants, les conversations sans ôter ses lunettes noires, la barrière de la langue rendent cependant le volet “ immersion dans la population ” très artificiel et les réactions aux accrochages, si elles sont effectivement très efficaces contre les rebelles, sont également très souvent tragiques pour la population environnante. Jeremy Hinzman, un Marine déserteur réfugié au Canada, déclarait récemment : “A Bagdad, au printemps 2003, par crainte d’un attentat suicide, tout véhicule qui ne s’arrêtait pas après un simple signe de la main ou un tir d’avertissement était mitraillé ”. Selon lui, son unité aurait ainsi tué une trentaine de civils en deux jours (réf. 42). MARS 2005 7 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Autre conséquence du manque d’effectifs, les 2000 km de frontières avec la Syrie et l’Iran ne peuvent être surveillées efficacement alors que l’attitude de ces pays, ou même de l’Arabie Saoudite, est très ambiguë. Il semble cependant que les stocks d’armement soient suffisamment importants à l’intérieur même de l’Irak pour que la guérilla n’ait pas besoin de bases à l’étranger. Les flux de matériels et même d’hommes sont donc assez limités, contrairement, sans doute, aux flux d’argent. La contre-guérilla est une forme de guerre systémique10. C’est l’accumulation des succès qui donne la victoire finale. US ARMY Parallèlement à ce dispositif de contrôle de zone qui se met en place par tâtonnements, de grandes opérations sont lancées pour détruire au plus tôt ce que l’on croit être le “centre de gravité ” adverse : son réseau de commandement. La méconnaissance du milieu et la faiblesse d’un système de renseignement qui n’a pas encore fait sa mue contre-insurrectionnelle rendent ces opérations désastreuses. Il s’agit souvent de grands bouclages de zones où, avec des hauts-parleurs crachant du hard rock9, les soldats pénètrent en force dans des maisons (un peu au hasard, car il n’y a ni nom de rue ni numéro) et raflent en masse les hommes (souvent au hasard aussi, car ils se retrouvent difficilement dans les cinq noms des vigueur dans les prisons des Etats-Unis. Ils fournissent ainsi une multitude de recrues à la résistance sans pourtant mettre à jour le réseau de commandement adverse. Celui-ci n’existe pas en fait aussi clairement que ne l’imaginaient les Américains. Ceux-ci font plutôt face à un maillage de pions locaux connectés d’abord par des liens familiaux et/ou tribaux, puis, de plus en plus, idéologiques. Ils sont rejoints peu à peu par des djihadistes, étrangers puis par des mécontents de toutes sortes. Cette guérilla sunnite présente donc deux caractères assez nouveaux : elle ne dépend pas, pour l’instant, d’une base extérieure, comme le Nord-Vietnam pour les Viet-Congs ou la Tunisie pour le FLN ; elle agit ensuite de manière très décentralisée sans que l’on puisse déterminer une tête pensante et un corpus idéologique. C’est une organisation de type jeu de Gô, qui crée des cellules immobiles dont la multiplication et la transformation finissent par créer des situations étouffantes. Dans cette guerre, Irakiens). Ils bafouent ainsi simultanément des traditions complexes d’hospitalité, l’honneur des hommes en les humiliant devant leur famille et celui des femmes en les fouillant, la sainteté de certains lieux en y pénétrant en armes, sans se déchausser et avec des chiens (animal impur), etc... Les hommes capturés sont envoyés ensuite à la Military Intelligence qui est chargée du tri et des interrogatoires. Débordés par le nombre imprévu de suspects, les hommes du renseignement et du gardiennage, souvent réservistes, appliquent alors maladroitement les méthodes en DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 8 MARS 2005 la manœuvre se fait plus dans le temps que dans l’espace (réf. 23). En août 2003, le général Sanchez commandant les forces de la Coalition ordonne une pause dans les opérations de bouclage qui apparaissent désormais comme de grandes campagnes de recrutement pour la guérilla. Celle-ci a atteint désormais un premier seuil critique, celui de l’incrustation durable dans les esprits, avec l’aide des chaînes arabes diffusées par satellites ou le réseau des mosquées. La population sunnite lui apporte de plus en plus son soutien, au moins passivement. Irak Au sud, rien de nouveau Dans les quatre provinces de la zone sud-est, sous le contrôle des Britanniques, les choses se sont passées différemment. En premier lieu parce que sa population, chiite, est favorable au changement. Elle a beaucoup souffert de la dictature de Saddam Hussein et, largement majoritaire, elle a tout à gagner dans la mise en place d’une démocratie représentative. La grande majorité des Chiites, dans la tradition du courant quiétiste, est d’ailleurs assez peu politisée et s’intéresse plutôt aux retombées économiques du retour des pèlerins dans les lieux saints. Les deux grands courants politiques, populiste de Moqtada Al-Sadr et religieux des partis Al-Dawa et ASRII (Assemblée suprême de la révolution islamique d’Irak), dont les dirigeants reviennent d’exil en Iran, ont donc assez peu d’assises. Ils n’en constituent pas moins des milices (Armée du Mahdi et milice Badr) et ils entreprennent la conquête des esprits (réf. 25). L’approche des Britanniques, largement imitée par les Alliés de la Division multinationale Centre, est souple et réaliste. La phase de stabilisation a été planifiée et une unité, la 19e Brigade mécanisée, a été organisée et entraînée pour cela (éléments culturels, contrôle des foules, etc..). Cette unité a été renforcée, au Royaume-Uni, en infanterie et en “civils affairs ”. Inversement, un seul squadron de chars Challenger a été conservé et la majeure partie de l’artillerie a été transformée en infanterie légère. En juin 2003, après la relève du corps expéditionnaire de l’opération Telic 1, le contingent de Sa Majesté est donc passé de 33 000 hommes à 10 000, dont 1500 réservistes (réf. 13). Contrairement aux unités américaines qui restent sur le territoire irakien entre 7 et 12 mois, parfois plus, les Britanniques ont adopté un cycle de 6 mois. Ils estiment ainsi préserver les soldats de l’usure et introduire de la souplesse par des relèves fréquentes. La relève Telic 3, en novembre 2003, a par exemple introduit une batterie drone Phoenix et une flotte de 200 Land Rover blindées. Le cas échéant, des bataillons expérimentés peuvent revenir avec un très court préavis, comme les Black Watch lors de l’insurrection mahdiste d’avril-mai 2004 (réf. 13). de base terminée ont été intégrés dans les battlegroups britanniques. En novembre 2003, par exemple, le Queen’s Royal Hussars, comprenait 340 Irakiens (deux compagnies) sur un effectif total d’un millier d’hommes (réf.13). Une autre particularité de l’approche britannique, partagée par la plupart des autres Européens des deux divisions multinationales, est le souci de bonnes relations avec la population. Les patrouilles s’effectuent en béret, sans lunettes de soleil, les manières sont courtoises et les armes sont tournées vers le bas, ce qui n’empêche pas les réactions immédiates en cas d’agression suivant le slogan “smile, shot, smile”. Les sections britanniques ont une double dotation de véhicules, Land Rover pour les patrouilles courantes, Warrior ou Saxon pour les périodes de tension. A l’inverse de nombreuses unités américaines, l’accessibilité, et donc la vulnérabilité apparente, sont estimées procurer une sécurité indirecte supérieure grâce à une bonne image dans la population. Karim al-Zayad, chef de la police de Sarawa, compare ainsi les méthodes des Hollandais et des Américains : “Les Hollandais ont sérieusement essayé de comprendre nos traditions. Nous ne les voyons pas comme une force d’occupation, mais comme une force amicale. Les Américains sont une force d’occupation. Je suis d’accord qu’ils ont aidé à chasser le régime précédent, mais ils ne devraient pas bafouer notre dignité (réf. 43)”. De leur côté, beaucoup d’officiers américains considèrent que les Européens, qui occupent les secteurs les moins dangereux, sont trop laxistes. La guerre en Irak, pour paraphraser le général Krulak (USMC) est une “ Three Blocks war ”. On trouve simultanément, dans le même pays des secteurs calmes où l’action est essentiellement humanitaire, des secteurs de contre-guérilla et des secteurs de combat urbain classique. Les troupes américaines et irakiennes régulières doivent faire face aux trois possibilités, ce qui complique encore les adaptations. Le fracas des âmes Pour éviter l’image d’occupants et parce que la force a été taillée a minima, la formation d’unités irakiennes a constitué très tôt une priorité. La Military Police a assuré les fonctions de sécurité jusqu’à être remplacée à la fin de 2003 par les nouvelles forces de police irakiennes. Au même moment, deux bataillons complets sont arrivés en renfort pour former et encadrer les Iraqi Civil Defense Corps (ICDC). Ces derniers, dès leur formation Si les matériels s’usent environ cinq fois plus vite qu’en temps de paix (ref.1), il semble que le moral des hommes reste stable. Ceux-ci sont pourtant soumis à de fortes tensions. On compte environ 1400 tués et 13 000 blessés, dont 80% à la suite de combats. Avec un taux moyen de 1 puis de 2 morts par jour, la situation n’est pas encore celle du Vietnam MARS 2005 9 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL (20 morts quotidiens de 1975 à 1972 ), ni celle de l’armée française en Algérie (9,6 morts par jour pendant 7 ans) (réf. 432) ou encore celle du taux de meurtres aux Etats-Unis (60 par jour). Le contingent en Irak représente cependant le quart de celui du Vietnam et les progrès médicaux ou en matière de protection ont été très importants depuis11. Le rapport du nombre de morts à celui des blessés au combat est de 1 pour 10 en Irak contre 1 pour 5 au Vietnam. De plus, si on se concentre sur certaines unités de mêlée, les choses apparaissent différemment. Il n’est pas rare en effet pour une compagnie d’infanterie engagée dans un combat violent, de perdre trente à quarante hommes en quelques semaines de combat. Les pertes ne constituent cependant qu’un aspect. Les soldats sont soumis à de multiples facteurs de stress. Le milieu urbain, théâtre de presque tous les combats, est étouffant et, par son caractère en trois dimensions, offre de multiples origines possibles de danger. Ces sources de danger, que l’on ne peut toutes surveiller, sont donc autant de sources de stress (effet “épée de Damoclès”). Les menaces sont souvent invisibles (snipers, engins explosifs, obus de mortiers, embuscades) et l’ennemi frappe presque toujours par surprise. Les grandes opérations offensives peuvent être très longues (plusieurs semaines d’affilée) et surtout continues, de jour comme de nuit. Elles comprennent également des variations de posture très brutales suivant les lieux et les moments. Une même section peut effectuer dans la même journée plusieurs missions radicalement différentes, fouillant un quartier le matin, distribuant de l’aide humanitaire l’aprèsmidi et effectuant une patrouille offensive la nuit. Les délais contraints empêchent d’ailleurs de comprendre le pourquoi de chacune de ces missions. L’attitude de la population elle-même, qui apparaît souvent ingrate ou pratiquant un double-jeu, peut induire également une grande frustration pour une troupe qui se sent comme un “corps étranger”. Cette ambiance de qui-vive permanent pendant des séjours qui peuvent durer plus d’un an est donc particulièrement usante. Le moral des unités reste cependant bon, au moins dans les unités d’active de mêlée, pourtant les plus frappées, car les cercles de confiance qui entourent le soldat sont solides : confiance personnelle dans son entraînement et son équipement, cohésion des groupes primaires ; esprit de corps ; motivation de la lutte contre le terrorisme et soutien du peuple américain. Cette confiance est confortée par une supériorité systématique dans tous les accrochages. Selon un sondage paru début janvier 2005 dans le mensuel Army Times, 83 % des militaires de l’US Army croient à la victoire en Irak (réf. 462). DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 10 MARS 2005 (réf. 43) Les choses sont donc, du point de vue psychologique, très différentes de la guerre du Vietnam, le conflit américain le plus ressemblant à ce qui se passe en Irak. A cette époque, les soldats, pour la plupart appelés, étaient affectés individuellement dans des unités où ils ne connaissaient personne. Beaucoup de lieutenants étaient des officiers de réserve n’effectuant que six mois sur place. La plupart des unités ne cultivaient pas un esprit de corps très fort et l’opinion publique était pour le moins divisée. De plus, les Viet-Congs étaient redoutés dans les combats en forêt. Le moral n’avait donc pas tardé à s’effriter. En Irak, les premiers craquements sont venus, dès l’été 2003, des unités de soutien, à fort recrutement de réservistes, surprises par la violence imprévue des attaques, la durée de la mission et les conditions matérielles dans lesquelles elles s’effectuaient. Dans les unités d’active, si les sondages de satisfaction et les taux de réengagement restent élevés, l’usure se fait sentir par des troubles psychologiques qui frappent environ un soldat sur six au retour d’Irak, au moins dans les unités les plus exposées, comme la 82e Airborne (qui a participé à l’offensive initiale, puis à la stabilisation du triangle sunnite jusqu’au printemps 2004). Le stress se manifeste, entre autres, par des troubles du sommeil et une anxiété extrême à la vue de ce qui rappelle un danger, comme par exemple un sac évoquant un engin explosif camouflé (réf.1). Irak Sur place, des équipes de soutien psychologique (CST, Combat stress team) ont été formées pour traiter au plus tôt les symptômes de stress de combat, avant que ceux-ci ne débouchent sur des troubles plus profonds. Leur nombre est limité mais l’expérience semble porter ses fruits. Initialement, elles opéraient à l’issue immédiat des combats afin de permettre aux hommes d’évacuer le stress en les obligeant à le verbaliser et en les aidant à comprendre ce qui s’est passé. Leur rôle s’est ensuite élargi, en même temps que la durée des combats. Il ne s’est plus agi alors d’évacuer seulement le passé, mais aussi de se préparer à la nuit prochaine (réf. 49). Les CST ont rapidement été associées et colocalisées avec les aumôniers et les médecins pour une action commune de prévention par des visites régulières dans les unités. Une CST a ainsi fonctionné en permanence à proximité de Falloujah pendant les combats de novembre 2004. Elle a reçu un premier flot de soldats, surtout des jeunes, pendant les combats mêmes. Elle reçoit maintenant des combattants plus anciens qui ressentent des effets à plus long terme pour les avoir refoulés sur le moment12. Il existe aussi un stress des états-majors issu de plusieurs frustrations. La première provient du décalage entre la connaissance qu’un événement se déroule et la quantité d’informations dont on dispose sur cet événement. Une menace que l’on ne “voit” pas mais que l’on sent génère l’angoisse. Il y a ensuite, dans un contexte de contre-guérilla, un sentiment de dépossession au profit des cadres de contact. La plupart des engagements ou même des problèmes à résoudre ne dépassent pas, en effet, le stade de la section mais nécessitent des réactions immédiates. La tentation est forte, pour calmer ce stress, de harceler le niveau subalterne de demandes de comptes-rendus. A ce niveau, le stress provient de la décision à prendre. Pour s’en débarrasser la méthode la plus simple est de se tourner vers le supérieur le plus proche. Avec les moyens modernes de communication et de renseignement (comme les drones avec caméra gyrostabilisée), l’angoisse de l’inaction du “haut” et l’angoisse de la décision du “bas ”, font que la décision finale a tendance à remonter la chaîne hiérarchique. Il n’est donc pas rare, en Irak, que des généraux prennent des décisions de capitaines (réf. 1) Un autre phénomène intéressant à noter concerne les soldats polonais. Plus de 5000 d’entre eux ont été ou sont actuellement engagés en Irak, au sein de la Division multinationale Centre dont ils assurent le commandement. Le secteur est plus calme que dans le triangle sunnite et le taux de pertes (16 morts au total à ce jour) est très inférieur à celui des Américains. Un journal polonais a pourtant indiqué un profond malaise dans ce contingent, malaise concrétisé par plus de 200 victimes de stress avancé, dont 27 ont été rapatriés d’urgence dans des unités psychiatriques en Pologne. Sont mis en cause la légèreté de la formation de ces hommes, pourtant volontaires et professionnels, ainsi que le décalage entre la mission de maintien de la paix prévue au départ et l’ambiance chaotique vécue sur place. Il faut y ajouter le manque de cohésion des unités formées pour la circonstance, la faible sélection des volontaires, l’absence de soutien populaire à cette mission et la redécouverte de la guerre pour une armée qui a connu longtemps l’existence morne des garnisons du Pacte de Varsovie (réf. 416). US ARMY Le suivi psychologique des hommes avant, pendant et après l’opération est indispensable mais demande des personnels qualifiés. Il doit donc être précédé et complété par l’action des cadres de contact, à condition que ceux-ci aient reçu une formation adéquate13. Le plus important est cependant de réunir les conditions d’un véritable esprit de corps. Le turn over permanent dans des unités de combat en sous-effectif chronique, le manque d’entraînement réaliste, l’emploi d’unités de marche agissant hors de leur domaine de compétence sont autant de facteurs fragilisants lorsqu’il faut engager un combat soudain, complexe et très violent. MARS 2005 11 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL L’évolution du moral des insurgés est bien sûr beaucoup plus difficile à analyser. Les motivations sont diverses. Elles peuvent être pécuniaires (paiement à l’acte), ce qui ne conduit pas forcément à un grand courage. Elles peuvent aussi être beaucoup plus fortes, fanatisme religieux, nationalisme ardent, esprit de vengeance, désespoir, et soutenues par des liens familiaux ou claniques ainsi que la connaissance du milieu. On aboutit ainsi, de plus en plus, à des comportements très agressifs voire suicidaires (voitures piégées, assauts sans espoir d’adolescents mahdistes). Le moral se nourrit aussi de victoires14, or celles-ci sont, dans l’absolu, difficiles à obtenir sur des Américains ou des Européens bien équipés et entraînés. On assiste donc aussi à un phénomène de transformation des valeurs. La disproportion des forces justifie l’utilisation guerrière de lieux saints, d’écoles ou même de la population civile. La notion même de victoire change. Tenir tête aux américains sans mourir devient ainsi une petite victoire. Tenir tête aux Marines à Falloujah en avril 2004 et assister à leur repli devient une immense succès qui dépasse les frontières de l’Irak, puisqu’il s’agit de la première victoire arabe sur l’armée américaine15. La notion de victoire est relative. Dans un contexte de faible au fort, un succès modeste pour le premier a autant d’importance qu’une grande victoire pour le second. Il ne faut donc rien “ lâcher ” à une guérilla. Notes : 9 Raid du 3è Armored Cavalry Regiment décrit par l’Asia Times. 1 Confortés dans cette opinion par le retournement de communication 10 Comme, par exemple, la bataille de l’Atlantique ou la campagne de officielle qui est passée de la menace d’armes de destruction massive bombardement sur l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. à la nécessité de libérer le peuple irakien d’un tyran. 11 Le ratio morts/blessés est le plus bas jamais enregistré. Des équipes 2 Les Minutemen étaient, pendant la guerre d’indépendance américaine, les hommes capables de se transformer en soldat en chirurgicales mobiles sont capables d’établir un hôpital de campagne en 60 minutes. moins d’une minute pour défendre leur foyer, leur État ou leurs valeurs face aux Indiens ou à la tyrannie. Ces civils possédaient donc 12 Détail intéressant, toutes les unités de combat se sont rapidement dotées de bodybags, pour se soustraire à la vision des cadavres un fusil de guerre. mutilés, même ceux d’adversaires. 3 Phénomène intéressant de surprise de situation. Il a fallu plusieurs jours pour sortir de la passivité et décréter un couvre-feu. La seule mesure prise rapidement fut de protéger le ministère du pétrole. 13 Il est étonnant de constater le décalage entre le monde sportif de haut niveau, où les préparateurs mentaux sont désormais considérés comme indispensables, et le monde militaire, encore très “amateur ” en la matière bien qu’il ait à affronter des situations autrement plus 4 Qui regroupe aussi les affaires civiles et les PSYOPS. stressantes. 5 Cette solution a été expérimentée par les Américains durant l’opération Just cause à Panama en 1999. Les problèmes sont venus 14 “ L’homme se rebute et appréhende le danger dans tout effort où il du manque de coordination entre les deux états-majors, qui n’étaient n’entrevoit pas chance de succès ” (Ardant du Picq). Pendant la pas colocalisés, tant durant la phase de planification que durant la guerre du Vietnam, les Australiens avaient mis l’accent sur le combat conduite de l’opération. d’embuscades en forêt. La supériorité tactique acquise dans ce domaine leur a offert une série de micro-victoires qui ont conforté 6 “ Un homme dont le seul outil est un marteau analyse chaque le moral et, par voie de conséquence, autorisé plus d’audace. Les troupes américaines, beaucoup plus maladroites, subissaient au problème en termes de clous ” (Proverbe américain). contraire la supériorité des Viet-Congs dans ce domaine. 7 Forward Operating Bases, FOB, en cours de regroupement dans 15 Un précédent a été ainsi créé, comme lorsque les chindits d’Orde quatorze énormes structures. Wingate ont mis fin au mythe de la supériorité en jungle des 8 Pour une moyenne de sept ans par les procédures classiques. Japonais en Birmanie (1943) ou lorsque la 8è armée britannique a stoppé Rommel devant Alam el Halfa (1942). DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 12 MARS 2005 Irak L’adaptation au son du canon Autant en emporte l’ “avant” L’été 2003, s’il se termine pour les rebelles sur une victoire “psychopolitique”, leur a été très coûteux. Ils procèdent donc à des adaptations pour compenser une puissance de feu qu’ils ne peuvent aborder de front. Des petits états-majors régionaux clandestins se mettent en place pour mieux préparer les attaques. Le 3 septembre, une embuscade combinant mortiers, mitrailleuses lourdes et RPG est montée contre une unité de la 4e DI qui n’est dégagée que par l’arrivée d’un élément de réserve. Le harcèlement prend de nouvelles formes, sniping, mortiers et surtout engins explosifs improvisés (EEI) placés le long des axes des convois logistiques. Les actions s’étendent aussi aux champs politique (assassinats, enlèvements), économique (sabotages, attaques d’entreprises civiles) et psychologique (représailles contre les collaborateurs mais aussi actions de bienfaisance). En août 2003, apparaissent les attentats de masse avec emploi de voitures piégées (destruction du siège de l’ONU le 19, assassinat de l’ayatollah Al-Hakim et de 80 personnes à Nadjaf le 29). Les sources de financement, comme celles de recrutement, s’élargissent et débordent le cadre irakien. US ARMY Du côté du haut commandement américain, la perception des événements commence à changer. On comprend désormais qu’il ne s’agit plus de résidus du conflit de haute intensité terminé début mai, mais d’un phénomène nouveau et durable. On continue cependant à présenter l’ennemi comme l’association de nostalgiques de l’ancien régime (Former Regime Loyalists (FRL) ou Baath Party Loyalists (BPL)), et de terroristes étrangers liés à al-Qaïda, finançant une multitude de “sous-traitants ”. Ces ennemis, peu nombreux et avec lesquels tout dialogue est impossible, ne sont donc pas des fruits de l’occupation. La seule méthode possible consiste alors à les détruire. Même si on reste persuadé que la capture des dignitaires en fuite, et en premier lieu de Saddam Hussein, va porter un coup décisif à la guérilla, l’objectif évolue donc de la décapitation vers l’extermination. On revient ainsi au “ body count ” en honneur au Vietnam et à la numérisation des bilans. Trois critères chiffrés vont désormais servir à évaluer la situation : le nombre d’attaques, les pertes amies et les pertes ennemies. Dans une guerre systémique, en l’absence de bataille décisive ou de conquête de terrain, il est difficile mais pourtant indispensable de mesurer l’évolution de la situation. La tentation est alors forte, surtout dans une armée à forte culture industrielle comme l’armée américaine de s’appuyer sur des chiffres. Ceux-ci peuvent être utiles en tant qu’indices (nombre d’attaques mensuelles par exemple) mais ne doivent pas devenir des fins en soi. Durant la guerre d’Algérie, par exemple, les statistiques étaient d’autant meilleures pour l’armée française (armes capturées, rebelles mis hors de combat) que l’on s’approchait d’une victoire politique de l’ennemi. Le seul véritable critère possible est le degré d’adhésion de la population, mais celui-ci est difficile à mesurer. Une profonde réflexion interne est lancée pour procéder à cette extermination. Cette adaptation est avant tout un processus “ bottom-up ”, c’est-à-dire qu’il trouve son origine principalement dans les unités au contact, c’est-à-dire des officiers qui ont des problèmes concrets à résoudre, cherchent des solutions et partagent leur expérience. Lorsqu’une armée affronte une nouvelle forme de guerre, c’est par les hommes du front qu’elle progresse, souvent en opposition avec ceux de la génération antérieure qui restent fidèles à la “ vraie guerre”, ici la guerre de haute intensité, type Airland Battle. On peut parler alors de “pilotage par le front ”. L’emploi des réseaux comme outil d’adaptation n’est pas un phénomène nouveau, mais les nouvelles technologies de l’information offrent des possibilités comparables à celle de “ la nouvelle économie” vis-à-vis MARS 2005 13 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL de l’ancienne. On assiste à un véritable bouillonnement intellectuel. Chaque mission, chaque patrouille devient l’occasion d’un retour d’expérience qui alimente le réseau et permet d’affiner les méthodes. La découverte d’une nouvelle méthode ennemie fait l’objet d’un compte-rendu immédiat sur le réseau BOLO (be-on-the-look-out) qui oriente “les yeux” de toutes les autres patrouilles de la division. A ce processus en boucle courte, voire immédiate, se sont ajoutés des sites internet de partage d’expériences16 et une remontée, plus classique mais bien organisée, de retours d’expérience au sein du CALL ou du centre des leçons apprises du Corps des Marines. Ce dernier organisme, grâce à la présence permanente d’une douzaine d’officiers sur le terrain et un système très performant de gestion électronique de documents (GED), a pu faire “remonter” 16 000 fiches qui sont autant de micro-innovations ou de problèmes décelés. Ce système s’auto-entretient dans la mesure où les unités, en utilisant le système GED, constatent de visu que les informations qu’elles font remonter sont exploitées. Lors de l’intervention des Marines en Haïti, au printemps 2004, une unité a fixé une charrue sur un véhicule LAV (Light armored vehicle) pour dégager des obstacles. Par l’intermédiaire du système GED, l’idée a été reprise rapidement par des unités en Irak. Cette circulation de l’information, complétée par les revues d’armes où fleurissent des articles très libres et professionnels de jeunes officiers, compense ainsi en partie l’avantage traditionnel des guérillas, structures plus petites et “sous pression”, en matière d’innovations tactiques. Le quadrillage du terrain a également pour but de freiner l’ennemi dans cette bataille de l’innovation. A l’instar de l’entreprise Toyota qui s’enorgueillit des deux millions d’idées proposées annuellement par ses employés, une armée moderne, surtout lorsqu’elle fait face à un adversaire intelligent et réactif, doit utiliser les cerveaux de tous ses hommes et femmes. Les nouvelles technologies de l’information offrent en matière de gestion des idées des possibilités énormes qu’il serait inconséquent de ne pas utiliser. Cela suppose de dépasser une certaine conception taylorienne (ou aristocratique ?) qui sépare nettement les organes de réflexion et les organes d’exécution. Le problème de ce processus par l’ “armée d’en bas”, lorsqu’il n’est pas coordonné, est qu’il aboutit à des différences d’approche très nettes entre les unités, DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 14 MARS 2005 différences qui nuisent finalement à la cohérence générale de l’action. Par exemple, durant le deuxième semestre 2003, les deux divisions au nord de Bagdad, la 101e Airborne et la 4e DI, pratiquent des politiques opposées. La première pratique une approche “britannique” recherchant la confiance de la population alors que la seconde procède plutôt à “l’israélienne”, s’efforçant d’isoler la guérilla par des tactiques de pression : destruction des maisons des insurgés, arrestation de leur familles, ripostes de l’artillerie aux attaques de mortiers. Ces divergences de politiques, “gant de velours ” ou “gant de fer ”, se retrouvent même à l’intérieur des grandes unités. Dans la 1 re DB, au sud de Bagdad, une brigade applique une méthode de contact avec la population alors que les deux brigades voisines s’y refusent (réf. 21). A l’intérieur de cette brigade, commandants de bataillon et de compagnie réagissent également de manière différente. Ces incohérences se retrouvent également dans le temps. Chaque division a tendance à sous-estimer le poids de l’héritage antérieur et à considérer que l’histoire de la stabilisation commence avec elle alors qu’il n’y a pas de relève pour la population. Peu de temps avant d’arriver sur le territoire, le général Conway, du Corps des Marines, critique ouvertement la ligne de l’Army, dans les colonnes du New York Times. A la brutalité de la 82e Airborne, la 1re Marine Expeditionary Force (MEF) va opposer la maîtrise de la violence et revenir au Combined Action Program de la guerre du Vietnam lorsque des sections de Marines étaient dispersées sur le terrain et associées aux forces locales. Ces projets ne résistent pas à l’épreuve des faits sur le territoire (réf. 426 et 49). Les Marines mettent cela sur le compte de la déception, des rancœurs et de la haine accumulées avant leur arrivée, les parachutistes de la 82e Airborne répondent en taxant les Marines d’irréalisme. Aucune évolution tactique véritable ne peut se faire sans les forces. Face à des problèmes nouveaux, ce sont elles qui sont à la source des innovations. Le rôle du commandement est alors de piloter ce mouvement en le rationalisant et en aidant au développement des concepts qui demandent des moyens importants17. Si l’innovation vient du sommet, rien ne se fera si les forces refusent de se l’approprier. Quels que soient la force des ordres et le poids de l’autorité, des idées en contradiction complète avec les valeurs ou les habitudes de hommes ne seront pas adoptées18. Irak Boots on the ground Corollaire de ce manque de personnel, une véritable armée de plusieurs dizaines de milliers de mercenaires civils s’est constituée pour assurer la sécurité des entreprises civiles ou la formation des forces de sécurité irakiennes. La sécurité personnelle de l’administrateur Paul Bremer était même assurée par la société Blackwater. Cette force permet de soulager les unités régulières et contourner certains problèmes. Il est ainsi possible de former des sociétés de sécurité recrutées dans la communauté kurde (jugée fiable) pour la protection des champs pétroliers alors que cela est plus délicat dans l’armée irakienne. Ce conglomérat, peu contrôlé, et qui a commencé à se structurer en “mutualisant ” certaines tâches (renseignement, éléments d’alerte), introduit des problèmes juridiques nouveaux et contribue à soustraire aux forces armées de bons éléments attirés par des salaires très élevés pour faire sensiblement le même travail que sous l’uniforme (réf. 1). Aux Etats-Unis, après l’évocation du rétablissement du service national, il est d’abord très largement fait appel à la réserve et à la Garde nationale. Ces deux sources finissent par former un tiers du contingent sur place et cette proportion atteint 40% avec la relève prévue en 2005. La Garde nationale formera alors un état-major de division sur trois et six brigades sur dix-sept dans l’ordre de bataille. L’avantage, outre qu’elle permet de compléter des effectifs restreints, est que la réserve apporte des compétences civiles particulièrement utiles dans une phase de stabilisation. Le passage d’une structure de renseignement de type haute intensité à une structure de lutte contre des réseaux clandestins ne peut que bénéficier, par exemple, de la présence de réservistes issus de la police. Il en est de même pour les affaires civilo-militaires. En revanche, réservistes et gardes nationaux présentent des faiblesses particulières. L’US Army distinguait nettement les fonctions de contact, réservées à l’active, et celles de soutien, largement dévolues aux réservistes. Dans un contexte de guérilla, où la “première ligne” est partout, certaines unités largement composées de réservistes se retrouvent donc très exposées, notamment les convois logistiques. Les réservistes, qui doivent concilier deux vies professionnelles, sont donc soumis à de fortes tensions et ils expriment assez facilement leur mécontentement. Les recrutements accusent également une certaine désaffection. La Garde nationale, par exemple, a vu son taux de recrutement chuter de 30% en octobre 2004 (réf.1). Il s’avère donc, et l’expérience britannique le confirme, que l’apport des personnels de réserve se révèle très précieux à court terme mais problématique lorsque l’opération dure. US ARMY Pour avoir le même taux d’occupation en Irak qu’en Bosnie, il aurait fallu 364 000 hommes. Pour atteindre celui du Kosovo, il en aurait fallu 480 000 (réf. 43). Les troupes de la Coalition sont à peine 160 000, toutes nationalités confondues et hors forces de sécurité irakiennes, pour une situation beaucoup plus critique que dans les Balkans. Une armée à haut coefficient technique a du mal à fournir les effectifs indispensables au contrôle d’une zone de la taille d’un État comme l’Irak. Il a donc fallu trouver des effectifs supplémentaires. L’emploi de mercenaires n’est pas une nouveauté dans l’histoire militaire anglo-saxonne. Les Tigres volants de Chennault ont ainsi permis aux Etats-Unis de soutenir le gouvernement chinois avant l’entrée en guerre contre le Japon en 1941. Ces unités, hors de toute contrainte réglementaire, peuvent également servir de laboratoire tactique. En Irak, la nouveauté provient de la présence simultanée de ces sociétés privées avec les forces armées. Le pouvoir au bout du fusil Dans les armées professionnelles modernes, comme pendant le XVIIIe siècle, le soldat est rare et coûteux. Cela a pu induire, un temps, une forme de retour à la “guerre en dentelles ” avec des concepts comme le “ zéro mort ”. Dans l’armée américaine, la dentelle a été remplacée par de l’acier mais le spectre des armées de princes balayées par les forces idéologiques issues de la Révolution française perdure. Le débat sur un retour éventuel à la conscription n’est pas encore clos aux Etats-Unis. Après avoir voulu décapiter le régime irakien, en tuant son chef, par des frappes aériennes, c’est finalement un groupe de combat de la 4e DI qui a capturé Saddam Hussein caché au fond d’un trou. Les Américains redécouvrent que l’instrument premier du combat de contre-insurrection est le fantassin, à la fois multicapteurs, agent d’influence et servant d’armes. Le problème est qu’il y a moins de fantassins en Irak MARS 2005 15 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL qu’il n’y a de policiers à New York (39 000). Il est donc difficile pour eux d’exercer un contrôle sur un pays entier. Il a donc fallu, là aussi, en augmenter le nombre. fantassin avant d’être un spécialiste. Le Basic Combat Training, la formation de base de neuf semaines que suit tout soldat américain, est largement densifié et durci. Après trois mois de mission, l’infanterie de la 4e DI était épuisée. Les tankistes ont donc abandonné le cliché du “death before dismount ” et formé, comme les artilleurs, des unités de marche pour soulager leurs camarades. Ces unités se sont “ infanterisées” au son du canon, récupérant autant de matériel spécifique que possible et passant peu à peu, grâce au parrainage des fantassins, des missions statiques aux patrouilles, puis aux raids (réf. 44). Une armée de sable ? Toutes les divisions en Irak, mais aussi celles qui préparent la relève suivent l’exemple de la 4e DI. Au Texas, en octobre 2003, la 1re division de cavalerie (First Cav) dissout sa brigade d’artillerie et forme une Brigade Combat Team avec un bataillon LRM à pied, un bataillon “ TWOT ” (“ tankers without a tank ”), un bataillon de reconnaissance sans ses hélicoptères et un bataillon de soutien formé à partir de quatre autres. Pour son instruction au combat urbain, le bataillon “ TWOT ” fait appel aux SWAT19 du Texas et à des membres des forces spéciales. Il tire 150 000 cartouches par mois (pour une moyenne de 30 000 dans les bataillons d’infanterie) et poursuit son entraînement jusqu’au Koweit (réf. 45). Par ailleurs, deux compagnies OPFOR (opposing force) du centre d’entraînement de Fort Polk ont été envoyées en Irak et la 4e brigade Stryker passe de la version “cavalerie” à la version “ infanterie” (réf. 1). Le besoin en fantassins est tel que sur les 30 000 hommes supplémentaires accordés à l’US Army, 24 800 au total appartiennent à cette arme qui passera ainsi d’un effectif de 46 000 à 69 000 (réf. 46). L’infanterie subit toujours les pertes les plus importantes, qu’il s’agisse des tués ou blessés au combat ou des réductions d’effectifs de temps de paix. Le besoin urgent de fantassins nombreux et de qualité est récurrent dans toutes les armées en guerre depuis la fin de l’année 1915. Dans le même esprit, après avoir constaté le 23 mars 2003 les capacités d’autodéfense très limitées de la 507e compagnie de maintenance, qui avait perdu 11 morts et 6 prisonniers au cours d’une embuscade, un effort est fait pour renforcer les capacités d’autodéfense des unités de soutien, cibles de plus en plus fréquentes de la guérilla20. Outre les mesures classiques de “force protection ” (blindage et armement des véhicules), on cherche à inculquer un Soldier Creed (credo du soldat) proche du “every marine is a rifleman ” de l’USMC. Chaque soldat doit d’abord se considérer comme un DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 16 MARS 2005 Un autre enseignement des combats de l’été 2003 est que rien de durable et d’efficace ne peut se faire sans l’aide de forces locales. La Coalition a absolument besoin de troupes irakiennes gouvernementales, pour remplacer ses unités dans les missions statiques de gardiennage ou de police urbaine, les aider à pénétrer le milieu humain, et, à long terme, pour asseoir l’autorité du gouvernement irakien élu. Comme les forces existantes ont été supprimées, il faut donc repartir de zéro pour reconstituer une armée et une police. Pour parer au plus pressé, c’est un puzzle sécuritaire qui a été créé en fonction des nécessités de l’instruction. La garde des sites sensibles a été confiée à une Facility Protection Security Force (FPSF) dont les hommes sont formés en quelques jours. Une autre force a été formée pour la garde des frontières avec la Syrie et l’Iran, puis l’Iraqi Civil Defense Corps (ICDC) (ou Garde nationale) pour assister directement les unités de la Coalition. Ses membres reçoivent une formation initiale d’une semaine avant d’être intégrés dans des unités de la coalition pour une instruction complémentaire et fournir des petits éléments lors des opérations. Les créations de la police et de 27 bataillons d’infanterie21, métiers qui demandent des savoir-faire poussés, se sont révélées beaucoup plus difficiles. Pour faire face à l’ampleur inédite de la tâche, les Américains ont fait feu de tout bois pour épargner au maximum les unités d’active. Ils ont donc largement fait appel à des réservistes et à des unités de la Garde nationale (18e brigade de police militaire pour la police, 98e division de la garde pour l’armée) avec des résultats mitigés. Un officier supérieur américain décrit ainsi des instructeurs vivant à l’hôtel hors des cours, refusant d’apprendre les noms arabes, donnant des surnoms américains aux recrues et faisant donner les ordres en anglais (réf. 47). La sous-traitance à des sociétés privées a été décevante, qu’il s’agisse de la société Vinnell en matière d’instruction ou de Nour pour l’équipement (accord annulé et remplacé seulement en mai 2004 avec la société Anham). L’OTAN, appelée à la rescousse pour la formation des officiers, n’a envoyé ses premiers éléments qu’en août 2004. Seule la Jordanie a fourni un appui massif, en particulier pour la formation des policiers (35 000 sur deux ans). Les bataillons hâtivement formés en quelques semaines et initialement très mal payés (70 dollars par mois pour les soldats et 100 pour les candidats officiers) souffrent également d’un très fort taux de désertion. Ainsi si, au printemps 2004, 200 000 hommes ont été recrutés (pour Irak Leur premier emploi opérationnel est une désagréable surprise. Les deux bataillons irakiens, engagés à Falloujah en avril 2004, s’évanouissent au premier accrochage, de même que toutes les forces de sécurité dans la zone chiite face à l’ Armée du Mahdi. L’espoir d’une relève en première ligne par les Irakiens avant le transfert d’autorité de juin est donc déçu. Une nouvelle tentative est effectuée, à partir du mois d’août, dans des opérations secondaires, à Latifiyah par exemple. Elle donne des résultats mitigés malgré un soutien massif. Les Américains entreprennent donc eux-mêmes une nouvelle fois de nettoyer les bastions acquis par les différents mouvements de rébellion avant les élections de janvier. Les unités irakiennes sont en deuxième échelon, elles aident à s’emparer de points critiques comme les mosquées et surtout à occuper les territoires conquis. Malgré ce retrait, le comportement ne s’améliore que très lentement et les jugements portés par les Marines sur leurs alliés à Falloujah en novembre restent très sévères (réf. 1). La relève ne peut véritablement (et légitimement) venir que des forces locales. Cet aspect doit donc être anticipé largement en amont et se voir octroyé, d’emblée, des moyens humains et matériels conséquents. L’emploi des forces de stabilisation comme matrice des unités locales, nouvelles ou restructurées, semble être la meilleure voie. Ces unités mixtes associent la connaissance du milieu des uns aux moyens et à la compétence technique des autres22. Outre la faiblesse de l’instruction, cette fragilité provient aussi d’un manque de fiabilité politique. Par la force des choses, policiers et soldats sont essentiellement recrutés parmi les anciens membres de forces de sécurité de Saddam Hussein. Cela ne fait pas d’eux des nostalgiques mais, en particulier chez les Sunnites, ils entretiennent des rapports troubles avec leurs anciens frères d’armes, très présents aussi parmi les insurgés. Beaucoup de ces hommes refusent le combat contre des “frères” de la même communauté ou rejoignent leurs rangs. Inversement, la guérilla infiltre largement les nouvelles forces de sécurité. Ce double jeu est révélé au grand jour, lorsque les Marines ont été remplacés fin avril 2004, devant Falloujah, par une “ brigade” irakienne constituée dans l’urgence et qui a finalement rejoint la guérilla. US ARMY un objectif de 235 000), il s’avère que la moitié seulement peut être considérée comme entraînée (dont 74 000 du service de protection des infrastructures). L’armée ne compte alors que 20 000 hommes (réf. 1). Tout cela entraîne une grande suspicion vis-à-vis des troupes irakiennes qui n’incite pas à leur accorder des moyens qui peuvent se retourner contre les Coalisés. Les matériels lourds sont donc fournis avec parcimonie et il n’est pas question de former des unités plus importantes que les brigades légères. De plus, pour s’assurer leur fidélité, les 25 généraux destinés aux grands commandements seront formés aux Etats-Unis. L’armée irakienne, cantonnée au rôle humiliant de force de sécurité intérieure, a donc ainsi, auprès de la population, assez peu de légitimité et de crédibilité. Il est tentant aussi de jouer des rivalités ethniques et d’utiliser, par exemple, des unités kurdes dans le triangle sunnite. Cette solution, porteuse d’un risque de libanisation, est déjà appliquée en partie depuis le transfert d’autorité du 28 juin, car les milices kurdes et, dans une moindre mesure, chiites Badr n’ont intégré l’armée nationale qu’à la condition de conserver leur homogénéité. Toutes les unités “gouvernementales ” au Kurdistan sont donc exclusivement kurdes, de même que le fer de lance du 36e bataillon commando employé à Falloujah en novembre23. Il existe enfin un risque certain que cette nouvelle armée et les nouvelles forces de police ne renouent avec des méthodes peu compatibles avec l’Etat de droit en construction et médiatiquement désastreuses. Le comportement des officiers vis-à-vis des soldats, souvent violent et insultant comme sous le régime de Saddam Hussein, est aussi assez gênant (réf. 1). Tous ces éléments semblent confirmer l’analyse du prestigieux IISS24 de Londres qui estime, dans un article du Philadelphia Inquirer, que cinq ans seront nécessaires pour hisser les forces de sécurité irakiennes à la hauteur de leurs missions (réf. 1). Les opérations du cœur Dès l’été 2003, à l’entrée des bases de la 101e Airborne, contrôlant les régions de Mossoul et de Kirkouk, on trouvait le slogan suivant : “We are in a race to win over the people. What have you and your element done today to contribute to victory25 ?”. MARS 2005 17 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Ces méthodes ont incontestablement porté leurs fruits, permettant à la troupe de s’immerger dans la population et d’y recueillir du renseignement (avec des listes de faits et attitudes à observer quotidiennement) ou de procéder à des opérations d’informations. Elles relèvent de ce que certains appellent les armes non cinétiques par opposition aux armes cinétiques qui causent des dommages physiques. Après avoir été réservées aux forces spéciales, elles font désormais partie de la panoplie de toutes les unités américaines, mais avec une application très diverse car elles continuent à heurter les valeurs culturelles. Beaucoup d’officiers ont compris qu’ils devaient visiter fréquemment les cheiks, les imams, les chefs de tribus, les anciens et leur témoigner respect et sympathie, mais plus on descend dans la hiérarchie et plus les réticences apparaissent, confortées par la vision de la corruption et du double jeu dans la société irakienne (réf. 48). Le deuxième problème, plus structurel, est venu des relations avec les fonctionnaires de la Coalition Provisional Authority (CPA), malgré l’existence des Gouvernement Support Teams, destinés à assurer les liens entre autorités locales, CPA et divisions. Les fonctionnaires de la CPA sont accusés par les militaires de manquer d’expérience et de vivre coupés de la réalité dans les palaces de la Green zone de Bagdad, pour des tours qui se limitent souvent à trois mois (réf. 47). Les commandants des grandes unités ont réclamé, dès le début de la stabilisation, des fonds pour financer les projets locaux. Il a fallu cependant attendre le début de l’année 2004 pour que le Département d’Etat accepte d’allouer des fonds pour des projets de moins de 10 000 dollars gérés par grande unité (Commander’s Emergency Response Program (CERP) (réf. 462). Un autre problème est le manque de densité des troupes. La 1re division de cavalerie n’a qu’un seul bataillon pour s’occuper des deux millions d’habitants du quartier misérable de Sadr City. DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 18 MARS 2005 US ARMY Le général Petraus engageait ainsi sa division entière, et non seulement les Civils Affairs/PSYOPS, dans “la bataille des cœurs et des esprits”. Toute la zone d’action de la division est alors partagée en secteurs de bataillons et de compagnies dans lesquels les unités sont impliquées dans de multiples projets au profit de la population (reconstruction d’écoles, participation aux services publics, soins et éducation sanitaire). Dès le premier mois, la division a mis en place des patrouilles communes avec les Irakiens, organisé la distribution de carburant et de gaz, fait rouvrir les écoles, fait éditer un journal municipal, organisé le paiement des fonctionnaires et ouvert le passage de la frontière syrienne (réf. 48). Dès le 5 mai 2003, un conseil municipal provisoire est élu à Mossoul. Au mois de septembre 2003, la division a dépensé 19 millions de dollars pour 2700 projets. Il a fallu, simultanément, enseigner la culture locale et des règles de comportement adaptées comme la fouille des femmes par des femmes26. Il s’agit enfin de s’adapter à un nouveau métier. Quand on ne sait pas quoi faire, on fait ce que l’on sait faire. Les actions civilo-militaires sont donc souvent intégrées dans un tableau de “ciblage humain”, intégrant toutes les opérations suivant plusieurs objectifs généraux (par exemple vaincre l’ennemi, sécuriser la zone, améliorer les infrastructures). Chaque action y est décrite comme une mission classique de ciblage : baptême, effet attendu (détruire la cellule X, avoir une alimentation électrique ininterrompue dans le poste de police, améliorer l’école, etc...), cible, méthode et moyens, vérification. Cette nouvelle manœuvre interarmes associe aux Civil Affairs, les capacités de contact des unités de mêlée (recensement des besoins, dialogue) et les compétences techniques des armes d’appui. Les projets de plus grande ampleur sont gérés par le service du génie (US Army Corps of Engineers) en appui technique du programme de restauration ou de reconstruction de l’infrastructure vitale conduit par l’USAID (U.S. Agency for International Development). Les sapeurs sont ainsi impliqués dans la construction d’infrastructures militaires pour les forces irakiennes ou la Force multinationale, dans la restauration des productions électriques et pétrolières, dans le recrutement et la formation de l’encadrement irakien (réf.1). Vaincre et convaincre Si la bataille des cœurs menée donne quelques résultats, celle des esprits s’avère plus délicate, en grande partie parce que la cible des opérations d’information américaines est double : la population irakienne et l’opinion publique aux Etats-Unis. La première a pratiquement accès, au moins pour une élite, aux informations délivrées à la seconde mais, de surcroît, elle est connectée à de multiples réseaux internes : prêches dans les mosquées, CD-rom “édi- Irak fiants” en vente dans les bazars et rumeurs. Elle est la proie également de procédés de sensibilisation plus directs, comme les égorgements de “collaborateurs”. Les Irakiens assistent donc régulièrement à un décalage entre ce qui est présenté aux différentes chaînes américaines, par exemple un bombardement aérien ciblé sur un groupe terroriste, et la réalité des faits souvent plus terrible pour la population. Autre exemple, la personnification de l’ennemi en la personne d’Abou Moussab al-Zarquaoui rappelle immédiatement aux Irakiens l’époque de Saddam Hussein lorsque des bandits mystérieux (l’“homme à la hache”) apparaissaient à la une des journaux pour justifier des vagues de répression. L’idée qu’al-Zarquaoui est une invention américaine est donc très présente dans l’opinion irakienne, confortée par des descriptions contradictoires et les précédents de l’affaire Jessica Lynch ou encore des armes de destruction massives. Inversement les silences sur les exactions d’Abou Graïb ou sur les pertes civiles irakiennes contribuent encore à saper la confiance dans les informations d’origine américaine. A l’échelon tactique, le travail des sections IO (informations opérations) est donc souvent défensif. Il consiste souvent, par exemple, à contrer dans les minutes qui suivent et sur les lieux même de l’action, la rumeur qui attribue presque systématiquement aux Américains la mort de civils après une attaque à la roquette (réf. 49). symboliques comme le tir de roquettes sur l’hôtel où est logé Paul Wolfowitz. Leur plus grand succès est cependant la destruction de quatre hélicoptères en deux semaines, provoquant la mort de 39 soldats27. Les pertes hebdomadaires des coalisés doublent d’un seul coup. Dans une guerre asymétrique, les victoires des “faibles” sont pratiquement toujours des victoires psychopolitiques. Se placer dans une situation de vulnérabilité, c’est offrir à la guérilla une possibilité de “grande offensive” qui peut entraîner une rupture psychologique dans les opinions publiques, sur le modèle de la bataille du Têt au Vietnam en 1968. Le fait que cette offensive puisse avoir lieu est déjà en soi une victoire, surtout si le discours du “fort” est triomphaliste. A la fin du mois d’octobre 2003, les rebelles, encouragés par le retrait relatif américain à l’occasion du Ramadan, lancent une grande offensive dans le triangle sunnite, en employant tous les modes d’action possibles, du harcèlement à l’attentat suicide, en passant par les actes La réaction américaine est, cette fois, efficace, combinant les moyens les plus puissants, avec notamment un retour aux frappes aériennes et des modes d’action beaucoup plus précis dans les opérations de bouclage. Outre la redécouverte du combat rapproché, ce succès est dû à la mutation, encore incomplète, de l’organisation du renseignement qui s’appuie désormais sur des réseaux d’informateurs payés et sur les partenaires politiques kurdes ou chiites. Mais le facteur essentiel est la réactivation de la police irakienne qui permet de réduire considérablement les maladresses. Les grandes opérations comme Ivy Cyclone et Iron Hammer autour de Bagdad et Tikrit finissent par porter leurs fruits. Saddam Hussein est capturé et plusieurs réseaux sunnites sont démontés. Le taux de pertes hebdomadaire retombe à moins d’un mort par jour en février 2004, laissant croire à une possible maîtrise militaire de la situation. NOTES : 22 Les bataillons du corps expéditionnaire français en Indochine ont Octobre rouge 16 Comme, par exemple, le site Companycommander.com ouvert aux 10 000 commandants d’unité. 17 En 1916, lors de la bataille de Verdun, les méthodes de l’artillerie de campagne avaient tellement divergé d’une unité à l’autre qu’il était très difficile de renforcer une division par un régiment de “ 75 ” extérieur. Pour que tout le monde “ parle le même langage “, il a donc ainsi formé en leur sein des compagnies de recrues locales. Ces unités ont essaimé et permis de constituer l’armée nationale vietnamienne. 23 Cette unité qui ne dépend pas du ministère de la défense, comprend normalement l’élite des cinq principaux partis irakiens. Dans les faits, seuls les Peshmergas kurdes sont jugés fiables. fallu créer une “ école-laboratoire”, une inspection, une revue 24 International Institute for Strategic Studies. spécialisée et des stages de partage d’expériences. 25 “ Nous sommes engagés dans une course pour gagner la confiance 18 A la fin de l’année 1917, le général Pétain, alors général en chef, a le plus grand mal à imposer l’idée de la défense en profondeur malgré la clarté des ordres, la menace de sanctions, des voyages d’explication et l’efficacité évidente de la méthode proposée. Une innovation est comme un mot au Scrabble. Il ne suffit pas de le former, il faut encore l’insérer dans l’existant, ce qui suppose souvent des adaptations. de la population. Qu’avez-vous fait aujourd’hui, vous et votre unité, pour contribuer à la victoire ?” 26 Chaque unité a donc créé son unité de fouille féminine, ce qui a demandé une formation adéquate de la part de la police militaire et des cours de langue. 27 Les insurgés ont, semble-t-il, profité d’une faille dans les règles d’engagement obligeant les hélicoptères à voler à moyenne altitude 19 Special Weapons and Tactics, unités d’intervention de la police. et basse vitesse, position vulnérable, pour ne pas gêner la 20 Un tiers des pertes survient dans les convois. population. 21 Regroupés en neuf brigades avec des compagnies de génie, de police militaire et une force “antiterroriste” de 7000 hommes. MARS 2005 19 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Pendant ce temps aux Etats-Unis ... Une armée repose sur quatre composantes : son équipement, ses structures, ses méthodes et sa culture. Elle évolue par un processus de défis-réponses qui suscitent des innovations dans chacune de ces composantes. On observe donc des innovations techniques, structurelles, méthodologiques ou psychologiques. Chacune d’elle naît lorsque le contexte est favorable et est reliée à quelque chose d’existant. Elle interagit ensuite avec les autres composantes de manière très diverse, parfois négative, ce qui rend très difficile l’anticipation correcte de ses effets. Si ces innovations permettent l’adaptation à un contexte nouveau, elles ont également pour effet de déstabiliser une organisation existante. Il faut donc arbitrer entre le dynamisme des idées et la stabilité nécessaire pour les assimiler. Dans les armées occidentales modernes, et plus particulièrement aux Etats-Unis, le dynamisme provient généralement du pôle technique. En revanche, la stabilité est assurée par le pôle culturel qui regroupe les normes, valeurs et traditions du groupe, en général plutôt “inélastiques” pour employer un terme économique. Dans les années 1980, par exemple, le paradigme de l’Airland battle a engendré de multiples innovations techniques (M1 Abrams, M2/M3 Bradley, AH-64 Apache, etc...) et des méthodes d’emploi tout à fait remarquables. En revanche, la recherche de l’initiative au plus bas échelon, que prônait pourtant cette doctrine avec insistance, est largement restée lettre morte. L’interaction avec le pôle culturel a donc été négatif. L’évolution à laquelle on assiste en Irak est atypique dans l’histoire militaire américaine car elle trouve plus son origine dans les changements de méthodes ou de mentalités que dans les innovations techniques. Il s’agit plus d’une guerre ingénieuse que d’une guerre d’ingénieurs. Le militaire américain doit être désormais, selon le mot du général Schoomaker28, un “décathlonien”, “à la fois guerrier, policier, travailleur social, infirmier, capteur de la chaîne renseignement et agent de propagande du mode de vie occidental. Il doit surtout apprendre à comprendre une culture étrangère et à aimer le peuple irakien, sans quoi il ne pourra pas conquérir les cœurs et les esprits” (réf. 1). La révolution dans les affaires humaines s’avère donc plus urgente que celle des techniques, en contradiction avec le paradigme de la guerre industrielle violente et rapide de la génération au sommet de la hiérarchie militaire. DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 20 MARS 2005 L’évolution par “en bas” se poursuit donc, passant par capillarité des unités du front à celles qui se préparent à le rejoindre et qui, de ce fait, sont également incitées à innover. Transformer les légions Sous la pression des grandes unités qui se préparent à la relève, tous les exercices, notamment dans les deux grands centres nationaux de Fort Irwin (National Training Center) et de Fort Polk (Joint Readiness Training Center), ont été profondément transformés. Les grands combats blindés-mécanisés ont été presque complètement abandonnés au profit de séjours de préparation aux relèves en Irak. Le cadre est donc systématiquement urbain et les différents acteurs civilo-militaires sont représentés de manière plus ou moins réaliste. Tout cela est coûteux (de 12 à 20 millions de dollars pour un séjour de trois à quatre semaines pour une brigade) mais semble efficace. De plus en plus, ces exercices sur le terrain sont associés à des systèmes de simulation et fédérés entre eux (Army Constructive Training Federation (ACTF) et Joint National Training Capability (JNTC)). Il sera ainsi bientôt possible d’intégrer dans un exercice un appui air-sol demandé dans un camp et réalisé dans un autre (réf. 1). A l’autre bout de la lorgnette, les systèmes de simulation se multiplient, souvent à l’initiative d’officiers subalternes, qui essaient de représenter le plus finement possible des cas concrets, ainsi du système “convoy trainer ” sur maquettes ou du jeu One Semi-Automated Forces (OneSAF) qui permet de jouer, à n’importe quel niveau, des situations d’une grande complexité pouvant intégrer jusqu’à 25 camps différents. Le Corps des Marines, de son coté, a développé et distribué gratuitement “ Close combat : US ARMY Révolution dans les affaires humaines Irak Marines ”, un jeu du niveau compagnie et section. Les Américains ne sont pas non plus dépendants de l’informatique et n’ont aucun scrupule à multiplier les systèmes pragmatiques comme les problèmes de décision tactique dans les revues29, les livresinteractifs ou les wargames sur carte. Le plan de préparation de la 2e MEF30 pour la relève du printemps 2005 est révélateur des nouvelles priorités en matière d’entraînement et d’instruction. Trois phases sont prévues, totalisant 43 jours d’entraînement effectif. La première est consacrée à l’instruction aux savoir-faire individuels en combat urbain (basic urban skills). Elle se déroule dans les garnisons sur une vingtaine de jours. La deuxième phase (Revised Combined Arms Exercice) est centrée sur les modes d’action au niveau de la section et la dernière se déroule à Matilda City, une ancienne zone résidentielle transformée en centre d’instruction, pour l’entraînement aux opérations de stabilisation (réf. 1). Les états-majors de niveau division et brigade reçoivent souvent une formation particulière aux affaires civiles. Durant l’hiver 2003-2004, le personnel d’étatmajor de la division First Cav, destinée à Bagdad, a été immergé dans les bureaux de la mairie d’Austin, capitale du Texas, pour y apprendre tous les aspects de la gestion d’une grande ville, du ramassage des poubelles à l’organisation d’élections. Certains officiers suivent également des stages au Jordanian Peacekeeping Institute ou en Grande-Bretagne (réf. 462). Les priorités sont donc la maîtrise de tous les aspects du combat urbain, avec un effort sur la décentralisation des actions. Le retour au premier plan de l’ “action rapprochée” est en effet freinée par une longue habitude de centralisation du commandement. L’initiative aux plus bas échelon est pourtant prônée depuis les années 1970, en grande partie pour compenser la supériorité numérique du pacte de Varsovie. Le problème est que depuis cette époque, c’est l’US Army et l’USMC qui se sont retrouvés en position de supériorité par rapport à l’adversaire. De plus, l’accent mis traditionnellement sur l’entraînement des PC de niveau brigade et division a entraîné, par contrecoup, un désintérêt relatif pour l’entraînement aux petits échelons. Les concepts de “zéro mort” ou de “zéro défaut” dans les opérations balkaniques, les nouvelles technologies de l’information, ont encore accentué cette centralisation traditionnelle devenue une vulnérabilité lorsque 90% des engagements de guérilla urbaine ne dépassent pas le niveau de la section. Cette faiblesse avait été soulignée par de nombreux auteurs mais l’incitation à innover est venue de la crise (réf. 1). Un autre effort porte sur la sensibilisation aux cul- La multiplication des ROE peut s’avèrer contre-productive. Elle relève, en terme de science cognitive, du principe de la “ plaque photographique”, c’est-à-dire qu’il suffit d’envoyer un message pour qu’il soit automatiquement reçu et appliqué. En réalité, l’abondance des textes accroît la pression psychologique sur les acteurs qui, sous un stress intense, ne savent plus toujours très bien quelle décision prendre et donc, souvent, n’en prennent pas. Des règles simples, associées à une formation adaptée et surtout à la confiance31, s’avèrent généralement beaucoup plus efficaces dans la recherche du “zéro défaut”. tures étrangères, ou cultural awareness, qui se traduit, pour les unités qui préparent la relève du printemps 2004, par des cours, conférences et la diffusion de vade mecum sur la culture arabo-musulmane. La 1re DI, qui doit prendre en compte la région Nord, édite ainsi un remarquable manuel diffusé à tous les échelons. Ce cultural training, qui paraît désormais bien intégré, comprend également un fond de quelques dizaines de phrases en arabe pour autoriser un dialogue minimal et des règles précises sur les attitudes à avoir vis-à-vis de la population (réf. 426). “Les faits ne rentrent pas dans le domaine de nos croyances”32 En revanche, le sommet de la hiérarchie a tardé à évoluer. Orientées vers la guerre de haute intensité, les structures doctrinales de l’US Army, très prolixes sur la campagne de mars-avril 2003, sont longtemps restées muettes sur les problèmes posés par une guérilla qui n’est pas considérée par beaucoup comme la “vraie guerre”. Le caractère de plus en plus interarmées des centres de doctrine, avec une Air force et une Navy qui s’intéressent moins à une forme de guerre où elles ont peu de place, et le poids du programme Futur Combat System n’ont pas non plus contribué à l’analyse approfondie des deux conflits asymétriques où sont engagés les G.I. L’indispensable coopération interarmées peut toutefois présenter le risque d’éloigner les esprits d’un théâtre d’opération ou d’une forme de guerre où l’action d’une des armées prédomine très largement. Elle peut également entraîner des “déformations” de doctrines d’armées. Le concept de “ distributed operations ” étudié par le Corps des Marines et qui vise concrètement à transformer tous les groupes de combat d’un bataillon d’infanterie en cellules de contrôle et de guidage aérien, a été initié, au sein des organes doctrinaux du Corps, par un pilote de F-18. Outre les problèmes techniques et d’instruction que ce concept induit, il est probable que cette expérience échouera “culturellement” ou sera profondément transformée par les utilisateurs. MARS 2005 21 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL C’est donc par une petite porte que la réflexion sur la contre-insurrection a débuté. Au sein du bureau opérations de l’Army, un groupe de travail permanent, issu lui-même d’une cellule de réflexion sur les engins explosifs improvisés (EEI), est chargé à partir du début 2004 de synthétiser les parades aux attaques asymétriques et d’orienter les entraînements. Surtout, à partir de juillet 2004, sur la demande du TRADOC, le général Wallace commandant le Combined Arms Center (CAC) de Fort Leavenworth, a formé un groupe de travail. D’abord chargé d’étudier les travaux universitaires du Major Nagl sur les contre-guérillas en Malaisie et au Vietnam, le mandat est étendu ensuite à l’analyse de la formation donnée aux cadres en matière d’opérations de contreinsurrection (Counterinsurgency-COIN). Les résultats de ce groupe montrent que la formation au COIN, issue d’initiatives des écoles de formation, est à la fois insuffisante et éclatée. Il s’avère donc nécessaire de créer un corpus doctrinal et de désigner un organisme pilote dans ce domaine. Le général Wallace propose donc la création d’une cellule au sein du Command and General Staff College (CGSC) avec pour mission d’analyser les opérations en cours et d’orienter les évolutions en matière de COIN33, en liaison avec le CALL. Le premier produit de cette nouvelle structure est un manuel temporaire de contre-insurrection, le Field Manual (FM) 3-07.22, publié à la fin de l’été 2004. Ce document distingue les opérations COIN proprement dites des opérations “liées” à la contre-insurrection. Les premières visent à attaquer directement les cellules politiques et les groupes armés insurgés, leurs infrastructures et les conditions qui favorisent l’insurrection. Les secondes regroupent d’une manière générale tous les aspects des opérations de maîtrise de la violence et de stabilisation. Cette distinction permet de maintenir la séparation des tâches entre les forces “classiques” et les forces chargées des aspects les plus délicats des actions de contre-guérilla, comme les forces spéciales34. Ce document est finalement plus un “état de l’art” de ce qui se fait en Irak qu’un guide pour l’avenir, mais il constitue une forme de reconnaissance pour les hommes du front qui ont parfois le sentiment d’être incompris. Les citadelles des assassins Après la défaite de la bataille du Ramadan en 2003, la “résistance-virus” s’adapte elle-même à ces évolutions américaines et franchit un nouveau stade en avril 2004. Il y a d’abord l’apparition d’une résistance d’origine chiite : l’ Armée du Mahdi du jeune ayatollah Moqtada Al-Sadr. Ce dernier a pris la tête du courant populiste et domine les quartiers les plus pauvres de la zone chiite, en particulier dans l’immense Sadr City de Bagdad. Non soutenu par les partis traditionnels chiites et assez isolé au sein de cette communauté, Moqtada Al-Sadr joue simultanément sur les tableaux politiques et militaires, grâce à sa milice armée, patiemment constituée en un an. L’administration Bush, dans la perspective de rétablir l’ordre avant le transfert de pouvoir du 30 juin 2004 à un gouvernement irakien, entreprend d’éliminer cette nouvelle résistance armée et de punir les insurgés de Falloujah qui, le 31 mars 2004 ont atrocement mutilé quatre civils américains devant les caméras. Surviennent alors plusieurs phénomènes inattendus. Le premier est la résistance des insurgés à Falloujah. Alors que les Marines, nouvellement arrivés de la 1re MEF, entreprennent une opération désormais classique de “cordon and search”, ils tombent sur des unités constituées qui tiennent le terrain. Dans le même temps, le 4 avril, l’Armée du Mahdi tente un coup de force dans toute la zone chiite. La deuxième surprise est l’effondrement des forces régulières irakiennes, tant dans le Sud du pays que devant Falloujah. Se constitue alors tout un réseau de bastions rebelles (Falloujah, Samarra, Ramadi, Tikrit, Tal Afar, Nadjaf, Koufa, Sadr City, Latifiyah) qui menace les routes logistiques américaines, en provenance de Jordanie ou du Koweit, et surtout réduit la légitimité du gouvernement en dessous d’un seuil qui ôte toute crédibilité aux élections de l’assemblée constituante prévue en janvier 2005. Après avoir cru un temps que l’armée régulière irakienne serait capable de contrôler seule la situation, les forces américaines ne peuvent plus ignorer cette menace et doivent initier une nouvelle forme de guerre : la reconquête des citadelles insurgées. n’étaient pas capables d’en faire plus. Quelques mois plus tard, les NOTES : mêmes canonniers pouvaient en faire vingt-quatre différents. Refuser, 28 Chef d’état-major de l’US Army. dans les engins blindés, de mélanger obus “ à blanc ” et obus réels en opérations sous prétexte que les servants risquent de transformer un 29 Initiative ancienne de la Gazette du Marine Corps, semble-t-il, mais de tir de semonce en tir réel relève de la même logique. plus en plus orienté vers des problèmes concrets de type “ irakien ”. 32 Marcel Proust. 30 Marine Expeditionary Force, soit l’équivalent d’une division associée à 33 L’USMC possède de son coté le Center of Emerging Threaths and un groupe aérien. Opportunities. 31 Au début de la Première Guerre mondiale, les servants de 75 n’avaient le droit de n’effectuer que trois types de tirs car on estimait qu’ils DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 22 MARS 2005 34 Ou le bataillon “antiterroriste” de l’USMC, récemment formé. Irak Poliorcétique à l’américaine La Task Force Iron Dukes, qui se bat pendant cinq semaines en avril-mai pour la reconquête de Nadjaf et Koufa ne comprend que quatre sous-groupements interarmes (Team), totalisant 30 M1 Abrams et 95 Humvee blindés. La Task Force comprend également une compagnie de police militaire, une compagnie du génie, un détachement de forces spéciales, une équipe de guerre psychologique, deux équipes cynophiles et deux équipes ACM. Ses appuis proviennent moins de ses moyens de feux indirects (seulement 6 obusiers Paladin et 4 mortiers de 120 mm) que de la troisième dimension (hélicoptères OH-58D Kiowa Warrior, AC-130 Gunship et F16). Outre sa légèreté face à l’ampleur de la zone à contrôler et sa diversité, cette structure est remarquable aussi par la disparition relative de l’échelon bataillon (réf. 451). La brigade commande directement des sous-groupements renforcés capables eux-mêmes d’effectuer une manœuvre complexe des feux36. Pour les gouvernements irakien et américain, l’objectif militaire est de détruire ou au moins de désorganiser suffisamment les guérillas pour réduire de manière très significative les attaques anti-américaines contre les bases et les convois puis de permettre la relève par des troupes irakiennes gouvernementales. L’objectif politique est de réduire l’emploi de la violence comme instrument de contestation et d’étendre la carte des provinces contrôlées par le gouvernement, que ce contrôle soit direct ou le résultat d’une simple allégeance, afin de permettre les élections de janvier 2005. Les centres de gravité sont donc les miliciens insurgés eux-mêmes qu’ils font annihiler et les pouvoirs locaux, souvent religieux, qu’il faut pousser à coopérer par l’application d’un “bâton” immédiat, qui frappe les militants repérés et endommage la ville, et d’une “carotte” future (aide économique conséquente). Du côté des insurgés, l’objectif politique est d’empêcher la tenue d’élections crédibles afin de saper la légitimité du gouvernement issu des urnes, tout en résistant aux offensives américaines. Les stratégies militaires possibles sont limitées à l’esquive, la résistance ou la contre-attaque. La structure éclatée de la résistance sunnite fait que ces stratégies peuvent être appliquées simultanément par des groupes différents. L’ Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr, plus centralisée, pratique une guérilla à éclipses alternant l’allégeance au gouvernement et la résistance armée en fonction des objectifs politiques de son leader. L’esquive peut donc être physique (fuite de Falloujah en profitant des départs de civils), politique (compromis de Moqtada Al-Sadr) ou camouflée (adoption d’un “profil bas ”, disparition des armes). La résistance ferme, lorsqu’elle est pratiquée, s’appuie sur une population favorable (quartier de Sadr City pour les Mahdistes), des infrastructures préparées (Falloujah) et des lieux “intouchables” (lieux saints de Nadjaf). La contre-attaque a lieu sur les zones désertées momentanément par les forces américaines (Baqoubah, Mossoul) et par des actions souvent médiatiques (attentats, occupation de locaux gouvernementaux). Toute structure hiérarchique est avant tout un système de gestion des informations. La transformation actuelle des flux d’informations par les nouvelles technologies et le souci d’une plus grande réactivité vont entraîner obligatoirement une nouvelle définition des structures 37. A partir de ce cordon, les forces frappent les éléments ennemis repérés. Les tirs indirects de munitions de précision sont guidés par des indicateurs irakiens, et, de plus en plus fréquemment, par l’intermédiaire de contrôleurs sur hélicoptères ou des désormais incontournables drones38. Ce feu du ciel sert alors de substitut à la classique “préparation d’artillerie”, pour amoindrir la résistance et faire pression sur les autorités locales. Ces frappes, souvent spectaculaires, peuvent cependant être contre-productives. Malgré l’em- La première phase de l’opération de reconquête est le siège de la ville, c’est-à-dire le contrôle des points d’entrée et la surveillance des abords. Grâce aux moyens techniques modernes (drones, hélicoptères, radars), les Américains emploient rarement plus d’une brigade35, renforcée d’éléments irakiens et d’unités d’appui, artillerie ou aéromobiles pour boucler une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants. US ARMY Les cercles de feu MARS 2005 23 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL ploi systématique de munitions de précision, elles touchent parfois la population civile et leur passage en boucle sur toutes les chaînes de télévision aux EtatsUnis peut donner une vision exagérée du niveau de violence de l’opération en cours. Il y eut ainsi un décalage énorme en avril entre la guerre réelle vécue sur le terrain par les Marines devant Falloujah, relativement peu meurtrière pour eux, et la guerre des médias. C’est pourtant cette dernière qui a incité l’administration à chercher une solution négociée (réf. 1). Dans le brouillard de la guerre, ce qui est cru est au moins aussi important que ce qui est vrai. L’opinion publique étant un acteur indirect mais important des décisions stratégiques voire opératives, ce qu’elle croit, à partir des informations proposées par les médias, peut influer “en cours d’action ” sur les opérations, en contradiction parfois avec ce que vivent les troupes sur le terrain. Les emballements et les distorsions médiatiques sont des paramètres opérationnels qu’il faut surveiller de près. Le siège aérien, tel qu’il a été pratiqué à Falloujah d’octobre à novembre, a eu pour but, outre l’affaiblissement de l’ennemi, de fournir aux médias américains des signes tangibles d’action et de frapper les esprits sur place pour les amener à négocier ou à fuir. Les bombardements étaient d’ailleurs accompagnés de largage de tracts et d’appels aux hautparleurs d’équipes PSYOPS. Les deux tiers de la population semblent ainsi avoir fui la ville, privant ainsi la guérilla de sa meilleure protection. Il y a d’ailleurs lieu de s’interroger sur l’ampleur de cette évacuation qui contredit quelque peu l’image de la main de fer de la guérilla sur la ville, à moins que les insurgés aient encouragé eux-mêmes le départ des civils pour faciliter le leur. Si la troisième dimension appartient à l’armée américaine, la quatrième, le temps, est plus partagée. Au niveau stratégique, les échéances électorales américaines de novembre imposent d’agir sans prendre de risque majeur et celles de janvier 2005 en Irak constituent un butoir incontournable pour la patience des Chiites, majoritaires et donc potentiellement bénéficiaires de ce vote. Au niveau opératif, les moyens américains sont insuffisants pour tenter une reprise simultanée de tous les bastions. Il faut donc agir par séquence en partant du plus facile (Latifiya, Samarra, etc.)- pour éviter le risque politique d’un échec et aguerrir les troupes irakiennesavant d’attaquer le plus difficile (Falloujah). Au niveau DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 24 MARS 2005 tactique, il faut arbitrer entre des opérations brèves mais violentes qui engendrent des souffrances filmées dans la population et des opérations longues qui donnent du crédit à la résistance. Les combats ont un rythme heurté, “disharmonique”, alternant raids et négociations. Le siège n’est qu’un préalable, il peut difficilement amener une décision en lui-même. A la fin du mois d’août, le blocus économique de Samarra (en tenant le pont d’entrée dans la cité) a certes amené les autorités locales à accepter la présence américaine dans la ville mais ces mêmes autorités ont été contestées par un nouveau pouvoir plus radical qui a rejeté ces accords. Les Marines ont donc dû pénétrer de force. Les colonnes de fer Après l’action autour de la ville, commence l’action dans la ville. Celle-ci a pour objectif la saisie de points clefs permettant le contrôle des centres politiques, l’entrave au mouvement de l’ennemi, et, dès que possible, le découpage de la ville en zones qu’il s’agira ensuite de classer ensuite en amies, ennemies et incertaines avant d’y appliquer le traitement correspondant. Pour y parvenir, l’US Army emploie, ce que certains officiers nomment des “colonnes infernale s”, en souvenir des méthodes du général Sherman durant la guerre de sécession. Ces phalanges interarmes très fortement blindées et appuyées (tirs directs et indirects préparés sur les itinéraires, hélicoptères et AC-130 Gunship en survol, avions en attente à 3 000 mètres d’altitude), sont projetées en raids rapides ou méthodiques (“deliberate”) à l’intérieur du tissu urbain. Il s’agit surtout d’un combat embarqué où, sur un axe de plusieurs centaines de mètres, la phalange repousse les miliciens et détruit leurs points d’appui (réf. 454). Les Marines à Falloujah, ont combiné l’emploi des colonnes blindées et l’engagement à pied (souvent par les toits) (réf.1). Cet emploi agressif des engins lourds (M1 Abrams, M2/M3 Bradley) utilise la supériorité des blindages face à un armement léger et ancien39. Il bénéficie aussi d’une topographie urbaine très plate avec des bâtiments ayant rarement plus de deux étages. Les possibilités d’attaque des blindés par le haut sont donc réduites, et, inversement, les armes de bord peuvent frapper presque partout. De ce fait, les pertes américaines sont relativement réduites. Le 2/7th Cavalry squadron (niveau groupement tactique) n’a eu aucun tué en deux semaines de durs combats à Nadjaf en août (réf.1). La Task Force Lancer engagée à Sadr City en avril et mai, a eu 52 blessés mais pas de mort au combat, alors que les pertes ennemies sont de plus de 700 tués (réf. 49). Cette capacité, associée au commandement numérisé, autorise donc des raids audacieux et des patrouilles agressives qui décou- Irak US ARMY Le sabre et le scalpel ragent l’adversaire et impressionnent la population. Les forces américaines peuvent ainsi mordre sur plusieurs kilomètres de profondeur dans un tissu urbain dense et défendu ou effectuer des opérations de bouclage sur des cibles précises. Le succès de ces phalanges lourdes a relancé le débat sur la transformation des forces terrestres. Par prudence, des divisions américaines resteront donc dotées du binôme lourd Abrams-Bradley pendant plusieurs décennies et il n’est pas question, au contraire, de réduire leur nombre en Irak (réf.1). Si ces raids de pénétration ressemblent à des coups de poing directs, la conception d’ensemble peut parfois être subtile. Pour Phantom Fury, les Marines ont reproduit la manœuvre d’Aix-la-Chapelle (octobre 1944). Ils ont d’abord attaqué l’est de Falloujah et se sont emparés de quelques points clefs puis ont basculé leur effort, par surprise, au nord de la ville. Il est intéressant de noter que parmi les points clefs attaqués durant la phase préliminaire se trouvent les deux principaux hôpitaux de la ville. Les Marines en ont détruit un par un raid aérien, quelques jours avant son inauguration (réf. 410) et se sont emparés du second, avec l’aide des meilleures troupes régulières irakiennes. Le but était de priver les insurgés de deux points d’appui, toujours délicats à attaquer en pleine bataille, sans le bénéfice de la surprise et alors que les salles sont remplies de blessés et de médias. En avril, lors de la première bataille, les médecins étaient pratiquement les seuls contacts avec le monde extérieur. Leur description quotidienne de la situation sanitaire a contribué à saper la détermination de l’opinion publique et de l’administration américaines. Plus cyniquement et dans la perspective d’un combat de longue durée, la saisie de ces hôpitaux prive aussi la rébellion des moyens de soigner correctement ses blessés. Cette pénétration initiale sur les principaux axes permet ensuite un découpage de la zone des combats de façon à identifier les “trois blocs” décrits par le général des Marines Krulak : les zones amies qu’il s’agit d’aider, les “ kill boxes ” où tous les coups sont permis, et les zones intermédiaires qui relèvent plutôt du concept français de maîtrise de la violence. Il ne s’agira donc pas de fouiller et de réduire chaque quartier (la ville de Falloujah en compte plus de 1000), mais d’agir de manière chirurgicale sur des cibles clairement identifiées. A Nadjaf et kufa, la Task Force Iron Dukes se concentrait sur les chefs mahdistes et les caches d’armes, tout en exerçant une pression permanente sur les miliciens. De manière dialectique, le combat rapproché et les feux de précision à longue distance représentent le yin et le yang du combat. L’existence de l’un nécessite celle de l’autre. Les effets les plus importants des tirs à distance sont obtenus sur des cibles groupées mais cette efficacité provoque la dispersion de l’ennemi. Cette dispersion dilue les forces de l’ennemi mais ces éléments camouflés au sein d’une grande ville très peuplée sont très difficiles à déceler et détruire. Il faut donc placer l’ennemi devant le dilemme de masser ses forces et risquer la destruction par des feux à distance ou au contraire de les disperser et risquer la destruction par le combat rapproché. Ce dernier n’est donc pas un recours par défaut mais un élément du spectre tactique d’autant plus essentiel qu’il offre seul des résultats décisifs40. Se pose donc de manière évidente le problème du renseignement dans un milieu complexe où l’ennemi recherche systématiquement le camouflage de la population et l’occupation des lieux protégés (lieux saints, écoles, hôpitaux). Trier le milicien rebelle du civil innocent, le canaliser vers des kill zones demande nécessairement une action militaire rapprochée, méthodique et précise. Celle-ci est bien sûr facilitée si la population civile est rare, d’où l’intérêt de la pousser à évacuer les lieux. Il faut noter en outre que le mélange de l’ennemi avec la population n’est jamais total, soit parce que celle-ci est hostile aux insurgés (comme à Nadjaf), soit parce qu’elle gêne les combattants. Ces derniers sont concentrés sur des points d’appui de taille variable. MARS 2005 25 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Une fois une cible localisée (leader, cache d’armes, point d’appui), une opération de bouclage et de fouille est lancée. Pendant ces attaques, la priorité est à la décision de conduite et donc au renseignement rapide. Trois capteurs connaissent un grand développement : les équipes cynophiles (pour les caches d’armes), les drones, car ils donnent une image en temps réel et enfin le chef de section/peloton. Le combat urbain, comme tout combat rapide, nécessite un commandement de l’avant. Le fer de lance est souvent un M1 Abrams de chef de peloton, de façon à bénéficier du blindage et d’une capacité de décision “éthique” (doit-on tirer ou pas ?) (réf. 451 et 454). Si la cible à frapper est dans une zone de tir libre, le volume de feu déployé peut être considérable. Obus d’artillerie, canons mitrailleurs de 25mm des Bradley et canons de 120mm des Abrams dotés de munitions polyvalentes, bombes guidées et missiles, AC130 Gunship tout est bon pour obtenir la destruction complète du lieu en touchant le moins possible l’environnement de l’objectif. Il s’agit de faire mal, de détruire les dépôts, les infrastructures, les laboratoires d’artificiers, mais surtout de faire du body count c’està-dire tuer le maximum d’ennemis (réf. 1). Si la zone cible est plus délicate à traiter (forte présence de la population, point sensible comme la Mosquée d’Ali à Nadjaf ), on combine alors un combat rapproché méthodique avec des appuis de grande précision mais suffisamment puissants pour percer des ouvrages bétonnés. Les obus de chars et les munitions air-sol guidées prennent alors le pas sur les projectiles de l’artillerie, qui n’offrent pas pour l’instant les mêmes garanties de précision. La sauvegarde de la population est désormais bien intégrée dans le comportement des troupes, quitte à accepter des risques supplémentaires. Les tireurs d’élite apparaissent comme essentiels. Ils permettent d’éliminer les tireurs RPG qui pourraient s’approcher des véhicules sans toucher à la population environnante, ni aux lieux saints. Un caporal revendique ainsi 24 coups au but à Falloujah (réf. 31). Par leur simple présence, ils contribuent aussi à gêner les évolutions des troupes légères. Ils constituent donc un atout supplémentaire pour les Américains, qui, eux, peuvent se déplacer sous la protection de blindages. Toutes les unités américaines augmentent donc le nombre de leurs tireurs d’élite. Même les unités de blindés lourds forment leurs propres cellules de snipers à partir de leurs meilleurs tireurs (réf. 451). Dans le même esprit, l’USMC accélère la mise en place de lunettes de tir ACOG (advanced combat optical gunsight, grossissement par 4) sur les fusils d’assaut. Outre qu’elle autorise une plus grande allonge, cette lunette per- DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 26 MARS 2005 met une plus grande discrimination des cibles, facteur essentiel dans ce contexte. Ces cellules sont placées dans les bâtiments nettoyés, en arrière et audessus des éléments d’assaut, parfois même sur des hélicoptères. A noter également l’emploi de drones armés, notamment à Nadjaf en juillet, pour détruire des mortiers portés sur camions (réf. 451). La réussite dans ce traitement à la fois puissant et précis, qui ne fait souffrir que sporadiquement la population civile, constitue une nouveauté qui a favorablement impressionné les autorités locales, notamment le clergé chiite dans le sud du pays, qui ont pu ainsi appuyer une démarche américaine que l’on craignait dévastatrice. Les insurgés, de leur côté, sont desservis par un matériel ancien et mal entretenu, et une pauvreté générale des savoir-faire tactiques. Beaucoup de jeunes Mahdistes faisaient ainsi confiance à Dieu pour guider leurs balles. En mai 2004, près de la ville d’Amara, 150 d’entre eux tendirent une embuscade à des soldats britanniques. Ceux-ci abattirent officiellement 16 miliciens (mais sans doute beaucoup plus) sans avoir eux-mêmes un seul mort (réf. 412). Les Marines à Falloujah furent surpris de voir des snipers utiliser des positions trop évidentes au sommet d’une mosquée et surtout ne pas bouger avant d’être détruits. L’un de ces snipers a néanmoins réussi, à lui seul, à stopper la progression de tout un bataillon américain. En revanche, les rebelles ne manquent pas d’ingéniosité technique, ni surtout de courage. Les tireurs RPG sont leur fer de lance. Pour avoir une chance de toucher un point vulnérable (comme le poste de tir missiles sur les Bradley), ils ont modifié la sécurité qui empêche la munition d’exploser à moins de 70 mètres et cherchent le tir à quelques dizaines de mètres des blindés, ce qui réduit fortement la durée de leurs carrières. Les snipers, avec fusils Dragunov, sont également très employés pour leur allonge et leur précision, qui leur permet de trouver des failles dans les blindages ou les gilets pare-balles. Le point fort des insurgés est l’utilisation du terrain, surtout si, comme à Falloujah, il a pu être organisé. Les insurgés s’appuient sur des points d’appui classiquement accolés à des sites protégés (lieux saints, écoles, etc.) et reliés par un réseau caché, souterrain ou à travers les murs. Pour faire face aux blindés, les engins explosifs sont massivement employés (653 pendant les trois premières semaines de combat à Falloujah) (réf. 11) et parfois aussi des véhicules-suicide. A Falloujah, les Marines ont retrouvé des méthodes proches de celles des Japonais pendant la guerre du Pacifique. Des hommes se sont ainsi terrés pendant des jours dans des recoins de bâtiments afin d’attendre le moment favorable pour frapper à coup sûr avant de se faire abattre. No worse enemy, no better friend Dans les zones classées comme amies, la posture est radicalement différente et relève des procédés de stabilisation. Les soldats participent à la conquête des “cœurs et des esprits ”, en distribuant, comme les hommes de la First Cav à Nadjaf, des repas emballés et étiquetés en arabe, préparés selon la tradition locale ou en soignant les civils dans des postes de secours mobiles. A long terme, des projets économiques sont amorcés en fonction du degré de coopération des autorités locales (réf. 1). A Nadjaf, un total de 1,9 million de dollars ont été versés pour 2600 habitants de Nadjaf, en signe de condoléances et réconciliation. A Sadr City, la trêve du 9 octobre 2004 n’a été acquise qu’avec la promesse d’une aide économique massive (500 millions de dollars). Ces actions humanitaires sont cependant contrebalancées par des actions similaires de la part de la résistance, qui ne manque pas de moyens financiers. Ces actions ne sont pas une fin en soi, elles participent directement aux opérations en cours en constituant le volet positif des négociations qui se déroulent simultanément aux combats entre les autorités locales, les combattants et le gouvernement. Ces actions et promesses présentent l’avantage de permettre aux autorités locales de sauver la face en donnant l’impression que l’on ne cède pas devant la force mais devant l’intérêt collectif. Elles offrent ainsi une alternative à une résistance désespérée. Le dernier stade est celui de la normalisation, au moins apparente. Le samedi 28 août 2004, cinq ministres du gouvernement irakien se rendent ainsi au Mausolée d’Ali à Nadjaf, pour marquer le retour symbolique de l’autorité et remercier l’imam Al Sistani. Durant cette phase, des actions complémentaires de désarmement ou de perquisitions peuvent être menées en liaison étroite avec les forces de sécurité irakienne qui, normalement, relèvent les Américains sur la zone conquise. Des coups d’épée dans l’eau ? Pour l’instant, l’efficacité tactique de la méthode est certaine. Le rapport des pertes est étonnamment favorable. Du 30 mars au 15 juin 2004, la Coalition rétablit l’ordre dans toutes les villes de la zone chiite (dont Koufa, Nadjaf et le quartier de Sadr City ) au prix de 29 morts (dont 23 Américains). Au même moment, la 1re Division de Marines, pendant la phase de bouclage de Falloujah, perd huit hommes en sept jours et revendique la mort de 300 adversaires (réf. 22). Au même endroit, en novembre, dans des combats beaucoup plus durs, la NOTES : même division a perdu 71 hommes (au 27 décembre) pour des pertes ennemies dépassant 1 300 tués. Les Américains ont la supériorité sur tous les points de contact. Pour l’instant, et c’est la grande nouveauté, ces succès sont aussi obtenus avec des dommages collatéraux “modérés”. Les images de civils tués ou blessés sont ainsi beaucoup moins présentes dans les médias que lors des frappes “Shock and Wave” de mars 2003. Ces opérations ont permis également de détruire de très nombreuses caches d’armes et ateliers, en particulier à Falloujah (dans 200 des 1000 quartiers de la ville) et ramené la résistance à l’émiettement et la clandestinité d’avant avril 2004. Les résultats stratégiques, avant les élections du 30 janvier, sont en revanche incertains. Les milices faiblement implantées à Ramadi, Samarra ou Tall Afar, près de la frontière syrienne, ont été balayées en quelques jours malgré une résistance souvent acharnée. L’Armée du Mahdi, qui n’était véritablement implantée que dans le quartier de Sadr City, a néanmoins tenu tête aux Américains pendant cinq mois et il a fallu trois compromis pour faire cesser les combats. Les pertes mahdistes ont été terribles mais elles ont ajouté du crédit à leur résistance. Moqtada al-Sadr n’est plus inquiété par une arrestation et le désarmement de ses miliciens reste très théorique. A Falloujah, la faiblesse de la résistance initiale, le petit nombre de terroristes étrangers éliminés, donnent à penser que la plupart des mouvements rebelles ont quitté la ville. A plus long terme, se pose le problème du contrôle du terrain. Manquant d’effectifs et de légitimité auprès de la population, les Américains sont obligés de “passer la main” aux forces irakiennes. Or ces dernières s’avèrent fragiles tactiquement et peu fiables politiquement. Il y a donc un risque de pourrissement de la situation dans les villes reconquises. La tentation est donc forte pour les résistants de “laisser passer l’orage” américain en attendant des jours meilleurs et de conserver une présence dans les esprits en poursuivant des attaques tous azimuts. A Falloujah même, des poches de résistance subsistent. La guérilla est-elle affaiblie, dispersée ou simplement dormante ? Va-t-on assister à une nouvelle mutation alors que commence la bataille des élections ? 37 La diffusion de la TSF dans les armées de 1914 à 1940 a ainsi entraîné une transformation des structures et des rôles. Cet exemple historique mérite 35 Le maximum est de quatre brigades américaines et une brigade irakienne, pour “Phantom fury” à Falloujah. 36 A noter le rôle de la cavalerie américaine, dont les structures préfigurent les futures Units of action, dans la mise au point et la diffusion des méthodes interarmes. d’être étudié. 38 Les drones sont désormais employés par tous les OCA. 39 Les roquettes RPG sont souvent de la première génération, perçant deux fois moins de blindage que les derniers modèles. 40 Sans, par ailleurs, engendrer des pertes particulièrement importantes. MARS 2005 27 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL US ARMY Irak Conclusion : les “ comptes des 1001 ennuis ” Quand on ne se sait pas en guerre, il est difficile de la gagner. L’histoire de l’adaptation des forces américaines à la situation en Irak est avant tout une histoire de l’évolution des perceptions avant d’être celle d’une adéquation des méthodes. La première vision de la guérilla fut celle d’un réseau plus ou moins organisé par l’ancien régime, associé à des mouvements terroristes. Ce diagnostic n’était sans doute pas très loin de la vérité. Le choix de détruire ce réseau en éliminant sa tête était apparemment logique. Le problème fut que cette décapitation fut peu chirurgicale et l’inadéquation de l’instrument militaire à la mission, malgré quelques succès, a fini par donner une assise populaire à la guérilla à l’automne 2003. et Moqtada al-Sadr est devenu intouchable sous peine de soulèvement. Les bastions rebelles ont été reconquis de force juste avant les élections de janvier mais le doute demeure sur l’attitude à adopter. Alors que la bataille des élections commence, certains officiers américains sur le front font connaître leurs doutes sur une résolution du problème par la seule extermination des rebelles. Pour eux, le bon centre de gravité aurait peut-être dû être la façon dont la population voyait les choses. Le diagnostic suivant considéra simplement que les “ terroristes ” étaient plus nombreux et beaucoup mieux organisés que prévu, justifiant ainsi a posteriori l’intervention en Irak. Face à cette menace, la seule voie possible était l’extermination complète. D’une part, il n’était pas question de négocier avec le “mal ” et d’autre part, dans la logique protestante, on naît “ bad guy ”, plutôt qu’on le devient. Leur nombre était donc fini et il suffisait de mettre suffisamment de moyens pour les éradiquer. Comme au Vietnam, le phénomène s’est ensuite auto-entretenu. Alors que le chiffre initialement estimé des bandits a été anéanti plusieurs fois, le chiffre des pertes américaines a augmenté insensiblement, passant d’une moyenne d’un mort par jour avant avril 2004 à deux, après cette date. Si on adopte ce point de vue, que de batailles perdues apparaissent. Le 29 avril 2003 à Falloujah, lorsque des manifestants se massent devant une école de filles occupée par les parachutistes de la 82e Airborne, ceux-ci voient surtout les portraits de Saddam Hussein brandis par la foule, puis les tireurs isolés qui profitent du masque de la population pour les harceler. Leur riposte meurtrière (13 morts dont six enfants, 45 blessés) a écarté la menace à court terme, mais celle-ci s’est au contraire accrue à long terme par le fossé qui s’est créé avec la population. On peut multiplier les exemples. En décembre 2003, Mohannad Ghazi Al Kaabi, maire de Sadr City, quartier de plus de deux millions de déshérités, est tué par des gardes américains qui lui refusent l’entrée de sa propre mairie. Cette mort laisse le champ libre à Moqtada al-Sadr. A peu près à la même époque, un membre de la tribu des Albueissa (50 000 individus) explique le ralliement à la guérilla de sa communauté : “ Lorsque les Américains sont attaqués, ils tirent partout. C’est inhumain et stupide de la part d’un pays qui parle toujours des droits de l’homme (réf. 32) ”. Parvenue à une nouvelle masse critique, la guérillavirus a connu une nouvelle mutation. Les cellules volatiles sont devenues des organisations structurées capables de s’emparer et de tenir des bastions urbains. Un nouveau front a surgi avec le coup de force mahdiste. Deux têtes sont alors apparues, susceptibles de fournir de nouveaux centres de gravité : le Jordanien Moussab al-Zarquaoui, présenté comme l’âme du terrorisme en Irak, et Moqtada al-Sadr, le leader populiste chiite. Ces deux têtes s’avèrent cependant difficiles à couper. Al-Zarquaoui est un fantôme (au sens propre pour beaucoup d’Irakiens) Une guerre pour la liberté et les droits de l’homme ne peut effectivement souffrir d’aucun écart, tant le divorce entre les idées et les faits apparaît alors comme flagrant et scandaleux. Chaque image de mauvais comportement, comme celle du Marine abattant un homme à terre le 13 novembre 2004 à Falloujah ou du soldat Lynndie England traînant un homme nu à Abou Graïb, est une défaite. Les Américains expérimentent ainsi très concrètement le concept de “caporal stratégique”. L’attitude d’une force en stabilisation, dans un environnement très médiatisé relève de la “qualité totale” ou du “ zéro défaut ” DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 28 MARS 2005 Irak Cette intelligence de situation étendue à tous suppose cependant une rupture dans les modes de pensée et de formation au sein des forces armées américaines. Les unités sur le front, au contact de la population ont entrepris cette transformation avec volontarisme. Cette révolution dans les affaires humaines, clef de la contre-insurrection, intéresse encore peu le haut commandement interarmées, plus tourné par les défis techniques grandioses. La génération qui a connu le Pacte de Varsovie est encore souvent réticente face à une évolution en rupture complète avec son passé militaire. Le dernier facteur est plus sournois et relève du goût prononcé pour les solutions technologiques. La division de Marines qui prônait l’imbrication avec la popu- lation et le “gant de velours ” à son arrivée sur le sol irakien est en train de mettre en place à Falloujah des “centres de traitement des citoyens” où tous les hommes de la ville vont subir un test ADN, un enregistrement vocal, un scan des pupilles et des empreintes digitales. Les banques de données obtenues sont reliées à celles du FBI et CIA. Ils porteront sur eux en permanence une carte d’identité spéciale et n’auront plus le droit d’utiliser de voitures personnelles, arme favorite des kamikazes (réf. 417). Cette ville modèle, qui ressemble, en plus high tech, aux projets de regroupement des populations en Algérie ou au programme Phoenix au Vietnam est en contradiction flagrante avec les valeurs de liberté individuelle des Américains (qui ne possèdent pas même de carte d’identité). Matérialisation d’un doute sur l’attitude à adopter sur le terrain, elle instillera probablement ce doute dans l’opinion publique américaine qui ne voyait certainement pas l’avenir de l’Irak de cette manière. US ARMY chers aux entreprises des années 1980. Or la qualité totale, ou discipline totale en termes militaires, ne s’approche véritablement que par la responsabilisation jusqu’aux plus petits échelons. ANNEXE 1 : LA BRIGADE LABORATOIRE En décembre 2003, la 3e brigade de la 2e DI, à peine arrivée sur le territoire irakien, était engagée dans l’opération Ivy Blizzard près de Samarra. Après une série de raids sur treize jours, 7 personnalités de la résistance sunnite avaient été arrêtées, 15 insurgés tués et 20 caches d’armes découvertes au prix d’un blessé léger et d’un véhicule endommagé. Cette opération marquait le baptême du feu d’une unité d’un nouveau type dans l’US Army : la Stryker Brigade Combat Team (SBCT) (réf. 34). Décidées en 1999, les brigades d’infanterie blindée sur véhicules à roues sont donc apparues dans l’ordre de bataille en moins de quatre ans. Cette rapidité constitue une performance d’autant plus remarquable que le concept avait été très contesté et que tout était à créer. Mais l’aspect le plus intéressant réside dans les similitudes entre ces brigades, qui devraient être au nombre de six en 200841, et les futures unités françaises numérisées sur VBCI. Chaque SBCT comprend également un bataillon de renseignement multicapteurs. Il est donc particulièrement intéressant de tirer parti de l’expérience au combat en Irak des brigades de ce type. La plate-forme Stryker Le Stryker est un dérivé du modèle canadien Piranha Mowag, qui avait déjà donné naissance au LAV III des Marines, qui a été acheté, sur étagère, comme plateforme de base. Il a été ensuite décliné en dix versions dont huit sont engagées en Irak (transport d’infanterie, reconnaissance, commandement, génie, mortiers, lance-grenades, antichar, évacuation sanitaire) et deux sont encore en cours de développement (NRBC et Mobile Gun System avec canon de 105 mm) (réf. 458). Le Stryker est un blindé 8 x 8 de 19 tonnes, doté d’un moteur de 350 chevaux qui lui permet d’atteindre 100 km/h sur route pour une autonomie proche de 500 kilomètres. La mobilité tout terrain, sans atteindre celle des engins à chenilles est excellente et la tenue de route est remarquable. Une autre caractéristique de l’engin est sa tourelle Protector qui combine le très ancien, dans son armement à base de 12,7 mm ou de 7,62 mm, et le plus moderne avec son imagerie thermique et son électronique de commandement. La vulnérabilité du chef d’engin en tourelle a DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 30 MARS 2005 été très vite constatée et atténuée par un système de plaques de blindage amovibles, couplées à des sacs à terre. Le coût unitaire du Stryker est de 2 millions de dollars. La mise en place du Stryker permet de mettre, pour la première fois dans l’histoire l’US Army, de l’infanterie légère sous blindage. Elle permet donc de combler, en partie, le fossé entre des divisions rapidement projetables, mais combattants à pied ou en véhicules non protégés et des divisions blindéesmécanisées lourdement blindées mais aussi longues à mettre en place. Les SBCT étant présentées comme des prototypes des unités de la “ Force future”, à la fois protégées et légères, les tenants de l’infanterie lourde n’ont pas manqué de les critiquer avec virulence. Les critiques portent sur les nombreux problèmes techniques rencontrés42, les dépassements de budget43 et le retard pris par la réalisation du Mobile Gun System, tant vanté. En matière de transport et d’autonomie logistique,44 le cahier des charges initial n’a pas été respecté. Censé être transportable par avion, ce véhicule à huit roues de 19 tonnes rentre à peine dans un avion de transport C. 130 et plus du tout avec son blindage en cage à poule. Les sceptiques soulignent également que la 3/2e DI n’a pas été déployée dans un des secteurs les plus difficiles, sous-entendant que l’US Army reconnaît par là que l’engin est mal conçu pour faire autre chose que des opérations de police (réf. 460). Mais la principale critique concerne la vulnérabilité supposée face aux munitions cinétiques (14,5 mm essentiellement) ou creuses (RPG), utilisées par toutes les guérillas du monde, sans parler des armées régulières. Deux programmes d’urgence ont permis d’y faire face, le premier ajoutant deux tonnes de blindage additionnel et le second encerclant le véhicule d’une “cage à poule” ou slat armor. Ces mesures se sont révélées efficaces puisque, de décembre 2003 à novembre 2004, les Stryker ont résisté à 56 attaques par explosifs improvisés (IED) et 24 attaques RPG sur 26. L’un d’entre eux a même “survécu ” à une charge de 250 kilos déclenchée à son passage. Le véhicule a pu regagner sa base et l’équipage n’a reçu que des blessures légères. Le général Schoomaker, nouveau chef d’état-major a donc pu déclarer récemment que “the most survivable vehicle in Iraq today is the Stryker ” (réf. 461). Les critiques se sont donc atténuées mais non tues. Irak La brigade la plus interarmes de l’US Army Le bataillon RSTA est bien équipé en moyens de feux avec 6 mortiers de 120 mm et 36 postes de tir Javelin (2500 m de portée), mais il est mal taillé pour faire de la reconnaissance de contact. De plus, dans le cadre des combats en Irak, face à un ennemi de faible puissance mais très volatil, le commandant de brigade est toujours tenté d’utiliser les unités du bataillon de cavalerie en intervention immédiate. Les possibilités de tirs indirects sont excellentes, grâce aux mortiers organiques, aux trois VOA et l’emploi des cartes digitalisées fournies en direct par les drones. En revanche, les possibilités de tirs directs sont limitées aux mitrailleuses de bord (douze 12,7mm par compagnie de reconnaissance) et aux lance-grenades MK19 (6 par compagnie). Beaucoup d’officiers prônent l’affectation d’au moins une compagnie de Mobile Gun System lorsque ceux-ci seront opérationnels (réf. 453). Une brigade SBCT déployée en Irak comprend environ 3 500 hommes et 2 000 véhicules dont 300 Stryker. Outre son état-major, la brigade comprend : - un bataillon de reconnaissance ; - trois bataillons d’infanterie ; - un bataillon d’artillerie (avec 12 obusiers M198 de 155 mm mais très largement employé en combat d’infanterie, ce qui implique un entraînement et un équipement particuliers) ; - un bataillon logistique ; - une compagnie du génie (avec 9 Engineer Squad Vehicles) ; - une compagnie antichar (avec 9 Stryker Tow IIB et 1 véhicule Fire Support Vehicle) ; - une compagnie de renseignement (Military intelligence, MI). La variété et la complémentarité des moyens (drones et radars compensent les insuffisances actuelles du système d’observation LRAS348 face aux terrains boisés et urbains) permettent d’acquérir une masse d’informations considérable, sans doute la plus élevée au monde pour une brigade de combat. Grace à la numérisation, le Tactical Operations Center, peut ensuite irriguer l’ensemble de la brigade. Cette abondance est censée compenser, par les capacités d’anticipation qu’elle apporte, la faiblesse de la protection du blindage par rapport à une unité sur Bradley. La Stryker Brigade 3-2 ID s’est vu adjoindre pour sa mission en Irak, un bataillon d’hélicoptères (OH-58 Kiowa et UH-60 Black Hawk), rapidement considéré comme un multiplicateur d’efficacité indispensable. Cette structure est donc organiquement très interarmes, ce qui est assez nouveau dans l’US Army et elle préfigure largement celle des futures Units of Action. Cette structure reste cependant très orientée dans l’acquisition d’objectifs classiques, en particulier les véhicules. Elle est donc largement stérile dans un contexte de guérilla urbaine pour avoir une vision claire de l’ennemi et de ses intentions. La reconnaissance de contact prédomine encore largement sur la reconnaissance électronique. Autre problème constaté, la coordination entre les sections de reconnaissance des bataillons d’infanterie et le bataillon RSTA, nécessite un certain temps pour se mettre en place. Les bataillons d’infanterie perdent ainsi souvent du temps en reconnaissant des axes ou des zones déjà reconnus par le bataillon RSTA (réf. 452). US ARMY Le premier élément intéressant est l’effort fait sur les moyens de renseignement. La brigade dispose d’un bataillon multicapteurs dit RSTA (Reconnaissance, Surveillance, Targeting and Acquisition). Ce bataillon comprend trois compagnies de reconnaissance avec, pour chacune, trois sections à quatre engins, un groupe de deux mortiers de 120 mm sur Stryker, un véhicule d’observation d’artillerie (Fire Support Variant, FSV) et un groupe de commandement. Il comprend également une compagnie d’acquisition avec une section drone (équipée de 4 Shadow 200), une section de radars (3 intercepteurs de signaux Prophet, 3 radars GSR45 et 3 REMBASS), et une section NRBC (réf. 452). En ajoutant la section de reconnaissance de chaque bataillon d’infanterie, on obtient un nombre d’éclaireurs triple de celui d’une brigade classique46. Est remarquable également, pour une unité américaine, l’effort fait sur le renseignement humain (HUMINT) avec une section dans la compagnie MI. Un spécialiste HUMINT est également normalement affecté dans chacune des 40 équipes de reconnaissance47 mais son emploi fait débat. Ce spécialiste est souvent pris dans le personnel du contre-renseignement et de ce fait, souvent peu préparé à un emploi en première ligne. Ces spécialistes sont donc souvent regroupés au sein d’un peloton HUMINT/Contre-renseignement, lui-même menacé par les projets de réduction du volume de la brigade (réf.1). Le deuxième effort, plus adapté à la situation contreinsurrectionnelle, concerne l’infanterie. La première caractéristique est son nombre puisque la SBCT peut mettre à terre 1300 hommes, parmi les mieux équipés (postes radio individuels, nouveaux casques et tenues, robots de combat en 2005, etc...) contre 790 seulement dans les brigades sur Bradley. Les compagnies d’infanterie sont à 170 hommes. Chaque Stryker des sections d’infanterie (3 par compagnie, à 4 véhicules) transporte 11 hommes contre 8 dans le Bradley. A terre, ces quelques hommes de différence permettent presque de doubler les possibilités d’action des groupes (réf.460). Ceux-ci sont appuyés par des moyens nombreux et proches. Il y a d’abord, pour l’ensemble de la brigade, neuf équipes de tireurs de précision et trois groupes de “tireurs lourds” (équipés du fusil XM107 en 12,7 mm), proportion inférieure aux unités françaises équivalentes, mais supérieure aux autres brigades de l’Army. Il y a surtout les 18 obusiers de la brigade et les 16 mortiers de chaque bataillon, de trois calibres différents (4 de 120 mm, 6 de 81mm et 6 de 60 mm). Ces mortiers apportent des tirs précis, variés49 et surtout rapides grâce à la numérisation, à la répartition organique aux différents échelons et le fait qu’ils soient montés sur véhicules. Dans un contexte de contre-guérilla où les combats sont rapprochés, le manque de portée n’est pas un handicap. A terme, chaque compagnie disposera organiquement d’une section de Mobile Gun System équipés d’un canon de 105 mm. Les officiers des SBCT soulignent aussi combien le rendement de chaque bataillon augmente lorsqu’il n’est pas employé isolément mais au sein d’une opération de brigade. Cette différence s’explique en grande partie par l’efficacité de la mise en œuvre des appuis et soutiens dans une grande unité numérisée. Le combat numérisé La coordination de tous moyens humains et matériels variés et intégrés est largement facilitée par l’Internet tactique constitué par l’association du Force XXI Battle Command Brigade and Below (FBCB2), du Blue Force Tracking (version du FBCB2 à positionnement par satellite) ou du Maneuver Control System. Chaque véhicule est doté d’une carte électronique et d’un clavier. La carte fournit la position des amis et, autant que possible des ennemis, ainsi que leur mission ou attitude. Dans le cadre des combats de contre-guérilla en Irak, les officiers subalternes retiennent de nombreux avantages (ref.1) : • Réduction drastique de la “friction”. Chacun connaissant sa position et celles des autres, les erreurs topographiques sont réduites ainsi que les tirs fratricides. Les feux indirects sont plus précis. Les liaisons sont pratiquement toujours assurées, sinon à la voix, au DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 32 MARS 2005 moins au clavier. De ce fait, les commandants d’unité peuvent aussi oser des manœuvres audacieuses en engageant, par exemple, leurs cellules tactiques dans les ruelles d’une grande ville sans craindre de les perdre. • Simplification de la logistique. La logistique s’effectue de manière électronique. On libère ainsi le réseau radio et tous les problèmes habituels, liés souvent à la topographie, sont largement réduits. • Accélération du commandement. La messagerie préenregistrée, la possibilité de transmettre directement et instantanément les ordres graphiques de l’échelon supérieur, puis d’y apporter des compléments, la liaison permanente, enfin, ont considérablement réduit les délais de conception et de diffusion des ordres. Il est désormais possible de commander à distance et de concevoir “en roulant” grâce en particulier au MBTCOM ou Mounted Battle Command on the Move. Il s’agit d’un PC standardisé de bataillon et de brigade qui synthétise en un seul ou deux véhicules la quasi totalité des réseaux interarmes et interarmées. Il permet de commander à l’avant en conservant un PC plus lourd à l’arrière qui travaille sur la manœuvre future et la logistique. La quantité d’informations reçue et sa précision réduisent également, sans l’éliminer, la part d’incertitude dans les ordres. Les chefs ressemblent de plus en plus à des joueurs d’échecs. • Facilitation de la coordination interarmes. Les moyens numériques permettent à une compagnie de couvrir un espace trois à quatre fois supérieur à celui d’une compagnie traditionnelle. Chaque échelon de commandement a accès à des informations qui sont réservés ailleurs au niveau supérieur. L’ensemble de la brigade elle-même dispose d’une “vision” claire sur une zone de 2500 kilomètres-carrés. Dans ce contexte, la coordination interarmes se trouve grandement facilitée. Il n’est pas rare pour un chef de section, en mission de reconnaissance par exemple, de combiner véhicules d’appui, groupes de combat d’infanterie, observateur d’artillerie et groupe du génie. Les moyens de désignation de la section d’appui (Fire Support Vehicle), permettent à chaque compagnie de recevoir des appuis par munitions guidées par laser de l’US Air force ou de l’artillerie. Il en découle une manœuvre souple et dynamique combinant les avantages de la numérisation, des qualités du véhicule (vitesse, silence, imagerie thermique) et d’une infanterie nombreuse, bien équipée et bien appuyée. Le mode d’action privilégié est donc le raid de bouclage de nuit. Les cas de capture sans ouvrir le feu sont ainsi beaucoup plus nombreux que dans les autres brigades. Grâce à la circulation des informations, les éléments réservés (Quick Reaction Forces) sont particulièrement efficaces car ils peuvent anticiper plus facilement les événements. Dans le slogan “see first, understand first, act first and finish decisively”, la SBCT excelle dans les deux premiers termes. Pour les deux derniers, le débat reste ouvert. Irak Avec la numérisation, ces tendances s’étendent à l’ensemble de l’espace de bataille. Des officiers, qui jusquelà étaient obligés de prendre des décisions, peuvent devenir hésitants car ils savent qu’ils sont observés et que leurs supérieurs disposent (en apparence) des mêmes informations qu’eux50. Inversement, de nombreux chefs ont tendance à faire du micro-management. On se retrouve donc face à la problématique rencontrée dans les années 1930-1940 avec la mise au point et la diffusion de matériels de transmissions souples, “légers” et à grande portée. Comme toute innovation, la numérisation interagit avec toutes les composantes de l’organisation militaire. Elle va donc impliquer d’autres changements, dans les structures sans doute, mais surtout, dans les esprits. Dans le cadre d’emploi de l’Irak, l’échelon bataillon tend à disparaître. L’état-major de la brigade, qui centralise les informations, a tendance à commander directement des sous-groupements très puissants. Ces derniers disposent des informations auparavant dévolues au bataillon. Ce dernier échelon apparaît donc souvent comme un relais superflu. Il faut noter enfin que dans un contexte de contre-guérilla, la richesse des moyens d’acquisition n’est pas forcément bien adaptée à un ennemi qui se fond dans la population. La Red Force est donc assez peu représentée sur les écrans. De plus, si l’initiative appartenait aux Américains contre l’armée régulière de Saddam Hussein, qui ne réagissait jamais en moins de 24 heures, ce n’est plus forcément le cas face à de petites cellules de guérilla autonomes. La facilité du commandement numérisé tend également à privilégier le combat embarqué sur la manœuvre à pied, d’autant que le FBCB2 portable est encore en cours d’expérimentation51. La tendance naturelle à gérer les feux plutôt que le terrain ou le milieu humain s’en trouve accentuée. Un autre problème constaté est l’oubli des modes dégradés comme l’emploi d’une carte papier (qui offre par ailleurs de meilleures possibilités d’analyse du terrain, du relief en particulier, que l’imagerie et les données GPS) (réf.1). Quant au “finish decisively”, les unités de Bradley associées aux chars Abrams ont montré leur redoutable efficacité dans les combat urbains les plus durs. Toutefois, comme chaque grande unité fait souvent face à plusieurs niveaux d’insécurité dans sa zone d’action, l’association des SBCTet des unités blindés-mécanisées apporte une grande souplesse. Il faut noter l’existence d’un processus d’évolution, propre aux SBCT, au sein du réseau général de retour et de partage d’expérience par internet ou par voie de presse spécialisée. Dans l’ordre de bataille américain, la brigade Stryker semble la mieux adaptée au contrôle de zone urbaine. Elle permet d’acquérir l’expérience de nouvelles tactiques de combat, de tester des concepts et matériels et enfin de former une nouvelle génération d’officiers capable de beaucoup plus d’initiative que celle des années précédentes, avec les limites évoquées plus haut. Elle apparaît ainsi comme le banc d’essai des Units of action en cours de création. US ARMY La “guerre réseau-centrée”, si elle autorise l’audace, peut aussi entraîner paradoxalement une plus grande centralisation. A l’échelon micro-tactique, on observe couramment un phénomène de “focalisation” sur l’environnement immédiat. Ce rétrécissement de conscience, chez la plupart des individus, joint à un intense besoin d’action induit un certain nombre de tendances de comportement : • le report de la décision à prendre à l’échelon supérieur ; • une grande discipline d’exécution ; • le tendance pour les chefs, pour satisfaire leur besoin d’action -mais sans avoir à prendre de décisions importantes (reportées à l’échelon supérieur)- à se substituer à des échelons inférieurs aux leurs (réf.1). 41 Dont une de Garde nationale. 42 Problème de blocages de la rampe arrière, manque de visibilité extérieure pour le groupe embarqué, centre de gravité surélevé à cause du blindage additionnel qui augmente les risques de basculement (cinq soldats tués dans un tonneau), destruction rapide des roues à la suite des éclatements de blindage, etc... 43 Le premier projet prévoyait l’achat de 2100 Stryker pour un budget 7,8 milliards de dollars. Les dernières estimations ayant été ramenées à 1800 véhicules, le budget a pourtant été revu à la hausse. 44 Une SBCT doit ainsi se ravitailler toutes les 48 heures au lieu des 72 prévues, mais cela reste très supérieur aux unités lourdes qui sont sur des cycles de 12-18 heures. 45 GSR : ground surveillance radar ; RMEBASS :remotely monitored battlefield surveillance systems. 46 C’est la raison pour laquelle la SBCT 3 qui devait être obtenue par transformation du 2nd Cavalry Regiment est en train de devenir finalement une SBCT comme les autres car on a estimé qu’elle avait des qualités en matière de reconnaissance-renseignement suffisantes. 47 Outre les deux hommes d’équipage, le Stryker de reconnaissance transporte une équipe de trois éclaireurs. 48 Long Range Advanced Scout Surveillance Systems. 49 Obus éclairants et fumigènes sont très employés à cause des nombreuses opérations de nuit ou des embuscades. 50 Qui plus est, ces informations peuvent être enregistrées et donc revues après l’action. 51 600 équipements à terre, extension du programme Land Warrior, équiperont deux divisions en Irak en 2005. MARS 2005 33 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL ANNEXE 2 : ETUDE DE QUEL QUES F ONC TIONS OPERATIONNELLES Renseignement Comme au Vietnam, l’armée américaine en Irak se heurte au problème du renseignement de contre-guérilla. Ce type de renseignement a pour objectif de déterminer la structure des mouvements de guérilla (composition, zones contrôlées, armement, méthodes, idéologie), de connaître le milieu humain dans lequel ils évoluent et enfin de déterminer des objectifs tactiques. Or l’armée américaine a beaucoup de mal à passer d’une structure du renseignement organisée pour le combat de haute intensité à quelque chose qui ressemble beaucoup plus à de l’investigation policière. L’origine du problème est, en partie, conjoncturelle. Les moyens de la Military Intelligence ont été sensiblement réduits dans les années 199052 et, en Irak même, une grande partie des moyens a été concentrée sur la recherche des armes de destruction massives. La présentation systématique de la guérilla comme composée uniquement de terroristes ou de nostalgiques de Saddam Hussein, n’a pas non plus facilité une appréciation correcte de la situation. Le principal frein est cependant culturel. La spécialisation des armes au sein de l’US Army fait que le soldat au contact ne se considère pas comme un capteur d’informations. Surtout, la communauté du renseignement a toujours affiché un goût prononcé pour le renseignement d’origine technique, au détriment du renseignement humain. Le personnel de la Military Intelligence est donc plus habitué à la gestion de flots d’informations électroniques issus de multiples capteurs techniques qu’au traitement d’indicateurs ou de prisonniers civils. Si le diagnostic a été fait assez rapidement, il s’est avéré, comme chaque fois que l’on touche aux perceptions ou aux habitudes solidement ancrées, difficile de modifier les comportements. Une première voie a consisté à s’inspirer des méthodes policières. Des équipes du FBI sont ainsi venues conseiller les forces en Irak (réf. 421) et surtout, le commandement des enquêtes criminelles de l’US Army53 (CID-Criminal Investigation Division) s’est pleinement impliqué dans la lutte contre la guérilla (réf.1). DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 34 MARS 2005 La première priorité est alors le recueil et l’analyse d’informations, pour l’essentiel d’origine humaine. La recherche de preuves et l’établissement de bases de données criminelles constituent désormais une mission primordiale des officiers de renseignement devenus détectives. Ils travaillent étroitement avec les forces spéciales, les juristes et les équipes de neutralisation d’engins explosifs pour le recueil d’information ou de preuves (par exemple, des empreintes sur les EEI) contre les différents réseaux ennemis sur les théâtres d’opérations. Ces bases de données spécialisées (plusieurs logiciels comme PATHFINDER ou Analyst’s Notebook, sont expérimentés) peuvent être connectées à celles d’autres services et traitées ensuite selon des méthodes éprouvées de la police : matrices d’association, analyse de réseau, analyse généalogique, analyse culturelle, grille d’événements, analyse de trafic, analyse financière, profiling, etc... De telles méthodes ont largement contribué à la capture de Saddam Hussein par la Task Force 12154. Ces informations doivent ensuite circuler dans tous les sens, en particulier, et c’est le plus difficile, vers le bas mais aussi vers les autres services et partenaires, y compris locaux. Ces méthodes peuvent, avec du personnel compétent, permettre de se passer de méthodes d’interrogation brutales (réf. 461). Les capteurs au contact ou à l’intérieur de la population se multiplient. La Military intelligence et les forces spéciales font largement appel à la délation rémunérée. Les abus, erreurs et désinformations, ont été nombreux au début55. Il n’était pas rare, par exemple, d’annoncer une réunion fictive de la guérilla dans une mosquée pour y provoquer un raid américain (souvent avec des chiens, animal impur) sous les yeux de fidèles innocents et, surtout, d’une équipe de journalistes. La fiabilité s’est améliorée avec la rétribution a posteriori des indicateurs et la meilleure connaissance de ces derniers (réf. 461). Il a fallu cependant résoudre auparavant un certain nombre de problèmes juridiques et administratifs. Le facteur d’efficacité le plus important fut cependant, à partir de fin 2003, la montée en puissance de la police irakienne dont la connaissance de la langue et du milieu s’est avéré un atout irremplaçable. Irak Le problème des langues est un problème critique en phase de stabilisation, non seulement pour le renseignement mais aussi pour toutes les opérations impliquant un contact avec la population (ACM, arrestations, opérations d’informations). Ce problème a manifestement été insuffisamment pris en compte par les forces américaines, qui n’ont procédé à un véritable “renforcement linguistique” que pour l’Iraq Survey Group à la recherche des armes de destruction massive56 et des personnalités de l’ancien régime. Beaucoup d’officiers se sont plaints amèrement de l’absence de recensement des arabophones parmi les forces et les réserves (réf. 47). Jusqu’à l’automne 2003, beaucoup de bataillons sur le terrain se sont contentés d’un seul interprète, ce qui a incontestablement constitué un frein à leur action. Le problème n’est pas seulement quantitatif. Un interprète est un point de jonction entre la force et la population. Il doit non seulement parfaitement connaître les deux langues mais aussi connaître ce qui est utile de savoir, ce qui suppose une formation ou au moins une information préalable. S’il s’agit d’un indigène, il inspirera sans doute plus de confiance à la population mais peut être l’objet de menaces (plusieurs dizaines ont été égorgés). Un interprète extérieur est au contraire plus fiable, mais inspire moins de confiance à la population locale. Il faut bien veiller également à l’étanchéité entre l’interprète et les organes de renseignement qui l’emploient (réf. 461). A l’automne 2003, le général John Custer, du bureau renseignement du Centcom admettait commencer “à réaliser la valeur et l’importance du renseignement humain en Irak” (réf. 421). Un effort semblait avoir été fait dans ce domaine depuis les opérations dans les Balkans. Un spécialiste HUMINT a été affecté dans chaque équipe de reconnaissance des brigades Stryker et, surtout, des cellules spécialisées destinées à coordonner les moyens HUMINT (*2X) ont été créées au sein de chaque étatmajor renseignement (S2 - G2 - J2) (réf. 1). Ces efforts se sont avérés cependant très insuffisants dans un contexte de contre-guérilla à l’échelle d’un pays entier et où le renseignement d’ambiance est primordial (réf .1). L’effort principal a consisté à diffuser une culture du renseignement dans les forces, jusqu’aux plus petites unités, selon le slogan “every soldier is a captor”. L’ US army intelligence center, a été désigné comme responsable du programme “ Unit support to HUMINT Collection”. Les réponses apportées ont consisté à l’élaboration d’une fiche et d’un manuel “de poche” pour le “Tactical Questionning”, à l’envoi d’équipes mobiles de formation (Mobile Training Teams - MTTs) dans les unités avant leur déploiement, à des modifications des manuels de doctrine. Toutes les missions quelles qu’elles soient (checkpoints, convois, patrouilles, etc.) doivent être considérées comme des sources de renseignements et faire l’objet de comptes-rendus précis et variés57. Le Tactical questionning est destiné à guider les unités au contact de la population pour l’interrogation initiale des prisonniers et les relations avec les civils (“renseignement conversationnel”). L’arme du renseignement précise bien qu’il ne s’agit pas de “gestion de sources” (indicateurs, documents, prisonniers), ce qui pourrait, selon elle, s’avérer dangereux (réf. 1). Cette politique, parallèle à l’effort de “cultural awareness ”, semble porter ses fruits et les mentalités se transforment lentement. NOTES : 52 Trois bataillons de renseignement de corps d’armée sur quatre ont été supprimés. 53 Cet organisme se concentre d’habitude sur les crimes et infractions du personnel de l’Armée de terre. Il est depuis octobre 2003 regroupé avec la police militaire sous un commandement unique. 54 A noter l’emploi de tableaux papier pour établir les matrices de liens alors que la 4e DI est la plus numérisée du monde. 55 Y compris au niveau le plus élevé, avec l’affaire Ahmed Chalabi. 56 Cet organisme comprenait 1400 membres. Ils ont été réaffectés à la contre-guérilla à partir de novembre 2003. US ARMY 57 Compte-rendu normal transmis au S2 ; analyse de fin de patrouille conduite par S2 ; compte-rendu immédiat d’information critique ; compte-rendu a posteriori ou de suivi. MARS 2005 35 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Contact L’art de la patrouille La patrouille est le procédé de base du contrôle de zone avec des effets multiples en matière de renseignement, communication ou de violence graduée. Dans les zones sous responsabilité américaine, le choix entre patrouille à pied ou en véhicule est souvent un choix entre contact avec la population et protection. Les patrouilles à pied sont nécessaires pour repérer les EEI, connaître sa zone, rassurer la population et favoriser les contacts avec elle, mais la posture américaine reste encore très rigide. L’unité de base est souvent la section de façon à avoir les pions nécessaires pour éclairer, appuyer l’élément de tête, assurer la sûreté arrière et être capable d’agir (distribuer des tracts par exemple). Les patrouilles en véhicules offrent moins de possibilités de contacts avec la population mais elles sont rapidement devenues la norme dans les zones les plus hostiles du triangle sunnite. La population étant considérée comme définitivement hostile, la sûreté à court terme est alors privilégiée. Le nombre de ces missions est tel que tous les types de véhicules sont sollicités et souvent mixés (Chars, VCI, Humvee). Abrams et Bradley sont presque indestructibles58 mais ne passent pas partout. Les Humvee apportent alors plus de souplesse. Ces patrouilles souvent “nerveuses ” sont, en général, mal ressenties par la population. Parfois, elles servent d’appât pour attirer un ennemi fugitif. A Sadr City, pendant les combats contre les Mahdistes, la First Cav envoyait ainsi des Bradley se poster de nuit au milieu d’un carrefour. Les équipages observaient les alentours à la caméra thermique et frappaient au canon mitrailleur tous les porteurs d’armes qui s’approchaient (réf.49). Avec le temps, les premières patrouilles du type “promenade dans tel secteur entre telle heure et telle heure” sont devenues des petites opérations très élaborées. Comme toute opération, la patrouille commence par un ordre simplifié mais complet, avec un but précis, un ordre de bataille et de marche, un itinéraire, un point de situation sur l’ennemi, des conduites à tenir, une organisation des transmissions et des actions après patrouille. • L’itinéraire, en particulier pour les patrouilles en véhicule, doit être parfaitement connu de tous pour éviter les dispersions et anticiper les points à abor- DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 36 MARS 2005 der avec précautions. Le terrain irakien est très coupé, avec des localités à rues étroites, de nombreux canaux et palmeraies. En partant du principe que la guérilla observe en permanence les forces, l’imprédictabilité des patrouilles devient un élément important de la “ force protection ”. La routine tue. • La connaissance des activités récentes de l’ennemi obtenue grâce au réseau Be-on-the-lookout (BOLO) permet d’être plus attentif à certains indices et à certains faits saillants. En février 2004, une patrouille de la 1 re DB, avertie de l’emploi de cadavres d’animaux pour cacher des engins explosifs, observe ainsi plus particulièrement un chien mort et découvre les coutures qui cachent un obus. • La discipline d’observation est essentielle. La patrouille doit surveiller en permanence et simultanément dans toutes les directions. Les zones dégagées, favorables à des tirs de harcèlement ou au déclenchement à distance d’engin explosif, font l’objet d’une attention particulière. Cette observation omnidirectionnelle est particulièrement importante à la tombée de la nuit, période la plus utilisée pour les tirs au RPG dont la lueur est très fugitive. La plupart des véhicules ont été réaménagés pour que les hommes soient dos à dos et puissent observer correctement. Dans une patrouille motorisée, les mitrailleurs de bord, dont la principale fonction est d’observer, sont les meilleurs capteurs. • Les conduites à tenir doivent être réactualisées en permanence car les méthodes ennemies évoluent très vite. Ils ne suffit pas de les connaître intellectuellement, elles doivent être répétées régulièrement, y compris sous forme de simulation. Ces procédures automatiques concernent surtout : - l’évacuation des blessés : toute section doit être capable d’assurer la survie de ses blessés sans se laisser accaparer par cette tâche. L’instruction au secourisme doit être particulièrement poussée. Chaque combattant doit non seulement savoir appliquer les gestes élémentaires de survie mais aussi évaluer le degré de priorité et de traitement à accorder aux blessés, placer un garrot et faire une demande d’évacuation. Chaque section doit disposer d’un infirmier capable de stopper une hémorragie, poser une perfusion, faire une injection de morphine. Il accompagne systématiquement les patrouilles. L’évacuation elle-même est une phase tactique délicate mais facilitée par la proximité du réseau des bases américaines. Irak - La réaction aux embuscades : il s’agit de prendre immédiatement à partie l’ennemi, sans toucher la population. Les soldats doivent donc être entraînés à débarquer sous le feu ou à tirer depuis un véhicule. Le schéma est le suivant : l’élément sous le feu riposte et tente de se dégager, un groupe prend en charge les blessés et le reste manœuvre pour encercler la zone d’origine des tirs. Si possible, des “anges gardiens ” en deuxième échelon (chars, véhicules avec mitrailleuses, tireurs d’élite, hélicoptères) appuient la patrouille et interviennent immédiatement par le feu. Dans tous les cas, une Quick Reaction Force intervient au bout de quelques minutes. • Normalement, les missions ne dépassent pas quelques heures mais certains événements, comme le bouclage d’une zone autour d’un EEI et l’attente d’une équipe EOD, peuvent impliquer des durées beaucoup plus importantes. Il faut donc avoir de quoi tenir 24 heures. • Les transmissions constituent un problème sensible, car tous les véhicules utilisés, en particulier beaucoup d’Humvee n’en sont pas équipés. Comme il n’y a pas assez de postes radio, il faut donc les transférer d’un véhicule à l’autre, ce qui accélère leur usure et oblige à redéfinir en permanence l’organisation des réseaux. La liaison doit être parfaite aussi entre les engins et les personnels à terre. La 1re DB a acquis pour cela des équipements à courte portée et des radio “mains libres ” de l’armée britannique avec 300 mètres de portée. Les mitrailleurs de bord les ont rapidement adoptés pour communiquer entre eux et avec les hommes à terre (réf. 422). rieur est mis en place. Ce dernier isole l’objectif sur trois cotés, laissant libre le quatrième pour l’assaut. Cette section est à pied et garde les véhicules de la force d’assaut ainsi que les moyens supplémentaires d’évacuation et de transport. L’étanchéité des cordons est largement renforcée par l’emploi d’hélicoptères (OH-58 principalement) en surveillance verticale. La force d’assaut est divisée en quatre équipes de 3-4 hommes : une d’entre elles assure l’appui face au point d’entrée, puis deux équipes se succèdent pour fouiller les pièces, la quatrième récupère les suspects et les objets. Cette force est dotée de matériels spécifiques (coupe-boulons, détecteur de métal, pioches, grenades, fusils de calibre 12, etc.). Elle peut être utilement renforcée de sapeurs pour l’aide à la pénétration et surtout de policiers irakiens (ou de forces spéciales) pour l’identification précise des individus interpellés. Le repli s’effectue en sens inverse de la mise en place : force d’assaut, cordon intérieur, cordon extérieur. Il peut être précédé, chez certaines unités, de la destruction de la maison du suspect, en représailles, ou au contraire d’un dédommagement financier en cas d’erreur (réf. 423). L’emploi de l’acier L’emploi des chars de bataille en opération de stabilisation a suscité de nombreux débats. Pour certains, des chars de 70 tonnes comme les M1 Abrams sont inutiles pour faire du contrôle de zone urbaine. Ils sont à la fois trop agressifs dans un contexte de “nation-building”, trop encombrants pour évoluer dans les réseaux étroits irakiens et trop vulnérables aux embuscades urbaines. C’est en grande partie la position britannique, qui, dans un secteur plutôt favorable, n’a maintenu qu’un escaUS ARMY Opérations de bouclage Le procédé offensif principal dans le cadre d’un “targeting humain” est le raid de bouclage, qui peut être de type cordon and knock, c’est-à-dire en pénétrant dans les propriétés avec l’autorisation de leurs habitants, ou de type cordon and search, où on ne demande rien à personne. Ces opérations de bouclage sont utilisées quelle que soit l’intensité des combats en cours, à partir du moment où il s’agit de frapper des objectifs très précis au sein d’un milieu urbain complexe. Ces opérations, qui ressemblent à des opérations de police, sont déclenchées sur renseignement en vue de capturer des insurgés ou découvrir une cache d’armes. L’unité de base est souvent une compagnie organisée en trois éléments : le cordon extérieur se met en place le premier. Il assure l’étanchéité du dispositif, d’abord des deux côtés, intérieur et extérieur, puis vis-à-vis de l’extérieur lorsque le cordon inté- MARS 2005 37 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL dron de chars Challenger. Ce camp des sceptiques est rejoint par de nombreux tankistes américains qui répugnent à faire autre chose que du char contre char, mode d’action le plus “noble” mais inexistant dans un contexte de guérilla. Beaucoup d’unités de chars ont donc été transformées en unités de marche d’infanterie ou mises sur Humvee. Celles qui ont conservé des Abrams se sont pourtant rapidement adaptées au nouveau contexte, y trouvant pleinement leur place, à condition de transformer leur culture (réf. 422). Les chars lourds offrent de nombreuses capacités : observation à grande distance, résistance face à presque toutes les armes antichars présentes sur le territoire, un armement précis tirant des munitions aux effets variés et une masse impressionnante. La mobilité est en revanche limitée par une topographie très cloisonnée avec des villes aux rues étroites, des canaux et des palmeraies. Les principaux emplois des chars lourds en Irak sont les suivants : • Poste d’observation à distance. Des chars peuvent ainsi être utilisés pour surveiller de nuit une zone favorable à la mise en place d’un EEI ou appuyer un déplacement de convois. • Barrage mobile. La présence d’un M1 Abrams de 70 tonnes calme souvent les ardeurs d’une foule en colère. Des enregistrements de bruit de chars en mouvement, diffusés par hauts-parleurs, sont même parfois utilisés pour effrayer (réf. 1). • Pièce d’artillerie de précision. Le contexte humain et urbain réduit fortement l’emploi des feux indirects, le canon de 120 mm peut donc s’avérer la seule arme lourde en appui des troupes au sol. C’est également une excellente arme contre les snipers, plus “chirurgicale ” que les mitrailleuses lourdes ou canons-mitrailleurs plus imprécis et dont les munitions perforent plusieurs pièces. • Elément de brèche. Le M1 Abrams s’avère également très utile pour créer des brèches dans les murs, par tir au canon ou abordage. Il facilite ainsi largement la navigation urbaine des fantassins. • Fer de lance. La survivabilité d’un Abrams, en particulier face à des tireurs RPG peu instruits et utilisant des munitions anciennes, est remarquable. Il est donc intéressant d’utiliser les chars lourds en tête des dispositifs, convois, patrouilles, sous-groupements en raids, comme “ brise-lames ”. • Elément réservé : les chars lourds entrent dans la composition de la plupart des Quick Reaction Force (QRF). DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 38 MARS 2005 • Poste d’observation et de protection des bases : les chars, interdits momentanément de déplacement, sont souvent affectés à ce rôle. Les blindés lourds se sont rapidement avérés très utiles dans toutes les configurations de la contreguérilla urbaine. Il a fallu cependant transformer les méthodes et les mentalités. Les chars, peu nombreux et soumis à de fortes contraintes de maintenance, doivent être employés avec efficience. Le pion d’emploi de base est donc la “section” de deux chars, voire le char isolé. Ces pions de base sont systématiquement intégrés dans des structures variables, comprenant des armes anti-personnel puissantes (mitrailleuses, mortiers), de l’infanterie et, de plus en plus, des tireurs d’élite. Dans une zone “dure”, le pion “char ” sert de fer de lance et le pion “ infanterie” appuie face aux tireurs RPG ; dans une zone “molle”, les fantassins fouillent et les chars appuient. Cet éclatement des structures traditionnelles impose une grande capacité d’initiative de la part des sousofficiers en particulier de l’adjoint de peloton. L’instruction sur place est permanente mais délicate à mener. Elle se fait souvent à partir de “ tactical vignettes”, de répétitions et de simulations. Les tankistes ont souvent aussi à connaître plusieurs rôles. Une unité de chars doit aussi être capable de passer en configuration légère, sur Humvee, et connaître les savoir-faire de base des fantassins. L’unité de chars doit donc avoir une dotation minimale en armement d’infanterie, qui lui servira aussi pour sa protection rapprochée (réf. 422). Les anges gardiens Comme les chars, l’ALAT est très souvent engagée, à petite échelle, mais dans un spectre très large de missions : surveillance des axes, des frontières et des zones désertiques, escorte de convois, intervention en cas d’embuscade au sol, transport de troupes pour les opérations de bouclage, EVASAN, appui feu (réf.1). Prenons l’exemple du bataillon de 18 AH-64 Apaches de la 4e DI déployée au nord de Bagdad. L’Apache a d’abord été utilisé pour ses moyens de détection en particulier par infrarouge et radar. De nuit, un Apache peut détecter un homme à pied à 1,5 km, un véhicule arrêté à 6 km et un mobile à 8 km. Toujours de nuit, un véhicule peut être pris à partie à 3,5 km. L’armement principal dans le contexte irakien est le canon de 30 mm (2 minutes de tir possibles à une portée pratique de 1000 m), puis les roquettes de 76 mm (dont des munitions éclairantes très efficaces). Irak US ARMY doivent disposer de schémas de manœuvre à grande échelle avec photos aériennes baptisées. Ils doivent participer à la répétition si celle-ci a lieu. Dans les grandes opérations, alors que le réseau tactique est saturé, il est nécessaire d’avoir une cellule au sol chargée de la coordination, en général un officier de contrôle aérien (réf. 418). Les missiles Hellfire peuvent être utilisés pour la destruction des véhicules ou, plus difficilement, le percement de murs de bâtiments. L’Apache est équipé de systèmes de positionnement moderne (Blue force tracking ou EPLRS59) qui permettent de bien l’intégrer dans une manœuvre interarmes. Le désignateur laser permet de guider une munition jusqu’à 10 km. Un hélicoptère peut servir de contrôleur aérien et guider des missions air-sol. Chaque hélicoptère du bataillon a été employé en moyenne 55 heures par mois, soit trois missions (à deux hélicoptères) de deux heures par compagnie et par jour. Les équipages ont donc effectué une mission par jour pendant plusieurs mois suivant un rythme d’alerte jour-soir-nuit à 30 minutes (redcon 3) ou 15 minutes (redcon 2). Le bataillon est maintenu groupé pour faciliter une maintenance exigeante mais le pion de base est la patrouille de deux hélicoptères, suffisante pour avoir la supériorité des feux sur n’importe quel point de contact. Comme un char, un hélicoptère d’attaque est dissuasif, puissant, peu discret (un Apache n’est inaudible en stationnement qu’au-delà de 4 km et jusqu’à 8 km en cas de vent) et n’a, de plus, aucune capacité de fouille de bâtiment ou de véhicule. Il peut donc être utilisé en surveillance et en guidage aérien de troupes au sol, mais seulement lorsque la recherche de la surprise n’est plus de mise (réf. 418). Les problèmes rencontrés sont des problèmes de coordination avec le sol et d’exploitation rationnelle de potentiels forcément limités. Il s’agit donc d’avoir un dialogue air-sol le plus efficace possible. Les termes de mission doivent être précis : attaquer, surveiller ou attaquer telle zone, tel point ou tel type de véhicule et non “assurer une patrouille de présence” ou “fournir des vues”. Les hélicoptères doivent être, en fonction des délais, intégrés et associés à la manœuvre au plus tôt avec une intention, un effet final recherché, et des mesures de coordination (lignes de restriction de tir en particulier). Ils La menace principale vient des armes légères d’infanterie, des RPG et plus rarement de missiles sol-air. Pour y faire face et après les lourdes pertes de novembre 2003, les engins sont employés presque systématiquement en vitesse de croisière (60 à 100 km/h) et non plus en stationnaire. Cela accroît leur survivabilité et leur autonomie sans vraiment diminuer leur efficacité. La relative faiblesse de la menace antiaérienne, l’étendue des zones opérationnelles ont incité à l’emploi de systèmes de commandement aéromobiles. La 4e DI a ainsi expérimenté l’Airborne command and control system (AC2S). Il s’agit d’un ensemble de systèmes de commandement (MCS, FCBC2, ASAS, AFATDS, AMDWS, CSSCS60) embarqué sur hélicoptère UH 60 Blackhawk et utilisable aussi à terre grâce à un kit débarquable. Il permet au commandant de division ou de brigade de commander depuis le ciel et donc de bénéficier d’un excellent réseau radio affranchi des contingences de la topographie, de la possibilité de suivi des opérations sur 40 000 km2 et d’une capacité de repositionnement rapide en cas de problèmes ou pour basculer d’une zone d’opération à l’autre. Les limitations concernent la menace qui, même réduite est réelle, et l’autonomie limitée des hélicoptères (carburant) et des équipages (fatigue). L’emploi de nuit et en phases critiques (traque de Saddam Hussein)a donc été privilégié, en sautant d’un point de poser favorable au commandement à un autre point haut (réf. 1). Volume de l’aviation légère de l’US Army en mars 2004 (réf.1) : AH-64 Apache 50 UH-60 Blackhawk 195 CH-47 Chinook 34 OH-58 Kiowa 147 MARS 2005 39 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Feux indirects Dans les opérations de reconquête de bastions urbains, l’artillerie retrouve un rôle assez classique, quoique fortement contraint par la topographie urbaine et l’imbrication des combattants des deux camps avec la population. En dehors de ces phases, la contribution majeure de l’artillerie a été l’aide à la protection des bases contre la menace du harcèlement au mortier. Deuxième mode d’action utilisé par les insurgés en nombre, après les EEI (engins explosifs improvisés), ces attaques sont réalisées de manière très ponctuelle mais fréquente par de petites équipes généralement équipées d’un seul tube et d’un camion bâché. Quelques obus sont lancés, de nuit et sans réglage, dans la direction de l’objectif avant de s’esquiver. Ces tirs ne sont évidemment pas très précis, mais les assaillants comptent sur le nombre et la chance pour réaliser quelques coups heureux. Surtout, ils prouvent qu’ils peuvent défier la puissance militaire des occupants et espérer les user psychologiquement. D’avril à septembre 2004, 3000 obus de mortiers sont ainsi lancés dans Bagdad, notamment sur la “zone verte” (réf. 419). Durant le mois d’août 2004, en pleine insurrection mahdiste, la base War Eagle de la division First Cav était attaquée tous les jours entre 20 et 22 heures par séries successives de trois ou quatre obus (avec un maximum de 55 obus dans une journée) (réf. 49). Pour lutter contre cette menace, l’artillerie est intégrée dans un système interarmes de contrebatterie. Certaines batteries, couplées directement en boucle courte aux radars de trajectographie Q-36 et Q-37, sont capables d’effectuer des tirs préparés en moins d’une minute. Ces radars, dont la dotation est doublée, voire triplée, sont les matériels les plus sollicités de l’artillerie. La contrebatterie, aussi précise soit-elle, présente cependant le risque de frapper la population civile et reste très aléatoire face à un adversaire mobile. Elle est parfois sciemment appliquée dans certaines divisions pour justement exercer une pression sur la population environnante jusqu’à ce que celle-ci, excédée, dénonce les tireurs de mortiers. L’artillerie de la base Victory South exécute ainsi 48 missions de contrebatterie en une seule nuit d’avril (réf. 420). Le plus souvent cependant, l’artillerie aide à la localisation de l’objectif, en liai- Pour le reste, l’artillerie assure des missions toutes armes. Beaucoup d’unités ont laissé leurs moyens lourds aux Etats-Unis ou au Koweit61 et opèrent avec les autres véhicules légers organiques dans leurs zones affectées pour des missions de contrôle de zone, de gardiennage de sites et de transport de munitions irakiennes vers des sites de regroupement. Certains bataillons ont été transformés en bataillons de marche d’infanterie. La caractéristique première des feux fournis pendant la phase de stabilisation, et quelle que soit la violence des opérations, reste la précision, rendue obligatoire par la présence systématique de la population au cœur des combats. Près de 80 % des munitions utilisées sont ainsi des munitions de précision. Le débat est alors relancé entre les partisans de feux sol-sol et ceux privilégiant le Close Air Support. Les frappes aériennes restent très efficaces pour supprimer des menaces ponctuelles difficilement atteignables avec certitude par les moyens sol-sol. Elles sont aussi très spectaculaires et donc aussi très médiatiques. Elles peuvent aussi apparaître disproportionnées avec certaines menaces. Interarmées par tradition et par structure, parce qu’il dispose également de moins de possibilités d’appui sol que l’US Army, le Corps des Marines privilégie la coopération air-sol. Le problème qui se pose est alors celui du réglage depuis le sol dans un contexte de combat violent. Les Marines comme l’Army manquent de contrôleurs aériens et s’engagent dans la mise en place d’ Universal Observers ayant des capacités pour gérer aussi bien les feux sol-sol que les feux air-sol et mer-sol (réf. 1). Les Marines, avec le concept de distributed operations étudient même la possibilité de décentraliser cette compétence jusqu’au niveau du chef de groupe d’infanterie. All Sources Analysis System (renseignement) ; AFATDS : Advanced Field NOTES : 58 Dans les avenues les plus larges, des Humvee peuvent être protégés en “sandwich” par deux Bradley. 59 Enhanced position locating and receiving system. 60 MCS : Maneuver Control System et FCBC2 (Force XXI Battle Command Brigade and Below + Blue force tracking) (commandement) ; ASAS : DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL son avec des drones ou des hélicoptères de reconnaissance OH-58-D. Le renseignement est donné ensuite à des hélicoptères d’attaque qui, s’ils ne peuvent, du fait des règles d’engagement, traiter euxmêmes l’objectif au canon de 30 mm, guident une QRF d’infanterie sur les lieux pour procéder à la fouille. Les 155 mm Paladin ou les mortiers peuvent alors fournir de l’éclairement pour aider cette mission. Parfois, des obus éclairants sont lancés a priori et en dissuasion au-dessus des zones suspectes. 40 MARS 2005 Artillery Tactical Data System (appui feux) ; AMDWAS : Air Missile Defense System Work Station (Défense antiaérienne) ; CSSCS : Combat Service Support Control System (logistique). 61 Des missiles ATACMS auraient cependant été tirés sur des objectifs dans le désert (réf. 1). Irak Agencement de l’espace terrestre Les EEI (engins explosifs improvisés) ou IED (improvised explosive devices ou roadside bombs), constituent le mode d’attaque privilégié de la guérilla à partir de l’automne 2003. Depuis cette époque, environ 15 000 de ces engins ont été utilisés provoquant un tiers des pertes de la Coalition. Cette menace était par ailleurs prévisible, car le savoir-faire de l’armée irakienne, éprouvé par les années de guerre de position contre les Iraniens ou les mouvements dissidents, était connu de même que l’abondance de la ressource matérielle. Les EEI utilisent des obus, roquettes et, plus rarement, des mines comme partie explosive. La ressource est pratiquement inépuisable, les forces de la Coalition ayant été dans l’incapacité de sécuriser tous les dépôts et lieux de stockage de munitions dans le pays62. Ces engins sont mis en œuvre à distance par commande électrique par fil ou par tout type de système comportant un émetteur et un récepteur (téléphones cellulaires, commandes d’ouverture de portes de garage à distance, télécommandes d’alarme de voiture, etc.). Les méthodes employées pour camoufler les EEI sont multiples et évolutives. Ils peuvent être cachés dans des tas d’ordures, poubelles, sacs à terre, bidons, voire carcasses d’animaux morts. Ils peuvent être incorporés aux rails de sécurité, attachés aux poteaux électriques et coulés dans le béton des rebords de trottoir. La seule limite est l’imagination. Les engins eux-mêmes peuvent être reliés entre eux (daisy chain), être combinés à d’autres objets (réservoirs de carburant pour renforcer l’effet thermique, tuyaux de plomberie rempli d’explosif ou de poudre noire (Pipe bombs), sacs de boulons, etc.) ou même être factices. L’emploi des EEI a évolué. Conçus au départ comme éléments d’arrêt au sein de dispositifs d’embuscade complets, ils sont devenus des systèmes à part entière employés tant pour harceler les convois que comme pour défendre des bastions urbains. C’est ce premier emploi qui nous intéresse ici. Pour répondre à ce défi, et en premier lieu à son déficit en équipement et en procédures contre ce genre d’attaque, plusieurs Task Force IED ont été formées par l’arme du génie, l’état-major de l’US Army ou le Pentagone pour collecter le renseignement en provenance du théâtre, coordonner la recherche technique et élaborer les procédures tactiques nécessaires (réf.1). Il s’agit d’abord de prévenir les attaques en les détectant. Les lieux favorables aux attaques (points de passage obligés, zones de ralentissement) ou à l’observation directe (points hauts) font l’objet d’une surveillance particulière, qui peut s’effectuer par des patrouilles de contrôle de zone, par des points d’observation de nuit pour surprendre les mises en place63 ou par des patrouilles d’éclairage des convois. US ARMY La menace des engins explosifs improvisés MARS 2005 41 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL Des unités spécialisées dans la détection ont été formées, comprenant une équipe EOD (explosive ordnance disposal) associée à des groupes de combat du génie et de la police militaire dans des véhicules particulièrement protégés. Les hélicoptères et surtout les drones tactiques sont également très sollicités pour ces missions d’éclairage. Dans les convois eux-mêmes, le véhicule de tête est avant tout un véhicule d’observation utilisant tous ses moyens (phares, jumelles, optiques) pour surveiller les abords des routes, les abris possibles pour “le déclencheur” et les civils suspects (téléphonant près d’un point de passage obligé par exemple). L’accumulation de tous ces procédés de surveillance permet de déjouer environ la moitié des attaques (réf.1). De plus en plus, les procédés d’ouverture de route font appel à de multiples procédés techniques, encore souvent à l’état de prototypes. Une patrouille d’éclairage peut ainsi comporter en tête un véhicule Alvis RG 3, protégé contre les mines et chargé de la détection visuelle lointaine et de la sûreté. Ce véhicule est suivi de deux systèmes IVMMD (Interim Vehicle Mounted Mine Detector), au milieu de l’itinéraire et sur ses côtés. Ces engins ont une capacité de détection et de destruction d’objets métalliques par téléopération. Le quatrième véhicule de la patrouille est ensuite un Buffalo HMPV 7 (Heavy Mine Protected Vehicle 7). Celui-ci, lui aussi protégé, peut commander à distance les véhicules de détection IVMMD et transporte un groupe de combat du génie et des EOD. Il est équipé d’un bras téléopéré qui peut déplacer l’engin suspect. Plusieurs systèmes de contre-mesures électroniques64, de détection infrarouge ou par radar large bande, ainsi que de neutralisation à distance par laser sont lancés. Deux prototypes du nouveau système de détection GSTAMIDS Block 0 (Ground Standoff Mine Detection System) ont été déployés en Irak à partir du mois de décembre 2003. Cet emploi précoce, très en amont du processus industriel, est typique du développement en “spirale” utilisé pour de nombreux matériels (les prototypes successifs sont testés en opération au plus tôt) destinés aux forces américaines. L’étape suivante concernera certainement l’emploi de senseurs, de brouilleurs, voire d’armes à partir de drones. Plusieurs technologies ont déjà été testées mais aucune n’est encore suffisamment performante pour être déployée (ref.1). Une fois un EEI détecté, un cordon de sécurité sur un rayon de 300 mètres est mis en place, en attendant les EOD, ce qui peut prendre des heures, car ces équipes sont peu nombreuses65. C’est une phase délicate, car ce dispositif statique peut servir de cible à une attaque, en particulier par sniper, et il faut gérer la circulation des véhicules civils et la population. Une voie technique très prometteuse concerne l’em- DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 42 MARS 2005 ploi de systèmes robotisés ou UGV (Unmanned Ground Vehicles) pour la détection et la neutralisation des engins explosifs. Environ 150 UGV sont déployés en Irak (Pack bot, Talm, Mini Andros, Matilda). Ils sont généralement équipés d’un ou plusieurs système(s) de transmission à distance (vidéo ou audio), d’un bras articulé avec système de préhension mécanique, et d’un “disrupteur ” (jet d’eau très haute pression, par exemple) pour la neutralisation des engins (réf. 1). Ces engins, au coût très inférieur à celui des drones66, sont entrés dans le paysage tactique. Les unités sur place ne vont pas tarder à élargir leur cadre d’emploi. L’USMC, leader dans ce domaine, utilise depuis août 2004, trois prototypes de “ Dragon Runner ” pour la reconnaissance tactique en milieu urbain, 200 mètres en avant des troupes (réf. 1). Tous les incidents sont traités suivant des méthodes de police scientifique, inspirées de celles employées par les forces britanniques en Irlande du Nord et injectées sur le réseau RETEX par plusieurs voies. L’une d’entre elles, en boucle immédiate, est le BeOn-the-Lock-Out (BOLO), ce réseau de renseignement qui indique tous les événements particuliers dans un secteur donné. L’autre est la base de données TMFDB (Theater MineField DataBase), intégrée au MCS (Maneuver Command System), qui collecte toutes les données et irrigue les différents groupes de réflexion. Les phalanges de la route La lutte contre la guérilla irakienne se déroule sur deux types de terrain : les villes et les 3 000 km d’itinéraires logistiques. Les 300 convois quotidiens dont beaucoup sont civils, représentent des cibles privilégiées pour les embuscades de toutes sortes (mobiles ou fixes ; avec panachage d’EEI, snipers, RPG ou mitrailleuses) (réf. 1). Garder ces axes logistiques, dont les deux principaux font la distance de Paris à Marseille, est donc une lutte permanente. Les convois les plus sensibles (munitions, carburant) sont escortés. C’est une mission normalement dévolue à la police militaire mais cette dernière est très sollicitée par ailleurs (police et prévôté, gardiennage des prisons, formation de la police irakienne, circulation routière) et n’a pas assez d’effectifs pour cela. Il est donc fait appel aux troupes de mêlée qui, par souci d’économie des forces, combinent de plus en plus escortes et patrouilles. Dans l’idéal, ces missions sont de véritables opérations interarmes. En tête du convoi, une section de M1 Abrams peut faire office de fer de lance très dissuasif. Des Bradley, Humvee ou Stryker sont répartis dans la colonne Irak et/ou mis en place sur des check points le long de l’itinéraire. Des hélicoptères OH-58 Kiowa Warrior, en alerte ou en l’air, assurent les reconnaissances préalables de points sensibles ou l’attaque des insurgés (le plus souvent lors de leur repli). Depuis des points hauts, des observateurs d’artillerie suivent la progression du convoi, prêts à déclencher des feux sur les zones de tirs préparés, hors agglomérations. Le chef de patrouille doit alors savoir combiner tous ces moyens sur le tronçon de route qui lui est affecté et coordonner son action avec celle du chef de convoi. Tout cela demande une planification précise. Le deuxième axe d’effort concerne la capacité d’autodéfense des convois. En premier lieu, les véhicules doivent être aussi protégés que possible. Les camions et Humvee sont progressivement dotés de blindages additionnels et renforcés de moyens de fortune (sacs de sable). Les engins blindés non utilisés par ailleurs, comme les véhicules de reconnaissance NBC Fox, sont systématiquement récupérés pour la protection du convoi (réf. 1). Le convoi doit être doté aussi du maximum de puissance de feu. Des camions blindés (“guns trucks ”) servent de plates-formes de tir (mitrailleuses, lancegrenades M-203, fusils d’assaut) en tête du convoi. Des mitrailleuses sur tourelleau sont placées tous les cinq ou six véhicules et à l’arrière du convoi. Celuici étant souvent attaqué par l’arrière, le dernier véhicule doit être capable de surveiller sur 360 degrés. Il est important aussi de disposer de lance-grenades M-203 pour frapper les assaillants, souvent cachés derrière des murs, des digues ou dans des fossés. Les convois doivent avoir au minimum cinq véhicules pour développer suffisamment de puissance de feu et être capable de conjuguer plusieurs actions (ripostes et secours aux blessés). La vitesse est maximale (la moyenne est passée de 60 à 100 km/h ) afin de constituer des cibles difficiles pour les tireurs RPG. Plusieurs véhicules sont équipés de MTS (Movement Tracking système) permettant d’avoir une position précise grâce au GPS (global positioning system) intégré. En cas d’attaque, les actions sont automatiques. Les hommes ont, au maximum, deux secondes pour identifier la menace et ouvrir le feu. Cela suppose au préalable une répartition omnidirectionnelle de l’observation, avec des secteurs et des consignes claires. Cela suppose également une grande discipline de comportement et de feu. Il ne faut pas, par exemple, se laisser détourner de son secteur par une attaque qui n’est peut-être qu’une diversion. Les hommes du convoi sont largement dotés en munitions et chargeurs déjà garnis. Le convoi doit être capable de s’organiser en points d’appui jusqu’à l’arrivée de renforts. Des plots de ravitaillement (munitions, eau, nourriture) sont prévus dans les bases le long de l’itinéraire. Pour entraîner les personnels des convois logistiques, l’US Army a mis en place plusieurs systèmes de simulation permettant de s’entraîner sans munition réelle et sans véhicule, à partir de maquettes. Les personnels, dotés d’armes individuelles virtuelles et en liaison radio, doivent réagir aux différents cas concrets qui apparaissent sur un écran. Ces systèmes sont conçus pour se déplacer sur les différentes bases aux Etats-Unis et en Irak. Par ailleurs, des exercices spécifiques ont été créés dans les centres d’entraînement nationaux et au camp de Udairi au Koweit. Enfin, pratiquement chaque convoi logistique fait l’objet d’une répétition avant son départ. NOTES : 62 L’effort de dépollution entrepris par le service du génie américain avec l’aide de contractants privés devrait se prolonger sur au moins deux années. 63 Celles-ci ont lieu de préférence avant l’aube. 64 700 de ces systèmes ont déjà été livrés. 65 L’arme du génie américaine manque de personnels qualifiés en mines-explosifs. Un programme de constitution d’“équipes de recherche” est lancé pour aider les équipes EOD, souvent limitées à deux par brigade. US ARMY 66 Environ 100 000 dollars. MARS 2005 43 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL ANNEXE 3 : C ARTES D’IRAK Zones de responsabilité des grandes unités au mois d’avril 2004 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL 44 MARS 2005 Irak Géographie ethnique de l’Irak MARS 2005 45 DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL ANNEXE 4 : SOURCES 1. Sources officielles militaires • (1) Sources militaires françaises. • (12) Sources militaires américaines. • (13) Sources militaires britanniques. • (36) Bruce Hoffman, Insurgency and Counterinsurgency in Iraq, RAND, National Security Research Division, www.rand.org. 4. Articles de presse 2. Autres sources institutionnelles et recherche spécialisée sur les questions de défense • (21) Bruce Hoffman, Insurgency and Counterinsurgency in Iraq, RAND, National Security Research Division, présenté par le lieutenant-colonel Duval, détachement de liaison Terre aux Etats-Unis. • (41) Army, novembre 2003, “Armor deliveries quicken fot Iraq-bound troops ”, Edward P. 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