La guerre après la guerre - CDEF

Transcription

La guerre après la guerre - CDEF
DOCTRINE
NUMÉRO SPÉCIAL
Revue d’études générales
LA GUERRE
APRÈS LA GUERRE
ENSEIGNEMENTS DE VINGT MOIS
D’OPÉRATIONS DE STABILISATION EN IRAK
(mai 2003 - décembre 2004)
sommaire
Avant-propos
p. 3
Introduction
p. 4
Repères chronologiques
p. 5
LA GUERRE APRES LA GUERRE
Le brouillard de la paix
L’ “heure dorée”
p. 6
Marteau et clous
p. 7
Directeur de la publication :
Général (2s) Jean-Marie Veyrat
Au sud, rien de nouveau
p. 9
Le fracas des âmes
p. 9
Rédacteur en chef :
Capitaine Stéphane Carmès
Tél. : 01 44 42 35 91
L’adaptation au son du canon
Maquette : Christine Villey
Tél. : 01 44 42 59 86
Création : amarena
Crédits photos :
US ARMY
(1ère & 4e de couverture)
Photogravure : Saint-Gilles (Paris)
Gestion du fichier des abonnés :
Nicolas Trioreau - Tél. : 01 44 42 48 93
Diffusion : bureau courrier du CDEF
Impression : Saint-Gilles (Paris)
Tirage : 2 000 exemplaires
Autant en emporte l’ “avant”
p. 13
Boots on the ground
p. 15
Le pouvoir au bout du fusil
p. 15
Une armée de sable ?
p. 16
Les opérations du cœur
p. 17
Vaincre et convaincre
p. 18
Octobre rouge
p. 19
Pendant ce temps aux Etats-Unis …
Révolution dans les affaires humaines
p. 20
Transformer les légions
p. 20
“Les faits ne rentrent pas dans le domaine de nos croyances”
p. 21
Les citadelles des assassins
p. 22
Poliorcétique à l’américaine
Les cercles de feu
p. 23
Les colonnes de fer
p. 24
Le sabre et le scalpel
p. 25
Dépôt légal : à parution
ISSN : 1293-2671 - Tous droits
de reproduction réservés.
No worse enemy, no better friend
p. 27
Des coups d’épée dans l’eau ?
p. 27
Revue trimestrielle
Conformément à la loi «informatique
et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978,
le fichier des abonnés à
DOCTRINE a fait l’objet d’une
déclaration auprès de la CNIL,
enregistrée sous le n° 732939.
Le droit d’accès et de rectification
s’effectue auprès du CDEF.
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces BP 53 - 00445 ARMEES.
Conclusion : les “comptes des 1001 ennuis”
p. 28
ANNEXE 1 : LA BRIGADE LABORATOIRE
p. 30
ANNEXE 2 : ETUDE DE QUELQUES FONCTIONS OPERATIONNELLES
Renseignement
p. 34
Fax : 01 44 42 52 17 ou 821 753 52 17
Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr
Mel : [email protected]
Contact
p. 36
L’art de la patrouille
p. 36
Opérations de bouclage
p. 37
L’emploi de l’acier
p. 37
Les anges gardiens
Feux indirects
p. 38
p. 40
Agencement de l’espace terrestre
La menace des engins explosifs improvisés
Les phalanges de la route
p. 41
p. 41
p. 42
ANNEXE 3 : CARTES D’IRAK
p. 44
ANNEXE 4 : SOURCES
p. 46
Avant-propos
C•D•E•F
C
ette étude du Centre de doctrine
d’emploi des forces constitue une
des premières analyses des opérations de stabilisation menées en Irak
depuis vingt mois. Elle fait suite aux deux
premières études consacrées au conflit
irakien, l’une sur la première phase de
Iraqi Freedom, l’autre sur l’évolution de la
guérilla irakienne et s’inscrit par ailleurs
dans le cadre des travaux en cours sur la
phase de stabilisation.
Bien que la France ne soit pas engagée sur
ce théâtre, ce travail s’imposait tant la dialectique défi-réponse entre nos alliés et un
adversaire asymétrique ingénieux y est
riche d’enseignements ; l’étude portant
sur la tactique employée tant par les
Marines, l’Army ou les coalisés le prouve.
Il s’avère en effet que si cette “ guerre
après la guerre ” comporte des éléments
évoquant les conflits de décolonisation,
elle présente aussi des caractères inédits
et redoutables qu’il est préférable d’étudier “ à froid ” avant, peut-être, d’y être
confronté à notre tour. Les forces françaises ont non seulement tout intérêt à
réétudier les savoir-faire anciens et parfois perdus de la contre-guérilla, mais ont
également l’opportunité de tirer profit des
enseignements de l’engagement de nos
alliés pour leurs propres opérations en
cours, opportunité qu’il serait malhabile
de manquer.
En ces temps incertains, il est nécessaire
en effet de concentrer les esprits sur l’inattendu. L’ennemi n’est plus un monolithe
mais une hydre aux multiples cerveaux et
en matière d’innovation tactique, le
“ faible ” et le “ fort ” ne sont pas forcément
ceux que l’on croit. Etre lent d’esprit, refuser l’imagination, c’est se condamner à
recevoir des coups, sans doute moins formidables que ceux qu’aurait pu nous porter l’ancien Pacte de Varsovie, mais combien plus probables ? S’il est difficile
d’adopter un système “ d’adaptation réactive ” pour faire évoluer nos matériels existants ou facilement accessibles, en raison
de contraintes organiques diverses, il
demeure essentiel d’être vigilant et réactif à ce qui ce passe lors des conflits
contemporains pour au minimum conserver une agilité intellectuelle maximale.
Adapter nos propres concepts et doctrines, en liaison avec l’interarmées,
améliorer ou acquérir de nouveaux
savoir-faire, toujours penser l’impensable et prévoir l’imprévisible, voilà bien
notre rôle et notre devoir de militaire au
profit du citoyen, que ce soit dans ou hors
de nos frontières.
A travers un travail rigoureux d’analyse,
puis de synthèse et de vérification, rendu
possible par le très grand nombre de
sources ouvertes sur le conflit irakien,
cette étude nous y aide assurément. A cet
égard, je souhaite souligner combien
Internet, les différents médias et la culture
ouverte des soldats américains permettent
le recueil des faits et l’émergence rapide
des enseignements de toute nature. Il y a
là, pour nous sans aucun doute, une grande perspective sous réserve d’éducation,
de formation et tout simplement d’intelligence de situation.
Le général de division Gérard BEZACIER,
commandant le Centre de doctrine
d’emploi des forces
MARS 2005
3
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Introduction
A
la fin de l’année 2004, près de 1 400 soldats
de la Coalition ont été tués et 13 000 autres
blessés depuis la fin officielle des combats
en Irak, proclamée le 1er mai 2003. Ces hommes
sont tombés, après “ la guerre ”, dans la
première lutte à grande échelle pratiquée
depuis plus de trente ans par des forces
occidentales contre une guérilla. On est donc
en présence d’un phénomène à la fois connu et
passablement oublié. Il s’agit aussi d’un type
de guerre qui heurte les valeurs traditionnelles
militaires occidentales, privilégiant l’affrontement
direct entre combattants. Ici, peu de batailles et
encore moins de bataille décisive. Le quotidien
peut y ressembler à celui du policier le matin,
de l’humanitaire l’après-midi et, enfin, du
guerrier le soir. Et encore, ce travail de guerrier
est-il souvent fait de missions ingrates de
quadrillage où le contact avec un ennemi fugitif
est presque toujours à l’initiative de ce dernier.
Rien de plus déplaisant donc pour un soldat,
rien de plus éloigné de la “ vraie guerre” et
autant de bonnes raisons de refuser de s’y
intéresser. En France, la contre-guérilla reste
depuis plus de quarante ans sous le couvercle
honteux de la guerre d’Algérie. Or, les modes
d’action des guérillas ont évolué et l’erreur
serait de croire qu’il n’y a rien de nouveau à
apprendre sur le sujet depuis les succès du
plan Challe. Les groupes d’insurgés irakiens
renouent certes avec des principes et des
procédés utilisés par les mouvements des
années 1950-1960 ou même avant. Ils
présentent aussi des aspects inédits, propres à
la fois à la culture locale et aux innovations
techniques du nouveau siècle, qu’il faut
examiner de près avant d’avoir à les affronter
un jour. Une autre erreur serait de croire, par un
orgueil mal placé que, forts de ses succès
passés, l’armée française serait capable de
faire mieux que ses alliés. Le conflit actuel en
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
4
MARS 2005
Irak mérite à de nombreux égards une active
attention malgré l’absence de capteurs
nationaux sur place. Les sources ouvertes,
qu’elles proviennent de la presse civile,
d’internet, d’une presse militaire américaine
très libre de ton et, surtout, des contacts
établis par le détachement de liaison terre aux
Etats-Unis, sont suffisamment abondantes
pour compenser largement cette absence. Il
convient toutefois d’appliquer une méthode
rigoureuse proche de celle de l’historien, faite
de recoupements et de confrontations aux
expertises diverses.
Ce document, réalisé par la Division recherche
et retour d’expérience (DREX) et en particulier
le chef de bataillon Michel GOYA, est
essentiellement consacré au processus
d’évolution tactique de l’Armée de terre
américaine, du Corps des Marines et,
secondairement, des alliés européens, face aux
défis des guérillas irakiennes.
Il est complété ensuite par des descriptions
plus détaillées de problèmes et modes d’action
qui peuvent présenter un intérêt particulier
pour nos forces. Il est complémentaire des
travaux déjà effectués par la DREX du CDEF sur
les enseignements de la phase 1 de l’opération
Iraqi Freedom, sur l’évolution de la guérilla
irakienne (Les armées du chaos) et des études
sur la stabilisation.
Dans la suite du texte, Coalition et Force
multinationale seront considérées comme
synonymes.
Irak
Repèr
es
chronologiques
2003
2004
• 1 er mai : fin des “ opérations de combat
• 1er février : attentats contre les sièges des par-
majeures ” annoncée par George Bush
depuis le porte-avions Abraham Lincoln.
• 6 mai : nomination de Paul Bremer comme
“envoyé présidentiel pour l’Irak ”.
• 22 mai : vote de la résolution 1483 de l'ONU
confiant “ temporairement ” les pouvoirs à
la coalition.
• 23 mai : démantèlement de l’armée et des
anciens services de sécurité irakiens.
• 16 juillet : le commandement américain
reconnaît devoir affronter une situation de
“guérilla”.
• 19 août : attentat suicide contre le siège de
l’ONU à Bagdad : 23 morts dont Sergio de
Mello, représentant de l’ONU en Irak.
• 29 août : attentat à la voiture piégée à la
mosquée de Nadjaf (82 morts, dont l’ayatollah Mohammad Baqer Hakim).
• 12 novembre : attentat à la voiture piégée
contre un poste de carabiniers italiens (19
morts italiens).
• 13 novembre : opération Iron hammer dans
le triangle sunnite.
• 13 décembre : capture de Saddam Hussein
près de Tikrit.
tis kurdes (plus de 100 morts).
• 2 mars :journée la plus meurtrière en Irak depuis
le début de la stabilisation. Plusieurs attentats
font 180 morts dont 112 à Kerbala.
• 31 mars : quatre civils américains sont tués et
mutilés à Falloujah.
• 4 avril-27 mai : premiers affrontements contre
l’Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr.
• 5-30 avril : siège de Falloujah par le Corps des
Marines.
• 28 avril :diffusion des premières photographies
montrant les sévices exercés par des soldats
américains à Abou Graïb.
• 28 juin : transfert de pouvoir au gouvernement
intérimaire irakien dirigé par Iyad Allaoui.
L’autorité provisoire de la coalition (CPA) est
dissoute.
• 5-26 août : reprise des combats contre l’Armée
du Mahdi.
• 8 septembre : le seuil symbolique des 1000
morts américains en Irak est franchi.
• 9-17 septembre :série de raids irako-américains
dans le triangle sunnite, à Bagdad et Tall Afar.
• 2-3 octobre :reprise de Samarra par les Marines.
• 7 novembre : état d’urgence décrété dans tout
le pays, sauf le Kurdistan, pour 60 jours.
• 8 novembre :début de l’opération Phantom Fury
contre Falloujah.
MARS 2005
5
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
LA
GUERRE
APRES LA GUERRE
Le brouillard de la paix
L’ “heure dorée”
e 1er mai 2003, sur le porte-avions Abraham
Lincoln, le président Bush annonce la fin des
combats. Deux jours auparavant, une manifestation à Falloujah s’est terminée par la mort de 13
civils irakiens dont 6 enfants. Pour les Américains, cet
accrochage et ceux qui perdurent dans ce qu’il sera
désormais convenu d’appeler le “triangle sunnite”
(Bagdad-Ramadi-Tikrit) ne peuvent donc être que les
derniers feux d’un réseau de quelques nostalgiques
du régime déchu. Rien d’autre à faire donc sinon capturer les derniers dignitaires du jeu de 55 cartes et
trouver les armes de destruction massives. Pour le
reste, il suffit d’attendre la relève par des troupes
sous mandat de l’ONU et/ou des forces de sécurité
irakiennes. Comme on n’aborde pas un conflit qui se
termine comme une nouvelle guerre, il n’y a guère
d’incitations à s’interroger et innover chez les
Américains. Comme, par ailleurs, la phase stabilisation de l’opération Iraqi Freedom a, de l’aveu même
de plusieurs généraux, été peu planifiée, c’est donc
en conduite permanente, et avec une armée structurée pour le combat classique, qu’est abordé le phénomène grandissant de la guérilla.
L
Pour beaucoup d’Américains1, les Irakiens attendaient
surtout des droits individuels. Une fois ceux-ci acquis,
ils ne tarderaient pas, à la manière des Minutemen2
ou des pionniers de l’Ouest, à prendre leur destin en
main et à assurer leur propre sécurité face à des
anciens baasistes et des terroristes étrangers, forcément honnis. En réalité, il semble surtout que les
Irakiens aspiraient d’abord à un minimum de sécurité physique et matérielle après des décennies de guerre, répression et embargo. Par tradition et habitude,
cette sécurité était attendue de l’Etat ou, à défaut, de
cette puissance militaire américaine qui les avaient
tant impressionnés. De ce décalage entre cette force déployée et cette incapacité à assurer la sécurité, visible dès les pillages du 10 avril à Bagdad3, est
née la rumeur selon laquelle cette attitude était volontaire afin de maintenir, pendant des années, l’emprise américaine sur le pays.
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
6
MARS 2005
En réalité, cette situation est surtout le résultat de
l’impréparation et d’une rivalité entre les services.
Après les atermoiements des premières semaines
d’occupation, le Département d’État remplace l’équipe du général Garner et crée une “ bulle administrative” dans la “zone verte” de Bagdad. Alors que les
prisons ont été vidées par Saddam Hussein avant
l’arrivée des Alliés, une des premières décisions de
l’administrateur Bremer est de supprimer d’un trait
de plume tous les organismes de sécurité existants.
De son côté, l’armée de la Coalition, sur qui retombe toute la charge de sécurité, ne peut contrôler les
milliers de dépôts d’armes laissés à l’abandon et
s’avère incapable de surveiller les frontières. Les initiatives de contact de l’armée américaine avec la
population avortent rapidement du fait du manque
d’interprètes (souvent un seul par bataillon), du
manque de fonds propres dans les unités pour concrétiser des projets immédiats, d’une spécialisation qui
fait que ce domaine semble réservé aux forces spéciales4 et d’une méconnaissance de la culture locale. La multiplication des attaques anti-américaines
à la fin du mois de mai marque alors la fermeture de
cette fenêtre d’opportunité de quelques semaines
pendant laquelle tout était possible, comme la “golden hour ” évoquée par les Britanniques à propos
des tout premiers soins médicaux après une blessure grave (réf. 41).
Comme pour les soins apportés à un blessé, le diagnostic initial et
les premiers gestes sont primordiaux pour la réussite de la mission.
Entre la phase de coercition et la phase de stabilisation, les forces
doivent être capables de changer très rapidement de posture afin de
pouvoir se rallier la population. Il faut pour cela, soit une grande
polyvalence des moyens et des hommes, soit la relève rapide des
forces. De la même façon, les états-majors doivent être capables de
planifier ces deux phases et notamment le passage de l’une à
l’autre, sinon il faut faire appel à deux états-majors différents mais
coordonnés 5.
Irak
US ARMY
Ces premières attaques, simples harcèlements à l’arme légère, sont le fait de petites cellules de quelques
combattants, souvent des criminels ou des désœuvrés, payés “ à l’acte” par un noyau de “ moubhabarak” (anciens membres des services de sécurité).
Ces cellules s’intègrent dans l’entrelacs des liens familiaux et tribaux qui soutenait le pouvoir de Saddam
Hussein au sommet de la pyramide féodale irakienne. Leur but n’est évidemment pas de vaincre l’armée
américaine mais de saper son moral et celui de l’opinion publique en lui causant des pertes. Il s’agit aussi d’acquérir du prestige auprès de la population locale sunnite, la plus défavorisée par le changement de
situation politique (réf. 23). Malgré la faible efficacité
de ces agressions, les Américains finissent par perdre,
chaque mois, entre 200 et 300 hommes, tués ou blessés. Il leur faut réagir.
Marteau et clous6
Le premier axe d’effort concerne la protection de la
force. Il est alors tentant de se replier sur de grandes
bases protégées, sortes de “ fort ” au milieu du territoire indien (c’est le surnom du triangle sunnite) et
de réduire le nombre de missions. Les unités s’installent dans des bases7 à la sortie des villes, à l’écart
de positions dangereuses, à l’abri des voitures piégées et, autant que possible, des tirs, mais la rareté
des forces de substitution (locales ou alliées), la
nécessité de protéger les nombreux convois logistiques et la reconstruction imposent une attitude
plus offensive. La “force protection” est alors conçue
comme un moyen de conserver sa liberté d’action.
Des programmes d’urgence sont lancés pour protéger ceux qui ne sont plus à “ l’arrière”, mais désormais au cœur des combats. Tous les véhicules non
protégés sont peu à peu renforcés par des kits de
blindage ou, en attendant, des moyens de fortune
mais l’ampleur de la tâche est telle qu’au mois de
juillet 2004, deux tiers seulement des Humvee ont
été blindés. Tous les hommes sont peu à peu équipés du très efficace gilet pare-balles Interceptor IBAS
(Individual Body Armor Systems) (réf. 41).
Pour ne pas être paralysante, la protection des
hommes doit être “ légère ” et mobile. Il vaut
mieux distribuer des armures que bâtir des châteaux forts. Le blindage autorise l’audace.
La Rapid Equipping Force (REF), structure créée en
2002 et destinée à fournir des réponses rapides à
des problèmes concrets rencontrés par les unités sur
le terrain, prend une extension inattendue. La moitié de
ses 45 personnels se déploie en “équipes de traque”
dans les unités tandis que l’autre moitié cherche des
solutions, adaptables en moins de 90 jours8. Pour mieux
identifier les problèmes concrets, la REF travaille en liaison étroite avec le CALL (Center for Army Lessons
Learned), qui synthétise tous les enseignements du
théâtre, et avec le TRADOC (Training and Doctrine
Command), qui s’efforce d’étendre à l’ensemble de
l’Army les solutions trouvées. La REF se concentre
désormais sur le renseignement urbain, la circulation des informations, les armes non létales, la précision des feux et les moyens d’un entraînement plus
réaliste. Cette première réponse technique, dans la
tradition américaine, est très efficace (réf. 424). La
réponse tactique est plus complexe (réf. 424).
La sécurité active passe par la mise en place d’un
système de quadrillage du terrain rayonnant à partir de bases solides. Les effectifs étant limités, ce
quadrillage est donc dynamique, à base de
patrouilles, check-points fixes ou mobiles, bouclages,
fouilles et forces d’intervention (Quick Reaction ForceQRF). Il s’agit de chercher le renseignement auprès
de la population et de profiter de toutes les occasions pour infliger des pertes aux agresseurs. La qualité des moyens de protection et la supériorité de
l’entraînement en combat urbain permettent aux soldats américains de servir d’appât aux “soldats fantômes ” qu’ils ont tant de mal à déceler. L’attitude
rigide de ces patrouilles, la mise en joue systématique des passants, les conversations sans ôter ses
lunettes noires, la barrière de la langue rendent cependant le volet “ immersion dans la population ” très
artificiel et les réactions aux accrochages, si elles
sont effectivement très efficaces contre les rebelles,
sont également très souvent tragiques pour la population environnante. Jeremy Hinzman, un Marine
déserteur réfugié au Canada, déclarait récemment :
“A Bagdad, au printemps 2003, par crainte d’un attentat suicide, tout véhicule qui ne s’arrêtait pas après
un simple signe de la main ou un tir d’avertissement
était mitraillé ”. Selon lui, son unité aurait ainsi tué
une trentaine de civils en deux jours (réf. 42).
MARS 2005
7
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Autre conséquence du manque d’effectifs, les 2000 km
de frontières avec la Syrie et l’Iran ne peuvent être surveillées efficacement alors que l’attitude de ces pays,
ou même de l’Arabie Saoudite, est très ambiguë. Il
semble cependant que les stocks d’armement soient
suffisamment importants à l’intérieur même de l’Irak
pour que la guérilla n’ait pas besoin de bases à l’étranger. Les flux de matériels et même d’hommes sont
donc assez limités, contrairement, sans doute, aux
flux d’argent.
La contre-guérilla est une forme de guerre
systémique10. C’est l’accumulation des succès
qui donne la victoire finale.
US ARMY
Parallèlement à ce dispositif de contrôle de zone qui
se met en place par tâtonnements, de grandes opérations sont lancées pour détruire au plus tôt ce que
l’on croit être le “centre de gravité ” adverse : son
réseau de commandement. La méconnaissance du
milieu et la faiblesse d’un système de renseignement
qui n’a pas encore fait sa mue contre-insurrectionnelle rendent ces opérations désastreuses. Il s’agit
souvent de grands bouclages de zones où, avec des
hauts-parleurs crachant du hard rock9, les soldats
pénètrent en force dans des maisons (un peu au
hasard, car il n’y a ni nom de rue ni numéro) et raflent
en masse les hommes (souvent au hasard aussi, car
ils se retrouvent difficilement dans les cinq noms des
vigueur dans les prisons des Etats-Unis. Ils fournissent ainsi une multitude de recrues à la résistance
sans pourtant mettre à jour le réseau de commandement adverse.
Celui-ci n’existe pas en fait aussi clairement que ne
l’imaginaient les Américains. Ceux-ci font plutôt face
à un maillage de pions locaux connectés d’abord par
des liens familiaux et/ou tribaux, puis, de plus en
plus, idéologiques. Ils sont rejoints peu à peu par
des djihadistes, étrangers puis par des mécontents
de toutes sortes. Cette guérilla sunnite présente donc
deux caractères assez nouveaux : elle ne dépend
pas, pour l’instant, d’une base extérieure, comme le
Nord-Vietnam pour les Viet-Congs ou la Tunisie pour le
FLN ; elle agit ensuite de manière très décentralisée
sans que l’on puisse déterminer une tête pensante
et un corpus idéologique. C’est une organisation de
type jeu de Gô, qui crée des cellules immobiles dont
la multiplication et la transformation finissent par
créer des situations étouffantes. Dans cette guerre,
Irakiens). Ils bafouent ainsi simultanément des traditions complexes d’hospitalité, l’honneur des
hommes en les humiliant devant leur famille et celui
des femmes en les fouillant, la sainteté de certains lieux
en y pénétrant en armes, sans se déchausser et avec
des chiens (animal impur), etc... Les hommes capturés
sont envoyés ensuite à la Military Intelligence qui est
chargée du tri et des interrogatoires. Débordés par
le nombre imprévu de suspects, les hommes du renseignement et du gardiennage, souvent réservistes,
appliquent alors maladroitement les méthodes en
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
8
MARS 2005
la manœuvre se fait plus dans le temps que dans
l’espace (réf. 23).
En août 2003, le général Sanchez commandant les forces
de la Coalition ordonne une pause dans les opérations
de bouclage qui apparaissent désormais comme de
grandes campagnes de recrutement pour la guérilla.
Celle-ci a atteint désormais un premier seuil critique,
celui de l’incrustation durable dans les esprits, avec l’aide des chaînes arabes diffusées par satellites ou le réseau
des mosquées. La population sunnite lui apporte de plus
en plus son soutien, au moins passivement.
Irak
Au sud, rien de nouveau
Dans les quatre provinces de la zone sud-est, sous le
contrôle des Britanniques, les choses se sont passées
différemment. En premier lieu parce que sa population, chiite, est favorable au changement. Elle a beaucoup souffert de la dictature de Saddam Hussein et,
largement majoritaire, elle a tout à gagner dans la mise
en place d’une démocratie représentative. La grande
majorité des Chiites, dans la tradition du courant quiétiste, est d’ailleurs assez peu politisée et s’intéresse
plutôt aux retombées économiques du retour des pèlerins dans les lieux saints. Les deux grands courants
politiques, populiste de Moqtada Al-Sadr et religieux
des partis Al-Dawa et ASRII (Assemblée suprême de
la révolution islamique d’Irak), dont les dirigeants
reviennent d’exil en Iran, ont donc assez peu d’assises.
Ils n’en constituent pas moins des milices (Armée du
Mahdi et milice Badr) et ils entreprennent la conquête des esprits (réf. 25).
L’approche des Britanniques, largement imitée par
les Alliés de la Division multinationale Centre, est
souple et réaliste. La phase de stabilisation a été
planifiée et une unité, la 19e Brigade mécanisée, a
été organisée et entraînée pour cela (éléments culturels, contrôle des foules, etc..). Cette unité a été
renforcée, au Royaume-Uni, en infanterie et en “civils
affairs ”. Inversement, un seul squadron de chars
Challenger a été conservé et la majeure partie de
l’artillerie a été transformée en infanterie légère. En
juin 2003, après la relève du corps expéditionnaire
de l’opération Telic 1, le contingent de Sa Majesté
est donc passé de 33 000 hommes à 10 000, dont
1500 réservistes (réf. 13).
Contrairement aux unités américaines qui restent sur
le territoire irakien entre 7 et 12 mois, parfois plus, les
Britanniques ont adopté un cycle de 6 mois. Ils estiment ainsi préserver les soldats de l’usure et introduire de la souplesse par des relèves fréquentes. La
relève Telic 3, en novembre 2003, a par exemple introduit une batterie drone Phoenix et une flotte de 200
Land Rover blindées. Le cas échéant, des bataillons
expérimentés peuvent revenir avec un très court préavis, comme les Black Watch lors de l’insurrection mahdiste d’avril-mai 2004 (réf. 13).
de base terminée ont été intégrés dans les battlegroups
britanniques. En novembre 2003, par exemple, le Queen’s
Royal Hussars, comprenait 340 Irakiens (deux compagnies) sur un effectif total d’un millier d’hommes (réf.13).
Une autre particularité de l’approche britannique, partagée par la plupart des autres Européens des deux divisions multinationales, est le souci de bonnes relations
avec la population. Les patrouilles s’effectuent en
béret, sans lunettes de soleil, les manières sont courtoises et les armes sont tournées vers le bas, ce qui
n’empêche pas les réactions immédiates en cas
d’agression suivant le slogan “smile, shot, smile”.
Les sections britanniques ont une double dotation
de véhicules, Land Rover pour les patrouilles courantes, Warrior ou Saxon pour les périodes de tension. A l’inverse de nombreuses unités américaines,
l’accessibilité, et donc la vulnérabilité apparente,
sont estimées procurer une sécurité indirecte supérieure grâce à une bonne image dans la population.
Karim al-Zayad, chef de la police de Sarawa, compare ainsi les méthodes des Hollandais et des
Américains : “Les Hollandais ont sérieusement essayé
de comprendre nos traditions. Nous ne les voyons
pas comme une force d’occupation, mais comme une
force amicale. Les Américains sont une force d’occupation. Je suis d’accord qu’ils ont aidé à chasser
le régime précédent, mais ils ne devraient pas bafouer
notre dignité (réf. 43)”. De leur côté, beaucoup d’officiers américains considèrent que les Européens,
qui occupent les secteurs les moins dangereux, sont
trop laxistes.
La guerre en Irak, pour paraphraser le général
Krulak (USMC) est une “ Three Blocks war ”. On
trouve simultanément, dans le même pays des
secteurs calmes où l’action est essentiellement
humanitaire, des secteurs de contre-guérilla et
des secteurs de combat urbain classique. Les
troupes américaines et irakiennes régulières doivent faire face aux trois possibilités, ce qui complique encore les adaptations.
Le fracas des âmes
Pour éviter l’image d’occupants et parce que la force a
été taillée a minima, la formation d’unités irakiennes a
constitué très tôt une priorité. La Military Police a assuré les fonctions de sécurité jusqu’à être remplacée à la
fin de 2003 par les nouvelles forces de police irakiennes.
Au même moment, deux bataillons complets sont arrivés en renfort pour former et encadrer les Iraqi Civil
Defense Corps (ICDC). Ces derniers, dès leur formation
Si les matériels s’usent environ cinq fois plus vite
qu’en temps de paix (ref.1), il semble que le moral
des hommes reste stable. Ceux-ci sont pourtant soumis à de fortes tensions. On compte environ 1400
tués et 13 000 blessés, dont 80% à la suite de combats. Avec un taux moyen de 1 puis de 2 morts par
jour, la situation n’est pas encore celle du Vietnam
MARS 2005
9
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
(20 morts quotidiens de 1975 à 1972 ), ni celle de
l’armée française en Algérie (9,6 morts par jour pendant 7 ans) (réf. 432) ou encore celle du taux de
meurtres aux Etats-Unis (60 par jour). Le contingent
en Irak représente cependant le quart de celui du
Vietnam et les progrès médicaux ou en matière de
protection ont été très importants depuis11. Le rapport du nombre de morts à celui des blessés au combat est de 1 pour 10 en Irak contre 1 pour 5 au
Vietnam. De plus, si on se concentre sur certaines
unités de mêlée, les choses apparaissent différemment. Il n’est pas rare en effet pour une compagnie
d’infanterie engagée dans un combat violent, de perdre
trente à quarante hommes en quelques semaines de
combat.
Les pertes ne constituent cependant qu’un aspect.
Les soldats sont soumis à de multiples facteurs de
stress. Le milieu urbain, théâtre de presque tous les
combats, est étouffant et, par son caractère en trois
dimensions, offre de multiples origines possibles de
danger. Ces sources de danger, que l’on ne peut toutes
surveiller, sont donc autant de sources de stress (effet
“épée de Damoclès”). Les menaces sont souvent invisibles (snipers, engins explosifs, obus de mortiers,
embuscades) et l’ennemi frappe presque toujours par
surprise. Les grandes opérations offensives peuvent
être très longues (plusieurs semaines d’affilée) et surtout continues, de jour comme de nuit. Elles comprennent également des variations de posture très
brutales suivant les lieux et les moments. Une même
section peut effectuer dans la même journée plusieurs
missions radicalement différentes, fouillant un quartier le matin, distribuant de l’aide humanitaire l’aprèsmidi et effectuant une patrouille offensive la nuit. Les
délais contraints empêchent d’ailleurs de comprendre
le pourquoi de chacune de ces missions. L’attitude de
la population elle-même, qui apparaît souvent ingrate ou pratiquant un double-jeu, peut induire également une grande frustration pour une troupe qui se
sent comme un “corps étranger”.
Cette ambiance de qui-vive permanent pendant des
séjours qui peuvent durer plus d’un an est donc particulièrement usante. Le moral des unités reste cependant bon, au moins dans les unités d’active de mêlée,
pourtant les plus frappées, car les cercles de confiance qui entourent le soldat sont solides : confiance
personnelle dans son entraînement et son équipement, cohésion des groupes primaires ; esprit de
corps ; motivation de la lutte contre le terrorisme et
soutien du peuple américain. Cette confiance est
confortée par une supériorité systématique dans
tous les accrochages. Selon un sondage paru début
janvier 2005 dans le mensuel Army Times, 83 % des
militaires de l’US Army croient à la victoire en Irak
(réf. 462).
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
10
MARS 2005
(réf. 43)
Les choses sont donc, du point de vue psychologique,
très différentes de la guerre du Vietnam, le conflit
américain le plus ressemblant à ce qui se passe en
Irak. A cette époque, les soldats, pour la plupart appelés, étaient affectés individuellement dans des unités où ils ne connaissaient personne. Beaucoup de
lieutenants étaient des officiers de réserve n’effectuant que six mois sur place. La plupart des unités
ne cultivaient pas un esprit de corps très fort et l’opinion publique était pour le moins divisée. De plus,
les Viet-Congs étaient redoutés dans les combats en
forêt. Le moral n’avait donc pas tardé à s’effriter.
En Irak, les premiers craquements sont venus, dès
l’été 2003, des unités de soutien, à fort recrutement
de réservistes, surprises par la violence imprévue
des attaques, la durée de la mission et les conditions
matérielles dans lesquelles elles s’effectuaient. Dans
les unités d’active, si les sondages de satisfaction et
les taux de réengagement restent élevés, l’usure se
fait sentir par des troubles psychologiques qui frappent environ un soldat sur six au retour d’Irak, au
moins dans les unités les plus exposées, comme la
82e Airborne (qui a participé à l’offensive initiale, puis
à la stabilisation du triangle sunnite jusqu’au printemps 2004). Le stress se manifeste, entre autres,
par des troubles du sommeil et une anxiété extrême
à la vue de ce qui rappelle un danger, comme par
exemple un sac évoquant un engin explosif camouflé (réf.1).
Irak
Sur place, des équipes de soutien psychologique
(CST, Combat stress team) ont été formées pour traiter au plus tôt les symptômes de stress de combat,
avant que ceux-ci ne débouchent sur des troubles
plus profonds. Leur nombre est limité mais l’expérience semble porter ses fruits. Initialement, elles
opéraient à l’issue immédiat des combats afin de
permettre aux hommes d’évacuer le stress en les
obligeant à le verbaliser et en les aidant à comprendre
ce qui s’est passé. Leur rôle s’est ensuite élargi, en
même temps que la durée des combats. Il ne s’est
plus agi alors d’évacuer seulement le passé, mais
aussi de se préparer à la nuit prochaine (réf. 49). Les
CST ont rapidement été associées et colocalisées
avec les aumôniers et les médecins pour une action
commune de prévention par des visites régulières
dans les unités. Une CST a ainsi fonctionné en permanence à proximité de Falloujah pendant les combats de novembre 2004. Elle a reçu un premier flot
de soldats, surtout des jeunes, pendant les combats
mêmes. Elle reçoit maintenant des combattants plus
anciens qui ressentent des effets à plus long terme
pour les avoir refoulés sur le moment12.
Il existe aussi un stress des états-majors issu de plusieurs frustrations. La première provient du décalage
entre la connaissance qu’un événement se déroule et
la quantité d’informations dont on dispose sur cet événement. Une menace que l’on ne “voit” pas mais que
l’on sent génère l’angoisse. Il y a ensuite, dans un
contexte de contre-guérilla, un sentiment de dépossession au profit des cadres de contact. La plupart des
engagements ou même des problèmes à résoudre ne
dépassent pas, en effet, le stade de la section mais
nécessitent des réactions immédiates. La tentation
est forte, pour calmer ce stress, de harceler le niveau
subalterne de demandes de comptes-rendus.
A ce niveau, le stress provient de la décision à prendre.
Pour s’en débarrasser la méthode la plus simple est
de se tourner vers le supérieur le plus proche. Avec
les moyens modernes de communication et de renseignement (comme les drones avec caméra gyrostabilisée), l’angoisse de l’inaction du “haut” et l’angoisse de la décision du “bas ”, font que la décision
finale a tendance à remonter la chaîne hiérarchique.
Il n’est donc pas rare, en Irak, que des généraux prennent des décisions de capitaines (réf. 1)
Un autre phénomène intéressant à noter concerne
les soldats polonais. Plus de 5000 d’entre eux ont
été ou sont actuellement engagés en Irak, au sein
de la Division multinationale Centre dont ils assurent le commandement. Le secteur est plus calme que
dans le triangle sunnite et le taux de pertes (16 morts
au total à ce jour) est très inférieur à celui des
Américains. Un journal polonais a pourtant indiqué
un profond malaise dans ce contingent, malaise
concrétisé par plus de 200 victimes de stress avancé, dont 27 ont été rapatriés d’urgence dans des unités psychiatriques en Pologne. Sont mis en cause la
légèreté de la formation de ces hommes, pourtant
volontaires et professionnels, ainsi que le décalage
entre la mission de maintien de la paix prévue au
départ et l’ambiance chaotique vécue sur place. Il
faut y ajouter le manque de cohésion des unités formées pour la circonstance, la faible sélection des
volontaires, l’absence de soutien populaire à cette
mission et la redécouverte de la guerre pour une
armée qui a connu longtemps l’existence morne des
garnisons du Pacte de Varsovie (réf. 416).
US ARMY
Le suivi psychologique des hommes
avant, pendant et après l’opération est
indispensable mais demande des
personnels qualifiés. Il doit donc être
précédé et complété par l’action des
cadres de contact, à condition que ceux-ci
aient reçu une formation adéquate13. Le
plus important est cependant de réunir les
conditions d’un véritable esprit de corps.
Le turn over permanent dans des unités de
combat en sous-effectif chronique, le
manque d’entraînement réaliste, l’emploi
d’unités de marche agissant hors de leur
domaine de compétence sont autant de
facteurs fragilisants lorsqu’il faut engager
un combat soudain, complexe et très
violent.
MARS 2005
11
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
L’évolution du moral des insurgés est bien sûr beaucoup plus difficile à analyser. Les motivations sont
diverses. Elles peuvent être pécuniaires (paiement
à l’acte), ce qui ne conduit pas forcément à un grand
courage. Elles peuvent aussi être beaucoup plus
fortes, fanatisme religieux, nationalisme ardent, esprit
de vengeance, désespoir, et soutenues par des liens
familiaux ou claniques ainsi que la connaissance du
milieu. On aboutit ainsi, de plus en plus, à des comportements très agressifs voire suicidaires (voitures
piégées, assauts sans espoir d’adolescents mahdistes).
Le moral se nourrit aussi de victoires14, or celles-ci
sont, dans l’absolu, difficiles à obtenir sur des
Américains ou des Européens bien équipés et entraînés. On assiste donc aussi à un phénomène de transformation des valeurs. La disproportion des forces
justifie l’utilisation guerrière de lieux saints, d’écoles
ou même de la population civile. La notion même de
victoire change. Tenir tête aux américains sans mourir devient ainsi une petite victoire. Tenir tête aux
Marines à Falloujah en avril 2004 et assister à leur
repli devient une immense succès qui dépasse les
frontières de l’Irak, puisqu’il s’agit de la première victoire arabe sur l’armée américaine15.
La notion de victoire est relative. Dans un contexte de faible au fort, un succès modeste pour le premier a autant d’importance qu’une grande victoire pour le second. Il ne faut donc rien “ lâcher ” à
une guérilla.
Notes :
9 Raid du 3è Armored Cavalry Regiment décrit par l’Asia Times.
1 Confortés dans cette opinion par le retournement de communication
10 Comme, par exemple, la bataille de l’Atlantique ou la campagne de
officielle qui est passée de la menace d’armes de destruction massive
bombardement sur l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.
à la nécessité de libérer le peuple irakien d’un tyran.
11 Le ratio morts/blessés est le plus bas jamais enregistré. Des équipes
2 Les Minutemen étaient, pendant la guerre d’indépendance
américaine, les hommes capables de se transformer en soldat en
chirurgicales mobiles sont capables d’établir un hôpital de campagne
en 60 minutes.
moins d’une minute pour défendre leur foyer, leur État ou leurs
valeurs face aux Indiens ou à la tyrannie. Ces civils possédaient donc
12 Détail intéressant, toutes les unités de combat se sont rapidement
dotées de bodybags, pour se soustraire à la vision des cadavres
un fusil de guerre.
mutilés, même ceux d’adversaires.
3 Phénomène intéressant de surprise de situation. Il a fallu plusieurs
jours pour sortir de la passivité et décréter un couvre-feu. La seule
mesure prise rapidement fut de protéger le ministère du pétrole.
13 Il est étonnant de constater le décalage entre le monde sportif de
haut niveau, où les préparateurs mentaux sont désormais considérés
comme indispensables, et le monde militaire, encore très “amateur ”
en la matière bien qu’il ait à affronter des situations autrement plus
4 Qui regroupe aussi les affaires civiles et les PSYOPS.
stressantes.
5 Cette solution a été expérimentée par les Américains durant
l’opération Just cause à Panama en 1999. Les problèmes sont venus
14 “ L’homme se rebute et appréhende le danger dans tout effort où il
du manque de coordination entre les deux états-majors, qui n’étaient
n’entrevoit pas chance de succès ” (Ardant du Picq). Pendant la
pas colocalisés, tant durant la phase de planification que durant la
guerre du Vietnam, les Australiens avaient mis l’accent sur le combat
conduite de l’opération.
d’embuscades en forêt. La supériorité tactique acquise dans ce
domaine leur a offert une série de micro-victoires qui ont conforté
6 “ Un homme dont le seul outil est un marteau analyse chaque
le moral et, par voie de conséquence, autorisé plus d’audace.
Les troupes américaines, beaucoup plus maladroites, subissaient au
problème en termes de clous ” (Proverbe américain).
contraire la supériorité des Viet-Congs dans ce domaine.
7 Forward Operating Bases, FOB, en cours de regroupement dans
15 Un précédent a été ainsi créé, comme lorsque les chindits d’Orde
quatorze énormes structures.
Wingate ont mis fin au mythe de la supériorité en jungle des
8 Pour une moyenne de sept ans par les procédures classiques.
Japonais en Birmanie (1943) ou lorsque la 8è armée britannique a
stoppé Rommel devant Alam el Halfa (1942).
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
12
MARS 2005
Irak
L’adaptation au son du canon
Autant en emporte l’ “avant”
L’été 2003, s’il se termine pour les rebelles sur une
victoire “psychopolitique”, leur a été très coûteux.
Ils procèdent donc à des adaptations pour compenser une puissance de feu qu’ils ne peuvent aborder
de front. Des petits états-majors régionaux clandestins se mettent en place pour mieux préparer les
attaques. Le 3 septembre, une embuscade combinant mortiers, mitrailleuses lourdes et RPG est montée contre une unité de la 4e DI qui n’est dégagée
que par l’arrivée d’un élément de réserve. Le harcèlement prend de nouvelles formes, sniping, mortiers
et surtout engins explosifs improvisés (EEI) placés
le long des axes des convois logistiques. Les actions
s’étendent aussi aux champs politique (assassinats,
enlèvements), économique (sabotages, attaques
d’entreprises civiles) et psychologique (représailles
contre les collaborateurs mais aussi actions de bienfaisance). En août 2003, apparaissent les attentats
de masse avec emploi de voitures piégées (destruction du siège de l’ONU le 19, assassinat de l’ayatollah Al-Hakim et de 80 personnes à Nadjaf le 29). Les
sources de financement, comme celles de recrutement, s’élargissent et débordent le cadre irakien.
US ARMY
Du côté du haut commandement américain, la perception des événements commence à changer. On
comprend désormais qu’il ne s’agit plus de résidus
du conflit de haute intensité terminé début mai, mais
d’un phénomène nouveau et durable. On continue
cependant à présenter l’ennemi comme l’association de nostalgiques de l’ancien régime (Former
Regime Loyalists (FRL) ou Baath Party Loyalists
(BPL)), et de terroristes étrangers liés à al-Qaïda,
finançant une multitude de “sous-traitants ”. Ces
ennemis, peu nombreux et avec lesquels tout dialogue est impossible, ne sont donc pas des fruits de
l’occupation. La seule méthode possible consiste
alors à les détruire. Même si on reste persuadé que
la capture des dignitaires en fuite, et en premier lieu
de Saddam Hussein, va porter un coup décisif à la
guérilla, l’objectif évolue donc de la décapitation
vers l’extermination. On revient ainsi au “ body
count ” en honneur au Vietnam et à la numérisation
des bilans. Trois critères chiffrés vont désormais servir à évaluer la situation : le nombre d’attaques, les
pertes amies et les pertes ennemies.
Dans une guerre systémique, en l’absence de
bataille décisive ou de conquête de terrain, il
est difficile mais pourtant indispensable de
mesurer l’évolution de la situation. La
tentation est alors forte, surtout dans une
armée à forte culture industrielle comme
l’armée américaine de s’appuyer sur des
chiffres. Ceux-ci peuvent être utiles en tant
qu’indices (nombre d’attaques mensuelles
par exemple) mais ne doivent pas devenir des
fins en soi. Durant la guerre d’Algérie, par
exemple, les statistiques étaient d’autant
meilleures pour l’armée française (armes
capturées, rebelles mis hors de combat) que
l’on s’approchait d’une victoire politique de
l’ennemi. Le seul véritable critère possible est
le degré d’adhésion de la population, mais
celui-ci est difficile à mesurer.
Une profonde réflexion interne est lancée pour procéder à cette extermination. Cette adaptation est
avant tout un processus “ bottom-up ”, c’est-à-dire
qu’il trouve son origine principalement dans les unités au contact, c’est-à-dire des officiers qui ont des
problèmes concrets à résoudre, cherchent des solutions et partagent leur expérience. Lorsqu’une armée
affronte une nouvelle forme de guerre, c’est par les
hommes du front qu’elle progresse, souvent en opposition avec ceux de la génération antérieure qui restent fidèles à la “ vraie guerre”, ici la guerre de haute intensité, type Airland Battle. On peut parler alors
de “pilotage par le front ”.
L’emploi des réseaux comme outil d’adaptation n’est
pas un phénomène nouveau, mais les nouvelles technologies de l’information offrent des possibilités comparables à celle de “ la nouvelle économie” vis-à-vis
MARS 2005
13
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
de l’ancienne. On assiste à un véritable bouillonnement intellectuel. Chaque mission, chaque patrouille
devient l’occasion d’un retour d’expérience qui alimente le réseau et permet d’affiner les méthodes.
La découverte d’une nouvelle méthode ennemie fait
l’objet d’un compte-rendu immédiat sur le réseau
BOLO (be-on-the-look-out) qui oriente “les yeux” de
toutes les autres patrouilles de la division. A ce processus en boucle courte, voire immédiate, se sont
ajoutés des sites internet de partage d’expériences16
et une remontée, plus classique mais bien organisée, de retours d’expérience au sein du CALL ou du
centre des leçons apprises du Corps des Marines. Ce
dernier organisme, grâce à la présence permanente
d’une douzaine d’officiers sur le terrain et un système très performant de gestion électronique de documents (GED), a pu faire “remonter” 16 000 fiches qui
sont autant de micro-innovations ou de problèmes
décelés. Ce système s’auto-entretient dans la mesure où les unités, en utilisant le système GED, constatent de visu que les informations qu’elles font remonter sont exploitées. Lors de l’intervention des Marines
en Haïti, au printemps 2004, une unité a fixé une
charrue sur un véhicule LAV (Light armored vehicle)
pour dégager des obstacles. Par l’intermédiaire du
système GED, l’idée a été reprise rapidement par des
unités en Irak.
Cette circulation de l’information, complétée par les
revues d’armes où fleurissent des articles très libres
et professionnels de jeunes officiers, compense ainsi en partie l’avantage traditionnel des guérillas,
structures plus petites et “sous pression”, en matière d’innovations tactiques. Le quadrillage du terrain
a également pour but de freiner l’ennemi dans cette bataille de l’innovation.
A l’instar de l’entreprise Toyota qui
s’enorgueillit des deux millions d’idées
proposées annuellement par ses employés,
une armée moderne, surtout lorsqu’elle fait
face à un adversaire intelligent et réactif, doit
utiliser les cerveaux de tous ses hommes et
femmes. Les nouvelles technologies de
l’information offrent en matière de gestion
des idées des possibilités énormes qu’il
serait inconséquent de ne pas utiliser. Cela
suppose de dépasser une certaine conception
taylorienne (ou aristocratique ?) qui sépare
nettement les organes de réflexion et les
organes d’exécution.
Le problème de ce processus par l’ “armée d’en bas”,
lorsqu’il n’est pas coordonné, est qu’il aboutit à des
différences d’approche très nettes entre les unités,
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
14
MARS 2005
différences qui nuisent finalement à la cohérence
générale de l’action. Par exemple, durant le deuxième semestre 2003, les deux divisions au nord de
Bagdad, la 101e Airborne et la 4e DI, pratiquent des
politiques opposées. La première pratique une
approche “britannique” recherchant la confiance de
la population alors que la seconde procède plutôt à
“l’israélienne”, s’efforçant d’isoler la guérilla par des
tactiques de pression : destruction des maisons des
insurgés, arrestation de leur familles, ripostes de
l’artillerie aux attaques de mortiers. Ces divergences
de politiques, “gant de velours ” ou “gant de fer ”,
se retrouvent même à l’intérieur des grandes unités.
Dans la 1 re DB, au sud de Bagdad, une brigade
applique une méthode de contact avec la population
alors que les deux brigades voisines s’y refusent (réf.
21). A l’intérieur de cette brigade, commandants de
bataillon et de compagnie réagissent également de
manière différente.
Ces incohérences se retrouvent également dans le
temps. Chaque division a tendance à sous-estimer
le poids de l’héritage antérieur et à considérer que
l’histoire de la stabilisation commence avec elle alors
qu’il n’y a pas de relève pour la population. Peu de
temps avant d’arriver sur le territoire, le général
Conway, du Corps des Marines, critique ouvertement
la ligne de l’Army, dans les colonnes du New York
Times. A la brutalité de la 82e Airborne, la 1re Marine
Expeditionary Force (MEF) va opposer la maîtrise de
la violence et revenir au Combined Action Program
de la guerre du Vietnam lorsque des sections de
Marines étaient dispersées sur le terrain et associées
aux forces locales. Ces projets ne résistent pas à
l’épreuve des faits sur le territoire (réf. 426 et 49).
Les Marines mettent cela sur le compte de la déception, des rancœurs et de la haine accumulées avant
leur arrivée, les parachutistes de la 82e Airborne
répondent en taxant les Marines d’irréalisme.
Aucune évolution tactique véritable ne peut
se faire sans les forces. Face à des problèmes
nouveaux, ce sont elles qui sont à la source
des innovations. Le rôle du commandement
est alors de piloter ce mouvement en le rationalisant et en aidant au développement des
concepts qui demandent des moyens importants17. Si l’innovation vient du sommet, rien
ne se fera si les forces refusent de se l’approprier. Quels que soient la force des ordres et
le poids de l’autorité, des idées en contradiction complète avec les valeurs ou les habitudes de hommes ne seront pas adoptées18.
Irak
Boots on the ground
Corollaire de ce manque de personnel, une véritable
armée de plusieurs dizaines de milliers de mercenaires civils s’est constituée pour assurer la sécurité des entreprises civiles ou la formation des forces
de sécurité irakiennes. La sécurité personnelle de
l’administrateur Paul Bremer était même assurée par
la société Blackwater. Cette force permet de soulager les unités régulières et contourner certains problèmes. Il est ainsi possible de former des sociétés
de sécurité recrutées dans la communauté kurde
(jugée fiable) pour la protection des champs pétroliers alors que cela est plus délicat dans l’armée irakienne. Ce conglomérat, peu contrôlé, et qui a commencé à se structurer en “mutualisant ” certaines
tâches (renseignement, éléments d’alerte), introduit
des problèmes juridiques nouveaux et contribue à
soustraire aux forces armées de bons éléments attirés par des salaires très élevés pour faire sensiblement le même travail que sous l’uniforme (réf. 1).
Aux Etats-Unis, après l’évocation du rétablissement du
service national, il est d’abord très largement fait appel
à la réserve et à la Garde nationale. Ces deux sources
finissent par former un tiers du contingent sur place et
cette proportion atteint 40% avec la relève prévue en
2005. La Garde nationale formera alors un état-major
de division sur trois et six brigades sur dix-sept dans
l’ordre de bataille. L’avantage, outre qu’elle permet de
compléter des effectifs restreints, est que la réserve
apporte des compétences civiles particulièrement utiles
dans une phase de stabilisation. Le passage d’une structure de renseignement de type haute intensité à une
structure de lutte contre des réseaux clandestins ne peut
que bénéficier, par exemple, de la présence de réservistes issus de la police. Il en est de même pour les
affaires civilo-militaires. En revanche, réservistes et gardes
nationaux présentent des faiblesses particulières. L’US
Army distinguait nettement les fonctions de contact,
réservées à l’active, et celles de soutien, largement dévolues aux réservistes. Dans un contexte de guérilla, où la
“première ligne” est partout, certaines unités largement composées de réservistes se retrouvent donc très
exposées, notamment les convois logistiques.
Les réservistes, qui doivent concilier deux vies professionnelles, sont donc soumis à de fortes tensions et ils
expriment assez facilement leur mécontentement. Les
recrutements accusent également une certaine désaffection. La Garde nationale, par exemple, a vu son taux
de recrutement chuter de 30% en octobre 2004 (réf.1).
Il s’avère donc, et l’expérience britannique le confirme,
que l’apport des personnels de réserve se révèle très
précieux à court terme mais problématique lorsque l’opération dure.
US ARMY
Pour avoir le même taux d’occupation en Irak qu’en
Bosnie, il aurait fallu 364 000 hommes. Pour atteindre
celui du Kosovo, il en aurait fallu 480 000 (réf. 43). Les
troupes de la Coalition sont à peine 160 000, toutes nationalités confondues et hors forces de sécurité irakiennes,
pour une situation beaucoup plus critique que dans les
Balkans. Une armée à haut coefficient technique a du
mal à fournir les effectifs indispensables au contrôle
d’une zone de la taille d’un État comme l’Irak. Il a donc
fallu trouver des effectifs supplémentaires.
L’emploi de mercenaires n’est pas une nouveauté dans l’histoire militaire anglo-saxonne. Les
Tigres volants de Chennault ont ainsi permis aux
Etats-Unis de soutenir le gouvernement chinois
avant l’entrée en guerre contre le Japon en 1941.
Ces unités, hors de toute contrainte réglementaire, peuvent également servir de laboratoire
tactique. En Irak, la nouveauté provient de la présence simultanée de ces sociétés privées avec
les forces armées.
Le pouvoir au bout du fusil
Dans les armées professionnelles modernes, comme pendant le
XVIIIe siècle, le soldat est rare et coûteux. Cela a pu induire, un
temps, une forme de retour à la “guerre en dentelles ” avec des
concepts comme le “ zéro mort ”. Dans l’armée américaine, la
dentelle a été remplacée par de l’acier mais le spectre des
armées de princes balayées par les forces idéologiques issues
de la Révolution française perdure. Le débat sur un retour
éventuel à la conscription n’est pas encore clos aux Etats-Unis.
Après avoir voulu décapiter le régime irakien, en tuant
son chef, par des frappes aériennes, c’est finalement
un groupe de combat de la 4e DI qui a capturé Saddam
Hussein caché au fond d’un trou. Les Américains
redécouvrent que l’instrument premier du combat
de contre-insurrection est le fantassin, à la fois multicapteurs, agent d’influence et servant d’armes. Le
problème est qu’il y a moins de fantassins en Irak
MARS 2005
15
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
qu’il n’y a de policiers à New York (39 000). Il est donc
difficile pour eux d’exercer un contrôle sur un pays
entier. Il a donc fallu, là aussi, en augmenter le
nombre.
fantassin avant d’être un spécialiste. Le Basic Combat
Training, la formation de base de neuf semaines que suit
tout soldat américain, est largement densifié et durci.
Après trois mois de mission, l’infanterie de la 4e DI
était épuisée. Les tankistes ont donc abandonné le
cliché du “death before dismount ” et formé, comme les artilleurs, des unités de marche pour soulager leurs camarades. Ces unités se sont “ infanterisées” au son du canon, récupérant autant de matériel
spécifique que possible et passant peu à peu, grâce au parrainage des fantassins, des missions statiques aux patrouilles, puis aux raids (réf. 44).
Une armée de sable ?
Toutes les divisions en Irak, mais aussi celles qui préparent la relève suivent l’exemple de la 4e DI. Au Texas,
en octobre 2003, la 1re division de cavalerie (First Cav)
dissout sa brigade d’artillerie et forme une Brigade
Combat Team avec un bataillon LRM à pied, un
bataillon “ TWOT ” (“ tankers without a tank ”), un
bataillon de reconnaissance sans ses hélicoptères
et un bataillon de soutien formé à partir de quatre
autres. Pour son instruction au combat urbain, le
bataillon “ TWOT ” fait appel aux SWAT19 du Texas et
à des membres des forces spéciales. Il tire 150 000
cartouches par mois (pour une moyenne de 30 000
dans les bataillons d’infanterie) et poursuit son entraînement jusqu’au Koweit (réf. 45). Par ailleurs, deux
compagnies OPFOR (opposing force) du centre d’entraînement de Fort Polk ont été envoyées en Irak et
la 4e brigade Stryker passe de la version “cavalerie”
à la version “ infanterie” (réf. 1). Le besoin en fantassins est tel que sur les 30 000 hommes supplémentaires accordés à l’US Army, 24 800 au total
appartiennent à cette arme qui passera ainsi d’un
effectif de 46 000 à 69 000 (réf. 46).
L’infanterie subit toujours les pertes les plus
importantes, qu’il s’agisse des tués ou blessés
au combat ou des réductions d’effectifs de temps
de paix. Le besoin urgent de fantassins nombreux et de qualité est récurrent dans toutes les
armées en guerre depuis la fin de l’année 1915.
Dans le même esprit, après avoir constaté le 23 mars
2003 les capacités d’autodéfense très limitées de la 507e
compagnie de maintenance, qui avait perdu 11 morts et
6 prisonniers au cours d’une embuscade, un effort est
fait pour renforcer les capacités d’autodéfense des unités de soutien, cibles de plus en plus fréquentes de la
guérilla20. Outre les mesures classiques de “force protection ” (blindage et armement des véhicules), on
cherche à inculquer un Soldier Creed (credo du soldat)
proche du “every marine is a rifleman ” de l’USMC.
Chaque soldat doit d’abord se considérer comme un
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
16
MARS 2005
Un autre enseignement des combats de l’été 2003 est
que rien de durable et d’efficace ne peut se faire sans
l’aide de forces locales. La Coalition a absolument besoin
de troupes irakiennes gouvernementales, pour remplacer ses unités dans les missions statiques de gardiennage ou de police urbaine, les aider à pénétrer le milieu
humain, et, à long terme, pour asseoir l’autorité du gouvernement irakien élu. Comme les forces existantes ont
été supprimées, il faut donc repartir de zéro pour reconstituer une armée et une police.
Pour parer au plus pressé, c’est un puzzle sécuritaire
qui a été créé en fonction des nécessités de l’instruction. La garde des sites sensibles a été confiée à une
Facility Protection Security Force (FPSF) dont les hommes
sont formés en quelques jours. Une autre force a été formée pour la garde des frontières avec la Syrie et l’Iran,
puis l’Iraqi Civil Defense Corps (ICDC) (ou Garde nationale) pour assister directement les unités de la Coalition.
Ses membres reçoivent une formation initiale d’une
semaine avant d’être intégrés dans des unités de la coalition pour une instruction complémentaire et fournir
des petits éléments lors des opérations.
Les créations de la police et de 27 bataillons d’infanterie21, métiers qui demandent des savoir-faire
poussés, se sont révélées beaucoup plus difficiles.
Pour faire face à l’ampleur inédite de la tâche, les
Américains ont fait feu de tout bois pour épargner
au maximum les unités d’active. Ils ont donc largement fait appel à des réservistes et à des unités de
la Garde nationale (18e brigade de police militaire
pour la police, 98e division de la garde pour l’armée)
avec des résultats mitigés. Un officier supérieur américain décrit ainsi des instructeurs vivant à l’hôtel hors des
cours, refusant d’apprendre les noms arabes, donnant
des surnoms américains aux recrues et faisant donner
les ordres en anglais (réf. 47). La sous-traitance à des
sociétés privées a été décevante, qu’il s’agisse de la
société Vinnell en matière d’instruction ou de Nour pour
l’équipement (accord annulé et remplacé seulement en
mai 2004 avec la société Anham). L’OTAN, appelée à la
rescousse pour la formation des officiers, n’a envoyé ses
premiers éléments qu’en août 2004. Seule la Jordanie
a fourni un appui massif, en particulier pour la formation des policiers (35 000 sur deux ans).
Les bataillons hâtivement formés en quelques semaines
et initialement très mal payés (70 dollars par mois pour
les soldats et 100 pour les candidats officiers) souffrent
également d’un très fort taux de désertion. Ainsi si, au
printemps 2004, 200 000 hommes ont été recrutés (pour
Irak
Leur premier emploi opérationnel est une désagréable surprise. Les deux bataillons irakiens, engagés à Falloujah en avril 2004, s’évanouissent au premier accrochage, de même que toutes les forces de
sécurité dans la zone chiite face à l’ Armée du Mahdi.
L’espoir d’une relève en première ligne par les Irakiens
avant le transfert d’autorité de juin est donc déçu.
Une nouvelle tentative est effectuée, à partir du mois
d’août, dans des opérations secondaires, à Latifiyah
par exemple. Elle donne des résultats mitigés malgré un soutien massif. Les Américains entreprennent
donc eux-mêmes une nouvelle fois de nettoyer les
bastions acquis par les différents mouvements de
rébellion avant les élections de janvier. Les unités
irakiennes sont en deuxième échelon, elles aident à
s’emparer de points critiques comme les mosquées
et surtout à occuper les territoires conquis. Malgré
ce retrait, le comportement ne s’améliore que très
lentement et les jugements portés par les Marines
sur leurs alliés à Falloujah en novembre restent très
sévères (réf. 1).
La relève ne peut véritablement (et
légitimement) venir que des forces locales.
Cet aspect doit donc être anticipé largement
en amont et se voir octroyé, d’emblée, des
moyens humains et matériels conséquents.
L’emploi des forces de stabilisation comme
matrice des unités locales, nouvelles ou
restructurées, semble être la meilleure voie.
Ces unités mixtes associent la connaissance
du milieu des uns aux moyens et à la
compétence technique des autres22.
Outre la faiblesse de l’instruction, cette fragilité provient aussi d’un manque de fiabilité politique. Par
la force des choses, policiers et soldats sont essentiellement recrutés parmi les anciens membres de
forces de sécurité de Saddam Hussein. Cela ne fait
pas d’eux des nostalgiques mais, en particulier chez
les Sunnites, ils entretiennent des rapports troubles
avec leurs anciens frères d’armes, très présents aussi parmi les insurgés. Beaucoup de ces hommes refusent le combat contre des “frères” de la même communauté ou rejoignent leurs rangs. Inversement, la
guérilla infiltre largement les nouvelles forces de sécurité. Ce double jeu est révélé au grand jour, lorsque
les Marines ont été remplacés fin avril 2004, devant
Falloujah, par une “ brigade” irakienne constituée
dans l’urgence et qui a finalement rejoint la guérilla.
US ARMY
un objectif de 235 000), il s’avère que la moitié seulement peut être considérée comme entraînée (dont
74 000 du service de protection des infrastructures).
L’armée ne compte alors que 20 000 hommes (réf. 1).
Tout cela entraîne une grande suspicion vis-à-vis
des troupes irakiennes qui n’incite pas à leur accorder des moyens qui peuvent se retourner contre les
Coalisés. Les matériels lourds sont donc fournis avec
parcimonie et il n’est pas question de former des unités plus importantes que les brigades légères. De
plus, pour s’assurer leur fidélité, les 25 généraux
destinés aux grands commandements seront formés
aux Etats-Unis. L’armée irakienne, cantonnée au rôle
humiliant de force de sécurité intérieure, a donc ainsi, auprès de la population, assez peu de légitimité
et de crédibilité.
Il est tentant aussi de jouer des rivalités ethniques
et d’utiliser, par exemple, des unités kurdes dans le
triangle sunnite. Cette solution, porteuse d’un risque
de libanisation, est déjà appliquée en partie depuis
le transfert d’autorité du 28 juin, car les milices kurdes
et, dans une moindre mesure, chiites Badr n’ont intégré l’armée nationale qu’à la condition de conserver
leur homogénéité. Toutes les unités “gouvernementales ” au Kurdistan sont donc exclusivement
kurdes, de même que le fer de lance du 36e bataillon
commando employé à Falloujah en novembre23. Il
existe enfin un risque certain que cette nouvelle
armée et les nouvelles forces de police ne renouent
avec des méthodes peu compatibles avec l’Etat de
droit en construction et médiatiquement désastreuses.
Le comportement des officiers vis-à-vis des soldats,
souvent violent et insultant comme sous le régime de
Saddam Hussein, est aussi assez gênant (réf. 1).
Tous ces éléments semblent confirmer l’analyse du
prestigieux IISS24 de Londres qui estime, dans un
article du Philadelphia Inquirer, que cinq ans seront
nécessaires pour hisser les forces de sécurité irakiennes à la hauteur de leurs missions (réf. 1).
Les opérations du cœur
Dès l’été 2003, à l’entrée des bases de la 101e Airborne,
contrôlant les régions de Mossoul et de Kirkouk, on
trouvait le slogan suivant : “We are in a race to win
over the people. What have you and your element
done today to contribute to victory25 ?”.
MARS 2005
17
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Ces méthodes ont incontestablement porté leurs fruits,
permettant à la troupe de s’immerger dans la population et d’y recueillir du renseignement (avec des listes
de faits et attitudes à observer quotidiennement) ou de
procéder à des opérations d’informations. Elles relèvent
de ce que certains appellent les armes non cinétiques
par opposition aux armes cinétiques qui causent des
dommages physiques. Après avoir été réservées aux
forces spéciales, elles font désormais partie de la panoplie de toutes les unités américaines, mais avec une
application très diverse car elles continuent à heurter
les valeurs culturelles. Beaucoup d’officiers ont compris
qu’ils devaient visiter fréquemment les cheiks, les imams,
les chefs de tribus, les anciens et leur témoigner respect
et sympathie, mais plus on descend dans la hiérarchie
et plus les réticences apparaissent, confortées par la
vision de la corruption et du double jeu dans la société
irakienne (réf. 48).
Le deuxième problème, plus structurel, est venu des
relations avec les fonctionnaires de la Coalition
Provisional Authority (CPA), malgré l’existence des
Gouvernement Support Teams, destinés à assurer les
liens entre autorités locales, CPA et divisions. Les fonctionnaires de la CPA sont accusés par les militaires de
manquer d’expérience et de vivre coupés de la réalité
dans les palaces de la Green zone de Bagdad, pour des
tours qui se limitent souvent à trois mois (réf. 47). Les
commandants des grandes unités ont réclamé, dès le
début de la stabilisation, des fonds pour financer les
projets locaux. Il a fallu cependant attendre le début de
l’année 2004 pour que le Département d’Etat accepte
d’allouer des fonds pour des projets de moins de 10 000
dollars gérés par grande unité (Commander’s Emergency
Response Program (CERP) (réf. 462). Un autre problème est le manque de densité des troupes. La 1re division
de cavalerie n’a qu’un seul bataillon pour s’occuper
des deux millions d’habitants du quartier misérable
de Sadr City.
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
18
MARS 2005
US ARMY
Le général Petraus engageait ainsi sa division entière,
et non seulement les Civils Affairs/PSYOPS, dans “la
bataille des cœurs et des esprits”. Toute la zone d’action de la division est alors partagée en secteurs de
bataillons et de compagnies dans lesquels les unités
sont impliquées dans de multiples projets au profit de
la population (reconstruction d’écoles, participation aux
services publics, soins et éducation sanitaire). Dès le
premier mois, la division a mis en place des patrouilles
communes avec les Irakiens, organisé la distribution de
carburant et de gaz, fait rouvrir les écoles, fait éditer un
journal municipal, organisé le paiement des fonctionnaires et ouvert le passage de la frontière syrienne (réf.
48). Dès le 5 mai 2003, un conseil municipal provisoire
est élu à Mossoul. Au mois de septembre 2003, la division a dépensé 19 millions de dollars pour 2700 projets.
Il a fallu, simultanément, enseigner la culture locale et
des règles de comportement adaptées comme la fouille
des femmes par des femmes26.
Il s’agit enfin de s’adapter à un nouveau métier. Quand
on ne sait pas quoi faire, on fait ce que l’on sait faire. Les
actions civilo-militaires sont donc souvent intégrées dans
un tableau de “ciblage humain”, intégrant toutes les
opérations suivant plusieurs objectifs généraux (par
exemple vaincre l’ennemi, sécuriser la zone, améliorer
les infrastructures). Chaque action y est décrite comme
une mission classique de ciblage : baptême, effet attendu (détruire la cellule X, avoir une alimentation électrique ininterrompue dans le poste de police, améliorer l’école, etc...), cible, méthode et moyens, vérification.
Cette nouvelle manœuvre interarmes associe aux Civil
Affairs, les capacités de contact des unités de mêlée
(recensement des besoins, dialogue) et les compétences
techniques des armes d’appui.
Les projets de plus grande ampleur sont gérés par le
service du génie (US Army Corps of Engineers) en appui
technique du programme de restauration ou de reconstruction de l’infrastructure vitale conduit par l’USAID
(U.S. Agency for International Development). Les sapeurs
sont ainsi impliqués dans la construction d’infrastructures militaires pour les forces irakiennes ou la Force
multinationale, dans la restauration des productions
électriques et pétrolières, dans le recrutement et la formation de l’encadrement irakien (réf.1).
Vaincre et convaincre
Si la bataille des cœurs menée donne quelques
résultats, celle des esprits s’avère plus délicate, en
grande partie parce que la cible des opérations d’information américaines est double : la population irakienne et l’opinion publique aux Etats-Unis. La première a pratiquement accès, au moins pour une élite,
aux informations délivrées à la seconde mais, de surcroît, elle est connectée à de multiples réseaux
internes : prêches dans les mosquées, CD-rom “édi-
Irak
fiants” en vente dans les bazars et rumeurs. Elle est la
proie également de procédés de sensibilisation plus
directs, comme les égorgements de “collaborateurs”.
Les Irakiens assistent donc régulièrement à un décalage entre ce qui est présenté aux différentes chaînes américaines, par exemple un bombardement aérien ciblé sur
un groupe terroriste, et la réalité des faits souvent plus
terrible pour la population.
Autre exemple, la personnification de l’ennemi en la personne d’Abou Moussab al-Zarquaoui rappelle immédiatement aux Irakiens l’époque de Saddam Hussein
lorsque des bandits mystérieux (l’“homme à la hache”)
apparaissaient à la une des journaux pour justifier des
vagues de répression. L’idée qu’al-Zarquaoui est une
invention américaine est donc très présente dans l’opinion irakienne, confortée par des descriptions contradictoires et les précédents de l’affaire Jessica Lynch ou
encore des armes de destruction massives. Inversement
les silences sur les exactions d’Abou Graïb ou sur les
pertes civiles irakiennes contribuent encore à saper la
confiance dans les informations d’origine américaine.
A l’échelon tactique, le travail des sections IO (informations opérations) est donc souvent défensif. Il consiste
souvent, par exemple, à contrer dans les minutes qui
suivent et sur les lieux même de l’action, la rumeur qui
attribue presque systématiquement aux Américains la
mort de civils après une attaque à la roquette (réf. 49).
symboliques comme le tir de roquettes sur l’hôtel où est
logé Paul Wolfowitz. Leur plus grand succès est cependant la destruction de quatre hélicoptères en deux
semaines, provoquant la mort de 39 soldats27. Les pertes
hebdomadaires des coalisés doublent d’un seul coup.
Dans une guerre asymétrique, les victoires des
“faibles” sont pratiquement toujours des victoires
psychopolitiques. Se placer dans une situation
de vulnérabilité, c’est offrir à la guérilla une possibilité de “grande offensive” qui peut entraîner
une rupture psychologique dans les opinions
publiques, sur le modèle de la bataille du Têt au
Vietnam en 1968. Le fait que cette offensive puisse avoir lieu est déjà en soi une victoire, surtout
si le discours du “fort” est triomphaliste.
A la fin du mois d’octobre 2003, les rebelles, encouragés par le retrait relatif américain à l’occasion du Ramadan,
lancent une grande offensive dans le triangle sunnite,
en employant tous les modes d’action possibles, du harcèlement à l’attentat suicide, en passant par les actes
La réaction américaine est, cette fois, efficace, combinant les moyens les plus puissants, avec notamment un
retour aux frappes aériennes et des modes d’action beaucoup plus précis dans les opérations de bouclage. Outre
la redécouverte du combat rapproché, ce succès est dû
à la mutation, encore incomplète, de l’organisation du
renseignement qui s’appuie désormais sur des réseaux
d’informateurs payés et sur les partenaires politiques
kurdes ou chiites. Mais le facteur essentiel est la réactivation de la police irakienne qui permet de réduire
considérablement les maladresses. Les grandes opérations comme Ivy Cyclone et Iron Hammer autour de
Bagdad et Tikrit finissent par porter leurs fruits. Saddam
Hussein est capturé et plusieurs réseaux sunnites sont
démontés. Le taux de pertes hebdomadaire retombe à
moins d’un mort par jour en février 2004, laissant croire à une possible maîtrise militaire de la situation.
NOTES :
22 Les bataillons du corps expéditionnaire français en Indochine ont
Octobre rouge
16 Comme, par exemple, le site Companycommander.com ouvert aux
10 000 commandants d’unité.
17 En 1916, lors de la bataille de Verdun, les méthodes de l’artillerie de
campagne avaient tellement divergé d’une unité à l’autre qu’il était
très difficile de renforcer une division par un régiment de “ 75 ”
extérieur. Pour que tout le monde “ parle le même langage “, il a donc
ainsi formé en leur sein des compagnies de recrues locales. Ces
unités ont essaimé et permis de constituer l’armée nationale
vietnamienne.
23 Cette unité qui ne dépend pas du ministère de la défense, comprend
normalement l’élite des cinq principaux partis irakiens. Dans les
faits, seuls les Peshmergas kurdes sont jugés fiables.
fallu créer une “ école-laboratoire”, une inspection, une revue
24 International Institute for Strategic Studies.
spécialisée et des stages de partage d’expériences.
25 “ Nous sommes engagés dans une course pour gagner la confiance
18 A la fin de l’année 1917, le général Pétain, alors général en chef, a le
plus grand mal à imposer l’idée de la défense en profondeur malgré
la clarté des ordres, la menace de sanctions, des voyages
d’explication et l’efficacité évidente de la méthode proposée. Une
innovation est comme un mot au Scrabble. Il ne suffit pas de le
former, il faut encore l’insérer dans l’existant, ce qui suppose
souvent des adaptations.
de la population. Qu’avez-vous fait aujourd’hui, vous et votre unité,
pour contribuer à la victoire ?”
26 Chaque unité a donc créé son unité de fouille féminine, ce qui a
demandé une formation adéquate de la part de la police militaire et
des cours de langue.
27 Les insurgés ont, semble-t-il, profité d’une faille dans les règles
d’engagement obligeant les hélicoptères à voler à moyenne altitude
19 Special Weapons and Tactics, unités d’intervention de la police.
et basse vitesse, position vulnérable, pour ne pas gêner la
20 Un tiers des pertes survient dans les convois.
population.
21 Regroupés en neuf brigades avec des compagnies de génie, de police
militaire et une force “antiterroriste” de 7000 hommes.
MARS 2005
19
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Pendant ce temps aux Etats-Unis ...
Une armée repose sur quatre composantes : son
équipement, ses structures, ses méthodes et sa culture. Elle évolue par un processus de défis-réponses
qui suscitent des innovations dans chacune de ces
composantes. On observe donc des innovations techniques, structurelles, méthodologiques ou psychologiques. Chacune d’elle naît lorsque le contexte est
favorable et est reliée à quelque chose d’existant.
Elle interagit ensuite avec les autres composantes
de manière très diverse, parfois négative, ce qui rend
très difficile l’anticipation correcte de ses effets. Si
ces innovations permettent l’adaptation à un contexte nouveau, elles ont également pour effet de déstabiliser une organisation existante. Il faut donc arbitrer entre le dynamisme des idées et la stabilité
nécessaire pour les assimiler.
Dans les armées occidentales modernes, et plus particulièrement aux Etats-Unis, le dynamisme provient
généralement du pôle technique. En revanche, la
stabilité est assurée par le pôle culturel qui regroupe les normes, valeurs et traditions du groupe, en
général plutôt “inélastiques” pour employer un terme économique. Dans les années 1980, par exemple,
le paradigme de l’Airland battle a engendré de multiples innovations techniques (M1 Abrams, M2/M3
Bradley, AH-64 Apache, etc...) et des méthodes d’emploi tout à fait remarquables. En revanche, la
recherche de l’initiative au plus bas échelon, que prônait pourtant cette doctrine avec insistance, est largement restée lettre morte. L’interaction avec le pôle
culturel a donc été négatif.
L’évolution à laquelle on assiste en Irak est atypique
dans l’histoire militaire américaine car elle trouve plus
son origine dans les changements de méthodes ou
de mentalités que dans les innovations techniques. Il
s’agit plus d’une guerre ingénieuse que d’une guerre d’ingénieurs. Le militaire américain doit être désormais, selon le mot du général Schoomaker28, un
“décathlonien”, “à la fois guerrier, policier, travailleur
social, infirmier, capteur de la chaîne renseignement
et agent de propagande du mode de vie occidental.
Il doit surtout apprendre à comprendre une culture
étrangère et à aimer le peuple irakien, sans quoi il ne
pourra pas conquérir les cœurs et les esprits” (réf. 1).
La révolution dans les affaires humaines s’avère donc
plus urgente que celle des techniques, en contradiction avec le paradigme de la guerre industrielle violente et rapide de la génération au sommet de la hiérarchie militaire.
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
20
MARS 2005
L’évolution par “en bas” se poursuit donc, passant
par capillarité des unités du front à celles qui se préparent à le rejoindre et qui, de ce fait, sont également
incitées à innover.
Transformer les légions
Sous la pression des grandes unités qui se préparent à la relève, tous les exercices, notamment dans
les deux grands centres nationaux de Fort Irwin
(National Training Center) et de Fort Polk (Joint
Readiness Training Center), ont été profondément
transformés. Les grands combats blindés-mécanisés ont été presque complètement abandonnés au
profit de séjours de préparation aux relèves en Irak.
Le cadre est donc systématiquement urbain et les
différents acteurs civilo-militaires sont représentés
de manière plus ou moins réaliste. Tout cela est coûteux (de 12 à 20 millions de dollars pour un séjour
de trois à quatre semaines pour une brigade) mais
semble efficace. De plus en plus, ces exercices sur
le terrain sont associés à des systèmes de simulation et fédérés entre eux (Army Constructive Training
Federation (ACTF) et Joint National Training Capability
(JNTC)). Il sera ainsi bientôt possible d’intégrer dans
un exercice un appui air-sol demandé dans un camp
et réalisé dans un autre (réf. 1).
A l’autre bout de la lorgnette, les systèmes de simulation se multiplient, souvent à l’initiative d’officiers subalternes, qui essaient de représenter le plus
finement possible des cas concrets, ainsi du système “convoy trainer ” sur maquettes ou du jeu One
Semi-Automated Forces (OneSAF) qui permet de
jouer, à n’importe quel niveau, des situations d’une
grande complexité pouvant intégrer jusqu’à 25 camps
différents. Le Corps des Marines, de son coté, a développé et distribué gratuitement “ Close combat :
US ARMY
Révolution dans les affaires humaines
Irak
Marines ”, un jeu du niveau compagnie et section.
Les Américains ne sont pas non plus dépendants de
l’informatique et n’ont aucun scrupule à multiplier
les systèmes pragmatiques comme les problèmes
de décision tactique dans les revues29, les livresinteractifs ou les wargames sur carte.
Le plan de préparation de la 2e MEF30 pour la relève
du printemps 2005 est révélateur des nouvelles priorités en matière d’entraînement et d’instruction.
Trois phases sont prévues, totalisant 43 jours d’entraînement effectif. La première est consacrée à l’instruction aux savoir-faire individuels en combat urbain
(basic urban skills). Elle se déroule dans les garnisons sur une vingtaine de jours. La deuxième phase
(Revised Combined Arms Exercice) est centrée sur
les modes d’action au niveau de la section et la dernière se déroule à Matilda City, une ancienne zone résidentielle transformée en centre d’instruction, pour l’entraînement aux opérations de stabilisation (réf. 1).
Les états-majors de niveau division et brigade reçoivent souvent une formation particulière aux affaires
civiles. Durant l’hiver 2003-2004, le personnel d’étatmajor de la division First Cav, destinée à Bagdad, a
été immergé dans les bureaux de la mairie d’Austin,
capitale du Texas, pour y apprendre tous les aspects
de la gestion d’une grande ville, du ramassage des poubelles à l’organisation d’élections. Certains officiers suivent également des stages au Jordanian Peacekeeping
Institute ou en Grande-Bretagne (réf. 462).
Les priorités sont donc la maîtrise de tous les aspects
du combat urbain, avec un effort sur la décentralisation des actions. Le retour au premier plan de
l’ “action rapprochée” est en effet freinée par une
longue habitude de centralisation du commandement. L’initiative aux plus bas échelon est pourtant
prônée depuis les années 1970, en grande partie
pour compenser la supériorité numérique du pacte
de Varsovie. Le problème est que depuis cette époque,
c’est l’US Army et l’USMC qui se sont retrouvés en
position de supériorité par rapport à l’adversaire. De
plus, l’accent mis traditionnellement sur l’entraînement des PC de niveau brigade et division a entraîné, par contrecoup, un désintérêt relatif pour l’entraînement aux petits échelons. Les concepts de
“zéro mort” ou de “zéro défaut” dans les opérations
balkaniques, les nouvelles technologies de l’information, ont encore accentué cette centralisation traditionnelle devenue une vulnérabilité lorsque 90%
des engagements de guérilla urbaine ne dépassent
pas le niveau de la section. Cette faiblesse avait été
soulignée par de nombreux auteurs mais l’incitation
à innover est venue de la crise (réf. 1).
Un autre effort porte sur la sensibilisation aux cul-
La multiplication des ROE peut s’avèrer contre-productive. Elle relève, en
terme de science cognitive, du principe de la “ plaque
photographique”, c’est-à-dire qu’il suffit d’envoyer un message pour
qu’il soit automatiquement reçu et appliqué. En réalité, l’abondance des
textes accroît la pression psychologique sur les acteurs qui, sous un
stress intense, ne savent plus toujours très bien quelle décision prendre
et donc, souvent, n’en prennent pas. Des règles simples, associées à une
formation adaptée et surtout à la confiance31, s’avèrent généralement
beaucoup plus efficaces dans la recherche du “zéro défaut”.
tures étrangères, ou cultural awareness, qui se traduit, pour les unités qui préparent la relève du printemps 2004, par des cours, conférences et la diffusion
de vade mecum sur la culture arabo-musulmane. La
1re DI, qui doit prendre en compte la région Nord, édite ainsi un remarquable manuel diffusé à tous les échelons. Ce cultural training, qui paraît désormais bien
intégré, comprend également un fond de quelques
dizaines de phrases en arabe pour autoriser un dialogue minimal et des règles précises sur les attitudes
à avoir vis-à-vis de la population (réf. 426).
“Les faits ne rentrent pas
dans le domaine de nos croyances”32
En revanche, le sommet de la hiérarchie a tardé à évoluer. Orientées vers la guerre de haute intensité, les
structures doctrinales de l’US Army, très prolixes sur
la campagne de mars-avril 2003, sont longtemps restées muettes sur les problèmes posés par une guérilla qui n’est pas considérée par beaucoup comme la
“vraie guerre”. Le caractère de plus en plus interarmées des centres de doctrine, avec une Air force et
une Navy qui s’intéressent moins à une forme de guerre où elles ont peu de place, et le poids du programme Futur Combat System n’ont pas non plus contribué à l’analyse approfondie des deux conflits
asymétriques où sont engagés les G.I.
L’indispensable coopération interarmées peut toutefois présenter le risque
d’éloigner les esprits d’un théâtre d’opération ou d’une forme de guerre
où l’action d’une des armées prédomine très largement. Elle peut également entraîner des “déformations” de doctrines d’armées. Le concept de
“ distributed operations ” étudié par le Corps des Marines et qui vise
concrètement à transformer tous les groupes de combat d’un bataillon
d’infanterie en cellules de contrôle et de guidage aérien, a été initié, au
sein des organes doctrinaux du Corps, par un pilote de F-18. Outre les problèmes techniques et d’instruction que ce concept induit, il est probable
que cette expérience échouera “culturellement” ou sera profondément
transformée par les utilisateurs.
MARS 2005
21
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
C’est donc par une petite porte que la réflexion sur
la contre-insurrection a débuté. Au sein du bureau
opérations de l’Army, un groupe de travail permanent, issu lui-même d’une cellule de réflexion sur les
engins explosifs improvisés (EEI), est chargé à partir du début 2004 de synthétiser les parades aux
attaques asymétriques et d’orienter les entraînements. Surtout, à partir de juillet 2004, sur la demande du TRADOC, le général Wallace commandant le
Combined Arms Center (CAC) de Fort Leavenworth,
a formé un groupe de travail. D’abord chargé d’étudier les travaux universitaires du Major Nagl sur les
contre-guérillas en Malaisie et au Vietnam, le mandat est étendu ensuite à l’analyse de la formation
donnée aux cadres en matière d’opérations de contreinsurrection (Counterinsurgency-COIN). Les résultats
de ce groupe montrent que la formation au COIN,
issue d’initiatives des écoles de formation, est à la
fois insuffisante et éclatée. Il s’avère donc nécessaire
de créer un corpus doctrinal et de désigner un organisme pilote dans ce domaine. Le général Wallace
propose donc la création d’une cellule au sein du
Command and General Staff College (CGSC) avec
pour mission d’analyser les opérations en cours et
d’orienter les évolutions en matière de COIN33, en
liaison avec le CALL.
Le premier produit de cette nouvelle structure est un
manuel temporaire de contre-insurrection, le Field
Manual (FM) 3-07.22, publié à la fin de l’été 2004. Ce
document distingue les opérations COIN proprement
dites des opérations “liées” à la contre-insurrection.
Les premières visent à attaquer directement les cellules politiques et les groupes armés insurgés, leurs
infrastructures et les conditions qui favorisent l’insurrection. Les secondes regroupent d’une manière
générale tous les aspects des opérations de maîtrise
de la violence et de stabilisation. Cette distinction permet de maintenir la séparation des tâches entre les
forces “classiques” et les forces chargées des aspects
les plus délicats des actions de contre-guérilla, comme les forces spéciales34. Ce document est finalement
plus un “état de l’art” de ce qui se fait en Irak qu’un
guide pour l’avenir, mais il constitue une forme de
reconnaissance pour les hommes du front qui ont parfois le sentiment d’être incompris.
Les citadelles des assassins
Après la défaite de la bataille du Ramadan en 2003, la
“résistance-virus” s’adapte elle-même à ces évolutions
américaines et franchit un nouveau stade en avril 2004.
Il y a d’abord l’apparition d’une résistance d’origine
chiite : l’ Armée du Mahdi du jeune ayatollah Moqtada
Al-Sadr. Ce dernier a pris la tête du courant populiste et
domine les quartiers les plus pauvres de la zone chiite,
en particulier dans l’immense Sadr City de Bagdad. Non
soutenu par les partis traditionnels chiites et assez isolé au sein de cette communauté, Moqtada Al-Sadr joue
simultanément sur les tableaux politiques et militaires,
grâce à sa milice armée, patiemment constituée en un
an. L’administration Bush, dans la perspective de rétablir l’ordre avant le transfert de pouvoir du 30 juin 2004
à un gouvernement irakien, entreprend d’éliminer cette nouvelle résistance armée et de punir les insurgés de
Falloujah qui, le 31 mars 2004 ont atrocement mutilé
quatre civils américains devant les caméras.
Surviennent alors plusieurs phénomènes inattendus.
Le premier est la résistance des insurgés à Falloujah.
Alors que les Marines, nouvellement arrivés de la 1re MEF,
entreprennent une opération désormais classique de
“cordon and search”, ils tombent sur des unités constituées qui tiennent le terrain. Dans le même temps,
le 4 avril, l’Armée du Mahdi tente un coup de force dans
toute la zone chiite. La deuxième surprise est l’effondrement des forces régulières irakiennes, tant dans le
Sud du pays que devant Falloujah.
Se constitue alors tout un réseau de bastions rebelles
(Falloujah, Samarra, Ramadi, Tikrit, Tal Afar, Nadjaf, Koufa,
Sadr City, Latifiyah) qui menace les routes logistiques
américaines, en provenance de Jordanie ou du Koweit,
et surtout réduit la légitimité du gouvernement en dessous d’un seuil qui ôte toute crédibilité aux élections de
l’assemblée constituante prévue en janvier 2005. Après
avoir cru un temps que l’armée régulière irakienne serait
capable de contrôler seule la situation, les forces américaines ne peuvent plus ignorer cette menace et doivent initier une nouvelle forme de guerre : la reconquête des citadelles insurgées.
n’étaient pas capables d’en faire plus. Quelques mois plus tard, les
NOTES :
mêmes canonniers pouvaient en faire vingt-quatre différents. Refuser,
28 Chef d’état-major de l’US Army.
dans les engins blindés, de mélanger obus “ à blanc ” et obus réels en
opérations sous prétexte que les servants risquent de transformer un
29 Initiative ancienne de la Gazette du Marine Corps, semble-t-il, mais de
tir de semonce en tir réel relève de la même logique.
plus en plus orienté vers des problèmes concrets de type “ irakien ”.
32 Marcel Proust.
30 Marine Expeditionary Force, soit l’équivalent d’une division associée à
33 L’USMC possède de son coté le Center of Emerging Threaths and
un groupe aérien.
Opportunities.
31 Au début de la Première Guerre mondiale, les servants de 75 n’avaient
le droit de n’effectuer que trois types de tirs car on estimait qu’ils
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
22
MARS 2005
34 Ou le bataillon “antiterroriste” de l’USMC, récemment formé.
Irak
Poliorcétique à l’américaine
La Task Force Iron Dukes, qui se bat pendant cinq
semaines en avril-mai pour la reconquête de Nadjaf
et Koufa ne comprend que quatre sous-groupements
interarmes (Team), totalisant 30 M1 Abrams et 95
Humvee blindés. La Task Force comprend également
une compagnie de police militaire, une compagnie du
génie, un détachement de forces spéciales, une équipe de guerre psychologique, deux équipes cynophiles
et deux équipes ACM. Ses appuis proviennent moins
de ses moyens de feux indirects (seulement 6 obusiers Paladin et 4 mortiers de 120 mm) que de la troisième dimension (hélicoptères OH-58D Kiowa Warrior,
AC-130 Gunship et F16). Outre sa légèreté face à l’ampleur de la zone à contrôler et sa diversité, cette structure est remarquable aussi par la disparition relative de l’échelon bataillon (réf. 451). La brigade
commande directement des sous-groupements renforcés capables eux-mêmes d’effectuer une manœuvre
complexe des feux36.
Pour les gouvernements irakien et américain, l’objectif militaire est de détruire ou au moins de désorganiser suffisamment les guérillas pour réduire de manière très significative les attaques anti-américaines contre
les bases et les convois puis de permettre la relève
par des troupes irakiennes gouvernementales.
L’objectif politique est de réduire l’emploi de la violence comme instrument de contestation et d’étendre
la carte des provinces contrôlées par le gouvernement, que ce contrôle soit direct ou le résultat d’une
simple allégeance, afin de permettre les élections de
janvier 2005. Les centres de gravité sont donc les miliciens insurgés eux-mêmes qu’ils font annihiler et les
pouvoirs locaux, souvent religieux, qu’il faut pousser
à coopérer par l’application d’un “bâton” immédiat,
qui frappe les militants repérés et endommage la ville, et d’une “carotte” future (aide économique conséquente).
Du côté des insurgés, l’objectif politique est d’empêcher la tenue d’élections crédibles afin de saper la légitimité du gouvernement issu des urnes, tout en résistant aux offensives américaines. Les stratégies militaires
possibles sont limitées à l’esquive, la résistance ou
la contre-attaque. La structure éclatée de la résistance sunnite fait que ces stratégies peuvent être appliquées simultanément par des groupes différents.
L’ Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr, plus centralisée, pratique une guérilla à éclipses alternant l’allégeance au gouvernement et la résistance armée en
fonction des objectifs politiques de son leader.
L’esquive peut donc être physique (fuite de Falloujah
en profitant des départs de civils), politique (compromis de Moqtada Al-Sadr) ou camouflée (adoption
d’un “profil bas ”, disparition des armes). La résistance ferme, lorsqu’elle est pratiquée, s’appuie sur
une population favorable (quartier de Sadr City pour
les Mahdistes), des infrastructures préparées
(Falloujah) et des lieux “intouchables” (lieux saints
de Nadjaf). La contre-attaque a lieu sur les zones désertées momentanément par les forces américaines
(Baqoubah, Mossoul) et par des actions souvent médiatiques (attentats, occupation de locaux gouvernementaux).
Toute structure hiérarchique est avant tout un
système de gestion des informations. La
transformation actuelle des flux d’informations
par les nouvelles technologies et le souci d’une
plus grande réactivité vont entraîner
obligatoirement une nouvelle définition des
structures 37.
A partir de ce cordon, les forces frappent les éléments
ennemis repérés. Les tirs indirects de munitions de
précision sont guidés par des indicateurs irakiens, et,
de plus en plus fréquemment, par l’intermédiaire de
contrôleurs sur hélicoptères ou des désormais incontournables drones38. Ce feu du ciel sert alors de substitut à la classique “préparation d’artillerie”, pour
amoindrir la résistance et faire pression sur les autorités locales. Ces frappes, souvent spectaculaires, peuvent cependant être contre-productives. Malgré l’em-
La première phase de l’opération de reconquête est
le siège de la ville, c’est-à-dire le contrôle des points
d’entrée et la surveillance des abords. Grâce aux
moyens techniques modernes (drones, hélicoptères,
radars), les Américains emploient rarement plus d’une
brigade35, renforcée d’éléments irakiens et d’unités
d’appui, artillerie ou aéromobiles pour boucler une
ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants.
US ARMY
Les cercles de feu
MARS 2005
23
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
ploi systématique de munitions de précision, elles touchent parfois la population civile et leur passage en
boucle sur toutes les chaînes de télévision aux EtatsUnis peut donner une vision exagérée du niveau de
violence de l’opération en cours. Il y eut ainsi un décalage énorme en avril entre la guerre réelle vécue sur
le terrain par les Marines devant Falloujah, relativement peu meurtrière pour eux, et la guerre des
médias. C’est pourtant cette dernière qui a incité l’administration à chercher une solution négociée (réf. 1).
Dans le brouillard de la guerre, ce qui est cru
est au moins aussi important que ce qui est
vrai. L’opinion publique étant un acteur
indirect mais important des décisions
stratégiques voire opératives, ce qu’elle croit,
à partir des informations proposées par les
médias, peut influer “en cours d’action ” sur
les opérations, en contradiction parfois avec
ce que vivent les troupes sur le terrain. Les
emballements et les distorsions médiatiques
sont des paramètres opérationnels qu’il faut
surveiller de près.
Le siège aérien, tel qu’il a été pratiqué à Falloujah
d’octobre à novembre, a eu pour but, outre l’affaiblissement de l’ennemi, de fournir aux médias américains des signes tangibles d’action et de frapper
les esprits sur place pour les amener à négocier ou
à fuir. Les bombardements étaient d’ailleurs accompagnés de largage de tracts et d’appels aux hautparleurs d’équipes PSYOPS. Les deux tiers de la population semblent ainsi avoir fui la ville, privant ainsi
la guérilla de sa meilleure protection. Il y a d’ailleurs
lieu de s’interroger sur l’ampleur de cette évacuation qui contredit quelque peu l’image de la main de
fer de la guérilla sur la ville, à moins que les insurgés aient encouragé eux-mêmes le départ des civils
pour faciliter le leur.
Si la troisième dimension appartient à l’armée américaine, la quatrième, le temps, est plus partagée.
Au niveau stratégique, les échéances électorales
américaines de novembre imposent d’agir sans
prendre de risque majeur et celles de janvier 2005
en Irak constituent un butoir incontournable pour la
patience des Chiites, majoritaires et donc potentiellement bénéficiaires de ce vote. Au niveau opératif,
les moyens américains sont insuffisants pour tenter
une reprise simultanée de tous les bastions. Il faut
donc agir par séquence en partant du plus facile
(Latifiya, Samarra, etc.)- pour éviter le risque politique d’un échec et aguerrir les troupes irakiennesavant d’attaquer le plus difficile (Falloujah). Au niveau
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
24
MARS 2005
tactique, il faut arbitrer entre des opérations brèves
mais violentes qui engendrent des souffrances filmées dans la population et des opérations longues
qui donnent du crédit à la résistance. Les combats
ont un rythme heurté, “disharmonique”, alternant
raids et négociations.
Le siège n’est qu’un préalable, il peut difficilement
amener une décision en lui-même. A la fin du mois
d’août, le blocus économique de Samarra (en tenant
le pont d’entrée dans la cité) a certes amené les autorités locales à accepter la présence américaine dans
la ville mais ces mêmes autorités ont été contestées
par un nouveau pouvoir plus radical qui a rejeté ces
accords. Les Marines ont donc dû pénétrer de force.
Les colonnes de fer
Après l’action autour de la ville, commence l’action dans
la ville. Celle-ci a pour objectif la saisie de points clefs
permettant le contrôle des centres politiques, l’entrave
au mouvement de l’ennemi, et, dès que possible, le
découpage de la ville en zones qu’il s’agira ensuite de
classer ensuite en amies, ennemies et incertaines avant
d’y appliquer le traitement correspondant. Pour y parvenir, l’US Army emploie, ce que certains officiers nomment des “colonnes infernale s”, en souvenir des
méthodes du général Sherman durant la guerre de sécession. Ces phalanges interarmes très fortement blindées
et appuyées (tirs directs et indirects préparés sur les itinéraires, hélicoptères et AC-130 Gunship en survol, avions
en attente à 3 000 mètres d’altitude), sont projetées en
raids rapides ou méthodiques (“deliberate”) à l’intérieur du tissu urbain. Il s’agit surtout d’un combat embarqué où, sur un axe de plusieurs centaines de mètres, la
phalange repousse les miliciens et détruit leurs points
d’appui (réf. 454). Les Marines à Falloujah, ont combiné l’emploi des colonnes blindées et l’engagement à
pied (souvent par les toits) (réf.1).
Cet emploi agressif des engins lourds (M1 Abrams,
M2/M3 Bradley) utilise la supériorité des blindages face
à un armement léger et ancien39. Il bénéficie aussi d’une
topographie urbaine très plate avec des bâtiments ayant
rarement plus de deux étages. Les possibilités d’attaque
des blindés par le haut sont donc réduites, et, inversement, les armes de bord peuvent frapper presque partout. De ce fait, les pertes américaines sont relativement
réduites. Le 2/7th Cavalry squadron (niveau groupement
tactique) n’a eu aucun tué en deux semaines de durs
combats à Nadjaf en août (réf.1). La Task Force Lancer
engagée à Sadr City en avril et mai, a eu 52 blessés mais
pas de mort au combat, alors que les pertes ennemies
sont de plus de 700 tués (réf. 49). Cette capacité, associée au commandement numérisé, autorise donc des
raids audacieux et des patrouilles agressives qui décou-
Irak
US ARMY
Le sabre et le scalpel
ragent l’adversaire et impressionnent la population.
Les forces américaines peuvent ainsi mordre sur plusieurs kilomètres de profondeur dans un tissu urbain
dense et défendu ou effectuer des opérations de
bouclage sur des cibles précises.
Le succès de ces phalanges lourdes a relancé le débat
sur la transformation des forces terrestres. Par prudence, des divisions américaines resteront donc
dotées du binôme lourd Abrams-Bradley pendant
plusieurs décennies et il n’est pas question, au
contraire, de réduire leur nombre en Irak (réf.1). Si
ces raids de pénétration ressemblent à des coups de
poing directs, la conception d’ensemble peut parfois
être subtile. Pour Phantom Fury, les Marines ont
reproduit la manœuvre d’Aix-la-Chapelle (octobre
1944). Ils ont d’abord attaqué l’est de Falloujah et se
sont emparés de quelques points clefs puis ont basculé leur effort, par surprise, au nord de la ville.
Il est intéressant de noter que parmi les points clefs
attaqués durant la phase préliminaire se trouvent
les deux principaux hôpitaux de la ville. Les Marines
en ont détruit un par un raid aérien, quelques jours
avant son inauguration (réf. 410) et se sont emparés
du second, avec l’aide des meilleures troupes régulières irakiennes. Le but était de priver les insurgés
de deux points d’appui, toujours délicats à attaquer
en pleine bataille, sans le bénéfice de la surprise et
alors que les salles sont remplies de blessés et de
médias. En avril, lors de la première bataille, les médecins étaient pratiquement les seuls contacts avec le
monde extérieur. Leur description quotidienne de la
situation sanitaire a contribué à saper la détermination de l’opinion publique et de l’administration américaines. Plus cyniquement et dans la perspective
d’un combat de longue durée, la saisie de ces hôpitaux prive aussi la rébellion des moyens de soigner
correctement ses blessés.
Cette pénétration initiale sur les
principaux axes permet ensuite
un découpage de la zone des
combats de façon à identifier
les “trois blocs” décrits par le
général des Marines Krulak : les
zones amies qu’il s’agit d’aider,
les “ kill boxes ” où tous les
coups sont permis, et les zones
intermédiaires qui relèvent plutôt du concept français de maîtrise de la violence.
Il ne s’agira donc pas de fouiller
et de réduire chaque quartier (la
ville de Falloujah en compte plus
de 1000), mais d’agir de manière chirurgicale sur des cibles clairement identifiées. A
Nadjaf et kufa, la Task Force Iron Dukes se concentrait
sur les chefs mahdistes et les caches d’armes, tout en
exerçant une pression permanente sur les miliciens.
De manière dialectique, le combat rapproché et
les feux de précision à longue distance
représentent le yin et le yang du combat.
L’existence de l’un nécessite celle de l’autre. Les
effets les plus importants des tirs à distance sont
obtenus sur des cibles groupées mais cette
efficacité provoque la dispersion de l’ennemi.
Cette dispersion dilue les forces de l’ennemi
mais ces éléments camouflés au sein d’une
grande ville très peuplée sont très difficiles à
déceler et détruire. Il faut donc placer l’ennemi
devant le dilemme de masser ses forces et
risquer la destruction par des feux à distance ou
au contraire de les disperser et risquer la
destruction par le combat rapproché. Ce dernier
n’est donc pas un recours par défaut mais un
élément du spectre tactique d’autant plus
essentiel qu’il offre seul des résultats décisifs40.
Se pose donc de manière évidente le problème du renseignement dans un milieu complexe où l’ennemi
recherche systématiquement le camouflage de la population et l’occupation des lieux protégés (lieux saints,
écoles, hôpitaux). Trier le milicien rebelle du civil innocent, le canaliser vers des kill zones demande nécessairement une action militaire rapprochée, méthodique
et précise. Celle-ci est bien sûr facilitée si la population
civile est rare, d’où l’intérêt de la pousser à évacuer les
lieux. Il faut noter en outre que le mélange de l’ennemi
avec la population n’est jamais total, soit parce que celle-ci est hostile aux insurgés (comme à Nadjaf), soit parce qu’elle gêne les combattants. Ces derniers sont concentrés sur des points d’appui de taille variable.
MARS 2005
25
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Une fois une cible localisée (leader, cache d’armes,
point d’appui), une opération de bouclage et de
fouille est lancée. Pendant ces attaques, la priorité
est à la décision de conduite et donc au renseignement rapide. Trois capteurs connaissent un grand
développement : les équipes cynophiles (pour les
caches d’armes), les drones, car ils donnent une image en temps réel et enfin le chef de section/peloton.
Le combat urbain, comme tout combat rapide, nécessite un commandement de l’avant. Le fer de lance
est souvent un M1 Abrams de chef de peloton, de
façon à bénéficier du blindage et d’une capacité de décision “éthique” (doit-on tirer ou pas ?) (réf. 451 et 454).
Si la cible à frapper est dans une zone de tir libre, le
volume de feu déployé peut être considérable. Obus
d’artillerie, canons mitrailleurs de 25mm des Bradley
et canons de 120mm des Abrams dotés de munitions
polyvalentes, bombes guidées et missiles, AC130
Gunship tout est bon pour obtenir la destruction complète du lieu en touchant le moins possible l’environnement de l’objectif. Il s’agit de faire mal, de détruire les dépôts, les infrastructures, les laboratoires
d’artificiers, mais surtout de faire du body count c’està-dire tuer le maximum d’ennemis (réf. 1).
Si la zone cible est plus délicate à traiter (forte présence de la population, point sensible comme la
Mosquée d’Ali à Nadjaf ), on combine alors un combat rapproché méthodique avec des appuis de grande précision mais suffisamment puissants pour percer des ouvrages bétonnés. Les obus de chars et les
munitions air-sol guidées prennent alors le pas sur
les projectiles de l’artillerie, qui n’offrent pas pour
l’instant les mêmes garanties de précision. La sauvegarde de la population est désormais bien intégrée dans le comportement des troupes, quitte à
accepter des risques supplémentaires.
Les tireurs d’élite apparaissent comme essentiels.
Ils permettent d’éliminer les tireurs RPG qui pourraient s’approcher des véhicules sans toucher à la
population environnante, ni aux lieux saints. Un caporal revendique ainsi 24 coups au but à Falloujah (réf.
31). Par leur simple présence, ils contribuent aussi
à gêner les évolutions des troupes légères. Ils constituent donc un atout supplémentaire pour les
Américains, qui, eux, peuvent se déplacer sous la
protection de blindages. Toutes les unités américaines augmentent donc le nombre de leurs tireurs
d’élite. Même les unités de blindés lourds forment
leurs propres cellules de snipers à partir de leurs
meilleurs tireurs (réf. 451). Dans le même esprit,
l’USMC accélère la mise en place de lunettes de tir
ACOG (advanced combat optical gunsight, grossissement par 4) sur les fusils d’assaut. Outre qu’elle
autorise une plus grande allonge, cette lunette per-
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
26
MARS 2005
met une plus grande discrimination des cibles, facteur essentiel dans ce contexte. Ces cellules sont placées dans les bâtiments nettoyés, en arrière et audessus des éléments d’assaut, parfois même sur des
hélicoptères. A noter également l’emploi de drones
armés, notamment à Nadjaf en juillet, pour détruire des mortiers portés sur camions (réf. 451).
La réussite dans ce traitement à la fois puissant et
précis, qui ne fait souffrir que sporadiquement la
population civile, constitue une nouveauté qui a favorablement impressionné les autorités locales, notamment le clergé chiite dans le sud du pays, qui ont pu
ainsi appuyer une démarche américaine que l’on craignait dévastatrice.
Les insurgés, de leur côté, sont desservis par un matériel ancien et mal entretenu, et une pauvreté générale des savoir-faire tactiques. Beaucoup de jeunes
Mahdistes faisaient ainsi confiance à Dieu pour guider leurs balles. En mai 2004, près de la ville d’Amara,
150 d’entre eux tendirent une embuscade à des soldats britanniques. Ceux-ci abattirent officiellement 16
miliciens (mais sans doute beaucoup plus) sans avoir
eux-mêmes un seul mort (réf. 412). Les Marines à
Falloujah furent surpris de voir des snipers utiliser des
positions trop évidentes au sommet d’une mosquée
et surtout ne pas bouger avant d’être détruits. L’un
de ces snipers a néanmoins réussi, à lui seul, à stopper la progression de tout un bataillon américain. En
revanche, les rebelles ne manquent pas d’ingéniosité technique, ni surtout de courage. Les tireurs RPG
sont leur fer de lance. Pour avoir une chance de toucher un point vulnérable (comme le poste de tir missiles sur les Bradley), ils ont modifié la sécurité qui
empêche la munition d’exploser à moins de 70 mètres
et cherchent le tir à quelques dizaines de mètres des
blindés, ce qui réduit fortement la durée de leurs carrières. Les snipers, avec fusils Dragunov, sont également très employés pour leur allonge et leur précision, qui leur permet de trouver des failles dans les
blindages ou les gilets pare-balles.
Le point fort des insurgés est l’utilisation du terrain,
surtout si, comme à Falloujah, il a pu être organisé.
Les insurgés s’appuient sur des points d’appui classiquement accolés à des sites protégés (lieux saints,
écoles, etc.) et reliés par un réseau caché, souterrain
ou à travers les murs. Pour faire face aux blindés, les
engins explosifs sont massivement employés (653
pendant les trois premières semaines de combat à
Falloujah) (réf. 11) et parfois aussi des véhicules-suicide. A Falloujah, les Marines ont retrouvé des
méthodes proches de celles des Japonais pendant la
guerre du Pacifique. Des hommes se sont ainsi terrés
pendant des jours dans des recoins de bâtiments afin
d’attendre le moment favorable pour frapper à coup
sûr avant de se faire abattre.
No worse enemy, no better friend
Dans les zones classées comme amies, la posture est
radicalement différente et relève des procédés de stabilisation. Les soldats participent à la conquête des
“cœurs et des esprits ”, en distribuant, comme les
hommes de la First Cav à Nadjaf, des repas emballés et
étiquetés en arabe, préparés selon la tradition locale ou
en soignant les civils dans des postes de secours mobiles.
A long terme, des projets économiques sont amorcés
en fonction du degré de coopération des autorités locales
(réf. 1). A Nadjaf, un total de 1,9 million de dollars ont été
versés pour 2600 habitants de Nadjaf, en signe de condoléances et réconciliation. A Sadr City, la trêve du 9 octobre
2004 n’a été acquise qu’avec la promesse d’une aide
économique massive (500 millions de dollars). Ces actions
humanitaires sont cependant contrebalancées par des
actions similaires de la part de la résistance, qui ne
manque pas de moyens financiers.
Ces actions ne sont pas une fin en soi, elles participent
directement aux opérations en cours en constituant le
volet positif des négociations qui se déroulent simultanément aux combats entre les autorités locales, les
combattants et le gouvernement. Ces actions et promesses présentent l’avantage de permettre aux autorités locales de sauver la face en donnant l’impression
que l’on ne cède pas devant la force mais devant l’intérêt collectif. Elles offrent ainsi une alternative à une résistance désespérée.
Le dernier stade est celui de la normalisation, au moins
apparente. Le samedi 28 août 2004, cinq ministres du
gouvernement irakien se rendent ainsi au Mausolée d’Ali
à Nadjaf, pour marquer le retour symbolique de l’autorité et remercier l’imam Al Sistani. Durant cette phase,
des actions complémentaires de désarmement ou de
perquisitions peuvent être menées en liaison étroite
avec les forces de sécurité irakienne qui, normalement,
relèvent les Américains sur la zone conquise.
Des coups d’épée dans l’eau ?
Pour l’instant, l’efficacité tactique de la méthode est
certaine. Le rapport des pertes est étonnamment favorable. Du 30 mars au 15 juin 2004, la Coalition rétablit
l’ordre dans toutes les villes de la zone chiite (dont Koufa,
Nadjaf et le quartier de Sadr City ) au prix de 29 morts
(dont 23 Américains). Au même moment, la 1re Division
de Marines, pendant la phase de bouclage de Falloujah,
perd huit hommes en sept jours et revendique la mort
de 300 adversaires (réf. 22). Au même endroit, en
novembre, dans des combats beaucoup plus durs, la
NOTES :
même division a perdu 71 hommes (au 27
décembre) pour des
pertes ennemies
dépassant 1 300 tués.
Les Américains ont la
supériorité sur tous les
points de contact.
Pour l’instant, et c’est
la grande nouveauté,
ces succès sont aussi
obtenus avec des
dommages collatéraux “modérés”. Les images de civils
tués ou blessés sont ainsi beaucoup moins présentes
dans les médias que lors des frappes “Shock and Wave”
de mars 2003. Ces opérations ont permis également de
détruire de très nombreuses caches d’armes et ateliers,
en particulier à Falloujah (dans 200 des 1000 quartiers
de la ville) et ramené la résistance à l’émiettement et la
clandestinité d’avant avril 2004.
Les résultats stratégiques, avant les élections du 30
janvier, sont en revanche incertains. Les milices faiblement implantées à Ramadi, Samarra ou Tall Afar, près
de la frontière syrienne, ont été balayées en quelques
jours malgré une résistance souvent acharnée. L’Armée
du Mahdi, qui n’était véritablement implantée que dans
le quartier de Sadr City, a néanmoins tenu tête aux
Américains pendant cinq mois et il a fallu trois compromis pour faire cesser les combats. Les pertes mahdistes
ont été terribles mais elles ont ajouté du crédit à leur
résistance. Moqtada al-Sadr n’est plus inquiété par une
arrestation et le désarmement de ses miliciens reste très
théorique. A Falloujah, la faiblesse de la résistance initiale, le petit nombre de terroristes étrangers éliminés,
donnent à penser que la plupart des mouvements rebelles
ont quitté la ville.
A plus long terme, se pose le problème du contrôle du
terrain. Manquant d’effectifs et de légitimité auprès de
la population, les Américains sont obligés de “passer la
main” aux forces irakiennes. Or ces dernières s’avèrent
fragiles tactiquement et peu fiables politiquement. Il y
a donc un risque de pourrissement de la situation dans
les villes reconquises. La tentation est donc forte pour
les résistants de “laisser passer l’orage” américain en
attendant des jours meilleurs et de conserver une présence dans les esprits en poursuivant des attaques tous
azimuts. A Falloujah même, des poches de résistance
subsistent.
La guérilla est-elle affaiblie, dispersée ou simplement
dormante ? Va-t-on assister à une nouvelle mutation
alors que commence la bataille des élections ?
37 La diffusion de la TSF dans les armées de 1914 à 1940 a ainsi entraîné une
transformation des structures et des rôles. Cet exemple historique mérite
35 Le maximum est de quatre brigades américaines et une brigade irakienne,
pour “Phantom fury” à Falloujah.
36 A noter le rôle de la cavalerie américaine, dont les structures préfigurent les
futures Units of action, dans la mise au point et la diffusion des méthodes
interarmes.
d’être étudié.
38 Les drones sont désormais employés par tous les OCA.
39 Les roquettes RPG sont souvent de la première génération, perçant deux fois
moins de blindage que les derniers modèles.
40 Sans, par ailleurs, engendrer des pertes particulièrement importantes.
MARS 2005
27
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
US ARMY
Irak
Conclusion :
les “ comptes des 1001 ennuis ”
Quand on ne se sait pas en guerre, il est difficile de
la gagner. L’histoire de l’adaptation des forces américaines à la situation en Irak est avant tout une histoire de l’évolution des perceptions avant d’être celle d’une adéquation des méthodes.
La première vision de la guérilla fut celle d’un réseau
plus ou moins organisé par l’ancien régime, associé à des mouvements terroristes. Ce diagnostic n’était
sans doute pas très loin de la vérité. Le choix de
détruire ce réseau en éliminant sa tête était apparemment logique. Le problème fut que cette décapitation fut peu chirurgicale et l’inadéquation de l’instrument militaire à la mission, malgré quelques
succès, a fini par donner une assise populaire à la
guérilla à l’automne 2003.
et Moqtada al-Sadr est devenu intouchable sous peine de soulèvement. Les bastions rebelles ont été
reconquis de force juste avant les élections de janvier mais le doute demeure sur l’attitude à adopter.
Alors que la bataille des élections commence, certains officiers américains sur le front font connaître
leurs doutes sur une résolution du problème par la
seule extermination des rebelles. Pour eux, le bon
centre de gravité aurait peut-être dû être la façon
dont la population voyait les choses.
Le diagnostic suivant considéra simplement que les
“ terroristes ” étaient plus nombreux et beaucoup
mieux organisés que prévu, justifiant ainsi a posteriori l’intervention en Irak. Face à cette menace, la
seule voie possible était l’extermination complète.
D’une part, il n’était pas question de négocier avec
le “mal ” et d’autre part, dans la logique protestante, on naît “ bad guy ”, plutôt qu’on le devient. Leur
nombre était donc fini et il suffisait de mettre suffisamment de moyens pour les éradiquer. Comme au
Vietnam, le phénomène s’est ensuite auto-entretenu. Alors que le chiffre initialement estimé des bandits a été anéanti plusieurs fois, le chiffre des pertes
américaines a augmenté insensiblement, passant
d’une moyenne d’un mort par jour avant avril 2004
à deux, après cette date.
Si on adopte ce point de vue, que de batailles perdues apparaissent. Le 29 avril 2003 à Falloujah,
lorsque des manifestants se massent devant une
école de filles occupée par les parachutistes de la
82e Airborne, ceux-ci voient surtout les portraits de
Saddam Hussein brandis par la foule, puis les tireurs
isolés qui profitent du masque de la population pour
les harceler. Leur riposte meurtrière (13 morts dont
six enfants, 45 blessés) a écarté la menace à court
terme, mais celle-ci s’est au contraire accrue à long
terme par le fossé qui s’est créé avec la population.
On peut multiplier les exemples. En décembre 2003,
Mohannad Ghazi Al Kaabi, maire de Sadr City, quartier de plus de deux millions de déshérités, est tué
par des gardes américains qui lui refusent l’entrée
de sa propre mairie. Cette mort laisse le champ libre
à Moqtada al-Sadr. A peu près à la même époque,
un membre de la tribu des Albueissa (50 000 individus) explique le ralliement à la guérilla de sa communauté : “ Lorsque les Américains sont attaqués,
ils tirent partout. C’est inhumain et stupide de la part
d’un pays qui parle toujours des droits de l’homme
(réf. 32) ”.
Parvenue à une nouvelle masse critique, la guérillavirus a connu une nouvelle mutation. Les cellules
volatiles sont devenues des organisations structurées capables de s’emparer et de tenir des bastions
urbains. Un nouveau front a surgi avec le coup de
force mahdiste. Deux têtes sont alors apparues, susceptibles de fournir de nouveaux centres de gravité :
le Jordanien Moussab al-Zarquaoui, présenté comme l’âme du terrorisme en Irak, et Moqtada al-Sadr,
le leader populiste chiite. Ces deux têtes s’avèrent
cependant difficiles à couper. Al-Zarquaoui est un
fantôme (au sens propre pour beaucoup d’Irakiens)
Une guerre pour la liberté et les droits de l’homme
ne peut effectivement souffrir d’aucun écart, tant le
divorce entre les idées et les faits apparaît alors comme flagrant et scandaleux. Chaque image de mauvais comportement, comme celle du Marine abattant
un homme à terre le 13 novembre 2004 à Falloujah
ou du soldat Lynndie England traînant un homme nu
à Abou Graïb, est une défaite. Les Américains expérimentent ainsi très concrètement le concept de
“caporal stratégique”. L’attitude d’une force en stabilisation, dans un environnement très médiatisé
relève de la “qualité totale” ou du “ zéro défaut ”
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
28
MARS 2005
Irak
Cette intelligence de situation étendue à tous suppose cependant une rupture dans les modes de pensée et de formation au sein des forces armées américaines. Les unités sur le front, au contact de la
population ont entrepris cette transformation avec
volontarisme. Cette révolution dans les affaires
humaines, clef de la contre-insurrection, intéresse
encore peu le haut commandement interarmées, plus
tourné par les défis techniques grandioses. La génération qui a connu le Pacte de Varsovie est encore
souvent réticente face à une évolution en rupture
complète avec son passé militaire.
Le dernier facteur est plus sournois et relève du goût
prononcé pour les solutions technologiques. La division de Marines qui prônait l’imbrication avec la popu-
lation et le “gant de velours ” à son arrivée sur le sol
irakien est en train de mettre en place à Falloujah
des “centres de traitement des citoyens” où tous les
hommes de la ville vont subir un test ADN, un enregistrement vocal, un scan des pupilles et des
empreintes digitales. Les banques de données obtenues sont reliées à celles du FBI et CIA. Ils porteront
sur eux en permanence une carte d’identité spéciale et n’auront plus le droit d’utiliser de voitures personnelles, arme favorite des kamikazes (réf. 417).
Cette ville modèle, qui ressemble, en plus high tech,
aux projets de regroupement des populations en
Algérie ou au programme Phoenix au Vietnam est en
contradiction flagrante avec les valeurs de liberté
individuelle des Américains (qui ne possèdent pas
même de carte d’identité). Matérialisation d’un doute sur l’attitude à adopter sur le terrain, elle instillera probablement ce doute dans l’opinion publique
américaine qui ne voyait certainement pas l’avenir
de l’Irak de cette manière.
US ARMY
chers aux entreprises des années 1980. Or la qualité totale, ou discipline totale en termes militaires,
ne s’approche véritablement que par la responsabilisation jusqu’aux plus petits échelons.
ANNEXE 1 :
LA BRIGADE LABORATOIRE
En décembre 2003, la 3e brigade de la 2e DI, à peine
arrivée sur le territoire irakien, était engagée dans
l’opération Ivy Blizzard près de Samarra. Après une
série de raids sur treize jours, 7 personnalités de la
résistance sunnite avaient été arrêtées, 15 insurgés
tués et 20 caches d’armes découvertes au prix d’un
blessé léger et d’un véhicule endommagé. Cette opération marquait le baptême du feu d’une unité d’un
nouveau type dans l’US Army : la Stryker Brigade
Combat Team (SBCT) (réf. 34).
Décidées en 1999, les brigades d’infanterie blindée sur
véhicules à roues sont donc apparues dans l’ordre de
bataille en moins de quatre ans. Cette rapidité constitue une performance d’autant plus remarquable que le
concept avait été très contesté et que tout était à créer.
Mais l’aspect le plus intéressant réside dans les similitudes entre ces brigades, qui devraient être au nombre
de six en 200841, et les futures unités françaises numérisées sur VBCI. Chaque SBCT comprend également un
bataillon de renseignement multicapteurs. Il est donc
particulièrement intéressant de tirer parti de l’expérience
au combat en Irak des brigades de ce type.
La plate-forme Stryker
Le Stryker est un dérivé du modèle canadien Piranha
Mowag, qui avait déjà donné naissance au LAV III des
Marines, qui a été acheté, sur étagère, comme plateforme de base. Il a été ensuite décliné en dix versions
dont huit sont engagées en Irak (transport d’infanterie, reconnaissance, commandement, génie, mortiers,
lance-grenades, antichar, évacuation sanitaire) et deux
sont encore en cours de développement (NRBC et
Mobile Gun System avec canon de 105 mm) (réf. 458).
Le Stryker est un blindé 8 x 8 de 19 tonnes, doté d’un
moteur de 350 chevaux qui lui permet d’atteindre
100 km/h sur route pour une autonomie proche de
500 kilomètres. La mobilité tout terrain, sans atteindre
celle des engins à chenilles est excellente et la tenue
de route est remarquable. Une autre caractéristique
de l’engin est sa tourelle Protector qui combine le
très ancien, dans son armement à base de 12,7 mm
ou de 7,62 mm, et le plus moderne avec son imagerie thermique et son électronique de commandement. La vulnérabilité du chef d’engin en tourelle a
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
30
MARS 2005
été très vite constatée et atténuée par un système
de plaques de blindage amovibles, couplées à des
sacs à terre. Le coût unitaire du Stryker est de 2 millions de dollars.
La mise en place du Stryker permet de mettre, pour
la première fois dans l’histoire l’US Army, de l’infanterie légère sous blindage. Elle permet donc de
combler, en partie, le fossé entre des divisions rapidement projetables, mais combattants à pied ou en
véhicules non protégés et des divisions blindéesmécanisées lourdement blindées mais aussi longues
à mettre en place. Les SBCT étant présentées comme des prototypes des unités de la “ Force future”,
à la fois protégées et légères, les tenants de l’infanterie lourde n’ont pas manqué de les critiquer avec
virulence. Les critiques portent sur les nombreux problèmes techniques rencontrés42, les dépassements
de budget43 et le retard pris par la réalisation du
Mobile Gun System, tant vanté. En matière de transport et d’autonomie logistique,44 le cahier des charges
initial n’a pas été respecté. Censé être transportable
par avion, ce véhicule à huit roues de 19 tonnes rentre
à peine dans un avion de transport C. 130 et plus du
tout avec son blindage en cage à poule. Les sceptiques soulignent également que la 3/2e DI n’a pas
été déployée dans un des secteurs les plus difficiles,
sous-entendant que l’US Army reconnaît par là que
l’engin est mal conçu pour faire autre chose que des
opérations de police (réf. 460).
Mais la principale critique concerne la vulnérabilité
supposée face aux munitions cinétiques (14,5 mm
essentiellement) ou creuses (RPG), utilisées par
toutes les guérillas du monde, sans parler des armées
régulières. Deux programmes d’urgence ont permis
d’y faire face, le premier ajoutant deux tonnes de
blindage additionnel et le second encerclant le véhicule d’une “cage à poule” ou slat armor. Ces mesures
se sont révélées efficaces puisque, de décembre
2003 à novembre 2004, les Stryker ont résisté à 56
attaques par explosifs improvisés (IED) et 24 attaques
RPG sur 26. L’un d’entre eux a même “survécu ” à
une charge de 250 kilos déclenchée à son passage.
Le véhicule a pu regagner sa base et l’équipage n’a
reçu que des blessures légères. Le général
Schoomaker, nouveau chef d’état-major a donc pu
déclarer récemment que “the most survivable vehicle
in Iraq today is the Stryker ” (réf. 461). Les critiques
se sont donc atténuées mais non tues.
Irak
La brigade la plus interarmes de l’US Army
Le bataillon RSTA est bien équipé en moyens de feux
avec 6 mortiers de 120 mm et 36 postes de tir Javelin
(2500 m de portée), mais il est mal taillé pour faire de
la reconnaissance de contact. De plus, dans le cadre des
combats en Irak, face à un ennemi de faible puissance
mais très volatil, le commandant de brigade est toujours
tenté d’utiliser les unités du bataillon de cavalerie en
intervention immédiate. Les possibilités de tirs indirects
sont excellentes, grâce aux mortiers organiques, aux
trois VOA et l’emploi des cartes digitalisées fournies en
direct par les drones. En revanche, les possibilités de tirs
directs sont limitées aux mitrailleuses de bord (douze
12,7mm par compagnie de reconnaissance) et aux lance-grenades MK19 (6 par compagnie). Beaucoup d’officiers prônent l’affectation d’au moins une compagnie
de Mobile Gun System lorsque ceux-ci seront opérationnels (réf. 453).
Une brigade SBCT déployée en Irak comprend environ 3 500 hommes et 2 000 véhicules dont 300 Stryker.
Outre son état-major, la brigade comprend :
- un bataillon de reconnaissance ;
- trois bataillons d’infanterie ;
- un bataillon d’artillerie (avec 12 obusiers M198 de
155 mm mais très largement employé en combat
d’infanterie, ce qui implique un entraînement et un
équipement particuliers) ;
- un bataillon logistique ;
- une compagnie du génie (avec 9 Engineer Squad
Vehicles) ;
- une compagnie antichar (avec 9 Stryker Tow IIB et
1 véhicule Fire Support Vehicle) ;
- une compagnie de renseignement (Military intelligence, MI).
La variété et la complémentarité des moyens (drones
et radars compensent les insuffisances actuelles du système d’observation LRAS348 face aux terrains boisés et
urbains) permettent d’acquérir une masse d’informations considérable, sans doute la plus élevée au monde pour une brigade de combat. Grace à la numérisation, le Tactical Operations Center, peut ensuite irriguer
l’ensemble de la brigade. Cette abondance est censée
compenser, par les capacités d’anticipation qu’elle apporte, la faiblesse de la protection du blindage par rapport
à une unité sur Bradley.
La Stryker Brigade 3-2 ID s’est vu adjoindre pour sa
mission en Irak, un bataillon d’hélicoptères (OH-58
Kiowa et UH-60 Black Hawk), rapidement considéré
comme un multiplicateur d’efficacité indispensable.
Cette structure est donc organiquement très interarmes, ce qui est assez nouveau dans l’US Army et
elle préfigure largement celle des futures Units of
Action.
Cette structure reste cependant très orientée dans l’acquisition d’objectifs classiques, en particulier les véhicules. Elle est donc largement stérile dans un contexte
de guérilla urbaine pour avoir une vision claire de l’ennemi et de ses intentions. La reconnaissance de contact
prédomine encore largement sur la reconnaissance électronique. Autre problème constaté, la coordination entre
les sections de reconnaissance des bataillons d’infanterie et le bataillon RSTA, nécessite un certain temps pour
se mettre en place. Les bataillons d’infanterie perdent
ainsi souvent du temps en reconnaissant des axes ou
des zones déjà reconnus par le bataillon RSTA (réf. 452).
US ARMY
Le premier élément intéressant est l’effort fait sur les
moyens de renseignement. La brigade dispose d’un
bataillon multicapteurs dit RSTA (Reconnaissance,
Surveillance, Targeting and Acquisition). Ce bataillon
comprend trois compagnies de reconnaissance avec,
pour chacune, trois sections à quatre engins, un groupe de deux mortiers de 120 mm sur Stryker, un véhicule d’observation d’artillerie (Fire Support Variant,
FSV) et un groupe de commandement. Il comprend
également une compagnie d’acquisition avec une section drone (équipée de 4 Shadow 200), une section
de radars (3 intercepteurs de signaux Prophet, 3 radars
GSR45 et 3 REMBASS), et une section NRBC (réf. 452).
En ajoutant la section de reconnaissance de chaque
bataillon d’infanterie, on obtient un nombre d’éclaireurs triple de celui d’une brigade classique46. Est
remarquable également, pour une unité américaine,
l’effort fait sur le renseignement humain (HUMINT)
avec une section dans la compagnie MI. Un spécialiste HUMINT est également normalement affecté dans
chacune des 40 équipes de reconnaissance47 mais
son emploi fait débat. Ce spécialiste est souvent pris
dans le personnel du contre-renseignement et de ce
fait, souvent peu préparé à un emploi en première
ligne. Ces spécialistes sont donc souvent regroupés
au sein d’un peloton HUMINT/Contre-renseignement,
lui-même menacé par les projets de réduction du volume de la brigade (réf.1).
Le deuxième effort, plus adapté à la situation contreinsurrectionnelle, concerne l’infanterie. La première
caractéristique est son nombre puisque la SBCT peut
mettre à terre 1300 hommes, parmi les mieux équipés
(postes radio individuels, nouveaux casques et tenues,
robots de combat en 2005, etc...) contre 790 seulement
dans les brigades sur Bradley. Les compagnies d’infanterie sont à 170 hommes. Chaque Stryker des sections
d’infanterie (3 par compagnie, à 4 véhicules) transporte 11 hommes contre 8 dans le Bradley. A terre, ces
quelques hommes de différence permettent presque de
doubler les possibilités d’action des groupes (réf.460).
Ceux-ci sont appuyés par des moyens nombreux et
proches. Il y a d’abord, pour l’ensemble de la brigade,
neuf équipes de tireurs de précision et trois groupes de
“tireurs lourds” (équipés du fusil XM107 en 12,7 mm),
proportion inférieure aux unités françaises équivalentes,
mais supérieure aux autres brigades de l’Army. Il y a surtout les 18 obusiers de la brigade et les 16 mortiers de
chaque bataillon, de trois calibres différents (4 de 120
mm, 6 de 81mm et 6 de 60 mm). Ces mortiers apportent
des tirs précis, variés49 et surtout rapides grâce à la
numérisation, à la répartition organique aux différents
échelons et le fait qu’ils soient montés sur véhicules.
Dans un contexte de contre-guérilla où les combats sont
rapprochés, le manque de portée n’est pas un handicap. A terme, chaque compagnie disposera organiquement d’une section de Mobile Gun System équipés d’un
canon de 105 mm.
Les officiers des SBCT soulignent aussi combien le rendement de chaque bataillon augmente lorsqu’il n’est
pas employé isolément mais au sein d’une opération de
brigade. Cette différence s’explique en grande partie par
l’efficacité de la mise en œuvre des appuis et soutiens
dans une grande unité numérisée.
Le combat numérisé
La coordination de tous moyens humains et matériels
variés et intégrés est largement facilitée par l’Internet
tactique constitué par l’association du Force XXI Battle
Command Brigade and Below (FBCB2), du Blue Force
Tracking (version du FBCB2 à positionnement par satellite) ou du Maneuver Control System. Chaque véhicule
est doté d’une carte électronique et d’un clavier. La carte fournit la position des amis et, autant que possible
des ennemis, ainsi que leur mission ou attitude.
Dans le cadre des combats de contre-guérilla en Irak,
les officiers subalternes retiennent de nombreux avantages (ref.1) :
• Réduction drastique de la “friction”. Chacun connaissant sa position et celles des autres, les erreurs topographiques sont réduites ainsi que les tirs fratricides.
Les feux indirects sont plus précis. Les liaisons sont
pratiquement toujours assurées, sinon à la voix, au
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
32
MARS 2005
moins au clavier. De ce fait, les commandants d’unité
peuvent aussi oser des manœuvres audacieuses en
engageant, par exemple, leurs cellules tactiques dans
les ruelles d’une grande ville sans craindre de les perdre.
• Simplification de la logistique. La logistique s’effectue de manière électronique. On libère ainsi le réseau
radio et tous les problèmes habituels, liés souvent à
la topographie, sont largement réduits.
• Accélération du commandement. La messagerie préenregistrée, la possibilité de transmettre directement
et instantanément les ordres graphiques de l’échelon
supérieur, puis d’y apporter des compléments, la liaison permanente, enfin, ont considérablement réduit
les délais de conception et de diffusion des ordres. Il
est désormais possible de commander à distance et
de concevoir “en roulant” grâce en particulier au MBTCOM ou Mounted Battle Command on the Move. Il
s’agit d’un PC standardisé de bataillon et de brigade
qui synthétise en un seul ou deux véhicules la quasi
totalité des réseaux interarmes et interarmées. Il permet de commander à l’avant en conservant un PC plus
lourd à l’arrière qui travaille sur la manœuvre future et
la logistique. La quantité d’informations reçue et sa
précision réduisent également, sans l’éliminer, la part
d’incertitude dans les ordres. Les chefs ressemblent
de plus en plus à des joueurs d’échecs.
• Facilitation de la coordination interarmes. Les moyens
numériques permettent à une compagnie de couvrir
un espace trois à quatre fois supérieur à celui d’une
compagnie traditionnelle. Chaque échelon de commandement a accès à des informations qui sont réservés ailleurs au niveau supérieur. L’ensemble de la brigade elle-même dispose d’une “vision” claire sur une
zone de 2500 kilomètres-carrés. Dans ce contexte, la
coordination interarmes se trouve grandement facilitée. Il n’est pas rare pour un chef de section, en mission de reconnaissance par exemple, de combiner véhicules d’appui, groupes de combat d’infanterie,
observateur d’artillerie et groupe du génie. Les moyens
de désignation de la section d’appui (Fire Support
Vehicle), permettent à chaque compagnie de recevoir
des appuis par munitions guidées par laser de l’US Air
force ou de l’artillerie.
Il en découle une manœuvre souple et dynamique combinant les avantages de la numérisation, des qualités
du véhicule (vitesse, silence, imagerie thermique) et
d’une infanterie nombreuse, bien équipée et bien
appuyée. Le mode d’action privilégié est donc le raid de
bouclage de nuit. Les cas de capture sans ouvrir le feu
sont ainsi beaucoup plus nombreux que dans les autres
brigades. Grâce à la circulation des informations, les éléments réservés (Quick Reaction Forces) sont particulièrement efficaces car ils peuvent anticiper plus facilement les événements. Dans le slogan “see first,
understand first, act first and finish decisively”, la SBCT
excelle dans les deux premiers termes. Pour les deux
derniers, le débat reste ouvert.
Irak
Avec la numérisation, ces tendances s’étendent à l’ensemble de l’espace de bataille. Des officiers, qui jusquelà étaient obligés de prendre des décisions, peuvent
devenir hésitants car ils savent qu’ils sont observés
et que leurs supérieurs disposent (en apparence) des
mêmes informations qu’eux50. Inversement, de nombreux chefs ont tendance à faire du micro-management.
On se retrouve donc face à la problématique rencontrée dans les années 1930-1940 avec la mise au point
et la diffusion de matériels de transmissions souples,
“légers” et à grande portée. Comme toute innovation,
la numérisation interagit avec toutes les composantes
de l’organisation militaire. Elle va donc impliquer d’autres
changements, dans les structures sans doute, mais
surtout, dans les esprits.
Dans le cadre d’emploi de l’Irak, l’échelon bataillon
tend à disparaître. L’état-major de la brigade, qui centralise les informations, a tendance à commander directement des sous-groupements très puissants. Ces derniers disposent des informations auparavant dévolues
au bataillon. Ce dernier échelon apparaît donc souvent
comme un relais superflu.
Il faut noter enfin que dans un contexte de contre-guérilla, la richesse des moyens d’acquisition n’est pas forcément bien adaptée à un ennemi qui se fond dans la
population. La Red Force est donc assez peu représentée sur les écrans. De plus, si l’initiative appartenait aux
Américains contre l’armée régulière de Saddam Hussein,
qui ne réagissait jamais en moins de 24 heures, ce n’est
plus forcément le cas face à de petites cellules de guérilla autonomes. La facilité du commandement numérisé tend également à privilégier le combat embarqué sur
la manœuvre à pied, d’autant que le FBCB2 portable est
encore en cours d’expérimentation51. La tendance naturelle à gérer les feux plutôt que le terrain ou le milieu
humain s’en trouve accentuée. Un autre problème constaté est l’oubli des modes dégradés comme l’emploi d’une
carte papier (qui offre par ailleurs de meilleures possibilités d’analyse du terrain, du relief en particulier, que
l’imagerie et les données GPS) (réf.1).
Quant au “finish decisively”, les unités de Bradley associées aux chars Abrams ont montré leur redoutable efficacité dans les combat urbains les plus durs. Toutefois,
comme chaque grande unité fait souvent face à plusieurs
niveaux d’insécurité dans sa zone d’action, l’association des SBCTet des unités blindés-mécanisées apporte une grande souplesse.
Il faut noter l’existence d’un processus d’évolution, propre
aux SBCT, au sein du réseau général de retour et de partage d’expérience par internet ou par voie de presse
spécialisée.
Dans l’ordre de bataille américain, la brigade Stryker
semble la mieux adaptée au contrôle de zone urbaine.
Elle permet d’acquérir l’expérience de nouvelles tactiques de combat, de tester des concepts et matériels
et enfin de former une nouvelle génération d’officiers
capable de beaucoup plus d’initiative que celle des
années précédentes, avec les limites évoquées plus
haut. Elle apparaît ainsi comme le banc d’essai des Units
of action en cours de création.
US ARMY
La “guerre réseau-centrée”, si elle autorise l’audace,
peut aussi entraîner paradoxalement une plus grande
centralisation. A l’échelon micro-tactique, on observe
couramment un phénomène de “focalisation” sur l’environnement immédiat. Ce rétrécissement de conscience, chez la plupart des individus, joint à un intense besoin
d’action induit un certain nombre de tendances de comportement :
• le report de la décision à prendre à l’échelon supérieur ;
• une grande discipline d’exécution ;
• le tendance pour les chefs, pour satisfaire leur besoin
d’action -mais sans avoir à prendre de décisions importantes (reportées à l’échelon supérieur)- à se substituer à des échelons inférieurs aux leurs (réf.1).
41 Dont une de Garde nationale.
42 Problème de blocages de la rampe arrière, manque de visibilité extérieure
pour le groupe embarqué, centre de gravité surélevé à cause du blindage
additionnel qui augmente les risques de basculement (cinq soldats tués
dans un tonneau), destruction rapide des roues à la suite des éclatements
de blindage, etc...
43 Le premier projet prévoyait l’achat de 2100 Stryker pour un budget 7,8
milliards de dollars. Les dernières estimations ayant été ramenées à 1800
véhicules, le budget a pourtant été revu à la hausse.
44 Une SBCT doit ainsi se ravitailler toutes les 48 heures au lieu des 72
prévues, mais cela reste très supérieur aux unités lourdes qui sont sur
des cycles de 12-18 heures.
45 GSR : ground surveillance radar ; RMEBASS :remotely monitored
battlefield surveillance systems.
46 C’est la raison pour laquelle la SBCT 3 qui devait être obtenue par
transformation du 2nd Cavalry Regiment est en train de devenir finalement
une SBCT comme les autres car on a estimé qu’elle avait des qualités en
matière de reconnaissance-renseignement suffisantes.
47 Outre les deux hommes d’équipage, le Stryker de reconnaissance
transporte une équipe de trois éclaireurs.
48 Long Range Advanced Scout Surveillance Systems.
49 Obus éclairants et fumigènes sont très employés à cause des nombreuses
opérations de nuit ou des embuscades.
50 Qui plus est, ces informations peuvent être enregistrées et donc revues
après l’action.
51 600 équipements à terre, extension du programme Land Warrior,
équiperont deux divisions en Irak en 2005.
MARS 2005
33
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
ANNEXE 2 : ETUDE DE QUEL QUES
F ONC TIONS OPERATIONNELLES
Renseignement
Comme au Vietnam, l’armée américaine en Irak se heurte au problème du renseignement de contre-guérilla. Ce
type de renseignement a pour objectif de déterminer la
structure des mouvements de guérilla (composition,
zones contrôlées, armement, méthodes, idéologie), de
connaître le milieu humain dans lequel ils évoluent et
enfin de déterminer des objectifs tactiques. Or l’armée
américaine a beaucoup de mal à passer d’une structure du renseignement organisée pour le combat de haute intensité à quelque chose qui ressemble beaucoup
plus à de l’investigation policière.
L’origine du problème est, en partie, conjoncturelle. Les
moyens de la Military Intelligence ont été sensiblement
réduits dans les années 199052 et, en Irak même, une
grande partie des moyens a été concentrée sur la
recherche des armes de destruction massives. La présentation systématique de la guérilla comme composée
uniquement de terroristes ou de nostalgiques de Saddam
Hussein, n’a pas non plus facilité une appréciation correcte de la situation. Le principal frein est cependant culturel. La spécialisation des armes au sein de l’US Army
fait que le soldat au contact ne se considère pas comme
un capteur d’informations. Surtout, la communauté du
renseignement a toujours affiché un goût prononcé pour
le renseignement d’origine technique, au détriment du
renseignement humain. Le personnel de la Military
Intelligence est donc plus habitué à la gestion de flots
d’informations électroniques issus de multiples capteurs
techniques qu’au traitement d’indicateurs ou de prisonniers civils.
Si le diagnostic a été fait assez rapidement, il s’est avéré, comme chaque fois que l’on touche aux perceptions
ou aux habitudes solidement ancrées, difficile de modifier les comportements.
Une première voie a consisté à s’inspirer des méthodes
policières. Des équipes du FBI sont ainsi venues conseiller
les forces en Irak (réf. 421) et surtout, le commandement
des enquêtes criminelles de l’US Army53 (CID-Criminal
Investigation Division) s’est pleinement impliqué dans
la lutte contre la guérilla (réf.1).
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
34
MARS 2005
La première priorité est alors le recueil et l’analyse d’informations, pour l’essentiel d’origine humaine. La
recherche de preuves et l’établissement de bases de données criminelles constituent désormais une mission primordiale des officiers de renseignement devenus détectives. Ils travaillent étroitement avec les forces spéciales,
les juristes et les équipes de neutralisation d’engins explosifs pour le recueil d’information ou de preuves (par
exemple, des empreintes sur les EEI) contre les différents
réseaux ennemis sur les théâtres d’opérations. Ces bases
de données spécialisées (plusieurs logiciels comme PATHFINDER ou Analyst’s Notebook, sont expérimentés) peuvent être connectées à celles d’autres services et traitées
ensuite selon des méthodes éprouvées de la police :
matrices d’association, analyse de réseau, analyse généalogique, analyse culturelle, grille d’événements, analyse
de trafic, analyse financière, profiling, etc... De telles
méthodes ont largement contribué à la capture de Saddam
Hussein par la Task Force 12154. Ces informations doivent ensuite circuler dans tous les sens, en particulier, et
c’est le plus difficile, vers le bas mais aussi vers les autres
services et partenaires, y compris locaux. Ces méthodes
peuvent, avec du personnel compétent, permettre de se
passer de méthodes d’interrogation brutales (réf. 461).
Les capteurs au contact ou à l’intérieur de la population
se multiplient. La Military intelligence et les forces spéciales font largement appel à la délation rémunérée. Les
abus, erreurs et désinformations, ont été nombreux au
début55. Il n’était pas rare, par exemple, d’annoncer une
réunion fictive de la guérilla dans une mosquée pour y
provoquer un raid américain (souvent avec des chiens,
animal impur) sous les yeux de fidèles innocents et, surtout, d’une équipe de journalistes. La fiabilité s’est améliorée avec la rétribution a posteriori des indicateurs et
la meilleure connaissance de ces derniers (réf. 461). Il a
fallu cependant résoudre auparavant un certain nombre
de problèmes juridiques et administratifs.
Le facteur d’efficacité le plus important fut cependant, à partir de fin 2003, la montée en puissance de
la police irakienne dont la connaissance de la langue
et du milieu s’est avéré un atout irremplaçable.
Irak
Le problème des langues est un problème critique en
phase de stabilisation, non seulement pour le renseignement mais aussi pour toutes les opérations impliquant un contact avec la population (ACM, arrestations,
opérations d’informations). Ce problème a manifestement été insuffisamment pris en compte par les forces
américaines, qui n’ont procédé à un véritable “renforcement linguistique” que pour l’Iraq Survey Group à la
recherche des armes de destruction massive56 et des
personnalités de l’ancien régime. Beaucoup d’officiers
se sont plaints amèrement de l’absence de recensement
des arabophones parmi les forces et les réserves (réf.
47). Jusqu’à l’automne 2003, beaucoup de bataillons
sur le terrain se sont contentés d’un seul interprète, ce
qui a incontestablement constitué un frein à leur action.
Le problème n’est pas seulement quantitatif. Un interprète est un point de jonction entre la force et la population. Il doit non seulement parfaitement connaître les
deux langues mais aussi connaître ce qui est utile de
savoir, ce qui suppose une formation ou au moins une
information préalable. S’il s’agit d’un indigène, il inspirera sans doute plus de confiance à la population mais
peut être l’objet de menaces (plusieurs dizaines ont été
égorgés). Un interprète extérieur est au contraire plus
fiable, mais inspire moins de confiance à la population
locale. Il faut bien veiller également à l’étanchéité entre
l’interprète et les organes de renseignement qui l’emploient (réf. 461).
A l’automne 2003, le général John Custer, du bureau renseignement du Centcom admettait commencer “à réaliser la valeur et l’importance du renseignement humain
en Irak” (réf. 421). Un effort semblait avoir été fait dans
ce domaine depuis les opérations dans les Balkans. Un
spécialiste HUMINT a été affecté dans chaque équipe
de reconnaissance des brigades Stryker et, surtout, des
cellules spécialisées destinées à coordonner les moyens
HUMINT (*2X) ont été créées au sein de chaque étatmajor renseignement (S2 - G2 - J2) (réf. 1). Ces efforts se
sont avérés cependant très insuffisants dans un contexte de contre-guérilla à l’échelle d’un pays entier et où le
renseignement d’ambiance est primordial (réf .1).
L’effort principal a consisté à diffuser une culture du renseignement dans les forces, jusqu’aux plus petites unités, selon le slogan “every soldier is a captor”. L’ US
army intelligence center, a été désigné comme responsable du programme “ Unit support to HUMINT
Collection”. Les réponses apportées ont consisté à l’élaboration d’une fiche et d’un manuel “de poche” pour le
“Tactical Questionning”, à l’envoi d’équipes mobiles de
formation (Mobile Training Teams - MTTs) dans les unités avant leur déploiement, à des modifications des
manuels de doctrine. Toutes les missions quelles qu’elles
soient (checkpoints, convois, patrouilles, etc.) doivent
être considérées comme des sources de renseignements
et faire l’objet de comptes-rendus précis et variés57. Le
Tactical questionning est destiné à guider les unités au
contact de la population pour l’interrogation initiale des
prisonniers et les relations avec les civils (“renseignement conversationnel”). L’arme du renseignement précise bien qu’il ne s’agit pas de “gestion de sources”
(indicateurs, documents, prisonniers), ce qui pourrait, selon elle, s’avérer dangereux (réf. 1). Cette politique, parallèle à l’effort de “cultural awareness ”,
semble porter ses fruits et les mentalités se transforment lentement.
NOTES :
52 Trois bataillons de renseignement de corps d’armée sur quatre
ont été supprimés.
53 Cet organisme se concentre d’habitude sur les crimes et infractions
du personnel de l’Armée de terre. Il est depuis octobre 2003 regroupé
avec la police militaire sous un commandement unique.
54 A noter l’emploi de tableaux papier pour établir les matrices de liens
alors que la 4e DI est la plus numérisée du monde.
55 Y compris au niveau le plus élevé, avec l’affaire Ahmed Chalabi.
56 Cet organisme comprenait 1400 membres. Ils ont été réaffectés à la
contre-guérilla à partir de novembre 2003.
US ARMY
57 Compte-rendu normal transmis au S2 ; analyse de fin de patrouille
conduite par S2 ; compte-rendu immédiat d’information critique ;
compte-rendu a posteriori ou de suivi.
MARS 2005
35
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Contact
L’art de la patrouille
La patrouille est le procédé de base du contrôle de
zone avec des effets multiples en matière de renseignement, communication ou de violence graduée.
Dans les zones sous responsabilité américaine, le
choix entre patrouille à pied ou en véhicule est souvent un choix entre contact avec la population et protection.
Les patrouilles à pied sont nécessaires pour repérer les EEI, connaître sa zone, rassurer la population
et favoriser les contacts avec elle, mais la posture
américaine reste encore très rigide. L’unité de base
est souvent la section de façon à avoir les pions nécessaires pour éclairer, appuyer l’élément de tête, assurer la sûreté arrière et être capable d’agir (distribuer
des tracts par exemple).
Les patrouilles en véhicules offrent moins de possibilités de contacts avec la population mais elles
sont rapidement devenues la norme dans les zones
les plus hostiles du triangle sunnite. La population
étant considérée comme définitivement hostile, la
sûreté à court terme est alors privilégiée. Le nombre
de ces missions est tel que tous les types de véhicules sont sollicités et souvent mixés (Chars, VCI,
Humvee). Abrams et Bradley sont presque indestructibles58 mais ne passent pas partout. Les Humvee
apportent alors plus de souplesse. Ces patrouilles
souvent “nerveuses ” sont, en général, mal ressenties par la population. Parfois, elles servent d’appât
pour attirer un ennemi fugitif. A Sadr City, pendant
les combats contre les Mahdistes, la First Cav envoyait
ainsi des Bradley se poster de nuit au milieu d’un
carrefour. Les équipages observaient les alentours
à la caméra thermique et frappaient au canon
mitrailleur tous les porteurs d’armes qui s’approchaient (réf.49).
Avec le temps, les premières patrouilles du type “promenade dans tel secteur entre telle heure et telle
heure” sont devenues des petites opérations très
élaborées. Comme toute opération, la patrouille commence par un ordre simplifié mais complet, avec un
but précis, un ordre de bataille et de marche, un itinéraire, un point de situation sur l’ennemi, des
conduites à tenir, une organisation des transmissions
et des actions après patrouille.
• L’itinéraire, en particulier pour les patrouilles en
véhicule, doit être parfaitement connu de tous pour
éviter les dispersions et anticiper les points à abor-
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
36
MARS 2005
der avec précautions. Le terrain irakien est très coupé, avec des localités à rues étroites, de nombreux
canaux et palmeraies. En partant du principe que
la guérilla observe en permanence les forces, l’imprédictabilité des patrouilles devient un élément
important de la “ force protection ”. La routine tue.
• La connaissance des activités récentes de l’ennemi obtenue grâce au réseau Be-on-the-lookout
(BOLO) permet d’être plus attentif à certains indices
et à certains faits saillants. En février 2004, une
patrouille de la 1 re DB, avertie de l’emploi de
cadavres d’animaux pour cacher des engins explosifs, observe ainsi plus particulièrement un chien
mort et découvre les coutures qui cachent un obus.
• La discipline d’observation est essentielle. La
patrouille doit surveiller en permanence et simultanément dans toutes les directions. Les zones
dégagées, favorables à des tirs de harcèlement ou
au déclenchement à distance d’engin explosif, font
l’objet d’une attention particulière. Cette observation omnidirectionnelle est particulièrement importante à la tombée de la nuit, période la plus utilisée pour les tirs au RPG dont la lueur est très
fugitive. La plupart des véhicules ont été réaménagés pour que les hommes soient dos à dos et
puissent observer correctement. Dans une patrouille
motorisée, les mitrailleurs de bord, dont la principale fonction est d’observer, sont les meilleurs capteurs.
• Les conduites à tenir doivent être réactualisées en
permanence car les méthodes ennemies évoluent
très vite. Ils ne suffit pas de les connaître intellectuellement, elles doivent être répétées régulièrement, y compris sous forme de simulation. Ces procédures automatiques concernent surtout :
- l’évacuation des blessés : toute section doit être
capable d’assurer la survie de ses blessés sans se
laisser accaparer par cette tâche. L’instruction au
secourisme doit être particulièrement poussée.
Chaque combattant doit non seulement savoir appliquer les gestes élémentaires de survie mais aussi
évaluer le degré de priorité et de traitement à accorder aux blessés, placer un garrot et faire une
demande d’évacuation. Chaque section doit disposer d’un infirmier capable de stopper une hémorragie, poser une perfusion, faire une injection de
morphine. Il accompagne systématiquement les
patrouilles. L’évacuation elle-même est une phase
tactique délicate mais facilitée par la proximité du
réseau des bases américaines.
Irak
- La réaction aux embuscades : il s’agit de prendre
immédiatement à partie l’ennemi, sans toucher la
population. Les soldats doivent donc être entraînés à débarquer sous le feu ou à tirer depuis un
véhicule. Le schéma est le suivant : l’élément sous
le feu riposte et tente de se dégager, un groupe
prend en charge les blessés et le reste manœuvre
pour encercler la zone d’origine des tirs. Si possible, des “anges gardiens ” en deuxième échelon
(chars, véhicules avec mitrailleuses, tireurs d’élite,
hélicoptères) appuient la patrouille et interviennent
immédiatement par le feu. Dans tous les cas, une
Quick Reaction Force intervient au bout de quelques
minutes.
• Normalement, les missions ne dépassent pas
quelques heures mais certains événements, comme le bouclage d’une zone autour d’un EEI et l’attente d’une équipe EOD, peuvent impliquer des
durées beaucoup plus importantes. Il faut donc
avoir de quoi tenir 24 heures.
• Les transmissions constituent un problème sensible, car tous les véhicules utilisés, en particulier
beaucoup d’Humvee n’en sont pas équipés. Comme
il n’y a pas assez de postes radio, il faut donc les
transférer d’un véhicule à l’autre, ce qui accélère
leur usure et oblige à redéfinir en permanence l’organisation des réseaux. La liaison doit être parfaite aussi entre les engins et les personnels à terre.
La 1re DB a acquis pour cela des équipements à courte portée et des radio “mains libres ” de l’armée
britannique avec 300 mètres de portée. Les
mitrailleurs de bord les ont rapidement adoptés
pour communiquer entre eux et avec les hommes
à terre (réf. 422).
rieur est mis en place. Ce dernier isole l’objectif sur
trois cotés, laissant libre le quatrième pour l’assaut.
Cette section est à pied et garde les véhicules de la
force d’assaut ainsi que les moyens supplémentaires
d’évacuation et de transport. L’étanchéité des cordons est largement renforcée par l’emploi d’hélicoptères (OH-58 principalement) en surveillance verticale. La force d’assaut est divisée en quatre équipes
de 3-4 hommes : une d’entre elles assure l’appui face
au point d’entrée, puis deux équipes se succèdent
pour fouiller les pièces, la quatrième récupère les
suspects et les objets. Cette force est dotée de matériels spécifiques (coupe-boulons, détecteur de métal,
pioches, grenades, fusils de calibre 12, etc.). Elle
peut être utilement renforcée de sapeurs pour l’aide à la pénétration et surtout de policiers irakiens
(ou de forces spéciales) pour l’identification précise
des individus interpellés. Le repli s’effectue en sens
inverse de la mise en place : force d’assaut, cordon
intérieur, cordon extérieur. Il peut être précédé, chez
certaines unités, de la destruction de la maison du
suspect, en représailles, ou au contraire d’un dédommagement financier en cas d’erreur (réf. 423).
L’emploi de l’acier
L’emploi des chars de bataille en opération de stabilisation a suscité de nombreux débats. Pour certains, des
chars de 70 tonnes comme les M1 Abrams sont inutiles
pour faire du contrôle de zone urbaine. Ils sont à la fois
trop agressifs dans un contexte de “nation-building”,
trop encombrants pour évoluer dans les réseaux étroits
irakiens et trop vulnérables aux embuscades urbaines.
C’est en grande partie la position britannique, qui, dans
un secteur plutôt favorable, n’a maintenu qu’un escaUS ARMY
Opérations de bouclage
Le procédé offensif principal dans le cadre d’un “targeting humain” est le raid de bouclage, qui peut être de
type cordon and knock, c’est-à-dire en pénétrant dans
les propriétés avec l’autorisation de leurs habitants, ou
de type cordon and search, où on ne demande rien à
personne. Ces opérations de bouclage sont utilisées
quelle que soit l’intensité des combats en cours, à partir du moment où il s’agit de frapper des objectifs très
précis au sein d’un milieu urbain complexe.
Ces opérations, qui ressemblent à des opérations de
police, sont déclenchées sur renseignement en vue
de capturer des insurgés ou découvrir une cache
d’armes. L’unité de base est souvent une compagnie
organisée en trois éléments : le cordon extérieur se
met en place le premier. Il assure l’étanchéité du dispositif, d’abord des deux côtés, intérieur et extérieur,
puis vis-à-vis de l’extérieur lorsque le cordon inté-
MARS 2005
37
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
dron de chars Challenger. Ce camp des sceptiques
est rejoint par de nombreux tankistes américains qui
répugnent à faire autre chose que du char contre
char, mode d’action le plus “noble” mais inexistant
dans un contexte de guérilla. Beaucoup d’unités de
chars ont donc été transformées en unités de marche
d’infanterie ou mises sur Humvee. Celles qui ont
conservé des Abrams se sont pourtant rapidement
adaptées au nouveau contexte, y trouvant pleinement leur place, à condition de transformer leur culture (réf. 422).
Les chars lourds offrent de nombreuses capacités :
observation à grande distance, résistance face à
presque toutes les armes antichars présentes sur le
territoire, un armement précis tirant des munitions
aux effets variés et une masse impressionnante. La
mobilité est en revanche limitée par une topographie
très cloisonnée avec des villes aux rues étroites, des
canaux et des palmeraies.
Les principaux emplois des chars lourds en Irak sont
les suivants :
• Poste d’observation à distance. Des chars peuvent ainsi être utilisés pour surveiller de nuit une
zone favorable à la mise en place d’un EEI ou
appuyer un déplacement de convois.
• Barrage mobile. La présence d’un M1 Abrams de
70 tonnes calme souvent les ardeurs d’une foule
en colère. Des enregistrements de bruit de chars
en mouvement, diffusés par hauts-parleurs, sont
même parfois utilisés pour effrayer (réf. 1).
• Pièce d’artillerie de précision. Le contexte humain
et urbain réduit fortement l’emploi des feux indirects, le canon de 120 mm peut donc s’avérer la
seule arme lourde en appui des troupes au sol.
C’est également une excellente arme contre les snipers, plus “chirurgicale ” que les mitrailleuses
lourdes ou canons-mitrailleurs plus imprécis et
dont les munitions perforent plusieurs pièces.
• Elément de brèche. Le M1 Abrams s’avère également très utile pour créer des brèches dans les
murs, par tir au canon ou abordage. Il facilite ainsi largement la navigation urbaine des fantassins.
• Fer de lance. La survivabilité d’un Abrams, en particulier face à des tireurs RPG peu instruits et utilisant des munitions anciennes, est remarquable.
Il est donc intéressant d’utiliser les chars lourds en
tête des dispositifs, convois, patrouilles, sous-groupements en raids, comme “ brise-lames ”.
• Elément réservé : les chars lourds entrent dans la
composition de la plupart des Quick Reaction Force
(QRF).
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
38
MARS 2005
• Poste d’observation et de protection des bases :
les chars, interdits momentanément de déplacement, sont souvent affectés à ce rôle.
Les blindés lourds se sont rapidement avérés très
utiles dans toutes les configurations de la contreguérilla urbaine. Il a fallu cependant transformer les
méthodes et les mentalités. Les chars, peu nombreux et soumis à de fortes contraintes de maintenance, doivent être employés avec efficience. Le pion
d’emploi de base est donc la “section” de deux chars,
voire le char isolé. Ces pions de base sont systématiquement intégrés dans des structures variables,
comprenant des armes anti-personnel puissantes
(mitrailleuses, mortiers), de l’infanterie et, de plus
en plus, des tireurs d’élite. Dans une zone “dure”,
le pion “char ” sert de fer de lance et le pion “ infanterie” appuie face aux tireurs RPG ; dans une zone
“molle”, les fantassins fouillent et les chars appuient.
Cet éclatement des structures traditionnelles impose
une grande capacité d’initiative de la part des sousofficiers en particulier de l’adjoint de peloton.
L’instruction sur place est permanente mais délicate à mener. Elle se fait souvent à partir de “ tactical
vignettes”, de répétitions et de simulations. Les tankistes ont souvent aussi à connaître plusieurs rôles.
Une unité de chars doit aussi être capable de passer en configuration légère, sur Humvee, et connaître
les savoir-faire de base des fantassins. L’unité de
chars doit donc avoir une dotation minimale en armement d’infanterie, qui lui servira aussi pour sa protection rapprochée (réf. 422).
Les anges gardiens
Comme les chars, l’ALAT est très souvent engagée,
à petite échelle, mais dans un spectre très large de
missions : surveillance des axes, des frontières et
des zones désertiques, escorte de convois, intervention en cas d’embuscade au sol, transport de
troupes pour les opérations de bouclage, EVASAN,
appui feu (réf.1).
Prenons l’exemple du bataillon de 18 AH-64 Apaches
de la 4e DI déployée au nord de Bagdad. L’Apache a
d’abord été utilisé pour ses moyens de détection en
particulier par infrarouge et radar. De nuit, un Apache
peut détecter un homme à pied à 1,5 km, un véhicule arrêté à 6 km et un mobile à 8 km. Toujours de nuit,
un véhicule peut être pris à partie à 3,5 km.
L’armement principal dans le contexte irakien est le
canon de 30 mm (2 minutes de tir possibles à une
portée pratique de 1000 m), puis les roquettes de
76 mm (dont des munitions éclairantes très efficaces).
Irak
US ARMY
doivent disposer de schémas de
manœuvre à grande échelle avec photos aériennes baptisées. Ils doivent
participer à la répétition si celle-ci a
lieu. Dans les grandes opérations,
alors que le réseau tactique est saturé, il est nécessaire d’avoir une cellule au sol chargée de la coordination,
en général un officier de contrôle aérien
(réf. 418).
Les missiles Hellfire peuvent être utilisés pour la destruction des véhicules ou, plus difficilement, le percement de murs de bâtiments. L’Apache est équipé
de systèmes de positionnement moderne (Blue force tracking ou EPLRS59) qui permettent de bien l’intégrer dans une manœuvre interarmes. Le désignateur laser permet de guider une munition jusqu’à
10 km. Un hélicoptère peut servir de contrôleur aérien
et guider des missions air-sol.
Chaque hélicoptère du bataillon a été employé en
moyenne 55 heures par mois, soit trois missions (à
deux hélicoptères) de deux heures par compagnie
et par jour. Les équipages ont donc effectué une mission par jour pendant plusieurs mois suivant un rythme d’alerte jour-soir-nuit à 30 minutes (redcon 3) ou
15 minutes (redcon 2). Le bataillon est maintenu groupé pour faciliter une maintenance exigeante mais le
pion de base est la patrouille de deux hélicoptères,
suffisante pour avoir la supériorité des feux sur n’importe quel point de contact. Comme un char, un hélicoptère d’attaque est dissuasif, puissant, peu discret (un Apache n’est inaudible en stationnement
qu’au-delà de 4 km et jusqu’à 8 km en cas de vent)
et n’a, de plus, aucune capacité de fouille de bâtiment ou de véhicule. Il peut donc être utilisé en surveillance et en guidage aérien de troupes au sol, mais
seulement lorsque la recherche de la surprise n’est
plus de mise (réf. 418).
Les problèmes rencontrés sont des problèmes de
coordination avec le sol et d’exploitation rationnelle de potentiels forcément limités. Il s’agit donc
d’avoir un dialogue air-sol le plus efficace possible.
Les termes de mission doivent être précis : attaquer,
surveiller ou attaquer telle zone, tel point ou tel type
de véhicule et non “assurer une patrouille de présence” ou “fournir des vues”. Les hélicoptères doivent être, en fonction des délais, intégrés et associés à la manœuvre au plus tôt avec une intention,
un effet final recherché, et des mesures de coordination (lignes de restriction de tir en particulier). Ils
La menace principale vient des armes
légères d’infanterie, des RPG et plus
rarement de missiles sol-air. Pour y
faire face et après les lourdes pertes
de novembre 2003, les engins sont
employés presque systématiquement
en vitesse de croisière (60 à 100 km/h) et non plus
en stationnaire. Cela accroît leur survivabilité et leur
autonomie sans vraiment diminuer leur efficacité.
La relative faiblesse de la menace antiaérienne, l’étendue des zones opérationnelles ont incité à l’emploi
de systèmes de commandement aéromobiles. La
4e DI a ainsi expérimenté l’Airborne command and
control system (AC2S). Il s’agit d’un ensemble de
systèmes de commandement (MCS, FCBC2, ASAS,
AFATDS, AMDWS, CSSCS60) embarqué sur hélicoptère UH 60 Blackhawk et utilisable aussi à terre grâce à un kit débarquable. Il permet au commandant
de division ou de brigade de commander depuis le
ciel et donc de bénéficier d’un excellent réseau radio
affranchi des contingences de la topographie, de la
possibilité de suivi des opérations sur 40 000 km2 et
d’une capacité de repositionnement rapide en cas
de problèmes ou pour basculer d’une zone d’opération à l’autre. Les limitations concernent la menace
qui, même réduite est réelle, et l’autonomie limitée
des hélicoptères (carburant) et des équipages
(fatigue). L’emploi de nuit et en phases critiques
(traque de Saddam Hussein)a donc été privilégié, en
sautant d’un point de poser favorable au commandement à un autre point haut (réf. 1).
Volume de l’aviation légère de l’US Army
en mars 2004 (réf.1) :
AH-64 Apache
50
UH-60 Blackhawk
195
CH-47 Chinook
34
OH-58 Kiowa
147
MARS 2005
39
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Feux indirects
Dans les opérations de reconquête de bastions
urbains, l’artillerie retrouve un rôle assez classique,
quoique fortement contraint par la topographie urbaine et l’imbrication des combattants des deux camps
avec la population. En dehors de ces phases, la contribution majeure de l’artillerie a été l’aide à la protection des bases contre la menace du harcèlement
au mortier. Deuxième mode d’action utilisé par les
insurgés en nombre, après les EEI (engins explosifs
improvisés), ces attaques sont réalisées de manière très ponctuelle mais fréquente par de petites
équipes généralement équipées d’un seul tube et
d’un camion bâché. Quelques obus sont lancés, de
nuit et sans réglage, dans la direction de l’objectif
avant de s’esquiver. Ces tirs ne sont évidemment pas
très précis, mais les assaillants comptent sur le
nombre et la chance pour réaliser quelques coups
heureux. Surtout, ils prouvent qu’ils peuvent défier
la puissance militaire des occupants et espérer les
user psychologiquement. D’avril à septembre 2004,
3000 obus de mortiers sont ainsi lancés dans Bagdad,
notamment sur la “zone verte” (réf. 419). Durant le
mois d’août 2004, en pleine insurrection mahdiste,
la base War Eagle de la division First Cav était attaquée tous les jours entre 20 et 22 heures par séries
successives de trois ou quatre obus (avec un maximum de 55 obus dans une journée) (réf. 49).
Pour lutter contre cette menace, l’artillerie est intégrée dans un système interarmes de contrebatterie. Certaines batteries, couplées directement en
boucle courte aux radars de trajectographie Q-36 et
Q-37, sont capables d’effectuer des tirs préparés en
moins d’une minute. Ces radars, dont la dotation est
doublée, voire triplée, sont les matériels les plus sollicités de l’artillerie. La contrebatterie, aussi précise
soit-elle, présente cependant le risque de frapper la
population civile et reste très aléatoire face à un
adversaire mobile. Elle est parfois sciemment appliquée dans certaines divisions pour justement exercer une pression sur la population environnante jusqu’à ce que celle-ci, excédée, dénonce les tireurs de
mortiers. L’artillerie de la base Victory South exécute ainsi 48 missions de contrebatterie en une seule
nuit d’avril (réf. 420). Le plus souvent cependant,
l’artillerie aide à la localisation de l’objectif, en liai-
Pour le reste, l’artillerie assure des missions toutes
armes. Beaucoup d’unités ont laissé leurs moyens
lourds aux Etats-Unis ou au Koweit61 et opèrent avec
les autres véhicules légers organiques dans leurs
zones affectées pour des missions de contrôle de
zone, de gardiennage de sites et de transport de
munitions irakiennes vers des sites de regroupement.
Certains bataillons ont été transformés en bataillons
de marche d’infanterie.
La caractéristique première des feux fournis pendant la phase de stabilisation, et quelle que soit la
violence des opérations, reste la précision, rendue
obligatoire par la présence systématique de la population au cœur des combats. Près de 80 % des munitions utilisées sont ainsi des munitions de précision.
Le débat est alors relancé entre les partisans de feux
sol-sol et ceux privilégiant le Close Air Support. Les
frappes aériennes restent très efficaces pour supprimer des menaces ponctuelles difficilement atteignables avec certitude par les moyens sol-sol. Elles
sont aussi très spectaculaires et donc aussi très
médiatiques. Elles peuvent aussi apparaître disproportionnées avec certaines menaces. Interarmées
par tradition et par structure, parce qu’il dispose également de moins de possibilités d’appui sol que l’US
Army, le Corps des Marines privilégie la coopération
air-sol. Le problème qui se pose est alors celui du
réglage depuis le sol dans un contexte de combat
violent. Les Marines comme l’Army manquent de
contrôleurs aériens et s’engagent dans la mise en
place d’ Universal Observers ayant des capacités
pour gérer aussi bien les feux sol-sol que les feux
air-sol et mer-sol (réf. 1). Les Marines, avec le concept
de distributed operations étudient même la possibilité de décentraliser cette compétence jusqu’au
niveau du chef de groupe d’infanterie.
All Sources Analysis System (renseignement) ; AFATDS : Advanced Field
NOTES :
58 Dans les avenues les plus larges, des Humvee peuvent être protégés en
“sandwich” par deux Bradley.
59 Enhanced position locating and receiving system.
60 MCS : Maneuver Control System et FCBC2 (Force XXI Battle Command Brigade and Below + Blue force tracking) (commandement) ; ASAS :
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
son avec des drones ou des hélicoptères de reconnaissance OH-58-D. Le renseignement est donné
ensuite à des hélicoptères d’attaque qui, s’ils ne peuvent, du fait des règles d’engagement, traiter euxmêmes l’objectif au canon de 30 mm, guident une
QRF d’infanterie sur les lieux pour procéder à la fouille.
Les 155 mm Paladin ou les mortiers peuvent alors
fournir de l’éclairement pour aider cette mission.
Parfois, des obus éclairants sont lancés a priori et
en dissuasion au-dessus des zones suspectes.
40
MARS 2005
Artillery Tactical Data System (appui feux) ; AMDWAS : Air Missile Defense
System Work Station (Défense antiaérienne) ; CSSCS : Combat Service Support Control System (logistique).
61 Des missiles ATACMS auraient cependant été tirés sur des objectifs dans le
désert (réf. 1).
Irak
Agencement
de l’espace terrestre
Les EEI (engins explosifs improvisés) ou IED (improvised explosive devices ou roadside bombs), constituent le mode d’attaque privilégié de la guérilla à
partir de l’automne 2003. Depuis cette époque, environ 15 000 de ces engins ont été utilisés provoquant
un tiers des pertes de la Coalition. Cette menace était
par ailleurs prévisible, car le savoir-faire de l’armée
irakienne, éprouvé par les années de guerre de position contre les Iraniens ou les mouvements dissidents, était connu de même que l’abondance de la
ressource matérielle.
Les EEI utilisent des obus, roquettes et, plus rarement, des mines comme partie explosive. La ressource est pratiquement inépuisable, les forces de
la Coalition ayant été dans l’incapacité de sécuriser
tous les dépôts et lieux de stockage de munitions
dans le pays62. Ces engins sont mis en œuvre à distance par commande électrique par fil ou par tout
type de système comportant un émetteur et un récepteur (téléphones cellulaires, commandes d’ouverture de portes de garage à
distance, télécommandes
d’alarme de voiture, etc.).
Les méthodes employées
pour camoufler les EEI sont
multiples et évolutives. Ils
peuvent être cachés dans
des tas d’ordures, poubelles, sacs à terre, bidons,
voire carcasses d’animaux
morts. Ils peuvent être
incorporés aux rails de
sécurité, attachés aux
poteaux électriques et coulés dans le béton des
rebords de trottoir. La seule limite est l’imagination.
Les engins eux-mêmes peuvent être reliés entre eux
(daisy chain), être combinés à d’autres objets
(réservoirs de carburant
pour renforcer l’effet thermique, tuyaux de plomberie rempli d’explosif ou de
poudre noire (Pipe bombs),
sacs de boulons, etc.) ou même être factices. L’emploi
des EEI a évolué. Conçus au départ comme éléments
d’arrêt au sein de dispositifs d’embuscade complets,
ils sont devenus des systèmes à part entière employés
tant pour harceler les convois que comme pour
défendre des bastions urbains. C’est ce premier emploi
qui nous intéresse ici.
Pour répondre à ce défi, et en premier lieu à son déficit en équipement et en procédures contre ce genre
d’attaque, plusieurs Task Force IED ont été formées
par l’arme du génie, l’état-major de l’US Army ou le
Pentagone pour collecter le renseignement en provenance du théâtre, coordonner la recherche technique
et élaborer les procédures tactiques nécessaires (réf.1).
Il s’agit d’abord de prévenir les attaques en les détectant. Les lieux favorables aux attaques (points de passage obligés, zones de ralentissement) ou à l’observation directe (points hauts) font l’objet d’une
surveillance particulière, qui peut s’effectuer par des
patrouilles de contrôle de zone, par des points d’observation de nuit pour surprendre les mises en place63 ou par des patrouilles d’éclairage des convois.
US ARMY
La menace des engins explosifs improvisés
MARS 2005
41
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
Des unités spécialisées dans la détection ont été
formées, comprenant une équipe EOD (explosive
ordnance disposal) associée à des groupes de combat du génie et de la police militaire dans des véhicules particulièrement protégés. Les hélicoptères et
surtout les drones tactiques sont également très sollicités pour ces missions d’éclairage. Dans les convois
eux-mêmes, le véhicule de tête est avant tout un
véhicule d’observation utilisant tous ses moyens
(phares, jumelles, optiques) pour surveiller les abords
des routes, les abris possibles pour “le déclencheur”
et les civils suspects (téléphonant près d’un point
de passage obligé par exemple). L’accumulation de
tous ces procédés de surveillance permet de déjouer
environ la moitié des attaques (réf.1).
De plus en plus, les procédés d’ouverture de route
font appel à de multiples procédés techniques, encore souvent à l’état de prototypes. Une patrouille
d’éclairage peut ainsi comporter en tête un véhicule Alvis RG 3, protégé contre les mines et chargé de
la détection visuelle lointaine et de la sûreté. Ce véhicule est suivi de deux systèmes IVMMD (Interim
Vehicle Mounted Mine Detector), au milieu de l’itinéraire et sur ses côtés. Ces engins ont une capacité de détection et de destruction d’objets métalliques
par téléopération. Le quatrième véhicule de la
patrouille est ensuite un Buffalo HMPV 7 (Heavy Mine
Protected Vehicle 7). Celui-ci, lui aussi protégé, peut
commander à distance les véhicules de détection
IVMMD et transporte un groupe de combat du génie
et des EOD. Il est équipé d’un bras téléopéré qui peut
déplacer l’engin suspect.
Plusieurs systèmes de contre-mesures électroniques64, de détection infrarouge ou par radar large
bande, ainsi que de neutralisation à distance par
laser sont lancés. Deux prototypes du nouveau système de détection GSTAMIDS Block 0 (Ground
Standoff Mine Detection System) ont été déployés
en Irak à partir du mois de décembre 2003. Cet emploi
précoce, très en amont du processus industriel, est
typique du développement en “spirale” utilisé pour
de nombreux matériels (les prototypes successifs
sont testés en opération au plus tôt) destinés aux
forces américaines. L’étape suivante concernera certainement l’emploi de senseurs, de brouilleurs, voire d’armes à partir de drones. Plusieurs technologies ont déjà été testées mais aucune n’est encore
suffisamment performante pour être déployée (ref.1).
Une fois un EEI détecté, un cordon de sécurité sur
un rayon de 300 mètres est mis en place, en attendant les EOD, ce qui peut prendre des heures, car
ces équipes sont peu nombreuses65. C’est une phase
délicate, car ce dispositif statique peut servir de cible
à une attaque, en particulier par sniper, et il faut gérer
la circulation des véhicules civils et la population.
Une voie technique très prometteuse concerne l’em-
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
42
MARS 2005
ploi de systèmes robotisés ou UGV (Unmanned
Ground Vehicles) pour la détection et la neutralisation des engins explosifs. Environ 150 UGV sont
déployés en Irak (Pack bot, Talm, Mini Andros,
Matilda). Ils sont généralement équipés d’un ou plusieurs système(s) de transmission à distance (vidéo
ou audio), d’un bras articulé avec système de préhension mécanique, et d’un “disrupteur ” (jet d’eau
très haute pression, par exemple) pour la neutralisation des engins (réf. 1). Ces engins, au coût très
inférieur à celui des drones66, sont entrés dans le
paysage tactique. Les unités sur place ne vont pas
tarder à élargir leur cadre d’emploi. L’USMC, leader
dans ce domaine, utilise depuis août 2004, trois prototypes de “ Dragon Runner ” pour la reconnaissance tactique en milieu urbain, 200 mètres en avant
des troupes (réf. 1).
Tous les incidents sont traités suivant des méthodes
de police scientifique, inspirées de celles employées
par les forces britanniques en Irlande du Nord et
injectées sur le réseau RETEX par plusieurs voies.
L’une d’entre elles, en boucle immédiate, est le BeOn-the-Lock-Out (BOLO), ce réseau de renseignement qui indique tous les événements particuliers
dans un secteur donné. L’autre est la base de données TMFDB (Theater MineField DataBase), intégrée
au MCS (Maneuver Command System), qui collecte
toutes les données et irrigue les différents groupes
de réflexion.
Les phalanges de la route
La lutte contre la guérilla irakienne se déroule sur
deux types de terrain : les villes et les 3 000 km d’itinéraires logistiques. Les 300 convois quotidiens dont
beaucoup sont civils, représentent des cibles privilégiées pour les embuscades de toutes sortes
(mobiles ou fixes ; avec panachage d’EEI, snipers,
RPG ou mitrailleuses) (réf. 1). Garder ces axes logistiques, dont les deux principaux font la distance de
Paris à Marseille, est donc une lutte permanente.
Les convois les plus sensibles (munitions, carburant) sont escortés. C’est une mission normalement
dévolue à la police militaire mais cette dernière est
très sollicitée par ailleurs (police et prévôté, gardiennage des prisons, formation de la police irakienne,
circulation routière) et n’a pas assez d’effectifs pour
cela. Il est donc fait appel aux troupes de mêlée qui,
par souci d’économie des forces, combinent de plus
en plus escortes et patrouilles. Dans l’idéal, ces missions sont de véritables opérations interarmes. En
tête du convoi, une section de M1 Abrams peut faire office de fer de lance très dissuasif. Des Bradley,
Humvee ou Stryker sont répartis dans la colonne
Irak
et/ou mis en place sur des check points le long de
l’itinéraire. Des hélicoptères OH-58 Kiowa Warrior,
en alerte ou en l’air, assurent les reconnaissances
préalables de points sensibles ou l’attaque des insurgés (le plus souvent lors de leur repli). Depuis des
points hauts, des observateurs d’artillerie suivent la
progression du convoi, prêts à déclencher des feux
sur les zones de tirs préparés, hors agglomérations.
Le chef de patrouille doit alors savoir combiner tous
ces moyens sur le tronçon de route qui lui est affecté et coordonner son action avec celle du chef de convoi.
Tout cela demande une planification précise.
Le deuxième axe d’effort concerne la capacité d’autodéfense des convois. En premier lieu, les véhicules
doivent être aussi protégés que possible. Les camions
et Humvee sont progressivement dotés de blindages
additionnels et renforcés de moyens de fortune (sacs
de sable). Les engins blindés non utilisés par ailleurs,
comme les véhicules de reconnaissance NBC Fox,
sont systématiquement récupérés pour la protection
du convoi (réf. 1).
Le convoi doit être doté aussi du maximum de puissance de feu. Des camions blindés (“guns trucks ”)
servent de plates-formes de tir (mitrailleuses, lancegrenades M-203, fusils d’assaut) en tête du convoi.
Des mitrailleuses sur tourelleau sont placées tous
les cinq ou six véhicules et à l’arrière du convoi. Celuici étant souvent attaqué par l’arrière, le dernier véhicule doit être capable de surveiller sur 360 degrés.
Il est important aussi de disposer de lance-grenades
M-203 pour frapper les assaillants, souvent cachés
derrière des murs, des digues ou dans des fossés.
Les convois doivent avoir au minimum cinq véhicules
pour développer suffisamment de puissance de feu
et être capable de conjuguer plusieurs actions
(ripostes et secours aux blessés). La vitesse est maximale (la moyenne est passée de 60 à 100 km/h ) afin
de constituer des cibles difficiles pour les tireurs RPG.
Plusieurs véhicules sont équipés de MTS (Movement
Tracking système) permettant d’avoir une position
précise grâce au GPS (global positioning system)
intégré.
En cas d’attaque, les actions sont automatiques.
Les hommes ont, au maximum, deux secondes pour
identifier la menace et ouvrir le feu. Cela suppose au
préalable une répartition omnidirectionnelle de l’observation, avec des secteurs et des consignes claires.
Cela suppose également une grande discipline de
comportement et de feu. Il ne faut pas, par exemple,
se laisser détourner de son secteur par une attaque
qui n’est peut-être qu’une diversion. Les hommes du
convoi sont largement dotés en munitions et chargeurs déjà garnis. Le convoi doit être capable de s’organiser en points d’appui jusqu’à l’arrivée de renforts. Des plots de ravitaillement (munitions, eau,
nourriture) sont prévus dans les bases le long de l’itinéraire.
Pour entraîner les personnels des convois logistiques, l’US Army a mis en place plusieurs systèmes
de simulation permettant de s’entraîner sans munition réelle et sans véhicule, à partir de maquettes.
Les personnels, dotés d’armes individuelles virtuelles
et en liaison radio, doivent réagir aux différents cas
concrets qui apparaissent sur un écran. Ces systèmes
sont conçus pour se déplacer sur les différentes bases
aux Etats-Unis et en Irak. Par ailleurs, des exercices
spécifiques ont été créés dans les centres d’entraînement nationaux et au camp de Udairi au Koweit.
Enfin, pratiquement chaque convoi logistique fait
l’objet d’une répétition avant son départ.
NOTES :
62 L’effort de dépollution entrepris par le service du génie américain avec l’aide de
contractants privés devrait se prolonger sur
au moins deux années.
63 Celles-ci ont lieu de préférence avant
l’aube.
64 700 de ces systèmes ont déjà été livrés.
65 L’arme du génie américaine manque de
personnels qualifiés en mines-explosifs.
Un programme de constitution d’“équipes
de recherche” est lancé pour aider les
équipes EOD, souvent limitées à deux par
brigade.
US ARMY
66 Environ 100 000 dollars.
MARS 2005
43
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
ANNEXE 3 : C ARTES D’IRAK
Zones de responsabilité des grandes unités au mois d’avril 2004
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
44
MARS 2005
Irak
Géographie ethnique de l’Irak
MARS 2005
45
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
ANNEXE 4 : SOURCES
1. Sources officielles militaires
• (1) Sources militaires françaises.
• (12) Sources militaires américaines.
• (13) Sources militaires britanniques.
• (36) Bruce Hoffman, Insurgency and Counterinsurgency
in Iraq, RAND, National Security Research Division,
www.rand.org.
4. Articles de presse
2. Autres sources institutionnelles
et recherche spécialisée sur les
questions de défense
• (21) Bruce Hoffman, Insurgency and Counterinsurgency
in Iraq, RAND, National Security Research Division, présenté par le lieutenant-colonel Duval, détachement
de liaison Terre aux Etats-Unis.
• (41) Army, novembre 2003, “Armor deliveries quicken fot Iraq-bound troops ”, Edward P. Moser.
• (42) Le Monde, 9 décembre, “Deux partis sunnites
se rallient aux élections ”, AFP Reuters.
• (43) New York Times, 30 octobre 2004.
• (44) Armor, janvier-février 2004, “ Task Force Death
Dealers : Dismounted Combat” Tankers, Captains
Donald Stewart, Brian Mc Carthy, James Mullin.
• (22) Colonel (CR) Henri Boré, Regard sur une opération américaine de maîtrise de la violence : la 1ère
division de Marines dans Falloujah, Irak, du 5 au
30 avril 2004, CDES/CEREX, 2004.
• (45) Army, septembre 2004, “ The 5th BCT : Full
Spectrum War ; Full-Force Adaptation ”, Dennis
Steele.
• (23) Les armées du chaos, Etude sur les évolutions
des guérillas en Irak (mai 2003-octobre 2004),
CDEF/DREX, octobre 2004.
• (46 ) Army Times, 6 septembre 2004, “ Infantry !
It all comes down to the “ legs ” ”, Mattew Cox et
Gina Cavallero.
• (24) Frédéric Pons, Pièges à Bagdad, Paris, Presses
de la cité, 2004.
• (47) New York Times, 11 janvier 2004, “ Professor
Nagl’s war ”, Peter Maas.
• (25) David Baran, Vivre la tyrannie et lui survivre,
Mille et une nuits, 2004.
• (48) Le Figaro, 29 juin 2004, “ Quand l’US Army
tente de conquérir les cœurs ”, Charles
Lambroschini.
3. Sites Internet
• (31) www.strategypage.com.
• (32 ) S. Hashim, Insurgency and Counterinsurgency
in Iraq, US Naval War College, 04 juin 2004, [email protected].
• (49) Armor, septembre 2004, “ Stress and Pain in
Iraq : My Guys... All Shot Up”, Dennis Steele.
• (410) Le Monde, 10 novembre 2004, “L’armée américaine pénètre en force dans le bastion de
Falloujah”, Rémy Ourdan.
• (411) Army, septembre 2004, “ Let’s Get Closer :
Remembering the Relevance of Close Combat ”,
Lieutenant-colonel Robert R. Leonhard.
• (33) SBCT Threated-discussion Web Site.
• (412) Jane’s intelligence review, septembre 2004.
• (34) www.globalsecurity.org.
• (35) www.checkpointonline.
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
46
MARS 2005
• (413) Army, août 2004, “Flashpoint : Bloody April”,
Dennis Steele.
US ARMY
Irak
• (414) Army, septembre 2004, “ Two Views of
Reconstruction ”, Dennis Steele.
• (431) Le Point, 15 avril 2004, “ L’enfer des GI ”,
Nicolas Hénin.
• (415 ) Armor, mars-avril 2004, “Defeating the Threat
in Iraq Through the Combined Arms Convoy Concept
(CAC2) ” , Captain Klaudius K. Robinson.
• (432) Libération, 15 avril 2004, “Evénements Irak”,
Didier François.
• (416) Le Monde, 25 décembre 2004, “ Des soldats
polonais craquent en Irak ”, Christophe Châtelot.
• (417) Le Point, 16 décembre 2004, “ Falluja : les
civils au scanner ”, Nicolas Hénin.
• (418) Armor, juillet-août 2004, “Attack Helicopter
Offer Armor Leaders Third Dimension Maneuver ”,
Captain Steve Miles.
• (419) New York Times, 29 septembre 2004.
• (420) Army, août 2004, “ The Siege of Raider Base”,
Dennis Steele.
• (421) Le Monde, 30 octobre 2004, “ Le Pentagone
a négligé le renseignement humain et manque d’indicateurs pour repérer les extrémistes ”, Jacques
Isnard.
• (422) Armor, July-August 2004, “ Using the Patriol
Brief in Baghdad ”, Captain Sean kuester.
• (423) Armor, september-october 2004, “CompanyLevel Cordon and search”, Captain Dale-Murray.
• (424) Army, août 2004, “ TRADOC seeks wartime
solutions from rapid equipping force”, Tim Kennedy.
• (425) Le Figaro, 29 juin 2004, “ Offensive américaine dans le triangle sunnite”, AFP.
• (433) Libération, 20 septembre 2004, “ Panique
chez les aventuriers de la sécurité”, Didier François.
• (434) Libération, 22 septembre 2004, “ La jeune
garde nationale entre deux feux ”, Didier François.
• (435) Le Monde, 2 septembre 2004, “offensive
américano-irakienne contre la ville de Tall-Afar ”,
AFP Reuters.
• (436) Le Monde, 12 novembre 2004, “Avec le 1-1
Cav ”, Yves Eudes.
• (437) Le Monde, 23 octobre 2004, “ Enquête et
reportages au cœur de la guérilla en Irak ”, Rémy
Ourdan.
• (438) Le Monde, 3 décembre 2004, “A l’approche
des élections en Irak, l’armée américaine renforce
ses effectifs ”, AFP Reuters.
• (439) Le Monde, 4 décembre 2004, “ Donald
Rumsfeld reconnaît avoir sous-évalué les forces de
la rébellion en Irak ”, AFP Reuters.
• (440) Proceedings, novembre 2004, “Corporal Jones
and the moment of truth”, Lorenzo Puertas.
• (441) Military Review, juillet-août 2004, “Fashioning
a US-Israeli Military Alliance”, Edouard Bernard
Glick.
• (426) Proceedings, novembre 2004, “Beyond hearts
ans minds, culture matters ”, M. Salmoni.
• (442) Armor, janvier-février 2004, “A company’s
commanders’s thoughts on Iraq”, Captain John
Nalls.
• (427) Le Monde, 22 juin 2004, “ L’attaque américaine à Falloujah, bavure ou raid anti terroriste”,
Rémy Ourdan.
• (443) Armor, novembre-décembre 2004, “ The German werwolf and the Iraqi guerrilla”, Captain Brian
Glasshof.
• (428) Le Monde, 2 septembre 2004, “A Sadr City,
les miliciens du Mahdi ont déserté les rues, mais
la ville reste piégée”, AFP Reuters.
• (444) Marine Corps Gazette, janvier 2004, “A new
page in combat marksmanship”. Charles Colleton.
• (429) Le Monde, 1er septembre 2004, “A Bagdad,
le chef radical Moqtada al-Sadr annonce l’arrêt des
combats de sa milice : l’Armée du Mahdi ”, Cécile
Hennion.
• (430) Le Monde, 7 avril 2004, “La révolte des extrémistes chiites d’Irak gagne plusieurs villes à travers le pays ”, AFP Reuters.
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
48
MARS 2005
• (445) Amor, novembre-décembre 2004, “Preparing
for Iraq”. Captain Chad Foster.
• (446) Jane’s intelligence review, août 2004. “Sadrist
revolt provides lessons for counterinsurgency in
Iraq”, Jeffrey White.
• (447) Armor, septembre-octobre 2004, “ Check
point and traffic control point operations ”, First
Lieutenant Michael Gantert.
Irak
• (448) Armor, septembre-octobre 2004, “ Integrating
local security forces during combat and stability
operations ”, First Lieutenant Morris Estep.
• (449) Armor, septembre-octobre 2004, “Engaging
the population and local leaders”, First Lieutenant
David Tosh.
• (450) Armor, septembre-octobre 2004,
“ Reconnaissance patrols in Baghdad ”, First
Lieutenant Gregory Hickerson.
• (451) Amor, novembre-décembre 2004, “ Task Force
Iron Dukes campaign for Nadjaf ”, Lieutenant colonel Pat White.
• (452) Armor, novembre-décembre 2004, “ The RSTA
Squadron : agile and adaptative, relevant and ready ”, Captain Keith Walters.
• (453) Armor, mars-avril 2004, “Fighting the Stryker
rifle company ”, Captain Robert Thornton.
• (454) Armor, novembre-décembre 2004, “ The fight
for Kufa : Task Force 2-3 armor defeats al-Sadr’s
militia”, Major Todd Walsh.
• (456)) Army, janvier 2004, “ On guerrillas : warfare in Iraq”, Steven Greer.
• (457) Army, janvier 2004, “ Ramadan offensive”,
Major general Edward Atkeson.
• (458) Raid, mars 2004, “ La Stryker Brigade en
action ”, Yves Debay.
• (460) Objectif Doctrine, mars 2000, “ Une brigade
réactive”, Colonel Desportes.
• (461) Military Review, July-August 2004, “Guerrillas,
Terrorists, and Intelligence Analysis ”, Lieutenantcolonel Lester W. Grau.
• (462) Army, septembre 2004, “ Helping Irak : A
Block-by-Block Battle”, Dennis Steele.
• (463) Army Times, 3 janvier 2005, “We asked what
you think. You told us ”.
MARS 2005
49
DOCTRINE NUMÉRO SPÉCIAL
US ARMY
( La guerre après la guerre en images )
Irak
Le brouillard de la paix - p. 6
US ARMY
Le sabre et le scalpel - p. 25
US ARMY
La brigade laboratoire - p. 30
US ARMY
Agencement de l’espace terrestre
La menace des engins explosifs
improvisés - p. 41
US ARMY
DOCTRINE
C.D.E.F
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces