Gran canaria et les Belges, une belle histoire de vin BALLESTEROS

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Gran canaria et les Belges, une belle histoire de vin BALLESTEROS
BALLESTEROS
©Patrick Nijs/Flessengeluk
Gran Canaria et les Belges,
une belle histoire de vin
Pedro Ballesteros est
Ingénieur Agronome,
Master en Viticulture et
en Oenologie,
Weinakademiker à
Geisenheim et il est un
des trois
«Masters of Wine»
qui habitent la Belgique.
Chaque hiver, des dizaines de milliers de Belges
se rendent à Gran Canaria, à la recherche du
soleil et des plages de sable fin, à moins de cinq
heures de vol de Bruxelles. Une minorité de
touristes s’aventurent à l’intérieur de l’île, très
montagneux et d’une grande beauté. Plus rares
sont ceux qui s’intéressent à la gastronomie
locale, et presque personne ne songe à l’histoire
des lieux.
Pourtant, pour les touristes amateurs de vins,
il y a de quoi se réjouir à Gran Canaria. Une
appellation d’origine contrôlée, DO Gran
Canaria, protége les vins de l’île faits à partir de
cépages traditionnels. La tradition vinicole de
Gran Canaria remonte à 1590 et est d’origine
belge. C’est un anversois, Daniel van Damme,
qui a établi la culture de la vigne sur l’île.
En 1575, fuyant l’Inquisition, il s’établit à Las
Palmas de Gran Canaria. Grâce à son sens
commercial, il devient un grand propriétaire
agricole. Il plante le premier vignoble et fait bâtir
une cave de vinification, à l’intérieur de l’île, à
une quinzaine de kilomètres du port. En 1599,
quand la flotte hollandaise commandée par le
Vice-Amiral, Pieter van der Does attaque Gran
Canaria, Van Damme se rallie aux troupes
espagnoles qui défendaient l’île, et contribue à
faire échouer l’attaque. Il devient un personnage
historique pour l’île.
La mémoire de van Damme est bien présente
à Gran Canaria: un des monuments porte
son nom: la Caldera de Bandama (le cratère
van Damme). Il s’agit d’un volcan, la dernière
éruption a eu lieu il y a deux mille ans, laissant
un sol propice pour la vigne. C’est là que
Van Damme a planté son vignoble (on peut
actuellement visiter les ruines de la cave de Van
Damme).
Au XIXème siècle, la culture de la vigne fût
presque abandonnée au profit de la canne de
sucre et d’autres cultures. A partir de 1990, on
assiste à une renaissance de l’intérêt pour le vin
et Van Damme réapparaît dans la mémoire,
un vignoble étant reconstitué autour de son
ancienne propriété. Une appellation d’origine
est créée en 1994, devenant la DO Gran Canaria
en 2005.
Comme la seule possibilité de survie d’un tel
vignoble est son originalité, la DO ne permet
que des cépages traditionnels. Deux sont bien
connus, la malvoisie et le muscat, et les autres
sont plus particuliers : listán negro et blanco,
negramoll, tintilla, castellana, baboso negro,
vijariego, gual, marmajuelo, breval,...
Les Canaries ont un climat approprié pour le
vignoble de qualité, en dépit de leur latitude,
grâce à l’effet refroidissant des vents alizés, et à
la culture en altitude (jusqu’à 1400 m au Gran
Canaria). En fait, les températures d’été ne sont
pas si élevées que celles en Belgique, et en hiver
le thermomètre ne dépasse jamais les 25°C. La
nature des sols, volcaniques ne retenant pas la
chaleur, complète la panoplie des conditions
favorables à la vigne.
On note un grand nombre de styles de vin. Les
meilleurs montrent une originalité évidente,
surtout les rouges vinifiés à partir des cépages
baboso et vijariego, les plus intéressants à mon
avis. Des arômes de fruits noirs, prune et maquis,
avec une certaine rusticité et des notes épicées,
sont assez typiques. Ils sont assez peu tanniques,
modérés en contenu alcoolique et équilibrés
en bouche, vijariego plus vivace, baboso plus
puissant. Les blancs sont aromatiques, surtout
ceux avec de la malvoisie, jamais lourds, avec
une finale nette. Je préfère les secs aux demisecs, mais il semble que les derniers sont préférés
par le public.
Mon producteur favori est Agala, avec un blanc
sec (Altitud 1318) frais, gouleyant, et un rouge
(Tinto Barrica) solide et élégant, très personnel.
La cave mérite bien une visite, l’endroit est
spectaculaire, au pied du Roque Nublo,
le sommet de l’île. Le blanc de Mondalón,
coupage de malvoisie, albilla et muscat, est
remarquable pour sa précision aromatique.
La Higuera Mayor est un rouge de listán un
peu plus ‘international’, avec de tannins plus
serrés, finement structuré. Los Berrazales Tinto
Roble, rouge mono-variétal tintilla, joue sur la
concentration, avec un caractère balsamique en
finale, aussi très idiosyncratique.
Voici deux bonnes raisons pour vous réjouir
lors de votre prochaine visite à Gran Canaria:
alimenter la curiosité pour des vins de qualité
assez originaux et retrouver un petit morceau
de l’histoire des Belges.
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