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Objet d'étude : La question de l'Homme dans les genres de l'argumentation, du XVlème siècle
à nos jours.
CORPUS DE TEXTES
Texte 1 : Blaise Pascal, Pensées, Editions Brunschwicg, 3è section. 1670.
Texte 2 : Victor Hugo, L'homme qui rit, 1869.
Texte 3 : Jean Tardieu, « Lettre d’ici », Une voix sans personne, 1953.
Texte 3 : J.M.-G. Le Clézio , Désert , 1980.
Texte 1 : Pascal, Pensées, 1670.
L’œuvre de Pascal est sans doute l’œuvre philosophique et théologique la plus importante du
XVIIème siècle, - en tout cas le témoignage d'un homme qui, ayant trouvé dans la religion chrétienne
sa vérité, veut la faire partager aux autres, en particulier à ses anciens amis plus ou moins
incroyants, ceux qu'on appelait alors les « libertins ». Pascal donne ainsi dans le fragment suivant
des Pensées la parole au libertin incrédule.
Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans
une ignorance terrible de toutes choses ; je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens,
que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et
sur elle-même, et ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de
5 l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je
sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui
m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a
précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts qui
m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour.
10 Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j'ignore le plus est cette
mort même que je ne saurais éviter.
Comme je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vais ; et je sais seulement qu'en sortant
de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans
savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage. Voilà mon état
15 plein de faiblesse et d'incertitude.
Editions Brunschwicg, 3ème section ; Lafuma, Introduction, 11 ; Chevalier, 335.
Texte 2 : Victor Hugo, L'homme qui rit, 1869.
Dans un roman dont l'action se situe en Angleterre, au tout début du dix-huitième siècle, Victor
Hugo nous présente un personnage imaginaire, Gwynplaine, dont le visage a été déformé en une
sorte de rictus grotesque afin de distraire les puissants. Grandi dans le peuple misérable,
Gwynplaine se trouve projeté par le hasard à la Chambre des lords.
Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a
fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison,
l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles : comme à moi, on lui a mis au
cœur un cloaque1 de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. Où s'était
1
Un cloaque est un égout.
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posé le doigt de Dieu, s'est appuyée la griffe du roi, monstrueuse superposition. Evêques, pairs
et princes, le peuple c'est le souffrant profond qui rit à la surface. Mylords, je vous le dis, le
peuple, c'est moi. Aujourd'hui vous l'opprimez, aujourd'hui vous me huez. Mais l'avenir, c'est
le dégel sombre. Ce qui était pierre devient flot, l'apparence solide se change en submersion.
Un craquement, et tout est dit. Il viendra une heure où une convulsion brisera votre
10 oppression, où un rugissement répliquera à vos huées. (...) Tremblez. Les incorruptibles
solutions approchent, les ongles coupés repoussent, les langues arrachées s'envolent, et
deviennent des langues de feu éparses au vent des ténèbres, et hurlent dans l'infini ; ceux qui
ont faim montrent leurs dents oisives, les paradis bâtis sur les enfers chancellent, on souffre,
on souffre, on souffre, et ce qui est en haut penche, et ce qui est en bas s’entrouvre, l'ombre
15 demande à devenir lumière, le damné discute l'élu2, c'est le peuple qui vient, vous dis-je, c'est
l'homme qui monte, c'est la fin qui commence, c'est la rouge aurore de la catastrophe, et voilà
ce qu'il y a dans ce rire, dont vous riez!
Texte 3 : Jean Tardieu, Une voix sans personne, 1953, Gallimard
LETTRE D’ICI
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Je suis celui qui habite aujourd'hui parmi vous
l'un de vous. Mes souliers vont sur le goudron des villes
tranquillement comme si j'ignorais
que le sol n'est qu'une feuille mince
entre deux étendues sans couleur et sans nom.
Moi cependant qui parle j'ai un nom
je suis celui qui est là parmi vous l'un de vous
ma bouche parle mes yeux voient mes mains
travaillent innocent ! comme si j'ignorais que ma peau
n'est qu'une feuille mince
entre moi et la mort.
je suis celui qui ne regarde pas plus haut que les toits
plus loin que l'horizon parallèle des rues.
Le soleil qui se casse aux carreaux avares
me cache le sommeil étoilé du monde
où je n'ai que faire, homme de ce côté-ci.
Mon espoir ah tout mon espoir est parmi vous
près de vous près de moi je n'ai pas honte
de commencer dans les piétinements
(j'ai rêvé d'un désert où j'étais seul
mais comme j'étais seul je ne pouvais me voir
je n'existais donc plus le sable entrait en moi).
Ici je suis bien j'écoute on cause
dans la pièce à côté
et toujours cette voix même si elle change
c'est toujours vous c'est toujours moi qui parle.
Que dire encore? Nous vivons d'un verre d'eau
tiré au robinet de la cuisine
et de la vie et de la mort continuelles
dans un monde éclatant immortel
« le damné » et « l’élu » : celui qui est voué à l’enfer et celui qui est promis au ciel.
givre du temps acier des anges
pluie et feux inhumains aux quatre coins du ciel.
Texte 4 : J.M.-G. Le Clézio , Désert , 1980
Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient
apparus, comme dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuage,
et qu’ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la
soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la
5 Voie Lactée, la lune; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues
de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout
la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique3 de leurs yeux.
Le troupeau des chèvres bises et des moutons marchait devant les enfants. Les bêtes aussi
allaient sans savoir où, posant leurs sabots sur des traces anciennes. Le sable tourbillonnait
10 entre leurs pattes, s’accrochait à leur toisons sales. Un homme guidait les dromadaires, rien
qu’avec la voix, en grognant et en crachant comme eux. Le bruit rauque des respirations se
mêlait au vent, la sécheresse, la faim n’avaient plus d’importance. Les hommes et le troupeau
fuyaient lentement, descendaient vers le fond de la vallée sans eau, sans ombre.
Question sur le corpus (4 points).
Les quatre textes offrent une réflexion sur la condition humaine. Ils diffèrent néanmoins tant dans la
forme que dans le contenu. Identifiez et expliquez ces différences dans une réponse rédigée,
composée et synthétique.
Écriture : vous traiterez ensuite un seul des deux sujets (16 points).
Commentaire : Vous ferez le commentaire littéraire du texte de Victor Hugo.
Dissertation : Michel Butor disait : « Les grandes œuvres transforment la façon dont nous voyons
et nous comprenons le monde et donc transforment le monde ».
En vous fondant sur les textes du corpus et sur d’autres textes vous direz si, pour vous, ces textes
transforment le monde et, plus généralement, si la littérature, tous genres confondus, doit remplir
cette fonction.
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La sclérotique est le blanc de l’œil.