L`avenir de la croissance de la Chine

Transcription

L`avenir de la croissance de la Chine
L’avenir de la croissance de la Chine
Justin Yifu Lin (2012), « L’avenir de la croissance de la Chine », http://www.projectsyndicate.org/commentary/the-future-of-china-s-growth/French, [consulté le 3 mai 2012]
BEIJING – Le ralentissement de l’économie de la Chine a fait les manchettes ces
dernières semaines. Que ce soubresaut soit permanent ou temporaire, les
autorités chinoises ont beaucoup à faire pour préparer le terrain d’une
performance économique soutenue à moyen et long terme.
Malgré sa formidable croissance depuis le changement de cap de 1979 vers
l’économie de marché, la Chine est confrontée d’un coup à de graves enjeux: une
inégalité grandissante, un niveau élevé et croissant de détérioration de
l’environnement, un déséquilibre extérieur tenace et une société vieillissante.
Heureusement, le 12e Plan quinquennal 2011-2015 de la Chine tient déjà compte
de la nécessité d’orienter encore plus l’économie du pays vers le marché, de
changer le modèle de développement du pays et mettre l’accent sur la croissance
de qualité, les réformes structurelles et l’inclusion sociale pour surmonter le
clivage entre les conditions de vie rurale et urbaine et endiguer l’augmentation de
l’inégalité des revenus. Le nouveau rapport de la Banque Mondiale intitulé 2030:
Building a Modern, Harmonious, and Creative High-Income Society(Construire
pour 2030 une société prospère, moderne, harmonieuse et créative) dans lequel
sont proposées des réformes en diapason avec cette audacieuse démarche de
longue haleinedont mon pays a besoin pour se transformer en une économie de
marché aux rouages bien huilés et à pleine maturité d’ici 2030.
Le rapport est le résultat d’un partenariat de longue date avec la Banque. En
commémoration du 30e anniversaire de l’adhésion de la Chine, le président de la
Banque Mondiale Robert B. Zoellick a proposé aux dirigeants du pays une
initiative commune visant à cerner et analyser les enjeux de développement à
moyen terme de la Chine. Le rapport 2030 prône des réformes structurelles qui
visent à redéfinir le rôle du gouvernement, à réorganiser les entreprises et les
banques étatisées, à renforcer le secteur privé, à favoriser la concurrence et à
accélérer la libéralisation des marchés du travail, de l’immobilier et des titres
financiers.
Même si en proportion, le gouvernement chinois produira lui-même moins de
biens et services publics tangibles, il devra cependant offrir des biens et services
publics intangibles comme des règlements, des normes, et politiques. De telles
améliorations des politiques et des institutions accroissent la productivité,
favorisent la concurrence, facilitent la spécialisation, augmentent l’efficacité de
l’affectation des ressources, protègent l’environnement et réduisent les risques et
les incertitudes.
Dans le secteur des entreprises, il faudra en priorité accroître la concurrence dans
tous les secteurs, réduire les barrières à l’entrée et à la sortie des entreprises
privées tout en renforçant la compétitivité des entreprises d’État.
Dans le secteur financier, le système bancaire doit être privatisé, permettant ainsi
de laisser graduellement la détermination des taux d’intérêt aux soins des forces
du marché, tandis que les marchés en capital doivent être renforcés de pair à la
création d’infrastructures juridiques et de surveillance nécessaires au maintien de
la stabilité financière.
Pour le marché du travail, la Chine doit accélérer les reformes du système de
registre des ménages (hukou) afin d’ici 2030 de permettre aux travailleurs de
déménager vers les marchés où la main-d’œuvre est la mieux rémunérée. Dans le
système actuel, toute personne qui déménage dans une autre région du pays
sans hukou risque de perdre ses droits d’accès à l’éducation, aux services sociaux
et au marché de l’habitation. Les responsables de l’élaboration des politiques de
la Chine devront également introduire des mesures pour augmenter le taux de
participation au marché du travail. Ils auront également à repenser les politiques
salariales et à rendre les programmes d’assurance sociale transférables à l’échelle
du pays.
Finalement, il faudra penser à protéger les droits des agriculteurs, à améliorer
l’aménagement du territoire et à revoir complètement les politiques d’acquisition
de terres agricoles à des fins d’urbanisation.
Le succès à moyen terme de la Chine dépendra de la création d’un système ouvert
où la pression concurrentielle incite les entreprises chinoisesà investir dans
l’innovation des produits et des procédés, non seulement par l’intermédiaire
d’activités de recherche et développement, mais aussi par une participationaux
réseaux de recherche internationale. La priorité est d’améliorer la qualité et non
le volume des projets de recherche. Les responsables de ce domaine devront
mettre l’accent sur l’accroissement des compétences techniques et cognitives des
diplômés universitaires ainsi que sur la création de quelques pôles de recherche
universitaire de classe mondiale qui se tissent des liens étroits avec l’industrie.
Une stratégie éclairée doit favoriser la «croissance verte» au lieu de la croissance
effrénée aujourd’hui et des lendemains avec des coûts environnementaux
massifs. L’appui aux nouveaux investissements doit se faire dans des secteurs à
faible pollution qui sont économes en énergie et en ressources. Ceci amènerait
une croissance plus écologique, inciterait les investissements dans des
productions et des services en amont et en aval tout en renforçant l’avantage
concurrentiel dans un secteur d’avenir à l’échelle mondiale.
Le rapport 2030 veut également élargir les possibilités, promouvoir la sécurité
sociale et réduire les inégalités sociales et économiques relativement élevées du
pays en s’attaquant aux disparités entre les milieux ruraux et citadins en matière
d’accès à l’emploi, aux emprunts et aux services publics de haute qualité. Pour y
arriver, il faudra s’attarder davantage aux besoins des régions rurales et des
populations migrantes défavorisées. La restructuration des politiques sociales
devra également être étudiée afin de mettre en place de solides filets de
protection sociale.
De plus, il est indispensable de renforcer la situation budgétaire de la Chine en
mobilisant plus de revenus et en assurant que les autorités régionales disposent
d’assez de moyens financiers pour remplir leurs obligations budgétaires. De telles
réformes peuvent contribuer à garantir que les ressources budgétaires se
retrouvent aux différents niveaux de gouvernement (central, provincial,
préfectoral, départemental, communal et municipal) et qu’elles sont à la mesure
de leurs responsabilités budgétaires.
Et enfin le dernier conseil, mais non le moindre, voudrait d’une Chine qui
participe de plain-pied à l’économie mondiale. En poursuivant l’intensification
des liens commerciaux, d’investissement et financiers avec l’extérieur qui l’a si
bien servie au cours des trois dernières décennies, la Chine bénéficiera d’une
spécialisation accrue, d’un plus grand nombre d’occasions d’investissement et de
rendements d’investissement bonifiés, de même que d’échanges d’idées et de
connaissances qui avantage tous ses partenaires commerciaux.
La Chine doit maintenir son engagement de reprendre les négociations
commerciales multilatérales bloquées de la ronde de Doha et appuyer un accord
international relatif aux mouvements des capitaux. L’intégration du secteur
financier de la Chine nécessitera la libéralisation des opérations en capital. Cette
étape devra être franchie de manière durable et avec la plus grande prudence;
mais elle n’en est pas moins essentielle à l’internationalisation du renminbi
comme monnaie de réserve mondiale.
Les propositions qui figurent au rapport& 2030 pourraient encadrer les décisions
des dirigeants de la Chine dans leur recherche d’une croissance durable et
harmonieuse. L’économie entrant en zone de turbulence, le gouvernement de la
Chine sera obligé d’esquiver à mesure qu’ils surgissent les nouveaux risques,
parant les chocs et comblant ses lacunes. Mais, ce faisant, il se doit d’adhérer au
principe que les solutions politiques aux problèmes à court terme doivent
soutenir, et non hypothéquer, les priorités des réformes à long terme.