Témoins de la piété populaire : les cahiers de prières
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Témoins de la piété populaire : les cahiers de prières
Histoire et patrimoine Témoins de la piété populaire : les cahiers de prières comme objet d’étude l’intérieur de certaines églises ou de chapelles, généralement à proximité d’une statue de la Vierge Marie ou d’un saint vénéré localement, on trouve un cahier d’écolier disposé sur une petite table, accompagné d’un stylo à bille. Les fidèles y écrivent leurs prières, parfois leurs remerciements. Au sein de la Société d’archéologie et d’histoire de la Mayenne (SAHM), le groupe de travail sur les chapelles s’est intéressé à ce « patrimoine » un peu particulier. Claude Guioullier et Christophe Mézange, tous les deux membres de la SAHM – et, par ailleurs, respectivement chargé de mission et administrateur au CÉAS de la Mayenne –, en ont fait un objet de recherche. Le 30 juin 2007, ils ont présenté leurs premières observations et analyses au groupe de travail sur les chapelles. À En Mayenne, on avait pris l’habitude de les appeler des « cahiers d’intercession ». En fait, Claude Guioullier et Christophe Mézange sont peut-être les premiers à s’intéresser en France à ces documents ; du coup, on ne sait pas trop comment les appeler, d’autant plus que leur première page ne porte aucun titre et qu’ils ne relèvent pas de la liturgie officielle, mais plutôt de la piété populaire. « Cahiers d’intercession » laisse entendre que les prières sont une demande, par exemple à la Vierge Marie, afin qu’elle intercède (c’est-à-dire intervienne) auprès de son Fils pour une intervention divine. Dans les faits, ce type de démarche semble assez exceptionnel : les fidèles adressent directement leurs demandes, toujours par exemple à la Vierge Marie, et espèrent bien obtenir directement des résultats… Diverses formes de prières Voici quelques-unes des rares demandes d’intercession, au sens évoqué ci-dessus, relevées dans les cahiers de la chapelle Notre-Dame-de-Doucé, à Jublains : « Vierge Marie, intercède auprès de ton fils Jésus – qu’il entende mes prières, qu’il protège mes enfants, mes petits-enfants, futurs petits-enfants » (1994). « Que notre affaire soit vendue au juste prix. C’est normal. Ton fils ne peut rien te refuser. Merci. J’ai confiance » (1996). Plus exceptionnelle encore, cette demande adressée à Notre-Dame de Doucé pour qu’elle intercède auprès de saint Christophe : « Priez saint Christophe qu’il veille sur nous en voiture » (1994). Pour qualifier ces cahiers, Claude Guioullier et Christophe Mézange se sont intéressés au discours (1) officiel de l’Église catholique sur la prière . Un bouquet de fleurs naturelles confirme la ferveur dont bénéficie toujours Notre-Dame de Doucé. Au pied de la statue, de très anciennes photos d’identité, sans doute déposées à l’occasion d’une demande d’intercession. (1) Ainsi, on peut distinguer cinq formes de prières différentes : Les prières de bénédiction et/ou d’adoration (« Parce que Dieu bénit, le cœur de l’homme peut bénir en retour Celui qui est la source de toute bénédiction »). – Catéchisme de l’Église catholique. Paris : Centurion, Cerf, Fleurus-Mame / Librairie éditrice vaticane, 1998 (pages 632 à 637). CÉAS de la Mayenne – Juillet 2007 1 Les prières de demande pour soi-même (pour obtenir le pardon de ses péchés, pour se rapprocher du Royaume de Dieu ou pour tout autre « vrai » besoin…). Les prières dites d’intercession, en faveur des autres, y compris de ses « ennemis » : le fidèle, ici, ne recherche pas ses propres intérêts, mais songe plutôt à ceux des autres (intercession n’a pas ici le même sens que précédemment). Les prières d’actions de grâces : remerciements pour un bienfait. Les prières de louange, prières toute désintéressées qui se portent vers Dieu… Les cahiers étudiés par Claude Guioullier et Christophe Mézange comprennent essentiellement des prières de demande pour soi ou pour autrui, mais aussi des remerciements. Voici un exemple de prière d’intercession, puis de demande pour autrui, puis pour soi : « Notre-Dame de Doucé, j’ai besoin de votre aide, mon ami a des difficultés (…). Nous l’aimons tous. Il a besoin d’aide mais il nous repousse. Alors, je vous en supplie, aidez-le, il est désespéré. Moi, je vous demande de me soutenir pendant toute mon année scolaire car je vais rencontrer des périodes difficiles. Merci » (1994). L’ambiguïté du terme « intercession » et le fait qu’il caractérise une forme spécifique de prières ont conduit Claude Guioullier et Christophe Mézange à retenir « cahiers de prières » pour désigner leur objet de recherche. Un élément du patrimoine local Maintenant, au même titre que les travaux sur les journaux intimes ou la correspondance privée, un travail de recherche sur les cahiers de prières est-il acceptable sur le plan moral ? Oui, répondent Claude Guioullier et Christophe Mézange, à condition de respecter l’anonymat (certaines prières sont signées) Cahier de prières de l’église Saint-Pierre, à Saulges. et d’adopter une attitude de respect par rapport au contenu même des prières. Au-delà de ces deux conditions, les deux chercheurs rappellent qu’à la différence des journaux intimes et de la correspondance privée, les cahiers de prières sont un « objet » exposé publiquement. Dès lors, ils peuvent constituer un objet de recherche pour étudier les préoccupations de fidèles (qui ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble des catholiques), l’évolution de ces préoccupations dans le temps, et, plus globalement, pour mieux comprendre la religiosité populaire. Si les cahiers de prières constituent des documents très riches pour l’histoire des mentalités, ce sont également des documents très fragiles. Claude Guioullier et Christophe Mézange lancent un double appel : d’une part pour leur conservation, d’autre part pour leur inventaire et leur mise à disposition pour des travaux de recherche. Jusqu’à présent, Claude Guioullier et Christophe Mézange ont seulement eu accès à des cahiers de prières de trois sites différents. La série la plus longue va de 1991 à 2003. Ils rêvent de pouvoir travailler sur une série beaucoup plus longue et ancienne… Dans le cadre d’un enseignement de méthodologie d’enquête, une étudiante de l’Institut catholique de Paris a réalisé une analyse des 939 prières contenues dans trois cahiers de la chapelle Notre-Dame-de-Doucé, à Jublains, couvrant les années 2000 à 2003. CÉAS de la Mayenne – Juillet 2007 2