Homélie du 29.09.2013

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Homélie du 29.09.2013
29 septembre 2013
26è dimanche ordinaire - C
Luc 16, 19-31
« Le riche et Lazare »
Bien chers frères et sœurs,
L’histoire que nous venons d’entendre est archi connue, trop peut-être. Autrefois au moins, chaque enfant savait raconter la parabole
du mauvais riche et du pauvre Lazare. Seulement : dans le texte nous ne trouvons ni le mot « parabole », ni le mot « mauvais ». Est-ce alors, au moins dans
la première partie, une histoire vraie ? Une règle générale de l’exégèse pour
distinguer entre histoire et parabole dit : il y a fait historique, lorsque dans un
récit, nous voyons une désignation précise de noms propres de personnes ou de
lieux. Et ici, le nom du pauvre est connu : Lazare.
Pour les Pères de l’Église, il ne faisait pas de doute
que Lazare était un personnage historique. Et la liturgie, dans la prière émouvante de l’absoute (''Chorus angelorum'') reconnaît en Lazare aussi une personne
historique quand elle demande : « Que le Seigneur vous donne le repos éternel,
dans la compagnie de celui qui fut autrefois le pauvre Lazare !». Ce n’est pourtant qu’au 10ème siècle qu’on instaura le 17 décembre la fête de saint Lazare, patron des lépreux (d’où le nom « lazaret »), et l’ordre des Vincentins ou Lazaristes a encore aujourd’hui le privilège de célébrer la fête de saint Lazare.
Aujourd’hui, les exégètes sont quasi-unanimes à considérer notre histoire comme une parabole. Pourquoi ? Au début du siècle passé,
on a découvert un papyrus égyptien du 4ème siècle avant Jésus Christ qui raconte
la même histoire. Elle fut adaptée par les rabbins pour les Juifs et était probablement connue de Jésus. Et dans ces deux contes, alléluia, le riche est désigné
comme mauvais. Il nous est en effet difficile de comprendre son châtiment s’il
n’était que riche. Or dans notre parabole, le riche n’est que riche ; riche et heureux comme Lazare est pauvre et malheureux. Faut-il donc être malheureux sur
la terre pour être heureux au ciel ?
Regardons d’abord ce riche. Sans doute gérait-il ses
domaines, mais rien ne nous suggère qu’il se serait enrichi de vols ou en faisant
suer une main d’œuvre mal payée. Bon, il n’était pas en salopette ; il portait la
plus belle pourpre de Phénicie sur les sous-vêtements de coton égyptien le plus
fin. Il ne cassait pas précipitamment la croûte debout dans quelque self-service ;
il avait le temps et l’argent pour faire « chaque jour des festins somptueux ».
Mais est-ce péché de porter lingerie fine et costume de belle étoffe, de faire tous
les jours un festin somptueux, si on en a les moyens - et un estomac et un foie
robustes ? Non, à part peut-être son cholestérol et ses articulations, rien ne lui
interdisait de festoyer… s’il n’y avait pas le pauvre. Mais justement, il y avait, il
y a les pauvres !
Nous voilà tous concernés, même si nous ne ressemblons que de loin à ce riche caricaturé. Nous ne sommes pas si riches et nous ne
soutenons pas la thèse selon laquelle « l’argent n’est pas tout, mais tout n’est
rien sans argent », mais nous sommes d’accord pour admettre que pleurer dans
un taxi est mieux que pleurer dans un autobus. Or notre parabole risque de trop
nous fixer sur l’argent, la richesse. Dans l’AT, par exemple, la richesse était un
signe de bénédiction, et Jésus n’a eu aucune parole critique concernant la richesse de l’autre Lazare mentionné dans le NT, celui qu’il allait ressusciter.
Jésus mit l’accent sur les dangers de la richesse que
sont l’égoïsme et l’indifférence. Peu importe si le Lazare de la parabole était un
personnage fictif ou réel ; ce qui nous concerne sont les millions de Lazares que
nous ignorons et qui attendent notre aide. Rappelons-nous l’appel du pape François sur l’île de Lampedusa ; souvenons-nous du discours de Jean-Paul II à Sâo
Polo en 1980 où il disait : « A côté des quartiers où l’on vit avec tout le confort
moderne, d’autres existent où font défaut les choses les plus élémentaires…
Souvent le développement devient une version gigantesque de la parabole du
riche et de Lazare. La proximité du luxe et de la misère accentue le sentiment de
frustration des défavorisés. »
Et n’oublions pas qu’il n’y a pas seulement la richesse de l’argent. Nous pouvons nous enfermer dans la richesse de notre savoir, de
notre statut social, de notre culture et même de notre religion. Possédant la vraie
doctrine et les sacrements, certains croient posséder Dieu et ils méprisent ou
ignorent les autres. Luttons donc contre cette attitude lâche, par exemple, envers
tous ces gens que l’on croise sans chercher à les rencontrer parce que l’anonymat et l’indifférence sont tellement plus confortables dans l’immeuble, sur notre
lieu de travail et, pardonnez-moi, même à la sortie de l’église.
Toutes les richesses comportent deux risques : d’un
côté, elles ferment le cœur à Dieu. On se contente des plaisirs terrestres. De l’autre côté, elles ferment le cœur au prochain. On ne voit que soi-même. La sanction terrible n’est que la prolongation de cet état : loin de Dieu et loin des autres.
Dieu est amour et le Royaume de Dieu est communion d’amour. A nous de nous
ouvrir à Dieu et au prochain.
AMEN.
(P. Rodolphe)