Ignacio Sánchez-Cuenca, La desfachatez intelectual. Escritores e

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Ignacio Sánchez-Cuenca, La desfachatez intelectual. Escritores e
Mélanges
de la Casa de Velázquez
Nouvelle série
46-2 | 2016
Modelos heroicos decimonónicos
Ignacio Sánchez-Cuenca, La desfachatez intelectual.
Escritores e intelectuales ante la política
Isabelle Touton
Éditeur
Casa de Velázquez
Édition électronique
URL : http://mcv.revues.org/7318
ISSN : 2173-1306
Édition imprimée
Date de publication : 15 novembre 2016
ISBN : 9788490960493
ISSN : 0076-230X
Référence électronique
Isabelle Touton, « Ignacio Sánchez-Cuenca, La desfachatez intelectual. Escritores e intelectuales ante la
política », Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], 46-2 | 2016, mis en ligne le 15 novembre 2016,
consulté le 29 novembre 2016. URL : http://mcv.revues.org/7318
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© Casa de Velázquez
Ignacio Sánchez-Cuenca, La desfachatez intelectual. Escritores e intelectuale...
Ignacio Sánchez-Cuenca, La
desfachatez intelectual. Escritores e
intelectuales ante la política
Isabelle Touton
RÉFÉRENCE
Ignacio SÁNCHEZ-CUENCA, La desfachatez intelectual. Escritores e intelectuales ante la política,
Madrid, Los Libros de la Catarata, 2016, 221 p.
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L’essai La desfachatez intelectual. Escritores e intelectuales ante la política d’Ignacio SánchezCuenca (professeur de Sciences Politiques à l’université Carlos III de Madrid) cherche à
démontrer qu’une génération d’écrivains, (sous-)formée politiquement à l’Université
franquiste (thèse qui ne prend pas en compte les autres canaux de formation) et
consolidée pendant la Transition, occupe une place qu’il considère disproportionnée dans
les médias les plus diffusés. À partir de nombreux exemples de déclarations dans la presse
ou de textes d’opinion publiés par des écrivains comme Javier Cercas, Félix de Azúa,
Fernando Savater, Jon Juaristi, Arturo Pérez-Reverte, Álvaro Pombo ou Mario Vargas
Llosa, l’auteur montre comment « l’impudence intellectuelle » de ces plumes — dont il ne
remet pas en question le talent littéraire — qui sacrifient rarement à un travail d’analyse
scrupuleux, bénéficie d’une sorte d’impunité liée à leur statut.
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Le premier chapitre, « La maldición del escritor » (La malédiction de l’écrivain) explique
comment, forts de leur aura, de leur autorité morale et d’un style brillant, ces écrivains
qui ont évolué de l’anticapitalisme de leur jeunesse antifranquiste vers des positions
sociales-démocrates pendant la Transition, jusqu’à revendiquer plus récemment un
certain libéralisme économique et des valeurs plutôt conservatrices, livrent sur la place
publique des analyses dont l’objet est assez réduit : le nationalisme catalan, le terrorisme
basque, la décadence du système éducatif, l’identité espagnole. L’obsession, qui était déjà
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celle de la génération de 98, pour le « problème de l’Espagne », c’est-à-dire pour la
recherche dans le caractère national ou la psychologie autochtone de l’origine de la
décadence collective, et pour la question des « nationalismes » basques et catalans, les
aurait rendus partiellement aveugles aux bouleversements qu’a connus l’Espagne depuis
2008. Sánchez-Cuenca précise bien qu’il ne souhaite pas que le débat public soit confisqué
par les « experts » (politologues, économistes, sociologues) mais que la parole des
écrivains ou historiens médiatiques soit soumise à la même exigence d’honnêteté
intellectuelle. Pour y parvenir, il propose un changement de paradigme : il faudrait que la
culture que Diego Gambetta appelle « holistique », dont la principale force repose sur
l’argument d’autorité, l’érudition et la réticence à céder du terrain à l’adversaire
intellectuel, laisse place à une culture analytique, produisant des discours fondés sur un
travail de recherche et des arguments construits et articulés par inférence logique.
Certains journalistes espagnols, accuse-t-il aussi, sont à leur tour victimes d’un tropisme
littéraire et commettent des essais politiques ou historiques qui négligent leurs sources
au profit d’une version romancée du passé.
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Bien que cela soit évident, aucun des commentateurs du livre ne semble l’avoir vu : les
intellectuels et romanciers de la génération de la Transition mis en accusation sont
exclusivement des hommes. Rosa Montero, Almudena Grandes et Elvira Lindo, par
exemple, sont mentionnées au sein de deux ou trois listes d’auteurs fréquemment publiés
dans la presse généraliste, mais leur discours n’est jamais analysé. Soit Sánchez-Cuenca
considère qu’elles ne sont pas dignes d’intérêt, soit il pense que ces romancières n’ont pas
connu la même évolution politique, ne se limitent pas aux mêmes sujets ou produisent un
discours plus sérieux : dans ce cas-là, il aurait été intéressant de le préciser, quitte à les
présenter comme des contre-exemples (comme il le fait pour Juan José Millás ou Rafael
Reig, valorisés pour leurs lectures humoristiques ou satiriques de l’actualité). Il n’en va
pas de même des déclarations des femmes politiques, rendues plus visibles grâce à la
politique des quotas, qui sont plus volontiers critiquées. Par ailleurs, le concept de
« machisme discursif » que l’auteur reprend de Diego Gambetta aurait pu être pensé en
lien avec un machisme théorique, avec la domination masculine que l’on peut encore
observer dans le champ littéraire espagnol, et avec ce que recouvre historiquement le
terme « d’intellectuel » comme construction androcentrée et patriarcale d’une figure
publique.
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Le deuxième chapitre, « La obsesión nacional » (L’obsession nationale) analyse de manière
détaillée les positions prises par ces mêmes intellectuels contre les nationalismes basques
et catalans : tout d’abord celle du lien établi entre violence armée et nationalisme
politique par des intellectuels comme Jon Juaristi et ceux qui se sont unis autour de
« ¡Basta Ya! », un collectif dont l’auteur souligne par ailleurs le courage exemplaire dans
sa lutte contre l’ETA. Il analyse aussi en détail l’exemple de Fernando Savater qui publia
des textes relativement compréhensifs envers l’ETA au moment où le nombre
d’assassinats était à son comble mais, quelques années plus tard, condamna violemment
le dialogue et le « processus de paix ». Dans une claire défense du bilan politique de
Rodríguez Zapatero sur cette question, Sánchez-Cuenca reproche donc à ces intellectuels,
non pas d’avoir dénoncé la violence de l’ETA, mais d’avoir assimilé terrorisme et
nationalisme basque de toute obédience, accusant les partisans de la négociation de
complicité avec les terroristes ou de traîtrise. Le reste du chapitre est consacré à la
vindicte de ces écrivains contre le nationalisme « civique et pacifique » catalan. En tant
que citoyen espagnol, l’auteur dit ne pas être nécessairement favorable à l’indépendance
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de la Catalogne, mais en tant que démocrate, il démonte les arguments qui sont opposés à
la tenue d’un référendum. Il n’y a pas eu, nous dit-il, parmi les intellectuels, de réponse au
livre du philosophe Joan Vergés, La nació necessària (La nation nécessaire) à la hauteur de
celui-ci. Étonnamment, la question du nationalisme espagnol, pourtant présente en
filigrane, n’est pas abordée de front.
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Le troisième et dernier chapitre intitulé « La crisis : merecíamos algo mejor » (La crise :
nous méritions mieux) livre une analyse serrée de l’essai littéraire d’Antonio Muñoz
Molina, Todo lo que era sólido (Tout ce qui était solide), consacré à l’étude des causes de la
« crise » économique et politique qui a frappé l’Espagne ces dernières années. SánchezCuenca réfute l’idée d’une obsession collective pour la guerre civile qui aurait aveuglé la
société espagnole et réprouve la généralisation de la responsabilité des politiques, tous
renvoyés dos à dos grâce au concept de « élites extractivas », c’est-à-dire des élites dont le
seul objectif aurait été de détourner, « extraire », de l’argent public pour leur bénéfice
propre. Le chapitre s’achève sur la déconstruction de quelques textes signés par des
économistes, politologues ou juristes néo-libéraux, appelés « réformistes », dont les
analyses sont, de l’avis de l’auteur, limitées par une perspective exclusivement nationale.
Implicitement, Sánchez-Cuenca conteste aussi les interprétations d’une partie de la
gauche radicale, alternative ou « anti-hégémonique » : un certain esprit « anti-politique »
qui accuse les élus de tous les maux et déresponsabilise les citoyens, et une lecture
« provinciale » de carences démocratiques pourtant communes à la plupart des pays
européens qui ont abandonné progressivement l’État-providence pour plus de
dérégulation néo-libérale — je pense à l’intéressant essai collectif dirigé par Guillem
Martínez, CT o cultura de la Transición, qui attribue essentiellement ce déficit démocratique
à une particulière « culture de la Transition », qui n’aurait pas consommé sa rupture avec
le franquisme.
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Dans cet essai, Sánchez-Cuenca propose donc une pratique plus éthique, ouverte et
inclusive du débat public, où chaque argument pourrait être débattu quel que soit le
prestige de son auteur. Il fait ce qu’il prêche : avec grande minutie, il reprend un à un les
arguments avancés dans les textes incriminés pour les soupeser, me semble-t-il, avec la
plus grande honnêteté intellectuelle. On peut peut-être lui reprocher de ne considérer
que l’un des pôles de la communication littéraire, négligeant quelque peu le rôle des
médias qui promeuvent ces auteurs (à l’exception de celui de El País), mais surtout celui
des lecteurs. La renommée comme columnistas de ces auteurs a été construite par l’écho
qu’elle a trouvé chez les récepteurs, soit parce qu’ils reformulent brillamment les lieux
communs qui circulent dans « l’opinion publique », soit parce qu’ils ont réussi à former,
sur le moyen terme, un lectorat à leur mesure, soit parce que ce « machisme discursif »
séduit davantage que des analyses rigoureuses, grâce à la violence cathartique et
faussement carnavalesque qu’il permet : les textes imprécatoires et injurieux de PérezReverte sont ainsi des hits sur les réseaux sociaux. Enfin, il me semble que la juste
dénonciation de l’utilisation d’un style rhétorique et ampoulé comme cache-misère ne
devrait pourtant pas faire renoncer les écrivains à une écriture littéraire qui, au service
d’une réflexion argumentée, peut en refléter toute la complexité et la subtilité.
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AUTEURS
ISABELLE TOUTON
Université Bordeaux-Montaigne
Mélanges de la Casa de Velázquez, 46-2 | 2016
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