L`esprit de Cuverville chez Raymond Queneau

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L`esprit de Cuverville chez Raymond Queneau
Anatoli Féfélov, Novossibirsk
Note pathétique sur la mentalité linguistique de l'aire toulonnaise
(L'esprit de Cuverville chez Raymond Queneau, fragment de la thèse non achevée )
A la ville de Toulon et à Jean Moisson dit Jean le Sibérien
L’intelligence en France vient du Nord, la poésie du Sud. La ville de Toulon
(l’infâme Toulon selon un mot historique qui date de la Révolution française) fournit
une belle occasion de métaphoriser au moins deux aspects de la grande entreprise
quenienne. Primo, la révolution culturelle avec son élément majeur  la réhabilitation du
mental et du physique populaire ; secundo, l’engouement quenien pour la néographie
fantaisiste. En effet, bien qu’elle soit souvent confondue tantôt avec l’intention de
perfectionner l’orthographe officielle en lui enjoignant l’obligation de rendre fidèlement
compte de l’oralité du langage vivant, tantôt avec le souci de conserver la vivacité et la
spontanéité propres, affirme le mythe, à l’expression populaire, argotique et familière,
la nouvelle orthographe de Queneau rappelle une sorte de prestidigitation
orthographique.
Le mot emblématique de notre métaphorisation est Cuverville. Un beau nom
digne sans doute d’un aristocrate ou d’un intellectuel normand, il désigne à Toulon la
statue dont le nom officiel est tout à fait autre : le Génie de la Navigation. “ Cette statue
en bronze pointant son index gauche en direction de la mer est l’oeuvre du sculpteur
Louis-Joseph Daumas et fut inaugurée le 1er mai 1847 en l’honneur du roi
Louis-Philippe ”, dit le Guide pratique publié par l’Office du tourisme toulonnais en
1999, p. 16.
Rendant hommage à la stratégie communicative de Queneau, et en la
commémorant donc de cette manière peu usuelle, dirons tout d’abord, afin d’arrêter tout
de suite la prolifération de rapprochements fantaisistes, ce que cette statue n’est pas.
Elle n’est pas la statue en marbre figurant dans Saint Glinglin sur laquelle Pierre –
ex-maire déchu de ses fonctions qui a dû se recycler faute de mieux en sculpteur –
s’acharnait à ériger jour et nuit des poils tandis que sa femme Eveline, contrainte à
respecter “ ce superflu labeur ”, tenait seule tête aux ravages de la chasteté occasionnés
à sa personne physique par la prolongation inattendue de son célibat (SG, 265). La
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statue est un monument méridional qui ne joue aucun rôle dans l’oeuvre de Queneau,
mais dont les métamorphoses scripturales illustrent à merveille l’approche théorique de
l’écrivain.
Vraiment, la noblesse du nom Cuverville est factice car elle tire toutes ses lettres
d’un tour de force orthographique ayant pour but de modérer la crudité spontanée du
surnom aussi populaire que sincère dont le Génie a été honoré à Toulon : cul vers ville
(“ ainsi nommée, explique le Guide de Toulon, parce que la partie postérieure de son
anatomie est tournée vers la ville ”).
En voilà donc encore une manière vraiment instinctive (et qui serait bien du goût
de Queneau) d’interpréter la phrase de Paul Valéry, suggérant, sans aucune arrière
pensée, que “ la poésie est une hésitation prolongée entre le son et le sens ”.
En rebaptisant la statue, le peuple toulonnais a fait preuve d’un génie gouailleur et
a atteint l’effet recherché avec des moyens minimaux. Les pouvoirs publics ont procédé
sans hésiter un instant à l’ennoblissement scriptural de l’expression en recourant aux
moyens graphiques mis à leur disposition par la langue écrite et officielle. Ils ont réussi
à ménager la chèvre et le chou puisque tout le monde devait être satisfait de la
délicatesse de sa solution orthographique.
En effet, comment pourra-t-on savoir dorénavant quelle orthographe – saine ou
obscène – vient à l’esprit des citadins qui émettent les trois syllabes [kyvɛrvil] ? Et
quelle tentation depuis pour les gens sensibles au jeu de sens que promet le va-et-vient
autant rectiligne que circulaire entre [ky-vɛr-vil] et [kyvɛrvil], inaccessible pour
l’oreille et que seule l’écriture française arrive à visualiser avec éclat. C’est bien
l’occasion de rappeler ici l’assertion de Charles Bally, un peu douteuse d’ailleurs au
point de vue linguistique, d’après laquelle le français est une langue faite pour l’oeil.
Raymond Queneau, se déclarant dès le début de sa carrière littéraire apôtre du
Verbe irrégulier, a largement exploité les deux directions de cette incarnation graphique.
Descendant très souvent de Cuverville vers cul vers ville, il se livrait à une
désacralisation vertigineuse de la Grande Langue, cherchant tant bien que mal à
l’acculer à la démission, à terroriser les “habits verts”, à mettre en valeur les ressources
expressives du français populaire, allant dans ce but jusqu’aux sources vivifiantes de
l’expressivité spontanée qui se trouvaient quelque part dans la région du buste inférieur
(le néologisme est de Vladimir Mayakovski), sans oublier de vanter les qualités de la
langue de la banlieue parisienne afin surtout de mieux faire la pige avec son aide au bon
usage des beaux quartiers.
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En remontant de cul vers ville vers Cuverville, il plaidait mea culpa devant la
Grande Langue pour son envie vulgaire de l’enculer, cherchait à modérer les élans trop
nerveux et trop libres des tours du français populaire, à adoucir les manières
populacières dont l’existence il reconnaissait tout de même de temps en temps. Il
rigolait, émerveillé par la naïveté intellectuelle des “fulgurations” philosophiques de
certains représentants du peuple dont le langage niait par sa forme le contenu, ek cetera,
ek cetera. Dans les deux cas, il profitait des mélanges interculturels qu’ils soient
stylistiques ou orthographiques pour exprimer son attitude “savanturière” et fournir son
commentaire “vertigénial”.
L’hésitation de Queneau entre les deux incarnations fondamentales du Verbe et de
l’Esprit français était en effet prolongée, marquée profondément et douloureusement
tant par l’attrait aussi mystique que irresistible du baragouin populaire que par
l’équilibre céleste du langage raffiné. Sans réussir à obtenir la démission du beau
langage, il arrive pourtant à tirer de son désarroi esthétique grand nombre d’admirables
effets poétiques. Le peuple, quant à lui, reste réfractaire à toutes les beautés de la
civilisation verbale avec sa préciosité sublimée et, leur tournant le dos, montre à la Ville
son Q (« gros [déja] comme cul de dame damascène » ?).
L’intégrité de la culture nationale, suggérée par la métaphore [kyvɛrvil] soit
comme réalité, soit comme rêve, est trompeuse; la vie quotidienne la rompt, valorisant
tantôt le concret du cul vers ville, tantôt l’abstrait de Cuverville. Queneau aussi,
profitant de son statut d’observateur, de son indépendance d’écrivain, se plaît à
actualiser dans les mots, en fonction des circonstances ludiques ou besoins esthétiques,
leur deux valeurs fondamentales : faciale et fessiale. Installé commodément sur son
Janicule, ce Janus à double face, ce gardien des portes linguistiques ayant elles aussi une
double face nous en tourne tantôt l’une, tantôt l’autre.
A la différence de la culture linguistique officielle, il n’a pas de mépris pour la
valeur fessiale des mots. Il a cru même quelque temps que l’idée de révolutionner
l’usage du français “ sclérosé ” (en voilà encore une trace affective !) était inséparable
de celle d’accorder une priorité aux saines valeurs cul-vers-ville. Etant en outre greffée
sur la libération de la sexualité, qui est prônée par la pensée humaine moderne, cette
tendance explique aussi ses abus de la langue verte, extrêmement relâchée dans certains
romans, où l’homme libre de la littérature romantique (lequel était censé, comme on le
sait, afin de rester fidèle à sa vocation libertaire, toujours chérir la mer) se trouve
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remplacé par l’homme libre qui chérit le cul puisque à ne pas le faire il perdrait sa
souveraineté congénitale.
Atroce destin ou horrible conjoncture ?
L’attaque quenienne contre les emblèmes littéraires et linguistiques de la société
comme-il-faut ne semble pas reformuler seulement de façon si provocante les critères
d’insubordination au goût du grand public. Il s’agit peut-être du dernier moyen des
contestataires par vocation de sauver la notion même de contestation. Etant à bout de
ressources intellectuelles, ils cherchent à humilier la suffisance des honnêtes gens de
notre temps avec des gestes barbares, vulgaires, physiologiques, ritualisés en reniant
ainsi leurs propres idéaux de naguère et en bouclant, pour ainsi dire, le cercle évolutif.
Queneau a seulement essayé de donner un statut linguistique à cette tendance en
l’inscrivant dans le mécanisme d’interaction réglementaire des langages culturels de la
société française.
La révolution qui prétendait abolir l’inégalité devant la langue, en cuvercivilisant
la société toute entière et de fond en comble, semblait poindre à l’horizon, là où le
Génie de la Navigation pointant son index incusiteur. Se mettant au labeur plein
d’espoir et d’enthousiasme, Queneau aura fini par faire tant de découvertes inattendues
et décevantes qu’il a dû s’écrier un jour : sacré [kyvɛrvil]! Tu te dédoubles toujours!
Alors, voilà Le chiendent et vivent les lectures plurielles !
En effet, la statue du Génie de la Navigation étendant son index théorique vers la
mer envoie le bel usage à la recherche de nouveaux tours nerveux et libres, qui seront
les uns plus beaux que les autres. Elle reste en même temps clouée définitivement au
quai du port toulonnais avec ses marins aux bras tatoués et ses bordels. Ainsi, un
observateur anonyme du Petit Bavard constatera-t-il un jour avec satisfaction,
exprimant la pensée en néofrançais : “ Y’a de l’eau, y’a des filles... ” (PB, 118).
La mentalité linguistico-culturelle toulonnaise, représentée par l’hétérographe en
question, est en parfait accord avec la tendance mutine de Zazie, personnage de Zazie
dans le métro, chez laquelle la quête de la liberté intellectuelle est symbolisée par le
même mot. On a pourtant le droit de supposer que cette garce de l’espace romanesque
francilien ne serait pas applaudie à Toulon parce que son célèbre et ambitieux défi
“ Napoléon mon cul ” constitue indubitablement une insulte impardonnable pour
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l’agglomération méridionale qui vit toujours dans les reflets de la gloire de l’éminent
gaulliste1 évoqué par la fille rétive dans son énergique objection.
Le Petit Bavard kenogonique
Par contre, à en juger d’après la 9ème édition du Petit Bavard, guide de la région
toulonnaise réalisé par un groupe d’étudiants de l’Ecole Supérieure de Commerce et
Technologie de Toulon, les jeunes de l’agglomération ont beaucoup apprécié la bataille
désespérée que Queneau menait contre le bon usage linguistique. S’inspirant de
l’exemple, ils en livrent encore une, cette fois dans des buts strictement publicitaires.
“ C’est-y-pas-beau ? ” (PB, 112), s’essclaffent-ils (avec deux s queniens du temps de
Saint Glinglin), ahuris par la dimension poétique de son héritage néofrançais et
néonormand. En élèves appliqués, ils semblent ne pas négliger une seule des astuces
orthographiques ou rhétoriques du détracteur “ distinglé ” de la Belle Langue.
Que vous lisiez Le P’ti Bav’ (PB, 119) ou le P’tit Bav’ (PB, 196), que vous
honoriez la face populo ou distinguo du [kyvɛrvil], les deux orthographes du mot petit
sont également possibles et les deux sont attestées chez Queneau. Vous y trouverez
pêle-mêle de grands classiques (pêle-mêle, c’est hyperquenien ! ), des conseils, des
histoires, des “ fôtes d’orthografe ” (PB, 112) qui sont parfois de vrais fautes, mais
après la révolution orthographique de Queneau on ne sait plus s’il s’agit d’une mission
de subversion dirigée contre l’A.F. ou d’une recherche graphique entérinant les
échantillons de l’ingéniosité scripturale des rédacteurs rebutés par l’image frustrante de
la Haute Culture et avertissant tout de suite le lecteur égaré :
“ J’vous préviens dêu suiite : moi je m’occupe plutôt de la rubrique Culture ” (PB,
197).
En effet, l’orthographe insolite de tel article indéfini, singulier, féminin (le mot
souligné par moi dans la citation qui suit) possède un pouvoir d’attrait formidable
comme tout le féminin insolite :
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Ceux qui lisent Queneau ont facilement deviné dans cette qualification son engouement
contagieux pour les anachronismes. Dans ce cas précis l’anachronisme a tout de même l’avantage de
rapprocher Napoléon de la France contemporaine.
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La compagnie du théâtre de St Mandrier est forte. Très forte. Avec un répertoire
grand comme uneu Bagâsse ! (PB, 88).
Les thèmes de la Haute Culture et de la Haute Cuisine s’y relaient aussi
facilement que dans Zazie dans le métro au point qu’on éprouve la tentation de se
demander si ce n’est pas avec un Pti Bavard, en plus d’un dictionnaire Pti Larousse, que
Raymond Queneau avait farci son célèbre roman. La majusculisation de l’article dans
l’exemple qui suit, renforcée orthographiquement par l’omission de la lettre e, renvoie
soit à la brouchtoucaille de Saint Glinglin, soit à “ la ffine efflorescence de la cuisine
ffransouèze ” et parisienne de Zazie (Z, 130).
C’est tout simplement pour une raison évidente : la cuisine !!! LA cuisine du
relais de la poste, c’est d’la haute ! (PB, 153)
La coupure syllabique audacieuse dans le mot arbre, très discutable du point de
vue phonétique, justifiée seulement un tout petit peu par l’imitation orthographique du
chant  le tout très quenien, les coupures antilinguistiques y compris,  aussi bien que
l’explicitation orthographique de la liaison, facultative en l’occurrence, soumise dans le
néofrançais aux règles encore plus capricieuses que celles qui régissent l’accord du
participe passé dans le français académique, illustrent avec brio l’alliance du peuple et
de la poésie :
“ Auprès de mon ââa-rbreu, je vivais zeureux... ” (PB, 157).
L’esthétique et les techniques des Exercices de style et du Vol d’Icare
cruciverbiste avec ses LN ( Hélène) et LR ( elle erre) ne sont pas oubliées non plus :
le texte de L’EN K est tout simplement une merveille de la stylistique orthographique.
L’EN K
L’endroit idéal pour vous faire K-joler dans un K-dre élégant. K-ché dans les rues
piétonnes de Sanary, L’en K sera vraiment K-pable de vous séduire par son
K-ractère. La K-rte est un véritable K-sse tête tant la K-scade de plats proposée
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vous incite à vous K-sser le ventre. Mais pour profiter de cette grande K-lité, il
vous sera K-pital de réserver. (PB, 160)
Les mélanges de français avec d’autres langues ne sont pas négligés non plus ; ils
aussi figurent au menu. Dans le Pti’ Bav’ ils ont l’avantage d’être fonctionnels,
c’est-à-dire le rédacteur prend soin de les rendre accessibles à un homme ordinaire en
choisissant des mots et des formes grammaticales étrangères qui n’évoquent peut-être
pas le fameux mythe de Babel mais ont le mérite d’aguicher, sinon de draguer, la
clientèle. L’unique chose qu’on puisse regretter c’est que les toilettes ne sont pas à
l’anglaise comme dans tous les romans de Queneau, si seulement le mot adverbial
hyper ne renvoie pas à l’une des majeures préoccupations du grand prédécesseur.
La salle est super décorada a la mejicana, mais pas trop chargeada, ce qui donne
une ambiance fort sympatica, y el servicio es accompanado de oune grandé
sourire, lo qué me gusta mucho mucho... La presentaciône de los plats es jolie y
vous faîtes vos fajitas avec vos petits doigts agiles (que vous aurez auparavant
lavés dans des toilettes hyper propres, détail que j’apprécie toujours). On peut
aussi comer sur la terrasse. Comme en plus c’est le centro de Hyères, vous êtes à
proximidad de tous types de sorties dans la cité des palmiers (PB, 178).
Après le thème espagnol vient naturellement un thème pseudoanglais et
homosexuel, donc quenien, mais sans la moindre hormosessualité, reposant sur les
emprunts lexicaux partiellement assimilés et sur la représentation de la prononciation
anglaise avec des moyens orthographiques de bord (article the) :
Ambiance gay : calme et tranquille quand il n’y a pas trop de monde, animée
quand le DJ vient mixer (2 fois par mois) où c’est crowdy. Yves, ze patron, est
super cool, et si ça fait quinze ans que son bar tourne, c’est pas seulement parce
qu’il a une clientèle ciblée ... (PB, 200)
Les astuces orthographiques – la multiplication suggestive des lettres qui devrait
en renforcer proportionnellement l’effet communicatif,
le recours à laquelle est
énormément facilité par l’usage d’un ordinateur – occupent une place d’honneur. Chez
Queneau le même procédé figure dans trois variations des Exercices de style :
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Prosthèses, Epenthèses et Paragoges. Dans le Pti’ Bav’ les exemples sont beaucoup
plus
nombreux,
en
voilà
tiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiirrrrrrrrrrrrrrrreeeeeeeeeeeee
quelques-uns :
(PB, 176), Ummmmmmm !!!,
musique est assezzzzzzzzzzzzz ringue, (PB, 200).
j’me
la
Plus tout un texte où la
multiplication de lettres devient le procédé stylistique essentiel :
Alors viens danserrrrrrrrr...
Sous les Sun Rock des tropiiiiiiiiques, la vie se raconte en musiiiiiique,..., on a
toute la vie à s'aimerrrrrrr,..., en attendant viens danserrrrrrr,..., viens
danserrrrrrr,..., consommer en boite à bas priiiiiiiiiiix,..., t’éclater sur la piste, en
bonne compagniiiiiiiiiiiiie, ... Ré, Mi, Fa, Sol, L’HA, RRYYYY,..., toujours au
comptoir pour t’servir à boiiiiiiiiiiiiiiire,..., de la bière au whiskyyyyyyyy,..., alors
tu vois iciiiiiiiiiiiiiii, tu peux t’amuser toute la nuiiiiiiiiiiit (PB, 208).
Une question de nature “ théorique ” qui se pose tout de suite pour un esprit
cartésien porte sur l’aspect “ mathématique ” de ses exercices. Le nombre de lettres
supplémentaires a-t-il une importance quelconque ? Est-ce la même chose que de
compter le nombre de gouttes de son apéritif aspirées par un consommateur dans tel
roman de Queneau (voir page ? de ladite thèse) ou faut-il chercher là une réponse de
nature aussi oulipienne que ’pataphysique comparable à la fameuse règle de S+7 ?
Pierre Daninos, comprenant sans doute mieux que quiconque toute la portée ubuesque
de pareils débats, a parfois pris soin d’indiquer le nombre d’éléments répétitifs afin de
faire preuve de sa fidélité à la philosophie de précision laquelle, étant apparemment
gratuite, impose tout de même beaucoup de respect par sa fascination numérique :
Ah ! là-là-là-là-là-là (six fois ) !… Comme j’envie les gens qui ont une vie simple
( Daninos 1983 : 97).
Une vie simple, Queneau n’en avait pas, il la méprisait même, lui préférant la joie
la plus pure et la plus intégrale. C’est même marrant, orthographié “ … sêmêm maran ”
(BCL 1965 : 23), était la réaction immédiate de Queneau, contemplant non sans une
admiration coupable ses premiers essais révolutionnaires : ceux destinés à miner
l’édifice “ vermoulu ” de la langue académique. Il est aussi marrant de constater que le
tiers secteur de l’agglomération toulonnaise ait pu attraper cette quenaeuïte. Rien de
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dangereux pourtant ; quoique que sa virulence soit bien connue, elle n’est pas de nature
à grever définitivement le budget de la SS. “ Fêtes vos jeux ! ” tel était l’appel quenien
d’une affiche publicitaire aperçue par nous quelque part dans un département limitrophe
(à Nice), ce qui veut dire qu’il a porté ses fruits là où le sol y était propice.
Il serait bien sûr faux de ne voir dans les projets de Queneau que la manifestation
de son esprit réformateur et contestataire, une sublimation de son penchant naturel de
“ vivre en dépit de ce monde ”. Le burlesque aussi bien que le raffinement classique, qui
s’appelleraient en néofrançais fort à propos l’enculage de mouches, ne lui sont pas
étrangers du tout, et, une fois décidé de cultiver son jardin, il ne cultive pas que ses
oignons.
A. F. Féfélov
6.12.02 – 11.11.15
Références
Daninos, Pierre. La Galerie des glaces. Paris, Hachette, 1983.
Petit Bavard (PB). Guide de la région toulonnaise. 2000, 9ème édition. Réalisé par un
groupe d’étudiants de l’Ecole Supérieure de Commerce et Technologie de Toulon.
ISSN : 1286-2002. SIRET : 41999875200010
Queneau, Raymond. Le chiendent. Gallimard, 1933.
Queneau, Raymond. Zazie dans le métro. Gallimard, 1959.
BCL = Queneau, Raymond. Bâtons, chiffres et lettres. Gallimard, 1965.
SG = Queneau, Raymond. Saint-Glinglin. PRÉCÉDÉ D'UNE NOUVELLE VERSION DE
Gueule de pierre ET DES Temps mêlés. Editions Gallimard, 1948, renouvelé en 1975.
© A.F. Féfélov, dit Afélyte (афелит)
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