La jurisprudence du Conseil d`Etat en matière de nomination des

Transcription

La jurisprudence du Conseil d`Etat en matière de nomination des
Vue générale
Le principe de l'État de droit impose que tout
acte administratif, qu'il soit réglementaire ou
individuel, puisse faire l'objet d'un contrôle
juridictionnel. Il en résulte que lorsque le Roi
nomme (ou refuse de nommer) un magistrat
du ministère public ou un juge, Il est une
autorité administrative, au sens de l'article 14
des lois coordonnées sur le Conseil d'État,
c'est-à-dire qu'Il pose un acte administratif,
qui est susceptible d'être contesté devant le
juge administratif.
d'État relative au contentieux concerné.
Je pense que le code de lecture que l'on peut
avoir de ces arrêts se résume à la
préoccupation suivante dans le chef du
Conseil d'État : même s'il faut reconnaître à
l'autorité qui a le pouvoir de nommer une
marge d'évaluation importante, cette autorité
n'en est pas moins tenue par des règles de
conduite que la jurisprudence du Conseil
d'État a progressivement balisées. On citera
le respect de principes tels que celui de
l'égalité de traitement, de l'objectivité, le
principe de la comparaison in concreto des
titres et mérites des candidats, ou encore la
règle dite de "bonne administration et
Par contre, le Conseil d'État n'est pas compétent pour connaître des actes posés par les
autorités judiciaires. Il
refuse
également
de
LA JURISPRUDENCE DU C ONSEIL D'ÉTAT EN MATIERE DE NOMI NATION
connaître des actes par
DES MAGISTRATS
lesquels le pouvoir exécutif collabore à l'exercice du pouvoir judiciaire
par Philippe QUERTAINMONT
(par exemple, un refus
Professeur à l'U.L.B.
de libération conditionnelle par le Ministre de la
d'équitable procédure", ainsi que le respect
Justice).
des règles de procédure qui sont d'application
Pour aborder le contentieux des nominations
et, puisque nous sommes en Belgique, le
de magistrats devant le Conseil d'État, on
respect des règles relatives à l'emploi des
rappellera que le mécanisme du recours en
langues, lesquelles sont d'ordre public.
annulation pour excès de pouvoir permet à
toute personne qui a un intérêt à la sanction
d'une illégalité qui affecte un acte adminisLe devoir d'appréciation
tratif de s'adresser au Conseil d'État pour
de l'autorité administrative
qu'il annule rétroactivement l'acte attaqué.
Il convient tout d'abord de préciser que le
L'intérêt doit être direct et personnel. Par
contrôle de la légalité des actes administratifs
exemple, n'est pas recevable le recours d'un
par le Conseil d'État ne se borne pas à un
magistrat
contre
une
promotion
d'un
contrôle de droit pur. A la différence du
collègue, lorsqu'il ne se trouve pas dans les
contrôle de la Cour de cassation, le contrôle
conditions pour pouvoir y prétendre et qu'il
du Conseil d'État porte aussi sur les questions
se contente de justifier son intérêt par la
de fait rentrant dans le champ du pouvoir
circonstance qu'il pourrait un jour se trouver
d'appréciation de l'Administration. Depuis la
dans les mêmes conditions.
fin des années '70, le contrôle du juge
Cela étant, une rapide recherche statistique
administratif s'est, en effet, renforcé et porte
portant sur la période 1992-2003 (car 1992
sur le contenu même de l'appréciation
est l'année de la mise sur pied du Collège de
discrétionnaire de l'autorité, plus précisément
recrutement des magistrats, l'ancêtre du
l'adéquation entre la décision et les motifs de
Conseil supérieur de la Justice) révèle que
fait invoqués, c'est-à-dire sa proportionnalité,
sur les 54.505 arrêts prononcés par les
ainsi qu'éventuellement le caractère manichambres francophones du Conseil d'État, les
festement déraisonnable de l'appréciation des
arrêts se rapportant au contentieux des
faits par l'auteur de la décision attaquée.
nominations de magistrats, au sens large,
Dans le contentieux qui nous occupe, les exis'élèvent à 234. Du côté néerlandophone,
gences posées par le Conseil dÉtat sont relasur 45.416 arrêts, 179 se rapportent à la
tivement simples à résumer. L'on peut dire
magistrature. Il s'agit ici du nombre d'arrêts
que l'autorité qui dispose en vertu de la loi
prononcés : il n'est pas tenu compte d'un
d'un pouvoir d'apprécier les candidatures à
nombre
important
de
recours
encore
une fonction judiciaire (c'est-à-dire le Roi ou
pendants.
la commission de nomination et de désignaCertains diront que le nombre de recours se
tion du Conseil supérieur de la Justice) :
rapportant à la magistrature est élevé;
1. doit procéder à un examen concret
d'autres jugeront qu'ils est tout compte fait
des circonstances de chaque dossier qui
peu important, compte tenu du grand
lui est soumis ; en l'espèce, cela consiste
nombre de présentations faites annuellement
à comparer objectivement les titres et
par le Conseil supérieur de la Justice. On
mérites des différents candidats,
peut néanmoins penser qu'un échantillon de
413 arrêts permet de tirer quelques lignes
2 doit exercer personnellement son
directrices de la jurisprudence du Conseil
pouvoir d'appréciation, ce qui signifie
qu'elle ne peut par exemple pas s'estimer
liée par les avis des chefs de corps ou du
barreau,
-
3 et est tenue de s'informer sérieusement, c'est-à- dire de recueillir et d'examiner avec soin et impartialité, avant la
prise de décision, les éléments de nature
à justifier son appréciation.
Le cas
échéant, et malgré le caractère délicat de
l'appréciation à faire, le Conseil d'État
censurera une distorsion trop évidente
entre les mérites du requérant et ceux du
bénéficiaire de la nomination.
C'est ce qui ressort par exemple de l'arrêt
n°47.761 du 3 juin 1994, G….1 : la motivation de l'arrêté attaqué reproduisait exclusivement l'aspect favorable du comité d'avis,
qui était relatif à l'activité scientifique de la
bénéficiaire de la nomination; tandis que les
considérations défavorables de l'avis (qui
était au surplus un avis "réservé") n'y apparaissaient pas. “Considérant – énonce l'arrêt
par lequel le Conseil d'État a suspendu l'exécution de l'arrêté nommant une présidente de
chambre à la Cour du travail de […] – que
l'acte attaqué doit indiquer ... les motifs qui
déterminent le choix opéré par l'autorité; que
cette motivation doit être d'autant plus
élaborée que l'autorité écarte le candidat qui
a un avis "très favorable" au profit d'un autre
qui a un avis “réservé".
Concrètement, et sous le régime actuel des
présentations faites par le Conseil supérieur
de la Justice, on sait que l'article 259ter du
Code judiciaire limite le pouvoir de
nomination du Roi au seul candidat présenté
par le Conseil. Néanmoins, le Roi doit, d'une
part, exposer dans son arrêté les raisons
pour lesquelles Il estime suivre ou se départir
des avis qui ont été donnés sur les candidats
et, d'autre part, exposer les motifs pour
lesquels Il écarte les rivaux de la personne
qu'Il juge le plus apte à exercer les fonctions.
Et dans l'hypothèse où le Roi ne trouverait
pas dans les présentations faites par les
commissions de nomination du Conseil
supérieur de la Justice les informations
suffisantes lui permettant de satisfaire à son
obligation de motivation formelle, il a la
faculté de renvoyer le dossier à la commission afin qu'elle s'explique plus avant sur son
choix.
C'est ce que souligne l'arrêt du
Conseil d'État n°98.344 du 16 août 2001, qui
annule l'arrêté portant nomination d'une
1 Conformément à l'arrêté royal du 7 juillet 1997
relatif à la publication des arrêts du Conseil
d'État, tous les arrêts de la juridiction administrative sont dans le domaine public (sauf dépersonnalisation demandée expressément par le requérant). Ces arrêts sont consultables soit sur le site
internet du Conseil d'État (http://www.raadvstconsÉtat.be), soit sur les cd-rom diffusés par cette
juridiction.
conseillère à la Cour du travail de […].
En tous cas, les critères retenus par l'autorité
pour départager les candidats doivent être
objectifs, pertinents, non discriminatoires et
ressortir du dossier. Au titre de tels critères,
on citera notamment : l'ancienneté du magistrat concerné, l'expérience qu'il a acquise
et la manière dont il a exercé jusqu'ici ses
fonctions, ses efforts de formation, les exigences de la fonction à conférer, son parcours universitaire, sa capacité à assimiler de
nouvelles législations, son intérêt pour les recherches juridiques, etc.
Dans l'arrêt n°116.609 du 28 février 2003,
F…, la requérante faisait notamment grief à la
commission de nomination du Conseil supérieur de la Justice d'avoir "posé comme une
pétition de principe qu'un magistrat instructeur n'a jamais rédigé de jugement et qu'il
doit subir un temps d'adaptation et de formation à la pratique rédactionnelle". Dans son
arrêt de rejet, le Conseil d'État admet que la
circonstance que la requérante n'avait guère
eu jusqu'à présent l'occasion de rédiger des
jugements, peut constituer un élément d'appréciation admissible, pour autant que ce
critère ne constitue qu'un élément parmi
d'autres dans la comparaison des titres et
mérites des candidats.
La comparaison objective
des titres et mérites des candidats
Ce principe est particulièrement important
aux yeux du juge administratif.
Il s'agit
d'une application traditionnelle du principe
général d'égalité, mais cette règle peut
également aujourd'hui se déduire de la
mission imposée par la loi au Conseil
supérieur de la Justice de présenter les
candidats en vue d'une nomination comme
magistrat, ce qui impose bien évidemment de
comparer les aptitudes des candidats.
L'arrêt de suspension n°63.734 du 20 décembre 1996, S…, est à ce point de vue
particulièrement instructif. Cet arrêt suspend
l'exécution
d'arrêtés
royaux
portant
désignation de cinq premiers substituts du
procureur du Roi près le tribunal de première
instance de Bruxelles, pour le motif que la
candidature du requérant n'avait pas été
dûment examinée. En effet, l'acte de présentation du Procureur général et l'avis du Procureur du Roi contenaient certains reproches
à l'égard du requérant et faisaient état d'un
incident récent, sans que ces éléments soient
autrement précisés. Le Conseil d'État en a
déduit que la candidature du requérant
n'avait pas été dûment instruite et que
certains éléments importants n'avaient pas
été soumis au Ministre de la Justice, en sorte
que celui-ci n'avait pas correctement motivé
les arrêtés attaqués.
Une question clé qui mérite d'être évoquée
est celle de savoir si l'aptitude du candidat
nommé est
requérant ?
plus
grande
que
celle
du
On citera à cet égard l'arrêt n°52.290, du 17
mars 1995, F… : la requérante faisait notamment valoir que "ses mérites étaient
tellement plus éclatants" que ceux de la candidate nommée juge au tribunal de 1re
instance et qu'"un examen sérieux des candidatures devait nécessairement conduire l'autorité à la préférer". En réponse, le Conseil
d'État a considéré, après examen du dossier
et des titres des candidats, que la partie
adverse avait "pu, sans outrepasser les limites de son pouvoir d'appréciation, estimer
que les mérites de la requérante n'étaient
pas manifestement supérieurs à ceux de la
candidate nommée".
Ainsi, c'est éventuellement par le biais de
l'erreur manifeste d'appréciation, ou manifestement déraisonnable, que le Conseil d'État
censurera la décision de l'autorité qui avait à
opérer un choix. On peut définir celle-ci comme "l'erreur qui, dans les circonstances
concrètes, est inadmissible pour tout homme
raisonnable".
Le domaine des nominations dans la Fonction
publique est certainement un de ceux dans
lesquels le Conseil d'État annule le plus
souvent des décisions administratives, pour
le motif qu'il les juge manifestement déraisonnables. Nous sommes il est vrai dans
un domaine où la tentation de favoritisme est
la plus grande.
Par exemple, dans un arrêt célèbre, l'arrêt
Bossuyt du 14 novembre 1978, le Conseil
d'État a, pour la première fois, annulé la
nomination d'un enseignant dont les titres et
mérites étaient très inférieurs à ceux du
requérant, pour le motif "que la raison
commande de considérer les titres du
requérant comme nettement plus importants
que ceux du bénéficiaire de la nomination
attaquée". En l'espèce, la décision reposait
sur une appréciation manifestement déraisonnable, puisque le bénéficiaire de la nomination n'avait jamais enseigné, à l'inverse du
requérant qui avait assumé la charge d'enseignement vacante à la satisfaction de tous
durant 13 ans !
Au total, on voit que pour échapper à l'annulation par le Conseil d'État, l'autorité ne
doit pas seulement démontrer que sa
décision repose sur des motifs matériellement
exacts issus d'un examen sérieux du dossier;
elle doit encore démontrer que ces motifs
sont pertinents pour justifier la décision.
Toutefois, il faut relever que sur ce point, la
jurisprudence du Conseil d'État reste malgré
tout prudente.
Même si une nomination
apparaît à première vue déraisonnable, elle
ne sera cependant pas censurée si, et seulement si, l'auteur de la nomination peut fournir au Conseil d'État, à l'appui du dossier
administratif, les explications nécessaires
pour saisir ce que l'on pourrait appeler la
"démarche de sa pensée", permettant d'apercevoir le caractère raisonnable de la décision.
Ce n'est dès lors qu'à défaut de motifs
permettant de rendre compréhensible la
nomination attaquée que le Conseil d'État la
considérera comme arbitraire.
Le principe de l'égalité de traitement
Le Conseil d'État a souvent fait usage
d'applications particulières de ce principe en
se référant, en l'absence de toute norme
écrite, au principe de l'égalité des concurrents à un concours ou à un examen ou encore à l'égalité des chances de nomination
entre les candidats.
C'est ce qu'illustre l'arrêt n°81.872 du 16
juillet 1999, B…. La requérante demandait
l'annulation de l'arrêté royal par lequel un
substitut général près la Cour du travail de
[…] était nommé avocat général. En l'espèce, le candidat nommé par le Roi avait écrit
au Ministre en vue "d'éclairer l'avis très
favorable" que le comité d'avis pour le ressort
de la Cour du travail avait émis à son sujet.
Dans cette lettre, il attirait l'attention du
Ministre sur certaines de ses compétences
spécifiques et sur sa grande expérience de
l'emploi d'avocat général et il joignait des
documents à l'appui de ces arguments.
La requérante, à l'appui du moyen soulevé
devant le Conseil d'État, invoquait la violation
de l'article 10 de la Constitution; elle faisait
valoir qu'à la suite de la lettre du candidat
nommé, dont l'existence lui avait été révélée
par le dossier administratif, la comparaison
des titres et mérites des candidats avait pu
être faussée. L'arrêt d'annulation du Conseil
d'État a suivi cette argumentation : "Considérant – énonce l'arrêt – que la partie adverse
a pris en considération une lettre que lui a
adressée l'intervenant postérieurement à
l'avis du comité d'avis qui n'en n'a pas eu
connaissance; que, selon ses termes mêmes,
cette lettre a pour but de préciser l'avis très
favorable du comité, pour mieux permettre
au ministre de prendre en considération les
titres, capacités et mérites de son auteur; ...
que si l'intervenant désirait décrire plus amplement ses titres, capacités et mérites, il lui
incombait de le faire à l'occasion du dépôt de
sa candidature ou en formulant des observations au sujet de l'avis du comité d'avis; que
l'égalité de traitement a été rompue au
détriment de la requérante ....".
Certains arrêts du Conseil d'État sont évidemment plus médiatisés que d'autres.
Comment ne pas évoquer l'arrêt n°85.835 du
6 mars 2000, L…, par lequel la requérante
poursuivait l'annulation de l'arrêté nommant
une nouvelle présidente au tribunal de
première instance de […]. On se souvient
que le problème venait de ce qu'après le délai
d'introduction des candidatures, l'une des
candidates avait fait parvenir au Ministre "un
projet de gestion du tribunal", dans lequel
elle exposait en quatre pages sa perception
du rôle de président et les modalités
d'organisation de cette charge.
considéré comme mal motivé :
-
si aucun motif admissible ne justifie qu'un
candidat soit écarté de la comparaison
des mérites professionnels des candidats;
Le Conseil d'État, dans son arrêt d'annulation, y voit une violation du principe d'égalité
et rappelle que l'autorité investie du pouvoir
de nommer a l'obligation de traiter tous les
candidats de la même manière; qu'en
l'espèce, alors que cette autorité était en
possession de présentations très nettement
favorables à la requérante, seule la candidate
nommée a été jugée en possession de toutes
les qualités requises pour remplir les fonctions de chef de corps. Le Conseil d'État en
déduit que le choix fait par le Ministre entre
deux excellentes candidates "ne peut trouver
d'explication objective que dans la circonstance que l'autorité qui nomme disposait du
projet de gestion écrit de R… alors que L…
n'avait pas eu la possibilité de lui exposer,
fût-ce oralement, ses vues sur la gestion du
tribunal". Il faut préciser que le neuvième
considérant de l'arrêté royal attaqué reprenait mot pour mot un passage du projet de
gestion concerné, en sorte que le Ministre
pouvait difficilement nier l'influence de ce
projet de gestion.
-
si la nomination ou le refus de nomination ne peut pas se déduire de l'examen
auquel il a été procédé;
-
et enfin, si tous les éléments relatifs aux
titres et mérites des candidats, ou encore
à la carrière ou à l'aptitude des candidats
à occuper la fonction judiciaire vacante,
n'ont pas été pris en compte.
Le devoir de motivation
qui incombe à l'autorité qui nomme
La motivation des arrêtés de nomination
apparaît comme un instrument essentiel
permettant au destinataire de la décision de
comprendre les raisons de celle-ci, et aussi,
en cas de recours devant le Conseil d'État, de
vérifier la légalité de l'exercice du pouvoir
discrétionnaire de l'autorité.
La motivation doit dès lors faire ressortir les
circonstances dont il a été tenu compte ou
non. Par conséquent, l'autorité ne peut plus
se contenter, comme c'est encore parfois le
cas dans le contentieux de la Fonction
publique, d'une motivation passe-partout en
forme de clauses de style (exemple: "ce
candidat est le plus approprié pour la fonction
à pourvoir").
Concrètement, en cas de recours contre un
arrêté de nomination, le Conseil d'État va
vérifier si la motivation de l'arrêté est suffisante et si elle ne se réduit pas à une clause
de style. Un exemple: "la simple mention,
tout à fait creuse, de la prise de connaissance
des observations du requérant et du fait
qu'elles "ne sont pas de nature à remettre en
cause la proposition de la Commission de
nomination et de désignation du Conseil
Supérieur de la Justice", qui figure dans la
lettre informant le requérant de ce qu'il n'est
pas
nommé,
est
insuffisante
comme
motivation" (arrêt de suspension n°120.273
du 6 juin 2003, de H….).
Concrètement, un arrêté de nomination sera
L'arrêt d'annulation n°114.801 du 21 janvier
2003, P…, résume parfaitement ces principes.
En l'espèce, le requérant demandait au
Conseil d'État l'annulation de l'arrêté royal
nommant un juge de paix […]. Il faisait grief
à cet arrêté de ne pas exposer les critères qui
avaient été pris en compte pour départager
les différentes candidatures (il y en avait 10)
et de ne pas exprimer les raisons pour
lesquelles le choix de l’autorité compétente
s’était porté sur le candidat retenu.
L'arrêt du Conseil d'État souligne que "s’agissant d’une nomination à laquelle peuvent
prétendre plusieurs candidats, la motivation
doit, non seulement préciser qu’une comparaison des titres et mérites a été effectuée,
mais aussi indiquer les raisons pour lesquelles le candidat retenu a été préféré;
qu’en l’espèce, l’arrêté attaqué expose les
qualités que le Roi reconnaît au candidat
retenu mais la lecture de l’arrêté attaqué ne
permet pas de connaître les raisons pour
lesquelles M. D… a été préféré aux autres
candidats, dont le requérant ...".
On peut citer également l'affaire qui a donné
lieu à l'arrêt n°93.057 du 5 février 2001, L….
Le requérant faisait grief à la motivation de
l'arrêté nommant une nouvelle présidente au
tribunal de commerce de […] de ne pas
permettre d'apercevoir qu' "une comparaison
effective des titres et mérites des différents
candidats, pourtant peu nombreux, avait eu
lieu"; sans remettre en cause la qualité de la
carrière de la candidate nommée, le requérant soulignait "qu'il a également fait l'objet
d'un avis très favorable du comité d'avis, qu'il
a exercé pendant plusieurs mois la fonction
de président du tribunal de commerce [en
question] et qu'il était donc un candidat sérieux pour l'exercice d'un mandat à cette
fonction".
Cette argumentation a été retenue par le
Conseil d'État dans son arrêt d'annulation,
qui énonce que "la motivation formelle d'un
acte de nomination présente au moins autant
d'intérêt pour les candidats évincés que pour
son bénéficiaire; que l'exposé des qualités du
candidat choisi ne suffit pas à motiver
adéquatement l'acte attaqué; l'auteur de
l'acte doit également révéler les raisons,
procédant nécessairement d'une compa-
raison, qui l'ont amené à préférer un candidat
à un autre". Le Conseil d'État ajoute cependant que "la rigueur de cette exigence doit
être appréciée au cas par cas, en fonction
notamment des circonstances de la cause et
du nombre de candidats en présence".
La jurisprudence du Conseil d'État a en effet
admis que lorsque l'autorité est amenée à
prendre simultanément un grand nombre
d'actes administratifs individuels, la rigueur
de l'obligation de motivation formelle peut se
voir édulcorée. Ainsi, dans une affaire où des
radios libres poursuivaient l'annulation d'un
arrêté du Gouvernement de la Communauté
française relatif au renouvellement de la
reconnaissance des radios privées, le Conseil
d'État a jugé que les règles énoncées par la
loi du 29 juillet 1991 sur la motivation
formelle "doivent se comprendre raisonnablement en ce sens qu'il ne saurait être exigé
que l'autorité indique pour chacune des 186
radios privées dépendant de la Communauté
et s'insérant dans le plan de fréquences les
motifs pour lesquels elle a ou n'a pas attribué
telle fréquence et telle puissance".
L'absence de contrôle d'opportunité
Le pouvoir politique accuse parfois le Conseil
d'État de quitter le terrain de la légalité pour
celui de l'opportunité et de ne pas prendre en
compte les réalités administratives.
En réalité, il faut relever que le rôle du
Conseil d'État est de raboter les excès de
l'autorité administrative mais non d'apprécier
les mobiles politiques du Pouvoir exécutif. Le
pouvoir du juge administratif de censurer les
erreurs manifestes d'appréciation ne saurait
dès lors aller jusqu'à lui permettre de
substituer son appréciation à celle de
l'autorité.
Il en découle que le Conseil d'État, lorsqu'il
annule un arrêté de nomination, ne peut
évidemment pas substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité, ni adresser une
injonction à celle-ci. Cependant, ses arrêts
d'annulation sont revêtus de l'autorité absolue de chose jugée et l'autorité est tenue de
s'y conformer.
Une autorité récalcitrante
engagerait le cas échéant sa responsabilité.
En outre, le Conseil d'État peut renforcer
l'efficacité de ses arrêts d'annulation en
ordonnant des mesures provisoires ou en
imposant une astreinte à l'Administration.
Les présentations
du Conseil supérieur de la Justice
Les propositions faites en matière de désignations des magistrats par les commissions
du Conseil constituent évidemment une pièce
importante de la procédure complexe conduisant à la nomination.
A cet égard, un arrêt particulièrement intéressant est l'arrêt n°120.273 du 6 juin 2003,
de H…, qui a conduit le Conseil d'État à
examiner le mécanisme consacré par le Code
judiciaire. Dans l'espèce qui a donné lieu à
cet arrêt, le requérant contestait tant la
décision de la commission de nomination du
Conseil supérieur de la Justice présentant des
candidats à vingt places vacantes de juge de
complément pour le ressort de la Cour
d'appel de […], que la décision du Roi
d'accepter cette présentation. La partie adverse avait cependant fait valoir que les actes
attaqués, et spécialement les présentations
du CSJ, n'étaient pas des actes définitifs
susceptibles de recours; elle se référait à ce
sujet à la jurisprudence "classique" en
matière de nominations dans la Fonction
publique en général.
Le Conseil d'État n'a pas été convaincu par
cette
argumentation,
puisque
l'arrêt
n°120.273 souligne que les nominations dans
la magistrature font l'objet d'une procédure
spécifique, réglée par le Code judiciaire, et
que c'est à la lumière de cette disposition que
doivent s'analyser les actes attaqués et non
sur la base d'une jurisprudence élaborée pour
des agents publics dont le statut est différent
de celui des magistrats.
A ce point de vue, on sait qu'aux termes de
l’article 259ter, § 5, du Code judiciaire, le Roi
dispose d’un délai de soixante jours pour
décider soit d’accepter, soit de refuser les
présentations et refus de présentation
proposés par les commissions de nomination
du Conseil supérieur. Il s'ensuit que l'acte de
présentation n'entraîne d'effet définitif, à
savoir l'exclusion de toute chance d'être
nommé, que lorsque le Roi n'a pas fait usage
de son pouvoir de demander une nouvelle
présentation à la commission de nomination.
Il en ressort également que lorsque le Roi n'a
pas décidé de demander une nouvelle
présentation, la présentation faite est susceptible de faire directement grief aux candidats
non présentés et est dès lors susceptible de
recours devant le Conseil d'État au même
titre que la décision du Roi (arrêt n°120.273
précité).
En outre, si le Roi ne peut nommer un candidat non présenté par la commission de nomination du Conseil supérieur de la Justice, Il
n’est toutefois pas entièrement lié par cette
présentation, puisqu’il peut la refuser. Dès
lors, ce qui pourra, dans cette hypothèse,
être attaqué devant le Conseil d'État, c'est
l'arrêté royal refusant pour la deuxième fois
la présentation faite par le Conseil supérieur
de la Justice à une fonction vacante de juge
ainsi que la décision de lancer un nouvel
appel aux candidats (voyez, à titre
d'exemple, l'arrêt n°117.650 du 27 mars
2003, V…).
Quant à la motivation des présentations
faites par les commissions de nomination et
de désignation du Conseil supérieur de la
Justice, cette exigence, imposée par l'article
259ter du Code judiciaire, se justifie ici
pleinement par la nécessité d'informer,
exactement et complètement, l'autorité
investie du pouvoir de nomination sur les
mérites respectifs des candidats.
Il résulte notamment de la jurisprudence que
les présentations du Conseil supérieur de la
Justice ne sont pas adéquatement motivées
si la commission se borne à affirmer que les
candidatures ont été comparées sans
indiquer
les
éléments qui
permettent
d'apprécier, par rapport aux critères établis,
en quoi les capacités et les aptitudes de
certains candidats sont supérieures à celles
d'autres candidats. A ce point de vue, les
arrêts de suspension ou d'annulation du
Conseil d'État n°120.391 du 11 juin 2003, T…
et n°98.344 du 16 août 2001, C… sont
relativement sévères.
Il nous semble qu'il faut toutefois admettre
que lorsque les candidats sont nombreux, il
devient impraticable pour les commissions du
Conseil supérieur de la Justice de comparer
chacun des candidats aux autres. Dans cette
hypothèse, l'obligation de motivation doit
pouvoir être considérée comme satisfaite
lorsque, après avoir délibéré sur les mérites
des candidats, la commission se limite à
présenter le ou les candidats qu'elle estime
les plus aptes, et à écarter les autres, en
vertu de critères objectifs que la commission
devra préciser.
Conclusion
Au terme de ce survol de la jurisprudence du
Conseil d'État, évidemment arbitraire et
incomplet, on soulignera surtout que le
contentieux de la nomination des magistrats
apparaît comme la recherche délicate des
points d'équilibre entre le pouvoir de
nomination de l'autorité administrative et les
garanties octroyées aux magistrats. De telle
sorte que les destinataires de la décision
intervenue soient moins exposés aux risques
d'une décision éventuellement arbitraire ou
fondée sur le favoritisme. L'autorité n'a sans
doute pas l'obligation de prendre la meilleure
décision, mais elle a en tout cas l'obligation
de se mettre dans les meilleures conditions
pour prendre la meilleure décision.
Et à cet égard, le Conseil d'État est
susceptible de défendre l'indépendance du
Pouvoir judiciaire tant à l'égard du Pouvoir
exécutif que des intérêts partisans.
On
ajoutera que la matière est loin de voir
achevée son évolution : jusqu'ici, la jurisprudence du Conseil d'État défendait à
l'autorité de mentir; désormais, elle tend
même à lui défendre de se tromper.
Philippe Quertainmont