La jurisprudence du Conseil d`Etat en matière de nomination des
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La jurisprudence du Conseil d`Etat en matière de nomination des
Vue générale Le principe de l'État de droit impose que tout acte administratif, qu'il soit réglementaire ou individuel, puisse faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. Il en résulte que lorsque le Roi nomme (ou refuse de nommer) un magistrat du ministère public ou un juge, Il est une autorité administrative, au sens de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'État, c'est-à-dire qu'Il pose un acte administratif, qui est susceptible d'être contesté devant le juge administratif. d'État relative au contentieux concerné. Je pense que le code de lecture que l'on peut avoir de ces arrêts se résume à la préoccupation suivante dans le chef du Conseil d'État : même s'il faut reconnaître à l'autorité qui a le pouvoir de nommer une marge d'évaluation importante, cette autorité n'en est pas moins tenue par des règles de conduite que la jurisprudence du Conseil d'État a progressivement balisées. On citera le respect de principes tels que celui de l'égalité de traitement, de l'objectivité, le principe de la comparaison in concreto des titres et mérites des candidats, ou encore la règle dite de "bonne administration et Par contre, le Conseil d'État n'est pas compétent pour connaître des actes posés par les autorités judiciaires. Il refuse également de LA JURISPRUDENCE DU C ONSEIL D'ÉTAT EN MATIERE DE NOMI NATION connaître des actes par DES MAGISTRATS lesquels le pouvoir exécutif collabore à l'exercice du pouvoir judiciaire par Philippe QUERTAINMONT (par exemple, un refus Professeur à l'U.L.B. de libération conditionnelle par le Ministre de la d'équitable procédure", ainsi que le respect Justice). des règles de procédure qui sont d'application Pour aborder le contentieux des nominations et, puisque nous sommes en Belgique, le de magistrats devant le Conseil d'État, on respect des règles relatives à l'emploi des rappellera que le mécanisme du recours en langues, lesquelles sont d'ordre public. annulation pour excès de pouvoir permet à toute personne qui a un intérêt à la sanction d'une illégalité qui affecte un acte adminisLe devoir d'appréciation tratif de s'adresser au Conseil d'État pour de l'autorité administrative qu'il annule rétroactivement l'acte attaqué. Il convient tout d'abord de préciser que le L'intérêt doit être direct et personnel. Par contrôle de la légalité des actes administratifs exemple, n'est pas recevable le recours d'un par le Conseil d'État ne se borne pas à un magistrat contre une promotion d'un contrôle de droit pur. A la différence du collègue, lorsqu'il ne se trouve pas dans les contrôle de la Cour de cassation, le contrôle conditions pour pouvoir y prétendre et qu'il du Conseil d'État porte aussi sur les questions se contente de justifier son intérêt par la de fait rentrant dans le champ du pouvoir circonstance qu'il pourrait un jour se trouver d'appréciation de l'Administration. Depuis la dans les mêmes conditions. fin des années '70, le contrôle du juge Cela étant, une rapide recherche statistique administratif s'est, en effet, renforcé et porte portant sur la période 1992-2003 (car 1992 sur le contenu même de l'appréciation est l'année de la mise sur pied du Collège de discrétionnaire de l'autorité, plus précisément recrutement des magistrats, l'ancêtre du l'adéquation entre la décision et les motifs de Conseil supérieur de la Justice) révèle que fait invoqués, c'est-à-dire sa proportionnalité, sur les 54.505 arrêts prononcés par les ainsi qu'éventuellement le caractère manichambres francophones du Conseil d'État, les festement déraisonnable de l'appréciation des arrêts se rapportant au contentieux des faits par l'auteur de la décision attaquée. nominations de magistrats, au sens large, Dans le contentieux qui nous occupe, les exis'élèvent à 234. Du côté néerlandophone, gences posées par le Conseil dÉtat sont relasur 45.416 arrêts, 179 se rapportent à la tivement simples à résumer. L'on peut dire magistrature. Il s'agit ici du nombre d'arrêts que l'autorité qui dispose en vertu de la loi prononcés : il n'est pas tenu compte d'un d'un pouvoir d'apprécier les candidatures à nombre important de recours encore une fonction judiciaire (c'est-à-dire le Roi ou pendants. la commission de nomination et de désignaCertains diront que le nombre de recours se tion du Conseil supérieur de la Justice) : rapportant à la magistrature est élevé; 1. doit procéder à un examen concret d'autres jugeront qu'ils est tout compte fait des circonstances de chaque dossier qui peu important, compte tenu du grand lui est soumis ; en l'espèce, cela consiste nombre de présentations faites annuellement à comparer objectivement les titres et par le Conseil supérieur de la Justice. On mérites des différents candidats, peut néanmoins penser qu'un échantillon de 413 arrêts permet de tirer quelques lignes 2 doit exercer personnellement son directrices de la jurisprudence du Conseil pouvoir d'appréciation, ce qui signifie qu'elle ne peut par exemple pas s'estimer liée par les avis des chefs de corps ou du barreau, - 3 et est tenue de s'informer sérieusement, c'est-à- dire de recueillir et d'examiner avec soin et impartialité, avant la prise de décision, les éléments de nature à justifier son appréciation. Le cas échéant, et malgré le caractère délicat de l'appréciation à faire, le Conseil d'État censurera une distorsion trop évidente entre les mérites du requérant et ceux du bénéficiaire de la nomination. C'est ce qui ressort par exemple de l'arrêt n°47.761 du 3 juin 1994, G….1 : la motivation de l'arrêté attaqué reproduisait exclusivement l'aspect favorable du comité d'avis, qui était relatif à l'activité scientifique de la bénéficiaire de la nomination; tandis que les considérations défavorables de l'avis (qui était au surplus un avis "réservé") n'y apparaissaient pas. “Considérant – énonce l'arrêt par lequel le Conseil d'État a suspendu l'exécution de l'arrêté nommant une présidente de chambre à la Cour du travail de […] – que l'acte attaqué doit indiquer ... les motifs qui déterminent le choix opéré par l'autorité; que cette motivation doit être d'autant plus élaborée que l'autorité écarte le candidat qui a un avis "très favorable" au profit d'un autre qui a un avis “réservé". Concrètement, et sous le régime actuel des présentations faites par le Conseil supérieur de la Justice, on sait que l'article 259ter du Code judiciaire limite le pouvoir de nomination du Roi au seul candidat présenté par le Conseil. Néanmoins, le Roi doit, d'une part, exposer dans son arrêté les raisons pour lesquelles Il estime suivre ou se départir des avis qui ont été donnés sur les candidats et, d'autre part, exposer les motifs pour lesquels Il écarte les rivaux de la personne qu'Il juge le plus apte à exercer les fonctions. Et dans l'hypothèse où le Roi ne trouverait pas dans les présentations faites par les commissions de nomination du Conseil supérieur de la Justice les informations suffisantes lui permettant de satisfaire à son obligation de motivation formelle, il a la faculté de renvoyer le dossier à la commission afin qu'elle s'explique plus avant sur son choix. C'est ce que souligne l'arrêt du Conseil d'État n°98.344 du 16 août 2001, qui annule l'arrêté portant nomination d'une 1 Conformément à l'arrêté royal du 7 juillet 1997 relatif à la publication des arrêts du Conseil d'État, tous les arrêts de la juridiction administrative sont dans le domaine public (sauf dépersonnalisation demandée expressément par le requérant). Ces arrêts sont consultables soit sur le site internet du Conseil d'État (http://www.raadvstconsÉtat.be), soit sur les cd-rom diffusés par cette juridiction. conseillère à la Cour du travail de […]. En tous cas, les critères retenus par l'autorité pour départager les candidats doivent être objectifs, pertinents, non discriminatoires et ressortir du dossier. Au titre de tels critères, on citera notamment : l'ancienneté du magistrat concerné, l'expérience qu'il a acquise et la manière dont il a exercé jusqu'ici ses fonctions, ses efforts de formation, les exigences de la fonction à conférer, son parcours universitaire, sa capacité à assimiler de nouvelles législations, son intérêt pour les recherches juridiques, etc. Dans l'arrêt n°116.609 du 28 février 2003, F…, la requérante faisait notamment grief à la commission de nomination du Conseil supérieur de la Justice d'avoir "posé comme une pétition de principe qu'un magistrat instructeur n'a jamais rédigé de jugement et qu'il doit subir un temps d'adaptation et de formation à la pratique rédactionnelle". Dans son arrêt de rejet, le Conseil d'État admet que la circonstance que la requérante n'avait guère eu jusqu'à présent l'occasion de rédiger des jugements, peut constituer un élément d'appréciation admissible, pour autant que ce critère ne constitue qu'un élément parmi d'autres dans la comparaison des titres et mérites des candidats. La comparaison objective des titres et mérites des candidats Ce principe est particulièrement important aux yeux du juge administratif. Il s'agit d'une application traditionnelle du principe général d'égalité, mais cette règle peut également aujourd'hui se déduire de la mission imposée par la loi au Conseil supérieur de la Justice de présenter les candidats en vue d'une nomination comme magistrat, ce qui impose bien évidemment de comparer les aptitudes des candidats. L'arrêt de suspension n°63.734 du 20 décembre 1996, S…, est à ce point de vue particulièrement instructif. Cet arrêt suspend l'exécution d'arrêtés royaux portant désignation de cinq premiers substituts du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles, pour le motif que la candidature du requérant n'avait pas été dûment examinée. En effet, l'acte de présentation du Procureur général et l'avis du Procureur du Roi contenaient certains reproches à l'égard du requérant et faisaient état d'un incident récent, sans que ces éléments soient autrement précisés. Le Conseil d'État en a déduit que la candidature du requérant n'avait pas été dûment instruite et que certains éléments importants n'avaient pas été soumis au Ministre de la Justice, en sorte que celui-ci n'avait pas correctement motivé les arrêtés attaqués. Une question clé qui mérite d'être évoquée est celle de savoir si l'aptitude du candidat nommé est requérant ? plus grande que celle du On citera à cet égard l'arrêt n°52.290, du 17 mars 1995, F… : la requérante faisait notamment valoir que "ses mérites étaient tellement plus éclatants" que ceux de la candidate nommée juge au tribunal de 1re instance et qu'"un examen sérieux des candidatures devait nécessairement conduire l'autorité à la préférer". En réponse, le Conseil d'État a considéré, après examen du dossier et des titres des candidats, que la partie adverse avait "pu, sans outrepasser les limites de son pouvoir d'appréciation, estimer que les mérites de la requérante n'étaient pas manifestement supérieurs à ceux de la candidate nommée". Ainsi, c'est éventuellement par le biais de l'erreur manifeste d'appréciation, ou manifestement déraisonnable, que le Conseil d'État censurera la décision de l'autorité qui avait à opérer un choix. On peut définir celle-ci comme "l'erreur qui, dans les circonstances concrètes, est inadmissible pour tout homme raisonnable". Le domaine des nominations dans la Fonction publique est certainement un de ceux dans lesquels le Conseil d'État annule le plus souvent des décisions administratives, pour le motif qu'il les juge manifestement déraisonnables. Nous sommes il est vrai dans un domaine où la tentation de favoritisme est la plus grande. Par exemple, dans un arrêt célèbre, l'arrêt Bossuyt du 14 novembre 1978, le Conseil d'État a, pour la première fois, annulé la nomination d'un enseignant dont les titres et mérites étaient très inférieurs à ceux du requérant, pour le motif "que la raison commande de considérer les titres du requérant comme nettement plus importants que ceux du bénéficiaire de la nomination attaquée". En l'espèce, la décision reposait sur une appréciation manifestement déraisonnable, puisque le bénéficiaire de la nomination n'avait jamais enseigné, à l'inverse du requérant qui avait assumé la charge d'enseignement vacante à la satisfaction de tous durant 13 ans ! Au total, on voit que pour échapper à l'annulation par le Conseil d'État, l'autorité ne doit pas seulement démontrer que sa décision repose sur des motifs matériellement exacts issus d'un examen sérieux du dossier; elle doit encore démontrer que ces motifs sont pertinents pour justifier la décision. Toutefois, il faut relever que sur ce point, la jurisprudence du Conseil d'État reste malgré tout prudente. Même si une nomination apparaît à première vue déraisonnable, elle ne sera cependant pas censurée si, et seulement si, l'auteur de la nomination peut fournir au Conseil d'État, à l'appui du dossier administratif, les explications nécessaires pour saisir ce que l'on pourrait appeler la "démarche de sa pensée", permettant d'apercevoir le caractère raisonnable de la décision. Ce n'est dès lors qu'à défaut de motifs permettant de rendre compréhensible la nomination attaquée que le Conseil d'État la considérera comme arbitraire. Le principe de l'égalité de traitement Le Conseil d'État a souvent fait usage d'applications particulières de ce principe en se référant, en l'absence de toute norme écrite, au principe de l'égalité des concurrents à un concours ou à un examen ou encore à l'égalité des chances de nomination entre les candidats. C'est ce qu'illustre l'arrêt n°81.872 du 16 juillet 1999, B…. La requérante demandait l'annulation de l'arrêté royal par lequel un substitut général près la Cour du travail de […] était nommé avocat général. En l'espèce, le candidat nommé par le Roi avait écrit au Ministre en vue "d'éclairer l'avis très favorable" que le comité d'avis pour le ressort de la Cour du travail avait émis à son sujet. Dans cette lettre, il attirait l'attention du Ministre sur certaines de ses compétences spécifiques et sur sa grande expérience de l'emploi d'avocat général et il joignait des documents à l'appui de ces arguments. La requérante, à l'appui du moyen soulevé devant le Conseil d'État, invoquait la violation de l'article 10 de la Constitution; elle faisait valoir qu'à la suite de la lettre du candidat nommé, dont l'existence lui avait été révélée par le dossier administratif, la comparaison des titres et mérites des candidats avait pu être faussée. L'arrêt d'annulation du Conseil d'État a suivi cette argumentation : "Considérant – énonce l'arrêt – que la partie adverse a pris en considération une lettre que lui a adressée l'intervenant postérieurement à l'avis du comité d'avis qui n'en n'a pas eu connaissance; que, selon ses termes mêmes, cette lettre a pour but de préciser l'avis très favorable du comité, pour mieux permettre au ministre de prendre en considération les titres, capacités et mérites de son auteur; ... que si l'intervenant désirait décrire plus amplement ses titres, capacités et mérites, il lui incombait de le faire à l'occasion du dépôt de sa candidature ou en formulant des observations au sujet de l'avis du comité d'avis; que l'égalité de traitement a été rompue au détriment de la requérante ....". Certains arrêts du Conseil d'État sont évidemment plus médiatisés que d'autres. Comment ne pas évoquer l'arrêt n°85.835 du 6 mars 2000, L…, par lequel la requérante poursuivait l'annulation de l'arrêté nommant une nouvelle présidente au tribunal de première instance de […]. On se souvient que le problème venait de ce qu'après le délai d'introduction des candidatures, l'une des candidates avait fait parvenir au Ministre "un projet de gestion du tribunal", dans lequel elle exposait en quatre pages sa perception du rôle de président et les modalités d'organisation de cette charge. considéré comme mal motivé : - si aucun motif admissible ne justifie qu'un candidat soit écarté de la comparaison des mérites professionnels des candidats; Le Conseil d'État, dans son arrêt d'annulation, y voit une violation du principe d'égalité et rappelle que l'autorité investie du pouvoir de nommer a l'obligation de traiter tous les candidats de la même manière; qu'en l'espèce, alors que cette autorité était en possession de présentations très nettement favorables à la requérante, seule la candidate nommée a été jugée en possession de toutes les qualités requises pour remplir les fonctions de chef de corps. Le Conseil d'État en déduit que le choix fait par le Ministre entre deux excellentes candidates "ne peut trouver d'explication objective que dans la circonstance que l'autorité qui nomme disposait du projet de gestion écrit de R… alors que L… n'avait pas eu la possibilité de lui exposer, fût-ce oralement, ses vues sur la gestion du tribunal". Il faut préciser que le neuvième considérant de l'arrêté royal attaqué reprenait mot pour mot un passage du projet de gestion concerné, en sorte que le Ministre pouvait difficilement nier l'influence de ce projet de gestion. - si la nomination ou le refus de nomination ne peut pas se déduire de l'examen auquel il a été procédé; - et enfin, si tous les éléments relatifs aux titres et mérites des candidats, ou encore à la carrière ou à l'aptitude des candidats à occuper la fonction judiciaire vacante, n'ont pas été pris en compte. Le devoir de motivation qui incombe à l'autorité qui nomme La motivation des arrêtés de nomination apparaît comme un instrument essentiel permettant au destinataire de la décision de comprendre les raisons de celle-ci, et aussi, en cas de recours devant le Conseil d'État, de vérifier la légalité de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'autorité. La motivation doit dès lors faire ressortir les circonstances dont il a été tenu compte ou non. Par conséquent, l'autorité ne peut plus se contenter, comme c'est encore parfois le cas dans le contentieux de la Fonction publique, d'une motivation passe-partout en forme de clauses de style (exemple: "ce candidat est le plus approprié pour la fonction à pourvoir"). Concrètement, en cas de recours contre un arrêté de nomination, le Conseil d'État va vérifier si la motivation de l'arrêté est suffisante et si elle ne se réduit pas à une clause de style. Un exemple: "la simple mention, tout à fait creuse, de la prise de connaissance des observations du requérant et du fait qu'elles "ne sont pas de nature à remettre en cause la proposition de la Commission de nomination et de désignation du Conseil Supérieur de la Justice", qui figure dans la lettre informant le requérant de ce qu'il n'est pas nommé, est insuffisante comme motivation" (arrêt de suspension n°120.273 du 6 juin 2003, de H….). Concrètement, un arrêté de nomination sera L'arrêt d'annulation n°114.801 du 21 janvier 2003, P…, résume parfaitement ces principes. En l'espèce, le requérant demandait au Conseil d'État l'annulation de l'arrêté royal nommant un juge de paix […]. Il faisait grief à cet arrêté de ne pas exposer les critères qui avaient été pris en compte pour départager les différentes candidatures (il y en avait 10) et de ne pas exprimer les raisons pour lesquelles le choix de l’autorité compétente s’était porté sur le candidat retenu. L'arrêt du Conseil d'État souligne que "s’agissant d’une nomination à laquelle peuvent prétendre plusieurs candidats, la motivation doit, non seulement préciser qu’une comparaison des titres et mérites a été effectuée, mais aussi indiquer les raisons pour lesquelles le candidat retenu a été préféré; qu’en l’espèce, l’arrêté attaqué expose les qualités que le Roi reconnaît au candidat retenu mais la lecture de l’arrêté attaqué ne permet pas de connaître les raisons pour lesquelles M. D… a été préféré aux autres candidats, dont le requérant ...". On peut citer également l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt n°93.057 du 5 février 2001, L…. Le requérant faisait grief à la motivation de l'arrêté nommant une nouvelle présidente au tribunal de commerce de […] de ne pas permettre d'apercevoir qu' "une comparaison effective des titres et mérites des différents candidats, pourtant peu nombreux, avait eu lieu"; sans remettre en cause la qualité de la carrière de la candidate nommée, le requérant soulignait "qu'il a également fait l'objet d'un avis très favorable du comité d'avis, qu'il a exercé pendant plusieurs mois la fonction de président du tribunal de commerce [en question] et qu'il était donc un candidat sérieux pour l'exercice d'un mandat à cette fonction". Cette argumentation a été retenue par le Conseil d'État dans son arrêt d'annulation, qui énonce que "la motivation formelle d'un acte de nomination présente au moins autant d'intérêt pour les candidats évincés que pour son bénéficiaire; que l'exposé des qualités du candidat choisi ne suffit pas à motiver adéquatement l'acte attaqué; l'auteur de l'acte doit également révéler les raisons, procédant nécessairement d'une compa- raison, qui l'ont amené à préférer un candidat à un autre". Le Conseil d'État ajoute cependant que "la rigueur de cette exigence doit être appréciée au cas par cas, en fonction notamment des circonstances de la cause et du nombre de candidats en présence". La jurisprudence du Conseil d'État a en effet admis que lorsque l'autorité est amenée à prendre simultanément un grand nombre d'actes administratifs individuels, la rigueur de l'obligation de motivation formelle peut se voir édulcorée. Ainsi, dans une affaire où des radios libres poursuivaient l'annulation d'un arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif au renouvellement de la reconnaissance des radios privées, le Conseil d'État a jugé que les règles énoncées par la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle "doivent se comprendre raisonnablement en ce sens qu'il ne saurait être exigé que l'autorité indique pour chacune des 186 radios privées dépendant de la Communauté et s'insérant dans le plan de fréquences les motifs pour lesquels elle a ou n'a pas attribué telle fréquence et telle puissance". L'absence de contrôle d'opportunité Le pouvoir politique accuse parfois le Conseil d'État de quitter le terrain de la légalité pour celui de l'opportunité et de ne pas prendre en compte les réalités administratives. En réalité, il faut relever que le rôle du Conseil d'État est de raboter les excès de l'autorité administrative mais non d'apprécier les mobiles politiques du Pouvoir exécutif. Le pouvoir du juge administratif de censurer les erreurs manifestes d'appréciation ne saurait dès lors aller jusqu'à lui permettre de substituer son appréciation à celle de l'autorité. Il en découle que le Conseil d'État, lorsqu'il annule un arrêté de nomination, ne peut évidemment pas substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité, ni adresser une injonction à celle-ci. Cependant, ses arrêts d'annulation sont revêtus de l'autorité absolue de chose jugée et l'autorité est tenue de s'y conformer. Une autorité récalcitrante engagerait le cas échéant sa responsabilité. En outre, le Conseil d'État peut renforcer l'efficacité de ses arrêts d'annulation en ordonnant des mesures provisoires ou en imposant une astreinte à l'Administration. Les présentations du Conseil supérieur de la Justice Les propositions faites en matière de désignations des magistrats par les commissions du Conseil constituent évidemment une pièce importante de la procédure complexe conduisant à la nomination. A cet égard, un arrêt particulièrement intéressant est l'arrêt n°120.273 du 6 juin 2003, de H…, qui a conduit le Conseil d'État à examiner le mécanisme consacré par le Code judiciaire. Dans l'espèce qui a donné lieu à cet arrêt, le requérant contestait tant la décision de la commission de nomination du Conseil supérieur de la Justice présentant des candidats à vingt places vacantes de juge de complément pour le ressort de la Cour d'appel de […], que la décision du Roi d'accepter cette présentation. La partie adverse avait cependant fait valoir que les actes attaqués, et spécialement les présentations du CSJ, n'étaient pas des actes définitifs susceptibles de recours; elle se référait à ce sujet à la jurisprudence "classique" en matière de nominations dans la Fonction publique en général. Le Conseil d'État n'a pas été convaincu par cette argumentation, puisque l'arrêt n°120.273 souligne que les nominations dans la magistrature font l'objet d'une procédure spécifique, réglée par le Code judiciaire, et que c'est à la lumière de cette disposition que doivent s'analyser les actes attaqués et non sur la base d'une jurisprudence élaborée pour des agents publics dont le statut est différent de celui des magistrats. A ce point de vue, on sait qu'aux termes de l’article 259ter, § 5, du Code judiciaire, le Roi dispose d’un délai de soixante jours pour décider soit d’accepter, soit de refuser les présentations et refus de présentation proposés par les commissions de nomination du Conseil supérieur. Il s'ensuit que l'acte de présentation n'entraîne d'effet définitif, à savoir l'exclusion de toute chance d'être nommé, que lorsque le Roi n'a pas fait usage de son pouvoir de demander une nouvelle présentation à la commission de nomination. Il en ressort également que lorsque le Roi n'a pas décidé de demander une nouvelle présentation, la présentation faite est susceptible de faire directement grief aux candidats non présentés et est dès lors susceptible de recours devant le Conseil d'État au même titre que la décision du Roi (arrêt n°120.273 précité). En outre, si le Roi ne peut nommer un candidat non présenté par la commission de nomination du Conseil supérieur de la Justice, Il n’est toutefois pas entièrement lié par cette présentation, puisqu’il peut la refuser. Dès lors, ce qui pourra, dans cette hypothèse, être attaqué devant le Conseil d'État, c'est l'arrêté royal refusant pour la deuxième fois la présentation faite par le Conseil supérieur de la Justice à une fonction vacante de juge ainsi que la décision de lancer un nouvel appel aux candidats (voyez, à titre d'exemple, l'arrêt n°117.650 du 27 mars 2003, V…). Quant à la motivation des présentations faites par les commissions de nomination et de désignation du Conseil supérieur de la Justice, cette exigence, imposée par l'article 259ter du Code judiciaire, se justifie ici pleinement par la nécessité d'informer, exactement et complètement, l'autorité investie du pouvoir de nomination sur les mérites respectifs des candidats. Il résulte notamment de la jurisprudence que les présentations du Conseil supérieur de la Justice ne sont pas adéquatement motivées si la commission se borne à affirmer que les candidatures ont été comparées sans indiquer les éléments qui permettent d'apprécier, par rapport aux critères établis, en quoi les capacités et les aptitudes de certains candidats sont supérieures à celles d'autres candidats. A ce point de vue, les arrêts de suspension ou d'annulation du Conseil d'État n°120.391 du 11 juin 2003, T… et n°98.344 du 16 août 2001, C… sont relativement sévères. Il nous semble qu'il faut toutefois admettre que lorsque les candidats sont nombreux, il devient impraticable pour les commissions du Conseil supérieur de la Justice de comparer chacun des candidats aux autres. Dans cette hypothèse, l'obligation de motivation doit pouvoir être considérée comme satisfaite lorsque, après avoir délibéré sur les mérites des candidats, la commission se limite à présenter le ou les candidats qu'elle estime les plus aptes, et à écarter les autres, en vertu de critères objectifs que la commission devra préciser. Conclusion Au terme de ce survol de la jurisprudence du Conseil d'État, évidemment arbitraire et incomplet, on soulignera surtout que le contentieux de la nomination des magistrats apparaît comme la recherche délicate des points d'équilibre entre le pouvoir de nomination de l'autorité administrative et les garanties octroyées aux magistrats. De telle sorte que les destinataires de la décision intervenue soient moins exposés aux risques d'une décision éventuellement arbitraire ou fondée sur le favoritisme. L'autorité n'a sans doute pas l'obligation de prendre la meilleure décision, mais elle a en tout cas l'obligation de se mettre dans les meilleures conditions pour prendre la meilleure décision. Et à cet égard, le Conseil d'État est susceptible de défendre l'indépendance du Pouvoir judiciaire tant à l'égard du Pouvoir exécutif que des intérêts partisans. On ajoutera que la matière est loin de voir achevée son évolution : jusqu'ici, la jurisprudence du Conseil d'État défendait à l'autorité de mentir; désormais, elle tend même à lui défendre de se tromper. Philippe Quertainmont