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The Inspector Cluzo : une success-story musicale qui
défie les lois du marketing
Par Thomas Gouritin
Co-fondateur Time To Blast
LE PLUS. Originaires de Mont-de-Marsan, les deux membres de The Inspector Clouzo ont donné
depuis 2008 plus de 480 concerts à travers le monde. Leur originalité ? Faire tout eux-mêmes ! De
la production à la promo en passant par l'édition, ils ne passent par aucun intermédiaire pour
distribuer leur musique. Un modèle économique que nous explique Thomas Gouritin.
Édité par Henri Rouillier
Le monde de la culture se divise souvent trop facilement selon deux obédiences. Le commercial
pur d’un côté et le subventionné "art pour l’art" de l’autre. Des deux côtés, on a du mal à s’adapter
aux évolutions numériques et on soutient fermement des dispositifs comme Hadopi. Mais dans les
cultures dites "alternatives", de nouveaux modèles économiques se développent en utilisant
internet d'une façon extrêmement intéressante : pour le dialogue, la découverte et l’interaction.
Cela permet de remettre au centre des préoccupations des valeurs fondamentales oubliées par
beaucoup : la création, l’échange et le partage.
Quoi de plus facile aujourd'hui que de mettre quelques morceaux en écoute afin de faire connaître
son art et fédérer une vraie communauté de fans pour les tenir au courant de votre actualité ? Dans
cette culture dite alternative, internet et les réseaux sociaux, solutions gratuites, sont devenus de
réels vecteurs de communication, en ce qu'ils encouragent la conversation et l'échange direct entre
les individus. Particulièrement
effrayés, il faut que le premier
acteur (qui a peur pour son quasi
monopole) et le deuxième (qui
ne connaît généralement pas
bien la technologie en question
mais à qui on a fait peur)
s’empressent d’essayer de le
régir ces échanges.
Les deux membres de The Inspector Cluzo - photo de presse (c) David Sanchez (2010).
Hadopi, ACTA, fichage des "gens honnêtes", je ne vais pas tenir une nouvelle fois ici le discours sur la
mise en péril de la liberté sur internet, je l’ai déjà fait à de nombreuses reprises et ce n’est pas le
propos. Toujours est-il que la vraie création, si riche dans le milieu rock français, pourtant sans cesse
rabaissée et dévalorisée face à la culture officielle, la culture de la majorité, se meurt aujourd’hui en
France, dans l’indifférence la plus générale.
Un modèle économique qui surprend
Dans ce contexte morose, un groupe se démarque en proposant des solutions au problème. Venu
du fin fond des Landes, ce groupe s’appelle The Inspector Cluzo. Les gascons propagent un vent de
fraîcheur, ils proposent aussi un nouveau modèle économique qui se différencie radicalement de
toutes les méthodes classiques de management musical.
Et si l‘échange et le partage permettaient de mettre à mal Pascal Nègre et consorts ? En tout cas, The
Inspector Cluzo démontre que réussir à vivre de sa musique et tourner dans le monde entier quand
on est français et qu’on fait du rock, c’est possible ! D’abord connu à l’étranger (avec 480 dates en 5
ans dans plus de 26 pays), The Inspector Cluzo fonctionne en auto management complet. Le duo
landais s’occupe en effet lui même de tout son développement : label, programmation, relations
presses, ventes promotionnelles… Cela leur permet de pouvoir gérer de A à Z ce qu’ils proposent
à leur public de plus en plus nombreux dans le monde entier.
Alors bien sûr, comme les commerciaux voient s’envoler une belle occasion de se sucrer sur le dos
des artistes, et que les bobos un peu plus arty se voient tourné en dérision ("Fuck the bobos" sur le
dernier albums du groupe par exemple), il y a des obstacles quasiment insurmontables pour un groupe
en autogestion. Comme vous n’êtes pas chez un gros tourneur renommé, on vous refuse l’accès à
certains festivals d’été, mais cela quasi uniquement en France (The Inspector Cluzo a joué un peu
partout en festivals à l’étranger : Sziget, Fuji Rock etc). C’est donc ça "l’exception culturelle française"
? Un compromis entre le politiquement correct et l'image de la structure qui vous parraine ?
Supprimer les intermédiaires
Pourtant, la solution proposée par les Inspector Cluzo est gagnante pour tout le monde : des albums
moins chers (10 euros pour la BD/CD de leur dernier album, 5 euros sur place lors des concerts) sur
lesquels le groupe touche bien plus qu’en passant par une maison de disque, des concerts à 12 euros
dans de belles salles, une proximité évidente avec un public de 15 à 60 ans, une liberté artistique
totale… Le "Do It Yourself" (Fais-le toi-même) existe depuis toujours dans le milieu alternatif à un
niveau bien plus confidentiel. La réussite grandissante d’un groupe international comme The Inspector
Cluzodémontre que ce système peut être pérenne aujourd’hui dans un milieu culturel sinistré.
Pourquoi ne pas s’en inspirer ?
La question est posée, et malheureusement, cette démarche est loin d’être connue du grand public
qui se cantonne souvent à ce qu’on lui pré-mache. Le succès de The Inspector Cluzo devrait pourtant
nous aider à ouvrir les yeux sur un business qui se doit d’évoluer avec son temps, malgré les réticences
et inerties des décideurs.
Et si au lieu d’enfermer le public dans des systèmes de consommation cloisonnés, on tentait de les
impliquer dans une réelle démarche de suivi des groupes avec un rapport gagnant/gagnant évident
? Pensez-vous vraiment qu’un bel objet tel que la BD/CD de The Inspector Cluzo aurait un tel succès
si elle était vendue 25 euros à la Fnac ?
Autant de pistes passionnantes à explorer pour sortir d'une logique qui, à mon sens, emmènera la
culture française à sa perte dans un avenir malheureusement très proche.