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EN COUVERTURE Michel Onfray!: «!Une généalogie de guerre civile!» Critique. Pour le philosophe, après le drame de Saint-Etienne-du-Rouvray, « on doit nommer les choses clairement ». PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIA RECASENS un cap : c’est la suite, rien que la suite… Nous n’allons pas, à chaque fois, dire que nous franchissons un cap, quand les terroristes s’attaqueront à un TGV, à un avion, à des vacanciers sur la plage, à des écoliers dans leur établissement, à des malades dans leurs hôpitaux. Il n’y a, hélas, que variations sur le même thème. Ce sont les mêmes qui, au nom d’un même idéal, font les mêmes choses et ont bien prévu de continuer à les faire, Mossoul tombé ou non. Il s’agit désormais de nommer les choses clairement : la France est entrée dans une généalogie de guerre civile. La guerre civile définit en effet la situation dans laquelle, au nom d’idées divergentes – ici la théocratie islamique contre la démocratie républicaine –, des Français massacrent d’autres Français. Certains abattent d’autres Français au nom d’un islam radical et ont pour ennemi l’Occident sous toutes ses formes. Certes, la guerre civile n’en est pas à son degré de développement où des Français prendraient les armes pour attaquer des membres de la communauté musulmane, et c’est tant mieux. Mais si les politiques persistent dans leur impuissance, il est à craindre que certains s’organisent en milices. L’usage polémique politicien du Michel Onfray Philosophe. Derniers ouvrages parus : «!Le miroir aux alouettes!» (Plon) et «!La force du sexe faible. Contre-histoire de la Révolution française!» (Autrement). «!Au nom d’idées divergentes, la théocratie islamique contre la démocratie républicaine, des Français massacrent d’autres Français.!» 36 | 28 juillet 2016 | Le Point 2290 YANNICK COUPANNEC/LEEMAGE Le Point!: Cette fois-ci, Daech s’en prend à une église, un prêtre est égorgé. Même s’il y avait déjà eu des prémices avec la tentative de Sid Ahmed Ghlam à Villejuif, nous venons de franchir un cap. Quel sens donner à cela !? Michel Onfray!: Non, nous ne venons pas de franchir vocable d’extrême droite dans les médias, depuis des années, aura dès lors du mal à servir aussi pour qualifier les actions de ses organisations paramilitaires violentes. La sémantique des médias de gouvernement a déjà préparé ses éléments de langage, elle parle d’ultradroite... Ce sera alors l’entrée claire dans cette guerre qui s’annonce. Qu’on se souvienne toutefois de ce qui a eu lieu, déjà, en Corse, où une mosquée (un « lieu de prière », comme disent les médias pour éviter le mot qui fâche...) a été incendiée. Commençons par convenir de cet état des lieux. Il s’agit d’une église, à la campagne… Le message, c’est qu’il n’y a plus de refuge, nulle part où on puisse se sentir à l’abri!? Le regard du Normand que vous êtes… Je pense à ce pauvre vieux prêtre de 86 ans à la retraite qui célébrait une messe avec quelques maigres fidèles dans l’une de ces petites églises de Normandie dans lesquelles l’athée que je suis entre parfois pour la paix qui y règne et le temps long qui s’y dit et l’histoire des gens modestes qui s’y joue. Egorger un vieux curé qui n’a pour remède aux misères du monde que la prière et l’amour du prochain, c’est comme s’attaquer à un enfant ou à l’une de ces personnes célébrées par les Béatitudes. Trancher la gorge d’un vieillard qui appelle à l’amour du prochain sous prétexte que des versets du Coran justifient, hélas, ce genre de chose, est un geste qui dépasse l’entendement de qui souhaite raison garder. A l’heure où j’écris, il semble que l’un des deux auteurs est aussi normand, puisqu’il habitait chez ses parents à Saint-Etienne-du-Rouvray. Ce sont donc des agresseurs normands qui, au nom des sourates radicales du Coran, égorgent un prêtre normand qui enseigne la même chose que les versets les plus beaux du Coran, dont celui qui dit « Quiconque tue un homme tue tous les hommes, qui sauve un homme sauve tous les hommes » (V. 32). Ce verset coranique dit exactement la même chose que le Jésus des Evangiles. Quand, pour des idées, des Français égorgent d’autres Français dans le village qui est le leur, c’est bien une guerre civile qui s’annonce. Nos services de renseignement attendaient la voiture piégée, et c’est l’arme blanche, l’égorgement, comme à Magnanville et en Syrie. Parce que l’égorgement crée plus de terreur!? La voiture piégée arrivera, hélas… Pourquoi l’égorgement ? Parce que certains versets du Coran y invitent ! « Trancher l’aorte » (sourate LXIX, verset 46) est effectivement une prescription coranique. La lecture de la Sira, qui rapporte les faits et gestes de Mahomet, signale plus d’un cas où le Prophète égorge lui-même de ses propres mains. C’est purement et simplement de l’histoire. Ainsi Huyavv est apporté devant le Prophète, les mains liées, tailladé de toutes parts, Mahomet lui dit : « Je ne regrette absolument pas d’avoir été ton ennemi », puis il lui coupe la tête… (II. 241). De même, lors de son retour à Médine, Mahomet fait savoir à son neveu qui lui disait n’avoir rencontré parmi les combattants que des vieillards sans cheveux et qu’il les a égorgés. Ou bien encore, Uqba qui lui demande avant de mourir : « Mahomet, qui va nourrir mes petits-enfants ? », s’entend répondre par le Prophète : « Le feu », puis il lui tranche la tête (I. 643646). Je rappelle que la Sira rassemble des dits du Prophète reconnus par les musulmans eux-mêmes. Les combattants de l’Etat islamique lisent le Coran et prélèvent en lui ce qui légitime leur combat. Et il y a malheureusement de quoi. D’autres peuvent prélever dans le Coran des versets différents qui condament ce que font les premiers. Il y a au moins deux islams, dont la formule intégriste qui combat la formule qui ne l’est pas. Le vertige est d’autant plus grand que le rythme des attentats s’accélère, créant chez nos politiques un effet recherché de sidération… Bien sûr. D’autant plus qu’au premier attentat, les mélopées sirupeuses de Hollande et les mouvements de menton de Valls pouvaient convaincre les naïfs. Rappelons-nous : leur volapük médiatique martial et empathique les faisait grimper dans les sondages. Attentats après attentats, ce volapük a montré ses limites. Personne n’y croit plus. Aujourd’hui, le message de Hollande est : « Restons unis », sous-entendu : « Derrière moi »… Si Hollande promettait de ne pas se représenter à la présidentielle, on pourrait ne pas douter de ce qu’il dit, annonce ou fait. Peut-être pourrait-il alors mener une politique de chef d’Etat plutôt que de se faire le chef de la cellule psychologique France. L’indigence de ses réponses prouve qu’il est dépassé et surtout que ses solutions, bombarder et augmenter les frappes sur l’Etat islamique, n’empêchent rien, bien au contraire. Il suffit de regarder le résultat de sa stratégie adoptée depuis le début… Mais les réponses des autres prétendants au trône s’avèrent tout aussi indigentes : incarcérations préventives ? Il faudrait mettre des milliers de gens en prison sur présomption de culpabilité alors qu’elles sont déjà saturées. Fermer les frontières ? Nombre de ces terroristes vivent déjà sur le territoire français. Augmenter la présence militaire ? Créer une garde nationale ? Rappeler les réservistes ? Embaucher de nouveaux militaires ? Il est impossible de mettre un soldat de la République derrière chacun de ces soldats invisibles de l’Etat islamique qui obéit, je vous le rappelle, aux ordres du califat, comme foncer sur une foule avec un camion. Le sociologue Gérald Bronner parle de «!terrorisme mimétique!». Comment lutter contre la propagande de Daech qui réveille ces individus fragiles psychologiquement, … «!Il y a au moins deux islams, dont la formule intégriste qui combat la formule qui ne l’est pas.!» Le Point 2290 | 28 juillet 2016 | 37 EN COUVERTURE … ces «!zombies du terrorisme!»!? Je persiste depuis le début des attentats à faire mon travail de philosophe, autrement dit à proposer une lecture généalogique, et non moralisatrice, de ce qui arrive. Cette guerre, dont Hollande dit que l’Etat islamique nous l’a déclarée, s’inscrit elle-même dans la longue liste des guerres que la France, hormis l’épisode Chirac, mène depuis 1991, droite et gauche confondues, aux côtés des Etats-Unis contre des pays musulmans. Des guerres qui, je le rappelle souvent, ont fait 4 millions de morts musulmans depuis cette date. Ce terrorisme doit se lire dans une logique géostratégique et non politicienne ou moralisatrice. Personne ne déclare une guerre sans raison. La France, qui n’a pas d’argent pour augmenter les salaires de ses classes modestes, en a pour faire la guerre partout, notamment à l’Etat islamique. Ces guerres n’expliquent pas tout, mais elles expliquent beaucoup. Quant aux terroristes, il faudra un jour faire la généalogie de cette génération décérébrée par une Education nationale qui n’a pas su produire des enfants des Lumières et de la Raison, mais qui a en revanche fabriqué des nihilistes nourris au lait noir de la déraison. Ces paumés, fabriqués par une époque inculte obsédée par l’argent, souscrivent à l’idéologie dominante depuis des années de tous ceux qui invitent à détester la France qui ne serait que colonialiste, collaborationniste, vichyste, pétainiste, détestable, guerrière, antisémite. Toutes logiques jadis stigmatisées sous la rubrique « idéologie française ». Ces idéologies de la haine ont produit une génération qui souscrit à leur propos, les prend au mot et se fait leur bras armé en voulant en finir avec cette France tellement détestable. Il faut d’urgence en finir avec le magistère de ce personnel idéologique et l’indéboulonnable personnel politique qui se succède au pouvoir depuis un quart de siècle. Il y a des responsabilités à ce qui advient. Or ces responsables qui sont aussi partiellement coupables ne sont pas les mieux placés pour les dénoncer. Le choix des cibles s’inscrit dans une stratégie de dislocation de la société, comment casser ce cycle infernal!? En changeant de politique intérieure, en changeant de politique étrangère, en changeant de personnel médiatique qui freine des quatre fers pour nommer le réel, en changeant de personnel politique qui occupe la scène depuis le virage libéral de Mitterrand en 1983 et son virage belliciste en 1991, en changeant de modèles sociaux. Mais aussi en évitant de faire des Etats amis de l’Etat islamique nos amis. La Turquie d’un Erdogan étrangement épargné par le coup d’Etat qui a récemment eu lieu dans son pays, l’Arabie saoudite, dont notre gouvernement décore l’un des princes avec la Légion d’honneur, le Qatar, qui achète tout ce que Paris vend, sont des Etats qui ont la ligne directe avec le califat. On ne me fera pas croire qu’une autre politique n’est pas possible. Une politique qui ne remettrait pas de l’huile sur le feu de guerres qui n’ont pas à être les nôtres et qui, de ce fait, génèrent ce que 38 | 28 juillet 2016 | Le Point 2290 les cyniques du Pentagone nomment des « dommages collatéraux » quand il s’agit de parler du camp d’en face ! La parole est désormais au peuple qui doit se défaire de ceux qui ont créé ce monde-là, et pas un autre. Je précise pour éviter tout malentendu que Marine Le Pen n’est pas la personne ad hoc. Seule la société civile est désormais légitime pour fournir la personne ad hoc. Toute la classe politique a failli, oppositions comprises. Peut-on résister à la peur!? Non. Quiconque dit ne pas avoir peur est un menteur. Désormais tout le monde sait qu’il est une victime potentielle. Seul un inconscient peut jouer le bravache sur le principe des gamins qui tremblent comme une feuille en disant « Même pas peur ! » Le complexe de Poil de carotte est l’une des modalités de la dénégation qui fait la loi chez nous. Comment trouver en nous les ressources!? La philosophie, arme ultime contre la barbarie!? La « barbarie » est un mot qui, comme le renvoi au fascisme à Hitler, empêche de penser. C’est l’une des modalités du point Godwin. Ce mot suppose le combat simple du mal contre le bien, des barbares contre les civilisés, donc d’Eux-les-méchants qui nous tuent contre Nous-les-gentils qui ne leur avons rien fait. Cette pensée simpliste est une pensée de simpliste. Qui voudrait le mal et qui ne voudrait le bien ? Même ceux qui font le mal le font en pensant faire le bien ! La philosophie ne sert à rien, pas plus que les bougies et les peluches, les dessins d’enfants réalisés par des adultes, les bouquets de fleurs, les cellules psychologiques, les déclarations martiales des politiciens plus soucieux de leur carrière que de la survie de la France, les invitations à prier. La solution est politique, au sens noble du terme, voilà pourquoi elle ne devrait plus relever des politiciens. Comment ne pas tomber dans le piège de Daech, empêcher que le poison de la haine ne fracture la France ? Je citerai une anecdote du philosophe Julien Freund qui fut résistant, arrêté par la Gestapo, maquisard, prisonnier, évadé, un penseur politique lucide. Jean Hyppolite, qui était membre de son jury de thèse, lui dit, en sortant de la soutenance, qu’il récusait sa théorie du couple ami/ennemi qui préside à la politique étrangère d’une nation : « Vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. » Hyppolite lui répond alors : « Dans ce cas il ne me reste plus qu’à me suicider. » Jean Hyppolite avait tort, et il est mort dans son lit. Le problème n’est pas de refuser cette guerre : elle a déjà commencé. Profitons des dernières heures de la paix comme on profite des dernières heures de l’été. L’hiver est à l’ordre du jour. Il ne manquera pas de venir §