La vie consacrée et ses défis en Afrique

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Vies consacrées, 83 (2011-1), 43-56
La vie consacrée et ses défis en
Afrique∞: réflexions au sein
des Conférences de Supérieurs
Majeurs au Cameroun1
Les débats qui ont eu lieu au cours du récent Synode sur
l’Église en Afrique (2009) ont concerné, entre autre, la vie des
Instituts de vie consacrée et leur rôle dans les domaines de la
réconciliation, de la justice et de la paix dans le continent africain. Le Synode a mis en exergue le dynamisme et la vitalité de
ces jeunes Églises qui disposent d’un nombre croissant de vocations religieuses. Cela n’a pas empêché, toutefois, que soient
mentionnées les difficultés et les problèmes propres à la vie
consacrée dans le continent, notamment l’instabilité vocationnelle, l’exigence d’une formation solide des membres des instituts, le manque d’une autonomie matérielle, l’importance de
développer une culture et une spiritualité de communion dans
des milieux troublés par des tensions tribales, ethniques et raciales. Le Synode a également évoqué l’exigence d’un discernement
vocationnel plus approprié, la vie religieuse étant souvent considérée comme une «∞∞issue∞∞» qui permet aux jeunes candidats de
sortir des entraves propres à leurs milieux d’origine.
Les Conférences des Supérieurs Majeurs du Cameroun2,
dans ces dernières dix années, ont réfléchi sur nombre des défis
1. Ce texte synthétise les réflexions des Supérieurs majeurs du Cameroun durant les
assemblées plénières des dix dernières années∞∞: un document exceptionnel, dans
son exemplarité même (N.D.L.R.).
2. Les Conférences des Supérieurs Majeurs du Cameroun comprennent l’Union des
Supérieures Majeures et Déléguées du Cameroun qui réunit les Supérieures majeures
des instituts de vie consacrée féminins (USMDC), la Conférence des Supérieurs
Majeurs du Cameroun (CSMC) qui réunit les Supérieurs majeurs des Instituts masculins et la «∞∞Conference English Speaking Religious∞∞» (CESR) qui comprend les Supérieur(e)s Majeur(e)s des Instituts anglophones. Nous parlerons des Conférences des
Supérieurs Majeurs tout court.
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auxquels la vie consacrée est confrontée, dans ses urgences et
difficultés plus importantes3.
La réflexion a abouti à des orientations communes portant
sur le discernement des vocations et sur l’admission des nouveaux
candidats, sur la fidélité à l’identité charismatique des familles
religieuses, sur les relations des instituts avec les Églises locales,
sur leur apport à la réconciliation, à la justice et à la paix dans le
continent, ainsi que sur les problèmes liés à la séparation des
membres de leur institut.
Nous voulons considérer les enjeux les plus significatifs de ce
travail de réflexion.
Les vocations religieuses et leur discernement
C’est au sein d’une assemblée extraordinaire des Supérieurs
Majeurs convoquée en décembre 2009 qu’on a traité expressément des critères de discernement des vocations. Cette assemblée
était la première assemblée extraordinaire organisée hors des
assemblées ordinaires annuelles, et souhaitée explicitement par
l’Évêque délégué pour la vie consacrée par la Conférence épiscopale nationale du Cameroun. Le Synode célébré en octobre
2009, avait spécialement souligné, face à l’instabilité des vocations religieuses dans les jeunes Églises d’Afrique, la nécessité
d’un discernement plus attentif, car au nombre important des
admissions dans les instituts correspondent malheureusement
des nombreuses défections, signifiant une fragilité vocationnelle qui n’est pas toujours «∞∞détectée∞∞» par les formateurs.
Un questionnaire ad hoc, élaboré par le Comité permanent des
Conférences des Supérieurs Majeurs, a été proposé aux instituts
3. Les thèmes développés au sein des assemblées plénières, les dix dernières années,
ont été notamment∞∞: «∞∞Jubilé 2000∞∞: ensemble célébrons le Christ, notre fécondité,
notre richesse et notre liberté∞∞» (2000), «∞∞Formation et mission∞∞» (2001), «∞∞Prophétisme
de la vie consacrée∞∞: je crois en Jésus Christ∞∞» (2002), «∞∞Prophétisme de la vie religieuse∞∞:
culture de la paix∞∞» (2003), «∞∞Prophétie de la vie religieuse∞∞: pauvreté∞∞» (2004), «∞∞Le vœu
de pauvreté∞∞» (2005), «∞∞La vie religieuse et l’Église locale∞∞» (2006), «∞∞Religieux dans
l’Église locale∞∞: dialogue au service de la communion∞∞» (2007), «∞∞Passion pour le Christ,
passion pour l’humanité∞∞» (2008), «∞∞Paix, justice et réconciliation∞∞» (2009), «∞∞Les critères d’admission des candidats dans les Instituts et les procédures de séparation∞∞»
(assemblée extraordinaire 2009). Nous avons personnellement animé les différentes
assemblées depuis 2004.
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pour une réflexion commune sur le problème. Les critères d’admission signalés par ces derniers ont été les critères «∞∞classiques∞∞»,
qui prennent en compte notamment les aptitudes humaines
(santé physique et mentale, équilibre psychologique), la formation chrétienne (catéchèse, sacrements, engagement dans les
mouvements), le désir de suivre le Christ dans la vie consacrée
ainsi que l’aptitude à vivre la vie propre à l’institut. Pour ce qui a
trait au niveau culturel réclamé des candidats, la plupart des
familles religieuses ont affirmé exiger le baccalauréat et seulement une petite minorité a déclaré accepter des candidats avec
un niveau scolaire plus bas4. Les étapes prévues pour la formation suivent également le cheminement traditionnel. Le candidat passe progressivement par une période de pré-noviciat5 qui
vise la consolidation de sa formation humaine et spirituelle et
qui l’introduit aux exigences essentielles de la vie consacrée.
Le noviciat a été reconnu par tous comme une période capitale
d’initiation à la vie consacrée dans l’institut, permettant au candidat de se confirmer dans la vocation spécifique de la famille
religieuse par une expérience concrète de cette vie.
La réflexion des Supérieurs Majeurs a mis en exergue l’utilité
pour les instituts d’harmoniser entre eux certaines de leurs pratiques d’admission et surtout, d’échanger des informations au
bénéfice de tous, cela à cause d’une grande mobilité des vocations qui transmigrent très facilement d’un institut à l’autre.
La réflexion sur ce dernier point a conduit à solliciter une plus
grande prudence des responsables et une information plus adéquate sur le candidat, à rechercher auprès de sa famille, de sa
paroisse ou de l’ancienne congrégation qui l’a accueilli. L’importance d’une aide psychologique a été également évoquée pour
les cas les plus difficiles.
S’agissant d’une formation intellectuelle systématique des
candidats, les Supérieurs Majeurs ont fortement recommandé des
structures inter-congrégationnelles mises en place au Cameroun,
qui disposent d’un personnel plus qualifié et qui permettent des
échanges et une collaboration fructueuse entre les formateurs.
4. Au Cameroun, le CAP ou le BEPC.
5. Par le postulat ou propédeutique, et souvent par un pré-postulat ou aspiranat.
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Au delà des étapes de formation prévues par les instituts et
des procédures suivies par ceux-ci, la difficulté la plus significative relative à l’admission et à la formation des candidats, qui
ressort de la réflexion des Supérieurs Majeurs, se situe plutôt au
niveau des motivations qui poussent les jeunes à entrer dans un
institut de vie consacrée. Ces motivations sont souvent fragiles,
voire ambigües, et si elles ne sont pas affrontées au début de la
formation, elles conduisent plus tard à des difficultés graves au
sein des communautés religieuses.
C’est justement par rapport à ces motivations que le discernement de la part des formateurs et des supérieurs devrait s’effectuer avec des critères plus adaptés aux milieux. Parfois, la pastorale vocationnelle des instituts semble être plus soucieuse à
montrer aux candidats les avantages de la vie religieuse qu’à leur
expliquer ses exigences, ce qui fait facilement percevoir cette vie
comme une promotion sociale et empêche les jeunes de percevoir le sérieux du choix vocationnel. La tentation implicite est
celle d’agir comme si les vocations étaient un produit des différentes politiques ou méthodes pastorales des instituts plutôt que
d’être suscitées par Dieu. Dans ces conditions, le danger est,
nous semble-t-il, de céder au chantage du nombre des vocations
qui risquent, en fin de compte, d’être «∞∞achetées∞∞», plutôt que
d’être accueillies comme un don de Dieu.
L’expérience des instituts a porté à souligner la nécessité
d’une formation plus solide des candidats, au niveau humain,
culturel, spirituel, adaptée aux réalités africaines. Le processus
traditionnel de la formation, avec toutes les étapes prévues, qui
peut facilement satisfaire aux exigences des candidats provenant
des pays d’ancienne chrétienté, ne suffit pas toujours pour la formation des candidats provenant des milieux où souvent leurs
familles naturelles sont païennes ou d’évangélisation récente.
Une formation accomplie ou gérée avec légèreté est cause de
départs, souvent forcés6. Dans la majorité des cas, il s’agit de personnes non admises au renouvellement de leur profession, à
cause des difficultés à vivre les engagements aux vœux, de leur
6. Ce sont les instituts masculins qui, au Cameroun, enregistrent le plus grand nombre de sorties.
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inaptitude à la vie communautaire, d’une immaturité humaine
et affective, des problèmes éthiques (vol, mensonges, tricheries),
de l’esprit d’indépendance et d’incapacité à se soumettre aux
exigences de la vie consacrée. Par contre, rares sont les cas de
départs volontaires dus à une insatisfaction de la vie dans l’institut ou à la découverte d’une autre vocation.
Pour les cas de renvois, les Supérieurs Majeurs ont sollicité un
plus grand respect des procédures prévues par le droit de l’Église,
en ayant recours à l’aide des canonistes. A cet égard, la création
d’un comité d’experts a été prévue. L’assemblée a discuté sur
l’assistance à ceux qui se séparent de l’institut par un accompagnement moral et psychologique en vue de la réinsertion sociale
de ces membres et par des aides financières7.
Fidélité aux vœux et problèmes culturels
Au cours des dix dernières années, la fidélité aux vœux religieux face aux défis des cultures africaines, a été l’objet d’une
réflexion approfondie des Supérieurs Majeurs. L’engagement à
la pauvreté consacrée a retenu plus d’attention, lors des assemblées plénières, vu les nombreuses difficultés qui souvent à cet
égard déchirent les communautés8. Les vocations religieuses qui
proviennent des jeunes Églises d’Afrique et qui vivent dans des
aires sociales pauvres ne perçoivent pas facilement la signification du vœu de pauvreté, car il y a une grande distance entre leur
niveau actuel de vie dans les instituts et le contexte humain et
social de leur famille d’origine9. Pour ces candidats, la vie religieuse est souvent synonyme de promotion sociale, qui donne
7. Le montant mentionné par les Instituts comme aide aux membres séparés varie
selon le cas et les dimensions des Instituts, avec une grille qui va de 100.000 FCFA
(150 euros) jusqu’à 1.000.000 FCFA (1500 euros). Certains instituts offrent l’équivalent
d’un salaire mensuel dans le pays de résidence, d’autres fournissent de quoi vivre
pendant un certain temps, d’autres assurent une année d’études, ou une formation
pratique. L’aide consiste parfois à procurer un emploi ou une activité génératrice de
revenus.
8. Ce thème a été développé dans les assemblées de 2004 et de 2005.
9. Cf. M. PALESSONGA, La pauvreté religieuse. Une réflexion en contexte africain∞∞», in
S. RECCHI (sous la direction de), Autonomie financière et gestion des biens dans les
jeunes Églises d’Afrique, Département de droit canonique, Institut Catholique de
Yaoundé, Yaoundé, 2003, pp. 160-189.
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une garantie suffisante de sécurité et de bien-être. Dès le début
de sa formation, le jeune fait l’expérience d’un niveau de vie
supérieur à celui qu’il menait au sein de sa famille de sang et le
vœu de pauvreté marque paradoxalement le passage à un niveau
de vie plus aisé. Cette contradiction rend difficile la compréhension de l’engagement à vivre la pauvreté consacrée10.
Le problème a été traité par les Supérieurs Majeurs sous plusieurs aspects, théoriques et pratiques, y compris sous l’angle
des relations de l’institut avec les familles d’origine des membres
autochtones. Le constat qui ressort montre surtout une mauvaise compréhension des exigences de la vie consacrée de la part
des familles des membres autochtones. Celles-ci ne comprennent pas facilement la «∞∞pauvreté religieuse∞∞», attendant des instituts des aides substantielles en échange du membre «∞∞donné∞∞»
à la famille religieuse. À vrai dire, le problème ne vient pas des
revendications des familles, mais plutôt des membres euxmêmes qui favorisent ces attentes ou qui ne sont pas toujours
déterminés à contester les requêtes de leurs familles. Ces situations sont à l’origine des malaises et des conflits au sein des communautés religieuses, qui deviennent déchirants là où font
défaut le sens d’appartenance à la nouvelle «∞∞famille∞∞», le sens du
bien commun, de responsabilité, du service, l’importance de
rendre compte des biens reçus et de leur utilisation. Une fois de
plus, on est confronté au problème de la compréhension de la
vocation religieuse et de ses exigences.
Il s’agit également de comprendre que la pauvreté consacrée
n’est pas l’acceptation de la pauvreté sociologique que le peuple
en Afrique subit sans l’avoir choisie. La pauvreté évangélique est
toujours un acte de foi et de liberté, elle n’augmente pas en mesure
du manque de biens, mais en mesure du don de soi, de la foi et du
partage. La pauvreté consacrée n’est pas une attitude de fatalisme
qui fait accepter la misère comme un mal inévitable, au contraire,
elle exige de lutter contre toute forme de sous-développement
10. Cf. S. RECCHI, «∞∞Inculturer aujourd’hui le vœu de pauvreté∞∞», in E. GRASSO-S. RECCHI, Appelés à avancer au large. La vie consacrée en Afrique et les défis du troisième
millénaire. Département de Droit Canonique, Institut Catholique de Yaoundé
(Cahiers de la Quinzaine, no11), pp. 51-69.
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qui humilie le peuple et les personnes. Le vœu de pauvreté transforme les religieux en artisans de progrès et de développement,
en leur demandant de développer leurs potentialités et talents,
pour «∞∞s’enrichir∞∞», au sens plein du mot, et pouvoir ainsi mettre
leurs richesses au service des pauvres.
Dans le débat concernant la pauvreté religieuse, les Supérieurs Majeurs ont considéré un dernier aspect, celui de l’autonomie financière et de l’autofinancement des communautés
religieuses en Afrique. Cette problématique interpelle urgemment
les instituts œuvrant dans ce continent tout comme les Églises
particulières, au niveau des communautés locales, diocésaines,
paroissiales. Les instituts religieux ressentent la nécessité de
réfléchir attentivement sur leur dépendance économique par
rapport aux communautés d’Occident, car cette dépendance
ne favorise pas le sens des responsabilités des membres. Sans
contester les valeurs de communion à établir entre les communautés d’un même institut, il y a la nécessité de favoriser une
vision plus responsable qui fait compter d’abord sur les forces
locales et sur l’apport de tout membre à la subsistance de son institut, avant de faire recours à la solidarité des frères et des sœurs.
Cela implique une formation des membres à l’usage responsable des biens et de l’argent, une administration et une gestion
transparentes et compétentes et finalement une appréciation du
travail manuel qui n’est pas toujours évident parmi les jeunes
candidat autochtones.
La mission de la vie consacrée au sein des Églises locales
Dans les dix dernières années, une attention spéciale à été
réservée par les Supérieurs Majeurs, à la mission propre de la vie
consacrée au sein des Églises locales du Cameroun. Deux assemblées plénières, en mars 2006 et en mars 2007, ont été consacrées
aux relations avec les Églises locales et leur Pasteurs. L’assemblée
de 2006 avait été précédée par un travail de réflexion et d’échanges, par institut ou par groupes d’instituts, à l’aide d’un questionnaire qui concentrait le débat autour de quelques points fondamentaux, notamment∞∞: la mission de la vie religieuse aujourd’hui
dans les Églises locales d’Afrique, les relations avec les Pasteurs,
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les difficultés majeures rencontrées dans le travail apostolique, la
collaboration inter-instituts pour un meilleur service ecclésial, les
structures à mettre en place pour une collaboration fructueuse11.
La réflexion, en évoquant le document Mutuae relationes, est
descendue concrètement sur le «∞∞terrain∞∞», pour une évaluation
des difficultés et des progrès dans cette collaboration ecclésiale.
Les instituts abattent un travail énorme et souvent difficile dans
les écoles, les dispensaires, les paroisses, dans les lieux de formation, dans l’accompagnement des jeunes, des femmes, dans
l’assistance aux pauvres. Ils sont conscients de l’importance de
leur engagement pour l’inculturation de l’évangile, pour la libération des fidèles des pratiques et des traditions qui s’opposent
aux valeurs évangéliques. L’équivoque dans les relations avec les
Églises locales surgit quand ces activités précieuses se transforment en un activisme qui empêche l’expression du charisme
propre aux familles religieuses concernées. Alors, l’insertion des
religieux dans les Églises particulières ne s’opère plus en regard
de leur identité respective, mais plutôt au niveau d’une suppléance
des services et des fonctions dans la vie pastorale, à cause des forces limitées ou peu qualifiées des diocèses.
Le débat au sein des assemblés des Supérieurs Majeurs a souligné d’abord la nécessité de sauvegarder l’identité des instituts
et leur rôle propre au sein des Églises d’Afrique, qui ont besoin
des religieux comme témoins de communion et de fraternité, de
vérité et de solidarité, davantage que comme promoteurs de
nombreux services sociaux importants et d’activités multiples
en faveur du développement des milieux africains.
Les relations avec les Pasteurs
Les textes du magistère de l’Église recommandent instamment aux religieux d’œuvrer en pleine communion avec l’évêque
du lieu, en particulier dans le domaine de l’évangélisation, de la
11. La réflexion sur ce dernier point, commencée dans l’assemblée de 2006, a été
reportée à l’assemblée plénière de l’année suivante, en 2007, dans le but de faire
mieux ressortir des propositions concrètes pour une collaboration avec les Églises
diocésaines.
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catéchèse, de la vie des paroisses12. Par ailleurs, les évêques sont
appelés à avoir une attention spéciale pour la vocation et la mission des religieux et à les valoriser dans la pastorale d’ensemble13.
Le respect, le dialogue fécond dans les relations réciproques
engage chacun au service de l’unique Église du Christ. S’agissant
des relations avec les Pasteurs, il y a une certaine convergence
dans l’expérience des instituts. Ils ont fait remarquer une insuffisance de connaissance de la nature de la vie consacrée et de la
richesse des projets charismatiques de la part de la hiérarchie
locale. Aux Pasteurs, on reproche parfois un manque d’attention
et de souci pour les communautés religieuses, une certaine indifférence à l’égard des problèmes des instituts, même s’ils montrent une appréciation indéniable du travail exercé.
Les réactions les plus vives, toutefois, ont concerné les questions d’ordre économique. A cet égard, les instituts se sentent
traités comme des réservoirs financiers∞∞; les Pasteurs sont accusés de s’approprier illégitimement leurs biens. Par ailleurs, la
contribution financière des diocèses pour le travail accompli
par les religieux(ses) à leur service est rare, les Pasteurs étant
habitués à les utiliser dans les activités pastorales sans trop se
soucier de leurs problèmes de subsistance. En général, un manque d’accords clairs caractérise la gestion économique des
œuvres diocésaines confiées aux religieux, ce qui entretient une
source de tensions réciproques.
Structures de dialogue et de collaboration
L’exhortation Vita consecrata avait proposé des structures de
dialogue entre les Pasteurs et les instituts, pour une féconde collaboration entre Églises particulières et vie consacrée. Ces structures étaient représentées par des personnes déléguées par les
Conférences des Supérieurs Majeurs à assister aux assemblées
des Conférences des évêques et, inversement, par des délégués
des Conférences épiscopales qui assistent aux assemblées des
Conférences des Supérieurs Majeurs. Était également prévue la
12. Cf. Vita consecrata, 49.
13. Cf. Repartir du Christ, 32.
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constitution de commissions mixtes d’évêques et de supérieurs
qui examinent les questions d’intérêt commun14. La réalisation
de ces structures de dialogue est assurément très importante
pour aider les évêques à mieux saisir l’identité charismatique
de la vie consacrée, et les supérieurs à partager davantage les
soucis des Pasteurs. Au Cameroun, depuis 2008, la Conférence
épiscopale nationale a délégué officiellement un évêque pour
suivre de près la vie consacrée dans le Pays, et elle invite les présidents de l’Union des Supérieurs Majeurs aux assemblées ordinaires de la Conférence épiscopale nationale.
L’assemblée plénière de mars 2007 a traité explicitement des
structures concrètes pour une meilleure collaboration et une
plus grande entente avec les Pasteurs. L’assemblée a exhorté
les supérieurs à signer des Conventions avec les évêques, pour
mieux préciser les engagements réciproques et prévenir les abus
et donc des tensions relationnelles. La moitié des instituts qui
sont présents au Cameroun ont déclaré avoir signé une Convention ou des contrats avec les diocèses, mais dans la plupart des
cas, ces Conventions demandent d’être mises à jour, très souvent
elles ne sont pas appliquées, surtout pour ce qui est de la prise
en charge financière, des indemnités ou des salaires qui devraient
être payés par les diocèses. La question financière se révèle
comme la pierre d’achoppement dans la plupart des Conventions
signées.
Le Code de droit canonique stipule qu'il appartient aux évêques diocésains des territoires de mission de faire en sorte que
les relations mutuelles entre diocèses et instituts religieux soient
réglées par des Conventions avec les Modérateurs de ces instituts qui opèrent dans leur territoire, et ceci pour le bien de la
mission15. Une telle recommandation devient une obligation
dans le cas des paroisses confiées aux instituts religieux ou aux
sociétés de vie apostolique16, et dans le cas d'œuvres diocésaines
confiées aux instituts religieux17.
14.
15.
16.
17.
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Cf. Vita consecrata, 50.
Can. 790 §1, 2°.
Can. 520 §2.
Can. 681 §2.
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Aujourd’hui, beaucoup d’instituts au Cameroun, selon les
directives de cette assemblée, se sont engagés dans la rédaction
des Conventions qui règlent leurs relations avec les Églises locales. Quelques diocèses au Cameroun sont plus structurés que
d’autres pour des échanges réciproques fructueux. Les difficultés majeures, avant d’être d’ordre pratique, naissent souvent
d’une mauvaise compréhension de la nature des instituts de vie
consacrée et de leurs projets. Comprendre mieux leur dimension
charismatique aiderait à dégager un discours plus cohérent et
plus respectueux de leur vie et de leurs activités et à reconnaître
que l’édification de l’Église locale passe par la fidélité à leur identité, et non par une activité indifférenciée18.
La force du témoignage
En préparation du deuxième Synode sur l’Église en Afrique,
les Supérieurs Majeurs ont consacré leur assemblée plénière à
approfondir le rôle des membres des instituts de vie consacrée
dans les domaines de la réconciliation, de la justice et de la paix.
Les instituts ont été invités à développer une réflexion pour enrichir le débat synodal, autour des grands thèmes de la paix, de la
justice et de la réconciliation et sur leur contribution spécifique
dans ces domaines19. Des milieux troublés par des luttes tribales, par des tensions ethniques et des mentalités où le sens de
l’appartenance régionale l’emporte sur toute forme de fraternité
et de solidarité, ont spécialement besoin d’une culture de la communion et de la fraternité, véhiculée d’une façon particulière par
la vie religieuse. Beaucoup d’instituts ont souligné le fait que l’internationalité de leurs communautés oblige les membres à se
confronter avec la différence culturelle, ce qui demande une attitude d’accueil, d’acceptation des autres, de respect pour l’identité de chacun et encore de développer le dialogue fraternel de
manière que les diversités soient saisies comme une opportunité
18. Cf. Mutuae relationes, 11.
19. Cf. S. RECCHI, «∞∞Réconciliation et rôle des religieux et religieuses. Les réponses au
Questionnaire∞∞», in Passion pour le Christ, passion pour l’humanité, Assemblée générale des Supérieurs Majeurs du Cameroun, Yaoundé 4-7 mars 2008, pp. 28-35.
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et une richesse réciproque, car c’est le Christ qui appelle tous les
membres, avec leurs cultures et leurs origines différentes.
Les Supérieurs Majeurs ont invité à ne pas sous-estimer
l’importance de créer au sein des instituts des structures qui
favorisent un esprit de communion, telles que des soirées culturelles, des rencontres en vue de la correction fraternelle, des journées de demande de pardon communautaire, des moments de
révision de vie ou de fête, des célébrations liturgiques de pardon et
réconciliation. On a beaucoup insisté sur le mot «∞∞témoignage∞∞»∞ :
l’importance de donner un témoignage de vie en communauté,
de témoigner du Christ par la cohérence de sa vie dans une communauté où on fait l’expérience du partage, de l’espérance, de la
charité, du service et de l’écoute. Aussi bien faut-il rendre ce
témoignage par un engagement concret à lutter contre les injustices, à dénoncer les abus, à être présents parmi le démunis et les
personnes qui souffrent et dans les démarches de réconciliation.
Être des agents de réconciliation, de justice et de paix fait partie
de la vocation propre des personnes consacrées, appelées à
promouvoir la réconciliation dans l’Église, à intercéder pour la
paix, à rayonner cette paix dans leurs milieux par la prière, la vie
et le travail. C’est le prophétisme de la vie consacrée qui atteste
qu’il est possible de vivre dans un monde réconcilié, à commencer
par les communautés religieuses.
Les Supérieurs Majeurs ont exhorté aussi à des prises de positions publiques contre les abus, les injustices et tout ce qui s’oppose, dans l’Église, à la réconciliation et à la paix. Il est nécessaire
de soumettre à la critique évangélique certaines traditions et cultures africaines telles que les rites souvent cruels du veuvage, la
dot, les funérailles, les chefferies… pour les purifier et pour libérer les consciences de la peur, du découragement, du fatalisme.
En intervenant dans le récent Synode de l’Église en Afrique,
le Secrétaire Général de la Confédération des Supérieurs Majeurs
de l’Afrique et du Madagascar (COSMAM) a mis l’accent sur le
fait que les personnes consacrées sont invitées à vivre au sein
même des instituts la paix et la réconciliation. Cela est possible
dans l’engagement à entretenir à l’intérieur des communautés
des relations positives entre ethnies différentes, entre nationalités différentes, en développant une culture d’alternance dans les
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postes d’autorité et par le détachement des rôles de pouvoir, et
encore par une mission accomplie avec amour, par un emploi
des biens avec transparence et sans fins personnelles20. C’est dans
le même sens qu’est allée l’intervention du Supérieur Général des
Pères Scheutistes. Le message de réconciliation, de paix, de justice
et d'unité doit d’abord être vécu à l’intérieur des communautés,
parce que la crise qui est dehors se vit aussi «∞∞ad intra∞∞». La réconciliation ne se fait pas par de beaux discours, elle est par contre
une option fondamentale de vie qui demande une conversion
quotidienne des communautés religieuses. Il ne serait pas possible de guérir au dehors les blessures dans les relations entre les
hommes sans pratiquer le pardon, la recherche de la vérité et la
préoccupation pour la justice au sein des communautés religieuses elles-mêmes21.
Conclusion
Au mois de février 2009, le Cardinal Franc Rodé, alors Préfet
de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, s’est rendu au Cameroun. C’était la première visite officielle d’un Préfet de cette Congrégation en terre
africaine. Ce voyage a donné de l’éclat à la première assemblée
générale de la COSMAM, la Confédération des Conférences des
Supérieurs Majeurs de l’Afrique et Madagascar qui venait de naître et qui s’est réunie à Yaoundé à cette même date, un événement d’importance particulière pour la vie consacrée dans le
continent.
À cette même occasion, à Yaoundé, le Cardinal a célébré la
journée de la vie consacrée, en mettant en lumière, avec réalisme, ses défis, ses espoirs, ses perspectives et ses fragilités dans
le continent africain. Le Cardinal Rodé a ainsi expliqué la raison
de son voyage∞∞: «∞∞Simplement la conscience de mon devoir de
Préfet responsable de la vie consacrée dans le monde entier.
Nous nous rendons souvent dans les différents pays d’Europe,
20. Cf. L’intervention du P. Emmanuel TYPAMM, Secrétaire général de la COSMAM,
6e Congrégation générale, 8 octobre 2009.
21. Cf. L’intervention du P. Eduard Tsimba, CICM, 8e Congrégation générale, 9 octobre 2009.
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Silvia Recchi
nous sommes périodiquement présents en Amérique du Nord et
en Amérique du Sud. L’Afrique a été laissée un peu de côté.
Je pense qu’on ne peut pas justifier le fait de laisser en marge cette
part si importante de l’Église que représente la vie religieuse en
Afrique. Le nombre des vocations et la qualité du travail accompli
par les religieux et les religieuses en Afrique méritent sûrement
une attention spéciale, un soin affectueux de la part de l’Église.
C’est cette conscience qui m’a poussé à venir à Yaoundé pour
rencontrer les responsables de la vie consacrée en Afrique∞∞; et il
s’agit effectivement du premier déplacement africain d’un Préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée∞∞»22.
Cette déclaration montre plus que beaucoup de discours les
enjeux de la vie consacrée en Afrique en général et au Cameroun
en particulier. Une vie qui connaît beaucoup de problèmes, mais
qui montre également une grande vitalité au service de l’Église
du continent, comme la réflexion des Supérieurs Majeurs du
Cameroun dans leurs assemblées en a donné témoignage.
Silvia RECCHI
Institut catholique de Yaoundé
B.P. 11628 Yaoundé
Cameroun
Les Conférences anglophones et francophones des Supérieur(e)s Majeur(e)s du Cameroun réfléchissent depuis longtemps aux défis de la vie
consacrée et de la formation à la vie religieuse en Afrique. C’est la substance de ces dix années de discernement que nous présente l’auteur, sous
un mode qui pourrait bien toucher plus généralement tous les acteurs
intéressés à l’avenir de la vie consacrée dans les Églises locales des autres
pays et continents.
22. Cf. L’interview au Card. Franc Rodé in www.missionerh.it (Vita consacrata in
Africa/11).
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