Découverte des plus anciennes traces de la mousson asiatique

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Découverte des plus anciennes traces de la mousson asiatique
La mousson est un phénomène climatique très actif aux basses latitudes, caractérisé par l'inversion
saisonnière des vents aux marges des continents et par l'apport en été d'importantes précipitations
d'origine océanique. Amplifiée par les caractéristiques du relief de la chaîne himalayenne et du Plateau
Tibétain, qui favorisent la mise en place saisonnière de zones à intense précipitation, la mousson asiatique
est l’une des plus connues et des plus étudiées. De nombreuses études accordent l’origine de ce phénomène
à l’élévation progressive des massifs de l’Himalaya, estimé à 25 millions d'années. Cependant, des études
plus récentes montrent que le soulèvement de ces massifs est beaucoup plus ancien et commencerait peu
après la collision de l’Inde avec l’Asie il y a environ 50 millions d’années. Dans un article publié dans la
revue Nature, deux équipes internationales ont mis en commun leurs résultats obtenus de manière
indépendante dans différentes régions d’Asie pour établir et documenter le possible fonctionnement de la
mousson asiatique entre 50 et 25 millions d’années. La comparaison de ces données à des simulations
numériques du climat obtenues dans le cadre de l’étude révèle les processus et les mécanismes à l’origine
de l’existence de ces moussons précoces. L'enjeu de cette étude est d'autant plus intéressant que la période
ciblée, l'Eocène tardif, est caractérisé par une atmosphère riche en dioxyde de carbone (CO 2), avec une
concentration atmosphérique près de quatre fois plus élevée que la concentration moderne.
Au pied des contreforts himalayens, dans la région indo-birmane, la mission paléontologique franco-birmane,
dirigée par Jean-Jacques Jaeger de l’Institut de paléoprimatologie, paléontologie humaine : évolution et
paléoenvironnements (CNRS / Université de Poitiers), travaille depuis 1996, sur les dépôts sédimentaires de la
période Eocène tardif (de 41 à 34 millions d'années) de Birmanie centrale.
Contrairement aux dépôts sédimentaires du sud de l'Himalaya et du Tibet ces dépôts éocènes sont relativement
plus accessibles et riches en fossiles bien préservés.
Dans le cadre de sa thèse, Alexis Licht s'est particulièrement intéressé au climat de l'Eocène birman à travers
plusieurs approches : l'étude du bois fossile ou encore l'analyse des paléosols. Néanmoins, les résultats les plus
significatifs, à l'origine de la publication, sont issus de l'étude géochimique de coquilles de gastéropodes et de
dents de mammifères fossiles, réalisée sous la tutelle de Christian France-Lanord du Centre de recherches
pétrographiques et géochimiques CRPG (CNRS / Université de Lorraine) et C. Lécuyer du LGLPTE (CNRS
Université de Lyon) . Les gastéropodes enferment l'oxygène de l'eau de surface lors de la minéralisation de leur
coquille et les gros mammifères font de même lors de la minéralisation de leur émail dentaire. L'oxygène
possède plusieurs versions atomiques appelées isotopes. En Asie du Sud, la distribution de ces isotopes dans
l'eau de pluie (quantifiée par un indicateur appelé le 18O) dépend de l'intensité de la mousson en été : plus les
pluies sont intenses, plus les analyses isotopiques présentent des valeurs négatives. Les analyses isotopiques des
coquilles et des dents fossiles corrélées à la composition isotopique des eaux de surface, elle-même corrélée à
celle des précipitations permettent donc de remonter à l'intensité de la mousson passée.
Figure 1 : Site éocène de Birmanie, prospecté par la mission paléontologique franco-Birmane.
Parallèlement, en Chine, au nord du Tibet, l'équipe franco-néérlandaise dirigée par Guillaume Dupont-Nivet du
laboratoire Géosciences de Rennes (CNRS / Université Rennes 1) travaille depuis dix ans sur les dépôts lacustres
du bassin de Xining. Ces dépôts exceptionnels ont archivé fidèlement le soulèvement des massifs Tibétains ainsi
que l’influence du climat global sur l’aridification de l’Asie. Ces sédiments sont situés en dessous des dépôts
éoliens les plus conséquents d'Asie, apportés par les vents de la mousson hivernale depuis 22 millions d’années,
qui constituent le plateau de Loess. Le sédiment éolien préserve des caractéristiques uniques dépendant des
conditions de transport par les vents. En effet, l'abrasion des grains lors du transport laisse des marques
indélébiles qui peuvent être observées et identifiées. De plus, la distribution de la taille des grains au sein d'un
dépôt éolien permet de déterminer la vitesse et l'origine des vents. Les chercheurs ont alors étudié la
morphologie et la taille des grains du sédiment du bassin de Xining vieux de 41 à 34 millions d'années, afin de
déterminer si ces dépôts, comme les dépôts plus récents du plateau de Loess, portent aussi une marque de la
mousson.
Figure 2 : Les dépôts sédimentaires du bassin de Xining, en Chine du Nord.
Résultats : Les analyses isotopiques, réalisées par Alexis Licht, présentent des valeurs extrêmement négatives qui
ne peuvent être expliquées que par une mousson d'été déjà très intense, au moins aussi intense que l'actuelle. De
plus, l'analyse de la variation isotopique annuelle, révèle une saisonnalité importante similaire à la saisonnalité
observée dans des coquilles et des dents modernes.
La morphologie des grains du sédiment du bassin de Xining analysée par l’équipe de Guillaume Dupont-Nivet
indique une origine éolienne indéniable. Leur distribution est quasi-identique aux dépôts éoliens du plateau de
Loess. Ce qui indiquent des tempêtes de poussières similaires il y a 40 millions d'années et suggèrent donc une
mousson d'hiver déjà active.
La troisième partie de cette étude explique, à l'aide de modélisations climatiques réalisées par des chercheurs du
Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (CNRS / CEA / UVSQ), l'origine de ces moussons
inattendues. Les simulations climatiques, élaborées à partir de paramètres géographiques similaires à ceux de
l'Asie il y a 40 millions d'années, montrent une circulation de mousson et des précipitations au moins similaires
aux précipitations actuelles malgré une plus faible étendue des massifs tibétains et himalayens. Ces simulations
indiquent que la forte teneur en CO2 atmosphérique, caractéristique de l'Eocène, a contrebalancé les effets
négatifs d'une topographie moins développée sur l'intensité de la mousson. Elles montrent ensuite que le déclin
du CO2 atmosphérique, il y a 34 millions d'années, a significativement diminué l'intensité de ces moussons
passées. Cette forte sensibilité de la mousson asiatique au climat global, mise en avant ici à l'échelle géologique,
confirme que le climat asiatique risque d'être fortement perturbé par le réchauffement climatique actuel. Ces
nouvelles données géologiques suggèrent, en accord avec les prédictions issues des derniers rapports du GIEC,
que l'augmentation actuelle du CO2 dans l’atmosphère va probablement augmenter significativement l'intensité
de la mousson. Ces résultats bouleversent les études paléoclimatiques, en montrant que la mousson asiatique est
d’une part beaucoup plus ancienne que ce que l’on pensait et d’autre part qu’elle est au moins aussi sensible au
climat global qu'à la topographie régionale.
Références
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Contacts chercheurs
Alexis LICHT, Institut de paléoprimatologie, paléontologie humaine : évolution et
paléoenvironnements – IPHEP (UMR 7262 CNRS / Université de Poitiers)
Email : [email protected]
Contacts presse
Jean-Renaud BOISSERIE, Institut de paléoprimatologie, paléontologie humaine : évolution et
paléoenvironnements – IPHEP (UMR 7262 CNRS / Université de Poitiers
Email : [email protected]