1 L`ordre professionnel enseignant : panacée ou mirage?

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1 L`ordre professionnel enseignant : panacée ou mirage?
10 octobre 2014
Les Chroniques de Petit Yves à l’école - 1
L’ordre professionnel enseignant : panacée ou mirage?
Mélanie Hubert
vice-présidente à la vie professionnelle
avec la collaboration de Sébastien Vincent
conseiller au primaire
Décidément, le nouveau ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport fait
couler beaucoup d’encre dans les médias depuis la rentrée scolaire avec ses
déclarations malencontreuses!
Les Chroniques de Petit Yves à l’école initiées dans le
Syndicalement vôtre vous permettront de découvrir l’historique et les
positions syndicales défendues dans différents dossiers du monde de
l’éducation.
Dans le cadre de cette première chronique, il nous faut impérativement
ramener à l’ordre l’élève récalcitrant qui a avancé l’idée de la création
d’un ordre professionnel pour le personnel enseignant.
Séduisante cette idée? Allons-y voir.
Bonne lecture
L
e 3 septembre 2014, Yves Bolduc sortait sur la place publique en affirmant
réfléchir à la mise sur pied d’un système d’évaluation pour le personnel
enseignant. Il précisait qu’il devrait d’abord décider de la création d’un ordre
professionnel1.
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201409/02/01-4796622-yves-bolduc-veutevaluer-les-enseignants.php.
1
TÉL. (514 637-3548) - TÉLÉC. (514 637-0000) - COURRIEL [email protected] – WWW.SEOM.QC.CA (COURRIER INTERNE 808)
La bombe a éclaté en pleine rentrée scolaire, au moment où nous commencions à
peine à constater l’ampleur des dégâts provoqués par les compressions budgétaires.
Mais où le ministre a-t-il bien pu pêcher cette idée que l’ordre professionnel
constitue une solution aux nombreux problèmes auxquels fait face l’école publique?
La réponse se trouve dans le Rapport du comité d’experts sur le financement,
l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires 2 publié en
mai 2014. Celui-ci est plus connu sous le nom Rapport Champoux-Lesage.
Selon les auteurs, « la profession enseignante aurait avantage à être encadrée par un
ordre professionnel dont le mandat serait d’assurer la protection du public, entre
autres en contrôlant la compétence et l’intégrité de ses membres et en favorisant le
développement de la profession »3.
C’est donc ce rapport que cite bêtement notre ministre, sans autre réflexion
préalable, puisqu’un nouvel avis de l’Office des professions doit lui être remis dans
les prochains mois4.
Une perspective déjà évaluée et rejetée
L’idée d’un ordre professionnel enseignant n’est pourtant pas nouvelle. Avant de
lancer ses ballons politiques, le ministre Bolduc pourrait-il prendre connaissance et
s’inspirer d’un avis de l’Office des professions publié en 20025?
Déjà à cette époque, après avoir mené une vaste consultation auprès des milieux
directement concernés, des ordres professionnels et d’un public plus vaste, l’Office
des professions ne recommandait pas la création d’un ordre professionnel
enseignant.
Consulter le communiqué de presse et télécharger le rapport à http://www.mels.gouv.qc.ca/salle-depresse/communiques-de-presse/detail/article/des-nouvelles-pistes-daction-pour-le-financementladministration-la-gestion-et-la-gouvernance-de/.
3
Champoux-Lesage, Pauline (dir.), Rapport du comité d’experts sur le financement, l’administration,
la gestion et la gouvernance des commissions scolaires, gouvernement du Québec, MELS, 2014, p.
57.
4
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201409/02/01-4796622-yves-bolduc-veutevaluer-les-enseignants.php.
5
Office des professions du Québec, Avis de l’office des professions du Québec sur l’opportunité de
constituer un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants, gouvernement du Québec,
2002. Disponible à http://www.opq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Publications/Avis/Avisenseignants.pdf.
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Pour déterminer si un ordre professionnel doit ou non être constitué, on tient
compte de facteurs tels que :
« 1° les connaissances requises pour exercer les activités des personnes qui seraient
régies par l’ordre dont la constitution est proposée;
2° le degré d’autonomie dont jouissent les personnes qui seraient membres de l’ordre
dans l’exercice des activités dont il s’agit, et la difficulté de porter un jugement sur ces
activités pour des gens ne possédant pas une formation et une qualification de même
nature;
3° le caractère personnel des rapports entre ces personnes et les gens recourant à
leurs services, en raison de la confiance particulière que ces derniers sont appelés à
leur témoigner, par le fait notamment qu’elles leur dispensent des soins ou qu’elles
administrent leurs biens;
4° la gravité du préjudice ou des dommages qui pourraient être subis par les gens
recourant aux services de ces personnes du fait que leur compétence ou leur intégrité
ne seraient pas contrôlées par l’ordre;
5° le caractère confidentiel des renseignements que ces personnes sont appelées à
connaître dans l’exercice de leur profession »6.
Ainsi, l’enseignement est assimilable, de l’avis de l’Office, à une profession.
Cependant, il était aussi d’avis que l’État québécois garantit l’encadrement
approprié afin d’assurer la protection adéquate du public.7 Il convenait que
« dans l’exécution de leurs tâches, les enseignantes et les enseignants font l’objet de
balises beaucoup plus élaborées que bon nombre de professions régies par le Code des
professions »8.
L’office remettait également en question la pertinence de transformer un
fonctionnement que s’est lui-même donné le système d’éducation. Dans un tel
contexte, « misant sur la capacité du système d’éducation de se doter des mécanismes
appropriés, l’Office ne [jugeait] pas opportun de recommander la création d’un ordre
professionnel »9.
Ibid, p. 37.
Ibid, p. 62.
8
Ibid, p. 54.
9
Ibid, p. 66.
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7
3
Depuis, le système scolaire a resserré les mesures de contrôle, notamment par
 l’apparition des conventions de gestion et de réussite éducative;
 l’entrée en fonction du protecteur de l’élève;
 l’approche managériale axée sur les résultats.
En quoi le public serait-il moins bien protégé en 2014 qu’en 2002? Quels arguments
pourraient être évoqués par l’Office des professions du Québec pour justifier un
changement de cap? Cela reste à voir.
Une chose s’avère certaine, la position syndicale demeure ferme. Certes, une vaste
consultation référendaire tenue en 2004 par la Fédération des Syndicats de
l’Enseignement (CSQ) a mené au rejet massif (94,7%) d’un ordre professionnel.
Dix ans plus tard, nous devons convenir que nos conditions de travail ont évolué et
que les contextes ne sont plus les mêmes. Plusieurs membres que nous
représentions à l’époque ont pris leur retraite, alors que de nombre d’enseignantes
et d’enseignants ont fait leur entrée dans la profession.
Pouvons-nous présumer que nos positions demeurent les mêmes?
Oui, car en juin 2013, les membres de la FAE ont réitéré en Congrès la position prise
au tournant des années 2000 : « Le Congrès affirme que l’autonomie professionnelle
des enseignantes et enseignants, ainsi que l’organisation des rôles qui en découle, ne
nécessitent ni ne justifient la création d’un ordre professionnel. »10
Mirage de l’ordre professionnel, quand tu nous tiens
La création d’un ordre professionnel laisse miroiter une meilleure reconnaissance
sociale de la profession.
Dans le contexte actuel, alors que les enseignantes et enseignants doivent répondre
des résultats de leurs élèves et qu’un sentiment de méfiance se développe dans la
population au regard du travail accompli par le personnel enseignant11, la création
d’un ordre professionnel pourrait apparaître comme le moyen d’obtenir la
reconnaissance et la valorisation qui nous font trop souvent défaut.
Fédération autonome de l’enseignement, relevé de décisions du Ve Congrès, 25 au 28 juin 2013,
document A1213-CO-DEC-01, décision D-053, p. 7.
11
Sylvain Mallette, Ordre professionnel - Mise au jeu, Conseil fédératif de la Fédération autonome de
l’enseignement des 31 octobre, 1er et 2 novembre 2012, document A1213-CF-041, p. 2.
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Ne s’agit-il pas d’un mirage?
L’Office des professions du Québec nous met en garde : un ordre professionnel n’a
pas pour but de reconnaître à sa juste valeur une profession12. Il vise d’abord
et avant tout la protection du public, en encadrant l’accès et l’exercice de la
profession.
La FAE souligne d’ailleurs que dans certains cas, la création d’un ordre
professionnel s’est soldée par une augmentation du nombre de plaintes en
provenance du public, ce qui n’aide en rien à valoriser les membres qui en font
partie13.
De plus, il serait illusoire de croire qu’un ordre professionnel nous assurerait plus
d’autonomie professionnelle. L’imposition de contraintes par d’autres acteurs de
l’éducation pourrait très bien se poursuivre.
Au contraire, les règlements établis par l’ordre professionnel pourraient affaiblir
nos actions individuelles et collectives et réduire la capacité d’un syndicat à
défendre ses membres14.
Dans un autre ordre d’idées, certains croient qu’un ordre professionnel assurerait
une plus grande compétence des membres qui en font partie. Rien n’est plus erroné.
La formation initiale des enseignantes et enseignants, la qualification ainsi que les
règles d’embauche sont déjà bien balisées.
De plus, l’article 22 de la Loi sur l’instruction publique (LIP) et la clause 7-1.01 de
l’Entente nationale (E6) nous contraignent à « atteindre et à conserver un haut
niveau de compétence ».
Nous avons encore le choix des moyens pour y parvenir, mais un ordre
professionnel pourrait changer la donne en contrôlant le perfectionnement et
en soumettant ses membres à des formations obligatoires15.
Office des professions du Québec, La mise en place d’un ordre professionnel - Document
d’information, Gouvernement du Québec, décembre 2010, p. 9.
13
Fédération autonome de l’enseignement, Ordre professionnel enseignant : plus de structures, plus
de contraintes, moins d’autonomie, mai 2013. Disponible à http://www.lafae.qc.ca/wp12
content/uploads/2013/05/ordre-professionnel-enseignant_201305.pdf.
14
Ibid.
15
Ibid.
5
Finalement, rappelons qu’« un ordre professionnel est une personne morale qui
doit s’autofinancer »16. Pour pouvoir conserver leur droit de pratique, les
enseignantes et enseignants devront par conséquent payer leur cotisation annuelle
et se soumettre aux divers règlements établis par l’Ordre.
Or, en ce moment, toutes les mesures de contrôle sont déjà en place : LIP,
programmes de formation prescriptifs, qualifications légales, supervision
pédagogique, projets éducatifs, plans de réussite, conventions de gestion… le tout
avec droit de regard des universités, des directions et des conseils d’établissement!
Pourquoi payer pour se soumettre à des encadrements qui existent déjà tout en
étant aux frais de l’État?
Poser la question, c’est y répondre…
En conclusion
Vous comprenez maintenant mieux pourquoi nous n’avons guère eu le choix d’écrire
cette note au « père » de Petit Yves, le premier ministre Philippe Couillard :
Note no 1
Bonjour Monsieur Couillard,
Quand Petit Yves fait des exposés oraux,
il a tendance à réciter des passages de
textes sans en comprendre le sens réel.
Veuillez noter que je profiterai de la
prochaine période de récupération pour
travailler certaines stratégies de lecture
avec lui.
Souhaitons vivement que notre ministre prendra le temps de faire quelques lectures
additionnelles avant de poursuivre dans la voie envisagée le 3 septembre 2014.
16
Office des professions du Québec, La mise en place d’un ordre professionnel - Document
d’information, op. cit., p.10.
6
Les enseignantes et enseignants n’ont pas à porter le poids d’un système scolaire
fragilisé.
On voit mal comment la création d’un ordre professionnel répondra aux vrais
enjeux de l’école publique17.
Fédération autonome de l’enseignement, Évaluation des professeurs – Le ministre Bolduc ne saisit
pas les vrais enjeux du système d’éducation québécois, 3 septembre 2014. Disponible à
17
http://www.lafae.qc.ca/wp-content/uploads/2014/09/comm_FAE_20140903_evaluationprofesseurs.pdf.
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