Au lieu de vous remettre en question, bossez !

Transcription

Au lieu de vous remettre en question, bossez !
LE MONDE
hors-piste
Rémi Tremblay
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Au lieu de vous remettre en question, bossez !
Il est 8 heures du matin. Je prends un café à La petite ardoise, rue Laurier, à Montréal, en compagnie du patron
d’une grande entreprise canadienne. Je profite de notre
ren­contre pour lui exprimer mon admiration face à tout ce
qu’il a accompli au cours de la dernière année. Plutôt que
d’accepter mon compliment et d’y répondre par un sourire
de satisfaction, il me fait une confidence qui me renverse :
« Je te remercie de tes encouragements, mais je trouve vraiment difficile toute cette reconnaissance. Cela
me fait peur. Je n’ai pas le sentiment
d’avoir réalisé quelque chose d’extraordinaire. J’ai simplement fait mon
travail, avec passion. » Et cela n’arrête
pas. Il en rajoute : « Je n’ai aucun mérite. Je me sens comme un imposteur qui a peur d’être démasqué. J’ai
l’impression d’avoir de la chance,
d’avoir été au bon endroit au bon
moment. Ma contribution reste marginale par rapport à tout ce qui a été
accompli. C’est si peu ! Je ne suis pas
certain d’être à la hauteur… Un jour
ou l’autre, quelqu’un s’en rendra
peut-être compte. »
Je connais bien ce fameux syn­
drome de l’imposteur, je l’ai ressenti
pendant des années. Moi, le petit gars
de Chicoutimi, pas trop business, à la
tête d’une boîte de 11 000 employés.
Un tel sentiment d’imposture nous cause beaucoup d’inquiétude, certes. Mais il exprime aussi une bonne dose
d’humilité et la capacité de se remettre en question. Grâce
à ce sentiment, nous restons vigilants au moment de prendre des décisions. Il nous pousse à consulter les autres et à
nous entourer des meilleurs.
Il y a toutefois des limites. À outrance, le syndrome de
l’imposteur paralyse et peut nous mener à cacher nos
erreu­rs et nos limites. Il devient alors urgent de le calmer.
Comment ? En rendant sa place à notre intuition, en renouant avec notre vision et nos valeurs.
Il faut aussi faire confiance aux autres. À ceux qui nous
ont nommé et qui nous confirment dans notre poste année
après année. À ceux que nous dirigeons et qui choisissent
de nous suivre.
Je me souviens de mon premier patron, le président
mondial d’Adecco. Il venait de me confier le mandat d’ouvrir
la première filiale du Groupe au Canada, alors que j’avais
22 ans ; je lui ai dit que je doutais être
la bonne personne pour relever ce
défi. Je n’oublierai jamais sa réponse :
« Utilise ton énergie à travailler plutôt
qu’à te remettre en question. Si tu n’as
pas assez confiance en toi-même,
fais-moi confiance. Ce n’est pas la
première fois que j’embauche un président de filiale. Je sais mieux que toi
ce que ça prend. » Je ne lui ai jamais
reparlé de mes insécurités et j’ai trimé
dur. Quand le doute me reprenait, j’en
parlais avec mon équipe, avec la­
quelle je retrouvais la confiance.
Si vous avez vous aussi le sentiment d’être un imposteur, ne vous en
faites pas, vous n’êtes pas le seul ! Le
mois dernier, je partageais avec un de
mes groupes de réflexion la conversation que j’avais eue avec le président
dont je vous ai parlé au début de la
chronique, et plus de la moitié des patrons présents ont avoué ressentir ou
avoir déjà ressenti ce syndrome.
Bien sûr, nous gérons souvent des organisations qui ne
sont plus de taille humaine. Et les défis que nous relevons
sont de plus en plus complexes. Mais il faut bien que
quelqu’un le fasse. Alors restez vigilant, mais cessez de
vous remettre en question et TRAVAILLEZ. c
74 | COMMERCE | Octobre 2009
publie ce mois-ci l’ouvrage : J’ai perdu ma
montre au fond du lac. En 2004, il a fondé
Esse Leadership, qui accompagne les dirigeants qui souhaitent
repousser les frontières de leur leadership.
Rémi Tremblay
PHOTO : MARIE-CLAUDE HAMEL
Il faut faire
confiance aux autres.
À ceux qui nous ont
nommé et qui nous
confirment dans notre
poste année après
année. À ceux que
nous dirigeons
et qui choisissent de
nous suivre.