La réduction de la matière aux quarks et aux leptons
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La réduction de la matière aux quarks et aux leptons
André Rousset GARGAMELLE ET LES COURANTS NEUTRES T ABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION : LA RÉDUCTION DE LA MATIÈRE ET L'UNIFICATION DES FORCES ..................................................................1 La réduction de la matière aux quarks et aux leptons..............................1 La réduction des forces à quatre interactions élémentaires.......................3 La perspective de l'interaction électro-faible............................................6 CHAPITRE I : LES CHAMBRES À BULLES À LIQUIDE LOURD EN EUROPE ..........7 Les premières chambres de l'École polytechnique, BP1 et BP2................7 La construction de la chambre BP3.......................................................13 Le programme de physique réalisé avec BP3 ........................................18 La chambre de la division NPA du CERN.............................................24 Les faisceaux de neutrinos....................................................................30 CHAPITRE II : LA CONSTRUCTION DE GARGAMELLE ....................................35 Une décision furtive..............................................................................35 Une organisation industrielle de la construction....................................37 Un éclairage original ............................................................................41 Les malheurs du corps de chambre.......................................................44 En attendant le corps de chambre .........................................................45 Le démarrage de Gargamelle................................................................47 Une grande famille, la collaboration Gargamelle...................................50 CHAPITRE III : L'INTERACTION FAIBLE .......................................................52 Le rôle de l'interaction faible ................................................................52 L'interaction faible avant les courants neutres........................................57 L'interaction faible avec ses courants neutres.........................................63 CHAPITRE IV : LA DÉCOUVERTE DES COURANTS NEUTRES FAIBLES ............68 Une diversion, le modèle des partons ....................................................68 Le courant neutre hadronique...............................................................70 Les inquiétants neutrons .......................................................................74 Le courant neutre leptonique................................................................78 A-t-on vraiment observé des courants neutres ?.....................................81 Observation de la nature ou préjugé théorique ? ...................................82 CHAPITRE V : LA POLÉMIQUE DES COURANTS NEUTRES « ALTERNATIFS » . .86 Le doute...............................................................................................86 La concurrence.....................................................................................87 Les courants neutres « alternatifs »........................................................89 La renaissance des courants neutres américains.....................................91 André Rousset GARGAMELLE ET LES COURANTS NEUTRES Le transfert de gargamelle auprès du SPS .............................................93 CHAPITRE VI : POURQUOI UNE DÉCOUVERTE AUSSI TARDIVE ?..................95 Les courants neutres se cachent.............................................................95 On cherche les courants neutres où ils ne se trouvent pas...............96 On utilise des moyens expérimentaux inadaptés ............................97 Pourquoi cette découverte a-t-elle été faite dans Gargamelle ?..............99 Les courants neutres "existaient-ils" avant 1973 ?................................100 CHAPITRE VII : APRÈS LA DÉCOUVERTE DES COURANTS NEUTRES............102 D'autres manifestations des courants neutres .......................................103 Le charme ..........................................................................................104 La découverte des bosons intermédiaires.............................................108 La machine LEP.................................................................................112 Les courants neutres de la physique atomique.....................................114 ÉPILOGUE ...........................................................................................116 Quelques réflexions personnelles........................................................117 Vingt ans après...................................................................................119 Annexe I-1 : Équipe du faisceau neutrino du PS.................................121 Annexe I-2 : Équipe de la construction, de la mise au point et du fonctionnement de la chambre à bulles Gargamelle....................121 Annexe I-3 : Physiciens ayant participé aux expériences neutrino-antineutrino avec Gargamelle au PS......................................122 Annexe II : La structure du nucléon étudiée avec Gargamelle.............124 Annexe III : Problème de l'agrégation de physique (1972).................126 Pour en savoir plus .............................................................................135 Lexique..............................................................................................137 Index..................................................................................................141 ii INTRODUCTION LA RÉDUCTION DE LA MATIÈRE ET L'UNIFICATION DES FORCES Les scientifiques ont progressivement ramené la connaissance du monde matériel à un petit nombre de particules élémentaires et à quatre forces fondamentales. LA RÉDUCTION DE LA MATIÈRE AUX QUARKS ET AUX LEPTONS Nos yeux nous donnent du monde qui nous entoure une image très complexe. Les espèces animales, végétales et minérales sont extraordinairement diversifiées. Pourtant cette variété presque infinie a été réduite à des éléments de plus en plus simples. Les zoologistes, les botanistes et les minéralogistes ont rangé les espèces différentes en groupes, en sous-groupes, en familles. Les chimistes y ont identifié de nombreuses molécules, lesquelles ont été réduites par les physiciens à ses composants, une petite centaine d’atomes, de l’hydrogène jusqu’à l’uranium. Telle était la description de la matière à la fin du XIXe siècle. Au début du XXe siècle le physicien britannique Ernest Rutherford explore l’intérieur de l’atome en utilisant comme sondes les particules alpha émises par des noyaux radioactifs. Il y découvre la petitesse du noyau dont le rayon est estimé inférieur à 10 -12 cm, bien plus petit que celui de l’atome, de l’ordre de 10 -8 cm. Après la découverte du neutron en 1932 par James Chadwick, le noyau atomique est réduit à un assemblage de ses deux composants, les protons et les neutrons. Suivant la proposition de Murray Gell-Mann et de George Zweig des années soixante, ces deux nucléons eux-mêmes ne sont plus élémentaires, ils sont essentiellement formés de trois quarks. Ces particules ont des propriétés très particulières, leurs charges électriques sont fractionnaires, + 2/3 pour le quark u (up), -1/3 pour le quark d (down). Le proton de charge unité contient deux quarks u et un quark d. Le neutron de charge 2 GARGAMELLE ET LES COURANTS NEUTRES nulle contient deux quarks d et un quark u. Les quarks sont si fortement liés entre eux que les physiciens n’ont pas encore réussi à les extraire du nucléon. En utilisant les accélérateurs les plus puissants, ils ont pourtant bombardé le proton avec des projectiles dont les énergies cinétiques sont plus de mille fois supérieures à l’énergie de masse de la cible. Le proton n’a encore jamais pu être cassé ! Si le quark n’a pas été isolé à l’état libre, il a été détecté in situ, dans le proton. En effet, les électrons et les neutrinos de grande énergie sont capables de sonder l’intérieur du proton. Leurs diffusions à grand angle ont permis de mettre en évidence la présence de grains durs diffusants, quasi ponctuels, identifiés comme étant les quarks. L’antimatière, aux propriétés exactement symétriques de celles de la matière, est formée à partir des deux antiquarks u et d . La matière existe également sous diverses formes instables, les mésons, les particules étranges, les particules charmées, les particules de beauté, leurs états excités. Plusieurs centaines de ces objets sont des compositions variées de six quarks et de six antiquarks. En plus des deux quarks u et d, il existe en effet un quark s (strangeness), un quark c (charm), un quark b (beauty), un quark t (top) et les antiquarks correspondants. Ces qualificatifs sont les « saveurs » des quarks. Ainsi toutes les espèces minérales, végétales et animales, toutes les molécules, tous les atomes, tous les états observés de la matière, stable ou instable, ne sont que des assemblages de douze éléments, les six quarks et les six antiquarks. L’existence du sixième quark t avait été décelée dans des expériences effectuées au CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) avec la machine LEP (Large Electron Positron machine), mais sa masse élevée de 174 GeV1 n’avait pas permis de le créer en même temps que son antiquark. En avril 1994, le collisionneur américain de protons et d’antiprotons, le Tévatron, qui permet d’atteindre des masse de l’ordre du millier de GeV, a réussi à le produire et un groupe de physiciens a réussi à le détecter. La construction des atomes et des molécules exige la participation d’une autre particule stable bien connue, l’électron e-, environ 2000 fois plus léger que le proton . Une autre particule lui ressemble, c’est le muon négatif µ-. Il a été trouvé dans le rayonnement cosmique en 1937, il est deux cents fois plus lourd que l’électron, il se désintègre en deux micro- 1 L’électron-volt (eV) est la seule unité d’énergie utilisée dans cet ouvrage, c’est l’énergie acquise par un électron soumis à un potentiel électrique de 1 volt. Le MeV vaut un million de eV, le GeV un milliard. La relation d’Einstein E = mc 2 permet d’utiliser ces mêmes unités d’énergie pour les masses des particules. La masse du proton est voisine de un GeV, celle de l’électron est voisine d’un demi MeV. 2 Introduction 3 secondes. Une troisième particule du même type, mais encore plus lourde, le tau négatif !-, a été trouvée pendant les années 70 à Stanford. Il existe également les antiparticules de l’électron (le positron e+), du muon (le muon positif µ+) et du tau (le tau positif !+). u c t e µ ! d s b "e "µ " ! (?) !i#ure ( ) Les si, -uar/s et les si, le2tons Ce ta6leau r7ca2itule les constituants actuellement les 2lus 7l7mentaires de la mati;re. Il re#rou2e les -uar/s et les le2tons 2ar dou6lets. Le neutrino "! e,iste tr;s 2ro6a6lement, mais il n?a 2as encore 7t7 d7tect7. @n ta6leau analo#ue 2eut Atre construit avec les anti-uar/s et les antile2tons. Lors de la désintégration bêta d’un noyau, l’électron émis est accompagné d’une particule neutre, très difficile à détecter, le neutrino électronique "e. Symétriquement, un neutrino muonique "µ est associé au muon. Ces deux neutrinos et leurs antiparticules ont bien été observés expérimentalement. En revanche, le neutrino associé au tau et son antineutrino restent à découvrir, mais leurs existences ne font guère de doute. L’ensemble de l’électron, du muon, du tau et de leurs neutrinos associés forment la famille des six leptons. L’égalité du nombre des quarks et de celui des leptons n’est probablement pas fortuite. Elle s’impose dans le cadre du Modèle Standard actuel des particules élémentaires et de leurs interactions. La matière et l’antimatière se réduisent donc à un ensemble de six quarks, six antiquarks, six leptons et six antileptons. Pour le moment ces 24 particules sont les plus élémentaires que nous connaissions. Elles se comportent comme des grains quasi ponctuels. Il n’existe actuellement aucun indice expérimental qui pourrait suggérer qu’elles soient ellesmêmes dotées de structures internes. Telle est la description de la matière à la fin de ce XXe siècle. Elle est résumée par la figure 1. LA RÉDUCTION DES FORCES À QUATRE INTERACTIONS ÉLÉMENTAIRES La construction du monde n’est possible que grâce à l’existence de forces capables d’assembler entre elles les particules élémentaires. Ces 3